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Les modalités spécifiques de la raison politique : critique religieuse et engagement politique chez Spinoza

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Academic year: 2021

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UNIVERSITE DE POITIERS

UFR Sciences Humaines et Arts

Département de Philosophie

Ecole doctorale des Science de l’Homme et de la Société

Centre de Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand (CRHIA)

THESE

pour l’obtention du grade de

DOCTEUR EN PHILOSOPHIE DE L’UNIVERSITE DE POITIERS

Option : Philosophie politique et sociale présentée et soutenue publiquement par :

Marcellin KONIN ALLA

Sous la direction de

M. Jean-Louis VIEILLARD-BARON, Professeur des Universités

Membres du Jury

Mme. Jacqueline LAGREE, Président du Jury, Professeur des Universités, Université RENNES 1. M. Franck FISCHBACH, Professeur Université TOULOUSE 2 – LE MIRAIL

Mme. .Marie-Françoise ONG VAN CUNG, Maître de conférences Université POITIERS M. Jean-Louis VIEILLARD-BARON, Professeur des Universités, Université de POITIERS

Le 20 septembre 2008

LES MODALITES SPECIFIQUES DE LA RAISON

POLITIQUE : CRITIQUE RELIGIEUSE ET

ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ SPINOZA

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Je dédie cette thèse à ma fille Anne-Astrid Fortune, à ma compagne et à ma mère.

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J’adresse mes vifs remerciements et ma sincère reconnaissance au Professeur Jean-Louis VIEILLARD-BARON qui a eu la chaleureuse amabilité de diriger la réalisation de mon travail. Vous ne serez jamais assez remercié de ma part pour vos conseils très utiles et constante disponibilité grâce auxquels ce travail a pu être réalisé.

A Madame GUILLEMET, soyez rassurée de ma reconnaissance pour vos efforts permanents à la cause de la formation des étudiants.

Ma reconnaissance à tous mes amis qui à maintes reprises ont apporté aides, conseils et encouragements pour l’élaboration de ce travail.

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Vouloir tout savoir de l’esprit humain, pénétrer au tréfonds de l’âme, coïncider avec ce que l’être a de plus intime, tel était naguère encore le rêve de l’humanité. Aujourd’hui, un travail d’étude s’impose impérativement à nous pour nous initier vite et bien à une somme de connaissance fabuleuse, à cette science séduisante qu’est la philosophie. A tout lecteur, nous vous invitons ici à parcourir sérieusement ce travail qui, nous l’espérons, ne décevra pas. Car le savoir ne déçoit jamais et la connaissance philosophique au contraire des autres valeurs ne subit pas de dévaluation.

Le présent travail porte sur la critique spinoziste de la religion et l’engagement politique du philosophe. Par cette étude, nous voulons cerner la situation socio-politique, juridique et religieuse de l’Etat en général, et surtout la religion et son rapport à la politique.

Nous espérons que notre recherche qui n’a pas la prétention d’être exhaustive suscitera d’autres recherches encore plus pertinentes dans ce domaine. Nous demandons aux lecteurs l’indulgence, nous voulons rendre plus aisément pardonnables les obscurités, la rudesse et les imperfections qui s’y rencontrent çà et là.

Notre infinie gratitude va à l’endroit de tous ceux dont l’aide a rendu possible la recherche et la réalisation de ce travail.

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LES MODALITES SPECIFIQUES DE LA

RAISON POLITIQUE : CRITIQUE

RELIGIEUSE ET ENGAGEMENT

POLITIQUE CHEZ SPINOZA

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INTRODUCTION GENERALE

LES MODALITES SPECIFIQUES DE LA RAISON POLITIQUE : CRITIQUE RELIGIEUSE ET ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ SPINOZA, tel est l’intitulé de notre travail de recherche.

Pourquoi l’étude de Spinoza ? Qu’est-ce qui motive le choix de ce thème ? Quel est notre projet ? L’analyse qui va suivre nous servira de réponse à ces différentes interrogations.

Le mot « religion »1 se prête à plusieurs étymologies. Il signifie

rassembler, relier (religare) l’individu à son Dieu, et l’individu à une communauté de pensée et de fidèles par les rites, les cérémonies, la pratique religieuse. Mais il signifie aussi au sens du verbe latin « respecter » le rapport intime de l’individu à la divinité, à travers la prière, la supplication ou l’adoration. La religion suppose non seulement la pratique mais aussi et surtout la foi, le sentiment religieux.

Bref, au plan subjectif, sinon individuel, la religion est un rapport, une relation entre l’homme et Dieu, entre la créature et le créateur, entre l’existence et l’être, impliquant les notions de transcendance et de sacré, et posant les problèmes de la croyance et de la foi. Elle constitue pour ainsi dire un système de croyances et de pratiques liées aux sacrés et aux croyances et pratiques d’une communauté morale.

Sous son aspect objectif, une religion est une société particulière, qui, se distinguant des autres par certaines pratiques, pose le problème de ses rapports avec la société civile et le pouvoir politique.

Quant à la « politique »2, dans son origine, son étymologie, elle est

dérivée de la langue grecque « polis » qui signifie cité, ville, village. La politique aujourd’hui, à la fois science et pratique, peut être définie comme

1 La religion est un système qui unit les individus adhérant en une communauté morale. La philosophie religieuse est

une réflexion à partir de l’attitude religieuse, une réflexion sur la révélation. Elle est pour ainsi dire un aspect de la religion et peut mettre en œuvre l’esprit philosophique.

2 La politique est la science des affaires publiques, la science de la gestion des Etats, que Aristote considère comme la

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l’art de conduire le bien commun, auquel doivent se préparer ceux qui sont capables de l’exercer. La politique constitue donc un ensemble d’efforts et d’initiatives pour un ordre permanent qui protège mieux les droits de la personne humaine au sein de la vie politique.

Par ailleurs, au-delà de la simple formulation, nous pouvons mettre face à face religion et politique, deux notions naturellement en opposition. En fait, entre politique et religion, c’est l’histoire d’une antipathie, d’un antagonisme, cela est d’autant plus vrai que le terme « conflit » très souvent utilisé par bien de personnes évoque l’écart qui existe entre ces deux termes. Cette relation antithétique est justifiée par le fait que la religion se veut la détentrice de la vérité et des principes de la morale.

Dans la religion, en effet, la vérité n’est pas l’aboutissement d’une recherche, elle est une donnée préétablie, une réalité faisant place à la foi, parce qu’inspirée de Dieu, l’être suprême. Elle est révélée, c’est-à-dire le fruit de l’inspiration divine, pour cela donc, elle a un caractère surnaturel et mystérieux, c’est-à-dire sacré. Or, le pouvoir politique devant sauvegarder la liberté des citoyens dans le cadre des obligations légitimes, s’inscrit en faux contre ce type de vérité. Ne peut être admise comme vraie une chose qui, au préalable, est passée au crible d’institution de système de lois, d’appareil administratif judiciaire, c’est-à-dire sous l’emprise de la justice et de l’égalité. Une vérité, qui serait au-delà des institutions politiques est absurde. A la vérité, il faut une distinction entre ces deux entités. La religion n’est pas la politique, de même que la politique n’est pas la religion. Et Spinoza tient pour solidement établi que ni la théologie ne doit être la servante de la politique, ni la politique, celle de la théologie, mais que l’une et l’autre ont leur royaume propre : il

conteste que l’on puisse penser que la théologie3 cultive la piété et

l’obéissance ; la politique, le respect de l’autorité et du civisme. Ce sont deux notions qu’on ne saurait confondre. Tout au contraire, il dit cela du message

3 La théologie se définit comme l’étude qui porte sur l’existence de Dieu et sur la nature. Elle est la justification

rationnelle des dogmes et des rites de la religion ; elle se fonde sur les textes (Ecritures) et sur la foi la théologie est spécialement chrétienne et Saint Paul fut le premier théologien qui essaya de tirer de la foi une doctrine systématique. Notons que Saint Thomas est désigné comme le fondateur de la théologie (du point de vue de science théorique).

