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Saints et sainteté chez les Ottoniens autour de l'an Mil

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Academic year: 2021

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SAINTS ET SAINTETÉ CHEZ LES O TTO N IEN S A U TO U R DE L'A N M IL

Les tentatives faites au cours du Xème siècle pour élever au rang de saint certains membres de la lignée ottonienne n 'o n t guère retenu l'a tte n tio n des érudits, qui se sont s u rtou t attachés aux sanctifications tardives (X Ile siècle) de l'empereur Henri II (+ 1024) et de son épouse Cunégonde. Bien avant celles- ci se développèrent dans la maison de Saxe certaines famae sanctitatis qui donnent lieu à d'intéressantes observations historiques et surtout qui suscitèrent de riches et originales tra dition s hagiographiques, dignes d'être repla­ cées dans l'histoire de la sainteté médiévale.

Six membres de la dynastie ottonienne bénéficièrent plus ou moins nettem ent avant l'an Mil d'une réputation de sainteté. L'on peut écarter les cas de l'abbesse Hathumoda de Gandersheim (+ 874), à la fama vite estom­ pée, et de Brunon de Cologne qui ne fu t vénéré vraim ent, et à Cologne seulement, qu'au X I le siècle. Les grands saints ottoniens sont la duchesse Oda (4 912), épouse du duc L iu d o lf, la reine Edith (4- 946), première femme d 'O tto n de Grand, et surtout deux figures majeures, la reine Mathilde (4- 968), femme d'H enri l'Oiseleur et l'im pératrice Adélaïde (+ 999), seconde épouse d 'O tto n le Grand. Cette liste fa it d'emblée apparaître certains aspects o riginaux: le caractère fondam en­ talem ent fém inin de la sainteté otto n ien n e; la position de reine ou de princesse de ces sain­ tes, alors qu'aucune des nombreuses abbesses liu d o lf ides du Xe siècle ne f i t l'o b je t d'une fama ; enfin le fa it que ces saintes ne soient pas stricto sensu des membres de la lignée ottonienne, mais p lu tô t, à chaque génération, des conjoints, porteurs de sangs différents.

L'étude de la naissance et du dévelop­ pement de chaque fama co nd u it à fo rm u le r certaines distinctions. D oit être mis à part le cas de l'im pératrice Adélaïde d o n t la cause, ignorée des empereurs, fu t défendue avec constance par les Clunisiens, depuis l'abbé O dilon, auteur vers 1002 d'une épitaphe hagiographique de la sainte, jusqu'au pape Urbain II qui la canonisa en 1097. Adélaïde s'était montrée une bienfaitrice attentive du monastère bourguignon, mais il semble qu'à travers sa renommée de sainteté les C luni­ siens aient cherché le rattachement à leur ordre de l'abbaye de Selz, lieu de sépulture de l'im pératrice qui y avaient appelé lors de la

fondation des moines formés à C luny: sans doute était-ce, pour les moines réformateurs, l'occasion de prendre pied dans l'Em pire. A l'inverse, Oda, Edith et M athilde ne peuvent être séparées: leur sainteté est proclamée avec une remarquable coïncidence vers 970 par les grands auteurs saxons de la première généra­ tio n : Hrosvitha de Gandersheim, W idukind de Corvey et l'auteur de la vita M ahthildis antiquior. Après des débuts brillants, la fama de ces saintes, qui ne dépassa jamais les limites de la Saxe, te n d it à s'effacer. Ce déclin fu t si marqué que les réputations de sainteté d'Oda et d'É dith disparurent, la reine Mathilde ne devant le m aintien d'une vénération — qui n'est o fficiellem en t attestée qu'au XVe siècle — qu'à la qualité de sa tra d itio n hagiographique. Malgré le faible enracinement de leur vénéra­ tio n , ces trois princesses constituent le noyau de la sainteté ottonienne.

Ces observations conduisent à un premier thème, celui de la sainteté dynastique: quelle part prirent les O ttoniens à la sanctification de leurs ancêtres ? Il apparaît vite que les m ilieux royaux fu re n t loin de témoigner à celles-ci un intérêt constant: la grande période se situe vers 965-975, à la fin du règne d 'O tto n de Grand et au début de celui d 'O tto n II, à un m om ent où le pouvoir, de style encore patrim onial, se trouve confro n té à la question de la transmission héréditaire de la couronne. La proclam ation, par des auteurs proches de la Cour, de la sainteté des S tam m utter s'intégre avec d'autres thèmes dans un courant d'exalta­ tio n de la nation saxonne et de réécriture du passé fam ilial après le grand événement que fu t la rénovation de l'E m p ire en 962. Mais, peu d'années après, l'arrivée au gouvernement des impératrices étrangères Adélaïdes et Théophano, l'atténuation de l'em preinte saxon­

