,
,
11
1f
" 1 ,..
(
L'EDUCATION DBS FEt-1HES DAnS LES Rc:r.rANS DE tiADAllE DE CHARRIERE
by
Louise Bruneau
A thesis submitted to the
Facul ty 0 f Graduate Studies and Research in partial fuI fillment 0 f the requirements
for the degree 0 f Haster of Arts
Department 0 f French Language and Li terature HcGill Uni versi ty, Montreal
July,
1988
l
ii
f
ABSTRACT
8ducation represents one of Isabelle de Charrière's
favourite topics. In her novels, the author has expressed her
concerns on the matter, but her comments refer particularly to
WOMen's education. Because of the insight and relevancy of
these considerations, it seerned that it would be appropriate
to bring them to light. The present study will therefore be
dedicated to the gathering of these observations, in order to show the author's position regarding the education of women. Afterwards, i t should be possi ble to see whether 11adame de
Charrière's ideas may be compared to those of her time. In
the case of wornen, moral education is preponderant, but
knowledge is also important. In addition to her pedagogical advice, the writer provides some thoughts on the status of
women in general. The attitude of women towards love, marriage
and the pursui t 0 f happiness will depend upon education. The
author explores the many aspects of women's behaviour at
critical moments of life, taking into account the social setting
as weIl as the influence of the environment. In her opinion,
concrete lived experience becomes invaluable when it serves
to fill a gap caused by a superficial form of education. While
fighting against ignorance, a major cause 0 f the inferiori ty
of wornen, Nadame de Charrière appears to be favourable to an
identical type of education for both men and women. In that
respect, there is no doubt in her mind about the equality of the sexes.
L'éducation représente un des thèmes favoris d'Isabelle
de Charrière. Dans son oeuvre romanesque, l'auteur fait souvent
état de ses préoccupations sur le sujet, mais c'est l'âducation
des femmes qui suscite surtout ses commentaires. ~n raison de
la profondeur et de la pertinence de cette réflexion critique,
il nous a semblé opportun de la mettre en évidence. Le présent
mémoire sera donc consacré
à
recueillir ces observations età
les rassembler afin de mieux éclairer la position de l'auteur
en matière d'éducation féminine. Par la suite, cela permettra
de voir si les idées de !Ime de Charrière se comparen t
à
cellesde son temps. La formation morale occupe une place
prépondé-rante dans l'éducation des femmes, mais le savoir a aussi son
importance. Aux conseils pédagogiques de la romancière,
s'a-joutent des réflexions sur la condition féminine en général.
L'attitude de la femme devant l'amour, le mariage et la recherche
du bonheur, dépend de sa culture personnelle. L'auteur explore
les différents aspects du comportement de la femme dans les moments critiques de la vie, en tenant compte du cadre social
et de l'influence du milieu. A son avis, l'expérience vécue
acquiert une valeur inestimable lorsqu'elle sert
à
combler leslacunes d'une éducation trop superficielle. En combattant
l'ignorance, cause principale de l'état d'infériorité des
femmes, ~'~me de Charrière se déclare en faveur d'un enseignement
identique pour les hommes et les femmes. A cet égard, l'égalité
• L ... ___ _
• 'r ABLE DSS t'lATI ER ES ... i ix..
PREMIERE PARTIE:
J.CG v.:lleurs proposées aux fe~.lme:;:
T,' idéal àe savoir ••••••••••••••••••••••••••• 1
JI L'idéal de bonheur...
16
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36
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66
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TROISIÈHE PARTIE:
J.cs j dées de réforme do rrr~c de "'harrièrc:
L' édu catlo!'1 des fe J'1CS. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 90 " T'accès
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l ' éducatJ.on... ICIues SOXQS • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
CONCLUSr0fJ •••••.•. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
.
. .
.. .. .. .. .. .. .... .. ... . 1J5-INTRODUCTIC'N
Au XVIIIe siècle, la question féminine retient l'attention des r.J.oralistes, des philosophes et des écrivains de toutes
sortes. La li ttérature de ce siècle témoigne des opinions les plus diverses sur le sujet, faisant ét.at tantéH d'une pensée progressiste en faveur de la femme, tantet d'une
farouche résistance à tout changement des mentalités. Léon Abensour note en effet que cette préoccupation tourne presque
à
l'obsession:"Il n·estpour ainsi dire pas un auteur du XVIIIe siècle, romancier, historien, mémorialiste, sociologue ou
philosophe, que le problème féminin n'ait, sous l'un ou l'autre de ses aspect s,ob sédé. ,,1
Il va sans dire que l'éducation des femmes représente) dans ce contexte, un aspect fondamental du problème féminin. Si les écri ts de Poulain de la Barre, féministe avant la lettre, passent inaperçus au début du siècle, on remarque que d'autres auteurs plus connus font entendre leur voix: pour n'en citer que quelques-uns, ~ontesquieu, Helvétius, D'Alembert, et m~me
Voltaire osent se prononcer contre l'injustice faite aux femmes en matière d'éducation. ;'iais
à
côté de ces textes sérieux, i l y a, selon Pi erre Fauchery, tou te une li t térature romanesque qui contribue à perpétuer le mythe de la femme. Selon lui,l
Léon Abensour, La femme et le féminisme avant la Révolution. Genève: Slatkine - iV1 egarioti s Reprints,
1977,
p.356
(
1 e roman " ••• est
à
la foi s le moyen de confirmer la femme dans la singularité, et de l'exorciser en la magnifiant comme ~tre2 problématIque. "
Le rOMan féminin entre-t-il dans cette catégorie? Dans son étude, Pierre Fauchery prouve que les auteurs féminins n'échappent pas toujours à la tradition masculine dont les moeurs sont imprégnées depuis des si~cles. Il constate aussi que ces ouvrages, malgré les plaintes et les revendications féminines qui s'y trouvent, traduisent trop souvent l'image de la femme faible, émotive, imprévisible. Pierre Fauchery
fonde son opinion sur un nombre considérable de romans féminins, ii
.( dont Corinne et Delphine de l1me de
Sta~n,
les Lettres écritesJ
Q!? Lausanne et Saliste, de Mme de r:harrj ère. Dour sa
part, Léon Abensour qui a lui aussi étudié les romans féminins, note:
" ••• ceux de ~1me de Charrière, (Lettres écri tes de Lausanne,
Caliste), tranchent heureusement, sinon toujours par l'originalité du sujet, du moins par la finesse des réflexions psychologiques et l'agrément du style sur la médio cri té amphigoul:ique des autres romans dus
à
des plumes féminines. I l )
Si une telle reconnaissance est agréable
à
entendre, elle ne saurai t satisfaire pleinement ceux qui s' intéressent deprès à l ' oeuvre d' l sabelle de Charrière, puisque cet te remarque
2
3
Pierre Fauchery, La destinée féminine dans le roman européen du dix-hui ti~me si~cle, Paris: Librairie Armand Colin, 1972, p. 9
-
,
.
i i i
ne s'applique qu'à un seul de ses ouvrages. ~ort heureusement,
l'oeuvre de ~:me de Charrière susci te un intér~t croissant depuis
quelques années. Les travaux récemment parus sur cet écrivBln
en sont la preuve. La publication des Oeuvres Co~pl~tes
(1980-1981) a grandement favorisé le rayonnement d'une oeuvre riche et variée, qui comprend une correspondance, des romans et des nouvelles, des pièces de théâtre et des écrits politiques. Jusqu'à une époque récente, les chercheurs devaient
obliga-toirement se référer à la seule biographie compl~te d'Isabelle
de Charrière, ::adame de Charrière et sas amis (1906), de
Philippe Godet. A la suite de cette oeuvre magistrale,
Geoffrey Scott avait fait paraître ~he Portrait of Zélide (1925),
biographie romancée que Simone de Beauvoir a utilisée dans un célèbre passage du Deuxième Sexe.
