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Droits de l'enfant en praxis : la protection des enfants kadogos en République démocratique du Congo

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Droits de l'enfant en praxis

: la protection des enfants

kadogos en République démocratique du Congo

Thèse

Sylvie Bodineau

Doctorat en anthropologie

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

(2)

Droits de l’enfant en praxis

La protection des enfants kadogos

en République démocratique du Congo

Thèse

Sylvie Bodineau

Sous la direction de :

Francine Saillant, directrice de recherche

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Résumé

La présente thèse porte un regard anthropologique sur l’intervention humanitaire de protection dirigée aux enfants soldats appelés kadogos (petit en Swahili) en République démocratique du Congo (RDC). Elle examine la manière dont le régime des droits de l’enfant, se décline, se met en pratique, s’articule en RDC, au travers de l’intervention ; notamment comment les figures idéales globales de l’enfance véhiculées par les droits de l’enfant, circulent, se mettent en acte et se négocient au sein d’un dispositif local de soutien à la réinsertion des enfants et jeunes qui sortent des forces et groupes armés.

Elle s’inscrit dans une perspective d’analyse critique des pratiques, entre l’élaboration de directives et politiques d’intervention et leur mise en œuvre, et porte attention sur les discours et pratiques des protagonistes du programme de protection (intervenants et bénéficiaires), considérant qu’ils sont au centre des transactions humanitaires, là où en quelque sorte, le « bloc monolithique » que représente l’intervention, se confrontant à son terrain d’application, s’effrite, se dilue, se diversifie, et/ou dévie; dans les interstices et « entre-lieux de l’humanitaire » (Saillant 2007c) où les droits de l’enfant se négocient et se « vernacularisent » (Merry 2007).

En se centrant non pas sur une population « exotique » (les « enfants soldats » congolais), mais sur la manière dont le « régime des droits de l’enfant » (Pupavac 2001), prenant son origine dans le monde occidental, se confronte aux réalités congolaises au travers des pratiques humanitaires de protection des enfants, cette recherche s’inscrit dans une anthropologie du « proche ». Dans une perspective typiquement anthropologique, en portant un regard sur la praxis des droits de l’enfant hors de leur lieu de création, elle permet de mieux comprendre la manière dont se construisent les altruismes dans le contexte transnational tout à fait contemporain de l’intervention humanitaire et des droits humains. Pistant les droits de l’enfant de leur conception globale à leur praxis locale, elle permet d’en envisager le renouvèlement en ses différents espaces.

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Abstract

This thesis intends to provide an anthropological view of the humanitarian intervention aiming at protecting child soldiers known as kadogos (small in Swahili) in the Democratic Republic of Congo (DRC). It examines the way in which the child rights regime has been implemented, put into practice and articulated in the DRC, through the intervention; in particular, how the global ideal figures of childhood conveyed by the rights of the child have circulated, been put into action and negotiated within a local mechanism to support the reintegration of children and young people leaving armed forces and armed groups. Through a critical analysis of practices, between the elaboration of intervention guidelines and policies and their implementation, it focuses on discourses and practices of the protagonists of the programme implemented (interveners and beneficiaries), considering that they are at the centre of humanitarian transactions, where, in a way, the "monolithic block" that the intervention represents, confronting its field of application, crumbles, dilutes, diversifies, and/or deviates; in the interstices and "entre-lieux de l’humanitaire" (Saillant 2007c) where children's rights are negotiated and "vernacularized" (Merry 2007). By not focusing on an "exotic" population (Congolese "child soldiers"), but on the way in which the "child rights regime" (Pupavac 2001), which originated in the Western world, is confronted with Congolese realities through humanitarian child protection practices, this research is part of an anthropology of the "close". From a typically anthropological perspective, by looking at the practice of children's rights outside their place of creation, it provides a better understanding of how altruisms are constructed in the very contemporary transnational context of humanitarian intervention and human rights. Tracking children's rights from their global conception to their local praxis, it opens the door for their renewal in its different spaces.

