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Objets trouvés, matière retrouvée

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Objets trouvés, matière retrouvée.

Mémoire

Serge Mainguy

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire veut refléter l'exercice d'introspection proposé par le cheminement de la maîtrise en arts visuels. Il accompagne la réalisation d'un corpus d'œuvres en pratique sculpturale qui se conclue par une exposition à la Galerie des arts visuels de l'Université Laval. Cette étape de mon cheminement artistique se veut un moment privilégié pour approfondir mon dialogue avec la matière, source première de mon travail sculptural. C'est la matière provenant d'objets banals, voués à la destruction, qui est retrouvée, réutilisée, revalorisée. Elle est devenue un matériau différencié par l'usage auquel elle a été destinée. Ses qualités formelles acquises sont source d'inspiration. Son passé participe à son avenir. D'objets d'utilité de la vie quotidienne, ils deviennent objets de connaissance qui font naître de nouveaux réseaux de sens. La métamorphose leur donne une nouvelle vie en les transformant en objets qui n'ont pas d'autre finalité que d'être vus.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des figures ... vii

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Où je me situe dans le monde de la sculpture. ... 3

Section 1 : Les nouveaux réalistes. ... 7

S.-S. : 1,1 : César Baldaccini. ... 7

S.-S. : 1,2 : Arman. ... 10

S.-S. : 1,3 : Tinguely ... 13

Section 2 : Smith et ses disciples. ... 14

S.-S. : 2,1 : David Smith. ... 15

S.-S. : 2,2 : John Chamberlain. ... 16

S.-S. : 2,3 : Anthony Caro ... 17

Chapitre 2 : Quelques principes théoriques. ... 21

Section 1 : Généralités... 21

Section 2 : L’objet comme matériau. ... 22

Section 3 : L’artiste-bricoleur. ... 25

Chapitre 3 : Ma pratique ... 27

Section I : La cueillette. ... 27

Section 2 : Assemblage et espace. ... 29

Section 3 : Les séries... 30

S.-S.:3,1 : La piste du bois de chauffage. ... 30

S.-S.: 3,2 : Les sculptures de bois peint. ... 35

S.-S. : 3,3 : La ferraille. ... 38 S.-S. : 3,4 : La matière cylindrique... 40 S.-S.: 3,5 : La matière tubulaire. ... 45 S.-S. : 3,6 : La matière mécanique. ... 48 Chapitre 4 : L’exposition ... 53 Conclusion ... 55 Bibliographie ... 58

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Liste des figures

Figure 1: Max Ernst , Fruit d'une lonque expérience (1919)... 4

Figure 2 :Pablo Picasso, Tête de taureau (1937) ... 5

Figure 3 : César Baldaccini , La Chauve Souris (1954) ... 8

Figure 4 : César Baldaccini, Le Tiroir Bleu (1954) ... 8

Figure 5 : César Baldaccini, Renault Cube (1962) ... 10

Figure 6:Arman, Grande Harpe (1966) ... 11

Figure 7:Arman , Soixante fois non (1978). ... 12

Figure 8: Tinguely ,La fontaine Jo Siffert (1984) ... 13

Figure 9: David Smith, Tanktotem VII (1960) ... 15

Figure 10: John Chamberlain, Crushed-Car (1981) . ... 16

Figure 11: Anthony Caro , L'orangeraie (1957) ... 18

Figure 12: Buste (2013)... 28 Figure 13: Négondo (2010) ... 30 Figure 14: Rondins (2010) ... 32 Figure 15 : Parallèles (2014) ... 34 Figure 16:Washin (2015) ... 37 Figure 17: Mad (2015) ... 37 Figure 18: NO:35 (2012) ... 39 Figure 19: Picasso (2012) ... 40

Figure 20: Réser-Voir (2014) et Manchot (2014) ... 43

Figure 21: Claire de Lune (2014) ... 45

Figure 22: Muf (2014) ... 47

Figure 23 : Ramp (2015) ... 48

Figure 24: En Caisse (2014) à droite, en compagnie de Voir (2015) ... 50

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Remerciements

Je tiens à remercier Marcel Jean, mon directeur de recherches, pour son appui soutenu durant ces dernières années consacrées à la rédaction de ce mémoire et particulièrement pour ses conseils toujours à propos lors de l'élaboration du corpus d'œuvres qui est l'objet de ce texte . J'aimerais remercier également les professeurs, Julie Faubert, Jacques Perron, Suzanne Leblanc , Marie-Christiane Mathieu, David Naylor , qui ,chacun à leur manière, ont contribué à enrichir ma réflexion. Je ne peux passer sous silence, la patience et le soutient continu de Monique Laroche, ma conjointe, tout au long de ce projet de recherche-création qui a occupé une place importante dans notre vécu.

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Introduction

Ma pratique artistique se partage entre le dessin, la peinture et la sculpture. Chaque mode d’expression amène son lot de contraintes comme son lot d’opportunités. Si j’ai choisi la sculpture pour mon travail de recherche, c’est parce qu’elle me fait vivre une expérience plus complète avec la matière. Le corps à corps physique avec la pierre, le bois, le métal, commande une gestuelle, un contact plus intense que celui engendré par le travail pictural, qui lui, se déroule sur une surface plane. Le dialogue avec la matière est plus robuste, plus tactile, voire plus intime pour ne pas dire plus sensuel. Le chaud, le froid, le léger, le lourd, le rugueux, le soyeux se sent autant qu’il se voit. Le sculpteur a cette chance unique de vivre une relation physique avec le matériau et ses propriétés propres et d’en sentir sa présence concrète et palpable. L’objet sculptural est dans un espace réel, un territoire tridimensionnel qu’il partage avec l’artiste et le spectateur. L’œuvre se matérialise. Elle n’est pas l’image de quelque chose, elle est cette chose. Même lorsqu’elle représente une idée abstraite appartenant à un réseau de sens qui la dépasse, elle conserve entièrement son emprise physique sur le lieu. Elle se présente à nous comme un objet singulier qui nous offre son monde à découvrir, une nouvelle version d’un monde recomposé au moyen de fragments imprégnés, empruntés à d’autres. Nelson Goodman décrit ce processus de construction :

Les différentes substances dont les mondes sont faits — matière, énergie, ondes, phénomènes — sont faites en même temps que les mondes, mais faites à partir de quoi? En définitive pas à partir de rien, mais à partir d’autres mondes. Pour construire le monde comme nous savons le faire, on démarre toujours avec des mondes à notre disposition; faire c’est refaire [...] Pour faire un monde à partir d’un autre, il faut souvent procéder à des coupes sévères et à des opérations de comblement. 1

1 Nelson Goodman, «Mots œuvres et mondes». dans Manières de faire des mondes , Nîmes, Édition

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Mon projet de maîtrise consiste à transformer des objets associés à un usage

spécifique dans notre vie quotidienne. Objets devenus désuets, voués à la destruction, je les remobilise pour offrir au spectateur une nouvelle version, une nouvelle utilisation de sa matière retrouvée. Ils sont recomposés pour se resituer dans un contexte artistique. D’objets d’utilité, ils deviennent objets de connaissance, en ce sens que leur transformation en œuvre d’art les ouvre, par l’imaginaire, à l’exploration d’autres réseaux de sens que ceux qui justifiaient leur existence antérieure. Cette métamorphose s’opère par un retour plus ou moins intégral au substrat original, en y retenant une partie variable de son identité acquise. Mon intervention change la manière habituelle de les connaître tout en conservant la trace de leur provenance. Créer avec du « déjà-existant », pose inévitablement la problématique du degré de conservation d’une partie de son identité première. Son histoire entre en compétition avec son être en devenir. Mon intervention opère une rupture plus ou moins profonde avec son passé. Ce changement radical de trajectoire va lui permettre d’échapper à sa désuétude. Le nouveau naît toujours de quelque chose d’existant, que ce soit de la matière vierge ou de celle qui a déjà vécu. Une forme d’existence suit une autre en conservant des traces de l’ancienne. « Rien ne naît de rien ».2

Les qualités et propriétés formelles des matériaux trouvés sont elles-mêmes des sources d’inspiration. Leur transformation transite leur matérialité (leurs lignes et leurs formes) d’un réceptacle à un autre. Ce dialogue avec cette matière chargée, densifiée, colorée par son passé est au cœur de ma démarche artistique.