Plus près de nous, plusieurs thèses retiennent l'attention,
comme celle de Christabel Braunrot
(1973),
qui s'intéresse à laforme épistolaire utilisée par :,fme de Charrière et aux techniques
romanesques" Parce qu'il a beaucoup servi aux auteurs féminins,
le roman épistolaire a été longtemps considéré comme un genre
mineur. Christabel Braunrot montre que le talent d'Isabelle
de Charrière ne doit rien
à
la facilité. Elle déplore cependantle fait que la critique persiste, encore de nos jours,
à
neconsidérer qu'un seul roman, Caliste. comme si les autres
(
• 11
~ j!
que l'on donne
à
cet auteur la place qui lui revient dans la littérature du XVIIIe siècle.Denni s ~:'ood, pour sa part, a tenté de si tuer les ror:.1ans de "me de '::harrière par rapport
à
la production li ttéraire de son époque. Dans sa th~se intitulée: The ~;ovels o.f :'adame deSharri~re
(1740-1805), (1974)
~ood établit un parall~le entre les ouvrages de . :me de r:::harri~re et ceux d' auteurs fémininscomme ';me de Tencin, ';me de Graffigny et [1me Riccoboni.
Les Lettres d'une Péruvienne, de !':me de Graffigny, s'appa-rentent aux romans d'Isabelle de Charrière par l'utilisation de la forme épistolaire et par le sujet traité. L'oeuvre r:1et en scène un ar:lour impossible et le destin étrange d'une femme qui, après de multiples aventures se trouve dans une impasse analoeue
à
celle où s'est engagée l'héro~ne des Lettres écrites de Lausanne. Contrairementà
Cali ste, Zilia, la Péruvienne, refuse le ~ariage de convenance. Le roman n'a pas de conclusion traditionnelle, suivant un procédé qu'a privilégié ::me de~harrière. Dans les deux oeuvres, l'intrigue sert de prétexte
à une cri tique sociale et notamment
à
des réflexions sur l ' édu-cation des femmes.l'ioa d n'a donc pas tort de considérer que [';me de Charri ère s' inscri t dans la tradi tion du roman di t "sentimental", du moins
,-~
lorsqu'il s'agit des Lettres écrites de Lausanne. Il remarque
cependant que ses romans offrent pIt' s de profondeur dans l'
ana-lyse psychologique. D'ailleurs, selon Dennis Wood, Benjamin
Constant se serait inspiré de Caliste pour écrire son
cél~breroman Adolphe.
v
Deux autres thèses proposent des points de vue fort
diffé-rents sur l'oeuvre d'Isabelle de
Charri~re:celle de Sigyn
Minier-Birk
(1977)
et celle d'Alix Deguise
(1980).
La
premi~reconsidère
à
la fois la forme et l'invention dans les Lettres
neuchâtelois§t§., Hi striss Henley et les Let tres écrites de Lausanne.
A son avis, ces trois ouvrages illustrent le paradoxe vécu par
les femmes au XVIIIe
si~cle:celui de la solitude et de la
dépendance.
La structure même de ces romans par lettres et les
techniques employées par l'auteur concourent
à
démontrer ce
paradoxe.
Comme Sigyn Ninier-Birk, nous croyons que Mme de
Charrière avait bien senti cette réalité qu'elle a voulu rendre
perceptible dans tous ses romans.
Le thèse d'Alix Deguise ne porte que sur un roman: Trois
Femmes.
Publié en
1981
sous le titre: Trois Femmes. le monde
de t1ad
arn
e de Charrière, cet ouvrage fournit une analyse
minu-tieuse de l'une des oeuvres les plus importantes de Mme de
Charrière.
Dans ce roman, l'auteur a voulu démontrer que la
~
'1
,
1
(
vi.Jelon le phi losophe, la notion du devoir pur ne saurai t comporter aucun lntérêt pour celui qui l'accompli t. nme de Charri~re se di t d'accord sur le principe, rr.ais elle ne voi t pas com::1ent on pourrai t le r,1ettre en pratique. C'est pourquoi, dans Trois
r.e!~rnes, la ror-:ancière passe en revue les devoirs qui sont exigés de chacun. '::eci donne li eu
à
des digressions sur les sujets les plus variés: les valeurs morales, les préjugés, les condi-tions sociales, la pauvreté, l'éducation, la littérature, etc. Alix Deguise analyse en profondeur toutes les idées exprimées dans cet ouvrase. 211e établi t une relation entre ce roman et les ouvrages précédents et souligne, s'il y a lieu, l'évolu-tion de la pensée de l'auteur. Selon Alix Deguise, Trois ::;'em~es f..
représente le testament littéraire de la romanci~re •Dans notre étude, nous avons voulu consid~rer un aspect particulier de l'oeuvre d'Isabelle de Charri~re, soit l'éduca-tion des femmes. Notre travail sera dOllC purement thématique et portera surtout sur les ouvrages où cet te question fait l'objet de commentaires pertinents de la part de l'auteur. tIous avons choisi tout d'abord les Lettres neuchâteloises, parce que les personnages dece roman évoluent et qu'ils témoignent de la pensée de l'auteur sur la valeur éducative de l'expérience. ~·;istriss Henley, par contre, offre une image préci euse de la condi tian des femmes mal mariées, et dans notre étude, tous les aspects de la vie féminine sont
....
-importants. Les Lettres écrites de Lausanne, o~ l'éducation
de Cécile occupe une grande place, nous a fourni des
indications essentielles
à
notre travail. Quant à Henrietteet Richard, cet ouvrage a retenu notre attention parce que les protagonistes s'éloignent des stéréotypes traditionnels et
qU'ils évoluent dans un monde intellectuel bien à eux. Nous
nous référons aussi
à
Trois Femmes, puisqu'il y est beaucoupquestion d'éducation, de pédagogie et de valeurs morales. De
même, Honorine d' U ber cho, roman où lIme de Charrj ère explore
les dangers de l'athéfsme, nous a paru important du point de vue des devoirs des parents envers leurs enfants. nous parlons brièvement de Sainte-Anne, petit ouvrage destiné à faire com-prendre aux jeun;,"'Is l'importance de lire des li vres de quali té.
vii
~n dernier lieu, Sir Walter Finch et son fils Willia1!!" dont le
thème principal est l'éducation, représente un des romans importants dans le cadre de notre étude.
Nous avons dn laisser de c~té certains ouvrages qui n'aurai ent
pas contribué
à
développer notre sujet, vu que les idées qu'ilscontiennent se trouvaient déjà dans les romans choisis. Ainsi,
Le Noble, les Lettres trouvées dans des porte-feuilles d'émigrés
et les R~ines de Yedburg n'entrent pas dans notre étude.
L'éducation des femmes constitue une des préoccupations
principales de :'!me de Charrière. Toute son oeuvre romanesque
(
(
viii
la ligne de pensée de l'auteur sur le sujet, afin de pouvoir
tracer le portrait de la femme tel que conçu par la
romanci~re.Nous verrons ensuite si les idées de Mme de
Charri~recorres-pondent aux idées de son temps sur l'éducation, et en
particu-lier sur l'éducation ùes femmes.