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Table des matières

RÉSUMÉ III ABSTRACT IV TABLE DES MATIÈRES V LISTE DES TABLEAUX X LISTE DES FIGURES X LISTE DES ABRÉVIATIONS XI REMERCIEMENTS XVII AVANT-PROPOS XX INTRODUCTION 1 CHAPITRE 1 - PENSER L’INTERVENTION DANS SON ENSEMBLE 10 1.1 LES DROITS DE L’ENFANT ENTRE RELATIVISME ET UNIVERSALISME 13 1.1.1 FONDEMENTS ET GENÈSE DES DROITS DE L’ENFANT 14 1.1.2 UNE ENFANCE IDÉALE UNIVERSELLE SUGGÉRÉE PAR LES DROITS DE L’ENFANT 19

1.2 LES DROITS DE L’ENFANT AU CŒUR DE L’INTERVENTION HUMANITAIRE 25

1.2.1 LA FIGURE DE SOUFFRANCE À LA BASE DE L’INTERVENTION, ENTRE LE BIEN ET LE JUSTE 26

1.2.2 ENFANTS SOLDATS, LA PRODUCTION D’UN INTOLÉRABLE MORAL 29

1.3 LES DROITS DE L’ENFANT EN PRAXIS 40 1.3.1 LES APPORTS D’UNE ANTHROPOLOGIQUE CRITIQUE ET ENGAGÉE DES DROITS HUMAINS 41 1.3.2 CE QUE RÉVÈLE UNE ANTHROPOLOGIE CRITIQUE DES DROITS DE L’ENFANT EN PRATIQUES 48 1.3.3 RECHERCHES RELATIVES AUX ENFANTS SOLDATS 51 1.4 MON POSITIONNEMENT THÉORIQUE À LA CROISÉE DES DIFFÉRENTS CHAMPS 55 1.4.1 ACCOMPAGNER UN RENOUVÈLEMENT DES DROITS DE L’ENFANT 55 1.4.2 QUESTION ET OBJECTIFS DE RECHERCHE 58 CHAPITRE 2 - L’INTERVENTION DANS SES CONTEXTES 60

2.1 LA PRODUCTION DES SAVOIRS SUR LE CONGO-ZAÏRE 61

2.2 DES VIOLENCES COLONIALES AUX VIOLENCES CONTEMPORAINES 64

2.2.1 REPÈRES HISTORIQUES 64

(6)

2.2.1.2 L’indépendance, la crise congolaise et le régime de Mobutu 67 2.2.1.3 Les guerres des Grands lacs 70 2.2.1.4 La (presque) fin des guerres 73 2.2.2 LES VIOLENCES EN CONTINUUM 75 2.2.2.1 Cycles et similitudes 75 2.2.2.2 Résistances 77 2.2.2.3 L’extraction des ressources au cœur des violences 79 2.2.2.4 Modes de vie dans une situation de ni guerre ni paix 83

2.2.3 L’ENRÔLEMENT DES « KADOGOS » EN RDC 87

2.2.3.1 Les ressorts de l’enrôlement 88 2.3 INTERVENTION HUMANITAIRE DE PROTECTION DES ENFANTS SOLDATS, DU GLOBAL AU NATIONAL 92 2.3.1 L’INTERVENTION INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE PAIX ET SÉCURITÉ 92 2.3.1.1 Au niveau global, l’émergence du concept de sécurité humaine 92 2.3.1.2 Les opérations de « DDR » et leur évolution 97 2.3.2 L’INTERVENTION INTERNATIONALE DE PROTECTION DES ENFANTS SOLDATS 101 2.3.2.1 La protection des enfants 101 2.3.2.2 La protection des enfants associés aux forces et groupes armés 104 2.3.3 DU GLOBAL AU NATIONAL 111 2.3.3.1 L’intervention étrangère au Congo 111 2.3.3.2 Le programme national de DDR en RDC 119 2.3.3.3 Les programmes de protection des enfants soldats en RDC 123 CHAPITRE 3 - CHOIX MÉTHODOLOGIQUES 132 3.1 COMMENT EXPLORER LA PRAXIS DES DROITS DE L’ENFANT 134 3.1.1 LES IMPLICATIONS DE MON APPROCHE THÉORIQUE 134 3.1.2 LE CHOIX DU TERRAIN ENTRE EXIGENCES ÉTHIQUES ET ÉPISTÉMOLOGIQUES 136 3.2 RÉPONDRE AUX DÉFIS POSÉS PAR LE TERRAIN 138 3.2.1 RÉFLEXIVITÉ DANS MA DÉMARCHE ETHNOGRAPHIQUE 139 3.2.1.1 Le concept de positionnalité et ses implications 139 3.2.1.2 Les grands traits de ma position réflexive 140 3.2.1.3 Une observation participante différée ? 143 3.2.2 L’ÉTABLISSEMENT D’UN PROCESSUS DE COLLABORATION 145 3.2.2.1 Modalités de collaboration avec l’ONG 145 3.2.2.2 Le choix de s’allier avec un assistant et compagnon de recherche 146 3.2.3 TERMES ET GÉNÉALOGIE DU PARTENARIAT AVEC LES PARTICIPANTS À LA RECHERCHE 147 3.2.3.1 Identification d’interlocuteurs 147 3.2.3.2 Une participation évolutive 149 3.2.3.3 Les ingrédients de nos relations 152 3.2.4 LA VALEUR HEURISTIQUE ET LA VÉRIDICITÉ DES RÉCITS D’EXPÉRIENCES 158 3.2.4.1 La fonction du récit et son intérêt pour la recherche 158