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Chapitre 1 : Où je me situe dans le monde de

la sculpture.

Je ne peux pas dire que je suis influencé par un sculpteur plus qu’un autre. Ce n’est pas comme cela que ça se passe. Ce n’est qu’après coup que je découvre des liens avec d’autres artistes. Je suis inévitablement imprégné par mes lectures et mes recherches. Ma formation m’aide à mieux comprendre ce que je fais et à comparer mon travail avec celui des autres. Mon cerveau fait un mixage d’influences diverses pour ensuite produire de nouvelles synthèses ou de nouvelles combinaisons qui vont s’actualiser dans ma production. Par exemple, certaines de mes sculptures de bois, par la simplicité de leurs formes, sont plus près de Brancusi et Arp, alors que d’autres (en métal) plus structurales ont une parenté plus grande avec Smith, Caro ou Chamberlain. Le choix des matériaux et le processus de création sont des facteurs qui servent à situer mon travail par rapport à d’autres. Mon mode de création en est un d'essai - erreur sans une planification ou conception préalable où l’assemblage prend une place importante. Pour moi, la sculpture construite est un positionnement dans l’espace. Une composante est mise par rapport avec une autre, ou simplement avec son socle ou avec le plan sur lequel elle est posée (le mur, le plancher, la table, etc.) C’est à travers cet espace le plus large possible que se situe mon intervention sculpturale. L’assemblage est un collage de fragments d'objets. Il est apparu d'abord dans la peinture du début siècle. L’inclusion de différents matériaux trouvés dans les tableaux de Max Ernst nous introduit à ce procédé révolutionnaire pour l’époque. Son assemblage de bois et fils de fer peints, titré « Fruit d’une longue expérience »3 (Fig.1),

efface les limites entre pictural et sculptural.

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Figure 1: Max Ernst , Fruit d'une lonque expérience (1919)

. L’emploi de matériaux trouvés aide Ernst à surmonter un certain complexe de la virginité de la toile blanche. Les combinaisons du matériau d’origine et leur dissection crée une nouvelle réalité dont la qualité propre résulte de l’accouplement de diverses réalités sur un plan apparemment inadéquat. Ces diverses versions sont unies entre elles par une étincelle de poésie4. C’est la révolution dada qui consacre le matériau usagé, le rebut , comme une

matière première au même titre que la pierre, le métal, le bois, le pigment du tube de peinture. La sculpture contemporaine fait un usage abondant du matériau déchu. Sa légitimité n’est plus à faire. Cette matière, qui encore, il y a quelques décennies, était perçue comme vulgaire, est devenue un matériau incontournable dans l’art actuel. L’assemblage d’objets ou de fragments d’objets par soudure, collage, boulonnage, crée des structures totalement différentes que les techniques plus anciennes de modelage suivi de la taille directe ou du moulage. Même s’il fut le pionnier de l’assemblage par soudure, Julio Gonzales5 fait toujours passer un modèle bidimensionnel dans un autre tridimensionnel.6

Il voulait dessiner dans l’espace ce qu’il avait dessiné sur le papier. Il explorait le passage d’une idée d’une dimension à une autre. Son ami, Pablo Picasso, rompt clairement avec le

4 Ibid. p.38.

5 H.W.Janson, History of Art, New York, Harry N. Abrams Inc, 1986, p.740.

6 Rosalind E. Krauss, L'originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes., Paris, Macula, p.

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modèle, la préconception, se laisse séduire par la forme de la selle et du guidon pour y voir un taureau. (Fig.2)

Figure 2 :Pablo Picasso, Tête de taureau (1937)

Picasso élimine l’étape du croquis et s’inspire de la matière elle-même pour faire naître l' idée. Cette nouvelle façon de faire donne à l’œuvre un caractère plus spontané. Elle multiplie les situations imprévues et favorise l’émergence de solutions inédites. Paradoxalement, les contraintes d’une matière déjà transformée, apparemment limitée par les formes acquises du matériau, forcent l’innovation en exigeant des solutions nouvelles. Les empreintes du passé deviennent de nouvelles voies pour faire surgir l’inédit. L’enchainement des décisions amène ailleurs, nous fait sortir d’un itinéraire préétabli. La recherche de solutions à de problèmes imprédictibles pousse plus loin nos limites de créateur. Chaque situation nouvelle commande une chaine de décisions encore inexplorée. La mécanique décisionnelle est amplifiée et ouvre une plage à l’audace, à la spontanéité, à l’improvisation. L’absence de chemin force le hors-piste, l’intuitif.

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Il m’apparait nécessaire de clarifier la nature de cette intuition qui préside aux choix successifs de l’artiste dans ce processus d’essai-erreur. William Rubin, dans un texte où il rapproche le travail d’Arman de celui de Jackson Pollock, fait cette mise au point capitale sur la création intuitive :

....même si l’artiste avait voulu se laisser guider entièrement par le hasard, il n’aurait pu y arriver. L’être humain conscient a beau avoir des réflexes rapides et préméditer le moins possible, il se retrouve toujours en fin de compte à effectuer des choix. Un être humain est soumis aux causalités accidentelles, mais il ne peut pas en produire lui-même. N’oublions pas que Pollock estimait que ses tableaux constituaient un tissu de choix, d’arbitrages et de réactions et non pas d’accidents, même lorsque les décisions étaient instinctives et semblaient presque surgir de l’inconscient. 7

J’ajouterais que l’intention précède l’intuition et qu’elle l’encadre sans pour autant la limiter. Même si Arman et Pollock se donnaient un espace large et propice à la découverte, leurs décisions fondamentales étaient encadrées par une intention omniprésente de créer une œuvre conséquente avec des choix initiaux, constants ou du moins conséquents. Par exemple l’accumulation chez Arman ou l’« all-over » chez Jackson Pollock, est présente de façon déterminante dans leur processus créatif. Malgré la grande variété des résultats obtenus, on peut à postériori reconnaître leurs intentions. Il serait plus juste de dire que leurs intentions prennent la forme d’un répertoire qui leur est propre. Ce cadre, même s’il évolue dans le temps, reste imprégné par des valeurs constantes qui jalonnent leur parcours qu’on peut reconnaître et assimiler à une façon de faire ou de penser.

Même lorsque je fais de la taille directe dans une matière comme le bois ou la pierre, je le fais sans recourir à un modèle ou à un croquis. Je passe directement à l’action. La succession des gestes va développer une idée encore imprécise. En ce sens, mon approche est plus près de celle de John Chamberlain que de celle de Rodin . L’œuvre est le résultat d’un dialogue direct avec le matériau . C’est dans l’exploration tactile et visuelle que l’inspiration vient et que l’idée se développe. L’essai-erreur n’est pas pour moi une pure improvisation, mais bien une chaine de décisions qui épouse la chaine des événements au fur et à mesure qu’ils se passent. Mon action directe provoque une suite d’enchainements qui est unique à chaque fois. L'adaptation continue à des événements fortuits développe

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une façon personnelle d'y faire face qui avec le temps fait parti de notre langage visuel. C’est en comparant ce dialogue avec celui d’autres artistes que je peux mieux identifier des affinités et des différences.

Section 1 : Les nouveaux réalistes.

