« ACTUALITÉS » ?
Jean-Louis MARTINAND
UMR.STEF, ENS Cachan-INRP Universud, Paris
MOTS-CLÉS : ACTUALITÉ – ACTUALITÉS SCIENTIFIQUES – MÉDIAS
RÉSUMÉ : Des intuitions et banalités à une problématique des rapports complexes entre actualités
scientifiques et techniques, école et médias, le chemin n’est pas si simple.
ABSTRACT : There is no simple way from intuitions or platitudes to an elaboration of the
problems concerning the relations between current events in sciences and technologies, and school or media.
Comme chaque année, le thème des Journées 2007 a voulu être nouveau, original, anticipateur : c’est en effet à notre sens la condition pour que les échanges entre enseignants, médiateurs, formateurs, chercheurs scientifiques, innovateurs et chercheurs en éducation ou diffusion puissent se développer sans réticence, ni hiérarchie ; tous doivent pouvoir apporter expérience et réflexion, et participer ainsi à une sorte de grand séminaire prospectif.
Un thème comme « École, culture et actualité des sciences et des techniques » n’est cependant pas « facile » : « actualité », chacun en a une idée, personnelle, attachée à son milieu et à son expérience, implicite et souvent peu communicable ? « Actualités » est alors une incitation à envisager une multiplicité d’actualités diverses selon les lieux, les milieux, les temporalités, les perspectives. C’est bien ce que nombre de présentations en séances plénières ont mis en évidence. Et cela correspond justement au contenu de l’appel à communications, où, rappelant l’idée d’actualité – ce qui apparaît « en acte » -, et tout en espérant que cela ne devrait pas être plus étonnant de parler d’actualité pour les sciences et les techniques que pour d’autres activités humaines, l’insistance était mise sur l’exigence d’explicitation : qu’est-ce qui fait « événement » lorsqu’il s’agit de sciences et de techniques ? pourquoi, pour qui, et par qui, y a-t-il émergence, évidence puis obsolescence de faits d’actualité ? quels en sont les modalités, les enjeux, les empreintes personnelles et sociales ?
La problématique des Journées appelait donc à aller au-delà des intuitions, en attirant l’attention sur la diversité des actualités scientifiques et techniques, selon la pluralité des points de vue possibles : recherche et découverte, invention et innovation, politique et économie, culture et école…
En effet, école et culture se nourrissent parallèlement mais différemment des faits d’actualité. Pour des raisons constitutives des cultures scientifiques et techniques, ce qui pose la question des capacités d’appréhension, de critique et d’usage. Pour des raisons moins apparentes mais finalement pressantes s’agissant de l’éducation et des formations scientifiques et technologiques. En retour, et à plus long terme, enseignements scolaires et médiations culturelles contribuent à la construction et à la signification des faits d’actualité.
Dès lors, comment enseignants et médiateurs accueillent-ils et travaillent-ils dans et avec l’actualité ? Sur quel fonds scolaires et culturels les actualités viennent-elles s’inscrire, se fondre, disparaître ? Comment les « questions vives » morales, sociales et environnementales, du présent et du futur, sont-elles traitées ? Comment les « modes », les « lieux communs », les pressions
promotionnelles », qui affectent aussi les sciences et les techniques, sont-ils à la fois pris au sérieux et mis à distance ?
Comment et jusqu’où cette problématique a-t-elle été prise en compte ? L’impression de nombreux participants a été que l’« immersion » dans le thème, celui « des » actualités a été plus dense et plus continue, grâce au renvoi de toutes les communications hors thème en posters, grâce aussi aux plénières plus consistantes et contrastées, aux ateliers plus exigeants et plus productifs, à Slalom enfin qui renforce et précise les souvenirs par la lecture du matin de textes « à chaud ». Et beaucoup ont relevé avec satisfaction les bons équilibres entre les places faites aux médias et à l’école, aux expériences et aux recherches – en particulier celles que nous souhaitions mettre en avant sur les questions scientifiques et techniques « socialement vives » -, à l’expression de points de vue divers et à la prise en compte des contextes nationaux différents.
Sur le fond, au-delà des apports et des échanges, nous avons tous ressenti quelques difficultés à passer à un questionnement multiple, élaboré, précis et fécond pour la recherche ou pour l’intervention. Transgresser les banalités à la mode, qui permettent tous les implicites, les faux-semblants et les détournements, n’est pas immédiat.
J’avais personnellement pu appréhender sur le vif ces difficultés, ou même ces obstacles avec le séminaire du Centre d’Alembert d’Orsay, consacré cette année au thème Patrimoines et actualités, et pendant lequel la plupart des intervenants, responsables de musées, magazines, émissions, services…, soit ont déclaré forfait, soit n’ont pas pu vraiment répondre à des questions comme : en quoi êtes-vous producteur d’actualité ? qu’est-ce qui fait à un moment donné, et pour quel public, que des instruments scientifiques sont transformés en « patrimoine » ? L’argument « nous ne sommes pas des théoriciens » reste un peu court ; il ne décharge pas en tout cas de la responsabilité des choix et de leurs conséquences… Ce qui est clair, c’est que certains ont beaucoup de mal à sortir du point de vue dominant, autocentré, et pas très critique, des chercheurs sur « ce qui est d’actualité ».
