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La femme dans l'oeuvre romanesque d'Andre Langevin /

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La femme dans l'œuvre romanesque d'André Langevin

par

Marie-Hélène Grattan

Mémoire de maitrise soumisà la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

MaÎtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiII

Montréal, Québec

Mars 2001

(4)

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Abstract

André Langevin's novels, Évadé de la nuit(1951), Poussière sur la ville (1953), Le temps des hommes (1956), L'élan d'Amérique (1972) and Une chaÎne dans le parc (1974) show numerous lonely characters. Abandoned, secluded or uncivilized, they remain unable to communicate with others: « C'est ce rapport difficile et jamais terminé de l'individu avec «autrui» qui constitue la trame essentielle et la continuité de l'œuvre romanesque d'André Langevin », wrote Jean-Louis Major in 1977, in an article about the author.

The purpose of this study is to look at the representation of the « Other »

when it refers specifically to a woman. The feminine characters in Langevin's novels are shown as strangers: obviously different from men, women are struck by passions that are unknown and incomprehensible to the male heros or to any other man of her environment. In the tirst part, this study will demonstrate that the majority of heroines lived a painful chidhood with an absent father and an unkind mother. The second part will look at the love relationships of the female protagonists, unions that remain disappointing and are doomed to failure. Finally, the conclusion will examine the tragic death of severa1heroines (suicide, death in child-birth ... ).

This study of André Langevin's feminine characters relies on the feminist critic, using, among others. the work ofBarbara Godard and Lori Saint-Martin. This model will offer an innovative perspective of a literary work that has been

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greatly studied, but for which one important aspect appears to have been neglected : women who inhabit it.

(7)

Résumé

Les cinq romans d'André Langevin, ~vadé de la nuit (1951), Poussière sur la ville (1953), Le temps des hommes (1956), L'élan d'Amérique (1972) et

Une chaine dans le parc (1974) présentent de nombreux personnages empreints de solitude. Abandonnés, reclus ou sauvages, ils sont incapables de communiquer avec l'autre: « C'est ce rapport difficile et jamais terminé de l'individu avec « autrui» qui constitue la trame essentielle et la continuité de l'œuvre romanesque d'André Langevin», remarquait le critique Jean-Louis Major dans un article portant sur l'auteur, en 1977.

Notre recherche a pour objectif l'étude de la représentation de cet

« autrui» lorsqu'il s'agit spécifiquement d'une femme. La femme mise en scène dans l'œuvre romanesque de Langevin semble y faire figure d'étrangère: évidemment différente de l'homme, elle est mue par des passions qui sont difficilement traduisibles par le héros ou par toute présence masculine qui la côtoie. Cette étude montrera, dans un premier temps, que la majorité des héroïnes ont connu (ou connaissent) une enfance pénible entre un père absent et une mère dépourvue de chaleur humaine. La deuxième partie s'attardera aux relations amoureuses des protagonistes féminins, qui sont pour la plupart insatisfaisantes et vouées à l'échec. Enfin, en conclusion, nous aborderons la fin tragique de plusieurs héroïnes de Langevin: la mort, qu'elles se donnent ou qu'elles se voient imposer par les « hasards» de la nature humaine (mort en couches, maladie... ).

(8)

En ayant recours aux travaux de critiques féministes telles Barbara Godard et Lori Saint-Martin, entre autres, cette analyse des personnages féminins chez Langevin s'appuiera sur le modèle de la critique féministe. Cette approche permettra d'offrir, nous l'espérons, un nouvel éclairage sur une œuvre romanesque qui a été beaucoup étudiée mais dont un aspect primordial semble avoir été négligé : les femmes qui l'habitent.

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Je tiens à remercier le professeur Jean-Pierre Boucher qui m'a aidée et dirigée dans mes recherches.

J'aimerais également exprimer ma reconnaissance à Mesdames Marie Desjardins, Marie-Thérèse Bataïni et Marie-Ève Nantel qui ont su me conseiller et m'encourager.

Mes remerciements vont également à mes parents et à mes sœurs qui m'ont soutenue durant la rédadion de ce projet.

(10)

Résumé Abstract Remerciements INTRODUCTION

État présent de la recherche

Féminisme et critique littéraire féministe La femme chez Langevin

CHAPITRE 1: SITUATION FAMILIALE

CHAPITRE Il : RELATIONS AMOUREUSES

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

p.2

p.4

p.6

p.8 p.8

p.11

p.22

p.26

p.54

p.91

p.99

(11)

État présent de la recherche

Les écrits d'André Langevin, ses romans en particulier1, ont suscité beaucoup d'intérêt chez les critiques qui ont publié, depuis une trentaine d'années, de nombreux essais, mémoires et articles sur son œuvre romanesque. Nous avons remarqué que ces derniers étudient principalement la solitude des héros masculins, des jeunes hommes prenant à la fois conscience de leur existence, de la nécessité de s'ouvrirà leur environnement, mais en même temps, de cette distance infranchissable entre eux et les autres. Peu de textes critiques, toutefois, ont offert une analyse approfondie des personnages féminins, de manière à découvrir leurs constantes ou leurs particularités sur le plan social et affectif. Les rares thèses de doctorat ont plutôt étudié les héros masculins, tandis que dans certains mémoires2, on présente la femme comme un élément d'importance secondaire gravitant autour du protagoniste; elle devient ainsi un simple « moyen d'évasion» de

1 A. Langevin, t:vadé de la nuit, Ottawa, Le Cercle du Livre de France, 1951,245 p.; Poussiére sur /a ville, Ottawa, Le Cercle du Livre de France. 1953, 213 p.; Le temps des hommes, Ottawa, Le Cercle du Livre de France. 1956,233 p.; L'é/an d'Amérique, Ottawa. Le Cercle du Livre de France. 1972.239 p.; Une chaine dans le parc. Ottawa, Le Cercle du livre de France, 1974, 316 p.; désormais, ces romans seront identifiés par les sigles ~N. PV. TH. t:A et CP

respectivement.

2Peu de mémoires de martrise traitant de l'œuvre romanesque de Langevin nous ont été utiles

pour notre travail : l' «analyse» que nous prévoyions y trouver en les parcourant se présentait plutOt comme un résumé de la trame des romans où l'on paraphrasait les paroles et les gestes des protagonistes.

(12)

l'homme3. Les rares critiques s'intéressant aux héroïnes le font brièvement ou

de manière superficielle: Christine Tellier, dans sa « Ledure sociocritique de

Poussière sur la ville »4, se penche sur le caractère instable du personnage de Madeleine et, plus récemment, Michel Lapierre commente également la personnalité de cette femme dans La Vénus québécoise avec ou sans

fourrureS, un essai qui « redéfinit » très librement les protagonistes féminins d'une soixantaine de romans québécois.

Il faut toutefois reconnaître que quelques critiques ont identifié les traits caractéristiques de la femme langevinienne: André Brochu, dans L'évasion

tragique: essai sur les romans d'André Langevin6, propose divers points de vue (structuret psychologique, narratif, thématique) à l'étude d'une grande variété de sujets, et parmi ceux-ci, l'amour. Ce critique perçoit les romans de Langevin comme une progression de la relation homme-femme qui, dans la majorité des cas, demeure un échec pour ceux qui s'y investissent. Dans Trois

romanciers québécois7, Gérard Sessette s'intéresse au quatrième roman de Langevin, L'élan d'Amérique, et propose une analyse psychanalytique du personnage de Claire, la seule héroïne de Langevin possédant une voix

3 Parmi eux: Y. C. Boucher, André Langevin, l'expression thématique dans la trilogie

romanesque,Mémoire de maitrise. Ottawa, Université d'Ottawa. 1970,202 p.

4 C. Tellier, Lecture sociocritique de Poussière sur la ville, Mémoire de maîtrise. Montréal,

1994,103 p.

5 M. Lapierre. La Vénus québécoise avec ou sans fourrure, Montréal, Stanké, 1998. p.

107-109.

6 A. Brochu, L'évasion tragique: essai sur les romans d'André Langevin, Lasalle, Éditions

HMH, 1985.358p.

