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L'activisme cycliste comme forme de participation politique : l'étude de la portée de la Bicitekas, tribu urbaine cycliste à Mexico

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Academic year: 2021

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© Catherine Bilodeau, 2020

L'activisme cycliste comme forme de participation

politique : l'étude de la portée de la Bicitekas, tribu

urbaine cycliste à Mexico

Mémoire

Catherine Bilodeau

Maîtrise en aménagement du territoire et développement régional - avec

mémoire

Maître en aménagement du territoire et développement régional (M.ATDR)

(2)

L’activisme cycliste comme

forme de participation politique :

l’étude de la portée de la Bicitekas,

tribu urbaine cycliste à Mexico

Mémoire

Catherine Bilodeau

Aménagement du territoire et développement régional

Sous la direction de :

Geneviève Cloutier, directrice de recherche

Québec, Canada

(3)

II

L’activisme cycliste comme forme de participation politique : l’étude de la portée de la Bicitekas, tribu urbaine cycliste à Mexico

Résumé :

À l’exemple des carnets de la portée de la participation (Fourniau, 2010) –où l’équipe de recherche propose une mise en récit de débats urbains pour éclairer les effets multiples de la participation sur trois dimensions : les milieux, les dispositifs et les représentations– notre étude qualitative recompose l’évolution du débat cycliste et participatif à Mexico.

Pour ce faire, le déroulement des actions et arguments d’un collectif cycliste mexicain, la Bicitekas, est pris comme fil conducteur. À l’aide d’une revue de presse et d’entretiens semi-dirigés, l’évolution des trois dimensions de la portée et des assemblages urbains ont été retracés. Cette mise en récit, accompagnée de cartographies des assemblages, permet d’exposer comment, entre 1997 et 2017, dans les tensions entre professionnalisation de la participation et radicalités politiques, se sont créé des communautés cyclistes et se sont reconfiguré les modalités inédites de participation politique dans la ville de Mexico.

Mots-clés :

Activisme, participation, cyclisme utilitaire, portée, Mexico, Bicitekas.

Bike activism as a form of political participation - A Case Study of Mexico urban bike tribe, La Bicitekas

Activismo ciclista como forma de participación política: el caso de la Bicitekas, tribu urbana en bicicleta en la ciudad de México

(4)

III

Table des matières

RÉSUMÉ : ... II

LISTES DES CARTES, FIGURES ET TABLEAUX ... V

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 – CADRES THÉORIQUES ET PROBLÉMATISATION ... 5

LA PARTICIPATION CITOYENNE DANS LES ÉTUDES URBAINES ... 5

Une notion qui émerge avec les mouvements urbains ... 5

Les effets de l’institutionnalisation du processus ... 5

LES CADRES D’ÉVALUATION DE LA PARTICIPATION ... 7

LIMITES DES ÉTUDES SUR LA PARTICIPATION CITOYENNE ... 8

(Re)penser la participation citoyenne en dehors des cadres institutionnels? ... 8

Un clivage Nord-Sud, qui date, mais qui reste ... 10

SUR LA SAISI DES EFFETS DE LA PARTICIPATION CITOYENNE ... 13

LE DÉPLACEMENT DE L’ACTION COLLECTIVE VERS DES PRATIQUES INDIVIDUALISÉES ... 14

Une notion contemporaine pour saisir les changements de formes d’engagement politique ... 14

Une ouverture qui questionne sur les limites de la participation et du politique ... 16

Le partage en réseau des pratiques individualisées comme condition à l’action collective ... 19

LA VILLE À VÉLO : UN EXEMPLE D’UNE POLITIQUE EN PRATIQUE ? ... 20

Le cyclisme, une forme de participation citoyenne? ... 20

Les motivations : multiples suggestivités, multiples raisons, même action politique ? ... 22

LES ÉTUDES DES SCIENCES SOCIALES SUR LE VÉLO ... 23

La faible présence du vélo comme objet politique et social ... 23

Identité, affirmation et revendications : les associations du vélo aux mouvements sociaux ... 24

Le cyclisme comme lifestyle et la culture du cyclisme ... 28

CHAPITRE 2 – PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ... 31

PROBLÉMATIQUE ... 31

OBJECTIFS ET QUESTIONS DE RECHERCHE ... 31

1) L’activisme cycliste comme forme de participation citoyenne à l’aménagement urbain ... 32

2) La portée de la participation citoyenne du collectif Bicitekas ... 33

MÉTHODOLOGIE, DONNÉES RECUEILLIES ET OUTILS D’ANALYSE ... 35

1) Analyse documentaire ... 35

2) Entretiens semi-directifs : acteurs clés activistes ... 42

3) Outil d’analyse : la cartographie d’assemblage ANT ... 45

CHAPITRE 3 – INTRODUCTION À L’ÉTUDE DE CAS : MEXICO, DES RÉCENTS ET NOMBREUX CHANGEMENTS ... 48

MEXICO –LA MONSTRUEUSE INGOUVERNABLE ... 49

BREF RETOUR POLITICO-ÉCONOMIQUE DE LA CROISSANCE DE MEXICO (LES ANNÉES 90) ... 50

MATURATION DE LA MÉTROPOLISATION (LES ANNÉES 2000) ... 53

GOUVERNANCE ET PARTICIPATION ... 56

DE VILLE EMBLÉMATIQUE DE LA CONGESTION À PARADIGME DE LA MOBILITÉ CONTESTÉE ... 59

Bicitekas : un acteur de cette mobilité contestée ... 60

CHAPITRE 4 - ANALYSE ET DISCUSSION : LA PORTÉE DE LA PARTICIPATION DU COLLECTIF BICITEKAS ... 63

REVENDICATIONS ET DEMANDES POUR LE VÉLO À MEXICO –UNE LONGUE HISTOIRE D’ARGUMENTATION EN PLUSIEURS PHASES ... 63

(5)

IV

PHASE1:UNE VISIBILISATION DU CYCLISME PAR LE NOMBRE POUR CONSTRUIRE DES PROJETS

D’AMÉNAGEMENTS PAR LE BAS ... 65

Éléments clés de la phase 1 - 1997 à 2004 ... 65

Mise en récit ... 69

PHASE2–DÉVELOPPEMENT DES SAVOIRS TECHNIQUES ET PARTICIPATIFS LOCAUX ... 82

Éléments clés de la phase 2 - 2004 à 2007 ... 82

Mise en récit ... 85

PHASE3–UN MOMENT DE RUPTURE QUI MARQUE UNE RESTRUCTURATION DE L’ACTION COLLECTIVE ... 92

Éléments clés de la phase 3- 2008 à 2012 ... 92

Mise en récit ... 97

PHASE4–UNE FRAGMENTATION DE LA COMMUNAUTÉ CYCLISTE MEXICAINE : ENTRE ACTION GLOBALE PROFESSIONNALISÉE ET ACTION LOCALE ... 109

Éléments clés de la phase 4- 2012 à 2017 ... 109

Mise en récit ... 113

TRAJECTOIRE DE LA BICITEKAS AU COURS DES QUATRE PHASES ... 120

CONCLUSION ... 122

LA PORTÉE DU MOUVEMENT GRASSROOTS DE CYCLISTES UTILITAIRES URBAINS LA BICITEKAS ... 122

LA PORTÉE ET LA CARTOGRAPHIE ANT COMME OUTIL D’ANALYSE ... 123

LE DÉPLACEMENT DE L’ACTION COLLECTIVE ... 126

BIBLIOGRAPHIE ... 128

(6)

V Listes des cartes, figures et tableaux

CARTES

CARTE1-LOCALISATION DE LA VILLE DE MEXICO (CDMX)ET LIMITES DE SES 16 DÉLÉGATIONS ... 49

CARTE2-DÉLÉGATIONS ET CENTRALITÉS DE LA CDMX ... 54

CARTE3-DÉLÉGATIONS ET MUNICIPALITÉS COMPOSANT LES COURONNES PÉRIURBAINES DE LA ZMVM ... 55

CARTE4-PÉRIURBANISATION ET MIGRATIONS DANS LA ZMVM ... 56

CARTE5-TRACÉ DE LA PISTE CYCLABLE MEXICO-CUERNAVACA ... 66

CARTE6-ANT:PHASE 1(1994 À 2004) ... 67

CARTE7-ANT:PHASE 2(2004 À 2007) ... 83

CARTE8-ANT:PHASE 3(2007 À 2012) ... 94

CARTE9-PROJET DE LA SUPERVÍA PONIENTE ET DES AIRES PROTÉGÉES ... 106

CARTE10-ANT:PHASE 4(2012 À 2017) ... 112

FIGURES FIGURE1-AFFICHE PUBLICITAIRE DE DINNER AND BIKE –MOUVEMENT À VÉLO, VÉGANE, LOCAVORE EN RÉSEAU ... 16

FIGURE2-FÉMINISME CONTEMPORAIN À VÉLO PUSSY HAT ET VÉLO DANS UNE MANIFESTATION ANTI-TRUMP À PARIS, MUJERES EN BICI ET AFFICHE PROMOTIONNELLE DE LA RODADA DE ALTURA ... 25