(7)

3.2.4.2 La place des récits d’expérience dans ma recherche 163 3.2.5 LES LIMITES DU DISPOSITIF 164 3.3 MODALITÉS PRATIQUES ET LOGISTIQUES DU DISPOSITIF 166 3.3.1 SÉJOUR IN SITU 167 3.3.2 DISPOSITIF DE COLLECTE DE DONNÉES 169 3.3.3 ENTREVUES, ATELIERS ET RÉUNIONS 170 3.3.3.1 Conditions et déroulement des entrevues 170 3.3.3.2 Traduction 172 3.3.3.3 Ateliers et réunions 174

3.4 APRÈS LE TERRAIN : TRANSCRIPTIONS, TRAITEMENT DES DONNÉES, ET ÉCRITURE 175

CHAPITRE 4 - UN TERRITOIRE, DES GUERRES, ET L’HUMANITAIRE 179

4.1 GEMENA DANS LES TOURMENTES : MIGRATIONS, COLONISATIONS, ET MOBUTISME 183

4.1.1 LES NGBAKA, PRIS ENTRE LES CONQUÊTES ARABO-SWAHILIES ET LES AFFRES DE LA « PAIX

COLONIALE » 183

4.1.2 LA COLONIE BELGE, OU LE CONTRÔLE « TOTAL » DU TERRITOIRE, DES CORPS, ET DES ÂMES 186

4.1.2.1 Une organisation administrative corrélant origines ethniques et exigences économiques 186 4.1.2.2 Une entreprise missionnaire à la conquête « intégrale » des âmes et des corps 191 4.1.2.3 Un développement urbain lié à l’économie agricole 194 4.1.2.4 Une organisation sociale déstructurante et racialisante 197

4.1.3 L’INDÉPENDANCE, LES ESPOIRS ET LE DÉCLIN 199

4.1.3.1 (1960-65) Temps troublés et réorganisations locales 199 4.1.3.2 Sous Mobutu, relance et ‘tracasseries’ 202 4.2 DES GUERRES ET DES MILITAIRES 206 4.2.1 RÉCITS DE GUERRES : LES TROUPES QUI VONT ET VIENNENT 208 4.2.1.1 Entre les FAZ et l’AFDL 209 4.2.1.2 Avec l’entrée de l’ALC, la guerre commence véritablement 213 4.2.1.3 Se débrouiller en période d’insécurité 218 4.2.2 DES MILITAIRES 221 4.2.2.1 Pratiques de recrutement et formation militaire 221 4.2.2.2 L’esprit militaire 226 4.2.3 AU SORTIR DE LA GUERRE 230 4.3 L’INTERVENTION HUMANITAIRE À GEMENA 232 4.3.1 PRÉHISTOIRE HUMANITAIRE 233

4.3.2 INTERVENTION HUMANITAIRE D’APRÈS-GUERRE 236

CHAPITRE 5 - TRAJECTOIRES MILITAIRES 243

(8)

5.1.1 UN DÉBUT, DES TOURNANTS, UNE FIN, UN ÉPILOGUE 246

5.1.2 DES SILENCES, DES INCOHÉRENCES, DES CONTRADICTIONS 252

5.2 ENGAGEMENTS ET DÉSENGAGEMENTS MILITAIRES 255 5.2.1 CIRCONSTANCES DE L’ENGAGEMENT MILITAIRE 255 5.2.2 LA VIE MILITAIRE 261 5.2.2.1 Effacer l’esprit civil 261 5.2.2.2 Acquérir l’esprit militaire en effaçant les différences pour faire corps 266 5.2.2.3 Les réalités de la vie militaire, pérégrination et combats 270 5.2.3 ENVISAGER LE DÉSENGAGEMENT POUR UN RETOUR À LA VIE CIVILE 272

