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Débuts, établissement et apogée des méthodes électorales à l'américaine sous l'Union nationale de Maurice Duplessis

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(1)

Débuts, établissement et apogée des méthodes

électorales à l’américaine sous l’Union nationale de

Maurice Duplessis

Mémoire

Andréanne Cantin

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Débuts, établissement et apogée des méthodes

électorales à l’américaine sous l’Union nationale de

Maurice Duplessis

Mémoire

Andréanne Cantin

Sous la direction de :

Martin Pâquet, directeur de recherche

Alain Lavigne, codirecteur de recherche

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Résumé

Les méthodes électorales à l’américaine ont transformé la façon de faire campagne en temps d’élection et sont maintenant répandues partout en Occident. Les conseillers en image et le recours aux firmes publicitaires font aujourd’hui partie de la donne électorale. Nées aux États-Unis dans la première moitié du XXe siècle, ces méthodes sont les prémisses du marketing électoral actuel. Longtemps avons-nous cru que ce phénomène est apparu dans les années 1960 au Québec, avec l’élection de Jean Lesage. Pourtant, près de quinze ans auparavant, un Premier ministre s’entoure d’une équipe pour mieux gagner ses élections. Maurice Duplessis a recours aux services de Joseph-Damase Bégin, ministre unioniste et ancien vendeur d’automobiles, qui se démarque par ses victoires dans son comté. Bégin s’allie à son tour les talents de Paul Bouchard qui devient directeur de la propagande de l’organisation électorale de l’Union nationale en 1946. Au fil des années, leur organisation grandit et permet à Duplessis de remporter parmi les plus grandes majorités parlementaires de l’histoire du Québec. Comment Bégin, Bouchard et leurs collègues y parviennent-ils? En personnalisant les campagnes de l’Union nationale, en recourant aux médias de masse et aux techniques publicitaires réputées performantes, en effectuant des analyses pré-électorales et surtout, en utilisant un budget faramineux. Voilà la recette du succès unioniste, inspiré des méthodes américaines.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III

LISTE DES ILLUSTRATIONS ... VI

REMERCIEMENTS ... VII INTRODUCTION ... 1 HISTORIOGRAPHIE ... 4 PROBLÉMATIQUE ... 11 CADRE CONCEPTUEL ... 12 CORPUS DE SOURCES ... 14 MÉTHODOLOGIE ... 16 HYPOTHÈSE ... 17 PLAN ... 17 CHAPITRE 1 ... 19

1 PRÉSENTATION DES MŒURS ÉLECTORALES AU QUÉBEC AVANT LES ANNÉES 1940 ... 19

1.1 RETOUR SUR LES DÉBUTS DES CAMPAGNES ÉLECTORALES AU QUÉBEC (1791-1931) ... 20

1.2 FAIRE CAMPAGNE ... 20

1.2.1 Plusieurs façons de convaincre ... 21

1.2.2 Et la violence… ... 23

1.3 LOIS ET RÈGLEMENTATIONS ... 24

1.3.1 Un droit de vote pour tous, dans le secret… ... 24

1.3.2 Et les méthodes publicitaires? ... 25

2 CONTEXTE POLITIQUE DU DÉBUT DU XXE SIÈCLE ... 27

2.1 LA PUISSANCE LIBÉRALE ... 27

2.1.1 La corruption gouvernementale ... 27

2.1.2 La domination de la presse ... 28

2.2 L’ÉMERGENCE DE L’UNION NATIONALE ... 29

2.3 LE PREMIER MANDAT DUPLESSIS ... 31

2.4 PRÉPARER LE RETOUR ... 33

2.4.1 Déstabilisés par la défaite ... 33

2.4.2 Revenir en force ... 34

3 L’ÉLECTION DE 1944 ... 36

3.1 CONTEXTE DE L’ÉLECTION ... 36

3.2 ANALYSE DE L’ÉLECTION DE 1944 ... 37

3.2.1 Le personnel politique ... 38

3.2.2 Médiatisation de la campagne et techniques publicitaires ... 39

3.2.3 La personnalisation de la communication ... 43

3.2.4 Le budget ... 44

3.2.5 Les études pré-électorales et les sondages ... 45

4 CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ... 45

CHAPITRE 2 ... 47

1. CONTEXTE DE L’ÉLECTION DE 1948 ... 47

1.1REVENIR POUR DE BON ... 48

1.2UN NOUVEAU DRAPEAU POUR LA PROVINCE ... 49

1.3UN ENNEMI COMMUN : LE COMMUNISME ... 51

(5)

1.5L’ACHAT DU MONTRÉAL-MATIN ... 52

2. ANALYSE DU DÉPLOIEMENT PUBLICITAIRE DE LA CAMPAGNE UNIONISTE DE 1948 ... 53

2.1LE RECOURS AUX PROFESSIONNELS ... 54

2.1.1 Une élection prévue longtemps d’avance ... 56

2.1.2 De nouvelles techniques pour les professionnels ... 58

2.2MÉDIATISATION DE LA CAMPAGNE ... 59

2.2.1 La radio ... 59

2.2.2 Les brochures ... 60

2.2.3 Les journaux et la publicité ... 62

2.3PERSONNALISATION DE LA CAMPAGNE ... 71

2.4LES BUDGETS ... 72

3. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ... 73

CHAPITRE 3 ... 75

1. SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DANS LE QUÉBEC DES ANNÉES 1950... 75

1.1 LA CONTINUITÉ ... 76

1.1.1 Les élections générales provinciales de 1952 ... 77

1.1.2 Une opposition affaiblie ... 78

1.1.3 Les contestations ... 79

1.1.3.1 Les premiers foyers contestataires ... 80

1.1.3.2 L’ennemi numéro un : Le Devoir ... 81

1.2 LA STABILITÉ ... 82

1.3 LE DÉCLENCHEMENT ET LE DÉROULEMENT DES ÉLECTIONS ... 84

1.3.1 Les thèmes de l’élection ... 84

1.3.1.1 L’autonomie provinciale ... 85

1.3.1.2 Toujours la peur des Communistes ... 85

1.3.1.3 Le développement de l’Ungava ... 86

1.3.2 Les résultats des élections ... 87

2. ANALYSE DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ... 88

2.1 LE RECOURS AUX PROFESSIONNELS ... 88

2.1.1 Une organisation bien huilée ... 88

2.1.2 De plus en plus stratégique et professionnel ... 90

2.2 MÉDIATISATION ET TECHNIQUES PUBLICITAIRES ... 91

2.2.1 Encore plus de produits dérivés ... 91

2.2.2 Apparition d’un nouveau médium : la télévision ... 92

2.2.3 Les formats ... 94

2.2.4 De la publicité négative ou comparative ... 100

2.2.5 Les cibles ... 102

2.3 LA PERSONNALISATION ... 103

2.4 LE RECOURS AUX SONDAGES ET AUX AGENCES PUBLICITAIRES ... 104

2.5 LES BUDGETS ... 105

3. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ... 106

CONCLUSION ... 108

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Liste des illustrations

Figures

1. « L’honorable Maurice Duplessis Chef de l’Union Nationale sollicite votre vote pour son candidat dans votre comté » (1944), Publicité, impression sur papier, Canada, (Image tirée de La Patrie, 6 août 1944 – Édition nationale, p. 55).

2. « Une politique d’équilibre économique et de progrès dans tous les domaines », (1944), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 août 1944 – Édition nationale, p. 56).

3. « Quel sera votre avenir ? Votre vote le dira ! », (1944), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée du Montréal-Matin, 5 août 1944, p. 5).

4. « Duplessis donne à sa province. Les libéraux donnent aux étrangers », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 27 juillet 1948, pp. 36-37). 5. « Duplessis oriente sa province vers le progrès », (1948), Publicité, impression sur papier,

Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juillet 1948, p. 41).

6. « Duplessis a donné », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de

La Patrie, 4 juillet 1948, p. 91).

7. « Le thermomètre de la victoire », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 21 juillet 1948, p. 5).

8. « L’autonomie de notre province sauvegardée », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 18 juin 1956, p. 14-15).