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des prophètes et des apôtres, de l’ancien comme du nouveau testament ; mais c’est précisément ce message de piété et d’obédience que « la théologie » n’a pas su voir ou n’a pas voulu voir : la théologie telle qu’il la combat prétend enseigner la nature de Dieu, bref, délivrer des enseignements théoriques, alors que la vraie religion, selon Spinoza, ne délivre que des enseignements

pratiques : il y a donc pour Spinoza opposition entre la « vraie religion » et la

« politique », puisque toutes deux traitent fondamentalement de

« l’obédience », ce qui n’est aucunement le cas de la théologie.

Toutefois, il est remarquable qu’aujourd’hui, la religion au sein de la société joue un rôle de guide incontournable dans l’exercice de l’autorité, en ce qu’elle est un instrument de tolérance, de partage, d’acceptation de l’autre avec sa différence dans la gestion de la cité, dans le gouvernement d’un Etat. Qu’attendons-nous de la religion, face à une situation complexe dans la société ? Son développement et son action doivent refléter une maturité dans la gestion, dans la « guérison » de l’Etat et l’assainissement de l’autorité politique.

La question des rapports4 entre les instances religieuses et politiques

demeure toujours préoccupante. Spinoza a abordé la question et sa position est visible dans ses œuvres. Son engagement relevant ainsi, en effet, son « désir de

défendre, par tous les moyens la liberté de pensée et de parole que l’autorité trop grande laissée aux pasteurs et leur jalousie, menacent de

supprimer. »5 Sa critique de la religion consistait dans un premier temps à

s’attaquer à l’attitude religieuse qui prétend soumettre la raison à la foi, et de cette façon, briser la liberté de pensée. D’autre part, il revendique la liberté de pensée et d’expression, susceptible de conduire les hommes à vivre en société en hommes libres. Notons qu’il luttait pour la laïcité de l’Etat qui permette une plus grande liberté d’expression des citoyens. Ce qui voudrait dire selon lui qu’il ne peut s’agir de soumettre la liberté de pensée à l’autorité religieuse.

4 La question de la religion et de la politique a été aussi appréhendée et soutenue par Machiavel. Question bien déjà

abordée par le philosophe anglais Hobbes, notamment dans la troisième partie du Léviathan. 5

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Le débat de la religion et de la politique continue de se poser et pour notre penseur, la philosophie est seule susceptible de poser les jalons de différence entre la religion et la politique.

L’intitulé de notre travail peut paraître surprenant surtout quand on aborde la question de la religion chez Spinoza alors qu’on sait que Spinoza est un penseur rationaliste qui explique la nature des causes physiques. Il est clair qu’il ne conçoit pas de rapports établis avec les religions. Par ailleurs, son excommunication par les autorités religieuses serait liée à une suite logique de son rejet des théologiens, des dogmes et de la Bible, à travers son œuvre.

Comment comprendre ce penseur du rationalisme6 moderne avec pour

ambition de libérer les hommes de la servitude et de l’esclavage et à même de voir conduire l’esprit dans une union totale avec la substance, c’est-à-dire Dieu ? C’est à cela que nous nous attellerons à démontrer tout au long de notre recherche.

Notre objectif consiste d’une part à mettre en relief la construction d’une science philosophique et rationaliste qui chasse toute superstition et imagination de la vie sociale et politique. Il s’agit de libérer les hommes de toutes les croyances dogmatiques pouvant servir de point de départ à tout pouvoir arbitraire et tyrannique.

D’autre part, la philosophie du spinozisme qui est un monisme7,

exprime les moyens d’accéder à la joie en persévérant dans son être, à travers la pensée dans la vie et l’action par une éthique et une politique qui va jusqu’à la sagesse. Il lègue les conditions d’émergence pouvant conduire aux hommes afin de se réaliser effectivement dans la cohésion, dans le cadre d’une société gouvernée par la raison et non divisée par des passions antagonistes.

L’analyse de l’œuvre de Spinoza pouvait faire penser qu’au nom de la toute puissance de la raison, il se pose en anti-religion. De ce présupposé serait

6 Système fondé sur la raison, par opposition aux systèmes fondés sur la révélation ou le sentiment. Il désigne

également une théorie de l’origine de notre connaissance.

7 Le monisme est un système philosophique suivant lequel il n’ y a qu’une seule réalité : l’esprit ou la matière. Le

système spinoziste pose « Deus sive Natura » et se place souvent du point de vue de la Nature, à laquelle Spinoza identifie Dieu, (matérialisme), se plaçant aussi du point de vue de Dieu, auquel il rapporte toute réalité naturelle (spiritualisme).

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donnée une opposition entre la religion et la philosophie ; si la religion est de l’ordre de la foi, la philosophie est de l’ordre de la raison. Cela dit, même si elles sont toutes deux sources de salut, elles sont différentes dans leur domaine d’intervention.

Spinoza développe une philosophie de l’immanence8 ou de panthéisme9

et sa pensée philosophique remet en cause la croyance au surnaturel. Toutefois, on ne pourra ôter une coloration spirituelle à son approche de l’éthique. L’œuvre spinoziste remet également en cause le sens de la nature, l’idée de renvoyer à autre chose qu’elle-même, et poursuivre des fins extérieures. Sa critique de la finalité laisse entrevoir, en effet, que la nature n’a pas de finalité que sa propre persévérance dans l’être. La nature n’est pas faite pour les hommes et Dieu n’a pas créé les hommes pour recevoir un culte en retour. Spinoza juge cette interprétation purement anthropomorphique qui exprime les délires de l’imagination.

C’est justement ce préjugé anthropomorphique que Spinoza condamne, car selon lui il a pour origine les représentations imaginaires et la croyance en des causes finales ordonnatrices de la nature.

Dès lors, nous sommes en droit de nous interroger : si Dieu n’est pas une personne décidant de ce qui doit se produire dans la nature, s’il ne prend pas de décisions pouvant expliquer les phénomènes naturels, si la volonté de Dieu de ceux qui croient aux causes finales n’est qu’un « asile de l’ignorance

(ignorantiae asylum confugeris) »10, comment pourrons-nous parler de

spiritualité de sa pensée ?

La philosophie de Spinoza peut-elle se prétendre uniquement d’un panthéisme personnifiant la nature et ainsi poser une opposition entre la philosophie et la religion ?

8 Philosophie qui affirme que Dieu se confond au monde, et s’oppose à la libre création du monde par Dieu ; par

ailleurs, récuse la pensée d’un Dieu personnel.

9 C’est la doctrine qui conçoit que tout est en Dieu, Dieu identifié au monde.

10

Spinoza, Ethique, Première Partie, Appendice, texte original et traduction nouvelle par Bernard Pautrat, Editions du Seuil, Paris, 1988, p.87.

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Pourtant, la philosophie de Spinoza se démarque de la religion dans la mesure où elle se présente comme savoir et connaissance de la vérité de la Nature ravalée à Dieu ; en revanche, elle offre un lien de familiarité avec elle lorsqu’elle s’affirme comme un accompagnement de l’Esprit dans la mouvance naturelle à l’union avec Dieu ou la Nature sous la forme de cet « amour intellectuel de Dieu ».

De la pensée spinoziste, on peut tirer l’idée de salut à partir duquel la philosophie et la religion établissent deux voies de salut parallèles des hommes. Mais ces deux voies de salut connaissent-elles des orientations parallèles ou similaires ? D’autre part, l’idée de foi en l’intuition, pour un penseur d’évidence rationaliste peut être évoquée.