5.3 EN SYNTHÈSE, DES PARCOURS SOUS FORME DE NAVIGATION À LA RECHERCHE D’UN AVENIR ET D’UNE

POSITION SOCIALE 275 CHAPITRE 6 - LE PROGRAMME DU POINT DE VUE DES INTERVENANTS 279 6.1 ENGAGEMENTS HUMANITAIRES 280 6.1.1 LES AIGLONS 283 6.1.1.1 Création de l’ONGD Les Aiglons 284 6.1.1.2 Engagement dans le programmes de protection des enfants soldats 288 6.1.1.3 Le partenariat avec l’UNICEF 291 6.1.2 INTERVENANTS ÉDUCATIFS (ENCADREURS ET PSYCHOLOGUE) 293

6.1.3 INTERVENANTS ASSOCIÉS (FAMILLES D’ACCUEIL TRANSITOIRE ET MAITRES ARTISANS) 299

6.1.4 EN SYNTHÈSE, UNE DIVERSITÉ D’ENGAGEMENTS ET D’ENJEUX 302

6.2 LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF D’INTERVENTION 304 6.2.1 LA DÉMOBILISATION : ENTRE IMPÉRATIFS MILITAIRES ET PROGRAMMATIQUES 305 6.2.1.1 Information et sensibilisation 308 6.2.1.2 Opérations de vérification 311 6.2.2 ACCUEIL TRANSITOIRE : UNE ENTRÉE DANS LA VIE CIVILE DANS LES HEURTS 313 6.2.2.1 Accueil en centres de transit et d’orientation 314 6.2.2.2 Familles d’accueil transitoires 318 6.2.3 SOUTIEN À LA RÉINSERTION : L’INCONSISTANCE DE LA PROPOSITION HUMANITAIRE 324 6.2.3.1 Réunification familiale et communautaire 325 6.2.3.2 Scolarisation 329 6.2.3.3 Réinsertion professionnelle 331 6.2.3.4 Accompagnement et suivi 336 6.2.4 UNE ÉVALUATION DU PROGRAMME, MAIS PAS DE SES IMPACTS 340

6.3 EN SYNTHÈSE, UN DISPOSITIF MORCELÉ, INCONSISTANT AVEC SES INTENTIONS 343

CHAPITRE 7 - NAVIGATIONS SOCIALES ET TRANSACTIONS HUMANITAIRES 346

7.1 NAVIGATIONS VERS LA VIE CIVILE : DES ENJEUX ET DES CHOIX CONTRAINTS 347

(9)

7.1.2 NAVIGATIONS SOCIALES POUR QUITTER « L’ÉTAT D’ENFANCE » 353 7.1.2.1 Trouver un toit entre solidarité et dépendance familiale 353 7.1.2.2 Préparer son avenir entre temps court et temps long 358 7.1.2.3 Effacer son identité militaire pour appartenir à l’ordre social civil 367 7.1.2.4 Gérer les traumatismes du passé et les incertitudes quant à l’avenir 372 7.1.3 EN SYNTHÈSE, DES NAVIGATIONS ENTRE APPARTENANCES ET TEMPORALITÉS 374 7.2 TRANSACTIONS HUMANITAIRES DANS UN ENCHEVÊTREMENT DE LOGIQUES SOCIALES 376 7.2.1 CONCEPTS DE TRANSACTIONS SOCIALES ET D’ÉCONOMIES MORALES 376

7.2.2 RAPPEL SUR LES ENJEUX ET REPRÉSENTATIONS À L’ORIGINE DE L’INTERVENTION 379

7.2.3 TENSIONS AU CŒUR DU PROGRAMME 381 7.2.3.1 Adultes et enfants 382 7.2.3.2 Responsabilité et agentivité 386 7.2.3.3 Des dus et des droits, postures et impostures 389 7.2.3.4 De l’usage de la violence 393 7.2.4 LA RELATION ENTRE INTERVENANTS ET BÉNÉFICIAIRES AU CENTRE DES TRANSACTIONS 395 7.2.5 EN SYNTHÈSE, DES GLISSEMENTS DE RESPONSABILITÉS ET DES DETTES 399 SYNTHÈSE GÉNÉRALE 402 CONCLUSION ET PERSPECTIVES 423 BIBLIOGRAPHIE 427 ANNEXE 1 – LETTRE DE COLLABORATION AVEC LES AIGLONS 452 ANNEXE 2 – FORMULAIRES DE CONSENTEMENT 455 ANNEXE 3 – GUIDE D’ENTREVUES 464 ANNEXE 4 - FORMULAIRE D’ENGAGEMENT À LA CONFIDENTIALITÉ 466 ANNEXE 5 – GUIDE DE RÉUNIONS 467 ANNEXE 6 – LISTE DES THÉMATIQUES ISSUES DES ENTREVUES 470

(10)

Liste des tableaux

Tableau 1 - Collecte de données en plusieurs phases

Liste des figures

Figure 1- Campagne de sensibilisation. Source : GADERES / MONUC

Figure 2 - She said she'd let me take her photo if I bought some peanuts from her.