9. « La parade des œufs polonais », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 18 juin 1956, pp. 11-13).

10. « Le scandale des œufs communistes », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 7 juin 1956, pp. 17-18).

11. « Les Québécois forcés de manger des œufs communistes ! », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 juin 1956, pp. 96-97). 12. « Monsieur Lapalme devrait être le dernier à parler de chômage dans le Québec », (1956),

Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 13 mai 1956, p. 20).

13. « Pour reconquérir tous nos droits cédés en 1942 par le gouvernement rouge de QUÉBEC, au gouvernement rouge d’OTTAWA », (1956), Publicité, impression sur papier,

Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 mai 1956, pp. 84-85).

14. « Duplessis a donné un drapeau à sa province », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 mai 1956, pp. 84-85).

15. « Avec Duplessis c’est la survivance et le progrès », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juin 1956, pp. 16-17).

16. « Encore 15 ans à sécher dans l’opposition », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 15 juin 1956, pp. 12-13).

17. « Vous êtes cordialement invité à participer à la campagne électorale qui se tient

actuellement dans Québec », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 juin 1956, pp. 16-17).

18. « Électeurs de Montréal, envoyons à Québec une députation forte et cohérente capable de servir le mieux possible nos intérêts et ceux de la métropole », (1956), Publicité,

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Remerciements

Cet accomplissement académique et personnel n’aurait pu être réalisé sans l’apport de nombreuses personnes. J’aimerais saisir l’occasion de les remercier ici.

Mes premiers remerciements vont à mon directeur de maîtrise, Martin Pâquet. Sans son soutien constant, ses conseils judicieux et sa grande humanité, ce mémoire n’aurait jamais vu le jour. Je tiens également à souligner l’apport de mon co-directeur, Alain Lavigne. Sa sagesse et son vif intérêt ont su me guider. Sa passion est contagieuse.

J’exprime ma gratitude à mes parents, Marlène et Christian, pour leur amour et leur appui inconditionnel. Je remercie ma sœur, Sandrine, qui m’a inspiré à chaque jour à me dépasser. Merci à Sarah, pour la complicité, la compréhension, les encouragements et tellement plus. J’ai également une pensée spéciale pour Krystal, Philippe et Valérie.

Merci à tous les membres de ma famille élargie et à mes amis, pour leur intérêt et les bons moments. Merci à Didier, pour tout.

Je pense finalement à mon grand-père, Marcel, à qui j’aurais tant aimé pouvoir remettre ce mémoire en mains propres.

(8)

Introduction

[Antonio Élie] C’est ben beau toutes ces patentes là, mais avec tout ça là, on va ti gagner nos élections? [Joseph-Damase Bégin] Ça va être épouvantable!

[Antonio Élie] Combien c’est qu’on va prendre de comtés? [Joseph-Damase Bégin] Quatre-vingts, quatre-vingts-deux… Étonnement généralisé dans la salle du conseil des ministres [Antonio Élie] Les Libéraux prendront même pas dix comtés?

[Joseph-Damase Bégin] Ils leur restent plus juste que les Anglais de l’ouest de Montréal1.

Scène d’anthologie de la série Duplessis de Denys Arcand, cette interprétation de la préparation des élections de 1948 est évocatrice de l’organisation des campagnes électorales à l’Union nationale, pendant les années Duplessis. Qui plus est, elle en dit long sur le rôle d’un des ministres, aussi membre de l’organisation électorale de l’Union nationale : Joseph-Damase Bégin. Cette scène révèle que Bégin connaît les rouages des élections. Il y va même d’une estimation, qui s’avère assez juste, du nombre de siège que le parti va récolter lors du scrutin. Les victoires électorales successives de Maurice Duplessis à la tête de l’Union nationale fascinent encore aujourd’hui et ont suscité l’ire des détracteurs du « Chef » à l’époque. Du 1er octobre au 7 décembre 1956, Pierre Laporte écrit dans Le Devoir 46 articles d’une série intitulée « Les élections ne se font pas avec des prières ». Le journaliste y s’intéresse d’abord aux dépenses électorales faramineuses de l’Union nationale lors de la dernière élection, mais aussi aux irrégularités et à la corruption du parti de Maurice Duplessis en matière de scrutin. Cependant, Pierre Laporte n’est pas le seul à observer le déploiement publicitaire hors du commun du parti.

En effet, Georges-Émile Lapalme, chef du Parti libéral de la province de Québec de 1950 à 1958, écrit dans ses mémoires cette réflexion sur les façons de faire de l’Union nationale :

En transposant ici les méthodes électorales à l’américaine, l’Union nationale produisit une force d’impact à nulle autre pareille : saturation quotidienne de la presse et des ondes par des annonces directes ou des nouvelles tendancieuses, utilisation des artistes du théâtre à la radio, d’énormes panneaux réclames à tous les carrefours ou le long des routes, spectacles de saltimbanques ou de cinéma, d’innombrables objets portant la photo de Duplessis ou du candidat local.2

1 Denys Arcand, Duplessis, épisode 5 : « Le pouvoir », à 40’ 59’’, 1978.

(9)

Ces affirmations ont de quoi surprendre. À quoi Lapalme fait-il ici référence? Quelles sont ces « méthodes électorales à l’américaine » dont il parle?

Les méthodes électorales à l’américaine correspondent à une nouvelle façon de faire campagne qui apparaît aux États-Unis à l’échelle nationale dans les années 19503. Pour plusieurs,

comme Serge Albouy, l’élection de Dwight D. Eisenhower à la présidence américaine en 1952, marque un point tournant dans la façon de faire campagne. En fait, « [l]e succès électoral d’Eisenhower sera de ce fait perçu, dès ce moment comme celui des agences de publicité de Madison Avenue et, déjà, on accusera celles-ci « de faire vendre un président comme une savonnette » et de fausser le débat démocratique4 ». L’entourage du futur Président a recours à des études du marché électoral, afin de bâtir un slogan directeur pour la campagne : « I Like Ike5 ». Le

rendant familier, impliquant les électeurs émotivement dans leur choix, ce slogan est fort intéressant. Ces méthodes s’apparentent et s’inspirent du marketing commercial, de plus en plus populaires aux États-Unis au cours des années 1950, dont certaines techniques sont appliquées aux politiciens. C’est le marketing politique. Aujourd’hui, l’application de cette nouvelle façon de mener des campagnes et de mettre en marché les politiciens est un phénomène marquant à l’échelle de l’Occident. Toutefois, cette diffusion du marketing politique des États-Unis vers d’autres pays est un processus que l’on pourrait qualifier de plutôt lent à travers les années. En effet, alors que l’élection du président américain Eisenhower en 1952 marque pour plusieurs spécialistes la naissance du marketing politique, il faut attendre 1965 pour voir en France le même genre d’attaque du marché lors d’une campagne présidentielle6. Puis, la Grande-Bretagne emboîte le pas. Qu’en est-il du Canada et du Québec? Bien que relativement peu étudiée chez nous, certains auteurs précisent que la pénétration des méthodes électorales à l’américaine au Québec se serait déployée

3 Serge Albouy, Marketing et communication politique, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 6. Un certain consensus se dégage

à ce sujet, bien que certains autres spécialistes situent la première campagne électorale recourant aux méthodes à l’américaine en 1960, lors de l’élection de John F. Kennedy. Il n’en demeure pas moins que certains avancent que les origines de ces méthodes auraient pris place dans les années 1930 en Californie, alors qu’une firme de communication se spécialise dans l’organisation de campagnes électorales.

4 Ibid.

5 Ike était le surnom d’Eisenhower.

(10)

à partir des années 19607. D’autres avancent que cette influence américaine est déjà bien présente lors des campagnes unionistes de 1948, 1952 et 19568.

Tout comme n’importe quel grand phénomène, le marketing politique n’est pas né du jour au lendemain. Les balbutiements de cette grande tendance apparaissent aux États-Unis dès les années 1930 en Californie. Paru en 2012, l’ouvrage Duplessis. Pièce manquante d’une légende.