Nous observerons quelles
sont les influences qui ont le plus marqué l'auteur et les
tendances qu'elle a refusées.
Pour ce faire, nous analyserons d'abord les valeurs
morales que la romancière propose aux femmes.
Nous verrons
ainsi l'importance que Mme de
Charri~reaccorde
à
la discipline
intellectuelle et morale.
Parla même occasion, nous serons
mieux en mesure d'évaluer les exigences de l'auteur Al' égard
des femmes et de leurs chances de bonheur. En second lieu,
nous explorerons les milieux éducatifs privilégiés par la
romanci~re.
Aristocrate et protestante, Mme de
Charri~ren'a
guère
confian~edans les couvents pour l'instruction des jeunes
filles. Nous découvrirons que l'éducation se fait
à
la maison
dans la plupart de ses romans, avec ou sans le secours de
mai tres, selon--l.e degré- de -
fortune~--·Nous-constaterons -aussi--'
l'influence du cadre social et de l'entourage sur
les modèles
présentés par l'auteur, de même que la valeur des livres, des
conversations et des expériences vécues. Finalement, nous
espérons pouvoir dégager, dans la dernière partie, les idées
comme des réformes souhaitables. Nous y analyserons en détail les idées de ::r.le de Charrière sur l'enseignement dispensé aux
femmes et sur une libéralisation de cet enseir;ner.lent. flous verrons aussi ce que signi fi e l ' égali té des sexes pour ':me de Charrière, et nous tenterons de comprendre sa position sur l'accessibilité générale
à
l'éducation.Il Va sans dire que l'éducation des femmes englobe toute la question de la condition féminine. Cet aspect de la pensée
lx
de l'auteur ne sera pas néGligé. Hous ne croyons pas, au départ, qu'il soi t possible de compter ~.Ime de Charri ère au ranG des
fémini stes, du m.oins dans le sens où l'on en tend ce mo t au-jourd'hui. nous reconnaissons cependant un avant-gardisme ct une l i berté de jugement assez rares À. l'égard de la condi tion
féminine au XVIII e siècle. Hous refusons par ailleurs de
considérer l'oeuvre de ' rme de Charri ère COlYlr:le fai san t parti e des romans dont a parlé Pierre Fauchery en ces termes:
"Le roman du XVIII e siècle célèbre le règne onirique de la 4
fer:lr:le ••• " Nous croyons au contraire que l'oeuvre rOManesque d'Isabelle de Charrière s'éloigne de cette catégorie, et nous croyons pouvoir démontrer, dans notre étude, que ses per-sonnages féminins sont toujours bien ancrés dans la réalité.
(
PREHI ÈRE PARTI E
LES VALEURS PROPOSÉES AUX FEHMES
-l L'IDEAL Dr. SAVOIl~
l'éducation occupe une place de choix dans la vie et dans
l'oeuvre d'Isabelle de ~harrière. La question est traitée
dans plusieurs romans, et la correspondance de ;;rrte de Charrlère révèle son amour de la science et son bont pour l'étude. La
noblesse et la fortune lui ont permis de développer à sa GuIDe
des talents exceptionnels. Témoin d'une époque où tout est
remis en question, cette femme extraordinaire réunit
A
la foisl'ouverture d'esprit qui caractérise le Siècle des Lumières,
et la Raison classique qui a marqué sa jeunesse. ~onsciente
de ce privilège réservé aUx gens de son milieu, elle se fera un devoir de partager ses connaissances et d'aider ceux et celles
qui passeront par Colombier. Toutefois, on ne trouve pas, dans
son oeuvre, de programme d'études élaboré et précis. La
rorllan-cière y suggère plutôt des principes généraux susceptibles d'encourager les jeunes dans la poursuite du savoir.
"me de Charrière, comme l'ont constaté tous ses lecteurs,
s'intéresse beaucoup
à
la formation de l'esprit. Ledéveloppe-ment des facultés intellectuelles a plus d'importance a ses
..
yeux que l'apprentissage mécanique de certaines SClences.
A son avis, tout enseignement se doi t de favoriser l'avancement et le progrès de la personnalité, sinon i l est sans valeur.
La science acquise sans conviction lui semble dénuée d'intér~t.
(
une éducation qUl prépare mieux les jeunes, et surtout les
femmec,
à
faire faceà
la vie et aux responsabili tés qui lesDt tendent. ":11e condarr.ne If enseienemen t trop sommaire et
sou ven t su per fi Cl cl qui est réservé aux femmes, et dénonce
ceux qui crojent suppléer à cette déficience par la lecture
ou par la force de l'expérience. A son avis cela ne suffi t pas.
Ges femmes, n' é tant pas préparées
à
discuter, raisonner etJuCer, ne pourront pas non plus apprécier un livre sérieux, émettre une opj.nion valable ou régler un problème difficile.
~n rèGle Générale, ce sont les résultats d'une éducation
qui préoccupent ';me de 8harrière, plutôt que la définition d'un progrrumae d'éducation. Les suggestions que l'on trouve dans
ses romans visent donc
à
corriger des lacunes, nonà
remplacerle systè:fJ.c existant. D'autre part, \Vlme de Charrière
expri~e des opinions précises sur les changements qu'elle
sou-haiterait voir se produire. Elle croit quo l'enseignement
donné aux filles devrait ~tre plus étoffé et comporter des
matières qui ne sont dispensées qu'aux garçons, telles les sciences et surtout, l'étude des langues anciennes et modernes.
Ces sugg~stions, qui s'inscrivent dans le contexte de l'époque,
restent, somme toute, assez traditionnelles. En définitive,
Hme de Charrière voudrai
t
que les femmes puissent acquérirrles connaissances qui leur permettent de développer
leurs facultés intellectuelles: le raisonnement, l'analyse et
le jugement. Selon elle, le rôle qui incombe aux femmes dans
la société exige qu'elles y soient mieux préparées.
-Pour le critique moderne, la tentative d'Isabelle de
Charrière en matière d'éducation peut sembler modeste.
Cepen-dant, le but de la romancière n'était pas de réformer le
sys-tème d'éducation. SIle voulait plutôt aider les gens à prendre
conscience des lacunes de ce système et leur proposer des
moyens pour y suppléer. l sabell e de Charri ère n'a jamai s
prétendu écrire de traité sur l'éducation; elle détestait trop le ton dogmatique et moralisateur de ces ouvrages pour vouloir les imiter. Le roman lui semble un moyen plus simple pour exprimer sa pensée et atteindre le public. On trouve, en
4
effet, dans les romans de 1'1me de Charrière, un intérêt marqué
pour tout ce qui a trait à la pédagogie ou à l'éducation. Quand
on considère toute la richesse de sa réflexion sur ce sujet, on ne saurait reprocher à l'auteur d'avoir choisi cette voie.
~/lais si on reconnaî t à Hme de Charrière une âme de pédagogue, ce n'est pas là seulement qU'il faut chercher son
originalité. En posant un regard lucide sur la société de son
temps, elle y reche~che la vérité. La réalité seule l'intéresse.
C'est pourquoi, dans ses romans, elle choisit, comme le dit si
bien ~1ichel Gilot, de "laisser aux êtres courir leurs chances
l
et leurs risques" , plutôt que de les conduire d'une main
impitoyable. C'est peut-être dans cette constante recherche
de la vérité de l'être que réside son originalité. Telle est
l
tU ch el Gilot, "1 sabelle de Charrière. L' écri ture et la vie."