FIGURE3-DES VÉLOS PAS DES BOMBES EN 1985 ET GUIDE DE PLANIFICATION DE SYSTÈME DE VÉLOPARTAGE,ITDP. ... 26

FIGURE 4-CROISSANCE DU NOMBRE DE PUBLICATIONS DE PRESSE MEXICAINE SUR FACTIVA CONTENANT LE TERME BICITEKAS . 39 FIGURE5-ARTICLES RECENSÉS SUR FACTIVA ET ANALYSÉS POUR LA PÉRIODE DE 2010 À 2015 ... 40

FIGURE6-SCHÉMATISATION DES ÉTAPES DE LA RECHERCHE ... 47

FIGURE7-PÉRIODIQUES PEIGNANT LA MONSTRUÓPOLIS ET SON CÉLÈBRE SMOG ... 50

FIGURE8-PHOTOGRAPHIES D’UNE GATED-COMMUNITY ENCASTRÉE DANS LE QUARTIER PÉRIPHÉRIQUE DE SANTA-FE ... 52

FIGURE9-PHOTOGRAPHIE DU QUARTIER LA MALINCHE, AU TERRAIN DE SOCCER EN TERRE AUX LIGNES DÉFORMÉES À CÔTÉ D’UNE ÉCOLE ET D’UN QUARTIER PRIVÉ ... 52

FIGURE10-1RE REVUE DE LA BICITEKAS, DIFFÉRENTS-ES CYCLISTES ET LEURS RAISONS ... 75

FIGURE11-INTERVENTION DE RÉINTERPRÉTATION DU VÉLO ET DE L’ESPACE PUBLIC DE TRANSIT ... 100

FIGURE12-PODOMOVÍL ... 102

FIGURE13-CAMPAGNE PUBLICITAIRE ET ACTIVITÉS POUR « HAZLA DE TOS » ... 115

FIGURE14-UNE TRAJECTOIRE DE PROFESSIONNALISATION QUI TRAVERSE PLUSIEURS PHASES ... 125

TABLEAUX TABLEAU1-DIFFÉRENTES PRATIQUES DE DOMINATION ET PARTICIPATION VISIBLE ET DISCRÈTE ... 19

TABLEAU2-RÔLES ET SIGNIFICATIONS DU VÉLO EN ASSOCIATION AVEC CINQ DISCOURS DE MOUVEMENTS SOCIAUX ... 27

TABLEAU 3-EXTRAIT DE LA GRILLE D'ANALYSE DE LA REVUE DE PRESSE ... 37

TABLEAU4-SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES RÉPONDANTS AUX ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS ... 44

TABLEAU5-SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES DE LA PHASE 1 ... 68

TABLEAU6-SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES DE LA PHASE 2 ... 84

TABLEAU7-SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES DE LA PHASE 3.1 ... 95

TABLEAU8-SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES DE LA PHASE 3.2 ... 96

(7)

VI

C’est avec l’encadrement exceptionnel et les nombreux encouragements de ma directrice de recherche que j’ai pu conclure ce mémoire avec fierté. Un énorme merci à mes collègues qui m’ont appuyé, ont débattu avec moi et m’ont permis d’affiner

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1

Introduction

«How are we able to go beyond the limits set by the existing practices and beliefs and produce something new?»

(Callinicos, 2006, p. 1)

L’action collective se modifie : elle tend, entre autres, vers des pratiques préfiguratives (Hoey & Sponseller, 2018), des engagements individuels et des politiques personnalisées (Bennett, 2012). Son centre de gravité s’est déplacé du quartier ou de la ville vers des modes d’action informels et individuels, notamment en matière d’aménagement et d’urbanisme. La volonté de changement qui anime les acteurs urbains se structure aujourd’hui autour de l’individu et de son expérience particulière (Ion, 2012 ; Lichterman et Eliasoph, 2014 ; Sénécal, 2016). Cette « fragmentation » de l’action collective porte de plus en plus les chercheuses et chercheurs à observer des pratiques alternatives ou du registre de la vie personnelle, telles que le véganisme, le jardinage urbain ou l’activisme cycliste, comme de nouvelles formes de participation citoyenne ou politique. Cependant, les cadres théoriques des sciences politiques ou de la sociologie, datant des mouvements sociaux des années 1960, peinent à saisir ces phénomènes contemporains.

De plus, une volonté de saisir des effets plus larges de la participation sur des dimensions variées de la vie urbaine est aussi en train de se développer. En effet, de nombreuses études ont documenté les processus et effets de la participation institutionnelle et formelle. Ces études sont principalement des évaluations « balistiques » (Hassenteufel, 2011) de la participation publique, citoyenne ou de la démocratie délibérative en Amérique du Nord et en Europe : design, processus, configuration et temps de parole sont analysés et comparés. Les sciences politiques et la sociologie se sont peu engagées dans les pratiques quotidiennes banales, les modes de vie et les débats politiques qui y prennent cours, en dehors de quelques exceptions (p. ex. : Adler & Pouliot, 2011 ; Hacking, 2004 ; Johansson & Liou, 2017).

Le nombre encore timide d’études sur les pratiques aussi qualifiées de « silencieuses » (Pottinger, 2017) s’explique notamment par la difficulté méthodologique à les saisir et à leur caractère émergent. Cela dit, de plus en plus de travaux cherchent à comprendre tant les modalités de ces pratiques ordinaires et parfois individuelles, que ce dont elles témoignent. Notre étude s’inscrit dans cette perspective. Elle vise à explorer comment l’activisme cycliste constitue une forme de participation citoyenne à l’aménagement des villes et quelle est sa portée.

À la suite des auteur-(e)s qui s’intéressent aux associations et interactions entre vie privée (engagements personnels, quotidiens, personnalisés ou identitaires) et engagements politiques ou participation citoyenne nous estimons que les cadres d’analyse des mouvements sociaux gagnent à être plus ouverts. Ceci pour réellement pouvoir saisir ces nouvelles formes d’actions individuelles collectives. Selon nous, c’est en pensant une forme dynamique de citoyenneté et de participation que pourront être saisis ces changements de formes de participation politique individualisée, d’argumentation

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physique et d’appartenance à des mouvements sociaux. C’est aussi une tendance que considèrent les auteur-(e)s qui ont analysé au cours des quinze dernières années la pratique cycliste utilitaire et plus largement la culture cycliste.

L’activisme cycliste nous apparaît comme une pratique pertinente à l’exploration de cette perspective d’une participation citoyenne plus diffuse, à cheval entre la sphère des pratiques et activités personnelles et celles qui sont publiques. En effet, le cyclisme utilitaire est une activité qui relève de la sphère privée : un déplacement individuel utilitaire (déplacement pendulaire, commuting). Cependant, il s’avère en marge, voire en opposition, avec la pratique dominante des dernières décennies : le transport individuel motorisé et l’automobilité (Featherstone, 2004 ; Böhm et al., 2006 ; Furness, 2010) et se déroule dans l’espace public. La communauté scientifique souligne que la « culture cycliste » (Rosen, Cox, and Horton 2007; Furness 2007; Spinney 2010) et ses incarnations (coursier-(ère)s à vélo, cyclotouristes, cyclistes utilitaires) sont des formes de contestation publique de cette « aspiration presque universelle » (Fincham dans Böhm, 2006, p. 208) à se déplacer dans sa voiture. Certaines recherches soulignent aussi que la (contre-)culture cycliste urbaine est une critique incarnée d’un ensemble de pratiques et d’aspirations encore plus large que la conception aménagiste « tout à l’automobile ». Elle serait une aspiration à une nouvelle forme d’organisation sociale et de hiérarchie sociale (Johansson & Liou, 2017 ; Lee, 2016 ; Meneses-Reyes, 2015 ; Noach & Belzen, 2017), une production culturelle et subjective de la ville désirée et désirable (Furness, 2010 ; Van Neste & Martin, 2018) et même une configuration politique (Böhm, 2006 ; Huré, 2013).