L’invention du marketing politique, d’Alain Lavigne met en lumière ce qui serait l’amorce de ce

phénomène au Québec par l’étude des campagnes électorales de l’Union nationale pendant les années Duplessis. Les témoignages de l’intérieur du parti alimentent cette réflexion. Tour à tour directeur de la propagande, de la publicité, puis publiciste de l’organisation électorale de l’Union nationale, dans le journal Le Temps, Paul Bouchard est explicite à la suite de l’éclatante victoire des troupes unionistes en 1948 :

On peut dire sans exagération qu’aucun parti politique n’a jamais conçu dans notre province une propagande aussi massive et dynamique, aussi simple et aussi complète, aussi efficace que moderne par la technique. Rares sont les électeurs qu’elle n’a pas atteint ou touché quelque fibre. L’Union nationale lui doit une grande part de son éclatante victoire.9

Ce témoignage intrigue, puisqu’il fait état d’éléments qui ne sont pas étrangers aux méthodes électorales à l’américaine, notamment lorsque Paul Bouchard parle de modernité, de dynamisme et d’atteindre une masse impressionnante d’électeurs. Ce témoignage de l’intérieur s’ajoutant à celui de Georges-Émile Lapalme, il y a donc là, une raison de plus de s’intéresser aux campagnes électorales de l’Union nationale sous l’angle des méthodes électorales à l’américaine.

Paul Bouchard devient dès 1946 un acteur important de l’entourage de Maurice Duplessis, à titre de directeur de la propagande. Toutefois, il n’est pas le seul intervenant. En effet,

7 Denis Monière, Votez pour moi : une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale,

Saint-Laurent, Fides, 1998, 246 p.

8 Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre québécois : de 1960 à nos jours, Montréal, L’Aurore,

1975, 190 p.; Andréanne Cantin et Alain Lavigne, « Des campagnes électorales à l’américaine sous Duplessis », Montréal, Bulletin d’histoire politique, vol. 24, no. 1, 2015, pp. 30-41.

(11)

l’organisation centrale de l’Union nationale est dirigée par Joseph-Damase Bégin, ministre unioniste, ancien vendeur d’automobiles. Un personnage crucial, puisqu’il est la tête pensante de cette puissante organisation. Il est aidé de Paul Bouchard, mais aussi d’autres membres, comme Bruno Lafleur, lui aussi publiciste à partir de 1938.

Historiographie

Notre étude s’inscrit certainement en histoire politique et, plus précisément, en histoire des partis politiques. Une littérature abondante existe à ce sujet au Québec, particulièrement en ce qui concerne l’Union nationale et son chef, Maurice Duplessis. D’ailleurs, Xavier Gélinas dans l’ouvrage Duplessis. Son milieu, son époque, dresse un des bilans historiographiques les plus récents et fort étayé au sujet du Duplessisme. Selon X. Gélinas, quatre grandes périodes se distinguent, en débutant d’abord par celle qu’on pourrait qualifier de « Grande Noirceur10 ». Avant même la mort de Duplessis, Pierre Elliott Trudeau et Pierre Laporte produisent des ouvrages marquants, témoin de leur caractère critique du régime en place. Actifs notamment à la revue

Cité-libre, ces auteurs se démarquent. Après la publication du collectif La grève de l’amiante11 dirigé par Trudeau, paraît Le vrai visage de Duplessis12. Cet ouvrage signé Pierre Laporte, insiste sur l’obscurantisme des années Duplessis. Ces deux parutions phares de ce mouvement sont, de l’avis de Xavier Gélinas, celles qui donnent le ton aux thèmes des autres écrits qui paraissent au cours de la décennie 1960. Gélinas explique : « Tous les thèmes ne sont pas présents chez tous les auteurs, mais essentiellement l’argumentaire demeure le même13 ». En effet, les auteurs des années 1960 dépeignent Duplessis comme « un être mesquin et retors14 », qui a maintenu le Québec loin du progrès, tout en encourageant la mainmise de l’Église sur l’État et en utilisant l’autonomie provinciale comme cheval de bataille, sans réellement porter d’actions concrètes15. Bien des

critiques peuvent être faites à l’égard des ouvrages parus dans cette décennie, à commencer par le fait que leur contenu n’est pas très objectif. De plus, les auteurs ne reconnaissent aucun bon coup

10 Xavier Gélinas et Lucia Ferretti, dir., Duplessis : son milieu, son époque, Québec, Septentrion, 2010, p. 19. 11 Pierre Elliott Trudeau (dir.), La grève de l’amiante, Montréal, Éditions du Jour, 1970 [1956], 430 p. 12 Pierre Laporte, Le vrai visage de Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, 1960, 140 p.

13 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 20. 14 Ibid.

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au régime Duplessis, ce qui est surprenant, étant donné l’obtention de cinq mandats majoritaires, dont quatre consécutifs, toujours selon Gélinas16.

Fait intéressant, les publications de la décennie suivante, celle des années 1970, sont tout aussi « extrêmes », mais se trouvent plutôt de l’autre côté du spectre. En effet, deux biographies consacrées à Maurice Duplessis sont alors publiées. Robert Rumilly et Conrad Black font paraître respectivement en 1973 et en 1977 deux ouvrages17 qui tentent de réhabiliter « le chef ». Il faut dire qu’il semble être de l’époque de vouloir rappeler l’héritage de l’Union nationale des années 1940 et 1950 ainsi, avec la sortie de la série télévisée de Denys Arcand, Duplessis.

Chacun à leur façon, les auteurs des biographies de Maurice Duplessis tentent de minimiser les accusations faites envers ce politicien, tant sur le plan de la censure que de la corruption. Ils mettent aussi de l’avant les mesures économiques de l’Union nationale et leurs effets positifs sur le développement de certaines régions et la prospérité globale du Québec jusqu’à la fin des années 1950. Ils insistent notamment sur la réduction de la dette de la province presqu’à zéro et sur la modernisation « à un rythme régulier et raisonnable18 » de l’État québécois. Nous sommes bien loin des auteurs des années 1960, qui traitent de retard sur le progrès. Par contre, Rumilly et Black ne sont pas plus objectifs que leurs prédécesseurs.

Une troisième phase dans les études relatives au Duplessisme arrive à la fin des années 1970, une phase résolument révisionniste au sens où Ronald Rudin l’entend:

Par « révisionnisme », nous entendons le terme proposé par l’historiographe Ronald Rudin pour désigner cette école de pensée qui insiste sur la « normalité » de l’évolution du Québec depuis la Révolution industrielle, évolution qui à quelques détails près se serait produite en harmonie avec le reste de l’Occident et notamment avec le reste de l’Amérique du Nord19.

16 Ibid., p. 21.

17 Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, deux tomes, Montréal, Fides, 1973, 722 et 750 p. ; Conrad Black,

Duplessis, deux tomes, Toronto, McClelland and Stewart, 1977, 743 p.

18 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 22.

19 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 23-24 ; Ronald Rudin, Making History in Twentieth-Century Quebec, Toronto,

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Ouvrage marquant de cette période, l’Histoire du Québec contemporain par Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard expose que les racines du Québec contemporain se trouvent bien avant l’an 1960. Les sociologues Gilles Bourque, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin s’inscrivent aussi dans cette tendance révisionniste avec Restons

traditionnels et progressifs. Pour une nouvelle analyse du discours politique : le cas du régime Duplessis au Québec. Puis, Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet viendront quelques années

plus tard, avec Duplessis. Entre la Grande Noirceur et la société libérale, présentant plusieurs communications du colloque sur Duplessis et le Duplessisme tenu à Montréal en 1996. Opposant différents discours sur la question, l’ouvrage se veut l’occasion de débattre des interprétations les plus courantes de l’époque20.