On parle communément de foi dans le domaine chrétien ou judaïque. Pour les religions révélées, en effet, la foi consiste en une soumission aveugle à la volonté et à la loi de Dieu. C’est l’expression d’une conviction en l’existence de Dieu, comme le miracle pour le prophète par exemple. Une telle foi ne peut être évoquée au sujet de la raison. Mais alors, que peut signifier une soumission à la raison ? La foi peut désigner ce qui est à la base rationnelle qui se trouve au fondement de la réflexion et des principes de la pensée vraie.

Cette conception de la puissance de la raison et de la présence de l’idée vraie nous met en relation avec Dieu, c’est-à-dire d’établir cette unité en notre conscience. De cette façon, on peut comprendre comment Spinoza définit la fonction de la religion : « une fois établis les fondements de la foi, je conclus

enfin que la connaissance révélée n’a pas d’autre objet que l’obéissance

(Fundamentalibus deinde fidei ostensis concludo denique objectum cognittione revelatee nihil esse praeter obedientiam) »11.

Cette vision de la religion concerne principalement la religion morale et politique qui fait appel à la foi pour conduire les hommes à respecter la loi et se comporter de manière juste et harmonieuse les uns envers les autres.

11

Spinoza, Traité théologico-politique, Préface, Traduction par Jacqueline Lagrée et Pierre-François Moreau, PUF, Paris, 1999, p.71.

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En fin de compte, on pourrait se demander si la religion telle que conçue dans la pensée spinoziste ne serait pas une religion proprement philosophique, c’est-à-dire celle qui exprime un mouvement naturel par lequel l’esprit humain s’unit par la connaissance du troisième genre à Dieu pour accéder à la joie et accroître ainsi sa puissance d’être.

Disons que cette étude saisit avant tout d’une manière synthétique le système de la substance suivant des présupposés métaphysiques, moraux et politiques. Dans notre analyse interne, le choix de concepts majeurs est évident, nous en avons gardé dans le répertoire un certain nombre et il est nécessaire de les mentionner ici : entre autres, les notions de Dieu-Nature, de la connaissance rationnelle, des affections, de la liberté humaine, de l’éthique, de la critique de l’interprétation religieuse, de l’engagement politique.

Le concept de Dieu12 chez Spinoza se conçoit comme la seule réalité

dans laquelle tout se trouve. Dieu est pour ainsi dire la totalité du réel. Il convient d’indiquer à ce sujet que dans cette définition s’exprime l’immanentisme spinoziste : tout se trouve « enveloppé » dans l’unique substance. Avons-nous affaire à une ontologie moniste ? Comprenons que dans cette théorie du premier principe, tout dépend d’un seul Etre : Dieu. L’idée positive par excellence, c’est celle de Dieu, l’être absolument infini, c’est-à-dire la substance douée d’une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie : positive parce qu’elle est une substance : « Par

substance, j’entends ce qui est en soi, et se conçoit par soi : c’est-à-dire, ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose, d’où il faille le former (per substantiam intelligo id, quod in se est, & per se concipitur : hoc

est id, cujus conceptus non indiget conceptu alterius rei, à quo formari debeat). »13 ; Dieu serait, pour notre philosophe, cause efficiente, la cause des

essences et des existences, la cause pour soi ou absolument première, la cause agissant d’après les lois de la nature.

12

L’Ethique constitue une doctrine du salut par la connaissance de Dieu ; une bien bonne raison de reconnaître au creux de sa pensée la pensée de Dieu.

13

Spinoza, Ethique, Première Partie, Définitions III, texte original et nouvelle traduction par Bernard Pautrat, Editions du Seuil, Paris, 1988, P.15.

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Ensuite, Spinoza analysant les passions, montre que l’homme qui est une partie de la Nature, subit, à travers son corps, l’action des réalités externes. Partie de la Nature, il subit les actions passionnelles dans la mesure où une activité étrangère limite forcément sa propre activité. De la sorte, l’homme est un fragment causé par l’extérieur. C’est d’ailleurs pourquoi il montre que « nous pâtissons en tant que nous sommes une partie de la Nature, qui

ne peut se concevoir par soi sans les autres (Nos eatenus patimur, quatenus

Naturae sumus pars, quae per se absque aliis non potest concipi14. Par ailleurs, Spinoza passe en revue d’autres concepts. Ainsi, dans son œuvre majeure, l'Ethique, il n’hésite pas à examiner dans un espace, somme toute, assez réduit les grandes questions de l’existence humaine : quelle est l’origine de l’homme, ce qu’il est essentiellement, les moyens de se réaliser, l’événement de la mort, entre autres.

Il aborde la question de l’éthique qu’il définit comme un ensemble de

moyens pour atteindre le souverain Bien, la vertu identifiée à la Béatitude15.

Celle-ci répond à la définition rationaliste de la morale. L’éthique proposée par Spinoza consiste à donner accès à une joie éternelle et continuelle de vivre. Mais comment ? Assurément par la connaissance de soi et de sa relation essentielle avec la nature.

Chez notre philosophe, la liberté se réduit à la réalité d’un être qui s’est libéré des passions et de la fluctuation des désirs. Il parle de la béatitude dans sa philosophie, et la définit comme le parfait contentement d’un être qui se connaît comme partie du tout qui jouissant de cette connaissance de sa liaison

avec Dieu. On pourrait justement se demander si le salut16 peut être pour tous.

En réponse, notre penseur reconnaît que nul ne peut se plaindre de sa nature, que notre nature provient de la nécessité de la nature divine ; certes. Néanmoins, la béatitude n’est pas pour tous. Au total, les hommes, simples

14

Ethique, Quatrième Partie, Proposition II, P. 349. 15

La pensée de la « Béatitude » désigne bien une philosophie dépourvue de mystères, c’est-à-dire un rationalisme absolu.

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modes du tout, sont excusables de leurs fautes, mais seule l’âme née forte pourra trouver le salut. Spinoza considère, en effet, que le salut de l’homme consiste à se saisir clairement dans sa relation à la Nature divine, la sagesse étant alors conçue comme connaissance et amour intellectuel du vrai Dieu.

Pourtant tout au long de sa réflexion, il n’a pas hésité à s’attaquer aux formes superstitieuses et intéressées de la religion. De façon précise, il s’est consacré à la critique de l’Ecriture biblique. Spinoza, en effet, y établit que l’on ne peut tirer argument de l’Ecriture pour prendre la religion comme base des institutions politiques.

Parlant de politique justement, il faut dire que la philosophie de Spinoza se double, dès l’origine d’une réflexion politique. Si l’homme peut, en effet, être un « loup pour l’homme », il peut aussi être un Dieu pour l’homme. Dès lors, la société semblant bénéfique en tous points, le problème est de savoir comment il faut l’organiser pour que les relations des hommes entre eux soient les meilleurs possibles. Echapper à l’esclavage, c’est vivre dans un Etat s’identifiant à la raison. L’Etat garantit la sécurité et la liberté. Dans un tel Etat, le droit naturel qui est son fondement doit être limité. La solution apportée par Spinoza au problème politique serait d’inspiration fondamentalement

démocratique17. De façon succincte, l’intention de Spinoza vise à montrer les

biens fondés de la liberté de philosopher dans un Etat libre et sur le rôle de la religion. Reposant sur les passions plutôt que sur la raison, la vie politique est selon notre penseur une recherche du bien commun. La politique semble alors une chose inaccessible, car pour s’entendre sur un bien commun, il faut raisonner. La morale peut-elle sauver la politique et fournir les bases d’un bien commun viable ? Comment comprendre alors l’engagement en politique ? Quelles peuvent être l’urgence et l’opportunité de la politique?