L’activisme cycliste, comme forme de participation politique, peut aussi correspondre à certaines théorisations de l’action collective et des mouvements sociaux. Plusieurs associations et collectifs cyclistes promeuvent directement un changement social et sont par définition en opposition avec l’ordre établi. Comme Fillieule le souligne par contre, les multiples définitions de l’action collective et des mouvements sociaux se sont développées par « affrontement et succession de paradigmes reposant sur des définitions de l’objet et des tracés de frontière concurrents » (2009, p.15). Il en résulte un flou sémantique sur le périmètre de l’action collective, que notre recherche ne cherche pas à répondre. Certaines actions et activités des mouvements procyclistes s’explicitent et entrent dans les cadres des mouvements sociaux tels que développés par Tilly (1984, 1986). Les associations cyclistes sont formées par des cyclistes-citoyens qui « contestent ensemble les formes d’autorités et d’institutions politiques faisant obstacle à la réalisation de leurs valeurs et aspirations collectives » (Lapeyronnie, 1988). Plusieurs concepts, par exemple le répertoire d’action collective (Tilly, 1986), nous sont utiles pour décrire et expliciter les ressources mobilisées pour faire avancer la cause cycliste à Mexico. Nous nous inspirons aussi des travaux de Blee (2012) sur la trajectoire des groupes d’activistes ou encore de Furness (2007 ; 2010) qui abordent le cyclisme utilitaire, dans ses formes collectives (p. ex. les masses critiques) comme l’incarnation d’un mouvement social. Par contre, nous cherchons aussi à prendre en compte des actions, activités et actes qui peuvent sortir de ces cadres sur l’action collective. Ainsi, nous employons comme terme parapluie, le cyclisme comme forme d’action politique, plutôt que comme mouvement social ou action collective. Par ce choix, nous désirons porter notre regard aussi à l’extérieur des cadres de l’action collective, afin de nous permettre de voir si d’autres théories émergentes

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3

qui questionnent ces limites (p. ex. : action collective individuelle par Micheletti (2002) ou la participation citoyenne individualisée par Bennett (2012)), peuvent nous permettre de saisir de manière plus holistique la portée des actions des acteurs et actrices provélo dans notre étude de cas.

Sous cette perspective critique, nous avons souhaité étudier la portée d’un collectif cycliste militant avec une longue histoire d’actions et d’activités diverses. Ceci afin d’éclairer à la fois les contraintes à l’aménagement provélo et la portée d’une forme de mobilisation, voire participation citoyenne, alternative. Notre choix s’est orienté sur la Bicitekas, « tribu urbaine à vélo » (Bicitekas.org), un collectif référence dans l’action cycliste hispanophone. Il est localisé à Mexico, soit une mégalopole emblématique des problèmes et luttes sur les thématiques de l’automobilité (congestion, pollution, inégalités, constructions, etc.). Avec plus de 20 ans d’existence officielle documentée, l’association sans but lucratif qui promeut l’usage de la bicyclette comme moyen de transport soutenable, sécuritaire et santé pour la ville de Mexico et dans le pays se targue d’être une voix représentative de la société civile mexicaine et d’avoir donc son mot à dire quant au développement de la ville et de ses politiques.

Pour étudier la portée des diverses actions, dans un continuum de temps prolongé (de 1997 à 2017) nous nous sommes inspirés des carnets de la participation citoyenne de Fourniau (Fourniau & al., s. d.) et de la cartographie des ANT de Farías (I. Farías, 2011). La première approche, proche de l’ethnographie, vise à tracer l’évolution des effets de l’action de la Bicitekas sur trois dimensions :

1) les dispositifs : outils, mécanismes d’échanges et de production de nouvelles connaissances ;

2) les milieux : la communauté, son identité, sa culture, son assemblage ;

3) les représentations : la reconnaissance de la communauté, ses décompositions et recompositions.

La deuxième approche permet d’explorer la composition et la décomposition des acteurs et actants gravitant autour du collectif cycliste. Les cartographies ANT ont été utilisées ici comme un outillage méthodologique et comme un outil de représentation des résultats de la recherche.

Notre recherche qualitative, par étude de cas, vise ainsi à contribuer à explorer les liens entre le cyclisme utilitaire urbain et la participation publique en aménagement et en urbanisme. On peut décomposer cette contribution en deux sous-objectifs :

1- Description : l’activisme cycliste comme forme de participation citoyenne à l’aménagement urbain ;

2- Exploration : la portée de cette participation citoyenne de la Bicitekas sur trois phénomènes sociaux : les milieux, les dispositifs et les représentations.

Pour ce faire, nous avons conduit sept (7) entretiens semi-directifs avec des activistes cyclistes de la Bicitekas, ou gravitant autour, lors d’un séjour terrain de deux mois et demi (2,5) à Mexico. Une revue de presse et de littérature grise portant sur la Bicitekas a complété la cueillette de données. De premières cartographies ont été réalisées

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4

afin d’analyser les relations entre acteurs, actants et enjeux. Une seconde série de quatre (4) cartographies a été réalisée pour présenter les résultats de notre recherche sur l’évolution des effets de l’action de la Bicitekas sur les trois dimensions de la participation. Ces quatre cartographies illustrent la constellation des acteurs et des actants en jeu dans quatre phases identifiées comme distinctes et significatives par nos analyses de la participation de la Bicitekas au Mexique :

1) Phase 1 – un moment de visibilisation du cyclisme par le nombre pour construire des projets d’aménagements par le bas ;

2) Phase 2 – un moment de développement des savoirs techniques et participatifs locaux ;

3) Phase 3 - un moment de rupture qui marque une restructuration de l’action collective

4) Phase 4 - une fragmentation de la communauté et un franc positionnement de la Bicitekas comme citoyen-(ne)s expert-(e)s.

Le mémoire est composé d’une partie théorique, le chapitre 1, qui porte sur les cadres théoriques autour de l’action collective contemporaine et la place du vélo et des collectifs cyclistes dans les projets civiques et institutionnels urbains. Ce chapitre vise à explorer ce qui, dans la littérature académique, distingue la participation publique de la participation publique spécifique aux questions de vélo, ce qui constitue la « communauté cycliste » et comment est abordé le « mode de vie » cycliste. Le chapitre 2 élabore plus amplement la problématique de ce mémoire, les objectifs de la recherche et la méthodologie employée. Le chapitre 3 est une introduction au contexte mexicain. Il est constitué d’un bref retour historique pour permettre de situer notre étude dans son contexte socioculture et ainsi permettre à un-(e) lecteur-(trice) occidental-(e) de dépasser certaines idées reçues sur la ville de Mexico, la gouvernance locale et la mobilité à Mexico. Le chapitre 4 présente les résultats de notre recherche et la discussion de ces résultats. Il est rédigé sous forme de mise en récit, divisé en quatre sous-sections, qui correspondent aux phases identifiées. Les quatre phases ont été identifiées, car elles correspondent à des moments de résonnance entre plusieurs éléments des trois dimensions de la portée. Chacune de ces sous-sections débute par une synthèse des principaux éléments de la phase (répertoire d’action, temporalité, moments clés, etc.), une cartographie des acteurs-actants et un tableau synthèse de l’analyse des trois dimensions de la portée (milieux, représentations, dispositifs). La conclusion du mémoire fait un retour sur l’activisme cycliste comme forme de participation politique à l’aménagement urbain au Mexique, sur l’outillage de la portée et notre usage de la cartographie ANT. Elle explicite les limites de notre étude en lien avec le glissement de l’action collective, vers des formes plus individualisées d’action politique.

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Chapitre 1 – Cadres théoriques et problématisation

La participation citoyenne dans les études urbaines

Une notion qui émerge avec les mouvements urbains

Depuis les grands mouvements sociaux des années 1960 et 1970, autour des revendications en Europe à propos du « droit à la ville » (Lefebvre, 1967) et celles en Amérique à propos du contrôle par la communauté (Fainstein & Fainstein, 1974), la participation citoyenne est devenue un enjeu central pour la prise de décision en aménagement et en urbanisme. De nombreux écrits tentent de déterminer si la démocratie participative est directement héritière des revendications de ces mobilisations sociales (Neveu, 2011, p. 186) ou si les protestations ne furent qu’un élément de plus dans la constitution d’un répertoire d’actions collectives formelles et informelles de participation citoyenne et de démocratisation de la politique en urbanisme (Blondiaux, 2008 ; Brenner et al., 2012 ; Musselin, 2005 ; Tilly, 1986).