Afterward, I asked if she could remember the saddest moment of her life. She laughed, and said: “You're going to need to buy some more peanuts.” (Photo: Humans of New York -

Kasangulu, Democratic Republic of Congo – December 2014)

Figure 3 - « Prends-moi en photo, avec mon tas de bois, pour montrer chez toi qu’ici, les

vieilles mamans travaillent dur. » (Photo Sylvie Bodineau, Quartier de l’usine

COMINGEM - Gemena 11 novembre 2013)

Figure 4 - Église de la paroisse St-Élizabeth, vue de la pension des frères Capucins

(Photo : Sylvie Bodineau, novembre 2013)

Figure 5 - Division administrative des provinces de RDC, et des Territoires du Sud Ubangi

en 2015 (Sources : Agence nationale pour la promotion des investissements / Cellule

d’analyse des indicateurs de Développement)

Figure 6 – « Colonie belge 2 » Peinture de Tshibumba, 1971. Le peintre symbolise les

travaux forcés pour la monoculture du coton. L'administrateur tient une chicotte, mais c'est le policier qui passe à l'acte. (Photo du site web « Le temps colonial – Congo et imagerie

populaire », http://www.amigos-de-mocambique.nl/congo2.htm)

Figure 7 - Bâtiments abandonnés du COMINGEM (Photo Sylvie Bodineau, novembre

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Liste des abréviations

AASD l’Action d’aide sanitaire et de développement aux plus démunis ADF Allied Democratic Forces

AFDL Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Zaïre

ALC Armée de libération du Congo

ALiR Armée de libération du Rwanda

ANT Armée nationale tchadienne

APEE l’Action pour la protection et l’encadrement de l’enfant ASBL Association sans but lucratif

BAD Banque Africaine de Développement

BIT Bureau International du Travail (secrétariat permanent de l'Organisation internationale du Travail)

BM Banque mondiale

BUNADER Bureau national de démobilisation et réinsertion des ex-combattants CADBE Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant

CADER Corps des activistes pour la défense de la révolution

CAEDBE Comité africain d’experts sur les droits et le Bien-être de l’Enfant CDE Convention relative aux droits de l’enfant

CAID Cellule d’analyses des indicateurs de développement

CDI Centre de développement intégral

CERUL Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval CHS Commission on Human Security

Commission de Sécurité Humaine CICR Comité international de la Croix Rouge CNDP Congrès National pour la Défense du Peuple

CNS Conférence nationale souveraine

CO Centre d’orientation

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CONADER Commission nationale de désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion

CPI Cour pénale internationale

CTPC-DDR Comité Technique de Planification et de Coordination de désarmement, démobilisation et réinsertion

CTO Centre de transit et d’orientation DAI Development Alternatives, Inc.

DDR Désarmement, démobilisation et réinsertion

DPKO Department of Peacekeeping Operations

Département des opérations de maintien de la paix EAFGA Enfants associés aux forces et groupes armés

EIC État indépendant du Congo

FAZ Forces armées zaïroises

FMI Fonds monétaire international

FOFAD Fondation Familles d’Accueil pour le Développement DUDH Déclaration universelle des droits de l’Homme

ECPS Executive Committee for Peace and Security

Comité exécutif des Nations unies sur la paix et la sécurité

EIC État Indépendant du Congo

FAC Forces armées congolaises

FAO Food and Agriculture Organization of the United Nations

Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture FARDC Forces armées de la République démocratique du Congo

FAZ Forces armées zaïroises

GADERES Groupe d’action pour la démobilisation et la réinsertion des enfants soldats GRIP Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité

GTPE Groupe de travail pour la protection de l’enfant

HCDH Haut-Commissariat des Nations-unies aux droits de l’homme HCR Haut-Commissariat des Nations-unies aux réfugiés

(13)

HSN Human Security Network

HSU Human Security Unit

Unité sur la Sécurité Humaine

IAWG-DDR Inter Agency Working Group on Disarmament, Demobilization and Reintegration

Groupe Inter-agences sur le Désarmement, la démobilisation et la réinsertion

IDDRS Integrated DDR Standards

Normes intégrées de DDR LRA Lord’s Resistance Army

Armée de Résistance du Seigneur

LUCHA Lutte pour le changement

MDRP Multi-Country Demobilization and Reintegration Program

Programme multi-pays de démobilisation et de réintégration

MLC Mouvement de libération du Congo

MONUC Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo

MONUSCO Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo

MPDH Militants pour la paix et les droits de l’homme

MRM Monitoring and Reporting Mechanism on grave violations committed against children in times of armed conflict