7 G. Bessette, cL'élan d'Amérique dans l'œuvre d'André Langevin., dans Trois romanciers

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propreS. G. Sessette la compare aux autres héroïnes de l'œuvre (Madeleine de Poussière sur la ville, Yolande du Temps des hommes et Micheline d'Évadé de la nuit) qui vivent. elles aussi, des frustrations amoureuses, puis il s'attarde aux autres figures secondaires féminines du roman et tente d'expliquer le comportement souvent misogyne des hommes à l'égard de ces «seconds rôles». Quant à Gabrielle Pascal, elle consacre, dans La quête de l'identité chez André Langevin9, un chapitre entier aux personnages féminins qui,

souligne-t-elle, «sont le plus souvent décrits de façon sommaire et réduits à

des rôles secondaires»10. Elle ajoute qu'ils appartiennent toujours de près ou

de loin à trois catégories: les « vraies mères» ou les femmes à qui les circonstances donnent un rôle maternel, les «marâtres» et, enfin, les « femmes fatales »11. Nous avons remarqué que cette volonté de classifier le

rôle des femmes pour mieux les regrouper en catégories se retrouve également dans certains articles et mémoires universitaires. Dans «La femme dans les romans d'André Langevin », Philippe Lacelin établit ainsi deux types de femmes: la «femme-enfant » et son « vif besoin de sensation, [... ] son orgueil étroit», et la «femme-mère» qui fait preuve d'amour et de tendresse maternelle12. Il souligne néanmoins la fragilité de cette classification

8 Dans un numéro spécial de la revueI:tudes iittéraires (volume 6, no 2, aaüt 1973) consacréà

André Langevin, Denis Saint-Jacques signe un article sur L'élan d'Amérique et s'attarde

également au personnage énigmatique de Claire.

9G. Pascal,La quête de l'identité chez André Langevin, Montréal, Ëditions Aquila, 1976,93p.

1DIbid., p. 24.

" Ibid., p.25.

12 P. Lacelin, «La femme dans les romans d'André Langevin».Lettres et écritures, vol. l, no3,

(14)

sommaire: les femmes «évoluent selon leur caractère et les circonstances qui changent »13. Ainsi, les personnages féminins sont affublés de certaines caractéristiques dans le but de les inclure à tout prix dans un sous-groupe déterminé. Ces catégories nous paraissent réductrices et leur développement demeure quelquefois superficiel.

Féminisme et critique littéraire féministe

Avant d'entreprendre notre étude, il convient de cerner l'objet de notre analyse en définissant l'approche que nous avons retenue: la critique féministe. En Amérique du Nord, et plus particulièrement au Québec. depuis une vingtaine d'années, la critique féministe appliquée à la littérature présente deux grands champs d'intérêt: elle est reconnue d'abord et avant tout pour son étude de textes d'auteurs féminins dans lesquels on recherche une spécificité féminine au niveau des thèmes et de la structure, tout en encourageant f' « éclatement» du langage féminin (nous faisons référence aux textes de féministes québécoises telles Louky Bersianik, Nicole Brossard et Suzanne Lamy, entre autres). Évidemment, cet aspect d'affranchissement des femmes par leur propre écriture ne représente pas le but de notre propos. Nous nous intéressons plutôt au mandat de la critique féministe qui dénonce, à la base, l'image statique de la femme dans les écrits masculins. Dans son Introduction

à la théorie littéraire, Robert F. Barsky précise que les féministes « tentent de réparer les torts infligés aux femmes par une institution et des individus

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traditionnellement et souvent très ouvertement patriarcaux, voire phallo-crates.»14 En portant un regard féministe lors de la lecture, c'est-à-dire un regard attentif à la représentation des femmes dans le texte et aux enjeux de pouvoir entre les sexes, lori Saint-Martin, critique féministe québécoise bien connue, remarquait récemment que « les œuvres classiques perdent vite leurs allures universelles et en disent long sur les angoisses, les fantasmes et les phobies des hommes. »15 Analyser la femme dans les textes d'hommes, c'est donc examiner, dans toute sa complexité, la mise en scène du Moi et de l'Autre. Afin d'enrichir notre analyse féministe, celle-ci ne manquera pas d'être alimentée par d'autres approches théoriques: psychanalytique, socio-historique, textuelle.

le constat de base du féminisme semble avoir été posé par Simone de Beauvoir dans son essai Le deuxième sexe16, publié en 1949, et qui nous

intéresse particulièrement puisqu'il est contemporain à l'œuvre de Langevin17.

L'essayiste soutient que la femme demeure « l'autre» pour l'homme; objet d'un sujet. elle est située dans une relation binaire qui exclut toute réciprocité, toute possibilité de renversement. L'homme demeure voyant et voyeur, celui qui détient le discours du pouvoir. Pour expliquer cette soumission de la femme,

14 R. F. Barsky, Introduction à la théorie littéraire. Sainte-Foy, Presses de l'Université du

Québec, 1997, p. 219.

1S L. Saint-Martin, Contre-voix: essais de critique au féminin, Montréal, Nuit blanche éditeur,

1997, p. 21.

16 S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949, Tome 1: «Les faits et les

mythes }), Tome Il : «L'expérience vécue», 395 p. et 663 p.

17Du moins pour la première moitié de son œuvre, identifiéeà l'époque comme une «trilogie»

après la publication d'~vadé de la nuit (1951), Poussière sur la ville (1953) etLe temps des hommes(1956).

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l'essayiste décrit ensuite les étapes qui amènent la femme à faire l'apprentissage de sa condition: dès son tout jeune âge, la fille se tiendrait dans une position d'attente; en quittant l'enfance peu à peu, elle espère la venue de l'Homme, libérateur, car riche et puissant.

A

cet âge, la femme est convaincue de la supériorité virile : ses parents le lui ont souvent répété et son entourage l'a persuadée qu'il est important de se faire la vassale du futur époux. Pour ce faire, on encourage l'adolescente à ne pas exiger trop d'elle-même puisque son sort ne dépend plus d'elle: «De la plus servile à la plus hautaine, elles apprennent toutes que, pour plaire, il leur faut abdiquer [... ] toute affirmation d'elle-même diminue sa féminité et ses chances de séduction»18, écrit S. de Beauvoir. De plus, en s'efforçant de devenir ce que

l'on attend d'elle, la fille réalise qu'elle est incomprise dans son nouveau rôle, et s'enfonce dans des rêves narcissiques de jeune fille qui craint d'affronter la vérité de l'existence. Certaines adolescentes s'avèrent donc incapables de connaitre un amour réel puisqu'elles recherchent un idéal qui correspond à leurs rêveries, un idéal bien souvent impossibleà atteindre.

Selon l'auteure du Deuxième sexe, la mère de la jeune fille n'aide en rien l'épanouissement de sa progéniture; au contraire, pour compenser le vide de leur propre existence, certaines femmes ne supportent pas que leurs enfants s'éloignent d'elles. Puisque ces mères ont renoncé à toute vie personnelle, elles se permettent d'emprunter une figure de victime. L'essayiste explique ces sacrifices par le droit qu'elles se donnent «de dénier ainsi à l'enfant toute

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indépendance; ce renoncement se concilie facilement avec la volonté tyrannique de domination »19. Puis, la mère vient peu à peu à voir dans sa fille

son double: tout en regardant celle-ci comme une créature supérieure sur qui elle rachètera son infériorité, elle tend à infligerà sa descendance féminine les imperfections dont elle a souffert. Les véritables conflits naissent quand la fille souhaite affirmer contre sa mère son autonomie; une lutte ouverte se déclare souvent entre elles, c'est normalement la plus jeune qui gagne, mais sa victoire a un goût amer; l'attitude de sa mère engendre en elle à la fois remords et révolte.

Parmi les différents articles et ouvrages nous éclairant également sur ce rapport complexe, nous retenons le collectif The Lost Tradition: Mothers and

Daughters in Literature qui en a étudié les manifestations dans la littérature

internationale, du Moyen-Orient antique à aujourd'hui. Nous avons été particulièrement intéressés par un chapitre traitant d'une « tradition des mères absentes »20, qu'on retrouverait dans les romans de Jane Austen et certains de ses contemporains. L'article souligne que, bien souvent. les jeunes héroïnes n'ont pas connu une mère vigoureuse et attentive à leur bien-être, mais plutôt l'un des trois «types» souvent représentés dans ces romans: les mères décédées, les mères absentes ou les mères exécrables. Tout en insistant sur le fait que les mères absentes ou décédées peuvent. dans certains cas,

t9 S. de Beauvoir, op. cit., p. 375.

20 S. Peck MacDonald, «Jane Austen and the Tradition of the Absent Mothe,.., dans C. N.

Davidson et E. M. Broner (dir.), The Lost Tradition: Mothers and Daughters in Uterature, New York, Frederick Ungar Publishing Co., 1980, p. 58-69.

