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Jean Rivard, le défricheur canadien (1862) et Jean Rivard, économiste (1864) : une pédagogie de la civilisation 

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Ollivier Hubert, « Jean Rivard, le défricheur canadien (1862) et Jean Rivard, économiste (1864). Une pédagogie de la civilisation » dans Pierre Hébert et Bernard Andrès, Atlas littéraire du Québec, Montréal, Fides, 87-88

JEAN RIVARD, LE DÉFRICHEUR CANADIEN (1862) ET JEAN RIVARD, ÉCONOMISTE (1864)

Une pédagogie de la civilisation

Avec ce diptyque, Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882), un intellectuel conservateur alors haut fonctionnaire de l’État canadien, entendait vulgariser une ambitieuse théorie sociopolitique. Sa forme emprunte à divers procédés de la littérature populaire, mais le fond relève de la réflexion savante, de sorte que Jean Rivard se présente comme un objet littéraire paradoxal, révélant sous une apparente naïveté et une constante bonhomie certaines des grandes préoccupations du temps.

Le roman expose les vies parallèles de deux camarades d’enfance fraîchement sortis d’un collège classique rural : Gustave Charmenil et Jean Rivard. Gustave échoue dans ses diverses tentatives pour pénétrer les cercles de la bourgeoisie urbaine. Avocat sans clientèle, sa situation durablement précaire le condamne à un humiliant célibat. Jean, quant à lui, se fait défricheur dans les Cantons de l’Est. Doté par la Providence de toutes les qualités viriles, il transforme en quelques années un coin de forêt en une exploitation agricole prospère. Cette première réussite sera le levier d’un phénoménal succès. Dans une suite parue en 1864, Jean Rivard devient un patriarche comblé, un grand propriétaire terrien, un industriel, un capitaliste et le premier des notables de la ville dont il est le fondateur.

La réception initiale de l’œuvre est essentiellement promotionnelle. Elle met l’accent sur le plaisir de la lecture, épousant les intentions de l’auteur, qui souhaitait dissuader les jeunes ruraux de s’établir à Montréal en peignant la colonisation comme une palpitante aventure. Dans la première moitié du XXe siècle, Jean Rivard pâtit de son inscription au

répertoire des classiques scolaires et de sa captation par le traditionalisme et l’agriculturisme. Les littéraires s’en détournent dès le milieu des années 1920, renvoyant cette laborieuse fiction à une préhistoire infantile de la littérature nationale. Ils la redécouvrent à partir des années 1960 en mobilisant les catégories interprétatives du mythe, de l’idéologie ou de l’américanité. Les spécialistes des sciences sociales entretinrent quant à eux une relation fidèle à l’égard de cette œuvre qui, fondamentalement, parle leur langage.

Gérin-Lajoie appartient à cette génération de Canadiens à laquelle l’Empire britannique remit l’administration du territoire et des populations qui l’habitaient. Les élites coloniales, qui enrageaient depuis des décennies de ne pas être aux affaires, purent enfin appliquer leur programme de développement. Jean Rivard est par conséquent imprégné d’un patriotisme ardent et d’une confiance inconditionnelle manifestée envers la rationalité technique. Toutefois, la grande ville y constitue une menace pour la bonne marche du progrès, une

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idée qui peut surprendre de nos jours, mais qui était répandue dans l’intelligentsia internationale à l’époque. Gérin-Lajoie prouve la modernité de sa réflexion lorsqu’il représente Montréal comme le lieu où s’invente une nouvelle barbarie, le paupérisme, et où perdurent les anciens vices aristocratiques. La mise en valeur de la « terre nouvelle » — c’est-à-dire soustraite à la souveraineté autochtone — promet au contraire la continuation de l’expansion du modèle civilisationnel européen. Cette politique de colonisation est portée par une vigoureuse campagne de propagande dont Jean Rivard est une des manifestations. Le roman participa par ailleurs à la diffusion d’une idéologie en passe de devenir dominante : moderniste au plan matériel, conservatrice au plan social et méritocratique au plan politique. Elle entendait modérer les potentialités émancipatrices du libéralisme par la constitution de communautés morales consensuelles dont Rivardville est un idéal.

Ce n’est pas la moindre des ruses de la fiction de Gérin-Lajoie que d’utiliser, comme l’a bien montré Robert Major, les ressorts du récit utopique pour décrire, dans une perspective normative, le phénomène bien réel du débordement de la petite cité industrielle canadienne-française sur les marges de la vallée laurentienne.

Suggestions bibliographiques

Robert Major, Jean Rivard ou l’art de réussir : Idéologies et utopie dans l’œuvre d’Antoine Gérin-Lajoie, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1991.

Éric Bédard, Les Réformistes : une génération canadienne-française au milieu du XIXe

siècle, Montréal, Boréal, 2009.

Micheline Cambron, « Lecture et non-lecture de Jean Rivard d’Antoine Gérin-Lajoie » dans Karine Cellard et Martine-Emmanuelle Lapointe, Transmission et héritages de la littérature québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 113-142.

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