Puis, une quatrième phase de recherche qualifiée de « para-duplessisme » se déploie, selon Xavier Gélinas21. Étudiant toutes sortes d’aspects de l’histoire des années 1940 et 1950, les études du para-duplessisme tournent tout près de Maurice Duplessis, sans nécessairement s’y attarder22. Des sujets comme les intellectuels, l’univers catholique et la jeunesse, sont autant d’occasion d’apporter un éclairage différent sur cette période encore controversée qu’est le duplessisme23. N’oublions pas la parution de Duplessis, son milieu, son époque, dirigé par Xavier Gélinas et Lucia Ferretti en 2010, résultat du colloque du même nom tenu par la Société du patrimoine politique du Québec en 2009, à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Maurice Duplessis24. Plusieurs horizons sont présentés dans cet ouvrage, suscitant souvent l’idée de « réévaluation de cette étiquette [Grande noirceur]25 ». Il s’agit du plus récent ouvrage sur la question.

Mentionnons aussi l’ouvrage d’Alain Lavigne, Duplessis. Pièce manquante d’une légende.

L’invention du marketing politique. Dans quelle mesure les questions d’histoire des partis

politiques au Québec sont-elles confrontées à la question du marketing politique? D’emblée, le

20 Richard Jones, « Ouvrage recensé : Duplessis. Entre la Grande noirceur et la société libérale », Québec, Politique et

société, vol. 17, no. 3, 1998, pp. 196-198.

21 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 25-26. 22 Ibid., p. 26.

23 Ibid., p. 26-27.

24 Matthew Hayday, « Ouvrage recensé : Duplessis, son milieu, son époque », Ottawa, Mens : revue d’histoire

intellectuelle et culturelle, vol. 12, no. 1, 2011, p. 143.

(14)

marketing politique étant peu étudié au Québec, la réponse à cette question serait : très peu. À notre connaissance, seulement quelques ouvrages ont été publiés en lien avec la communication politique au Québec depuis les années 1970. Selon nous, l’ouvrage de Jacques Benjamin, Comment on

fabrique un Premier ministre québécois26, est l’un des premiers à traiter de la question. Plusieurs postulats concernant la communication politique au Québec proviennent de cet ouvrage. Entre autres, il y est mentionné que ce phénomène communicationnel serait né en 1960 au sein du Parti libéral de Jean Lesage. Bien que quelques mots sur les années précédant l’arrivée de Lesage au pouvoir ont été glissés dans cet ouvrage, rien ne présente les avancées en termes de marketing politique effectuées par l’Union nationale. Aussi, Robert Bernier et ses ouvrages : Le marketing

gouvernemental au Québec27 et Un siècle de propagande? Information, communication et marketing gouvernemental28, ont marqué le développement des recherches sur le marketing des

gouvernements. Plus tard au Québec, Denis Monière publie en 1998 le livre Votez pour moi. Une

histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale29. Encore une fois, les mêmes idées préconçues sur la communication politique ou sur le marketing électoral y sont reprises. Monière y avance que les tactiques d’influences des médias sur le vote sont apparues dans le processus électoral au Québec en 1960, comme si l’histoire de ce phénomène communicationnel était née avec la Révolution tranquille. Néanmoins, cet ouvrage n’est pas inintéressant pour notre étude, à l’instar des sources utilisées par Monière comme les publicités électorales. Notons tout de même la parution de La communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives, d’Anne-Marie Gingras en 2003. Il est l’un des premiers ouvrages du genre au Québec, en regroupant plusieurs spécialistes de chez nous sur les questions entourant la communication politique, qui propose, en quelque sorte, une revue de la littérature en Amérique du Nord.

Si l’étude de l’histoire du marketing politique au Québec s’est faite plutôt rare, il en est tout autrement aux États-Unis, où le concept est né. En fait, les recherches s’amorcent par l’étude du caractère instrumental des médias : ces recherches donneront naissance au champ de la

26 Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre québécois : de 1960 à nos jours, Montréal, L’Aurore,

1975, 190 p.

27 Robert Bernier, Le marketing gouvernemental au Québec : 1929-1985, Montréal, G. Morin éditeur, 1988, 241 p. 28 Robert Bernier, Un siècle de propagande ? Information, communication et marketing gouvernemental, Québec,

Presses de l’Université du Québec, 2001, 301 p.

29 Denis Monière, Votez pour moi : une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale,

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communication politique. Le XXe siècle est riche en événements rappelant l’importance de la propagande30 politique. Pensons notamment à la Première et à la Deuxième Guerre mondiale31. Au cours de ces années, les liens entre publicité marchande et jeu politique ont commencé à être très grands. Bien que la propagande et la publicité constituent deux champs de recherches différents, ces sujets d’analyse « apparaissent bien souvent, dans l’étude concrète des archives, comme imbriquées et souvent presque indifférenciées32 ». Les deux guerres mondiales sont des périodes où « tous les États sont confrontés aux mêmes impératifs : miner le moral de l’adversaire et forger l’esprit patriotique, en visant en même temps les populations civiles et les forces armées33 ». L’exemple du Président américain Woodrow Wilson en 1916, qui fait basculer l’opinion publique américaine en faveur d’une implication dans le conflit mondial avec l’aide des médias, est marquant dans le développement des tactiques du genre34.

À cette époque, les premiers grands théoriciens des médias développent leurs écoles de pensée, à l’instar de Walter Lippmann, analyste politique américain des années 1920 aux années 1960. Lippmann est un adepte de la démocratie libérale et prône une société « éclairée » par un petit groupe d’intellectuels. Harold D. Lasswell s’inscrit dans cette mouvance, lui qui fait paraître

Propaganda Techniques in the World War35, en 1927. D’ailleurs, Lasswell est un des premiers à créer un modèle de communication, celui des cinq « W » : « Who says What to Whom in Which channel with What effect ». Cette perception de Lippmann et Laswell est celle d’une société dans laquelle « le peuple doit être exclu de la gestion des affaires qui le concernent et les moyens d'information doivent être étroitement et rigoureusement contrôlés36 ». Bref, une société où les citoyens sont des « spectateurs » et non des participants « actifs37 », comme le dit Noam Chomsky, philosophe américain du XXe siècle. Selon lui, à travers cette façon de concevoir la démocratie, les

30 Le terme propagande n’a pas toujours eu une connotation négative. Il a longtemps fait référence aux actes de

publicité gouvernementale, promue dans le but de convaincre l’électorat. Au cours des premières décennies du XXe

siècle, plusieurs gouvernements ont eu leurs propres institutions consacrées à la propagande (la Grande-Bretagne, par exemple). Irene Di Jorio et Véronique Pouillard, « Le savon, le Président et le dictateur. Publicité et propagande en Europe des années 1920 aux années 1960 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, No 101 (2009), p. 5-7.

31 Ibid., p. 4. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 5.

34 Noam Chomsky et Robert W. McChesney, Propagande, médias et démocratie, Montréal, Les éditions Écosociété,

2000, p. 17.

35 Harold D. Lasswell, Propaganda Techniques in the World War, New York, Peter Smith, 1927, 233 p. 36 Ibid., p. 15.

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médias deviennent un outil de fabrique du consentement dans la société américaine du début du XXe siècle38.

Cette façon de voir le rôle des médias dans la démocratie fait naître bien des débats dans l’historiographie. En effet, le philosophe Noam Chomsky avait une conception bien différente de la fonction des médias au sein de la société américaine. Celui-ci est plutôt de cette école de pensée voulant qu’au sein d’une démocratie, les citoyens doivent disposer de médias indépendants et accessibles, afin de pouvoir participer de façon active à la vie en société39. Cette dichotomie entre Lippmann et Chomsky a inspiré plusieurs recherches à propos des effets des médias sur l’opinion publique et la persuasion en contexte électoral. Deux écoles de pensées – l’école libérale et l’école critique – sont notamment créées par Paul Lazarsfeld en 194140.

Notons aussi l’apport d’Edward Bernays, grand relationniste américain. Plutôt homme de terrain contrairement à Lippmann, il est au cœur de plusieurs révolutions du monde commercial. Nous le percevons comme celui qui met en action les différentes théories de manipulation de l’opinion publique par les médias. Il popularise notamment la consommation de cigarettes chez les femmes aux États-Unis au cours des années 1920 et 193041. Ses idées sont rattachées à la théorie

de la « fabrique du consentement42 », comme celles de Walter Lippmann, grand théoricien des

médias43.