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conserver une aura positive qui n'affecte pas le drame inhérent au roman, la critique S. Peck MacDonald convient que l'aide peut provenir d'autres femmes influentes, mais rarement de la mère. Selon la critique, ce phénomène littéraire suggère, quoique de manière superficielle, que les mères demeurent plutôt inutiles, superflues lors du passage de leur fille à la maturité, puisqu'on rend plutôt hommage à la figure maternelle qui la remplace auprès de la jeune fille esseulée. La signification de l'expression «mère absente» est ensuite approfondie: elle désignerait également la mutation d'une mère soi-disant compétente en une figure exagérément contrôlante, utilisant la désapprobation et les menaces pour l'éduquer:

The nurturing that we usual/y associate with motherhood, then seems to have to be withdrawn or denied in order to goad the daughter into self-assertion and maturation.21

En voulant protéger sa fille des épreuves essentielles à sa maturation, la mère contribue plutôt à faire apparaitre des obstacles, des difficultés. S. Peck MacDonald conclut que dans le but d'aider la fille à devenir une adulte indépendante - et pour que le roman se concentre sur elle majoritairement - la mère devrait être tenue à distance, permettant ainsi à la fille de vivre ses propres expériences. Tout en reprenant forcément l'existence de sa mère, l'adolescente pourrait choisir de conserver ce qu'elle considère comme pertinent, utileà sa propre existence, et se garderaitderépéter ses échecs.

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Plus près de nous, des critiques ont étudié la relation mère-fille telle que représentée chez quelques romancières canadiennes. Dans « My (m)Other,

My Self: Strategies for Subversion in Atwood and Hébert»22, Barbara Godard a noté que chez ces écrivaines, les héroïnes ont graduellement conscience de la distance qui sépare leur univers de celui de leur mère. Pour expliquer le motif de cette quête d'indépendance, les deux auteures se seraient inspirées de l'écriture masculine et de sa quête du Graal, et l'auraient remplacée par celui de la recherche d'une « Mère Magnifique» (<< Great Mother») : « ln their novels, the discovery cornes not from

a

movement towards unity of being, but, rather, from a recognition of the lost tradition of the goddess... »23. Le but que

poursuit leurs héroïnes par cette reconnaissance n'est certainement pas une accession à un pouvoir social, mais un processus de découverte éclairée de soi. Pourtant, un fait demeure: la plupart des jeunes protagonistes à qui l'amour maternel aurait fait défaut présenteraient de graves lacunes affectives, ainsi que quelques formes bénignes de folie. Ces jeunes femmes sont assaillies par le souvenir de certaines paroles leur mère, et s'efforcent d'en comprendre, à présent, toute la signification. Enfin, elles découvrent peu à peu que leur mère s'évertue depuis toujours à modeler leur existence, les obligeant à «agir comme tout le monde ».

22 B. Godard. «My (m)Other, My Self: Strategies for Subversion in Atwood and Hébert» .

Essays on Canadian Writing. no26 (été 1983), p. 13-44.

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S. de Beauvoir croit que la plus importante pression engendrée par la mère (ainsi que par la société) et subite par la jeune femme demeure l'urgence de se marier: « On admet unanimement que la conquête d'un mari - ou dans certains cas d'un protecteur - est pour elle la plus importante des entreprises »241 écrit l'essayiste. La liberté de choix de la fille est restreinte, car

elle est consciente que le célibat la situerait au rang de rejetée, de paria. Ainsi, le mariage deviendrait de plus en plus pressant pour toutes celles qui vieillissent, sages ou frivoles, confinées au foyer paternel ou ayant la chance d'y échapper.

Au Canada, Margaret Atwood25 a publié un guide thématique de la littérature canadienne dans lequel elle consacre un chapitrel « Ice Women vs

Earlh Mother», aux personnages féminins. Elle constate que ces femmes vivent intensément, mais elles sont vuesl par les autres personnages ou par elles-mêmes, comme étant souvent malveillantes, sinistres ou frigides. L'auteure reprend la classification de Robert Graves dans The White

Goddesil6, qui divise la femme en trois catégories mythologiques: dlabord, nnsaisissable Dianel la jeune fille; ensuite, Vénusi déesse de l'amour, de la

sexualité et de la fertilité; enfin, Hécate, d'abord considérée comme une déesse bienveillante, acquiert plus tard un caractère maléfique. En appliquant ces définitions aux personnages féminins de la littérature canadiennel M.

2..S. de Beauvoir,op. cit., p.90.

2S M. Atwood, «Ice Women vs Eat1h Mother - The Stone Angel and the Absent Venus» dans Survival: A Thematic Guide ta Canadian Literature, Toronto, McClelland & Stewart, 1996, 287

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Atwood a noté que les Dianes-jeunes filles meurent rapidement, qu'il y a une absence notable de Vénus mais de nombreuses Hécates. Traditionnellement, Vénus est pourvoyeuse de deux choses: la sexualité et les bébés. Or, l'auteure a remarqué qu'il y a, dans la littérature canadienne française en particulier, une étrange tendance à diviser ces fonctions, à reléguer la sexualité aux prostituées ou aux femmes méprisantes, et à réserver les bébés aux Dianes (avant qu'elles ne meurent) ou même aux Hécates. Dans tous les cas, la critique conclut que la littérature canadienne est pudique face à toutes formes d'expression de la sexualité.

Dans un chapitre du Deuxième sexe consacré aux prostituées, S. de Beauvoir remarque, à l'aide de maintes statistiques et analyses de cas, qu'un fort pourcentage de ces femmes sont des «déracinées », originaires d'une province éloignée ou d'un autre pays. De plus, des quantités d'enquêtes concorderaient sur un point: la plupart de ces prostituées perçoivent l'acte sexuel indifféremment. Cette réaction s'expliquerait par un traumatisme de jeunesse (viol, défloration par un ami ou un parent en qui elles avaient confiance, etc.). Toutefois, l'essayiste nuance ensuite le portrait émouvant de ces cas pathétiques :

La plupart des prostituées sont moralement adaptées à leur condition; cela ne veut pas dire qu'elles sont héréditairement ou congénitalement immorales mais qu'elles se sentent, avec raison, intégréesà une société qui leur réclame leurs services.27

(22)

L'essayiste soutient que ce n'est pas leur situation morale et psychologique qui rend pénible leur existence de « filles de rues », mais bien leur condition matérielle qui est dans la plupart des cas déplorable.

Dans Contre-voix: essais de critique au féminirtS, Lori Saint-Martin écrit que certaines prostituées contestent l'image de femme soumise que la société maintient à leur égard. Certaines affirment être plus libres qu'une femme mariée sans travail rémunéré et donc qui dépend du bon vouloir de son client-mari. Contrairement aux conclusions de S. de Beauvoir, elles se croient astucieuses d'avoir choisi le plus lucratif des métiers féminins. L. Saint-Martin rappelle néanmoins que la prostitution est avant tout une prise de pouvoir par l'homme, avantagé par son autorité économique (c'est lui qui paie ce «service ») et juridico-morale (la prostituée est condamnée par la société et la justice). En fait, «la prostituée ne vend pas tant la sexualité que la dégradation; le client achète du pouvoir, la possibilité de triompher de la volonté d'autrui. »29 La figure de la prostituée est donc exemplaire, puisqu'elle

devient une sorte de carrefour où convergent le sexuel et l'économique. En littérature, il existerait une vision de la prostituée comme emblème de la féminité à la fois redoutée (elle est la seule à se plier à certains jeux sexuels, ce qui en étonne certains) et désirée, «qu'on avilit pour moins en subir l'emprise »30. L'argent, le pouvoir social, la force physique ou mentale

28 L. Saint-Martin, Contre-voix: essais de critique au féminin, Montréal. Nuit blanche éditeur,

1997,294 p.

29Kate Millett.Sexual Politics. citée dansL.Saint-Martin,op. cit., p. 191. 30 L. Saint-Martin, op. cit.•p. 198.

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permettentà l'homme de tenir la prostituéeà distance tout en abusant d'elle en toute impunité.