Au sens propre, la démocratie participative peut sembler un pléonasme, puisqu’une démocratie sans participation citoyenne se révèle antidémocratique. Le recours à ce terme se fonde toutefois sur la critique d’une conception « minimaliste de la démocratie » (Barber, 1997). Elle est une « dénonciation de l’atrophie de l’idéal démocratique qu’ont opéré les sociétés modernes à partir de la fin du XVIIIe siècle » (B. Manin, 1995 dans Blondiaux, 2007, p. 6).

Chose certaine, la participation citoyenne s’inscrit de plus en plus dans les processus institutionnels et est devenue un incontournable pour parler de projets en aménagement. La participation tend à être explicitée officiellement et codifiée dans des textes juridiques de différents statuts, et ce, bien en dehors des échéances électorales. Cette juxtaposition de définitions « dessine peu à peu les contours d’un droit à la participation » (Blatrix, 2002, p. 80). Le choix d’instruments, de techniques et d’actions politiques en formules participatives par les sociétés démocratiques n’est certainement pas neutre ou sans effet sur l’action collective et la justice sociale. Pour certains chercheur-(se)s, la recherche sur la participation citoyenne peut même être comprise comme faisant partie d’un projet d’exclusion, axé sur le développement de la profession : « an exclusionary, profession-building project » (Thorpe, 2017, p. 568). Marcuse (2012) critique d’ailleurs que cette constitution formelle d’un droit de la participation supprime d’une part les possibilités d’émancipation citoyenne de l’encadrement politique et des arrangements institutionnels et d’autre part, réduit les possibilités d’affirmations d’alternatives par les citoyens et citoyennes. Ceci renforce l’idée d’une représentation démocratique de plus en plus unidimensionnelle et figée, mais légitimée, par une participation encadrée et professionnalisée.

Les effets de l’institutionnalisation du processus

L’institutionnalisation des processus de participation citoyenne et de démocratie délibérative a aussi mené à certaines formes d’instrumentalisations et de « détournements » (Hamel, 2014) du processus et de ces résultats. Elle est censée être un exercice de

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démocratisation de la politique (Macpherson, 1985) et un rempart contre les abus de pouvoir institutionnel (Fung et Wright, 2005). Cependant, la présence multiforme de la participation au sein de la scène institutionnelle (municipalités, bureaux d’audiences publiques, etc.), de la sphère sociale et des travaux académiques semble de bien faible portée sur la démocratisation, tant de la gestion publique et que de l’aménagement des villes. Les villes sont des lieux aux fortes inégalités sociales et spatiales croissantes, malgré cet exercice de démocratisation de la politique. Un certain nombre de travaux suggèrent que l’institutionnalisation des processus participatifs a même un impact modérateur sur l’action collective, même si en même temps, elle représente un changement et une transformation profonde des institutions publiques (Lascoumes et Simard, 2011) et du statut de citoyen -(ne) (Blatrix, 2002).

Au-delà du processus même de participation, il est difficile d’établir les frontières des effets et des résultats de celle-ci. Comme le souligne Rui (2009, p. 77), on sait maintenant ce qu’elle ne fait pas : « l’offre de participation n’entraine pas le chaos ; elle ne renverse pas les pouvoirs établis ; elle n’empêche pas —ou très rarement— les projets de passer ». À cet égard, pour la chercheuse française, la démocratie participative est donc loin d’être une menace pour la démocratie représentative et ses pouvoirs. Ainsi, la participation citoyenne reconnue et devenue un impératif de participation pour les associations et collectifs urbains a recomposé, ou décomposé, le répertoire des actions collectives urbaines (Blatrix, 2002 ; Goirand, 2010 ; Tilly, 1986), mais semble avoir un bilan plutôt nuancé concernant la démocratisation et la justice en aménagement et urbanisme.

L’analyse micro des interactions dans les Commissions locales de développement intégré à Bruxelles faite par Berger (2002) démontre d’ailleurs bien ce bilan ambivalent. La participation formelle y laisse peu de place pour un réel (re)questionnement des pouvoirs décisionnels :

« les citoyens ordinaires […] viennent y prendre des places qui sont préattribuées. […] L’ordre de l’interaction est asymétrique. Les élus et experts ont la main – le pouvoir de définir les situations problématiques, d’orienter la teneur et le cours de la délibération et de prendre les décisions qui en découleront. » (Berger, 2002 dans Cefaï & Terzi, 2012)

Dans certaines situations, la participation citoyenne induit tout de même de nouvelles dynamiques et interactions entre les arrangements participatifs des processus et la société civile dans ses différentes incarnations (Baiocchi, 2005 ; Brenner et al., 2012 ; Fung et al., 2003). Sur le processus décisionnel, lors de la présence de débats et délibérations participatifs, des effets ont été notés sur la « visibilisation de solutions alternatives », la justification et une plus grande transparence des choix politiques effectués (Blatrix, 2002). La participation citoyenne permettrait en effet de proposer des solutions alternatives, hors du domaine d’expertise dominant, et de rendre visibles des propositions alternatives à des problèmes communs ou ponctuels. Elle peut aussi forcer une certaine reddition de compte des choix effectués par les élu-(e)s et décideur-(e)s. Par le fait même, des effets ont été notés en termes de construction de positions contestataires, d’affirmations

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identitaires, d’engagement et d’empowerment des citoyens et citoyennes (Bacqué et Biewener, 2013 ; Dufour, 2013 ; Ion, 2012 ; Pateman, 1970).

Les cadres d’évaluation de la participation

Plusieurs travaux se penchent sur une évaluation « balistique » (Hassenteufel, 2011) de la participation publique ou citoyenne, de la gouvernance ou de la démocratie délibérative : design, processus, configuration et temps de parole sont analysés et comparés. Cette littérature vise principalement les processus formels et institutionnels en Amérique du Nord et en Europe1. Tandis que ces travaux de recherches sur les processus, instruments et effets de la participation se multiplient, ceux qui se penchent sur les effets, les dynamiques et les stratégies de participation publique informelle pour participer aux débats urbains sont moins présents. Globalement, les situations de participation en dehors du cadre institutionnel sont moins analysées, moins étudiées et moins comparées (Anguelovski, 2015 ; Thorpe, 2017). Par l’analyse des institutions formelles et des formes traditionnelles de participation citoyenne, les sciences politiques et la sociologie se sont peu engagées dans les pratiques quotidiennes « banales », les modes de vie et les débats politiques qui y prennent cours, en dehors de quelques exceptions (par exemple : Adler & Pouliot, 2011 ; Hacking, 2004 ; Johansson & Liou, 2017).

Le nombre encore timide d’études sur les pratiques aussi qualifiées de « silencieuses » (Pottinger, 2017) ou de préfiguratives (Hoey & Sponseller, 2018) s’explique notamment par la difficulté méthodologique à les saisir et à leur caractère encore émergent. Cela dit, de plus en plus de travaux cherchent à comprendre tant les modalités de ces pratiques ordinaires que ce dont elles témoignent. Parmi ces travaux, le champ des études urbaines est particulièrement bien représenté (van de Sande, 2015 ; Yates, 2015).

Le contexte contemporain de privatisations et de remises en question de l’idéologie néolibérale de l’action publique invite la société civile à se saisir du cadre quotidien comme scène d’intervention et invite donc aussi les chercheur -(se) s à en prendre acte. On peut cependant retrouver ce type d’appel à se servir du quotidien et des activités ancrées physiquement dans des formes matérielles de la ville et dans des lieux « normaux » de la vie urbaine depuis un temps. Plusieurs chercheur-(se)s du champ de l’urbanisme critique proposent de questionner et d’éclairer la participation citoyenne sous ses formes marginales, discrètes, banales, voire quotidiennes depuis près de quinze ans. (Amin, 2007 ; Brenner et al., 2011 ; Farias & Bender, 2010 ; McFarlane, 2011). Ces propositions d’analyses font directement suite à l’appel de Lefebvre sur l’importance et la signification des expériences corporelles vécues dans l’espace physico-spatial et les luttes quotidiennes pour celui-ci (Lefebvre, 1967, 2014 [1989]).