On peut le comprendre, cette préoccupation engage notre sujet et il faut mentionner ici que la problématique de notre recherche pose un certain nombre de présupposés qui amènent à envisager l’analyse du rapport de l’éthique et de

17

La liberté ne peut être garantie que dans un Etat lui-même indépendant de la religion. C’est la pensée de Spinoza qui défend la liberté, l’Etat laïc et démocratique.

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la morale. Que l’on choisisse de se prononcer ou de se taire, l’éthique et la morale ne seront pleinement élucidées qu’à travers leur confrontation ; celle-ci correspond exactement à la confrontation de Spinoza et Kant. Or c’est précisément là que réside le bonus intellectuel et personnel d’une bonne compréhension de la philosophie et qui a pour essence et pour vocation de se constituer comme l’éthique elle-même. Notre philosophe incarne cette particularité. Selon lui, la philosophie en son ensemble (métaphysique, logique, épistémologie, morale, politique) cesse d’être une connaissance parmi tant d’autres, pour devenir l’indispensable fondement d’une existence heureuse.

Il s’avère que l’éthique de l’homme libre ne peut être gommée, ni isolée, elle doit à la fois se constituer par elle-même et conduire à cette félicité concrète qu’est la béatitude, à la fois appuyée sur le désir et sur la connaissance, sur le concept et sur l’esprit. Le spinozisme, on le dit, ne nous paraît pas être un simple panthéisme, et il ne saurait être non plus un matérialisme ni un mysticisme. Il désigne un eudémonisme où la félicité résulte de la synthèse du désir et de la réflexion et où, réalisant l’éthique, elle incarne la philosophie même.

L’époque contemporaine, qui voit la disparition des dogmatismes et des idéologies, sous la menace du fanatisme et dans l’angoisse du vide, a précisément besoin d’une philosophie qui sache exulter à la fois la puissance du désir, la valeur de la vie et la force libératrice de la raison. Enfin, et ce n’est pas le moindre des avantages, il ne saurait être indifférent, pour nous, de constater qu’un philosophe peut de façon ouverte et simultanée rechercher les conditions du salut individuel et les conditions du meilleur gouvernement ; seul le pacte démocratique, à ses yeux, garantit la paix civile et la concorde dans la société.

De ce qui précède, l’on peut déduire que par la pensée de Spinoza, nous pourrons commencer à comprendre que la sagesse, tournant le dos à la mort, au vide et à l’angoisse, prépare bien plutôt à la béatitude, c’est-à-dire à la vie réfléchie, heureuse et libre, une telle vie n’étant pas possible sous un régime politique autre que la démocratie. De là, nous comprenons que notre sujet,

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au-delà de sa simple formulation, met en exergue les motivations réelles de notre philosophe à penser le champ politique à partir de la raison et de ses modalités telles la puissance du désir, l’éthique de la joie, la vie réfléchie et l’existence heureuse. Faut-il bien augmenter sa puissance de vivre pour augmenter sa puissance de comprendre ? Il est bien vrai que Spinoza a pensé le champ à partir des dominantes majeures que sont les passions, le désir et la liberté de penser. Mais pourquoi le fait-il ? Comment est-il possible ? Comment introduit-il la raison dans le champ politique? La raison politique chez Spinoza serait-elle différente de l’éthique ?

Avant de fixer les marges de cette « raison politique », il convient d’abord de lever un paradoxe : celui de la possibilité même d’une éthique, c’est-à-dire d’une liberté réfléchie, au sein d’un système de la Nature et de la nature humaine entièrement soumise, semble-t-il, au poids du déterminisme. Pour qu’une éthique conserve sa validité intrinsèque, elle doit aussi être rendue possible au cœur même du système qui se propose de la fonder. Fondamentalement, demander en quoi consistent les modalités de la raison politique spinoziste, c’est s’interroger sur les « règles de vie » que la liberté nouvelle permet de définir comme moyens d’accès à ce « vrai bien » et à cette joie véritable et souveraine que la philosophie s’est assignée comme finalité.

L’on comprend pourquoi Spinoza, jugé comme « l’athée vertueux » par ses lecteurs, inaugure avec l’éthique une nouvelle manière de penser l’homme et sa félicité. Dans la problématique de notre sujet, il importe d’énoncer les différentes hypothèses qui alimenteront notre recherche. Il convient pour ainsi dire d’inscrire avant tout, les démarches de Spinoza en trois hypothèses : d’abord, dans l’hypothèse une, il s’agira d’exposer les modalités spécifiques de la raison politique. On pourrait alors se demander si la raison politique chez Spinoza est différente de l’éthique. Si la rationalité a une vertu politique, morale, sociale, est-ce la même moralité ? Chez Spinoza, ce serait une seule et même raison ; en terme politique, est-ce qu’il y a plusieurs types de modalités ? Il est nécessaire ici d’étudier les genres de la connaissance dans leur rapport à la politique et à la religion. Ce sont bien de différents modes de

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connaissance qui sont en fait les modalités de la raison. Ces trois genres de connaissance (Imagination, Raison, Science) ne sont que la même modalité de la raison, la raison exprimée sous plusieurs formes. C’est en cela que Spinoza soutient qu’il y a plusieurs rationalités. Notre penseur a eu le mérite de distinguer la diversité des opinions et l’action que celles-ci pouvaient engendrer. C’est la raison, c’est-à-dire l’expression des pratiques et des normes de modération et de réflexion, qui doit fonder des échanges au sein des pouvoirs politiques. Il en arrive à défendre l’idée selon laquelle la morale rationnelle, civique qui bannit chez l’homme, ruse, colère, haine, constitue les jalons du fonctionnement d’un Etat démocratique : il exprime sa réelle motivation de voir une progressive évolution de la justice et de la concorde en vue du bon fonctionnement de l’Etat. De la sorte, l’éthique doit exprimer les règles morales de la religion, de la politique et de la philosophie.

En marge de cette considération méthodique, on pourrait se demander en quoi la méthode spinoziste s’opère en opposant sans coup férir aux convictions incontrôlées de la croyance, la recherche et la vérité d’une philosophie rationnelle rigoureusement démontrée. Spinoza a une vision rationnelle du monde et de ses justifications. D’ailleurs, sa critique est rationnelle, lorsqu’il écrit qu’« ils forgent de cette façon d’infinies inventions

et ils interprètent la nature de façon étonnante comme si toute entière elle délirait avec eux. Dès lors qu’il en est ainsi, nous voyons que les plus asservis aux superstitions en tout genre sont ceux qui désirent sans mesure les biens incertains ; et que tous, surtout lorsqu’ils sont exposés au danger et ne peuvent en sortir par leurs propres forces, implorent le secours divin avec des larmes de femme, traitent la Raison d’aveugle (puisqu’elle ne peut leur indiquer une voie certaine vers les vanités qu’ils désirent) et de vaine la sagesse des hommes. Au contraire, dans les délires de l’imagination, dans les songes, dans de puériles sottises, ils croient

entendre des réponses divines »18. L’auteur se résout à une critique directe de

18

Spinoza, Traité Théologico-politique, Préface, Traduction par Jacqueline Lagrée et Pierre-François Moreau, PUF, Paris, 1999, p.59.