Les nouveaux réalistes européens ont indéniablement ouvert des voies insoupçonnées. César Baldaccini décrit ce mouvement comme un groupe d’amis qui partageaient un même courant de pensée lié à l’appropriation direct du réel. La forte présence des matériaux industriels dans ses travaux ainsi que dans ceux de Tinguely, Arman, Raysse, correspond selon lui à «un désir d’exaltation de la production quotidienne, de la beauté industrielle dans ce qu’elle avait de plus dérisoire ou de plus inutile»8.

S.-S. : 1,1 : César Baldaccini.

César, comme pour la plupart de ses congénères, a été attiré par l’abondance et le faible coût de la ressource. Son exaltation en est une d’après-coup. Ses sculptures soudées, faites de fragments métalliques, réfèrent peu ou pas au rebut usiné sinon par les formes laissées par la coupe des machines-outils. Il utilise des retailles anonymes produites par le travail industriel.

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Figure 3 : César Baldaccini , La Chauve Souris (1954)

Lorsqu’il construit son bestiaire fantasmagorique (Fig. 3) provenant de résidus d’une manufacture de meubles, on peut difficilement reconnaitre les traces de la production spécifique de l’usine. L’allusion à la provenance ne sera évidente que lors de ses premières compressions de tiroirs (Fig.4). Il accepte le tiroir comme cadrage de ses bas-reliefs et même comme propos d'une nouvelle iconographie

.

Figure 4 : César Baldaccini, Le Tiroir Bleu (1954) .

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Ce contact assidu avec le milieu industriel et particulièrement les ferrailleurs lui inspire ses célèbres compressions d’automobile. Dans ce cas, il n’y a pas que la matière qu'il emprunte à l’usine, le procédé aussi. La presse rend possible ce qui est inaccessible à sa capacité physique d’homme et multiplie son potentiel créatif. Ses interventions vont peu à peu le réconcilier avec le matériau pauvre qui représentait pour lui la condition économique précaire dont il voulait s'affranchir. Les cubes de métal compressé sont originalement dédiés à l’empilage et non à une utilisation comme telle. César découvre peu à peu la valeur picturale unique des froissements qui se présentent aléatoirement sur les faces des volumes. Il organise l’aléatoire en disposant les pièces dans la presse. Il augmente délibérément la « prédicabilité » des résultats . La matière anonyme reprend de l’identité. Il reconnait graduellement son apport historique. Ses premières compressions d’automobiles sont des improvisations menées par l’exaltation de la découverte d'effets inédits produits par l’utilisation de la presse hydraulique. Il nous décrit son cheminement :

Puis le jugement esthétique est venu s’ajouter à l’exaltation, et j’ai fait des compressions dirigées . J’ai payé des gens et j’ai essayé de doser les charges, de faire des paquets choisis, des paquets triés, des paquets plus propres : « ne me mettez que des pare-chocs, que des capots rouges, douze pare-chocs. » selon les pièces que l’on met dans le paquet, on obtient l’effet recherché aux endroits voulus.9

D'une sculpture à l'autre, l'apport de la matière différenciée est de plus en plus reconnu. On peut dire que « Renault Cube » (Fig. 5) est l’aboutissement de l’évolution de ce long

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dialogue avec le matériau pour la conservation de son identité de produit manufacturé.

Figure 5 : César Baldaccini, Renault Cube (1962)

La matière utilisée dans cette sculpture n’est plus de la ferraille, ou encore des automobiles, c’est une voiture mythique de marque Renault immortalisée dans un cube. La Renault un peu à la manière de la Citroën de Roland Barthes, a été, pour toute une génération, un objet mythique chargé de signification10. L’automobile reste entière dans l’œuvre comme le

matériau constitutif et exclusif. La marque de commerce imprègne le matériau de sa notoriété marketing pour ajouter une valeur à la matière « automobile ».

S.-S. : 1,2 : Arman.

Arman va plus loin dans l’utilisation du matériau dégradé. Il se sert du matériau, le plus méprisable qui soit, les vidanges. Ses poubelles sont des autopsies de la vie quotidienne. Les ordures sont exposées dans des écrins vitrés. Les vidanges deviennent matière à voir. Un voyeurisme indécent qui rend mal à l’aise. Le matériau est présenté pour qu’on l’accepte comme tel, sans aucune transformation. D’autre part ,quand il le transforme,

10 « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques :

je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. » Roland Barthes, Mythologies, Paris, Points Essai,2007 p.164.

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il le fait avec une violence nettement provocatrice. Son acharnement à écraser, tailler, brûler des objets nobles et sans reproche, comme des instruments de musique, pousse l’audace jusqu’au sacrilège. Il ne recule devant rien pour prendre d’assaut la place publique. Sa recherche du scandale est indéniable. Il faudra attendre les Damien Hirst, Andres Serrano, Maurizio Catellan, pour voir des œuvres aussi provocantes. D’autre part, on ne peut pas être indifférent à la quantité et à la qualité des œuvres qui sont nées de ces déconstructions brutales. Son dur dialogue avec la matière a produit des œuvres d’une grande sensibilité et d’une extraordinaire vivacité. Il veut dépasser les limites formelles de l’objet, forcer la matière-objet à révéler l’insoupçonnable.

Figure 6:Arman, Grande Harpe (1966)

D'autre part, sa stratégie de répétition intervient d’une tout autre manière dans sa relation avec les objets familiers. La quantité réduit l' individualité emportant une partie

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importante d' identité. Ils fusionnent pour devenir une masse indissociable. La dilution identitaire s’opère par la multiplicité. La soudure ou le collage immobilise l’objet dans la masse. L’outil, le tube de peinture, redevient matière par un étrange retour des choses. Dans Grande Harpe ,(Fig.6) le tube de peinture est à la fois sujet de l’œuvre et la matière. Une évidence déconcertante qui nous frappe à la fois par la simplicité de la proposition et la complexité du réseau de sens qui est ouvert. La surabondance est abordée par l’excès, mais aussi par un agencement manifeste.

Figure 7:Arman , Soixante fois non (1978).

Le marteau devient matériau sans perdre ses caractéristiques formelles. (Fig.7) La répétition dématérialise l’objet pour en faire une matière malléable qu’Arman façonne pour créer de nouvelles versions audacieuses et surprenantes. L’originalité naît de la répétition du banal. L’identité de l’objet est broyée par la quantité, elle est refondue sans disparaitre tout à fait. Dialogue ou confrontation? Amour ou haine? Passion ou agression? Arman nous fait vivre toutes sortes d’émotions. Sans compromis ni retenues, sa relation avec la matière est un combat plus qu’un dialogue . Son audace et sa passion sont stimulantes et nous invitent à repousser les limites de l’acceptable. Arman métamorphose sans retrouver véritablement le matériau dont est fabriqué l'objet . Quand il détruit un objet , ce

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dernier n'est en réalité que morcelé et l'œil peut le recomposer malgré l'éparpillement . Son intégrité n'est menacée qu'en apparence.

S.-S. : 1,3 : Tinguely

Figure 8: Tinguely ,La fontaine Jo Siffert (1984)

Il y a des combats moins brutaux et tout aussi efficaces comme celui de Tinguely. Cet autre membre du groupe des nouveaux réalistes nous présente un corpus à l ’enseigne de l’humour et de l’insolence. Il réutilise les composantes mécaniques pour construire des machines chancelantes d’une fascinante inutilité. On est loin des brutales compressions de César ou des destructions massives d’Arman. Les reconstructions de Tinguely respectent la nature et la fonctionnalité des composantes. La pièce est réaffectée à une autre fonction mécanique pour le plus grand plaisir du spectateur. La rectitude opérationnelle est remplacée par la déficience organisée. On sent cette constante volonté de reconstruire, réorganiser, réanimer la matière. La ferraille se transforme en fontaines, en machines fantasmagoriques détraquées. (Fig.8)

La métamorphose est douce et joyeuse. L’acceptation de la matière pauvre est acquise.