1Pour la France, voir Fourniau, 2003 et le Groupement d’intérêt scientifique français «Participation du

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Limites des études sur la participation citoyenne

«Il y a tout lieu […] de tenir un registre ouvert des utilités (possibles, constatées) du débat – ouvert, c’est-à-dire à la fois où nous soyons prêts à recueillir de nouvelles chaînes d’effets (positifs ou négatifs, d’ailleurs), et où pour chaque nouveau débat, nous ne nous imaginions pas détenir d’avance la cartographie de ses effets possibles : celle-ci reste à découvrir à chaque fois. » Laurent Mermet (2007, p. 372)

(Re) penser la participation citoyenne en dehors des cadres institutionnels ? La participation publique en aménagement s’avère plus large et composée de nombreuses pratiques et actions qui sortent du cadre institutionnel. Le large spectre des activités, modalités et formes que celle-ci peut prendre peut être difficile à saisir (Cefaï et al., 2012). Pour Hamel (2014), la participation est un élément dynamique du fonctionnement des systèmes démocratiques qui doit mettre en relation l’action collective et les autorités, dans un rapport de force, en référence à une vision conflictuelle. Pour Dewey (2010), la participation est composée de dynamiques collectives de définition de situations problématiques, d’identification des spectres de solutions possibles, par débat, par enquête et par expérimentation. Ces processus engendrent des « publics » et ne sont pas relégués aux seuls lieux officiels de délibération publique. Parfois, ils ne sont même pas consciemment effectués et, pour Festenstein (2014), ils font partie des libertés individuelles citoyennes. La participation à une arène publique peut prendre des détours, des actions et des discours « qui n’ont a priori rien de public » (Cefaï et al., 2012, p. 17). Les pratiques quotidiennes de la ville et des espaces publics en sont alors des indicateurs. Pour Bayat (2010), l’utilisation active de la rue au Moyen-Orient est un indicateur d’une participation politique informelle, une politique de rue. L’utilisation active de la rue à laquelle il fait référence est celle d’une utilisation détournée ou qui s’oppose aux prérogatives habituelles de celle-ci, soit celle de marcher, conduire, se déplacer ou regarder dans la rue. On peut donc penser aux vendeurs de rue avec leurs bric-à-brac, aux squatters de parcs, qui y demeurent, aux maisonnées qui étendent leur linge dans l’espace public, sur un terre-plein ou entre deux voies. Pour Bayat, ces pratiques quotidiennes, même si elles sont en dehors des catégories conventionnelles de participation politique ou d’activisme, sont des formes de participation et forment ce qu’il nomme un « non-mouvement social ».

En effet, ces pratiques de l’espace ne respectent pas l’ensemble de caractéristiques d’un mouvement social, soit : former un réseau de solidarité qui effectue une pression ou une demande soutenue sur une autorité ciblée, tenir un répertoire d’actions et de performances associatives (assemblées, rencontres publiques, médiatisation, manifestation, etc.) et tenir une image, une représentation publique, de la valeur de la cause en question (Della Porta & Diani, 2006). Cependant, ces pratiques réalisées en grand nombre, de manière parallèle, parfois reliées en réseau, mais déployées par des collectivités séparées épousent la volonté d’ajuster les choses et de revoir les décisions concernant le vivre ensemble. Ce faisant, selon certains chercheur(-se)s, même si ces pratiques ne sont pas forcément politisées, elles auraient intérêt à être regardées et considérées comme des actes significatifs de résistance et de contestations. Elles pourraient être comprises comme des incarnations de discours et idéologies contre-hégémoniques, et donc comme des pratiques politiques formant une sorte de mouvement social (de Moor, 2017).

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Concernant la littérature sur l’action collective, celle-ci situe majoritairement les acteurs collectifs comme étant externes au jeu institutionnel et considère que leur mode d’action privilégié est la confrontation conflictuelle et manifeste (Dufour, 2019). À la vue d’une globalisation des conflits, d’une mondialisation des échanges économiques, politiques et culturels, les acteurs collectifs et les théories autours de leur formation, leurs modes d’actions et leur impact bénéficient d’un renouveau d’attention. On peut penser à des auteurs comme Blee (2012), qui porte son regard analytique sur comment différents groupes de personnes ordinaires s’assemblent pour changer la société, se construisent des définitions ensemble, bâtissent une trajectoire d’action et un répertoire d’action qui tend généralement à se restreindre dans le temps. Furness (2007), utilise quant à lui les théories de l’action collective pour analyser les masses critiques cyclistes à San Francisco et positionner celles-ci dans un paradigme utopiste, politique et collectif. Le répertoire d’action collective, tel que développé par Tilly (1986), reste un outil utile pour rendre compte de transformations survenues dans les différents moyens d’action utilisé au fil du temps par des groupes pour contester, même si le groupe ne serait pas en confrontation directe avec les autorités publiques.

Les théories d’action collective laissent cependant de côté d’autres formes de résistance et d’autres formes d’actions politiques. Dufour (2019), souligne ce fait mentionnant que l’existence de formes nouvelles de contestation mettent à mal la dimension collective de l’action. De même, en dehors des questionnements sur la dimension collective, la dimension politique et revendicatrice contre les autorités politiques est aussi mise à mal par certaines pratiques et actions. « Some attempts by ordinary citizens to influence politics simply are not directed towards 'governmental personnel' at all. They may have been equally directed towards corporate actors, civils actors, non-profit organization, private sector or the public in general. » (Van Deth, 2014). Par exemple, circuler à vélo dans le milieu de la voie, n’est pas une action nécessairement dirigée contre les autorités publiques, mais peut être une action politique individuelle ou collective pour changer la perception de «à qui» et «pour quoi» sont conçu les espaces de mobilité. L’opposition aux autorités publiques n’est pas toujours manifeste dans certaines actions et pratiques (par exemple cyclistes) qui méritent tout de même d’être considérée comme politique. Cela pose problème avec la définition de l’action collective, même si celle-ci a été plusieurs fois revisitée, afin d’en ouvrir les frontières et limites (Deth et al., 2007 ; Filleule, 2009). Il y a toutefois un danger important à une ouverture «infinie» à la considération comme politique d’actions et d’actes qui sortent des définitions des mouvements sociaux et des nouveaux mouvements sociaux.

Certain-(e)s auteur-(e)s considèrent qu’il importe de rester prudent-(e)s quant à l’étiquetage de « pratiques politiques » ou de « participation citoyenne/politique » lorsque vient le temps d’analyser les gestes posés par les citoyen-(e)s. Au vu du nombre croissant d’occasions, de formes et de moyens d’« implications politiques » et compte tenu de la facilité de la mise en réseau des individus, avec les technologies des réseaux sociaux, il serait facile de confondre les pratiques individuelles interconnectées et les pressions politiques provenant d’un mouvement social. Hooge (2014), notamment, propose certaines frontières au concept de la participation politique et donc aux actes politiques et de participation. Pour lui, un élargissement de la définition à presque toutes les décisions de

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style de vie, aux gestes quotidiens ou en ligne (par exemple : le végétarisme, la participation en ligne, ou la simplicité volontaire) peuvent rendre le concept en lui-même insignifiant. D’un autre côté, il émet aussi des réserves à tenter d’opérationnaliser le concept pour délimiter l’ensemble de ce qui est de la participation, de ce qui n’en est pas, avant d’avoir produit une définition substantielle de la participation citoyenne actuelle. Bherer et Dufour émettent des questionnements allant dans le même sens, en lien à la rapidité d’étiquetage de certaines pratiques perçues comme étant émergentes. Elles émettent des doutes en prenant exemple de certaines pratiques de verdissement urbain, d’agriculture urbaine ou d’urbanisme tactique qui ne seraient pas nécessairement des formes de participation politique. (Bherer et Dufour – à paraître)

Nous comprenons les dérives potentielles d’élargir les frontières de la participation citoyenne à l’ensemble des actes, décisions et choix pouvant éventuellement affecter des décisions politiques. Cependant, la prise de décision politique est, elle aussi, de plus en plus diffuse, les possibilités, moyens et occasions d’être politiques suivent donc. L’interaction (virtuelle ou physique) entre les multiples acteurs à des échelles différentes (micro-locales, locales, nationales, transnationales, globales, glocales) et de lieux différents a déplacé la prise de décision politique (Hooghe, 2014) et celle-ci est de moins en moins dans les mains des décideurs publics locaux (Hooghe et al., 2014; Sassen, 2003; Steiner, 2017; van Deth, 2014). Il ne serait donc pas pertinent de s’en tenir à des définitions de la participation devenues caduques, ou du moins trop peu englobantes. Il serait tout aussi contre-intuitif de ne pas suivre le déplacement des actes, actions, moyens et formes d’organisations. Les mouvements sociaux et la prise de décision politique sont entrés dans une nouvelle phase mondialisée. Cette phase est d’une complexité qui surpasse le local et les frontières administratives. Les lieux étudiés, les moyens pris et les définitions mobilisées doivent être repensés et explorés différemment.