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superstitions religieuses aux textes judaïques à travers l’expression linguistique et historique. Sa méthode consiste donc en une élucidation de l’explication et la compréhension des textes, à partir des textes eux-mêmes, basés également sur les convictions du lecteur. C’est en partant du texte lui-même, selon Spinoza, qu’on aboutit à l’élucidation linguistique de la signification des termes et à l’usage ainsi qu’à la connaissance des textes. Cette méthode critique et historique invite à une rationalisation et un véritable travail novateur. N’est-ce pas là une inauguration totalement novatrice des textes sacrés ? Cette hypothèse sera l’occasion de parler de l’éthique philosophique qui posera en même temps la question du savoir et de l’éthique. En effet, s’appuyant ici sur une doctrine de la nature et sur une doctrine de l’homme dépouillé de toute obscurité et de toute complaisance, nous sommes en mesure de déployer l’éthique dans la projection. La joie et la réflexion constitueront certainement les deux vois fondamentales de cette sagesse heureuse, béatitude et connaissance diront les nouvelles modalités et les nouvelles significations d’une relation de l’esprit humain à l’Etre. Egalement dans cette première hypothèse, nous traiterons la question de la signification éthique du monisme ontologique et décrirons la conception spinoziste de l’homme unifié du désir et des passions. Et nous ferons une analyse de l’éthique de la joie, de la sagesse et de la béatitude, les modalités de la raison dans leur spécificité.

Ensuite, dans la deuxième partie, nous essayerons de mettre en évidence la critique de l’interprétation théologique de notre penseur. En substance, il soutient que les préceptes religieux ne sont pas moraux. Il est vrai, dans sa présentation, il met en crise la moralité religieuse (et s’attèle à exposer l’approche biblique). En ouvrant de cette façon la voie à la critique biblique, il se propose de considérer les Ecritures comme un texte et non pas comme l’expression d’une inspiration transcendante ou divine. Notre philosophe pourrait ainsi dépasser à la fois la pétition de principe - qui affirme d’abord

dans les Ecritures une inspiration divine19 pour y lire ensuite la parole même de

19

(24)

Dieu, et la croyance superstitieuse ou naïve - qui pose comme vérité objective, les affirmations du texte sur son propre caractère sacré.

On le voit bien, avant de proposer une société démocratique, respectueuse de toutes les opinions et fondée sur un droit rationnel, ouvert et tolérant, Spinoza met en place une méthode rigoureuse pour opérer la critique des Ecritures, et soustraire à l’influence des croyances imaginaires les futurs fondements de la raison, de l’éthique et de la politique. On en vient à expliquer la question de la religion et de la critique spinoziste dans son rationalisme. Faut-il séparer la raison et la foi ? Quelle attitude observer à l’égard de la raison et à la foi, deux modes de connaissance apparemment irrapprochables eu égard à leurs ordres du reste différents : l’ordre rationnel, pratique et l’ordre divin, surnaturel. Pourtant, il n’ y a de philosophie et de religion que pour l’homme et pour une conscience humaine. Le problème du rapport du savoir (la raison) et de la foi se pose avec plus d’exigence et de profondeur surtout qu’il s’agit d’une même conscience engagée dans la philosophie et la religion. Pour une conscience qui interroge la foi et la raison, elle se rend à l’évidence que la foi rencontre toujours le regard de la raison, et la raison ne peut se

réaliser sans vivre l’expérience de la foi20. On en vient à déduire que celui qui

fait confiance en sa raison et qui dans le même temps honore sa foi se trouve pris entre ces deux vérités. Vivre simultanément ces deux attitudes, dans leur contraste revient à faire adopter les perspectives qui furent condamnées par le

Ve Concile de Latran (1512-1517). Elles consistaient, en effet, à admettre simultanément des propositions contraires, à des niveaux de pensées différents. Ainsi, par exemple l’immortalité de l’âme peut être vraie au point de vue religieux et absurde au plan philosophique. C’est cela la théorie de la double vérité. En conséquence, même si la raison démontrait la moralité de l’âme, cela ne pourrait annihiler la foi en son immortalité. En revanche, force est de reconnaître que cette théorie laisse non rassurante face à face les deux vérités. En optant pour la philosophie de Spinoza, objet de recherche, c’est parce que le

20

(25)

philosophe hollandais a conçu un système rationaliste à l’intérieur duquel il a tenté de réfléchir sur toutes les réalités touchant la condition humaine. Il y a traité de la question de Dieu, des rapports de la religion, de philosophie et de la politique.

Spinoza critique les principes de la religion, et se rapproche de plus en plus de la politique, en s’engageant profondément. Sa demande pour une séparation fondamentale entre la foi et le savoir, séparation de ces deux domaines lui valut alors l’image d’un philosophe mal inspiré, image tissée et entretenue par ses contemporains. La réflexion (métaphysique), qui est la connaissance de Dieu et de soi-même, répond chez Spinoza à une exigence fondamentale : c’est l’obligation d’un philosophe ou d’un chrétien d’employer la raison pour lutter contre les interprétations et les négations des libertés ou d’introduire le savoir pour éclairer la foi. Pourtant, Spinoza emploie aisément des concepts qui ont plutôt cours dans le domaine religieux. Cela est d’autant plus vrai qu’on le croirait si proche du christianisme, puisqu’il n’hésite pas à

appeler le Christ « le philosophe par excellence »21 ; il a réussi à faire de

certains concepts religieux, tels la béatitude, la vie éternelle, le salut, entre autres, de réels concepts philosophiques tant et si bien que le lecteur peut s’interroger si Spinoza n’est pas plus proche de la religion que la philosophie.

Enfin, la troisième partie de notre travail sera consacrée à l’étude de nous allons de la théorie politique chez Spinoza. Il s’agit d’éluder le fondement de la vie sociale et de la démocratie. Comment notre penseur conçoit-il sa philosophie politique ? Quels sont les jalons de son engagement politique dans la restructuration de la société humaine ?

Le projet politique de Spinoza se situe dans la réflexion sur l’organisation de la cité et de la vie sociale, c’est-à-dire sur les institutions indispensables à l’existence commune d’un grand nombre d’individus. Cette réflexion n’est pas la fin ultime de la doctrine, puisque celle-ci s’achève par la description de cette perfection qu’est « l’amour intellectuel de Dieu » ; en

21

(26)

revanche, cette réflexion politique est un passage nécessaire, puisqu’elle doit permettre d’instaurer la sécurité et l’harmonie entre les citoyens. Seule cette harmonie sociale rend possible la mise en œuvre du cheminement individuel par lequel l’esprit singulier passera de la servitude à la liberté et de la morale de la crainte à l’éthique de la joie et à la béatitude. La politique n’est que la condition préliminaire de la sagesse, dans l’exacte mesure où la sécurité et la paix sont les conditions préliminaires de la construction du vrai bonheur.

Ainsi qu’on le peut le voir, Spinoza n’a pas hésité à s’attaquer aux utopistes qui rêvent d’un âge d’or : c’est en raison de leur imperfection que les hommes ont besoin de lois. De toute évidence, il veut fonder sa réflexion politique sur la réalité et la connaissance rationnelle. Pour notre penseur, l’engagement politique et le combat pour la justice et la liberté de pensée n’excluent pas le réalisme politique. Il faut une réflexion pour une voie intermédiaire, libre et rationnelle qui conduirait concrètement et effectivement les hommes à la paix. C’est la société démocratique, le fruit de la raison, qui doit créer les conditions de développement de la vie rationnelle, de la fin de la servitude et du devenir causa sui des individus. Ainsi, l’amour spinoziste pour la liberté politique, pour la prudence et la sagesse démontre bien ici la question de son engagement politique qui est au cœur de notre recherche.