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Tinguely accepte l’objet, le fragment, le débris sous tous ses aspects : consistance, usure, odeur. L’objet trivial, qui ne doit, après tout, sa banalité et le mépris dans lequel on le tient qu’au fait que la combinaison de molécule qu’il représente est plus fréquente que d’autres, tout en restant intrinsèquement aussi noble que des plus flatteuses. Il y a chez Tinguely, démocrate, en quelque sorte, dans ses attirances matérielles comme il est dans ses options politiques et sociales, le sentiment de confraternité égalitaire entre les choses, avec les choses.11

Comme Tinguely, je recherche une relation consensuelle avec le matériau usagé. Je le réutilise de façon respectueuse de son apport sans pour autant conserver ses attributs fonctionnels. Tinguely recompose, je refais.

Section 2 : Smith et ses disciples.

Les compressions et expansions de César, les destructions et accumulations d’Arman, les installations bric-à-brac de Tinguely ont poussé plus loin l’audace et l’inédit. On retrouve ce même sentiment de liberté d’exécution chez les Chamberlain, Smith et Caro. C’est ce génie inventif de l’artiste-bricoleur qui m’inspire chez eux. Comme pour les nouveaux réalistes, le vocable « expressionniste abstrait » regroupe un large éventail d’artistes. L’américain David Smith fut probablement le sculpteur le plus connu de ce groupe. John Chamberlain et Anthony Caro se disent, tous deux, ses disciples même si leurs cheminements artistiques sont vraiment très différents. Anthony Caro, (un Anglais, qui fait beaucoup de séjours en Amérique) a une vision plus formelle de la sculpture alors que celle de Chamberlain est plus expressionniste et spectaculaire.

11 Michel Conti Lacoste, Tinguely, L’énergétique de l’insolence, Paris, Éditions de la différence ,

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15 Figure 9: David Smith, Tanktotem VII (1960)

S.-S. : 2,1 : David Smith.

Smith est un des pionniers de la sculpture de métal soudé en Amérique. Comme César, c’est le contact avec l’industrie qui va orienter sa démarche artistique. Il se dit à la fois disciple de Gonzales et Picasso. Il est plus près de Gonzales en ce sens que son intention est plus présente dans ses œuvres que celle de Picasso. On constate, en observant ses nombreux croquis, qu’il cherche à développer un langage pictural qu’il veut traduire dans le métal. Il n’hésite pas à forger le métal pour qu’il se moule à son idée. L’idée domine le matériau qui doit se plier aux exigences de la mise en scène. La conservation de l’origine de la matière est accessoire pour Smith. On ne peut discerner si la composante a été récupérée ou façonnée pour être incorporée dans la sculpture. Il est difficile de voir s’il travaille à partir des résidus qui sont disponibles ou des croquis qu'il fait ( de son idée). On peut croire qu'il utilise les deux approches de façon concomitante. Chose certaine, on sent une trame narrative qui relie ses œuvres les unes aux autres. Son intention est

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manifeste même si chaque pièce raconte son histoire. Il en est tout autrement pour son compatriote Chamberlain dont l'approche est plus éclatée et intuitive .

S.-S. : 2,2 : John Chamberlain.

Figure 10: John Chamberlain, Crushed-Car (1981) .

Chamberlain s’ancre dans le mouvement d’abstraction américain, en utilisant la tôle

de carcasses d’automobiles pour faire des tableaux expressionnistes en trois dimensions. La couleur prime la forme et nous ramène à une vision festive et populaire d’une sculpture dérivée de la production automobile, une des industries les plus prolifiques de la planète. Ce qui fera dire à Dave Hickey :

Pour servir ses propres objectifs, Chamberlain inverse la fable de Michel Ange, considérant le bloc de pierre et y voyant la sculpture à exquise symétrie. Il regarde une Pontiac Firebird d’une symétrie exquise et la vision d’élégante

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apocalypse : il voit la pièce d’acier brut dont elle provient et à laquelle elle retourne par la courtoisie des hommes12.

Un retour à la matière brute certainement, mais pas complètement. L’acier, c’est de

l ’acier d’automobile. Le marbre américain de Chamberlain ce n’est pas n’importe quel acier qui sort des grandes aciéries américaines, mais celui des cimetières d’automobiles, marqué par la culture automobile. On pourrait dire que le matériau, c’est de l’automobile. John Chamberlain parle beaucoup de ce retour à l’asymétrie de la nature pour nous convaincre qu’il fait œuvre de naturalisation du matériau. L’« asymétrisation » par le froissement est plus mécanique qu’organique et le résultat reste dans l’ordre de l’esthétique industrielle. Le retour à la nature qu'invoque Chamberlain est plutôt un rappel de la diversité et de l’irrégularité des formes que l’on retrouve dans le patrimoine naturel. Ses propositions libres de structures apparentes nient toute morphologie ou figuration. Les interfaces enrichissent la construction de nouveaux dialogues. Beaucoup de ses propositions pourraient être qualifiées d’« all-over » tridimensionnelles. L’appariement est le principe fondateur de ses constructions multiformes. John Chamberlain décrit son travail comme une recherche d’accouplement ou une union de type sexuel d’une pièce avec une autre jusqu’à ce que toutes les composantes assemblées aient acquis une présence forte et attrayante13.

La découverte des œuvres de Chamberlain fut marquante pour moi, en ce sens qu’elle m’a enlevé ce qui me restait de gêne à utiliser des matériaux usinés. Il a renforcé ma conviction qu’il n’y avait pas meilleur matériau pour créer des œuvres sculpturales inédites. Les problématiques inhérentes à l’agencement des surfaces et des formes deviennent les nouveaux défis à relever. Le génie de Chamberlain est de faire renaître l’unité de l’anarchie des formes éparses de la ferraille.

S.-S. : 2,3 : Anthony Caro

12 Dave Hickey, « Apparier », in John Chamberlain, Paris, Galerie Karsten Greve, p. 271. 13 Klaus Kertess, John Chamberlain, Galery Karsten Greve , Cologne, 2008, p17.

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Caro partage avec Smith ce même désir d’abstraction et d’éloignement de la morphologie du corps. II se distingue de la tradition européenne en poussant plus loin sa recherche sur la forme pour elle-même et sa place dans l’espace.

Figure 11: Anthony Caro , L'orangeraie (1957)

Ce qui fit dire à Terry Fenton :

En revanche, la nouvelle sculpture de Caro ne symbolise ni ne représente rien; ses formes sont strictement des formes. Elles constituent un art de gestes et de positions abstraites, un art occupant l’espace, à même le sol, sans le secours du socle ou de la plinthe, une structure nouvelle qui aspirait à atteindre une sorte de « nature musicale ».14

L’usage du matériau usagé ou usiné est accessoire dans sa production. La poutre en H de Caro c’est un matériau standardisé, une composante commune qui ne connote rien en soi. Le matériau premier de Caro c' est l'espace. Ses études sont un vaste inventaire de positions spatiales mises à nu. L’objet est utilisé pour sa forme même qui, juxtaposée à une autre va produire autre chose. Le poids, la substance, l’épaisseur, l’angle, l’inclinaison, la planéité sont autant de préoccupations que Caro aborde avec un grand souci d'en

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comprendre l’équilibre. Ce ne sont pas des représentations de quelque chose ce sont des structures uniques qui ont leur propre façon de se présenter à notre regard. C'est une mise en espace raisonnée où le matériau est un figurant, un acteur dans une mise en scène. La couleur elle aussi joue un rôle. Elle allège l'acier pour ramener l'attention sur la ligne et la forme dans l'espace . 15

15 Benjamin H.D Buchloch, «Construire (l'histoire de) la sculpture», dans Qu'est-ce que la sculpture

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Chapitre 2 : Quelques principes théoriques.

L'élaboration d’un cadre théorique est l’occasion de prendre de la hauteur par rapport à ma pratique. Je peux dessiner, peindre, sculpter sans pour autant m’engager dans une réflexion plus profonde sur mon travail pour en dégager les éléments clés. Cette introspection s’accompagne d’une revue d’auteurs qui, par leurs écrits, m’aident à clarifier et déployer ma pensée sur ma recherche artistique.