Notre point de départ est donc inductif. Nous partons de la description de la pratique, sans présumer de son caractère politique, pour ensuite l’analyser et tenter de comprendre le phénomène. Est-ce que la pratique est politique ? Si oui, comment l’est-elle ? Voilà des questions auxquelles nous pourrons proposer des hypothèses, après observations, descriptions et études. D’ailleurs, considérant la globalisation des sociétés et des décisions politiques, certains clivages historiques dans la recherche sur la participation citoyenne n’ont plus lieu d’être. Ceux-ci doivent aussi être repensés pour permettre de mieux saisir et d’analyser ces nouveaux modes d’action citoyenne et de participation politique.

Un clivage Nord-Sud, qui date, mais qui reste

Une autre limitation des études urbaines en participation est le clivage colonialiste Nord-Sud. Malgré des inégalités sociospatiales et territoriales omniprésentes et persistantes, l’entièreté du peuplement planétaire est maintenant urbanisée, à la fois de manière extensive et intensive, et interconnectée (Madden et Schmid, dans Brenner et al., 2012). Le tissu urbain s’est mondialisé, entre autres grâce à l’intégration des marchés financiers, qui ont utilisé leur flexibilité pour financer le développement urbain par endettement dans le monde entier (Harvey, 2008). Cette logique d’urbanisation s’est

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globalement répandue et est devenue structurelle des relations de pouvoirs et des luttes urbaines.

Que ce soit en Afrique, en Amérique latine, en Asie ou en Europe, au Canada ou aux États-Unis, le développement néolibéral est global, intense et privilégie les intérêts fonciers appartenant aux classes socio-économiques supérieures. Cet avantage financier, mais aussi spatial déplace et marginalise les individus des classes inférieures. Harvey (2008) caractérise ce processus international d’accumulation par la dépossession. Ainsi, à des intensités différentes et dans des contextes locaux différents, les luttes urbaines postcoloniales seraient généralement et globalement reliées à l’aspect spatial de quelle place, pour qui et pour quoi (Brenner et al., 2011 ; Lefebvre, 1967 ; Wood, 2017). À titre illustratif des ressemblances dans des pays différents, Anguelovski (2015) fait la démonstration que dans des environnements économiques, culturels et politiques divers, les stratégies et tactiques utilisées par les activistes locaux tendent à être les mêmes pour atteindre leurs objectifs. Ainsi, il est pertinent de contester la perspective de séparation des études de cas du Nord et du Sud global dans les recherches sur la participation citoyenne, les mouvements sociaux et les luttes urbaines. C’est entre autres pour cette raison que notre étude de cas se situe en Amérique latine.

Malgré cette globalisation de l’urbanisation et donc des phénomènes urbains, peu d’études urbaines comparatives cherchent à dépasser le clivage traditionnel (Anguelovski, 2015 ; Mcfarlane, 2010). Pourtant, une comparaison qui outrepasse le contexte socio-économique, historique et politique pour appréhender des phénomènes urbains comparables dans des spatialités, connexions et processus similaires pourrait s’avérer fertile. En effet, une approche place-based pourrait contribuer à dépasser certaines hypothèses contraignantes, héritées de cadres théoriques qui aujourd’hui ne saisissent pas complètement les changements à l’œuvre. Quelques branches des études urbaines sont enracinées dans un vieil agenda de recherche qui aujourd’hui « n’arrive que partiellement à saisir les contours et conséquences des transformations urbaines émergentes » (Brenner et al., 2011, p. 216). Amin (2007) souligne que la globalisation et la mondialisation des phénomènes urbains n’effacent pas les distances et les spécificités du lieu, et donc n’efface pas les contextes sociopolitiques et économiques. Toutefois, il positionne le tout dans une cartographie relationnelle et topographique dans laquelle les théories urbaines et sociales dominantes, qui divisent les processus des villes pauvres de celles des villes riches, ne tiennent plus.

Ainsi, un pan de la recherche présuppose que les tactiques d’activisme et de mobilisations urbaines sont différentes d’un système et d’un contexte politique à un autre. Cependant, de nouvelles perspectives et analyses, entre autres le concept d’assemblage, associées à la théorie de l’acteur-réseau (ANT) (Farías, 2011 ; Farias & Bender, 2010), proposent un nouveau focus pour dépasser le clivage traditionnel. L’assemblage propose de passer par une description des interactions multiples et complexes d’une situation locale et des inégalités produites par les relations entre l’histoire et le potentiel (interactions sociomatérielles, composition cosmopolitaine urbaine, contexte glocal). Selon les auteurs se réclamant de cette perspective, les théorisations qui ont longtemps été dominantes pour aborder les processus urbains de participation euroaméricaine sont aujourd’hui dans une

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impasse pour saisir la réalité urbaine complexe et en transformation rapide (Anguelovski, 2015 ; Brenner et al., 2012 ; Farias & Bender, 2010 ; Mcfarlane, 2010 ; Roy, 2009). « There is much less agreement than ever before as to how best make sense, practically and theoretically, of the new urban world being created » (Soja dans Brenner et al., 2012, p. 117).

De forts débats ont actuellement lieu sur la pertinence ontologique de ces nouveaux concepts2. Il est hors de notre étude de statuer qu’une conception plate (cartographie) de l’espace et des réseaux, telle que conçue par les fervents de l’ANT est plus importante qu’une perspective de recherche qui éclaire les structures de pouvoirs dans un contexte socio-économique et historique spécifique et des structures sociales héritées. Nous utiliserons ainsi cet outillage descriptif de cartographie pour tenter d’apporter des éléments féconds pour décrire et saisir les phénomènes urbains contemporains changeants de participation et d’activisme. D’ailleurs, McFarlane (2011) propose la pensée d’assemblage comme un outil, ou une méthodologie, pouvant aider l’urbanisme critique et non comme un concept l’opposant.

Cependant, cette proposition est loin de signifier qu’aucune contextualisation à la réalité des acteurs, du mouvement ou du moment ne doit être faite pour analyser un cas. L’appel fait par les penchants de la théorie d’assemblage est de repenser les hypothèses les plus basiques et fondamentales des processus concernant l’objet urbain, ces limites et les dynamiques qui l’influencent : « in other words: do we really know, today, where the ‘urban’ begins and ends, or what its most essential features are, socially, spatially or otherwise? » (Brenner et al., 2011, p. 226). La proposition méthodologique de l’ANT est d’utiliser un objectivisme « naïf », pour saisir le « contexte des contextes » dans lequel l’urbain et les forces sociales sont ancrés et se déploient, au lieu d’observer la structure historique sociale qui le contraint. En d’autres mots, l’ANT est orientée autour d’un regard par la réalité concrète urbaine : une description des structures matérielles, physiques, spatiales, culturelles et des relations de forces locales. C’est aussi une considération pour l’agencement de ceux-ci : la composition actuelle, passée et potentiellement future, les interactions et compositions sociomatérielles et imaginaires de l’urbain. Le tout s’inscrit, bien sûr, dans un contexte global, historique et culturel plus large, mais l’orientation principale est sur le contexte urbain local et vécu, ou celui donc de s’engager à une « enquête ontologique sur la ville et l’urbain » (Farías, 2011, p. 366).

Cette illustration des relations ou éclairage d’un assemblage d’actants et d’acteurs, spécifique à un débat, une lutte ou un mouvement social, permettrait d’approfondir nos capacités à réfléchir à des questions urbaines contemporaines, telles que celles autour des changements de forme des mouvements sociaux, d’engagement politique ou de participation citoyenne. D’ailleurs, même à l’extérieur des tenant-(e) s de la théorie des assemblages, un appel à ancrer l’analyse des mouvements sociaux dans la réalité vécue, 2Pour en savoir plus sur le débat actuel qui scinde deux développements idéologiques en sociologie urbaine

qui concerne ces théories et concepts transnationaux basé sur le concept d’assemblages, voir Amin, 2007a, McFarlane 2010, Farias & Bender, 2010, de même que la critique et les limites de ces nouveaux concepts faite par Brenner, Madden, & Wachsmuth, 2011. Certaines réponses sur les limites et les outils conceptuels sont apportés par Farías, 2011.