Les personnages d'hétaïres ne sont certainement pas les seuls à subir l'attaque des hommes. Plusieurs auteurs québécois se servent couramment des personnages féminins pour leur faire subir les tourments du héros. Selon Lori Saint-Martin, ces écrivains mettraient en scène «leur fantasmes sado-érotiques à travers les réflexions de narrateurs exploités, aliénés politiquement et socialement, enfoncés dans une existence médiocre »31. Que ce soit par la mutilation du corps ou par le meurtre, la femme sera anéantie pour que le héros soit libéré d'un passé et d'un présent étouffants. En fait, il s'agit dans ces romans, d'emprunter un discours qui légitimera la violence faite aux femmes. Tout comme L. Saint-Martin, Jeannette Urbas32 a remarqué la présence d'une thématique particulièrement frappante dans le roman québécois: la femme comme symbole d'un mythe collectif ou d'une réalité culturelle. Dans ce cas, la disparition de la femme, causée par un meurtre ou un suicide, n'inquiète personne, puisqu'il permet au héros de se libérer d'une oppression politique dans laquelle la femme n'a souvent rien à voir. Cette incarnation femme/pays prouve l'incapacité féminine à prendre la parole. Réduite au silence, rejetée hors du discours, elle n'est plus qu'un

« mannequin », n'ayant plus que son corps: «le viol et le meurtre se trouvent

31 L. Saint-Martin, «Mise à mort de la femme et «libération» de l'homme: Godbout, Aquin,

Beaulieu», Voix et images, vol. X, no 1 (automne 1984), p. 107.

32 J. Urbas, «La représentation de la femme chez Godbout, Aquin et Jasmin», Revue de

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donc innocentés, légitimés pourvu que la victime en soit une femme. Cette « logique» implacable prive la femme du droit de refuser la violence qui s'exerce contre elle »33, constate L. Saint-Martin. Sans ce droit fondamental, la femme n'a plus d'autonomie, elle existeà peine. Le roman devient une espèce de « J'accuse» global et les femmes y représentent des aspects variés de la société, traçant par leur présence une accumulation de désillusions et d'amertume.

Toutefois, J. Urbas souligne que les femmes-symboles ne représentent pas toujours une entitéà blesser, à éliminer. Elles serviraient aussi à faire ressortir deux aspects opposés de la nature humaine :

D'un côté elle représente l'instinct et la force des émotions, incitant l'homme à des bassesses indignes de lui. Elle est alors inférieureà l'homme. En revanche, elle reflète l'image de l'anima, le principe de vie et l'âme. En ce cas elle est supérieure à l'homme, incarnant les plus hautes aspirations, les plus purs rêves de l'humanité.34

La femme se trouverait donc dans une situation contradictoire: d'une part, on lui accorde une importance suprême, au-dessus de l'homme; d'autre part, on la relègue aux coulisses de l'action. Cette contradiction signifie, pour J. Urbas, la nécessité d'une révolution à accomplir, du côté des écrivaines cette fois-ci.

A

la manière de ces critiques féministes québécoises et canadiennes, nous examinerons la «construction » de l'identité féminine effectuée par André

33L. Saint-Martin, op. cit.,p.10a. 34J.Urbas, op. cit., p. 113.

(25)

Langevin. Ainsi, notre intention est de démontrer la nature profondément patriarcale de l'œuvre romanesque d'André Langevin et de mettre à jour les critères, souvent exclusifs si ce n'est carrément fallacieux, en fonction desquels il Y représente la femme.

La femme chez Langevin

Une constante de la majorité des protagonistes féminins de l'œuvre romanesque d'André Langevin est le portrait plutôt fade que l'auteur en fait: épouses infidèles car malheureuses dans leur mariage, mères complexées, vamps à la recherche d'un homme à séduire. Elles sont presque toujours décrites du point de vue des personnages masculins ou d'un narrateur omniscient qui semblent embarrassés quant au rôle de la femme dans la société, et en particulier dans le couple. Selon Gabrielle Pascal, «on assiste à une destruction de l'image féminine [puisque] les héros n'accordent leur tendresse qu'à la femme infériorisée, [ ... ] pitoyable »35. Brochu a, pour sa part,

constaté «l'extrême misogynie de certaines pages »36, tandis qu'André Gaulin

conclut, dans son article du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec traitant du troisième roman d'André Langevin, Le temps des hommes: « discrè-tement, Langevin a su faire de ce monde des hommes l'anti-roman des femmes, femmes opprimées, douces ou révoltées, sans voix au chapitre. »37

35G. Pascal,op. cit., p. 42.

36A. Brochu,op. cit.,p. 123.

37A. Gaulin, «Le temps des hommes, roman d'André Langevin», dans Dictionnaire des œuvres

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Pourtant, nous verrons que quelle que soit la manière dont ces femmes sont mises en scène, elles jouent souvent un rôle crucial dans ce que nous pourrions appeler des « histoires d'hommes», un rôle dont on ne soupçonne pas la portée au premier abord.

Dans la première partie de ce travail, nous nous penchons sur la situation familiale des personnages féminins de l'œuvre, mères, figures maternelles ou filles, et le rapport avec leurs parents ou leurs enfants. Nous étudions d'abord le père de Micheline(ÉN), un juge troublant par sa sévérité et sa froideur. Par la suite, nous nous attardons aux figures maternelles; nous avons remarqué que quelques héros de l'œuvre langevinienne, dont Jean Cherteffe (ÉN) et le petit Pierrot (CP), ont reçu l'éducation répressive de religieuses acerbes dans un orphelinat.

A

la sortie de cet établissement, Pierrot est hébergé temporairement par trois tantes célibataires sévères, méprisantes ou indifférentes. Nous désirons explorer les raisons pour lesquelles ces figures maternelles s'acquittent mal de leurs devoirs en ne faisant preuve d'aucune gentillesse ni de compréhension envers ces deux« protégés ».

Néanmoins, les mères « naturelles» de l'œuvre romanesque de Langevin ne sont pas plus chaleureuses. Nous verrons que mise à part Maman Pouf

(CP), une grosse mère sympathique et enjouée, leur personnalité demeure peu attachante: la mère de Jane (petite amie de Pierrot (CP) s'absente souvent de la maison, tandis que celle de Claire, l'héroïne de L'élan d'Amérique, a, au

contraire, imposé une éducation stricte. Pour comprendre la nature des sentiments d'abandon et de révolte qui habitent Claire et Jane, nous

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analyserons la mère de ces deux héroïnes. Nous verrons notamment celles qui, chez Langevin, caradérisent les « vraies mères », à l'opposé de certaines autres, dépourvues, semble-t-il, d'instinct maternel.

Dans le but de compenser les carences affectives causées par ces liens familiaux malsains, les personnages féminins recherchent désespérément une relation amoureuse qui comblera ce manque. La seconde partie du présent mémoire se penche sur les héroïnes qui tentent, par tous les moyens, de nouer une relation satisfaisante avec l'être aimé. Cette passion se présente sous plusieurs formes: ainsi, la pure Micheline (ÉN) offre son affection à un être profondément troublé et instable, Claire (ÉA) recommence à aimer quelques années après avoir été agressée, Marthe (TH) est amoureuse d'un curé, alors que sa sœur Yolande et Madeleine (PV) ont un amant. Nous tenterons d'expliquer ce qui caractérise chacun de ces types d'amoureuses, ainsi que les raisons qui poussent les femmes mariées insatisfaites à rechercher l'amour hors de la cellule maritale. Notre étude de ces cinq protagonistes devrait nous permettre d'identifier les caractéristiques qui font de la femme amoureuse une personne foncièrement seule, peu à peu submergée par l'ennui, car incomprise par l'homme. De plus, nous regarderons brièvement les personnages de prostituées rencontrées dans les romans Une chaine dans le parcet Évadé de

la nuit, des femmes faussement présentées comme étant satisfaites de leur

sort.

En conclusion, nous nous attardons au destin tragique de plusieurs héroïnes de Langevin qui, soulignons-le, réserve le même sort aux héros de

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son œuvre38. Il semble, en effet, que le suicide de Claire, celui de Madeleine

ainsi que la mort en couches de Micheline confirment la vision pessimiste de l'auteur quant à la possibilité pour les femmes, comme pour les hommes, d'accéder à une sérénité éventuelle. Enfin, un survol rapide des femmes mises en scène dans ses autres écrits nous permettra de compléter la représentation des personnages féminins de l'œuvre romanesque d'André Langevin.

38 Dans ~vadéde la nuit, le héros Jean Cherteffe court se suicider dans la forêt québécoise à

la suite de la mort de son amie Micheline; le roman Le temps des hommes se termine par l'amputation de la jambe du protagoniste Pierre Dupas (qui a été témoin du décès de trois bûcherons, morts par balles); enfin, Antoine, un des deux personnages principaux de L'élan d'Amérique,tentera de surmonter une grave attaque d'apoplexie.