Mécanisme de surveillance et de communication de l’information sur les enfants et les conflits armés

OCHA Office for the Coordination of Humanitarian Affairs

Bureau de coordination des affaires humanitaires

ODD Objectifs de développement durable

OIT Organisation internationale du travail

OMS Organisation mondiale de la santé

ONG Organisation non gouvernementale

ONGD Organisation non gouvernementale de développement

ONUC Organisation des Nation Unies au Congo

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PAM Programme alimentaire mondial

PMF Personnel militaire féminin

PNDDR Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants

PNUD Programme des Nations unies pour le Développement PPU Presidential protection unit

Garde présidentielle de Kabila père

RCA République centrafricaine

RCD Rassemblement congolais pour la démocratie

RDC République démocratique du Congo

RDR Rassemblement pour le retour de la Démocratie au Rwanda RECOPE Réseau communautaire de protection de l’enfant

REEI Règlement d’Exercices d’Exécution de l’Infanterie

SADC Southern African Development Community

SCIBE-Zaïre Société Commerciale et Industrielle Bemba Zaïre

SIDA Syndrome d'immunodéficience acquise

SRSG-CAAC Special Representative of the Secretary-General for Children and Armed

Conflict

Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur la violence à l’encontre des enfants

UA Union Africaine

UDPS Union pour la démocratie et le progrès social

UEPNDDR l’Unité d’exécution du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants

UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture UNICEF Fonds des Nations unies pour l’enfance

UNTHFS United Nations Trust Fund for Human Security

Fonds d'affectation spéciale des Nations unies pour la sécurité humaine UNU United Nations University

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UNU-CPR United Nations University Centre for Policy Research

UPDF Uganda Peoples' Defence Force

USAID United States Agency for International Development

Agence des États-Unis pour le développement international

VIH Virus de l'immunodéficience humaine

WTO World Trade organisation

(16)

En mémoire de Monique, Sandra, papa Jean, papa Mbilazo, maman Pélagie

(17)

Remerciements

Cette thèse est le résultat d’un chemin personnel vers le monde académique qui se serait arrêté beaucoup plus tôt si je n’avais pas reçu le précieux soutien d’un certain nombre de personnes que je tiens à remercier ici.

Mes remerciements vont tout d’abord à ma directrice de recherche, Francine Saillant. Sans la confiance qu’elle a eue en moi depuis le début, la patience pour me guider dans le fatras d’idées, d’hypothèses, de pistes de réflexion que j’ai apportées à chacune de nos rencontres, les encouragements dans les moments où je doutais de finir à temps, le silence confiant quand il me fallait juste prendre mon propre rythme, la disponibilité à n’importe quelle période de ces 10 années de soutien, et bien sûr la rigueur scientifique et l’ouverture qui m’étaient nécessaires pour concilier mon passé professionnel et mon présent académique dans le respect de l’entièreté de cette expérience, au-delà des attendus, cette thèse ne serait pas ce qu’elle est. L’ampleur de ton savoir, de ton expérience, de ta capacité à si vite

comprendre de quoi il retourne lorsque je partage mes doutes et mes idées sont considérables. Merci ! J’espère que nos routes continueront à se croiser ici et là. Ajoutant

à l’excellence de ce soutien, je ne peux qu’être reconnaissante à Bogumil Jewsiewicki Koss, mon co-directeur de recherche, qui a su, au cours de nos échanges, partager une part de l’immensité de son savoir, sa curiosité, et son discernement me permettant, je l’espère, de ne pas verser dans la facilité paresseuse de la recherche subalternisante lorsqu’elle se situe dans les pays du Sud et touche à ses habitants. Je garde une admiration sans borne

pour votre érudition et votre regard si particuliers, ainsi que pour votre profond respect pour le Congo et les Congolais, respect que vous savez partager avec élégance. Merci d’avoir accepté de m’accompagner ! Je remercie aussi Martin Hébert, qui a suivi de loin

mes pas dans ce parcours, tour à tour membre du jury de ma maitrise, puis de mon projet de thèse, et enfin pré-lecteur de cette thèse, qui, par ses généreux commentaires, m’a permis de mieux préciser ma démarche méthodologique et de resserrer mon propos. Merci ! Et je remercie enfin les deux autres membres du jury Annie Bunting et Richard Marcoux qui se sont, eux aussi, donné la peine de lire attentivement la présente thèse, de la commenter, et d’y apporter un regard extra-disciplinaire aussi riche que pertinent. Doublement merci!