Section 1 : Généralités.

L’art, et particulièrement l’art actuel, résiste à toute définition en raison de son caractère inclusif et pluraliste. Son ouverture tout azimut est devenue en quelque sorte un de ses postulat. Cet éclatement me permet d’exercer une recherche large et ouverte sur un territoire où les paradigmes ne résistent que le temps d’en créer un autre. Cette liberté dont jouit l’artiste est bien décrite par cette affirmation de Nietzsche : « Nous avons besoin de tout art insolent, planant dans les airs, dansant, moqueur, enfantin et bienheureux pour ne pas perdre cette liberté qui se tient au-dessus des choses. »16 Cette liberté d’être, au-dessus

des choses, des théories, des paradigmes, des marchés, nous amène à avoir le courage d’être libres penseurs et de cultiver cette joyeuse insolence envers les dispositifs institutionnels. C’est dans cet esprit que j’aborde mon travail. J’essaie de garder un regard critique sur ce que j’aime et un jugement différé sur ce que je n’aime pas. Je me donne la liberté de changer d’idée, de me laisser séduire, puis de reprendre mes distances. Je suis mon chemin sans craindre de changer de cap ou de me perdre dans des mondes inconnus. Je crois qu’il ne faut jamais accepter le définitif, le confort, la conformité.

Mon travail se veut extraverti, en ce sens qu’il naît d’attentions que je porte sur le monde qui m’entoure. Une redécouverte d’objets banals fondus dans la masse indifférenciée de notre présence au monde. Ce passage de l'indéterminé au déterminé qui

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redonne de la valeur à ce que l'on voit .17 Somme toute, je pars rarement d’une page

blanche ou d’un concept, mais d’un objet existant. Une idée naît d’une autre idée, un objet d’un autre objet. Il n’y a pas de génération spontanée. Même la matière vierge a une histoire spécifique et des propriétés différentes d’une autre qui influe sur l’œuvre en devenir. Le senti, le perçu, le touché sont au cœur de ma recherche esthétique.

D’autre part, parler d’objets en sculpture c’est comme parler d’images en peinture. Terry Fenton dans un texte dédié à Anthony Caro nous rappelle que les œuvres sculpturales entrent en compétition avec les autres objets usuels créés par l’homme. Contrairement à ces derniers, elles occupent un espace de façon permanente et sans aucune autre finalité que leur seule présence singulière. Cette présence supérieure les isole du monde des choses pour devenir des œuvres d’art.18

Section 2 : L’objet comme matériau.

Faire émerger une œuvre d’art originale d’un magma de résidus d’une constellation d’objets de consommation, c’est comme identifier une « nouvelle » étoile dans un amas de galaxies. La production effrénée de biens pour combler nos besoins illimités accélère la naissance et la mort des objets usuels.19 Le développement exponentiel des connaissances

et des technologies alimente la création d’objets de plus en plus sophistiqués et éphémères. Certains d’entre eux échappent à ce tourbillon d’« éphémérité » et deviennent des mythes qui s’imprègnent dans l’histoire. L’objet devient alors parole signifiant quelque chose qui le dépasse20. Il est le signe de quelque chose qui s’est détaché de son sens

premier pour en faire naître un second qui appartient à une autre version du monde, à un autre réseau de signification. Quand je crée une œuvre d’art, je veux donner à ce nouvel objet ce caractère mythique qui dépasse l’objet d’origine tant par sa permanence que par sa signification. Les produits manufacturés modernes deviennent souvent méprisables par leur caractère éphémère et jetable. Ils sont sans histoire et peu dignes d’en avoir une. Leur fiabilité et leur solidité, des qualités essentielles pour mériter notre attachement, sont

17 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, p.55. 18 Terry Fenton, p. 7.

19 Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Éditions Gallimard, 1968. p. 7 20 Roland Barthes, p. 212.

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continuellement mises en doute par des rumeurs d’obsolescence soigneusement planifiée. La précarité imprègne notre perception du monde des objets qui se liquéfie dans la peur permanente de l’expiration et de la péremption21, la mort de l’objet. La sculpture qui naît de

l’objet vulgaire, obsolète, précaire propose une esthétique renouvelée qui nous parle et comble notre besoin de permanence et de stabilité. Dans un monde étourdissant, offrant une panoplie de choix combinables et empilables, l’artiste devient un « sémionaute », un créateur de parcours à l’intérieur d’un nouveau paysage de signes22 . Il est un

chasseur-cueilleur toujours à la recherche de nouvelles connexions à établir. Il transforme l’objet du quotidien, le désenclave de son espace usuel, exhibe sans pudeur ce qui est caché pour le montrer autrement. Une présence supérieure émane d’un nouvel amalgame de signes. La sculpture représente autre chose qu’elle-même et plus que l’ensemble des fragments qui la composent. Les significations usuelles des objets vulgaires sont refondues, mélangées, recomposées pour faire surgir un autre univers de signes, propice à la création de nouveaux parcours. De la dénotation on passe à la connotation.23 De l’évident, on migre vers le moins

évident : l’énigme, l’étrange, l’inédit. Le spectateur participe à ce glissement du sens en imaginant sa propre interprétation de cette nouvelle version issue de la combinaison proposée par l’artiste. Il opère une inévitable sublimation de l’objet en lui conférant des qualités esthétiques qui le distinguent des autres. Il le fait passer d’une existence prosaïque à une présence superlative. De nouvelles connexions de signes sont activées chez l’interprète, qui, à son tour, recrée une nouvelle version affranchie de celle du créateur-émetteur.

Le matériau « culturé » m’inspire davantage que le matériau vierge. Il est chargé d’une énergie, d’un bagage formel, d’une culture qui s’ajoute à la nature même du matériau et en modifie son essence première. La tôle d’automobile utilisée par Chamberlain ou César Baldaccini c’est plus que de la tôle d’acier ordinaire c’est une tôle « automobilisée », modifiée par son usage passé. Elle est reconnaissable par ses caractéristiques propres ,

21 Nicolas, Bourriaud, Radicant, pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2000, p.101 et ss. 22 Ibid. p. 118.

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telles que l’épaisseur, la souplesse, la texture, la couleur, etc. Les acquis de son passé demeurent intacts dans son présent. Elle est différenciée des tôles issues d’autres provenances. Par exemple, une tôle de la paroi d’un réservoir cylindrique (comme un chauffe-eau) est une matérialité différente de celle d’une carrosserie d’automobile. À ses spécifications physiques telles que l’épaisseur, la courbure, la dureté, il s’en ajoute d’autres, plus évocatrices, historiques, perceptuelles, résiduaires, de l’idée que nous nous faisons de l’objet d’où est extrait le matériau. Par exemple, je peux percevoir la tôle d’automobile plus fragile, froissable en raison d’expériences passées que j’ai vécues avec ce matériau. Cette perception je la partage souvent avec un grand nombre de personnes de mon entourage culturel, ce qui fait qu’elle est devenue commune à une communauté plus ou moins large. La conservation de référents significatifs est essentielle à son existence. Ce « préjugé » commun devient une caractéristique additionnelle du matériau. Comme deux pièces d'acier qui proviennent d'alliages différents, elles sont d’un acier de « culturalisations » différentes. Leur nature profonde (physique, chimique) a été enrichie. Cet additif est fragile et tient à la reconnaissance commune du spectateur et du créateur qui partagent la même expérience de l’objet.