Dans notre analyse critique personnelle sur ce sujet, nous dirons que ce ne serait pas une gageure que de prétendre réduire à un dialogue étroit les rapports de la religion et de la politique au cours des siècles. Une affirmation d’intransigeance d’une part, une offre de conciliation, d’autre part, la demande et la réponse ne cessent de se heurter. Mais les rôles changent et si, dans les premiers temps de la théologie, l’intransigeance fut surtout le fait de la croyance, il semble que ce soit, chez Spinoza, une garantie d’honneur pour la politique que d’affirmer un exclusivisme à l’égard de la religion. Dans l’analyse spinoziste, en effet, nous pouvons établir d’abord une réelle distinction des différents types de religion dans leur rapport avec l’Etat. Nous constatons qu’elle fustige les formes superstitieuses de la religion, de l’Ecriture biblique et les fondements de l’Etat dans ses rapports avec l’Eglise. N’est-ce

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pas qu’il ne faut pas soumettre la liberté de penser, fondement des Etats démocratiques, à l’autorité religieuse ?

Telle est ce que semble nous livrer la réflexion religieuse et politique de Spinoza sur laquelle porte notre étude. Au fond, comment notre philosophe dévoile-t-il les différentes formes de religion et leur rapport avec l’Etat ? Spinoza ne présentait-il pas l’image d’un « libertin », propageant l’indifférentisme religieux et l’incrédulité ?

Nous sommes persuadé que l’œuvre spinoziste vise à prôner la liberté de philosopher dans un Etat et sur le rôle de la religion ou du moins, entretenir la croyance des citoyens dans les principes sacrés de la vie sociale. Il faut noter par ailleurs que notre exposé met en lumière, d’une part les attaques de Spinoza contre les méfaits de la religion superstitieuse et de l’autre, les bienfaits de la liberté de penser.

Notre projet consiste d’abord à identifier les rapports entre la religion et l’Etat. Ensuite, montrer en quoi la liberté de penser peut être possible dans un Etat à travers l’avènement d’un véritable salut en communauté ; puis de voir les bases théologiques sur lesquelles peuvent se fonder le civisme et l’engagement politique ; enfin d’actualiser l’entreprise spinoziste ; et nous serons amené à nous prononcer sur le problème du rapport entre religion et politique et sur l’engagement politique de Spinoza.

Nous pouvons comprendre dans une certaine mesure que notre penseur s’attaque a priori aux opinions des théologiens qui veulent soumettre la raison à la théologie. D’ailleurs, il indique quels malheurs sont nés de la place politique que prirent les prophètes au temps des Rois, en voulant se substituer aux magistrats, se permettant par exemple, eux, simples individus particuliers de critiquer moralement les Rois au nom de leurs prérogatives religieuses. Les guerres civiles seraient même nées de cette division du pouvoir religieux et du pouvoir politique, et de la prétention des prophètes à légiférer.

En clair, pour répondre à notre première question relative aux mobiles du choix de ce thème, nous dirons dès l’abord que très souvent , l’on oppose – à tort ou à raison – politique et religion alors que bon nombre de personnes

(28)

sont aussi bien assidues dans les lieux de culte que dans les structures de recherches philosophiques et les instances politiques ; ensuite, que cette opposition mérite d’être dépassée, du moins résolue pour une question d’honnêteté religieuse, intellectuelle et politique non pas en essayant de subordonner la raison à la foi, comme l’ont suggéré bien de penseurs ; que Spinoza, ayant proclamé leur séparation, nous donne une nouvelle vision en indiquant qu’il convient de réunir le domaine religieux, en exposant – selon nous – une nouvelle façon de résoudre le problème. Nous aurons à insister sur un aspect de la religion : il convient de voir en La Bible par exemple non seulement un instrument de prière mais aussi une source inépuisable de savoir en général. La Bible est à la portée de tous, son exploitation demande une rigueur simplement attentionnée.

Quel est donc notre projet dans ce travail de recherche ? Il s’agit d’abord de comprendre le système philosophique de Spinoza pour voir les places qui y sont accordées à la doctrine rationaliste et de sa constitution, ensuite de souligner la critique religieuse de Spinoza dans sa philosophie et de réfléchir sur celles-ci par rapport à sa théorie politique et sur la possibilité de leur rapport ; il s’agira enfin, de tirer les conséquences relatives à une telle entreprise.

Somme toute, Spinoza prône l’idée selon laquelle la constitution démocratique semble être le régime politique le plus cohérent, quant à sa structure interne et à son rapport avec le propos général de la philosophie spinoziste. Il conviendra alors de distinguer Philosophie et Théologie afin de permettre l’exercice de la liberté de pensée et d’expression. Mais cette liberté ne peut être garantie que dans un Etat lui-même affranchi de la religion. Telle est la pensée de Spinoza, défenseur de la liberté et d’un Etat laïc et démocratique.

Enfin, nous aurons à nous prononcer nous-même sur la solution proposée par Spinoza au problème de la religion et de la politique et les implications philosophiques sur notre thème. Mais alors comment résoudre le

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problème que pose notre travail ? Quelle démarche allons-nous utiliser pour résoudre les différentes hypothèses de notre recherche?

Il convient d’abord d’identifier les modalités de la raison. Ensuite de construire une critique spinoziste de la religion, et de sa théorie politique ; il importe de montrer en quoi la liberté de penser peut être possible dans l’Etat à travers l’avènement d’un véritable salut en communauté ; puis de voir les bases théologiques sur lesquelles peuvent se fonder le civisme et l’engagement ; enfin, d’actualiser l’entreprise spinoziste et de voir les enjeux qui s’y dégagent.

Finalement, dans ces conséquences de l’entreprise spinoziste, nous étudierons la question de la liberté (liberté politique) pour ensuite passer au problème de l’engagement politique, et du rôle de ces débats dans les questions théologico-politiques, notamment la question de la critique religieuse.

Nous conclurons par une étude de la question des rapports entre morale et théologie, plus précisément la problématique du salut, entre la liberté et l’Etat, entre la politique et la religion sur laquelle nous serons amenés à nous prononcer. Notre travail, en effet, va s’inscrire dans la méthodologie analytique. Il s’agira d’analyser les différentes hypothèses qui alimenteront notre recherche à travers une construction systématique des recherches effectuées. Finalement, avant de revenir au sujet proprement dit, nous tenons à préciser que ce travail de recherche, à notre sens, devrait participer à la compréhension politique des lecteurs. En le feuilletant, on s’apercevra, comme le montre bien notre thème, qu’au-delà du témoignage de tolérance, d’acceptation de l’autre avec sa différence, de la pratique religieuse de l’homme et de son comportement face à la politique, il véhicule le message du civisme et de l’engagement politique de l’homme au quotidien.

(30)

PREMIERE PARTIE : LES MODALITES DE

LA RAISON ET LEUR SPECIFICITE

(31)

CHAPITRE I.

: LES MODALITES DE LA RAISON

I.1.

A la découverte de la raison

« Renonce à une superstition funeste, reconnais et cultive ta

raison »22; cette injonction spinoziste adressée à Burgh peut nous servir ici de

prémisse à l’analyse de ce chapitre. Spinoza définit d’abord la raison comme un mode de connaissance constitué d’un système d’idées adéquates (c’est-à-dire claires et distinctes) des choses ainsi que de notions communes (comme l’étendue, par exemple, qui est commune à un corps et à tous les corps), système par lequel nous formons les raisonnements (c’est-à-dire de nouveaux rapports entre les choses). On peut dire que le champ de la raison nous conduit aux différents genres de connaissance. Le choix entre les trois genres de connaissance ou modes de perception (ouï-dire, expérience vague, conclusion par raisonnement, vision intuitive par l’essence singulière) pose la condition primordiale de la méthode comme la connaissance réflexive ou l’idée vraie. Indiquons que la théorie des genres de connaissance y commande d’abord un examen des passions, puis une étude de la libération avec le rôle médiateur que joue la raison, et enfin une analyse de l’état bienheureux où s’associent la confiance, l’immortalité de l’âme, l’amour divin pour l’homme et la vraie liberté. Spinoza vise à étendre à tous les domaines l’objectif du modèle pratique de la connaissance rationnelle, substituant ainsi le qualitatif au quantitatif, qui lui semble toujours relever d’une approche du réel trop influencée par l’imagination dont dépendent aussi bien le finalisme que la croyance en la liberté. L’idée que le monde obéit à une intention constitue pour notre penseur le préjugé le plus répandu, cela parce qu’elle est produite par la conscience humaine corrélativement à sa croyance au libre-arbitre : il s’agit de remplacer ces deux erreurs par l’usage de l’enchaînement universel des causes et des effets, la connaissance de l’homme lui-même relevant du déterminisme, ce qui du reste conduit bien de commentateurs à voir en Spinoza l’initiateur des