_~,---~.=.=._='"
__
=_="_~_.~. ~~F
_ _ _ _ _ _ _ _5
(
d'ailleurs l'opinion de Charly Guyot, qui dit trovver cette
originali té "dans la vérité du sentiment et dans la parfai te
(
2
adéquation de l'expression
à
l'idée."
C'est aussi ce qui
explique, selon lui, que ses romans se lisent encore de nos
jours avec intérêt.
En effet, rien n'importe plus que l'authenticité aux
yeux de Mme de Charrière. Dans sa vie comme dans son oeuvre,
elle ne recherche que la sincérité, le fond de vérité qui
motive le geste ou fait naître le sentiment. Roland Mortier,
dans son analyse de la correspondance entre Isabelle de Charrière
et Benjamin Constant, constate aussi:
"Une large part est fai te
à
l'analyse morale,
à
la
recherche de soi,
à
la
d~finitiondu partenaire,
à
la
formation du caractère.
Il)Il n'est donc pas étonnant que les personnages de ses
romans soient inévitablement attirés par cette quête de soi.
C'est dans Mistriss Hen1ey que nous trouvons l'exemple le
plus systématique de cette démarche, mais il est d'autres
cas où les femmes poussent la réflexion assez loin: par
exemple, Marianne de la Prise, dans les Lettres neuchâteloises,
consacre une partie de son temps
à
l'analyse de ses sentiments;
la mère de Cécile, dans les Lettres écrites de Lausanne,
réflé-chit sur le sort de sa fille et essaye en même temps de
2
Charly Guyot, "Madame de Charrière. La Hollande et la culture
françai se." Actuali té d' l sabelle de Charrière, Do cumentatieblad,
Nr.
27, 28, 29
Juni
1975
eWerkgroep
18
Eeuw) p.
26
3
Roland Mortier, "Isabelle de Charrière, mentor de Benjamin
Constant." Documentatieblad, Nr.
27, 28, 29
Juni
1975
(Werkgroep
18
Eeuw) p. 113
4'._
l'encourager dans sa prise de conscience. Dans Trois Femmes,
SIYlilie fai t le même effort sur le conseil de Constance. Toutes
ces fe."mes éprouvent le besoir de mieux se connaître pour
pou-voir accepter les circonstances particulières de leur vie. Tl
est évident que :::1e de ;harrlère ne conçol t pas d'éducation
sans cette connaissance pri~ordiale, qUl doit contribuer
a
la formation du caractère. Tout le reste sera sans valeur Gi cette formation fait défaut.
4
"l:ul hon'lme ne peut réunir tous les talents" , dira Sir
1.Valter à son fils. "ais comment ch::isir si l'on ne connait
pas ses aptitudes, si l'on n'a jamais pris le temps d'analyser ses goûts et ses inclinations? ':ttle de Charrière insiste
toujours beaucoup sur ce point lorsqu'elle parle d'éducation, parce que "des plans incertains, un caractère vaGue, une vie
5
morcelée, ne satisfont ni soi ni le monde." Cn retrouve
bien là le fond de sa pensée: la for)(lation du caractère peu t conduire à la satisfaction de soi et à un certain équilibre dans la vie. Ses conseils ne s'éloignent jwnais de cette exigence.
L'auteur accorde donc beaucoup d'attention à
l'effort personnel. L'éducateur doit favoriser le
développe-ment des facultés intellectuelles sans imposer sa vision des
4
Sir l'/alter Fïnch et son fils :Jilliam, ('.S. IX, p. 562
5
.".3
- - -...
~~=====::::z::::====--
___ _
(
7
choses. Une dOMinatlon ~orale trop forte retarde l'avancement
de la pensêe et entrave la llbre expression de la personnalité.
r; 1 est d'ailleurs ce flue ~j r ':Jal ter l.J.nch expli que
à
son fils,après lui aVOlr racontf sa propre expérience:
"Vous pouvez penser autre,"cnt sans que je sonE.Se à vous
blâ~er ••• mon 5~e ne doit pas se mettre à la plage de la vôtre, ni prétendre vous servir de fla!:lbeau."
~illiam aura donc
à
réfléchir età
trouver sa proprevoie, mais il pourra le faire librement et à l'abri d'une
influence paternelle envahissante. Avant d'en arriver là
cependant, il devra se plier à la discipline des études. Le
lati.n, par exemple, représente pour ;;me ae ':::harrière un ex-cellent moyen d'acquérir une meilleure connaissance du fran-çais, d'améliorer la formulation des ldées et d'en faClli ter
l'expression. Toutefois, cette connaissance du latin ne doit
pas être une source d'orgueil. Dans les Lettres écrites de
l ausanne, la mère de Cécile
à
qui l'on a fait cette remarque,répond simplement: "Ce que l'on apprend jeune ne nous paroît
pas plus étrange, pas plus beau
à
savoir, que respirer et7
marcher."rn voit par ce commentaire que ce qui importe aux yeux de ;;me de Charrière, ce n'est pas tellement la connaissance acquise, mais plutôt la discipline intellectuelle qui est
6
~., p.
563
7Lettres écrites de Lausanne, Q.C. VIII, p.
154
1
J
t
-ainsi inculquée à l'enfant, et qui lui sera bénéfique tout
au long de sa vie. L'essentiel se rapporte au progr~G
personnel et
à
l'effort acco~pli. Cette idée sera repriGedans ln .:uj.LO des l'ïnch, lorsque \:Jilliar.1 dira
à
son ami,l ' érudi t ;jir :iarry:
"lT' esti.:1e plus que vous ne croyez vo tre sei once, non pas tant pour olle-mêl.!e qu'à cause de la force
d'intention ~ deBPerseverance qu'il faut avoir eue
pour l' 0 btenir. "
Jir Jarry a su ~ettre
à
profit los études qu'il afaites, et c'est ce que lui reconnait ;~r.1e de Charri~re.
D'autre part, l'auteur considère aussi que la connaissance
des langues étrangères représente un atout. Il est vrai que
dans l'Surope cosmopolite du XVIIIe Giècle, l'étude des langues était parfois une nécessité, en tout cas presque
toujours un avantaGe. J,a jeune fille qui voulait être dar.1e
de compagnie dans une grande maison, ou le jeune homme qui souhaitait devenir secrétaire d'un prince,devaient souvent
s'expatrler pour obtenir ces postes. La connaissance de la
langue du pays pouvait sans aucun doute influencer le choix
du candidat. A cela s'ajoute une autre considération très
importante: l'ouverture sur le monde que peut apport0r la
connaissance de langues étrangères. Pour l'auteur des
Lettres écrites de Lausanne, langues vivantes et langues
anciennes contribuent également
à
l'élargissement des8
Suite des Finch, C.C. IX, p.
585
(
(
f
it
horizons intellectuels:"~uand on ne sai t de langue vivante que la sienne,
on est trop de son pays; quand on ne sait q..te
9des
lD.ncues vivantes, on est trop de son temps."
Par cet te ré fleY..lon qUl dér:lOn tre son co smopoli tisme, Tsabolle de ~harrlère rejoint les grands penseurs de son époque. rJo,r;me l'a ref.larqué Alix De,çuise: "i:me de Charrière
9
était, elle, cosr.1opolite par cholx, par vocation, par goût •••
10
c'était un des aspects de la tolérance, si vivace chez elle."