Comme artiste, je cherche les caractéristiques culturelles les plus universelles possible pour qu’elles rejoignent le plus grand nombre. Cette expérience commune peut être très diffuse. Malgré son ignorance de la provenance précise du matériau, le récepteur va convenir aisément que le matériau n’est pas vierge, mais qu'il a déjà été utilisé. Les traces d' un usage le distinguent de ce qu’il est habitué d’identifier comme une matière neuve. Le but n'est pas de conserver la trace pour elle -même mais de la faire contribuer à la création d'une œuvre la plus intéressante possible, et même si pour le faire, elle doit complètement disparaître. Je ne me laisse pas emprisonner par le passé. Dans un tel cas, les traces culturelles auront servi de pistes d’inspirations. Même si les traces s’effacent sous mes pas je ne m’empêche pas d’avancer. C’est le résultat qui compte, c’est l’œuvre qui a le dernier mot.

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Section 3 : L’artiste-bricoleur.

Claude Lévi-Strauss place le travail artistique à mi-chemin entre la connaissance scientifique et la pensée mythique ou magique. Avec des moyens artisanaux, l’artiste confectionne un objet matériel qui est en même temps, objet de connaissance. En ce sens, il tient à la fois du savant et du bricoleur.24 L’attitude, qu’il développe en dialoguant avec la

matière, lui fait jouer pleinement son rôle poétique :

La poésie du bricolage lui vient aussi, et surtout, de ce qu’il ne se borne pas, à accomplir ou à exécuter; il « parle », non seulement avec les choses, comme nous l’avons déjà montré, mais aussi au moyen des choses : racontant, par les choix qu’il opère entre des possibles limités, le caractère et la vie de son auteur. Sans ne jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi.25

L’artiste-bricoleur a son univers particulier. Sa créativité s’exerce dans un monde ou il s’entoure d’un ensemble d’éléments qui sont à demi particularisés en ce sens qu’ils ne sont pas astreints à un emploi précis et déterminé. Il les a choisis en raison de leur potentiel d’utilisation. Chaque élément représente un ensemble de relations à la fois concrètes et virtuelles. Ces objets hétéroclites constituent son trésor qu’il interroge pour comprendre ce que chacun d’eux pourrait « signifier » contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser.26

Ce mode de fonctionnement est-il plus près du sculpteur que du peintre ou du dessinateur? En ce qui me concerne, je dois répondre par l’affirmative. Le « faire-avec » est plus approprié au domaine sculptural particulièrement à celui qui utilise le « déjà-fait » ou le matériau usagé. L’univers de l’artiste-bricoleur c’est son atelier où l’œuvre naît de ses actes.

24 Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 33. 25 Ibid p. 32.

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Chapitre 3 : Ma pratique

Au-delà des théories et des affinités, c’est dans la pratique que tout se passe. Le fait que je travaille avec une matière qui provient d’objets trouvés, génère une démarche différente que si je travaillais avec des matériaux standards du commerce. Le sculpteur-bricoleur est un chasseur-cueilleur.

Section I : La cueillette.

L’étape initiale de la cueillette des matériaux est cruciale dans mon processus de création. Les objets sélectionnés en plus d’être matière première sont des inspirateurs d’où naissent les idées. Cette recherche se fait de manière intuitive, sans planification préalable, au hasard des opportunités. C’est le potentiel de l’objet-matériau qui me séduit. J’entends par potentiel sa capacité à devenir autre chose d’intéressant. L’objet trop marqué, qui a une « personnalité » trop affirmée, peu flexible, peu réformable, va être laissé de côté au profit d’un autre qui offre un potentiel de transformation plus prometteur. La pièce m’attire par sa morphologie et ses qualités formelles. Certaines de ces qualités initialement identifiées seront plus ou moins transposées dans l’œuvre. La sculpture sera dans certains cas, une autre version de ces mêmes objets, faite d’un nouvel amalgame de leurs fragments. Dans d’autres cas, l’effacement sera tel que seule la matière constituante subsistera. Entre ces deux extrêmes, toute une gamme de propositions émerge et se dissipe. Des versions possibles émanent vaguement de l’objet lui-même. L’œil scrute, décode, imagine des hypothèses, pour arriver à conclure que « la prise » est pleine de promesses sans pour autant décider de son futur immédiat. Choisie, la pièce peut être transformée impulsivement sur-le-champ ou elle peut passer des mois dans l’atelier sans qu’une idée surgisse. Au contact des autres objets, des simulations naissent et meurent. Elle fait maintenant partie de mon monde de création d’où naissent des relations entre les formes, les lignes, les traces, les textures, les teintes. L’œil invente des métissages, des mixages, des amalgames, des fusions d’où résulte une panoplie de combinaisons possibles. L’objet abandonné devient objet d’attention. Ce dialogue visuel va déclencher toutes les interventions. Je découpe, déboulonne, démonte. Je dénature pour que se révèle un

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matériau apte à épouser d’autres vocations. Comme dirait Umberto Eco, en parlant d’un fragment à insérer dans un collage : « séparé de son contexte d’origine, il est en tout ou en

partie, vidé de son sens, il est dé-sémantisé »27. Ce degré de dénaturation est variable et

n’est pas proportionnel à la sévérité de la coupe ou du démantèlement. La subsistance d’un simple détail significatif peut conserver la totalité de l’identité initiale. À l’inverse, une simple manipulation peut suffire à faire une transformation radicale. C’est le cas du cendrier d’albâtre retourné pour devenir le socle de « Buste »(Fig.12)

Figure 12: Buste (2013) .

Il a complètement disparu et s’est intégré totalement dans la sculpture. Au fur et à mesure

du démantèlement chaque nouvelle pièce devient une nouvelle entité. Sont-elles encore trop marquées par leur passé? Dois-je les retailler, les modifier avant l’assemblage? Les composantes m’inspirent-elles assez de possibilités? La tension entre le « déjà-là » et le « devenir » est constante .

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Section 2 : Assemblage et espace.

L’assemblage se fait par essai-erreur en tenant compte de la morphologie de la pièce qui doit s'harmoniser avec la ou les précédentes. Peu à peu, l’œuvre prend forme, émanant des matériaux et de la gestuelle qui expérimente. Soudain, un élément déclencheur provoque l’apparition d’une idée ou d'une piste possible. L’imagerie mentale se précise et se transforme en multiples hypothèses. Le processus d’essai-erreur reprend pour décider de la prochaine étape et ainsi de suite. Chaque choix élimine des possibles et cache de nouveaux obstacles à surmonter. Les solutions innovatrices à ces difficultés de parcours sont souvent ce qui va donner l’originalité à l’œuvre. L'idée s’ancre, se développe, prend la place. L’œuvre est née, elle exige le dialogue. Je dois « faire-avec » et développer l’identité de cette nouvelle entité. Je reste le maître d’œuvre, mais je ne suis plus seul face aux décisions. La réussite va résulter de ma capacité à maintenir ce dialogue. Les lignes et les formes de l’œuvre se révèlent et s’affirment. Quelles sont les lignes et formes adéquates dans les circonstances? Quelle est l’esthétique que je veux proposer? Léger ou lourd? Continuité ou rupture? Souplesse ou solidité? Vides ou pleins? Ces questions émergent en continu dans le processus de décision, sans se différencier les unes des autres. Je veux atteindre en même temps la légèreté de Calder, la simplicité de Brancusi, l’agilité de Caro, l’audace de César, et ainsi de suite. Ma recherche sculpturale passe inévitablement par un usage inédit et harmonieux de lignes. Tout se joue dans l’espace commun de l’œuvre et de son créateur. L’espace devient le lieu de la présence et du mouvement. Il n’y a pas d’espace sans vide. Le vide est une distance plus qu’une absence. La présence émane de la sculpture elle-même, mais aussi de la place qu’elle occupe dans son espace. Elle conquiert l’espace vacant en s’appropriant les vides créés autour d’elle. Sa position recrée la ligne, redéfinit la forme. Tout change, tout bascule par un simple geste. Ainsi, « Négondo » (Fig.13) ne serait pas la même sans sa position dans l’espace au-dessus de sa base noire

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Figure 13: Négondo (2010)

Section 3 : Les séries.