ne et patrim oniale du pouvoir, le triom phe du Reichskirchensystem et de l'empereur vicarius C hristi semblent avoir rejeté à l'arrière plan des m otifs de propagande les cultes fam iliaux, même si ceux-ci se trouvent encore rappelés au temps d'H e nri II par l'auteur de la vita M ahthildis p o ste rio r (v. 1002) et Thietm ar de Mersebourg (1012-1018). La fin de la maison de Saxe en 1024 paracheva un déclin perceptible quelques décennies auparavant. Au to ta l, il paraît impossible d 'a ffe cter un rôle décisif, comme form e d 'illu s tra tio n du pouvoir, 13

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à ces vénérations mal établies; eles furent surtout un élément passager de la Selbstbewus-

stsein de la maison royale.

Les textes hagiographiques relatifs aux saints ottoniens sont eux-mêmes nettement contrastés. A ux documents saxons s'oppose Vepitaphium Adelheide d'O dilon de Cluny (v. 1002). Dans ce texte concis, d'une grande valeur conceptuelle, marqué par les règles de l'épitaphe chrétienne et l'influence de saint Jérôme, l'abbé de Cluny dresse le p o rtra it d'une souveraine qui fu t en son temps l'inca r­ nation de Ylm perium romanum , et qui, dans les épreuves et les souffrances, accéda à la sainteté par la chrisotmimesis. L'absence de to u te référence fém inine — aucune allusion significative n'est faite au mariage, à la mater­ nité, aux obligations d'une épouse soyale — rend un son d iffé re n t des hagiographies saxon­ nes. Entre tous ces textes existe cependant une réelle parenté sur un p o in t capital: l'a ffir­ m ation de la co m p atib ilité entre sainteté et royauté. L'élection divine est fondée sur la vertu d h u m ilité qui permet la conciliation d'une vie chrétienne et de l'exercice du pou­ voir, et qui s'exprim e par la charité aumônière et le soutien aux in stitutio n s ecclésiastiques. L'accord de ces textes prouve l'épanouissement vers l'an Mil du type hagiographique de la reine, après les prudences du haut Moyen Age : ces souveraines ont acquis leur sainteté dans l'exercice des fonctions royales, sans jamais être devenues religieuses ou abbesses. Cette évolution préfigure l'apparition aux Xle- XI le siècles du type hagiographique du roi confesseur.

Face au texte isolé qu'est l'épitaphe d'Adélaïde, les œuvres saxonnes form ent un ensemble cohérent. Elles se caractérisent d'abord par leur souci du prestige dynastique et notam m ent par le lien fa it entre la sainteté des aïeules et la réussite fam ilia le : les vertus de ces saintes femmes o n t contribué aux succès terrestres de leurs descendants. Ainsi, dans la vita M ahthildis antiquior, la victoire d 'O tto n le Grand en Italie en 951 est-elle essentiellement due aux prières de la reine; cette intercession se transform e dans la vita p oste rio r en un patronage de la sainte sur le destin de sa lignée. Point très éloignés dans de tels passages des tra d itio n s paganisantes de la G eblütscheiligkeit, les hagiographes m aintien­ nent tou te fo is ferm em ent l'o rth o do xie chré­ tienne: la sainteté de leurs héroïnes est person­ nelle et non fonctionnelle, et les membres de leur parenté ne jouissent d'aucun don spirituel caractéristique de la sainteté. Plus même, ces clercs insistent sur le rôle de modèle joué par les saints fam iliaux, qui constituent autant d'exemples pour leur postérité.

Le centre d 'in té rê t majeur des vitae saxonnes se situe sur le plan de la sainteté fém inine. Les auteurs de la première géné­ ration s'arrachent encore avec peine à la tra d itio n ascético-monastique de rupture avec le monde, mais une lecture attentive dégage des perspectives neuves. Dans les Prim ordia coenobii Gandeshemensis de Hrosvitha (v. 970), Oda, retirée dans sa fo n d a tio n après son veuvage, est surtout la puissante patronne de l'établissement qu'elle dirige sans être abbesse; jamais coupée de sa fam ille, qu'elle conseille et accueille avec joie, elle est vis-à- vis de tous, descendants, moniales, indigents, animée d'un v if sentiment maternel. Le p o rtra it de M athilde par son premier hagiographe (v. 974) est dessiné d'une main moins ferme. Dans les passages inspirés de la vita Radegundis de Venance Fortunat, elle est une sainte tentée par l'ascétisme et le re tra it du m onde; mais elle est plus souvent la digne aïeule des princes au pouvoir, épousée par Henri l'Oiseleur au terme d'un enlèvement romanesque, et devenue une mère aimante, une princesse charitable et grande fondatrice. Au to ta l sa vie royale et fam iliale n'a pas empêché sa sainteté.