~ependant, si l'on reconnaît ici l'influence de Voltaire, on remarque aussi que la romanci ère ne partage pas tou jours les idées àos philosophes. 1;0 tamment en ce qui a trait
à
l' éduca-tian, elle s'inscrit en faux contre Ro~sseau qui préconIse de retarder' le plu s po ssi ble Ir enseignernen t donné aux enfants: "J'al ensel gnéà
lire età
écrireà
ma fille dès qu'elle a suIl
rCtflUCr les dolsts ••• " déclare la mère de Cécile dans les Let tres écri tes de Lausanne. ('n sai t que
:;me
de Charrière ai::lai L beau coup Rousseau, mais cela ne l'er.lpêche pas de le crj tjquor et d'exprimer des réserves quant aux opinions du philosophe.Dans Trois Femmes, la romancière aborde un aspect
9 Sir '.':alter Finch et son fils William, C.C. IX, p. 548 10
Alix Dee;uise, Trois Femmes. Le monde de r.Iadame de Charri~re.
Genève: Editions Slatkine, 1981, p. 130
-beaucoup plus délicat de l'éducation, celui qui concerne l t ensej t;nernent de la morale et de la reli~ion. Le pro~:rœ;llr:e
d'éducatlon instauré par ':'héobald se llr.ü tera, dl t r,onstance,
à
"fournir auelques ali.ilensà
lapensée etCà] la t~uider plus. - 12
10
ou rJoins dans son essor ••• " Les petits villaGcols a'Altenc.1orf auront droit à un enseiGnement pratique, ~alS il ne scra pas question, préci se-t-elle, d' Y " ••• ensel gner une nouvelle
13
morale indépendante de la relirion." ?.Ldèle
à
ses exip;ences concernant la for;:léJ.tion des espri ts, ·:~!1e de ~harrière souliGne lci que le raIe de l'éducateur n'est pas d'endoctriner mais d'éclairer. =n ~atière d'enseignement religieux, la romancière reste très prudente. SIle souhaite seulement voir fleurir une plus grande tolérance. Le fait que Jan Praal, le jeune ma!tre qu'a trouvé Théobald pour enseigner aux enfants, soit un athêe, fourni tà
:"!ile de r:harrière l'occasion de dénoncer l'intolérance religieuse: "Les parens croiront leurs enfans souillés; pervertis, damnés, pour avoir appris d'un homme sans reli[ion que deux et14
deux font quatre."
Si ~;me de Charrière n'a pas voulu parler davantage de la relibion, on peut comprendre que cela vient du fait qu'elle éprouve personnellement le besoin de garder tou te son indépendance 12
13
14
Trols Femmes, Q.C. IX, p. 102
1
.
1 i·
t
et sa liberté de penser sur un sujet aussi brnlant. Mme de~harri~re ne veut certes pas imposer aux autres ce qu'elle
refuse pour elle-même. C'est d'ailleurs dans cette exigence d' une liberté totale de penser que Pierre Dubois reconna!t
15
" ••• la base de sa morale et tout au fond sa morale m~me. Il
Sur le plan religieux, C.P. Courtney constaùe que la pensée de rime de Charri~re se rapproche de celle de Vol taire:
" ••• using the deistic argument from design, rejecting bath
16
atheism and revelation, and supporting toleration." Du point de vue des idées,
M.
Courtney a certainement raison, mais l' at ti tude de lIme de Charri~re semble bien di fférente de celle de Vol taire. Ne di t-elle pas en effet: " ••• je vis dans une incertitude qui ne diff~re de l'incrédulité formelle17
qu'en ce qu'elle est plus humble et qu'elle peut finir. Il
On distingue ici une note d'espoir, et ceux qui ont cru voir chez elle un scepticisme absolu se sont sQrement trompés. Dennis '''Jood, pour sa part, souligne que l'attitude passive du scepti que n'a ri en de commun avec la personnali té de Hme
Il
de Charri ~re: "... the stat e 0 f mind 0 f the scepti c ••• was inilTIl.cal ta Isabelle de Charrière, who was passionate, energetic
18
and de ci si ve. " Il en va de même pour Sigyn Hinier-Birk, qui
15
16
17
18
Pierre H. Dubois, "Entre Charybde et Scylla. Isabelle de Charrière
et
sa morale." Lettre de Zuylen, Oct.1983,
p.3
C.P. Courtney, "Belle van Zuylen and the Enlightenment". Documentatieblad, op. ci
t.,
p.171
I,ettre au baron Van Pallandt du
27
mars1765,
citée par Dennis ','food dans l'introductionà
Honorine d'Userche, r'.C. IX, p.173
Dennis ~'.'ood, "Isabelle de Charrière, Benjamin Constant and the Novel". Lettre de Zuylen, Oct. lY80, p.
6
.
,~.
'ne croit pas non plus à ce prétendu scepticisme: "Par cotte
valeur supr~me qu'elle attribue ~ l'expérience, ••• olle
19
dément toute accusation de scepticisrne absolu."12
JI est vrai que "ete de r~harrièro ne s'est pas oxpliquée
sur ses convictions religieuses dans son oeuvre rOlnaneG'lue. )ur ce point, elle est restée très discrète. Il n'y a que dans son roman Honorine d'Userche, qu'elle se prononce contre
l'athéisr.le. "ais encore faut-il distinGuer entre la cause
et l'effet. L'écrivain ne conteste pas ici la liberté de penser, mais plut5t la proclamation inconsidérée do cette pensée et les conséquences flcheuses qu'elle peut avoir sur
les autres. quoi qu'il en soit, ;llrle de Charrière n'a jall1ais
.' cessé de s'intéresser aux valeurs morales auxquelles ello
croyait. Dans ses romans, elle sait mettre en scène des
personnages èünt les pensées et les actions sont susceptibles de suggérer au lecteur une manière de vivre plus satisfalsante ou plus utile. Son but r.'est pas de prêcher la vertu nl de
moraliser. La romancière tente de reproduire les événements
de la vie, tout en mettant en lumière l'enchatnement des causes et des effets, mais elle nous laisse le soin de tirer nos propres conclusions.
19
Sigyn C. ;:inier-Birk, L'oeuvre romanesque de :iadame de Charrière: réflexion systématique et création dans les
Let tres neuch~t eloises. ::i stri ss Henley. et les Let tres
ècrJ. tes de Lausanne. 'rh?!se, Uni versi tè du Connecti cu t t,
1977,
p.72
Cet appel
à
la liberté du lecteur correspond en fai tà
une mani~re d'être. Si Mme de Charri~re aime provoquer laréflexion, c'est qu'elle a appris toute jeune
à
interrogerles textes, puis
à
réfléchir avant de se former une opinion.Comme le souligne Charly Guyot, l'influence du classicisme l'a fortement marquée: "La clarté, la fermeté, la rigueur même de la raison classique correspondent aux exigences de
20
sa propre raison." Ce que l'auteur voudrait transmettre
aux jeunes et surtout aux femmes, c'est son goût pour les
lectures sérieuses. De plus, la romanci~re souhai te que les
jeunes filles apprennent
à
développer un sens critique enapprofondissant les textes qu'elles lisent afin d'en retirer
13
le plus de profit possible. Mme de Charri~re dénonce donc les
lectures frivoles qui n'apprennent rien et n'ont souvent rien
à
voiravec la réali té. Elle ira même jusqu'à dire qu'il est
pré-férable de ne rien lire du tou t que de lire des ouvrages de ce genre.