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Chapitre 1• Situation familiale

Plusieurs études de l'œuvre romanesque d'André Langevin (comme celle de G. Pascal, par exemple) ont souligné la présence d'orphelins parmi les héros langeviniens39. Pourtant, on a omis de mentionner que les héroïnes

partagent en partie ce destin: Yolande et Marthe Derome (TH) ont perdu leur mère, Madeleine Dubois (PV) et la petite Jane (CP) sont orphelines de père, comme le deviennent d'ailleurs Micheline Giraud (ÉN) et Claire Smith (ÉA).

Bien que l'on affirme que ce sont les héros «qui souffrent le plus dramatiquement de l'absence de leur père»40, nous remarquons pour notre part que les héroïnes, elles, doivent non seulement surmonter la carence affective d'un des parents mais également le mépris ou le rejet de l'autre géniteur.

Évadé de la nuit, le premier roman d'André Langevin paru en 1951, est construit autour d'un narrateur de vingt ans, Jean Cherteffe, qui tente de sortir d'un isolement presque inné puisqu'il a grandi dans un orphelinat. Il vit une relation difficile avec Micheline Giraud, une jeune fille de dix-sept ans élevée par son père depuis sa naissance, sa mère étant morte en couches. Bien que la jeune fille parle peu de ses relations familiales, nous apprenons que le père,

39 Rappelons que le romancier est lui-même orphelin et demeura en institution durant sa

jeunesse, tout comme les protagonistes Jean Cherteffe(ÉN), Pierrot(CP), Pierre Dupas, Gros-Louis et Laurier(TH) .

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un juge froid et sévère, offre à sa fille la sécurité d'un domicile confortable mais la restreint à un univers strict où toute forme de plaisir est inexistante. Dominateur, il aurait adopté depuis toujours une attitude distante qui décourage tout rapprochement et impose à Micheline la solitude dans laquelle il s'enferme lui-même: « Vous ne pouvez pas savoir comme c'est froid chez nous, désert. Je dis vous à mon père. [... ]

A

vingt ans, j'ai envie de vivre et chez moi, j'étouffe» (ÉN, p. 130), confie-t-elle à Jean. la jeune fille conclut que c'est l'absence de sa mère qui est responsable de cette indifférence mutuelle. Regrettant par moments ce fossé qui rend impossible toute manifestation de tendresse entre elle et son père veuf, elle le déteste et se contente de le respecter comme un professeur.

L'attitude raide du père trahit une misogynie qui se manifeste envers toutes les femmes qu'il croise dans l'exercice de sa magistrature: en cour, il humilie les prostituées ou, pire, il oblige les victimes de viol «à l'aveu le plus humiliant, exig[eant] l'exhibition de pièces devant des jeunes filles écrasées sous la honte» (ÉN, p. 145). Ce passage nous apprend que le juge appartient à une élite qui légitime la violence envers les femmes en les faisant probablement avouer que « tout est sexe en elles, et jusqu'à l'esprit »41. Pour justifier la domination, le viol souhaités par l'homme, la victime féminine semble être, lors d'un procès, privée de parole, donc de volonté propre. N'existant plus

.., A.-M. Oardigna, Lesch~teauxd'Eros, citée dans Lori Saint-Martin. «Miseà mort de la femme et «libération» de l'homme: Godbout, Aquin, Beaulieu •• Voix et images, vol. X. no 1 (automne

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que par son corps, on déclare qu'elle désire la violence.

A

l'instar de Lori Saint-Martin, nous percevons dans ces machinations la volonté du juge d'opérer un renversement: les victimes de viol devenant subitement les responsables de l'agression, on punit ensuite la victime dans le but de mieux innocenter le criminel. Cette scène présente la femme comme provocatrice du désir, à la limite d'une bête obsédée par la sexualité, ce qui explique et excuse toute action déviante de l'homme.

Souffrant, le juge Giraud se plaint un soir du manque d'attention de sa fille qui lui avoue alors aimer un homme. Percevant en sa fille les attitudes soi-disant débauchées de sa défunte épouse, confondant l'une et l'autre, le père, dans une sorte de «joie béate », rabaisse violemment sa mère en la traitant coup sur coup de «misérable», de « pécheresse », de « possédée », d'alcoolique et d'infidèle (ÉN, p. 195). Ses insultes ont l'effet escompté:

Ainsi qu'il l'avait désiré, la jeune fille quitta la pièce, tête courbée, humble comme la pénitente qui a vomi ses fautes dans l'effort douloureux d'un accouchement. Il lui semblait l'avoir couverte de cendres et l'avoir vêtue d'un sac. Une jouissance d'avoir macéré cet être jeune, [ ... ] le soulageait maintenant. Sa demeure devenait un antre de purification. [... ] Son esprit se troubla un instant à imaginer le corps nu de sa fille flétri par des pénitences outrées. Puis ce fut le corps de sa femme qui vint jeter le désordre dans son âme [ ... ]; jll'imagina roussi àla tenaille brûlante, et aux endroits qui le faisaient chanceler de volupté autrefois. La vérité de ce supplice le pénétra tellement qu'il crut percevoir l'odeur de la chair brûlée. (ÉN, p. 195)

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Gérard Bessette a expliqué ces visions dantesques en terme d'attachement « oedipien » que le père, « brûlant de concupiscence »42, aurait

pour Micheline. De manière moins simpliste, nous discernons dans cette scène significative la révélation des pensées d'un homme amer et haineux qui s'affirme comme le gardien des valeurs chastes. Toute sa vie, il s'est acharné à détruire les sources du mal en le pourchassant chez les femmes impures, sa femme ou sa fille amoureuse. Aveuglé par le fanatisme d'une justice religieuse révolue, puisant dans la symbolique chrétienne43, il croit à l' «effort

douloureux» de l'expiation des fautes, comparable à un accouchement et nécessaire à la purification des pécheresses. Les tortures et la nudité de sa fille et de son épouse nous apparaissent comme autant d'images humiliantes pour la femme. Le juge est persuadé que les membres de sa famille, tout comme les prostituées et les victimes d'agression qu'il accable en cour, doivent subir mortifications, douleurs et tortures puisqu'il s'agit là du châtiment purificateur de Dieu.

Peu après cet affront. Micheline annonce à Jean Cherteffe qu'elle est enceinte; ce dernier va courageusement demander au juge Giraud la main de sa fille. Le père est furieux: «Vous ne l'aurez pas, ma fille. Ou vous la prendrez galeuse, nue sur du fumier. Je la déshérite... et je vous chasse. »

(ÉN, p. 200) Voilà le portrait qu'offre le père formaliste d'une Micheline

42G. Sessette, op. cil., p. 145 et 152.

43 La cendre. symbole connu de la pénitence, pourrait également représenter la mortalité de

l'être humain (<<né poussière, tu retourneras poussière») ou encore, les résidus du feu infernal; le sac, un habit dégradant, servait jadis de linceul recouvrant les morts; la tenaille marquerait les damnés.

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désormais appauvrie: la nudité honteuse est accentuée par la maladie et un environnement ordurier. Ces paroles trahissent une possessivité maladive: puisque le magistrat ne peut assujettir sa fille à son autorité desséchante, il la livrera grandement diminuée. Micheline devient ainsi, malgré elle, l'instrument de la vengeance purificatrice du juge Giraud dont l'entêtement tournera au drame: alors que la jeune femme s'est retirée dans sa chambre suite à cette scène épouvantable, elle entend son père s'écrouler devant sa porte puis constate avec horreur qu'il est décédé en tenant un poignard. Précisons qu'elle n'aperçoit que l' « éclat bleuâtre d'une arme sur la chemise blanche du mort» (ÉN, p. 201), sans traces de sang, ce qui nous laisse croire qu'il ne s'est pas poignardé lui-même. Il est donc difficile d'être en accord avec certains critiques qui croient au suicide du juge44; nous envisageons une hypothèse

plus plausible, celle d'une tentative de meurtre qui a échoué puisque le père est mort (probablement d'une crise cardiaque) avant d'avoir pu tuer sa propre fille. En effet, les activités sociales et amoureuses de Micheline signifiaient la fin de sa mainmise sur elle, en plus d'un signe d'impuissance envers tout être féminin en qui il avait vu «un gouffre, une flétrissure» (ÉN, p. 145). L'assassinat de sa fille aurait constitué le point culminant de sa vengeance, de sa quête d'un monde exempt de péchés, d'une victoire du Bien sur le Mal, car la femme lui apparait clairement comme une entité mue par le vice. Micheline,

44 Parmi eux, Jean-Louis Major mentionne que le juge «se tue d'un coup de poignard et

s'écrase aux pieds de sa fille dans un acte de folie autcrdestructrice» (J.-L. Major, «André Langevin» dans Le roman canadien-français, Montréal, Éditions Fides, 1977, Archives des lettres canadiennes, Tome III, p. 209.