En bref, une pléiade de recherches est effectuée sur différents thèmes, tant sur le plan de la propagande, de la persuasion, de l’opinion publique, du symbolisme, des relations publiques et de la publicité jusqu’aux années 197044. Puis, des bilans de recherche marquants sont publiés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, marquant la consécration de ce nouveau champ

38 Ibid., p. 24-26. 39 Ibid., p. 15.

40 Anne-Marie Gingras, La communication politique : État des savoirs, enjeux et perspectives, Sainte-Foy, Presses de

l’Université du Québec, 2003, p. 14.

41 Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Montréal, Lux Éditeur, 2008, p. XIII. 42 La fabrique du consentement est une théorie des médias développée au début du XXe siècle qui met de l’avant l’idée

que la masse peut être dirigée par une minorité éclairée, qu’il est possible de manipuler l’opinion publique en la faveur du demandeur. Bref, de fabriquer le consentement populaire. Ibid., p. XIV-XVI.

43 Ibid., p. XVI. 44 Gingras, p. 5.

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d’étude multidisciplinaire de la communication politique. Pensons notamment à celui de Dan Nimmo et Keith Sanders paru en 1981 : Handbook of Politcal Communication45. Depuis, Holli A. Semetko et Margaret Scammel ont revu, corrigé et augmenté le travail de Nimmo et Sanders, dans une édition parue en 2012, toujours chez SAGE Publications46. Le champ d’étude de la communication politique est officiellement reconnu en 1973 au sein de l’International Association of Communication et de l’American Association of Political Science47. Par la suite, les champs d’étude de la communication politique se fragmentent. Comme Richard Nadeau et Frédérick C. Bastien le mentionnent, « Les campagnes électorales ont exercé un puissant attrait chez les spécialistes de la communication politique48 », puisqu’« elles constituent un contexte particulier de la vie politique, dans lequel les acteurs poursuivent des objectifs spécifiques à l’aide de moyens tout aussi exceptionnels49 ». Nadeau et Bastien identifient trois principaux courants de recherche :

les aspects pratiques des campagnes électorales, la pratique du marketing politique et tout ce qui est relatif aux campagnes électorales50. Champ d’étude encore plus récent, la communication électorale s’intéresse aux moyens de maximiser les appuis des électeurs à un parti ou un autre51. Se définissant par leur courte durée, leur intensité et leur finalité – l’élection d’un nouveau gouvernement –, les campagnes électorales sont un moment fort des démocraties. Parmi les différents spécialistes, il y a consensus pour identifier trois phases dans l’évolution des campagnes électorales52 : une première ayant son apogée entre les années 1945 et 1960, une deuxième marquée

par l’arrivée de la télévision et une dernière marquée par le développement rapide des nouvelles technologies, notamment Internet53.

45 Dan Nimmo et Keith Sanders, Handbook of Political Communication, Thousand Oaks, SAGE Publications, 1981,

782 p.

46 Holli A. Semetko et Margaret Scammel, The SAGE Handbook of Political Communication, Thousand Oaks, SAGE

Publications, 2012, 544 p. 47 Gingras, loc.cit. 48 Ibid., p. 161. 49 Ibid. 50 Ibid., p. 161-162. 51 Ibid., p. 166.

52 J. G. Blumler et D. Kavanagh, « The Third Age of Political Communication : Influences and Features », Political

Communications, vol. 16, no. 3, 1999, pp. 209-230; D. M. Farrell, « Campaigning Strategies and Tactics » dans L. LeDuc, R.G. Niemi et P. Norris (dir.), Comparing Democracies : Elections and voting in Global Perspective, Thousand Oaks, Sage Publications, 1996, pp. 160-183; R. Gibson et A. Römelle, « A Party Centered Theory of Professionnalized Campaigning », The Harvard International Journal of Press/Politics, vol. 6, no. 4, 2001, pp. 31-43.

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Une des grandes tendances dans les études récentes est la professionnalisation et l’américanisation des campagnes électorales, c’est-à-dire l’importance de plus en plus grande que prennent les professionnels des campagnes dans l’entourage des politiciens et l’étalement de cette façon de faire partout en Occident.

Problématique

L’émergence de nouvelles pratiques électorales au sein des partis politiques québécois a longtemps été associée à l’élection de Jean Lesage en 1960. Toutefois, à la lumière du bilan historiographique et des témoignages d’acteurs clés de l’époque comme Paul Bouchard et Georges-Émile Lapalme, il apparaît de plus en plus clair que de nouvelles pratiques électorales à l’américaine semblent faire surface sous l’Union nationale de Maurice Duplessis. Alors, comment se manifestent les prémisses d’un nouveau type de campagnes électorales inspiré des méthodes à l’américaine au Québec, par la publicité et le travail des membres de l’organisation centrale de l’Union nationale entre 1944 et 1956?

Plusieurs questionnements découlent de cette problématique. D’abord, quant à la nature de ces nouvelles pratiques, mais aussi quant aux personnes qui les implantent à l’Union nationale. Est-il possible que le chef lui-même soit impliqué dans de tels changements? Ou bien est-ce plutôt l’œuvre de Joseph-Damase Bégin et de Paul Bouchard? Aussi, il est de mise de se demander jusqu’où l’application des méthodes électorales à l’américaine s’est rendue. Est-ce que les campagnes duplessistes sont calquées sur les campagnes de présidents américains? Quelle est la nature des traces pouvant possiblement témoigner de ces changements?

Des quatre campagnes électorales qui ont lieu entre les années 1940 et 1960, trois attirent particulièrement l’attention, soit celles de 1944, 1948 et 1956. D’abord, elles font toutes parties du groupe de quinze années successives où l’Union nationale a été au pouvoir sans interruption. Il nous semble plus logique d’analyser les campagnes dans ce bloc, puisque nous souhaitons montrer la place de plus en plus importante des méthodes électorales à l’américaine dans l’organisation

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électorale de l’Union nationale. Aussi, ces élections se trouvent toutes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ou dans l’après-guerre, une période marquée par le développement de la société de consommation et de la technologie. C’est au cours de cette période que le marketing politique prend de plus en plus de place. Ces élections représentent également des moments importants pour l’Union nationale. Celle de 1944 marque le retour au pouvoir de Maurice Duplessis, après un premier mandat entre 1936 et 1939. Le scrutin de 1948 marque le succès électoral le plus retentissant de l’Union nationale, avec l’élection d’une des plus grandes majorités en chambre, soit 82 des 92 sièges disponibles. Enfin, l’élection de 1956 est célèbre pour le budget consacré par l’Union nationale. Quant à l’élection de 1952, nous avons choisi de ne pas l’analyser, puisqu’elle s’inscrit dans la continuité de la campagne précédente.

Cadre conceptuel

Les recherches historiographiques montrent l’étendue des appellations et des concepts sous-jacents dans le domaine de la communication politique. Plusieurs termes existent, mais lequel s’applique le mieux à notre situation ? Les concepts de marketing politique, de communication politique et de communication électorale sont nés au cours des dernières décennies. Il nous apparaît donc anachronique d’utiliser ces concepts, alors qu’ils n’existent pas au cours de la période que nous analysons. Pourtant, les assises du marketing politique sont nées dans ces années 1940-1950. Comment appelle-t-on cette nouvelle façon de faire ? Plusieurs les qualifient de « méthodes électorales à l’américaine », faisant ainsi référence au lieu de naissance de ces méthodes. Ce concept de méthodes électorales à l’américaine nous semble donc plus près de ce que nous tentons de montrer, en comparaison avec le concept de marketing politique qui s’applique plutôt à la réalité d’aujourd’hui, avec la télévision, les sondages et les médias sociaux.