Je travaille généralement en séries. Une trouvaille en amène une autre, une idée en amène une autre. Il y a un enchainement entre les œuvres d’une même série comme une espèce de parenté évolutive. La suite est interrompue brutalement par une découverte impromptue qui amène sur une autre piste plus prometteuse ou simplement parce qu’elle m’apparaît avoir épuisé son champ d’intérêt. Fréquemment, pour ne pas dire la plupart du temps, je travaille sur deux ou trois séries en même temps. Même si ma recherche est principalement consacrée à la sculpture, je continue simultanément mes activités en peinture et en dessin. Mes travaux picturaux alimentent ma réflexion sculpturale et tiennent lieu de références ou croquis inconscients en simulant des assemblages de lignes et de formes.

S.-S.:3,1 : La piste du bois de chauffage.

Mon travail durant ces deux dernières années porte principalement sur l’approfondissement de pistes de recherche découvertes au baccalauréat. L’utilisation de pièces de bois de chauffage remonte à mes premières expériences où j’ai eu à produire des

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propositions à l’intérieur d’un processus d’apprentissage académique . Chaque année, je cueille des troncs d’arbres laissés par les marées sur les battures du fleuve pour en faire du bois de chauffage. Le tronçonnage et le débitage de ces pièces m’ont fait découvrir la richesse des textures des différentes essences de bois que je transforme pour satisfaire l’appétit insatiable d’appareils de chauffage. Ces débris de toute provenance sont arrachés aux rives et rejetés pêle-mêle sur les grèves. En faire du bois de chauffage cela veut dire ramener tout ce matériel a une dimension absorbable par la gueule des poêles ou du foyer : dix huit à vingt deux pouces de long, six pouces à douze pouces de diamètre. Toutes les origines, les textures, les essences sont confondues. Leur gabarit les rend inutilisables pour d’autres usages plus nobles tel que la construction ou l’ébénisterie. Dans la corde, le chêne ne vaut guère plus que la vulgaire épinette. On y retrouve des essences qui sont peu connues vu que leur bois est trop tortueux ou noueux pour être utilisé par l’industrie. En effectuant ce travail, j’ai souvent éprouvé une certaine impuissance face à la fatalité que des matériaux aussi intéressants finissent comme combustible. Des bûches à fendre, c’est tout. Ils sont ramenés à leur seule valeur calorifique. La hache ou la fendeuse n’épargne rien. Hormis les patines du temps et les formations particulières sur les surfaces extérieures, les qualités spécifiques de chacune des pièces n’apparaissent souvent que lors de la fente, une étape décisive et irréversible. Une grande majorité de bûches présente peu ou pas d’intérêt en raison de leur faible différenciation. Quelle est donc cette étincelle qui fait surgir l’intérêt, qui séduit mon œil? Pour que l’étincelle mette le feu, il faut qu’elle soit en contact avec un comburant. Quels sont donc le ou les éléments qui vont provoquer la réaction? J’ai dit plus tôt que la cueillette était intuitive sans planification préalable, c’est vrai, mais elle est évidemment précédée d’une intention. L’intention de faire une œuvre d’art change tout. Elle modifie le regard que je porte sur le matériau et les gestes que je pose. Une activité banale que je répète annuellement est transformée par une autre sous-entendue ou parallèle. Ma sensibilité est mobilisée pour détecter une pièce qui a un potentiel intéressant.

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Le travail routinier se double d’une recherche esthétique.

Figure 14: Rondins (2010)

Un exercice thématique à l’intérieur d'un cours universitaire va créer l’occasion. L’acuité est accentuée par les exigences académiques. Le concept de limite est donné comme thème d'un exercice pédagogique. C’est dans ces circonstances que j’ai créé

Rondins , la première œuvre de cette série. Il m’est apparu que les limites induites par

l’action de la tronçonneuse étaient une problématique pertinente pour illustrer ce thème. La frontière irréversible, induite par scie, pose la question de la réunification ou de l’assemblage. Les quatre pièces de bois de chauffage utilisées sont de dimensions similaires et ont une caractéristique commune : elles ont été coupées à une seule extrémité. Dans trois cas sur quatre, l’autre bout a été modelé par les aléas de leur errance sur le fleuve. La quatrième est plus sédentaire, c’est un segment d’une branche d’un tilleul qui borde le littoral. Deux des fragments sont grisâtres et usés par un long séjour en mer, les autres plus récents sont jaunâtres et l’un d’eux a encore son écorce. Je limite mon intervention au minimum, laissant aux matériaux toutes leurs caractéristiques originelles. Quelques manipulations révèlent que leurs surfaces planes, mises face à face, forment des paires très convaincantes malgré leurs circonférences et contours légèrement différents. L’écart laisse paraître la limite de chacune d’elles tout en montrant une certaine continuité. Cette juxtaposition sans complète coïncidence nous fait mieux accepter leurs différences. La frontière est visible et assumée. Les paires sont formées d’un tronçon plus jeune avec un

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plus vieux. Leur disposition dans l’espace tient compte des tons grisâtres des pièces plus rustiques par opposition aux tons plus jaunâtres plus récents. Suspendus à quelques pouces du mur à une attache noire rectangulaire, les deux ensembles flottent en parallèle dans l’espace. L’aventure bois de chauffage est commencé.

Les formes aléatoires des objets déjà façonnés par la nature ou par l’homme nous apportent des contraintes qui nous obligent à voir différemment, redonner un sens, mettre en relief dissemblances et ressemblances, conserver l’individualité, amoindrir les écarts. Créer une nouvelle sculpture, c’est aller à chaque fois à ses propres limites pour les dépasser. La peur de l’échec est toujours présente . Le succès engendre l’enthousiasme pour oser une nouvelle aventure et ainsi de suite.

Après avoir résisté aux assauts du climat pendant des années, une branche d’un érable négondo est arrachée a son tronc par le verglas ou le vent, puis ballottée par les crues printanières. Le sciage dévoile des traces rouges28 dans son aubier. C'est l'élément

séducteur. Je suis rapidement séduit par les énigmatiques tons rosés qui se révélaient au fur et à mesure des coupes exploratoires que je fais. Le contraste entre la texture brute de la zone de rupture et la paroi épidermique de la buche dégagée de son écorce s’impose comme un élément fort à être exploité. La surface est peu à peu arrondie et polie et fait disparaitre la trace de la tronçonneuse. Il reste à lui trouver une présentation spatiale qui va maximiser ses qualités plastiques. Après maints essais, la métamorphose se produit. Sa position en équilibre sur sa partie la plus menue change tout. La masse s’allège tout à coup. Les deux faces, la lisse et la rugueuse, sont mises en contraste sur un socle noir. Toute la charge significative bascule. Un nouvel espace d’évocation venait de s’imposer. La pièce de bois chauffage est devenue une sculpture qui questionne la force de gravité tout en évoquant une morphologie charnelle.

L’enthousiasme de la découverte soutient la recherche. Je suis maintenant convaincu que le matériau « bois de chauffage » et particulièrement l’érable négondo, peut tenir ses promesses. La piste est prometteuse et ouvre la voie à Buste (Fig.12 ci-haut): une fourche à demi couverte d'écorce qui se métamorphose en buste par une soustraction

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minimale de matière. Comme dans le cas précédent , les traces de coupe, caractéristiques du bois de chauffage, ont été arrondies faisant apparaître un sein, puis un ventre, puis un nombril. Encore là, la disparition des traces du passage de la tronçonneuse a effacé la destination de combustible. Le bois de chauffage est redevenu bois, bois d’œuvre, bois détourné vers un autre destin. Son sort sera lié à un cendrier, un autre objet déchu. Un morceau d’albâtre irrémédiablement façonné pour servir de cendrier va lui servir de socle. La surface brute de la pierre se marie avec l’écorce . Par un simple renversement, le cendrier a complètement disparu pour se fondre dans la sculpture.