Dar.s Sainte Anne, l'héro:i!ne ne sait pas lire. Mlle d'Estival a cependant d'autres qualités qui compensent cette
lacune. "Je ni aime pas les aventures romanesques mais bien
21
les gens un peu merveilleux" dit Mme de Charri~re au sujet
de son personnage. En écrivant ce roman, l'auteur a voulu
20
21
Charly Guyot, "Madame de Charrière. La Hollande et la
culture française." op. cit., p.
25
Lettre
à
Caroline de Sandoz-Rollin du 18 octobre 1797,ci tée par Dennis Wood dans 1 f introduction
à
Sainte Anne,-
démontrer qu'elle attachait autant d'importance à la qualité14
des lectures qu'à la lecture même. Ayant toujours insisté,
dans son oeuvre, sur les mérites de l'étude et de la lecture,
la romancière a un peu hésité
à
mettre en scène une femme quine savait pas lire. Craignant d'être allée trop loin, elle a
eu un peu peur de la réaction du public
à
la parution de Sainte~. Peut-être n'avait-elle pas entièrement tort de penser
qu'on ne la comprendrait pas, puisque son propre neveu s'est
22
montré choqué par cet ouvrage.
Quoi qu'il en soit, l sabelle de Charrière reste persuadée qu'une bonne éducation "devance l'expérience et peut en tenir
23
lieu. C'est d'ailleurs ce qu'elle a tenté de prouver dans
ses romans. La préparation
à
l'école de la vie ne sauraitêtre trop soignée. Le savoir ouvre une porte sur le monde,
donne le moyen de s'élever au-dessus des considérations
oiseuses et de survivre parfois
à
des si tuations désastreuses.Henriette et Richard ne vivent-ils pas les effets néfastes de
la Révolution? S'ils parviennent
à
traverser les temps troublésde la Terreur, c'est parce qu'ils savent occuper leur esprit. Comme le souligne Patrice Thompson: "Ce qui sert de cohésion
22
23
Lettre
à
Caroline de Sandoz-Rollin du 24 juillet1799,
citée par Dennis Wood, G.C. IX, pp.
258-259:
"Vous ai-jedi t combien le systême developpé dans ste Anne & qui redui t
à
rien l'avantage de savoir lireà
la façon des jeunes gensle choque et le tarabuste?"
{
t
pour ces 3tres qui se croient l la dérive, c'est la culture24
de SOl créant un art de vivre."
c.~' est on c ffe t à un art de vivre que condui t l'idéal do sav(nr proposé par "[{le de Charrière. 8lle laisse
à
chacun le soin de déterLüner, selon les circonstances, ce qui convient le Mieux à ses aspirations. Une éducation fondée sur des valeurs tr1orales, une C1eilleure connaissance de soi et un goo. t marqué pour le savoir devraient, selon l'auteur, contribuerà l'enrichissement de la vie. Chacun doit tendre vers la per fection. S'est du moins ce que recherche Constance dans '['rois Ferames:
"1'rouvant facheux, pénible et souverainement inutile, d'exiger la perfection tout haut et ostensibler.lent, je l'aL;'le et la dé~~re, et pour tout dire, je l'exige au dedans de moi."
:::ette perfection, ;Ime de Charrière l'exigeait peut-3tre pour elle-m~me mais elle ne l'exigeait pas pour les autres. :·ale connaissai t trop bien la nature humaine pour se montrer aussi intransigeante. Sn réalité, ce qu'elle propose est beaucoup plus simple et plus accessible
à
tous: c'est que chacun tente, avec les connaissances acquises, d'améliorer son sort.24
Patrice 'l'hoLlpson, "Education et société dans Henriette et Richard". Lettre de Zuylen, rIo.
3,
Septembre1978,
p.4
25
Troi s l"el,:mes, p. 124--
II L' l DEAL DE BONHEURAu XVIIIe siècle, la femme ne peut réaliser son deotin en dehors du mari age. Forcée de se marier, elle devra souvent accepter un arrangement opposé l ses aspirations dans le seul espoir d'y trouver une plus grande liberté. L'amour entre rarement en ligne de compte dans ces ententes conclues par les parents, et ce genre d'unions se révèlent souvent désas-treuses.
;Ime de Charrière n'approuvai t pas ces mariages qui liaient des ~tres parfois incompati bles et les condamnaient
à
une vie malheureuse. Comme toutes les femmes de son ... époque cependant, elle a dn accepter cet état de choses.Cette femme éprise de liberté, qui aurait sans doute préféré ne pas avoir
à
se marier, s'est vue contrainte, elle aussi, de se conformer aux exigences de la société.. Comme le souligne Roland ;'1ortier:"... cet être fou d'indépendance et en perpétu elle
opposi tion
à
son milieu finira un jour par céder l la l pression de la société et par se plier aux contingences." Il est facile d'imaginer ce que cet te obligationpouvait exiger de renoncement de la part d'une femme telle que Belle de Zuylen. Son choix se porta sur un homme bon, aimable et doux; la liberté d'écrire,
l
laquelle elle tenaitl
Roland qortier, ulsabelle de Charrière, mentor de Benjamin Constant".. Documentatieblad, op. cit. p. 113
l' 1
l
'. ,i ".
r
(
tant, lui était assurée, r:.ais le bonheur espéré ne se réalisapas. ':eci explique, en partie, les doutes exprimé s par Hme de r;rlD.rrière sur le bonheur conJugal. On remarque, en offet, qu' 1 l Y D. peu de .. 1ariages heureux dans ses rOJ!lans, et que sos cO'II:.entalres sur le sujet sont souvent teintés de pessL:ïisltle. 'ii.r :.al tcr, par exe!".iple, conseille
à
son fils d'épouser la feume dont il sera assez amoureux pour la croire sans défau t :" ••• ri en de plus rai sonnable que cette foli e, car l'illusion 2 pourra vous rendre heureux, du moins pendant un teraps ••• "
~ir Jalter, comme on le sait, est un homme un peu désabusé, ne croyant pas au mariage et pour qui l'amour même reste une jllusion. Il précise tout de même sa pensée en disant:
" ••• si une femme vous aime, que ce soit elle que vous épousiez. Ses défauts se cacheront; ils disparaîtront pour un temps ou pour toujours. C' est la qualité
di sU nctive œs femmes. L'amour les soumet. Il)
17
I~otte dernière remarque, on le sent, reflète davantage lu pensée de :':~le de Charrière que celle de Sir Jal ter. ;:alGré un Gcepticisme apparent
à
l' éeard du maria;e, on devine chez la romancière une foi certaine en l'amour et en son pouvoir. :SIle souligne en effet que l'emprise de l'amour peut parfois filodi-fler le comportement d'une femme; l'homme, au contraire, n'est pas toujours prêt à céderà
ce pouvoir: " ••• un homme sub;iugué4
en rougi t. Sans cesse i l secoue sa chaîne, et elle se rompt enfin. Il
2
3
4::;ir \.~al ter Finch et son fils \'Jilliam, p.
557
18
Comme nous pouvons le constater, "r.1e de Charrière no ni e pas qu'un hOr1me soi t capable d' ai!Yler; elle observe seule!:H:mt qu'il n'accepte pas aussi facilo:.lent qu'une fe:.1::10 la GU,iétlon
de l'a~our. JI y a dans cette réaction masculine, souvent
inco~:lpréhensible pour la fer:Œ.le, une cause possible de conflit.
Il arrive parfois que dans un couple, deux conceptions diff6rentos de l'amour s'affrontent, sans que leG époux en soient conscjollls.