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tel l'agneau du sacrifice, aurait lavé les péchés de toutes les femmes. Nous verrons plus loin que comme Micheline, l'héroïne de L'é/an d'Amérique, Claire, a une relation tout aussi étrange avec son père, Mr Peabody, un riche propriétaire américain qui trouve également le moyen de tenir la jeune fille sous sa tutelle. Quant aux pères du reste de l'œuvre romanesque, ils sont plutôt discrets; soit ils apparaissent brièvement, soit ils ont disparu, ils sont partis à la guerre ou ils sont décédés.

Nous avons mentionné que l'éducation rigide du père de Micheline aggravait la solitude de la jeune fille souffrant déjà de l'absence de sa mère morte en couches. Pourtant, lorsqu'elles ne sont pas décédées, la grande majorité des mères ou des figures maternelles de l'œuvre de Langevin sont souvent blessantes, car elles présentent elles-mêmes un traumatisme ou d'importantes lacunes sur le plan affectif. Une première manifestation de cette carence se retrouve chez les religieuses œuvrant dans les orphelinats, décrites comme des figures maternelles opprimantes. Le héros d'Évadé de /a nuit,

Jean Cherteffe évoque cette journée de Noël lorsqu'on avait permis aux pensionnaires d'abolir, pour quelques heures seulement, leur «hébétude quotidienne, stigmate de crainte, de naïveté et d'effusion brutalement réprimées» (EN, p. 17). Ayant lui-même résidé quelques années dans un orphelinat, il est probable que Langevin ait voulu transmettre, dans certaines scènes, ses propres angoisses de jeunesse. Il faut pourtant lire Cogne la caboche, le témoignage d'une ancienne religieuse, pour comprendre que cette

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contrainte est née d'une règle rigoureuse qui doit être observée par les couventines:

Les sœurs ne prendront jamais de jeunes enfants ni les nourrissons sur leurs genoux ou dans leurs bras. Leur vœu de chasteté leur interdit également de les caresser. [...

l

Elles ne manqueront pas de se rendre compte de l'incompatibilité de ces effusions avec l'austérité de l'habit qui les distingue et de l'inconvenance de ces gestes dans leur état de consacrées.45

Cet habit rigide est mentionné dans le roman Une chaÎne dans le pare,

où le héros Pierrot, fraîchement sorti de l'orphelinat, se rappelle vaguement qu'à son entrée en institution, il fut confié à des femmes offrant toutes « un visage de plâtre sous le voile noir» (CP, p. 7). Il est intéressant de remarquer que le petit garçon perçoit d'abord ses gardiennes indistinctement puisqu'elles portent toutes la même robe. En parcourant le témoignage de la même religieuse défroquée, nous apprenons que ce costume «qui cache les formes de son corps, qui emprisonne son visage et dresse une clôture autour de sa personne », lui donnait des allures d' «ombre »46 parmi un groupe. Ces êtres privés d'identité, diminués, à peine humains sous un déguisement sévère, n'inspirent pas le moindre respect; Pierrot et ses camarades désignent les soeurs par des sobriquets tels « corneilles », en raison des cornettes couvrant leur tête, ou « Pied-de-cochon», une religieuse sévère surnommée ainsi d'après son habitude d'immobiliser le garçon fautif en lui assénant un coup de pied sur l'os de la jambe, avant de le gifler. Il semble que la violence et

45G. Poulin, Cogne la caboche, Montréal, Stanké, 1979, p. 81.

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l'humiliation soient les moyens utilisés le plus souvent par les religieuses pour imposer le respect. Jean Cherteffe, par exemple, se souvient de la succession de bastonnades, une punition collective qui était souvent imposée aux petits pensionnaires pour «apaiser les nerfs» (EN, p. 16). Il a également gardé en mémoire ce Noël, alors qu'une religieuse, exaltant «la grâce du martyre sur la terre» (EN, p. 17), distribuait des cadeaux. Elle avait menti à Jean en déclarant qu'il avait reçu un présent de son père (qui l'avait abandonné à la mort de sa mère). Terriblement déçu en découvrant que le colis provenait en réalité de sa tante, secoué de sanglots, Jean s'était fait traiter d' « imbécile» parce qu'il pleurait malgré cette marque d'affection. Pierrot, quant à lui, rapporte que «Pied-de-cochon » était si vicieuse «qu'elle obligeait les plus petits à déculotter les plus grands sous prétexte qu'ils avaient toujours mérité une fessée ... » (CP, p. 18) et qu'elle vérifiait la propreté de leur caleçon tous les soirs. Plus que le vice, nous distinguons chez ces femmes la volonté de déprécier les garçons en intervenant de façon embarrassante dans les aspects privés de leur vie.

A

la lumière des descriptions de la vie en orphelinat, les religieuses apparaissent comme des femmes profondément frustrées et pudibondes. Le critique J.-L. Major perçoit certaines scènes d'Évadé de la nuit comme une réaction de l'auteur envers les religieuses contre qui il formulerait des «griefs »

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religieux et paternaliste »47. Nous pourrions expliquer l'attitude des religieuses

par une première hypothèse: aux yeux de ces femmes, les orphelins, bâtards pour la plupart, sont des êtres rejetés par le Seigneur puisque nés dans le péché. Indignes de recevoir amour et compassion des «servantes de Dieu »,

les orphelins se voient imposer un environnement austère par ces gardiennes. Nous croyons que l'amertume gagnait de nombreuses religieuses cantonnées dans le mode de vie desséchant des petits emmurés, et qu'elles transmettaient leur irritation aux pensionnaires. Deuxièmement, bien que l'œuvre

romanesque ne nous offre aucun détail sur la vie antérieure de ces femmes, il est vraisemblable de croire que plusieurs religieuses n'avaient pas réellement la vocation à cette époque: leurs parents les

y

poussaient probablement, ou elles-mêmes percevaient les ordres religieux comme une possibilité d'échapper

à un quotidien ennuyant, à leur famille, ou encore aux hommes. Leur dégoût de la sexualité pourrait provenir d'une éducation prude, castratrice, ou même d'une histoire d'inceste. Les scènes d'orphelinat confirment l'insensibilité des religieuses à l'égard de ces enfants troublés qu'on leur a imposés et qu'elles semblent incapables de consoler puisqu'elles-mêmes doivent chercher à

contenir leur propre affliction.

Pierrot se souvient néanmoins de Sainte Agnès, cette jeune religieuse prodiguant des soins attentifs à l'infirmerie, pâle48 et souriante, « si mal

47J.-L. Major,op. cit., p. 208.

48 Dans Le temps des hommes. Gros-Louis est touché par le «visage indécis» (p. 67) de sa

sœur religieuse. pale et affaiblie par la leucémie; la douce Micheline(~vadéde fa nuit), d'abord

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déguisée en corneille [... ], si naturellement amicale qu'elle en devenait miraculeusement anormale. »(CP, p. 114) Épris de cette personne douce et

accueillante, le petit garçon rédige dans son cahier une histoire naïve dans laquelle, en chevalier servant, il protège la princesse. Or, le scandale ébranle l'orphelinat lorsque la Mère supérieure, Sainte Sabine, lit cette épopée du

«chevalier» Pierrot qui aurait aperçu le sein de sa bien-aimée se dévêtant. En procès, Sainte Agnès49 nie s'être déshabillée devant le gamin et invoque plutôt la rougeole délirante de celui-ci. Ce témoignage des plus plausibles n'entame pas le puritanisme de Sainte Sabine qui, en gardienne des valeurs chastes, innocente la jeune religieuse mais l'envoie en pays de mission.