Comment peut-on définir ces méthodes électorales à l’américaine ? Nous avons choisi de coller aux caractéristiques présentées par Robert Agranoff54, puis Serge Albouy55, qui ont élaboré et alimenté ce concept. D’abord, ils circonscrivent la période d’action de ces méthodes à la campagne électorale, moment fort de la vie politique, comme il consiste à renouveler les élus. Ces

54 Robert Agranoff, The New Style in Election Campaigns, Boston, Holbrook Press, 1972. 55 Albouy, loc. cit.

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caractéristiques apparaissent à propos, puisque les élections successives de Maurice Duplessis sont au cœur de cette étude. Agranoff identifie donc quatre caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine, qui se détaillent ainsi :

1. Les campagnes sont fortement personnalisées 2. Le recours à des professionnels de communication

3. Des décisions stratégiques précédées d’études afin de mieux connaître le marché électoral 4. Le recours aux médias de masse ainsi qu’aux techniques publicitaires réputées les plus

performantes

À cela, Albouy ajoute une cinquième caractéristique : 5. Des moyens financiers de plus en plus considérables

Définissons maintenant chacune de ces caractéristiques. D’abord, la personnalisation des campagnes se caractérise par le fait que le candidat devient le centre de la campagne électorale56. Ses idées, ses valeurs éclipsent même le parti qu’il représente. Qui plus est, l’entourage du parti essaie généralement de le mettre en récit et de soigner son image57. Quant à lui, le recours à des professionnels concerne l’influence croissante des spécialistes de la communication, de la publicité et du marketing auprès des politiciens58. Il peut même s’agir de confier une partie de la planification

d’une campagne à une agence de marketing. Il est aussi question de professionnaliser une partie de l’équipe électorale d’un chef, notamment en établissant une organisation centrale pour contrôler le message global de la campagne, mais aussi en commençant à organiser les campagnes longtemps à l’avance59. Puis, cernons le recours aux études stratégiques, les sondages, afin de mesurer le « marché » électoral et ainsi, préparer une campagne sur mesure pour mieux influencer l’électorat ciblé par le parti politique60.

Le recours aux médias de masse – soit la presse écrite, la radio et la télévision dans ce cas – mais surtout leur saturation, constituent des éléments fondamentaux des campagnes électorales à

56 Ibid., p. 9.

57 Alain Lavigne, Duplessis. Pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, Québec, Septentrion,

2012, p. 14.

58 Albouy, loc. cit. 59 Gingras, op. cit., p. 167. 60 Albouy, op. cit., p. 8

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l’américaine. L’utilisation de publicités, de brochures, d’objets promotionnels et même de vidéos et de spots télévisuels en grand nombre en est le témoin. Outre ces moyens, les techniques publicitaires réputées performantes résident dans la simplification du message, la répétition, le recours aux émotions, au spectaculaire, mais aussi, le respect des règles de typographie61. Le recours à un slogan directeur, martelé et décliné dans les différents produits de publicité électorale, est aussi un indicateur de performance. De plus, l’utilisation de nouveaux formats publicitaires comme la pleine-page, la demie-page et le tiers de page, correspondent plus aux nouvelles méthodes électorales à l’américaine. Enfin, le dernier indicateur, le plus évident diront certains, est la croissance constante des budgets consacrés à la communication pour l’organisation d’une campagne électorale62. Lorsque les données manquent, la preuve du recours à ces budgets faramineux réside dans l’accumulation des indicateurs présentés ci-haut, comme il s’agit de mesures nécessitant beaucoup de ressources financières. Ainsi, nous serons à la recherche de ces indicateurs, pour chacune des élections analysées.

Corpus de sources

Le corpus envisagé afin de réaliser cette recherche comprend d’abord trois principaux fonds d’archives. Il s’agit des fonds Joseph-Damase Bégin63, Paul Bouchard64 et Bruno Lafleur65. Ces fonds renferment des données sur la vie personnelle et politique de Bégin, de Bouchard et de Lafleur. Ce sont les sources à caractère politique qui nous intéressent et ces sources sont de types variés. En effet, ces fonds contiennent des films de propagande de l’Union nationale, des discours politiques, des rapports d’élections, des lettres entre les intervenants de l’organisation de l’Union nationale, des relevés de compte de publicité, quelques ordres du jour et procès-verbaux de réunions publicitaires, mais aussi des brochures, des guides pour les orateurs de parti, des signets et des pamphlets électoraux. Voilà une grande diversité de sources témoignant de la préparation en

61 Albouy, op. cit., p. 7. 62 Albouy, op. cit., p. 9.

63 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Joseph-Damase-Bégin, P343,

1980-98-201.

64 Archives de l’Université Laval, fonds Paul Bouchard, P433/B4/1.

65 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Bruno Lafleur, P396,

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amont des élections. Aux fins de notre analyse, nous avons retenu neuf brochures électorales, quatre agendas et trois compte-rendu de réunion, de la correspondance intra-ministérielle et personnelle, ainsi que des notes manuscrites. Il s’agit là des sources les plus évocatrices des méthodes électorales à l’américaine.

Toutefois, dans le cas qui nous concerne, le travail de communication se décline en deux éléments mesurables : d’abord, l’élaboration du message, mais aussi la transmission du message. Ce second élément n’est pas assez soutenu par le corpus de sources choisi initialement. En effet, nous souhaitons voir correctement le reflet du travail préparatoire entourant la planification de l’organisation électorale de Bégin. Les témoins de ce travail en amont sont les différents éléments de matériel électoral comme les brochures, les films, les affiches ou les signets distribués dans les foyers canadiens-français au Québec. Bien que les trois fonds choisis comprennent quelques-uns de ces produits, ils ne témoignent pas assez bien de l’importance du travail du publiciste. Cela représente donc une faiblesse de ce corpus de sources. Pour y remédier, une des traces les plus nombreuses et toujours accessibles de l’époque complète la sélection : les publicités électorales de l’Union nationale parues dans les journaux de l’époque. Nous aurions pu nous intéresser aux films de propagande, aux panneaux-réclames, aux affiches, aux objets publicitaires, mais ces traces sont plus difficiles d’accès, vu leurs supports respectifs. Les publicités électorales parues dans les journaux demeurent simples à identifier et nous permettent de nous assurer du même coup d’avoir un portrait global de la production de l’organisation électorale de l’Union nationale. Une grande place est faite à la publicité selon les caractéristiques retenues d’Agranoff et d’Albouy.

Les publicités électorales parues entre l’émission du bref d’élection et le jour du scrutin, lors des élections de 1944, 1948 et 1956 sont ciblées. Initialiement, cinq différents journaux ont été consultés : Le Soleil, L’Action catholique, The Gazette, La Patrie et Le Montréal-Matin. Ces organes de presse permettent d’obtenir un reflet varié de la société du Québec au cours de la période étudiée : Le Soleil et L’Action catholique représentant une partie du milieu rural et de Québec, The

Gazette représentant une partie de la presse anglo-montréalaise, puis La Patrie et le Montréal-Matin représentant la presse populaire de Montréal. Néanmoins, après une première recension dans

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électorales unionistes, probablement à cause de leurs affiliations politiques66. Par contre, L’Action

catholique, La Patrie et le Montréal-Matin se révèlent d’excellents témoins des produits électoraux

de l’Union nationale. Dans sa thèse de doctorat, l’historien Mathieu Noël explique ainsi que le

Montréal-Matin et La Patrie sont en 1944 les journaux qui reçoivent le plus d’argent en publicité

de l’Union nationale à Montréal67. Même chose pour L’Action catholique, mais à l’échelle de tout le Québec68. Maurice Duplessis se porte lui-même acquéreur du Montréal-Matin, en 194769. Pour ces raisons, nous avons finalement limité notre corpus de journaux à ces trois organes de presse. Plus de trente types de publicités électorales ont pu être analysées grâce à cette recension, ce qui incite à peaufiner l’analyse sous l’angle des méthodes électorales à l’américaine, et, ce faisant, d’enrichir les connaissances historiques au sujet des pratiques électorales de l’Union nationale.

Méthodologie

La méthodologie de cette étude est développée en fonction de notre problématique, mais aussi en fonction de notre corpus de sources disparates. Une grille d’analyse adaptée aux sources utilisées dans le cadre de ce mémoire a été développée. D’ailleurs, la création de cette grille d’analyse a représenté un grand défi.