~'est cette différence profonde que l'auteur cherche
a
mettre en évidence.Dans le contexte de l'époque, le scepticisme de ::me de
Gharri~re
A
l'égard du mariage n'a pourtant rien de surprenant, ,.. puisque les mariages l'laI assortis étaient fort nombreux. JI nefai t aucun doute cependant que la rOl.lancière ait été narquée par son expérience personnelle et par la désillusion qu'elle a connue. Le fai t qu' uno fel.lme aussi brillante ai t choi si de s'enterrer dans un petit village de Suisse, a longtemps intrigué les cri tiques, notamment Sil!lone de Beauvoir qui déclare:
"'Lue ses hau tes et rares quali tés n'aient pas suffi
à
la sauver est une des plus éclatantes COndaltlflations de l ' insti tu tion conjugale qui se rencontre dansl'histoire.".')
:")elon Simone de 3eauvoir, c'est le mariage qui a tué le dynar:üsme au coeur de Belle de Zuylen. Il y a certaincl.'1ent
une ~rande part de vérité dans cette appréciatIon. Une femme
5
Simone de Beauvoir, Le Deuxi~me Sexe. Paris: Folio, Editions Gallimard, Tome II,
1949,
réimprimé en1986,
p.319
(
(~
19
éJ.U3si sen:3i ble que l'étai t "me de Charri~re ne pouvai t sans doute pas traverser une telle épreuve sans en ~tre profondéMent éJffect(;o. ':ependant, i l Ge:t1ble difficile aUjourd'hui d'accepter le portrnlt plutet sinistre d'Isabelle de Charrière que
nous trouvons dans Le Douxiè'îe Sexe. Depuis la publication d03 (- ouvres r~o::lplèt~, l ' ouvra6e de Geo ffrey Scot t, Le Portrai t de ~élide, qui a servi de source
à
i;rne de Beauvoir, s'il conserve tauLe sa valeur littéraire, n'offre plus le m~rne intér~t du point de vue de l'authenticité. L'image que nous a laissée Geoffrey :Jcott d'une fe:-nme aigrie, dure, fermée sur elle-même, presque une J:lOrte vi vante n'a plus aucun sens. La correspondance demû de Charri~re prouve :.m contraire combien cette femme est restée active jusqu'à la fin de sa vie. De sa retrai te, ell'; enLretenai t une volumineuse correspondance avec de très hautes perGonnalltés dans toute l'~urope. ~lle s'intéressait
à
lapoli Lique el suivaj.t de près tous les événements. Sa production Jittéraire n'a guère diminué durant les dernières années de sa vie et leG oeuvres les plus originales, Trois Femmes. Honorine d'Userche et Sir I.Valter Finch et son fils ':!illiam, ont été écrites quelques années seulement avant sa mort.
11 va sans dire que :lme de Charrière a connu une grande déception dans sa vie personnelle. I:ai s ce qu'il y a de plus remarquable chez elle, c'est qu'elle ait réussi malgré cela
à
se consacrer entièrement
à
son oeuvre avec une telle ardeur.1
jl
t
'!j
En dé fini ti ve, on serai t plu tôt porté
à
croire que c'est sonart qui l'a sauvée. Quoi qu'il en soit, le bonheur conjugal
reste pour elle un sujet délicat, qui la touche de pr~s. Elle
en parlé dans un seul roman, Nistriss Henley, avec beaucoup de finesse et de lucidi té.
Histriss Henley représen1e une des oeuvres les plus poignantes de Nme de Charrière sur la vie intime des femmes
au XVIIIe si~cle. La profondeur de l'analyse rév~le le souci
de l'auteur de rendre avec justesse et sans éclat, le drame bouleversant que vivent certaines femmes, sous le couvert d'un soi-di san t bonheur con jugal, surtout lorsque l'amour n'est pas
au rendez-vous. D'ailleurs, f1istriss Henley explique, d~s le
débu t du roman, comment elle a choisi d'épouser N. Henley, plutôt qu'un autre prétendant beaucoup plus riche:
"e'
étoi t pour ainsi dire, la parti e vile de mon coeur 20qui préféroi t les richesses de l'Orient, Londres, une
liberté plus entière, une opulence ~lus brillante; la
partie noble dédaignoi t tout cela, et se pénétroit des
douceurs d'une félicité toute raisonnable, to~te sublime,
et telle que les anges devoient y applaudir."
Comme on peut le constater, la raison a plus de poids
que le sentiment dans la décision de Histriss Henley. Son
choix ne repose pas sur l'amour, mais sur un idéal. Toute
autre option d'ailleurs, lui aurait paru indigne:
6
7
" ••• mais me donner moi-même de mon choix, contre des diamants, des perles, des tapi s ••• , je ne pQ.uvois m' y
résoudre, & je promis ma main
à
H. Henley."'t1istriss Henley, O.C. VIII, p. 103
,-'
,~
..
r;onfiante en l'avenir, ';istriss Henley se rend compte très vi te après son mariage, que son tempérament vif et impulsif s'3ccorde mal au fleGffle de son !':lari. C'est à la suite d'une série de petl ts j ncidents fâcheux qu'elle découvre que le ualai se pourraj_ t bi en avoir une cause plus pro fonde qu'un siwplc ~alDntGndu. ~n faisant le bilan de ses erreurs l son
<:l.l,ll e, elle répète sans cesse la même phrase: "Ai -j e eu tort? ".
A 1118SUrC qu'elle revi t cet te hi stoire pour le compte de sa
confidente, le drar.1e senble s'accentuer et les plaintes qu'elle laiose échapper témoisnent de son désarroi: "Je suis malheureuse, Je m'ennuie; je n'ai point apporté de bonheur ici, je n'en ai
8
point trouvé ••• " Poursui vant son instrospection, elle en vient
à
se blâmer entièrement pour une si tuation qU'elle n'arrive pas à expliquer:" ••• je suis d'autant plus malheureuse qu'il n'y a rien à quoi je puisse m'en prendre, que je n'ai aucun chan-cer.len t à def.1ander, aucun reproche
à
faite, que je me blame ~ me r'lépri se d'être malheureuse. ,,';1';on analyse la conduit bientôt
à
une certaine amertul-:1e. >:lle admire la sagesse modérée de son mari, mais déclare avec perspi caci té:8
9 10
" •• • les gens qui passent pour raisonnables font-ils
autre chose le plus souvent qu'opposer gravement leurs préjugés & leurs goû~s
à
des préjue;és &à
des goûts plus vi vemen t exprif.lé s?" 10':istriss T[enley, p. 107
-22
Au fond, ce qu'elle ne comprend pas, c'est que H. Henley
ait sa propre conception d'une épouse parfaite. Christabel
Braunrot souligne en effet: " ••• she can be an acceptable wi fe
I l
only by playing a passive role ••• " Mai s la passi vi té n'est
pas la qualité dominante de Mistriss Henley. L'autorité
exercée par son mari, sans aucun égard
à
son endroit, lui
devient bientôt odieuse.
Elle réalise enfin toute la distance
qui la sépare de son mari, et découvre la profonde
incompati-bilité qui existe entre eux. Mistriss Henley s'effondre
à
la
constatation de cet échec.
Le roman se termine sur une note
dramatique:
"Dans un an, dans deux, vous apprendrez, je
l'espère que je süis raisonnable et heureuse, ou que je ne
12
suis plus."
Par cette analyse psychologique, Mme de Charrière a
tenté de démontrer toute la complexité des rapports humains.
L'histoire de Mistriss Henley représente un cas extrême, une
situation en apparence sans issue. L'introspection
3
laquelle
s'est livrée cette femme lui a révélé une autre vérité sur
elle-même.