(18)

Je tiens en second lieu à témoigner mon immense reconnaissance aux participants à cette recherche, jeunes et moins jeunes de Gemena, qui ont accepté de me confier des parties de leur histoire personnelle pour ne pas être totalement oubliés et me permettre d’aller jusqu’au bout de ma diplomation, comme ils me l’ont tous si généreusement souhaité. Pour des raisons de confidentialité, je ne vous nommerai pas ici, mais les noms et visages de chacun d’entre vous sont gravés dans ma mémoire. Avec une pensée particulière vers celui et celles qui nous ont quittés en chemin : Moniki, maman Pélagie Atongo, Sandra, papa Richard Mbilazo et papa Jean Geka. Sans votre confiance, j’aurais eu beaucoup plus de

mal à capter l’essence de la dignité au cœur de votre expérience. Que vous en soyez ici infiniment remerciés. Je remercie aussi tout particulièrement Appolinaire Lipandasi, mon

assistant, traducteur, mais aussi et surtout compagnon de recherche —par ailleurs guide, chauffeur moto, conseiller, ou encore « petit » pour moi car plus jeune, et « vieux » pour nos jeunes interlocuteurs—solide gaillard d’une patience, d’un pacifisme, d’une intelligence, d’un humour, et d’une bonté infinie, homme de confiance avec qui j’espère poursuivre la collaboration pour de nouveaux projets. Merci mon cher ami !

Ma reconnaissance se dirige aussi vers ceux qui ont facilité mes séjours et ma recherche au Congo : le Pr Donatien Dibwe à l’Université de Lubumbashi pour son accueil comme associée à son laboratoire de recherche et sa constance dans l’octroi de lettres d’invitations me permettant d’obtenir sans encombre un visa au Congo, mes amis et collègues kinois pour leur accueil et les riches échanges lors de mes passages, et plus particulièrement Louise Brunet pour m’avoir gracieusement logée au bord du fleuve, à la fois dans et hors du tumulte de Kinshasa lorsque j’en étais encore au stade d’imaginer ma recherche. Merci! Et puis je veux aussi remercier mes amis, mes collègues chercheurs et humanitaires et ma famille, tous ceux qui ont su m’encourager, partager mes réflexions, et aussi simplement ne rien dire et me laisser aller dans le rythme que je suivais, plutôt que d’exprimer leurs doutes et éventuelles inquiétudes quant à ma capacité à aller à bout de cette aventure. Je pense à mes parents et mon frère pour leur infinie patience, à mes amis et collègues de France, de Québec, et d’ailleurs pour les conversations passionnées sur nos recherches mutuelles, à ceux et celles qui m’ont soutenue dans les périodes où je n’avais plus de force pour continuer à penser : Jean-Paul, Claude et Didier Bodineau, Yves Hurtubise,

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Marie-Andrée Comtois, Pierre Jolicoeur, Claudie Didier, Karoline Truchon, Amélie Keyser, Isabelle Auclair, Claudine Marcoz, Anna Gadès, Trish Hiddleston, Anna-Louise Crago, Carla Suarez, Beth Stewart, Hani Mansourian, Virginie Ladish, Ayda Eke, Guillaume Landry, Michael Wessels, Myriam Denov, Philippe Cook, François Crépeau, Sylvie Ayimpam, Allen Kiconco, Teddy Atim Apunyo, Heather Tasker. Merci!

Enfin, je ne saurais oublier le soutien considérable apporté par la Fondation Pierre-Eliott

Trudeau qui m’a non seulement permis de poursuivre mes études avec sérénité, mais aussi

intégrée à un réseau d’une qualité exceptionnelle de chercheurs, doctorants et personnalités canadiennes. Avec une pensée particulière pour Josée Saint-Martin pour sa compréhension, sa gentillesse et sa disponibilité à toutes épreuves. Que soit aussi remerciés le programme

de bourses d’études supérieures du Canada Vanier, et la Faculté des Sciences sociales de l’Université Laval pour la bourse Georges-Henri-Lévesque pour leur générosité et leur

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Avant-propos

Ring the bells that still can ring Forget your perfect offering There is a crack in everything That's how the light gets in