22

(32)

sciences humaines. Pour quel motif ? Parce qu’il est de cette façon déterminé par des causes extérieures, même avec ignorance, l’homme s’imagine également que les valeurs telles le Bien, le Beau, sont dotées d’existence substantielle. En effet, il n’en est rien puisque la valeur est toujours relative, et ce par rapport à une situation donnée ; son étude participe alors à la fois d’une généalogie et d’une ontologie, ce qui vaudrait dire qu’il faut chercher en l’homme un principe d’existence qui donne valeur à ce qu’il peut vivre : ce sera le désir (l’essence de l’homme), qui affecte une tendance à persévérer dans l’être (le conatus). Dès lors, le Bon, par exemple, ne saurait être autre chose que ce que nous connaissons avec exactitude et qui nous permet de ressembler au type d’être de la nature humaine.

Un des grands chantiers de la méthode de Spinoza est de conduire la connaissance, celle de la nature humaine à atteindre notre bien être. La seconde partie de son œuvre, l’Ethique s’inscrit d’ailleurs dans cette optique, selon qu’elle se déduit de la nature et des attributs de Dieu.

Dans la pensée de Spinoza, l’esprit humain se caractérise comme conscience et connaissance. Pourtant, l’esprit parvient à construire l’idée claire, la connaissance véritable des affects tels la manière pratique de vivre son corps. Mais alors, dans quelle mesure ce passage à la connaissance claire est-elle rendue possible ? Il convient d’examiner comment est-elle peut s’avérer utile à la vie.

Il importe de distinguer l’imagination, qui conçoit les productions sensibles comme des réalités, et l’entendement qui connaît le monde comme tel. Dans l’imagination, la confusion subsiste souvent et c’est sur la base d’un dépassement que notre penseur construira sa théorie de la connaissance. Il envisage avant tout quatre stades de la connaissance (dans le Traité de réforme de l’entendement) – il nous semble essentiel de repérer toutes les voies - : pour parvenir au vrai bien, il faut revoir les voies qui conduisent à opérer la critique de l’imagination et de l’opinion, et approfondir les deux modalités de la connaissance rationnelle, le discours déductif et de l’intuition. Finalement, il ne retiendra que trois formes de la connaissance dans l’Ethique. Notre philosophe

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distingue donc trois genres de connaissance dont une perception empirique et deux formes de connaissance rationnelle. On peut alors lire : « Il apparaît

clairement que nous percevons bien des choses, et formons des notions universelles (I) à partir des singuliers, qui se représentent à nous par le moyen des sens de manière mutilée , confuse, et sans ordre pour l’intellect : et c’est pourquoi j’ai l’habitude d’appeler de telles perceptions connaissance par expérience vague ; (II) à partir des signes, par exemple de ce que, ayant entendu ou lu certains mots, nous nous souvenons de choses, et en formons certaines idées semblables à celles par le moyen desquelles nous imaginons les choses. L’une et l’autre manière de contempler les choses, je l’appellerai dans la suite connaissance du premier genre, opinion ou imagination ; (III) enfin, de ce que nous avons des notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses ; et cette manière de contempler, je l’appellerai raison et connaissance du deuxième genre. Outre ces deux genres de connaissance, il y en a, comme je le montrerai dans la suite, encore un troisième, que nous appellerons science intuitive (nos multa percipere, & notiones universales formare I°. Ex

singularis, nobis per sensûs mutilatè, confusè, & sine ordine ad intellectum repraesentatis : & ideo tales perceptiones cognitionem ab experientiâ vagâ vocare consuevi. II°. Ex signis, ex.gr. ex eo, quod auditis, aut lectis quibusdam verbis rerum recordemur, & earum quasdam ideas formemus similes iis, per quas res imaginamur. Utrumque hunc res contemplandi modum cognitionem primi generis, opinionem, vel imaginationem in posterum vocabo. III°. Denique ex eo, quod notiones communes, rerumque proprietatum ideas adaequatas habemus ; atque hunc rationem, & secundi generis cognitionem vocabo. Praeter haec duo cognitionis genera datur, ut in sequentibus ostendam, altud tertium, quod scientiam intuitivam vocabimus.»23

On comprend de là que pour Spinoza, la connaissance est non seulement son accord avec le monde, mais elle est aussi vraie par un rapport

23

Spinoza, Ethique, Deuxième partie, Proposition XL, scolie II, Traduction Bernard Pautrat, Editions du Seuil, Paris, 1988, p.169.

(34)

spécifique du redoublement de l’idée. C’est à juste raison que notre penseur indique que la véritable méthode de la philosophie « n’est rien d’autre que la

connaissance réflexive ou l’idée de l’idée »24

De toute évidence, la connaissance vraie, c’est-à-dire la vérité, désigne la connaissance complète (rassemblant toutes les données relatives à un objet) et la connaissance réflexivement évidente (accompagnée du sentiment intérieur de sa propre cohérence et de sa validité). Remarquons que la connaissance n’est vraie que si elle est adéquate, qui lui confère une cohérence et une évidence en adéquation avec l’objet et avec elle-même. De cette analyse, Spinoza entend montrer à travers un effort graduel la possibilité de passer de l’ignorance à la connaissance. C’est donc sur cette base de l’idée ou conscience que se fonde la connaissance vraie. Et justement, par la méthode réflexive, l’homme peut user de son idée pour la mettre en crise, la refonder et la réfléchir en elle-même. Pour ainsi dire, l’homme conçu comme conscience, peut conduire sa connaissance par le regard imaginaire du monde à l’appréhension et à la compréhension rationnelle de ce monde.

En définitive, l’on peut retenir que l’homme dispose de plusieurs manières de connaître : le premier genre de connaissance fait d’idées inadéquates qu’il a par le cours ordinaire de la nature, perception des sens, images qui se relient entre elles par une simple succession, le second genre ou raison, fait de notions communes, connaissance dont l’objet est soustrait à la durée et fait saisir « les choses sous une espèce d’éternité (res sub aeternitatis

specie concipit). »25 ; enfin, le troisième genre de connaissance, dans lequel l’âme devient intelligible à elle-même.

On le voit, Spinoza vient introduire là un nouvel équilibre intellectuel dans la théorie de l’homme. Loin de se s’atteler à la simple classification de la connaissance, il dresse l’itinéraire philosophique sur la base suivante : montrer que la fausse pensée provient de l’imagination avec ses délires

24

Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, §38, Flammarion, Paris, 1964, p.200.

25Ethique, Cinquième Partie, Proposition. XXXI, scolie, Editions du Seuil, Texte original et traduction nouvelle par Bernard Pautrat, Paris, 1988, p.525.

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anthropomorphiques et superstitieux au plan théologique, ses délires passionnels dans le domaine psychologique, et enfin ses délires de frayeur et de crainte au plan moral et politique.

L’entreprise philosophique dont l’objectif fondamental est à la recherche du « vrai bien », se définit avant tout dans une manière éthique et une visée libératrice : c’est d’abord la recherche d’un désir de liberté, ensuite procéder à la critique de la connaissance imaginaire, et enfin s’efforcer de connaître les choses de façon rationnelle en vue d’accéder à la liberté.