Le corpus de sources est très éclectique. Les documents ne forment pas de séries bien cadrées, ils sont de toute nature. Alors, comment être certaine de la pertinence de chacun des critères d’analyse lorsqu’appliqué à une lettre entre deux organisateurs électoraux, à un procès-verbal de réunion, à une brochure ou une publicité électorale ? Comment analyser de façon uniforme ces sources variées ? Nous avons donc créé un fichier FileMaker permettant de répertorier

66 Le sénateur Jacob Nicol, bras droit de l’ancien premier ministre libéral Taschereau, fait en sorte que ses journaux,

dont Le Soleil, deviennent « des organes libéraux d’une sympathique neutralité à l’égard du gouvernement » suite à l’élection de Maurice Duplessis. Malgré cela, cette soi-disant neutralité semble affecter l’achat de publicité dans Le Soleil au cours de la période étudiée, puisque peu de publicités électorales unionistes y ont été retrouvées. Jean Hamelin et André Beaulieu, « Aperçu du journalisme québécois d’expression française », Recherches sociographiques, vol. 7, no 3, 1966, p. 329.

67 Mathieu Noël, « Le Montréal-Matin (1930-1978). Un journal d’information populaire », Thèse de doctorat,

Montréal, Université du Québec à Montréal, 2014, p. 107.

68 Ibid.

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les cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine et leurs manifestations. Certaines sources traduisent parfois une seule caractéristique, d’autres en montrent plusieurs à la fois.

L’analyse du corpus de sources relève de deux éléments : la production et le contenu. En effet, lors de la conception de la grille d’analyse des sources, nous avons noté les éléments relatifs à la production du document. L’analyse cherche à répondre à une première série de questions sur la forme du document : « Qui est l’auteur? », « Qui est le destinataire? », « Quel est le contexte de production? », « Quelle est la date de production? ». Par la suite, l’analyse pose une seconde série des questions plus précises sur le fond de la source, reprenant les cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine.

Hypothèse

Les élections de 1944, 1948 et 1956 forment une période de transition vers ce que nous appelons aujourd’hui le marketing politique. En effet, il semble que la mouvance s’est effectuée pas à pas, en intégrant toujours un peu plus les méthodes à l’américaine au fil des élections victorieuses de l’Union nationale. Chacune de ces campagnes électorales représente un jalon de plus vers l’intégration de tous les indicateurs des méthodes électorales à l’américaine. Ainsi, nous posons comme hypothèse que les trois campagnes électorales de 1944, 1948 et 1956 représentent dans l’ordre les débuts, le moment de l’établissement et l’apogée des méthodes électorales à l’américaine au Québec. De plus, il semble que cette transition soit opérée par les acteurs clé de l’organisation électorale de l’Union nationale, soit Joseph-Damase Bégin et Paul Bouchard, aidés de Bruno Lafleur. Ces hommes modifient leurs pratiques et adoptent de nouvelles techniques, afin de convaincre les électeurs de voter pour le chef de leur parti. Par leurs produits électoraux et les traces de leurs façons de travailler, il est possible de mesurer l’implantation des méthodes électorales à l’américaine au Québec.

Plan

Dans cette perspective, le mémoire est structuré autour de ces trois campagnes électorales. Un premier chapitre fait l’analyse de l’élection de 1944. Pour ce faire, il importe de cerner au

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préalable les mœurs électorales au Québec des premières campagnes électorales jusqu’aux années 1940. Un deuxième chapitre traite de la campagne électorale de 1948. Ce chapitre montre le tournant avec le recours aux méthodes électorales à l’américaine. Enfin, un dernier chapitre montre l’apogée avec l’analyse de la campagne de 1956, la dernière à être remportée par Maurice Duplessis.

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« Moi, j'ai trouvé ça bien important la première fois que je m'en suis servi. Il ne s'était pas fait beaucoup de publicité dans les journaux jusqu'au moment où on a commencé ça en 1941. Moi, je m'étais dit : on peut vendre n'importe quelle commodité aux consommateurs avec la publicité ; il se vend toutes sortes de savons, ils abandonnent une marque, ils en reprennent une autre et ils l’introduisent70 » - Joseph-Damase Bégin

CHAPITRE

1

Situation initiale : retour sur les mœurs électorales, le contexte politique du XXe siècle et l’élection générale provinciale de 1944

L’arrivée des campagnes électorales au XVIIIe siècle au Bas-Canada ne se fait pas dans l’harmonie. À cette époque, la tenue d’élections rime avec beuveries et violence. Avec les années, divers règlements sont institués, afin de calmer les mœurs électorales. Par exemple, le vote secret est adopté, puis le suffrage universel est accordé aux femmes en 1940. Cette nouvelle donne politique entraîne des changements dans la façon de faire campagne. Au milieu des années 1930 se dessine aussi la création d’un nouveau parti politique : l’Union nationale. Cette formation et son chef, Maurice Duplessis, voient leur popularité croître rapidement. Fort des scandales de corruption qui touchent le Parti libéral, Duplessis est bien en selle pour prendre le pouvoir. Son parti est élu en 1936. C’est le début de nouvelles pratiques électorales.

1 Présentation des mœurs électorales au Québec avant les années 1940

Les mœurs électorales au Québec ont bien changé depuis l’institutionnalisation du parlementarisme au Bas-Canada. Si aujourd’hui les campagnes électorales sont bien encadrées par la loi et la plupart du temps, civilisées, elles ne le sont pas toujours à l’époque. En effet, la corruption et la violence font ouvertement partie du jeu politique. Grâce à une série de lois adoptées au XIXe siècle, les élections prennent, lentement la forme qu’elles ont durant le Duplessisme. Pour bien comprendre pourquoi l’Union nationale en vient à se doter de nouvelles façons de mener une campagne électorale, il faut d’abord saisir le fonctionnement des campagnes avant cette période.

70 Mario Cardinal, Vincent Lemieux et Florian Sauvageau, Si l’Union nationale m’était contée… Montréal, Éditions

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Quels sont les facteurs qui forgent les mœurs électorales des années 1940 et 1950? Faisons un retour sur les premières décennies de l’organisation de campagnes électorales au Québec, une période qui établit le cadre de travail de Joseph-Damase Bégin, Paul Bouchard et Bruno Lafleur.

1.1 Retour sur les débuts des campagnes électorales au Québec (1791-1931)

La première campagne électorale de la province se déroule en 1792 71. Elle s’inscrit dans la

foulée de l’Acte constitutionnel de 1791 qui établit les assises du système parlementaire du Bas-Canada. Les mœurs et la législation encadrant le déroulement du scrutin, à cette époque, sont fortement inspirées de la Grande-Bretagne. En fait, les principes régissant les processus électoraux sont enchâssés dans la constitution de 179272. Puis, les députés de la Chambre d’assemblée adoptent une première véritable loi électorale en 1800 73. Ces premières élections connues par les Canadiens ne sont pas de tout repos. En effet, le vote n’est alors pas secret : il se fait devant un public. L’Encyclopédie du parlementarisme québécois signale que : « L'absence du secret du vote colore tout le processus électoral de cette époque et ouvre toute grande la porte à des gestes d'intimidation et de violence74 ». De plus, les élections ne se produisent pas toutes au même moment dans tous les comtés et peuvent durer plusieurs semaines, ce qui mène à une certaine désorganisation du scrutin et un délai dans l’attente des résultats75. Ces conditions de vote engendrent une façon particulière de faire campagne.

1.2 Faire campagne

Une campagne électorale débute toujours par l’émission d’un bref d’élection par le gouverneur76, soit un « document officiel ordonnant la tenue d'élections dans une ou l'ensemble

71 Jean Hamelin et Marcel Hamelin, Les mœurs électorales dans le Québec : de 1791 à nos jours, Montréal, Éditions

du jour, 1962, p. 24.

72 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois [en ligne], Assemblée nationale du Québec, 2013,

http://www.assnat.qc.ca/en/patrimoine/lexique/loi-electorale.html, consulté le 10 septembre 2013.

73 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 24.

74 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 75 Ibid.; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 26.