Une fois sorti de l'orphelinat, Pierrot est hébergé par ses trois tantes célibataires, tes sœurs de sa défunte mère. Comme les religieuses de l'orphelinat, on ne connait rien du passé de ces « vieilles filles» incapables de remplir convenablement leur devoir de gardiennes temporaires. Tout au long de son séjour, Pierrot perçoit des ressemblances entre les « corneilles» de l'orphelinat et ses tantes. D'abord, au plan physique, les cheveux blancs « aspergés d'une eau pisseuse» de tante Maria et le « plumeau noir» de tante

figure devenait indéfini, esquissé» (p. 228). Gabrielle Pascal voit en la paleur un des traits caractéristiques des héroïnes du romancier : «Ce choix est certes révélateur du désir de l'auteur de réduire les personnages féminins, de les effacer [et] témoigne de la misogynie chez Langevin». (G. Pascal, op. cil., p. 28). Ajoutons que l'auteur réserve cet aspect aux femmes

pures particulièrement (les religieuses aimables et la vertueuse Micheline).

49 Choisis fortuitement ou non, les noms des religieuses Sainte Sabine et Sainte Agnès nous

paraissent significatifs: la légende prétend que les Sabines, enlevées par Romulus et les Romains, auraient, dans les premiers temps, opposé à leurs ravisseurs une stérilité obstinée. Ce portrait concorde avec les religieuses et leurs vœux de chasteté prononcés à l'entrée au couvent. Quantà Sainte Agnès, elle fut une martyre romaine sous Dioclétien (304); celle de Langevin semble également avoir été victime d'une accusation injuste.

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Rose ne lui semblent guère différents de l'absence complète de cheveux, phénomène qu'il qualifie d'«infirmité » (CP, p. 15) chez les religieuses. Mais c'est avant tout par leur attitude prude que Pierrot dresse un parallèle entre ces femmes. Ainsi, un soir, tante Maria fait irruption dans la salle de bain et, apercevant son neveu nu terminant sa toilette, elle le traite de « petit cochon » parce qu'il n'a pas mis le verrou. L'accusant de vouloir s'exhiber, son insulte cache plutôt un inconfort envers la sexualité des hommes, malaise qu'elle camoufle par une attitude blessante. La manière qu'a cette femme de le fixer

«avec une insistance qui l'écorche »(CP, p. 223) lui rappelle immédiatement l'humiliation du bain collectif, lorsque « Pied-de-cochon » faisait déshabiller le grand Justin et «le regardait longtemps se débattre avant d'y aller avec furie de la planche en bois dur» (CP, p. 223). Le petit garçon prétend avoir l'habitude de cette réaction agressive des femmes relativement à ce «quelque chose qui n'a pas de nom, [qui] existe et n'existe pas en même temps... »(CP,

p. 223) On pourrait croire que c'est ainsi que Maria et les religieuses expriment l'horreur de l'amour chamel que leur a inculqué un puritanisme castrateur.

En questionnant sa tante Maria, Pierrot découvre qu'elle éprouve une inexplicable répugnance envers le sexe masculin et que c'est pour cette raison qu'elle n'a jamais voulu se marier. Et lorsqu'il lui mentionne que, pourtant, de nombreuses femmes se marient. sa tante lui répond : « Elles endurent comme ta mère... »(CP, p. 225) Plus tard, au grand désespoir de Pierrot, elle rajoute que son père était « un ivrogne qui obligeait [s]a mère à mendier, qui aimait

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mieux aller au bordel que travailler» (CP, p. 254) et qui la battait devant ses enfants. Elle est persuadée que l'homme est un être assoiffé de sexe et de pouvoir et ce, dès son jeune âge.

En repoussant toute intrusion venant de l'extérieur, incluant hommes, amour et enfants (à la fin du roman, elle refuse de garder Pierrot et le renvoie dans un autre orphelinat), Maria croit qu'elle vivra probablement en paix. En fait, nous percevons, chez cette tante, la certitude que l'unique façon de contrôler la vie et l'amour est de s'en passer. Cet affranchissement s'avère néfaste et marquerait au contraire la fin d'une évolution; sa période féconde révolue, Tante Maria semble littéralement « pétrifiée» dans sa féminité: immobilisée par le dégoût et la peur des hommes, elle n'a pas évolué et suivi les étapes «normales» de la vie d'une femme : amour, mariage, enfants, mort. Tante Eugénie, que l'enfant voit peu, lui adresse rarement la parole, préférant apparemment recevoir ou sortir avec ses amies. Pierrot prétend qu'elles s'amusent ensemble « à jouerà se distraire comme si elles étaient des jeunes filles sur le point de devenir des dames qui se passent très bien des hommes » (CP, p. 221). Nous percevons, dans cette indifférence envers la gent masculine, plus qu'un simple «égocentrisme d'adolescente »50, comme

l'a identifié G. Pascal, mais plutôt un célibat pleinement assumé. Les réceptions entre amies mentionnées dans le roman pourraient possiblement

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trouver un écho dans le chapitre « La lesbienne »du Deuxième sexe, où il est écrit, àpropos d'un salon exclusivement composé de femmes:

Elles étaient fières d'appartenir à une élite féminine et voulaient demeurer des sujets autonomes; cette complexité qui les réunissait contre la caste privilégiée permettait à chacune d'admirer en une amie cet être prestigieux qu'elle chérissait en soi-même.51

Malgré la perspective du «bonheur possible sans les hommes » portant S. de Beauvoir à établir dans ce cas un lien entre une réunion entre femmes et l'amour qu'elles pourraient éprouver les unes pour les autres, aucun indice dans Une chaÎne dans le parc n'indique que tante Eugénie est lesbienne52.

Contrairement à Tante Maria, Eugénie ne semble pas éviter les hommes par dégoût (ou pour amour des femmes), mais par pure indifférence. Quant à Rose, la troisième tante, elle ne communique au garçon qu'un peu de sympathie. Souvent fatiguée et maussade, elle aurait « déguisé en sécheresse son dépit de ne pas être mère »53.

Nous sommes d'accord avec Gabrielle Pascal qui écrit que toutes les observations faites par le neveu ont pour but de « cataloguer les femmes pour mieux les comprendre»54. Le gamin semble croire que seules deux avenues s'offriraient à elles: être mère ou non. Il semble manquer quelque choseà ses tantes «vieilles filles» comme aux religieuses de l'orphelinat, une

51 S. de Beauvoir.Le deuxième sexe, Paris. Gallimard, 1949, Tome Il :«L'expérience vécue».

f:'

211.

2En tait. ilest étonnant de constater que l'œuvre romanesque de Langevin ne contient aucun

exemple d'homosexualité, tant féminine que masculine.

53G. Pascal,op. cit., p. 30. 54G.Pascal. op. cit..p. 24.

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chose «qu'on ne voit pas, dont on ne parle jamais, qui est sous la robe peut-être, qui les empêche d'avoir des bébés. » (CP, p. 63) Comme G. Pascal, nous percevons chez Pierrot la découverte que «le seul rôle respectable pour une femme, c'est celui de mère. »55 Le petit garçon, d'un sexisme précoce, se

fait le porte-parole d'une société patriarcale dans laquelle le rôle de la femme est prédéterminé. Simone de Beauvoir remarquait que« c'est par la maternité que la femme accomplit intégralement son destin physiologique; c'est là sa vocation « naturelle» puisque tout son organisme est orienté vers la perpétuation de l'espèce »56; or, Langevin dépeint, par l'entremise de trois femmes sans enfants, celles qui dérogent à leurs fonctions biologiques: la frustrée (malade de surcroît), l'indifférente et la désabusée, trois raisons ou excuses plutôt défavorables qui expliquent l'absence de procréation. Selon Margaret Atwood57, écrivaine et auteure de Survival: A thematic guide to Canadian Literature, cette tendance serait monnaie courante dans la littérature canadienne: elle cite de nombreux exemples de personnages féminins célibataires prématurément vieillies, souffrantes, enfermées dans leurs maisons stériles et sans vie. Bien qu'il existe des personnages de « vieilles filles» plus vivantes chez certains auteurs canadiens, la majorité semblent dures, acerbes et colériques, ce comportement étant causé, selon Atwood, par

55G.Pascal, op. cit.• p.24.

56S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris. Gallimard, 1949. Tome Il : « L'eXpérience vécue »,

~. 330.

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leur incapacité à enfantera, donc par l'impossibilité à être reconnue comme femme à part entière.