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physique et culturelle peut être décelé. Entre autres, dans le Oxford Handbook of Urban Politic, Boudreau souligne que les mouvements sociaux qui prennent place « in and through the city » (Mossberger et al., 2012), sont trop souvent déconnectés de ce contexte précis et spatial du lieu. Ainsi, nous abondons dans le sens qu’une considération des aspects spatiaux et physiques de la participation citoyenne en aménagement serait bénéfique à l’éclairage des effets plus vastes de la participation citoyenne, surtout pour observer les nouvelles pratiques silencieuses, préfiguratives ou individuelles collectives.

Nous orienterons notre regard avec « objectivisme naïf » et nous utiliserons la méthodologie de la cartographie des actants, issue de l’ANT. Celle-ci servira à illustrer les relations entre les acteurs et les actants qui interviennent ou influencent notre étude de cas. Mais encore, comment, dans cet appel à décrire l’urbain vécu, le contexte des contextes, saisir les effets de la participation ? Par la mise en récit des effets de la participation de la Bicitekas, nous tenterons d’analyser les informations relevées et les relations cartographiées.

Sur la saisie des effets de la participation citoyenne

Un certain nombre de chercheur-(se) s s’est penché sur la question des conditions et des procédures de délibération ou de participation, à l’exclusion ou à l’auto-exclusion de certaines franges de population, aux mécanismes de contrôle et de manipulation de dispositifs de participation (Arnstein, 1969 ; Blondiaux & Fourniau, 2011 ; Cefaï et al., 2012 ; Fung et al., 2003 ; Gariépy & Morin, 2011). Le regard s’est structuré principalement avec une division Nord/Sud des études de cas et s’est articulé à une perspective issue principalement des concepts dominants des sciences sociales sur les mouvements sociaux des années 1960. Or, « les recherches qui se focalisent explicitement sur la question des effets de la participation sur l’action publique sont peu nombreuses » (Mazeaud et al., 2012, p. 4). Plus précisément, la portée transformatrice de la participation sur la collectivité, sur sa capacité à agir sur elle-même et à décider sur son environnement, reste peu abordée. Cette portée est donc peu démontrée. De même, face aux changements rapides de l’action collective contemporaine, les théorisations précédentes sur les mouvements sociaux ne permettent probablement pas d’analyser les nouvelles pratiques politiques contemporaines.

Les auteurs français Blondiaux et Fourniau suggèrent d’éclairer les effets de la participation sous trois dynamiques induites par elle : la problématisation, la publicisation et la constitution de prises de position (Blondiaux & Fourniau, 2011 ; Fourniau, 2010). Ce regard orienté sur les moments de rupture et sur l’évolution dans le temps du débat et des différentes prises de position permettrait d’éclairer la « portée » de la participation du public à la décision en aménagement. Le terme « portée » est ici préféré à celui d’effet, puisqu’il souligne mieux la contribution des interventions verbales, virtuelles ou physiques des acteurs. Il englobe les effets des conflits et des médiations avec les milieux, dispositifs et représentations dans la saisie de ce qu’entraine la participation. En outre, la notion ou la métaphore de la portée illustre aussi la possibilité d’une participation se déployant sur un temps long et lent. Dans le même sens, elle intègre ou couvre l’action d’individus qui participent par leurs choix et dans leur vie personnelle. Cette piste nous apparaît féconde pour développer un cadre d’analyse évolutif, en termes de répertoire d’action, de formes et

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de moyens d’action et pour mieux saisir les types d’engagements. La mise en récit sur un long terme des diverses actions et discours d’une organisation ou d’un collectif pourrait potentiellement illustrer un déplacement de certaines actions politiques ou à tout le moins illustrer certains changements externes et internes (de la participation).

La prochaine section porte justement le regard sur ces récents changements dans l’action politique et collective. Elle porte plus principalement sur le déplacement de la scène publique collective vers des scènes plus particulières et associées à la vie privée et des propositions théoriques pour expliquer ce glissement.

Le déplacement de l’action collective vers des pratiques individualisées

Une notion contemporaine pour saisir les changements de formes d’engagement politique

Les grands mouvements sociaux des années 1960 à 1980 ont propulsé dans l’agenda politique les voix féministes, celles des travailleurs et les revendications d’un droit à la ville. Il apparaît aujourd’hui que le centre de gravité de l’action collective se déplace du quartier et des groupements syndicalistes vers des modes d’action plus informels et individuels, entre autres sur les questions en matière d’aménagement et d’urbanisme. Cette tendance serait notable tant dans les sociétés postcoloniales que celles postdictatoriales3, par exemple en Amérique latine (Mossberger et al., 2012). Le déplacement est, selon plusieurs, attribuable au fait que les mouvements urbains qui ont émergé par la suite, notamment depuis le début du 21e siècle, témoignent de préoccupations issues de valeurs plus personnelles et associées à la vie privée :

they were part of broad popular struggles not only around issues of consumption and workforce reproduction, but also civil liberties, democratization of daily life, and the organization of cooperatives (Mayer & Boudreau, 2012, p. 277).

Par exemple, pour Wood (2017), les actions, stratégies et formes utilisées par les mouvements transnationaux de la crise économique 2008-09 sont distinctes de ce que les observateurs de mouvements sociaux des années 1960-80 notaient. La chercheuse englobe aujourd’hui une gamme plus large d’actes de résistance, de transformation et de réappropriation de lieux comme constituant des formes de participation citoyenne. De même, à ses yeux, les communautés d’Occupy ont répondu de manière distincte de ce qui était habituel pour leur contexte : « in highly individualized ways, on a variety of scales, that did not fit many [politics, union and labour group] schedules or expectations » (Wood, 2017, p. 5). Cela s’explique, pour Wood (2017), comme pour Sourice (2017) et Farias et Bender (2010), par trois éléments caractéristiques des modalités de participation contemporaine : la mise en réseau à l’échelle mondiale, l’ancrage dans la culture urbaine locale, voire même dans les pratiques quotidiennes de la vie urbaine, et le recours à l’espace symbolique comme instrument d’expression.

3Dans une perspective critique, celles-ci incluent les anciennes colonies des anciens empires Français,

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Ainsi, les grands mouvements citoyens, dont Occupy n’est qu’une illustration bien connue, sont visibles à l’échelle mondiale, mais situés localement dans des lieux symboliques. Ils fonctionnent en échangeant des informations et des apprentissages à travers des réseaux de communication qui font fi des frontières et des stratégies classiques des grandes mobilisations et manifestations précédentes. Les mouvements contemporains de mobilisations, tels Occupy, Indignados, Nuit Debout ou Black Lives Matter, ont des racines et des revendications qui sont aussi ancrées dans des pratiques quotidiennes et concrètes de la vie urbaine. Ils font ainsi référence et s’opposent, non seulement, à des structures politiques et de pouvoirs transnationaux (le néolibéralisme, entre autres), mais confrontent aussi la culture urbaine locale. Ceci serait visible dans la localisation et la structure des camps et des manifestations, par les symboliques saisies et réinterprétées par les groupes locaux, dans leur réinterprétation de la ville vécue, des espaces publics et privés et dans l’organisation de ces nouvelles communautés (Farias & Bender, 2010).

Un cas de figure serait la personne activement engagée pour faire reconnaître la place du vélo dans sa ville, mais qui porte plusieurs autres causes dans ses revendications et pratiques quotidiennes. Par exemple, elle effectuerait ses déplacements quotidiens, commuting, à vélo sur de grandes artères largement dédiées au transit automobile, tout en portant une tuque féministe tricotée à la main, Pussyhat, contestant les paroles de son président et porterait un T-shirt Black Lives Matter avec un badge anticapitaliste. Cette femme illustrerait un processus de contestation à plusieurs niveaux politiques, à plusieurs échelles territoriales et spatiales, à plusieurs cibles différentes, aux dimensions et valeurs variées, le tout par des actions et stratégies personnalisées, individualisées et quotidiennes. On pourrait aussi exemplifier les caractéristiques avec le cas d’un végétarien, qui serait en dialogue et en échange continu avec des individus évoluant dans d’autres fuseaux horaires, d’autres pays et qu’il ne rencontrera jamais en personne. Cela s’explique également par le rapport au monde vécu. En effet, l’un des traits particulièrement distinctifs de ce déplacement des actions politiques est leur articulation au monde vécu et leur organisation en réseau diffus et virtuel.