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des circonscriptions77 ». Puis, lors de la journée de l’élection, un officier-rapporteur se rend au poll pour accueillir les électeurs. Le vote se fait en public. Les électeurs désignent les candidats. Si un seul candidat se présente, il est systématiquement déclaré élu. Si plusieurs candidats se présentent, l’officier-rapporteur compte à vue d’œil les appuis pour les candidats en lice. Si l’appui ne semble pas clair envers l’un ou l’autre des candidats, un scrutin est déclenché. Les personnes habilitées à voter peuvent donc se rendre sur le husting, une plate-forme montée à la hâte par les électeurs, pour donner leur nom, leur occupation et leur vote à l’officier-rapporteur. Ainsi, après la votation, un vainqueur est désigné78.

Cette façon de faire demeure en vigueur, jusqu’en 1875, année où le vote secret est instauré à la suite de violences importantes.

1.2.1 Plusieurs façons de convaincre

Depuis 1792, la campagne ne se déroule pas uniquement lors de la journée du scrutin. Entre l’émission des brefs et la votation, les candidats se déplacent pour parler d’eux et de leurs programmes. Pour faire campagne, l’aspirant et ses supporteurs font souvent ce qui est appelé la cabale, c’est-à-dire du porte-à-porte, où « tous les moyens sont bons pour s’assurer la victoire79 ». En effet, « Les cabaleurs se rendent au domicile des électeurs pour discuter de politique et distribuent alcool et argent à profusion. On assiste à des intrigues de toutes sortes, à des propos mensongers tenus contre l'adversaire80 ». Dans leur ouvrage Les mœurs électorales dans le Québec

de 1791 à nos jours81, les historiens Jean Hamelin et Marcel Hamelin ajoutent que « Certains candidats distribuent du rhum et du porter à leurs électeurs pendant la campagne; d’autres, des

77 « Décret d’élection », Encyclopédie du parlementarisme québécois [en ligne], Assemblée nationale du Québec,

2013, http://www.assnat.qc.ca/en/patrimoine/lexique/loi-electorale.html, consulté le 2 octobre 2013.

78 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 26. ; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en

ligne].

79 Suzelle Blais, « Le vocabulaire des élections », Québec français, no. 121, 2001, p.103. 80 Ibid.

81 « Les mœurs électorales dans le Québec de 1791 à nos jours de Jean et Marcel Hamelin est encore aujourd’hui

considéré comme « la seule étude spécifiquement consacrée aux « mœurs électorales » québécoises des origines jusqu’aux années 1960 ». Renaud Séguin, « Pour une nouvelle synthèse sur les processus électoraux du XIXe siècle

québécois », Journal of the Canadian Historical Association/Revue de la Société historique du Canada, vol. 16, no. 1, 2005, p. 77.

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cocardes et divers insignes de ralliement82 ». Les pratiques de corruption du vote, ainsi que de distribution d’alcool et d’argent, deviennent plus fréquentes au cours des années. De l’avis de Jean et Marcel Hamelin, « Tenir bar ouvert devient le lot de tout candidat sérieux à la chambre d’assemblée83 ». Le titre du deuxième chapitre de l’ouvrage des auteurs est sur ce point évocateur: « L’or et le rhum valent autant que vingt orateurs. 1806-1840 ». Ainsi, lors de l’élection de 1818, un témoin de la corruption signale que :

Il me dit que les personnes qui recevaient des « argents s'en vantaient » : qu'un était venu aux Hustings pour y donner son vote, que l'Officier Rapporteur lui ayant demandé pour qui il donnait son vote, il avait tiré une piastre de sa poche et l'avait montrée, en disant : « Voici une piastre que j'ai reçue du parti de Mr. Lee, mais en voici deux autres que j'ai reçues du parti de Mr. McCullum, et par conséquent je vote pour lui84.

Des tracts sont aussi distribués, mais en petit nombre, puisque la quantité d’électeurs lettrés est alors limitée. En fait, Hamelin et Hamelin notent que : « La propagande se fait surtout par circulaires qu’on distribue aux personnes influentes85 ». Elle comprend aussi les bons mots envoyés aux électeurs par les candidats, les sourires, les poignées de mains chaleureuses, mais aussi les dîners, les assemblées de cuisine et l’offre de services personnels86. Toutes les campagnes électorales se déroulent avec une assemblée contradictoire87. Première forme des débats des chefs actuels, ces réunions politiques se tiennent lors des mises en nomination des candidats, mais aussi tout au long de la campagne88. D’autres pratiques électorales sont aussi parfois organisées par certains candidats et leur entourage lors des mises en nominations. « On utilise certaines d’entre elles [les pratiques électorales] dans un but psychologique : tels les cortèges qui accompagnent les candidats le jour de la mise en nomination et qui doivent être pompeux et impressionnants89 ».

82 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 32. 83 Ibid, p. 47.

84 Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, session 1818, appendice C ; « Loi électorale », Encyclopédie

du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne].

85 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 31. 86 Ibid, p. 44.

87 Blais, loc. cit., p. 102; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 60.

88 Blais, loc. cit., p. 102 ; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 60 ; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme

québécois, op. cit., [en ligne].

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1.2.2 Et la violence…

Ce mode de scrutin ouvert engendre toutes sortes de situations disgracieuses. Pour faire campagne, il n’y a pas que les poignées de mains chaleureuses et la distribution d’alcool qui influencent les décisions des électeurs. Usant du recours à la force, des moyens plus contraignants deviennent la norme surtout après l’Acte d’Union en 1840. Jean et Marcel Hamelin analysent : « Si la lutte s’annonce serrée, le candidat se résigne à faire circuler de l’argent; s’il craint la défaite, il recourt à l’intimidation90 ». L’intimidation des fiers à bras ou des bullies lors du scrutin est monnaie courante à cette époque. Bien souvent, le candidat ayant le plus de bullies a le plus de chances de gagner sur le husting au jour de la votation. Par contre, les choses se passent différemment lorsque les candidats possèdent autant de fiers à bras l’un que l’autre. « En fait, il semble que l'exercice du droit de vote soit plus aisé lorsque les forces intimidatrices des candidats sont équilibrées91 ». En effet, dans la situation où l’un des candidats possède plus de bullies que son adversaire, l’électeur qui se présente au poll est fortement porté à voter pour le candidat ayant le plus de « bras », s’il ne veut pas être tabassé. Si les deux candidats ont le même nombre de fiers à bras, il y a alors moins de risque à voter pour le candidat de son choix.

Ce climat de chantage est présent lors de la votation, vu l’absence du vote secret, mais aussi tout au long de la campagne lors des assemblées contradictoires. Ces réunions politiques finissent bien souvent « dans la bagarre générale entre partisans92 ». Il va sans dire que tout l’alcool qui circule lors de ces assemblées politiques et lors de la cabale n’aide certainement pas à calmer les esprits. Au contraire, la consommation de l’alcool fait dégénérer les réunions politiques en beuveries93. L’historien Renaud Séguin, auteur de l’article « Pour une nouvelle synthèse sur les processus électoraux du XIXe siècle québécois », ajoute que cette pratique s’accompagne de «

l’ignorance politique de la plupart des électeurs ». Ce phénomène contribue « à entacher les jours de scrutin de nombreuses irrégularités, particulièrement après l’Union de 184094 ».

90 Ibid., p. 44.

91 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 92 Blais, loc. cit., p.102.

93 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 47. 94 Séguin, loc. cit., p. 77.

Figure

Figure  1 :  « L’honorable  Maurice  Duplessis Chef de l’Union Nationale  sollicite votre vote pour son candidat  dans votre comté » (1944), Publicité,  impression  sur  papier,  Canada,  (Image  tirée  de  La  Patrie,  6  août  1944 – Édition nationale, p
Figure  4 :  «  Duplessis  donne  à  sa  province.  Les  libéraux donnent aux étrangers », (1948), Publicité,  impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La  Patrie, 27 juillet 1948, pp
Figure  5 :  «  Duplessis  oriente  sa  province  vers  le  progrès  »,  (1948),  Publicité,  impression  sur  papier,  Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juillet 1948,  p
Figure 6 : « Duplessis a donné », (1948), Publicité,  impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La  Patrie, 4 juillet 1948, p
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