Ces textes encore prudents se trouvent d'un seul coup dépassés par une œuvre magis­ trale, la vita M ahthildis p o ste rio r (v. 1002), to u t à la fois écrit spirituel insistant sur la valeur rédem ptrice de la souffrance, instrum ent de propagande légitim ant l'avènement d'H enri II, m iro ir des princes dém ontrant l'alliance possible de la dignitas royale et l'hu m ilita s chrétienne, et su rtou t m iro ir des laïcs p ropo­ sant un modèle inhabituellem ent hardi de sainteté fam iliale. Ce dernier p o in t est capital: M athilde est une sainte épouse. En rien incom ­ patible avec l'am our divin, l'am our intense et partagé qui l'u n it à Henri l'Oiseleur est à to u t m om ent réaffirm é. Les deux époux o n t observé le devoir d 'é ta t des couples chrétiens, la castitas conjuga/is, vertu de dignité et de retenue dans la vie sexuelle. D'une égale piété, ils o n t agi en é troite collaboration, et chez eux, la coadunatio in bono a accompagné la coadunatio in carne. On reconnaît là un com pendium du bon mariage. Mais il y a plus, la m o rt d'H enri n'a pas mis fin au lien conjugal. Une fois veuve, M athilde prie, fa it prier, accorde des aumônes pour le salut de l'âme de son mari, selon une exigence constamment rappelée par les clercs saxons, et notam ment par T hietm ar de Merse- bourg, champion dans sa Chronique du devoir de prière de l'épouse et de la veuve pour salut de son mari. Au to ta l, le mariage est un fa it central dans la biographie de la reine: véri­ table cadre de son existence, il se révèle un état de fo rte valeur spiritu elle ; loin de consti­ tue r un obstacle à la vie chrétienne, il est un 14

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lieu de circulation de la grâce, un gage de salut pour les époux.

Ce type de sainteté conjugale constitue l'aspect le plus original de la vita posterior. Son émergence vers l'an Mil témoigne du renouvellement de l'hagiographie fém inine en Germanie septentrionale depuis le IXe siècle: les schémas traditionnels, ascétiques et a n ti­ m atrim oniaux, passent alors dans nombre d'œuvres au second plan. Mais, ainsi que l'in d i­ quent l'o rie n ta tio n pédagogique de l'œuvre, qui prend quelques libertés avec ce que fu t la vie réelle de Mathilde, et la cohérence de son éthique fam iliale, cette vita exprim e surtout la pastorale du mariage du clergé saxon, une pastorale où l'on reconnaît les thèmes p rin ci­ paux des spécula iaïcorum du IXe siècle: amour mutuel des époux, respect d'une castitas conjugaiis conçue avec largeur d'esprit, égalité des conjoints, valorisation de la maternité. Le monde o ttonien prolonge, sur ce p o in t comme sur d'autres, le IXe siècle impérial.

Plus généralement même, par l'insistance sur l'acquisition de la sainteté dans l'accom plis­ sement des devoirs d'état, ici ceux d'épouse,

de mère et de reine, cette vita mérite d'être interprétée comme un p o in t d'aboutissement du moralisme carolingien.

La sanctification de reines fidèles à leur statut laïque et l'élaboration d'une sainteté fém inine dans le siècle ne peuvent enfin se comprendre qu'au sein d'une civilisation accordant aux femmes un rôle social de pre­ mier plan. L'examen des hagiographies o tto - niennes confirm e sur ce p o in t les observations du médiéviste anglais K.J. Leyser, selon lesquel­ les les femmes de l'aristocratie saxone bénéfi­ ciaient de larges responsabilités religieuses et se trouvaient notam m ent chargées d'œuvrer par leurs prières, leurs aumônes et leurs fonda- - tions au succès tem porel comme au salut éternel des hommes de leur parenté. Réalisées au sein des familles, ces fonctions ne se d istin ­ guaient guère de celles confiées aux moniales des nom breux monastères fém inins de ce pays et garantissaient un statut privilégié aux épou­ ses et aux veuves. Ainsi s'explique l'apparition aux temps ottoniens d'un idéal équilibré de vie chrétienne dans le monde.

Patrick CORBET

B IBLIO G R A PHIE

Patrick CORBET

« Les saints ottoniens — sainteté dynastique, sainteté royale e t sainteté fém inine a u to u r de l'an m il» , « Beihefte de Francia », 1987.

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