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FIGURE 1 - Affiche publicitaire de Dinner and Bike – Mouvement à vélo, végane, locavore en réseau

«Raconte des histoires et présente des films sur la culture cycliste, tout en servant de délicieux et gourmets plats véganes.»

Source : dinnerandbikes.com, 2013. Cette publicité est une autre illustration de l’articulation d’un mouvement revendicateur politique contemporain à des pratiques individuelles, personnelles et quotidiennes.

Une ouverture qui questionne sur les limites de la participation et du politique

Bringing in « politically relevant behavior » really opens up a Box of Pandora [where] all forms of human behavior will have to be labelled as political. (Hooghe, 2014, p. 338)

La littérature contemporaine sur la participation couvre aujourd’hui un large éventail de pratiques et d’actions qui n’auraient pas été incluses dans la thématique il y a à peine une vingtaine d’années (Hooghe, 2014). Le concept de participation citoyenne ou celui des actions politiques englobe des actes, décisions, styles de vie, choix, comportements et habitudes personnelles ou individuelles. Les intentions de la participation peuvent inclure la subversion, le refus des normes ou encore les intentions d’influencer le politique indirectement. Dans ce contexte, ne sommes-nous pas en train de noyer le concept même de la participation politique ? Où sont les limites du possible glissement de l’action collective ? Comment définir la participation politique contemporaine en dehors des cadres institutionnels ou des mouvements sociaux sans en perdre son sens ? En somme ; qu’est-ce qui compte et qu’est-ce qui ne devrait pas compter comme participation politique ? (Hooghe, Hosch-Dayican, & van Deth, 2014)

Les définitions et les limites au concept de participation politique sont multiples, en pleine expansion et aussi en débat (Bayat, 2010; Haenfler et al., 2012; Micheletti, 2002; Sourice, 2017; van Deth, 2014). En nous questionnant plus précisément sur la participation citoyenne autour d’enjeux urbains, à savoir pour qui, pour quoi et comment est et se

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développe la ville, nous pensons trouver certains points ou éléments aidants à déterminer quelles nouvelles pratiques « become specimens of political participation » (van Deth, 2014, p. 351). Van Deth (2014), identifie quatre composantes pour distinguer la participation citoyenne d’un acte qui peut influencer le politique, mais qui ne devrait pas compter comme une forme de participation. Premièrement, la participation doit être performée (c’est un acte) par des citoyens ordinaires. Ensuite, elle doit être volontaire et ne doit pas être une activité professionnelle (politicien, lobbyiste et représentant d’intérêts). Le quatrième point est que l’activité doit, dans un sens large, « toucher » au politique. L’action peut ne pas viser directement la prise de décision politique ou une autorité spécifique. Elle peut viser le système politique, ses processus, ses représentations, sa légitimité ou encore la vie collective publique et ses normes (van Deth, 2014).

Ainsi, différentes formes ou niveaux de participation politique peuvent être inclus dans cette perspective. L’amplitude des différents niveaux et stratégies que les citoyen -(ne) s ou les collectifs utilisent pour faire face aux injustices spatiales des villes capitalistes est d’ailleurs perceptible dans les modalités observées : délibérations, manifestations d’opposition, lettres, pétitions, actes de désobéissance civile, boycottages, occupations, etc. Hou et ses collègues (2010) abordent les formes contemporaines de « guerrilla urbanism », comme des formes de participation citoyenne. Ils distinguent les stratégies d’activisme guérilla suivant deux grands axes : la forme de l’activité et le type d’espace. Ainsi, pour ces chercheur(-se) s, l’urbanisme activiste peut prendre forme à travers des actions d’appropriation, de réclamation, de pluralisation, de transgression, de découverte et d’exposition et de contestation de lieux et d’espaces publics. Ces actions concernent des lieux, des places, des espaces et leurs fonctions, leurs formes ou aménagements. La subversivité de l’appropriation d’un lieu n’est pas à elle seule suffisante pour être considérée comme un acte politique. Aussi, le processus et la création du lieu ne visent pas nécessairement le politique. C’est plutôt le processus de conception et de réalisation collective d’un nouvel espace public revendicateur qui permet de considérer ces activités comme des formes de participation citoyenne. En effet, un ensemble de citoyen-(ne) s qui s’entendent, créent et décident de matériaux, de formes, d’activités et de pratiques sociales dans un lieu précis est une forme de participation politique à la fabrique de la ville (Hou, 2010). C’est par ce processus que le politique est contesté.

Pour Hou (2012), un exemple important de cette activité participative politique fut l’occupation du parc Zuccotti dans le cadre des manifestations Occupy Wall Street. À travers l’organisation participative de l’établissement temporaire (campement, réalisation de pancartes, mise en place de bibliothèques publiques, stations de communications, distribution des tâches communes, collecte et préparation d’aliments, etc.) les occupant -(e) s ont transformé un lieu passif et ordinaire en lieu d’action collective et d’expression politique active. Une fois réalisé, cet espace alternatif est venu interroger les différentes pratiques sociales qui devaient s’y dérouler. Il a aussi éclairé les pratiques se déroulant en parallèle dans la ville. Cette occupation du parc et sa réinterprétation de l’usage des espaces publics, voire de la vie collective, ont été analysées par les chercheur-(se) s comme un acte légitime de production et protection de l’espace public, tant physiquement que politiquement (Hou, 2012).

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À une autre échelle, plus individuelle et parfois même « invisible » pour la collectivité, Scott (2006) argumente que certaines pratiques quotidiennes sont du ressort de la participation politique. Selon lui, elles sont politiques parce qu’elles représentent de réelles convictions et des valeurs des citoyen-(ne)s (voir tableau 1 - Différentes pratiques de domination et participation visible et discrète). Il prend pour exemple l’action de squatter individuellement, qui serait le pendant individuel des grandes invasions nomades ; la création et la propagation de rumeurs et contes populaires de vengeances, qui seraient des étincelles pour semer des gestes de profanation publique et les discours en « coulisses » parmi les étudiants, les hommes d’Église et leurs paroissiens noirs, qui seraient la fondation même du Mouvement Black Power des années 60.

Pour Scott (2006), même si ces discours ou actions ne sont pas partagés publiquement ou discutés ouvertement, par exemple lors de manifestations ou assemblées, ils font partie d’un ensemble de pratiques interdépendantes dans la lutte politique globale des dominés. Le mode de vie et les pratiques quotidiennes, dissimulées, discrètes, ou déguisées des citoyen-(ne)s composent ainsi en grande partie le répertoire d’action de leurs résistances symboliques et matérielles. Cette résistance est active, mais non officielle, circonspecte et largement personnelle. Elle est parfois même routinière. Elle s’étend au-delà du spectre visible des sciences sociales sur les mouvements sociaux. Elle est qualifiée d’« infrapolitique » (Scott, 2006 ; 2009).

Les stratégies alternatives d’utilisation des espaces urbains ou de résistance à la domination et l’analyse qu’en font plusieurs auteurs questionnent la fabrique de l’espace urbain ou des pratiques sociales qui s’y déroulent. Elles créent de nouvelles pratiques et discours urbains, culturels ou sociaux. Ainsi, même si ces pratiques s’effectuent « contre », « au revers » ou « à côté » des scènes et des auditoires officiels de participation citoyenne, ou même en dehors de la sphère publique et qu’elles ne visent pas nécessairement des cibles politiques, elles seraient partie intégrante des différentes formes de participation citoyenne et politique (de Moor, 2017; Micheletti, 2002; van Deth, 2014). Cependant, peut-on réellement parler de mouvement si les pratiques ne speut-ont pas collectives et speut-ont du domaine privé ?

L’arrimage en réseau de ces pratiques individuelles « infrapolitiques » mérite d’être étudié. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait plusieurs auteurs dans les dix dernières années. Une des caractéristiques généralement soutenues pour associer une pratique individuelle politique à un mouvement plus global est le partage de celui-ci, sous forme d’un réseau plus ou moins diffus, notamment par l’entremise des réseaux sociaux.

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