Ala limite de sa recherche, qu'elle ne saurait
poursuivre sans se faire
enCOI~plus de mal, elle s'aperçoit
que le bonheur conjugal reste pour elleune question aléatoire.
Il y a aussi un autre facteur important que l'auteur a voulu
I l
12
Christabel P. Braunrot, f.1adame de Charrière and the
Eighteenth-Century Novel: Experiments in epistolary techniques. Thèse,
Yale University,
1973,
p. 82
(
(
(
23
'r.ettre en évidence dans ce rO:ilan, c'est la solitude, ::istriss
{enley dlt en effet: " ••• je suis .3eu1e, personne ne sent avec
13
.
"
1.10l • • • 'nis cette soli tude norale, si lourde
à
porter,lorsqu'elle est vécue dans la dépendance, crée une situation paradoxale encore plus insupportable. Selon Sigyn
;:inier-;)irk: ,,~) r. être ne peut se trouver dans les deux si tuations
14
..
la fois en éprouver la con tradi c tion. " ..f.1e de
a sans
r:;harrl~re en était certainement très consciente et la
correspondante de 'isttiss Henley, merne si elle reste silen-cieuse dans le rO[.1an, joue le rôle que devrait tenir une personne plus proche de l'héro~ne.
rn a remarqué qu'il n'étai t ,çuère question d'amour dans le roman de :'istriss Henley. Il ne faudrai t pas en conclure que '::~e de Charrière ne croyai t pas
à
l'amour. )üen au contraire. Ce thème est présent dans la plupart deses rO~ilans. l'auteur connaJ..ssai t trop bien l'influence
déter.ninante de l'amour sur le destin pour ne pas vouloir en explorer tous les aspects.
Dans les Lettres écri tes de Lausanne, la romancière réunIt en un seul roman deux histoires d'aôour très diffé-rentes l'une de l'autre, trlais qui se complètent d'une certaine
13
14
Mistriss. Henley, p. 107
---_._---_.
24
_ mani~re. La vie de Cécile, une jeune fille qui s'éveille
à
l'amour, est suivie de celle, plus tragique,de Calisle, femme du monde instrui te et cul ti vée qui connat t un amour passionné
-et malheureux. Sos deux femmes, pourtant tr~s élolenéCS l'une de l'autre, ont ceci de commun: elles aiment le même type d'holTIl.1e. 1~n effel, le jeune Anglais dont rêve Cécile souffre de la même indécision que ~Villiam. '~douard hési te
à
se déclarer et le roman se termine sans que nous sachions quel sera le sort de Cécile. Dans le cas de V/illiam, l'in-décision a des conséquences encore plus graves car elle sera la cause du malheur de plusieurs personnes et entra!nera la mort de Caliste. La transposition du premier volet des Lettres écrites de Lausanne sur un autre plan dans Caliste, permetà
l'auteur de faire un parallèle entre les deuxhistoires. Pour Jean starobinski, Cali ste est "la version
15
drar:!atisée de Cécile."
"Pour qui sait aimer, c'est la seule occllpation, la
16
seule distraction, le seul plaisir de la vie ••• " di t la m~re
de Cécile. Cette femme de tête, véritable éducatrice et
amie de sa fille, comprend tous les tourments qui assaillent le coeur de la jeune fille. ~lle sait que Cécile supporte les distractions, 1~1aiS qu'elle n'a aucun intérêt pour les Jeunes gens qui tournent autoul d'elle. C'est le jeune lord anGlais
15
16
Jean S tarobinski, "Les 'Lettres écri tes de Lausanne' de r:adamc de Charrière: inhibition psychique et interdit social". Dans Roman et lumières au XVIIIe si~cle. Paris: Editions Sociales,
1970,
p.133
(~
(
qui occupe tou tes ses pensées. Avec toute la tendresse d'une
~.ère, celte feJ:if:1e voudrai t bien éviter à sa fille toutes les
d(~cepLi.ons et toutes les peines. ;:a:i3 comme chacun doit faire
30n nppren LiGGa[;e de la vi e et de l' a,TIour, elle ne peu t que lui offrir ses conseils. r::ro.ignant que les effets de l ' a.:1our n'ûnLraînent r;écile
à
un certain laisser-aller, elle se doit de la ,le t tre en carde contre elle-mê.ne. :-;11e l'exhorte à se conduire avec réserve et la prévient sur la condui te del ' homme en bénéral: " ••• ce qui est trop souvent la !:;rande
17
affaire de notre vic, n'est presque rien pour lui." Cécile comprend bien les explications de sa mère. ':ais devant J ~
25
sombre tableau que celle-ci lui a fait du mariage, elle se demande si l'absence de mariage serait une grande perte: "Oui Cécile:
18
vous voyez cO:-.1bien i l est doux d'être mère", lui répond sa n:ère. ';ette réponse nOUG en dit lone sur l'opinion de cette veuve.
T,' a:.lOur conjugal ne senble pas avoir beaucoup de signi fication,
puisqu'il peut êLre rer.lplacé par l'amour maternel.
La :r.aternité, source d'amour et de joie, a toujours été considérée comme une cor.lpensation appréciable pour l'épouse déçue. :lais i l reste une compensation. r:n peut se deltlander si "me de Charrière, en formulant ce point de vue, croyait vrai-ment que l'amour 1.1aternel pouvai t remplacer l'amour conjugal, ou si elle a simpler.lent suivi la tendance
à
glorifier la maternité,17
18 Lettres écrites de JJausanne,
p. 160 ~, p.
164
4 '1 r,
i J1
, , " f,
.
-26
remise
à
l' honneur par Jean-Jacques Rousseau et ampli fiée parses adeptes.19 En tout cas, l'idée d'utiliser la maternité pour
justifier 1 'u tili té du mariage a souvent été employée au
cours de l' histoire. Mme de Charrière le savai t bien. Mais il ne faut pas oublier que dans le cas présent, c'est la mère de Cécile qui parle, c'est une éducatrir.e qui a le
devoir de respecter les espoirs de sa fille. Elle essaye de
rassurer Cécile en cherchant dan.s le mariage 'un aspect posi ti f.
La maternité est ce qui lui vient le plus naturellement
à
l'esprit,parce que cela représente une forme de bonheur qu'elle connai t bien.
Dans la deuxième partie de ce roman, l'auteur nous propose un toutautre aspect de l'amour. Il s'agit cette fois d'un amour passionné, susceptible d'apporter un bonheur plus intense peut-être, mais aussi plus éphémère. On sai t que
Caliste aime William
à
la folie et voudrai t l'épouser, maiscelui-ci hésite
à
s'engager. Il ne lui dit jamais qu'ilpartage son amour. Il se cont ente de déclarer: " ••• je vous
vois, vous lU' aimez. Le présent est trop délicieux pour que
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je pui sse me tourmenter de l'avenir." Caliste devrait se
douter que William ne partage pas la passion qu'elle éprouve
pour lui. Peut-être le sait-elle tau t au fond d' elle-m~me,
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Elisabeth Badinter, L'amour en plus, Histoire de l'amour
maternel. XVIIe - XXe si~clc. Paris: Flammarion,
1980,
p.106
"Hadame d' Epinay, grande amie de Rousseau, ouvre une nouvelle
ère de l ' hiGtoire de la femme. Abandonnant la science a.ux
hommes, elle s'empare symboliquement d'un nouveau rôle laissé vacant depuis fort longtemps: celui de mère."