Figure 15 : Parallèles (2014)

Pendant plusieurs mois, je continue de cueillir des pièces qui ont du potentiel. Je fais des essais moins concluants ou qui me laissent sur mon appétit. Je ne veux pas me répéter. Il faut que l’œuvre dépasse la précédente. Dépasser n’est peut-être pas le bon mot. Ajouter, améliorer, innover, différencier, varier sont des verbes qui qualifient mieux ma recherche. Parfois une simple intervention de quelques minutes ouvre une brèche dans une période d’accalmie. Parallèles (2014) (Fig.15) en est une. Elle est le résultat d’une seule coupe effectuée avec une scie à ruban dans un rondin. La simplicité de la proposition déconcerte. La mise à distance des deux tronçons sur une double base rectangulaire crée un espace de signification disproportionné avec le geste. J’imagine la sensation qu’a eue Picasso en juxtaposant le guidon sur la selle de la bicyclette. D’un seul coup, tout a été dit. C’est fini, il n’y plus rien à faire. Le réseau de sens se bâtit par lui-même. Je suis devenu spectateur, submergé par les possibles. Étrange sensation d’impuissance! L’œuvre questionne l'effort de l’artiste, comme si elle surgissait d’elle-même. Cette transfiguration,

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subite en apparence, est le fruit d' une suite de gestes qui sont restés sans résultats immédiats. Les critères qui guident nos choix ne sont pas toujours évidents. On ne trouve pas toujours ce que l'on anticipait. On dévie vers autre chose qu'on n' aurait pas imaginé. Laisser arriver les choses comme elles viennent pour vivre autre chose. Il faut souvent prendre le risque de s’éloigner, de se perdre momentanément, pour continuer l’aventure de la découverte.

S.-S.: 3,2 : Les sculptures de bois peint.

Durant plusieurs mois, j’ai hésité à franchir le pas de la polychromie. Instinctivement pour moi, la couleur joue un rôle différent en sculpture qu’en peinture. La sculpture est un volume, la peinture une surface. La peinture est une représentation d’un espace fictif. La sculpture est dans un espace réel. À venir jusqu’ici, ma sculpture a d’abord été une question de lignes et de formes soumises à un éclairage particulier. Le bois a déjà une gamme de teintes naturelles caractéristiques. Chaque essence a ses nuances chromatiques propres qui la différencient comme matériau. L’érable négondo se distingue des autres essences par sa gamme de ton particulier. Négondo , et Buste ne seraient pas ce qu’il sont s’ils étaient en chêne ou en pin. Les couleurs naturelles du bois, même si elles sont très ténues, ont un apport fondamental dans ces cas et rendent tout ajout superflu. Ce n’est pas toujours le cas. Dans d’autres situations, le matériau est plus anonyme. Malgré la taille, il reste banal ou pas suffisamment exaltant pour produire l’effet escompté. L’ajout de couleurs met en évidence la forme donnée par la taille et relaie souvent, au second plan, la matière utilisée. L’opération est délicate parce qu’elle se situe sur une frontière fine entre une forme peinte et une forme réelle. Il y a une peur de falsification, de dénaturalisation, de transgression, de maquillage, et quoi d’autre encore. Trahir la vérité du matériau? Rompre brutalement le dialogue avec lui en niant ses caractéristiques propres? Mais aussi, il faut faire écho à la joyeuse insolence « nietzschéenne », vaincre cette gêne pour ne pas restreindre l’exploration libératrice.

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Après mûre réflexion, j’ai résolu de modifier deux sculptures qui sommeillaient dans l’atelier depuis quelques mois. Elles ne m’avaient pas convaincue qu’elles avaient un avenir suffisamment prometteur. Le temps était venu de leur donner une seconde chance.Les bûches arrondies et polies avaient des formes intéressantes, mais elles manquaient de je ne sais quoi. Il ne s’agit pas de peindre la surface comme une toile, mais de mettre en valeur des formes en modifiant l’apport de la lumière sur des surfaces concaves d’un volume irrégulier. Il s’agit de reconstruire un itinéraire visuel qui sillonne la surface en mettant en évidence une forme, une aspérité, une crevasse, un cratère pour reformuler le réseau de découverte. Le travail structurel est habillé par la couleur, bonifié, prolongé. Il faut tenir l’équilibre précaire entre le bidimensionnel et le tridimensionnel, entre le vrai et le faux. Il ne faut pas perdre les formes réelles dans l’illusion des formes dessinées. La tridimensionnalité multiplie de façon exponentielle les points de vue et peut créer des rapports physiques inattendus entre les masses de couleur. Comment gérer ce nouvel ensemble sensoriel? Le réseau sémiotique est chargé d’une surabondance de signes qui peut noyer l’interprète. Il est impérieux de ne pas perdre la sculpture dans la peinture. La crainte de perdre les qualités matérielles de l’objet d’origine est constamment présente. L’angoisse de l’irréversibilité du geste est là. Il faut que j’accepte ce risque. Je n’ai pas l’agressivité destructrice d’Arman. Ma relation avec la matière est plus douce. J’ai donc choisi de travailler avec beaucoup de délicatesse. Je m’inspire des techniques du glacis. J’applique de minces couches de peinture transparentes pour ne pas perdre le fond. Les couches sont suivies de ponçages qui effacent les effets non désirés. Je sculpte la peinture. L’approche addition-soustraction me ramène â la stratégie d’essai-erreur. Le sablage atténue les frontières entre les zones et fait ressortir les aspérités. Je veux fondre la couleur dans le bois, l’imprégner pour qu’elle se confonde aux taches et aux sillons de la structure. La technique du glacis en peinture c’est recouvrir des formes dessinées en nuance de tons par de fines couches de couleurs transparentes. Ici les formes sont réelles. La couleur s’incruste comme une patine qui habille sans cacher. Voici Washin (2015) et Mad (2015).

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37 Figure 16:Washin (2015)

Figure 17: Mad (2015)

Ces sculptures sont plus éloignées de la matière initiale. Le bois de chauffage a disparu. Le spectateur ne le voit plus. Ce sont des objets étranges qui se présentent à lui. La matière dont ils sont faits n’a plus aucune importance. La densité de leur présence concentre toute son attention sur la surface peinte. C’est un nouvel objet en complète rupture avec

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l’original. Lors de l’exposition, elles reprendront leur place dans la série. D’autres œuvres vont s’inscrire dans un continuum sans que je poursuive une recherche chromatique systématique . Je ne vais pas du moins coloré au plus coloré. C’est l’œuvre qui commande les interventions et non une quelconque progression vers une polychromie plus présente.

S.-S. : 3,3 : La ferraille.

Mes sculptures de métal produites durant le baccalauréat étaient de véritables assemblages de pièces de toutes provenances. Les composantes sont appareillées selon leur affinité jusqu’à ce qu’apparaisse une idée directrice qui va dominer les autres. Une certaine morphologie s’installe peu à peu. Une logique spatiale oriente les choix pour garder une certaine congruence.

On peut y reconnaitre ces mêmes préoccupations dans les sculptures de David Smith et Anthony Caro. L’origine de la pièce et son histoire a bien peu d’importance. Ce sont ses qualités formelles primaires qui sont utilisées pour élaborer la composition. La roue est utilisée parce qu’elle est circulaire et non parce qu’elle roule comme chez Tinguely ou pour ce qu’elle évoque . Le montage est guidé par la pertinence de l’appariement des formes les unes avec les autres pour réaliser un ensemble significatif qui est étranger à l’origine de chacune des composantes. Si la sculpture évoque le passé d’une pièce, ce n’est

Figure

Figure 1: Max Ernst , Fruit d'une lonque expérience (1919)
Figure 4 : César Baldaccini, Le Tiroir Bleu (1954) .
Figure 6:Arman, Grande Harpe (1966)
Figure 10: John Chamberlain, Crushed-Car  (1981) .
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Références

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