La mutation effectuée en profondeur ces dernières années par les responsables du magazine La
Recherche est pourtant un objet de réflexion très pertinent. Luc Allemand, rédacteur en chef adjoint
en a commenté les grandes lignes au séminaire Patrimoines et actualités du Centre d’Alembert d’Orsay. Le sommaire mensuel lui-même est très éclairant pour les lecteurs, comme reflet du nouveau dispositif rédactionnel, matérialisé par des mises en pages aux formats standardisés. L’organisation du contenu montre bien que le sous-titre « l’actualité des sciences » n’est en tout cas pas usurpé, pour la première fois sans doute en langue française.
La première partie, « actualité de la recherche », présente neuf rubriques, des « astres » aux « mathématiques », pilotées par des scientifiques « rabatteurs » de nouvelles et événements, et traitées des journalistes. Les deux ou trois pages par rubriques contiennent un ou deux textes de trois colonnes, un entretien d’une colonne, des « brèves » de signalement (livres, agenda, web…). Il s’écoule deux mois environ entre la « détection » et le lancement par le scientifique. Il s’agit donc ici de l’actualité de la publication scientifique, du point de vue d’un mensuel qui fait des choix. La deuxième partie « savoirs », programmée environ six mois après la première proposition, est aussi en majorité rédigée par des journalistes. Il s’agit de l’actualité de la reconnaissance scientifique.
La partie « dossier », ou dans une autre perspective, la partie « back to basics », dans lesquelles l’écriture par des scientifiques est plus présente, marquent alors une actualité des débats ou des interrogations publics à propos de sciences, d’applications ou d’implications, et une intervention du magazine dans la mise en forme, la reformulation, de ce qui rentre alors dans un « patrimoine culturel ».
Le dispositif est complété par des numéros spéciaux, comme « un an de science », et des Dossiers
de la Recherche composés de reprises et de compléments sur un thème qui suscite l’intérêt de
lecteurs.
Il ne s’agit pas ici de faire de la publicité pour un magazine dont la réorientation depuis dix ans semble avoir pris à contre-pied son lectorat initial de chercheurs voulant réfléchir « autrement » sur leurs domaines et les domaines voisins, et dont beaucoup disent s’être désabonnés. Mais l’effort exemplaire et risqué pour qu’un mensuel de synthèse pour public scientifique devienne le magazine de l’actualité de la recherche scientifique en langue française, est pour nous une riche source de réflexion. C’est un nouvel outil pour les enseignants et les médiateurs.
Certains ont pu penser que le thème « école, culture et actualités des sciences et des techniques », était anachronique au moment où la plupart des émissions scientifiques disparaissent des chaînes télévisuelles de France.
Dans un exposé très documenté et de première main, Nicolas Goldzahl, producteur de plusieurs émissions, dont e = m6 (M6), Les grandes énigmes de la science (France 2), Cinq sur cinq et
L’aventure des Sciences (France 5), a montré qu’aujourd’hui presque toutes les grandes émissions
scientifiques françaises ont disparu. Seule subsiste C’est pas sorcier pour les 8-14 ans.
La situation n’est d’ailleurs pas très différente en Angleterre, où le célèbre magazine Tomorrow’s
World (pendant 38 ans sur la BBC) a cessé en 2003. Mais il y a encore des séries documentaires qui
font référence dans le monde. Et aux États-Unis, il n’y a pas de vrai magazine scientifique, mais
millions de téléspectateurs. Y a-t-il une tendance dans le monde à compenser les magazines par des documentaires « haut de gamme » ? Ce n’est en tout cas pas le cas en France.
Selon N. Goldzahl, les raisons de ces disparitions sont très simples à comprendre pour les chaînes privées. Vivant des recettes de publicité, elles ne peuvent s’occuper de leur « cœur de cible » : or 80 % des investissements publicitaires dans ces chaînes ont pour cible les « ménagères de moins de 50 ans », dont la plupart ne regardent pas les émissions scientifiques.
Pour les chaînes de service public les ressources sont partagées entre la publicité (de France 2 - 50 % - à Arte – 0 % - en passant par France 3 – 25 % -). Mais ici aussi, il n’y a plus démissions scientifiques. Effet d’entraînement par les chaînes privées ? Mais aussi, et peut-être surtout, conceptions culturelles des responsables, ascientifiques par leurs formation et leur milieu, et antiscientifiques au nom d’arguments divers : pas de public, plus de grandes épopées scientifiques, et au contraire image dégradée d’une science dangereuse.
Reste Ushuaïa, émission pleine de bons sentiments sur le grand spectacle de la Nature, avec la participation intéressée de quelques scientifiques…
Ce n’est cependant qu’un aspect des médias. En langue française, nous disposons d’un grand nombre de magazines et revues sur papier dans tous les domaines scientifiques et techniques.
Et l’Internet change la « donne ». À côté du nombre incalculable de sites spécialisés donnant des informations sur diverses actualités des sciences et des techniques (comme celui de la Cité des sciences et de l’industrie, ou ceux des grands organismes de recherche), un nouvel outil comme
Wikipedia, dont la version française dépasse 400 000 articles disponibles, produits et corrigés de
manière coopérative et gratuite, révolutionne les moyens, d’accès à une information élaborée récente. Sans qu’il y ait à proprement parler de production de connaissances par Wikipedia, il y a mise en forme et mise à disposition nouvelles, dans un processus de rectification permanent ; et contrairement aux craintes, sans certification d’experts, la « qualité » des textes est estimée comparable à celle de l’Encyclopædia Britannica. Les scientifiques eux-mêmes deviennent attentifs.
Nous n’avons certainement pas épuisé le thème des XXVIIIes Journées !
SITOGRAPHIE
Centre d’Alembert (Centre Interdisciplinaire d’Étude de l’Évolution des Idées, des Sciences et des Techniques) : http://www.centre-dalembert.u-psud.fr