Aux antipodes des figures maternelles froides et distantes que Pierrot rencontre, on retrouve une mère à la personnalité attachante : Maman Pouf. Heureuse en ménage, cette femme est l'un des très rares personnages féminins qui, dans l'œuvre de Langevin, respire un optimisme enjoué et un équilibre émotionnel rassurant (la seule autre étant Marie dans Le temps des hommes). Quand elle n'allaite pas son sixième enfant qui tète sans arrêt en gardant « sa petite main enfoncée dans tant de bonté » (CP, p. 91), Maman Pouf a l'habitude de préparer les repas pour sa grande famille et leur amis. Très affectueuse avec Pierrot, la grosse femme le « lèche comme une chatte » (CP. p. 208) et participe même à ses conversations imaginaires. L'essayiste André Brochu a souligné le caractère de cette « adulte-enfant». dont «la vie n'a pas brisé l'élan vers autrui, la confiance et la générosité. ni cette joie qui illumine [ses] moindres actions. »59 Cette« mère poule », enjouée et affectueuse, peut être très sérieuse quand la situation l'exige; lorsque Pierrot lui demande de décrire ses parents. sa réponse contraste significativement avec celle de sa tante Maria : elle répond sans hésitation que son père était un homme très intelligent quoique mystérieux, et, surtout, qu'il n'a jamais battu sa femme: «Tu as eu de bons parents comme tout le monde. Et le seul malheur, c'est qu'elle ne soit plus là pour te dire, elle, comment ils se sont

58M. Atwood,op.cit., p.199. 59A. Brochu,op.cil.•p. 329.

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aimés» (CP, p. 261).

A

la lumière d'un commentaire si chaleureux, nous pouvons conclure que la mère de Pierrot était affectueuse, une qualité maternelle plutôt rare dans les romans d'André Langevin, bien que celle-ci ne puisse confirmer ces allégations puisqu'elle est décédée quatre ans auparavant. Aux yeux de Pierrot, c'est donc Maman Pouf qui, en s'opposant totalement à la sécheresse des figures maternelles jusque là rencontrées, conserve l'apparence d'une mère parfaite, à la fois sage et protectrice, bref, une présence lui ayant manqué terriblement.

Chez Maman Pouf, l'utilisation du «Maman » en guise de prénom est révélateur: la femme apparait, dans toute sa puissance nourricière, comme l'archétype de la mère mythique québécoise dont on pouvait déjà identifier les traits, toujours les mêmes, dans les romans québécois de la première moitié du 20esiècle : un corps robuste, des hanches fortes, des yeux clairs et doux, sans oublier de l'ardeur au travail, suffisaient à peindre la figure féminine idéale, la mère accomplie. Gabrielle Pascal a inclus Maman Pouf parmi les « femmes-mères» de l'œuvre qu'elle a décrites comme des femmes costaudes, adipeuses (Pierrot voit Maman Pouf tel un «énorme personnage en caoutchouc» (CP, p. 91). Le nom de cette femme corpulente se révèle un clin d'œil à un personnage de mère bien connu dans les années cinquante: Madame Plouffe de Roger Lemelin. Malgré que la personnalité extrêmement dominatrice et castratrice de Madame Plouffe s'oppose à celle de Maman Pouf, soulignons pourtant la similitude de leurs noms onomatopéiques ainsi que les affinités que partagent les deux familles: une descendance nombreuse, une

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cuisine se transformant presque quotidiennement en théâtre (va-et-vient, drames, dénouements), et enfin, un mari qui s'estompe devant l'autorité maternelle. Alors que ces femmes semblent à première vue jouer un rôle important dans la dynamique familiale, nous sommes pourtant d'accord avec Patricia Smart qui, empruntant une approche historique, écrit à propos du peuple québécois :

What makes Quebec different is the powerful mother-figure created by the dominant ideology of conservative Quebec nationa/ism, and the absence of an identifiable father-figure in

a

French Canada long dominated by extemal powers. Traditiona! French Canada, in which the power of the Church and politica/ elites is well·known, was

a

hierarchica/ and extremely patriarcha/ society disguised as a matriarchy, in which the power of the

traditions! mother was the /inch-pin holding ail the other e/ements in place.GO

En lisant cet extrait, nous comprenons mieux quelle image maternelle idéalisée se dégage du personnage de Maman Pouf. Malgré la gentillesse et la chaleur qu'offre Maman Poufà la plupart de ses visiteurs ainsi que le pouvoir considérable qui semble émaner de sa forte stature, nous devons admettre que son existence connaît, en réalité, l'injustice inséparable d'une existence dont l'aire de déplacement ne dépasse pas les limites du territoire occupé par les tâches de la reproduction et du maternage. Cette idée reçue de la femme admirable malgré le poids de ses obligations (Maman Pouf n'est-elle pas à son mieux quand, un soir, « elle parait dans toute sa majesté, tendant une marmite

60Patricia Smart, citée dans B. Godard et al., «Symposium. Feminism and Postmodemism in

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fumante à bout de bras» (CP, p. 96)?) demeure un référentiel idéologique qui masque la dure réalité d'une vie de sacrifice et de servitude, bloquant tout accès à une spécificité propre.

Néanmoins, nous sommes en désaccord avec Gabrielle Pascal qui précise, à propos de Maman Pouf, que malgré «une belle santé, d'un exceptionnel équilibre, d'une bonne nature et d'une grande force de caractère »61, elle est exclue de l'univers de la sexualité qui, chez Langevin,

« reste inséparable d'une certaine beauté ». Dépourvue d'attraits physiques, donc «disqualifiée pour l'amour »62, selon Pascal, le physique imposant de Maman Pouf ne lui laisserait qu'une alternative, celle de s'en remettre au ménage, à la cuisine et aux berceaux, question de compenser pour le peu d'intérêt sexuel qu'elle suscite chez les hommes. Pourtant, malgré que son mari l'appelle « Maman », signifiant peut-être qu'il la perçoit exclusivement sous son rapport avec sa progéniture, nous ne percevons pas d'indifférence dans les rares scènes impliquantà la fois Maman Pouf et son mari, Papapouf. Notons que le surnom donné à ce « papa modèle» nous invite déjà à voir un homme tendre et affectueux. Une réaction significative du mari, cordonnier de métier, survient lorsque Maman Pouf tente de chasser un voyou, le Rat, hors de sa cour. Papapouf offre «son épaule malingre » (CP, p. 201) à sa femme pour qu'elle s'y agrippe et retourne à la maison. Cette mère, même peu attirante, parait tout de même aimée de son conjoint.

61G. Pascal, op. cit.,p. 27. 62G. Pascal, op. cit., p.27.

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Est-il alors possible de croiser, en parcourant l'œuvre de Langevin, une mère attirante? Selon Nicole Bourbonnais, être séduisante, ce serait basculer « dans l'autre versant sombre et négatif de la femme dépravée, ce qui se reconnait invariablement à l'aspect de son corps »63, comme elle l'écrit à

propos des personnages féminins dans la littérature québécoise. Après avoir souligné le parallèle entre Maman Pouf et la mère «exemplaire » du roman d'ici, nous remarquons qu'André Langevin reprend, dans Une chaÎne dans le

pare, cette même relation entre apparence physique et personnalité. En effet Madame Power (voisine de palier des tantes de Pierrot), une prostituée64, est

jolie, grande, mince, rousse, bien habillée et Française d'origine. Toutefois, le lecteur réalise que son métier s'accorde mal avec les obligations d'une mère. La fille de Madame Power, âgée de neuf ans, confie tristement à son nouvel ami, Pierrot. que sa mère fait la grasse matinée avec un homme toujours différent de celui de la veille : «Je trouve ça plus long quand elle dort, parce que je peux même pas lui parler» (CP, p. 81). De plus, Jane, désabusée, a appris que sa mère l'a inscrite dans un couvent: « Des fois, maman, je pense que je ne l'aime pas [... ] c'est comme si je la dérangeais tout le temps ou que ce serait tellement plus facile si je n'étais pas là » (CP, p. 148). Un jour, la petite fille lance à son «hypocrite»de mère :«Tous les hommes te touchent,

63N. Bourbonnais, «Gabrielle Roy: la représentation du corps féminin», Voix et images,

no 40 (automne 1988), p. 73.

64 Les critiques ne s'accordent pas sur la nature des relations nocturnes de cette femme.

Certains croientè de simples mais nombreuses aventures qui trompent sa solitude, d'autres concluent tA de la prostitution, «unique viatique» de cette femme. Parmi eux: J. D. Vauriat. Le thème de la solitude dans l'œuvre romanesque d'André Langevin. Mémoire de maîtrise, Brandon, Université du Manitoba, 1982. p. 90.

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