Au niveau de la connaissance, nous pouvons affirmer que c’est la raison universelle qui fonde toute intelligibilité. Et l’idée vraie se conçoit comme l’idée adéquate, claire et distincte, et contient en elle-même le critère de sa vérité et de son évidence. L’esprit quant à lui, doit s’élever par degrés de la

connaissance du premier genre – les idées générales issues de l’imagination et de la perception sensible, qui sont inadéquates – à la connaissance du deuxième

genre, celle de l’entendement ou raison, connaissance adéquate par notions communes, qui remonte des effets aux causes. En revanche, la connaissance du

troisième genre, la seule parfaite du reste, constitue la connaissance intuitive qui déduit les effets, la nature des choses, de la véritable cause qui n’est autre que Dieu.

De la lecture de l’Ethique et du Traité théologico-politique, nous pouvons utiliser la distinction des trois genres de connaissance que Spinoza expose. Ces trois genres de connaissance, dont le premier n’est qu’une connaissance vague, sont les trois degrés que parcourt celui qui veut s’arracher à l’attitude spontanée, perceptive, pour appréhender la bonne maîtrise de sa pensée, en passant par le stade discursif (deuxième genre) pour atteindre le stade intuitif (troisième). Cette méthode, suivant l’itinéraire philosophique, nous conduit à comprendre comment Spinoza étudie les comportements religieux, des plus primitifs aux plus sages, en indiquant, sous chaque forme de religion, quel degré de liberté l’homme a atteint. L’homme qui se limite au simple niveau de la connaissance du premier genre est celui qui vit des préjugés, des « ouï-dire » des expériences vagues, spontanées, des passions. Il

(36)

ne vit qu’une religion superstitieuse. L’homme qui parvient à se mettre au niveau de la connaissance du deuxième genre, arrive à raisonner et à réfléchir à partir de notons communes, générales. Il est capable de découvrir de par les différentes religions leur noyau commun. Sa religion devient rationnelle et se vit dans l’Etat de façon pratique, morale. Enfin, l’homme qui devient sage parvient à la connaissance du troisième genre. C’est le moment synthétique, intuitif de la raison. Chaque être vit dans son rapport au tout de la Nature. L’homme religieux ne se contente point d’une religion universelle, il vit une authentique religion philosophique qui est une véritable vie de l’esprit.

On peut voir là, les rapports des différents genres de connaissance aux différentes formes de religion par rapport à l’Etat que vit l’homme. Ou bien il obéit par peur et intérêt (premier degré de connaissance), ou bien il obéit par raison (deuxième degré de connaissance), ou bien il épanouit en lui la ferveur spirituelle et le sentiment de la liberté (troisième degré de connaissance).

Spinoza se donne avant tout comme objectif de parvenir à la béatitude et à la liberté. Au demeurant, cela est perceptible ici lorsqu’il indique que « Je

me résolus enfin, affirme-t-il dans le Traité de la réforme de l’entendement, de rechercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent

pour fruit une éternité de joie continue et souveraine. »26 La béatitude, la

jouissance de ce bien véritable, consiste en l’amour intellectuel de Dieu. Le salut de l’homme réside pour ainsi dire dans cet amour perpétuel et éternel envers Dieu, dans l’union de l’âme avec Dieu. Et on peut comprendre que c’est la raison et la connaissance rationnelle qui conduiront à l’objectif assigné.

Si nous résumons de façon succincte que la philosophie spinoziste va constituer la source d’une réforme de l’entendement afin de le rendre apte à comprendre les choses de façon à « maintenir (mon) entendement dans la

voie droite (et) diriger toutes les sciences vers une seule fin et un seul

26

(37)

but. »27 Spinoza envisage d’établir une distinction des différents genres de connaissance. En effet, dans l’Ethique d’où il en est question, notre philosophe définit le premier genre comme la connaissance par les sens, l’opinion ou l’imagination, et la connaissance par « expérience vague » ou par « ouï-dire ». Elle comprend les choses singulières que les sens nous représentent d’une façon tronquée, confuse et sans aucun ordre pour l’entendement. Nous pouvons imaginer, par exemple, que le soleil est à deux cents pas, parce que justement nous n’avons pas l’idée par la raison de sa vraie distance. A en croire notre philosophe, la connaissance sensible est pour ainsi dire inadéquate ; elle est confuse et mutilée, et consiste en fait en revanche, est une idée vraie, une connaissance claire, totale et parfaite de la chose. Par ailleurs, la connaissance du deuxième genre, qui est la raison, comprend les notions communes et les idées adéquates des propriétés du raisonnement. Les notions communes sont des idées générales, communes à tous les esprits et des représentations communes aux corps (l’étendue, le mouvement et le repos).

Enfin, le troisième niveau de connaissance constitue la science intuitive, connaissance qui procède de l’idée adéquate de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. Elle apparaît de cette façon comme le niveau supérieur de la connaissance et jouit d’une perfection absolue.

Spinoza se consacre dans la suite logique de sa philosophie à l’étude de l’idée vraie et de la méthode. En effet, l’entreprise spinoziste se reconnaît bien évidemment par son analyse relative à l’idée vraie se manifeste par ses intrinsèques : « Qui a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée

vraie, et ne peut douter de la vérité de la chose (qui veram habet ideam,

simul scit se veram habere ideam, nec de rei veritate potest dubitare) »28. De cette façon, l’analyse spinoziste ne peut se ressourcer dans le doute comme chez Descartes. L’idée vraie, en effet, n’a pas besoin d’être remise en doute ni

27

Ibid., § 5, 185. 28

Spinoza, Ethique, Deuxième partie, Proposition XLIII, Traduction par Bernard Pautrat, Editions du Seuil, Paris, 1988, p.171.

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d’être garantie, puisqu’elle se révèle d’elle-même comme « la lumière

manifeste à la fois elle-même et les ténèbres, de même la vérité est norme d’elle-même et du faux (sanè sicut lux seipsam, & tenebras manifestat, sic

veritas norma sui, & falsi est) ».29

La méthode de la philosophie constitue pour ainsi dire la connaissance réflexive ou l’idée de l’idée. Pour Spinoza, « La bonne méthode est celle qui

montre comment l’esprit doit être dirigé selon la norme d’une idée vraie

donnée »30. Et dès lors, nous pouvons retenir que la meilleure méthode

envisageable en philosophie selon lui, consiste donc à partir de Dieu qui est la cause de toutes causes, et l’idée se révèle en nous. De cette façon, l’idée de Dieu constitue la source de toutes les autres idées.

En vérité, il n’existe point chez lui de méthode indépendante de la philosophie. C’est l’itinéraire philosophique, c’est le système tout entier qui, par son déploiement, fonde la méthode. La méthode paraît de cette façon synthétique et géométrique : toutes les idées s’enchaînent à partir de l’idée de Dieu dans une déduction progressive, et rien n’est établi mathématiquement. C’est cela le système de l’Ethique écrite à la manière géométrique, qui nous conduit à analyser le système des affects à travers le rôle de la raison.

I.2.

La raison et ses dominantes majeures

C’est en apprenant à penser, selon Spinoza, que l’homme peut découvrir le Souverain Bien, bien véritable, qui à même de donner le suprême contentement, la béatitude. Dans la quatrième partie de l’Ethique, il oppose aux faux sentiments et comportements (crainte, honte, tristesse) les vrais sentiments basés sur des idées positives (joie, amour) dirigés par l’entendement. Partager la vraie connaissance permet de profiter de la vie en chassant les idées tristes de la haine, de la vengeance et de la mort.

29

Ibid., Proposition XLIII, scolie, p.173. 30

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