Cohen, Anthem 1992

Gemena - Province du Sud-Ubangi, République démocratique du Congo (RDC). Décembre 2013. Réunis dans le bureau du préfet d’une école d’un quartier excentré, au son lointain d’élèves studieux écoutant les déclamations des instituteurs, Appolinaire1 et moi avons une conversation avec Déogratias2, ancien chef d’antenne d’une ONG qui nous parle de son expérience dans le programme de démobilisation et d’appui à la réinsertion d’enfants soldats entre 2005 et 2007 : « On avait connu beaucoup de difficultés, hein? Beaucoup de difficultés. Moi qui vous parle, ces enfants m’avaient mis du feu dans les mains, ici. » En revenant de cette entrevue, je rumine la conversation, et me souviens d’une autre situation, en 2002 à Kinshasa (capitale de la République démocratique du Congo), où la directrice du Bureau national de démobilisation et réinsertion des ex-combattants (BUNADER), ne se déplaçait qu’accompagnée de gardes du corps pour éventuellement la défendre contre les enfants soldats démobilisés qui réclamaient quelque peu violemment depuis plusieurs mois leur solde promis et impayé.

Et me reviennent aussi en mémoire ces lignes qui me firent ciller, lues en octobre 2002, à Kinshasa encore, dans un rapport d’enquête portant sur le profil psychosocial des enfants soldats. Quatre-vingt-dix pour cent (90%) des enfants interrogés étaient âgés de 16 et plus.

A la question de savoir ce qui avait poussé les enfants à s’enrôler dans l’armée, 42% d’enfants ont déclaré que c’était pour défendre la patrie. Il faut aussi noter que 15% ont rapporté la recherche du travail. Six pourcents [sic] des enfants ont rapporté l’esprit de vengeance surement la vengeance contre les parents avec qui ils entretenaient des rapports difficiles. Lorsqu’on considère l’âge à laquelle [sic] les enfants se sont enrôlés dans l’armée (± 12 ans), il est difficile de croire que c’était réellement dans ce but-là.

1 Appolinaire Lipandasi, habitant de Gemena, Secrétaire de la Croix-Rouge locale, est mon assistant de recherche sur place (voir le chapitre Méthodologie pour plus de précisions)

2 Prénom fictif, comme pour l’ensemble des participants à cette recherche, à l’exception de Richard Mbilazo, rencontré en tant qu’auteur d’une rétrospective sur Gemena.

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Généralement à cet âge-là les enfants n’ont pas atteint l’âge de la raison et ils ont très probablement été enrôlés de force dans l’armée.

[…] Le fait que 75% parmi ceux-ci ne pensent pas quitter l’armée immédiatement indique aussi une ambivalence liée à l’immaturité psychologique indiquant le besoin de réhabiliter psychologiquement et de sensibiliser ces enfants avant le démarrage de l’opération de démobilisation.

BICE 2002 : 32-57

Ces propos, représentatifs d’une vision alors largement partagée par les acteurs humanitaires clamant l’immaturité et l’innocence des enfants soldats ainsi que leur besoin d’une « réhabilitation » psychologique —laissant entendre que s’ils étaient équilibrés ils ne penseraient pas de la sorte— font partie des facteurs ayant piqué ma curiosité autour de ce qui m’apparaissait comme un malentendu ou une forme de surdité de la part des intervenants, vis-à-vis de ce que les enfants et jeunes gens exprimaient et manifestaient. Ces trois exemples rencontrés d’une manière ou d’une autre par toute personne engagée dans ce type de programmes ont été pour moi des brèches, les « cracks » décrites et chantées par Leonard Cohen. Elles ont fixé mon attention sur le paradoxe créé par le régime humanitaire de protection de l’enfance qui considère d’emblée les enfants soldats comme des victimes incompétentes, mais aussi sur la manière dont les enfants eux-mêmes peuvent ébranler cette vision et le dispositif qui l’accompagne. Elles n’ont cessé de s’élargir sur d’autres considérations depuis lors, nourries par les récits directs d’enfants et d’intervenants humanitaires, alors que je m’y glissais pour développer la présente thèse.

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Introduction

Cette thèse examine la manière dont le régime des droits de l’enfant se décline, se met en pratique, s’articule en RDC au travers de l’intervention humanitaire de protection des enfants soldats appelés kadogos (petit en Swahili) ; notamment comment les figures idéales globales de l’enfance véhiculées par les droits de l’enfant circulent, se mettent en acte et se négocient au sein d’un dispositif local de soutien à la réinsertion des enfants et jeunes qui sortent des forces et groupes armés.

Les interventions de protection des enfants soldats appelés enfants associés aux forces et

groupes armés3 par les intervenants humanitaires, se sont développées à la fin des années 1990, appuyées par la publication d’un rapport de Graça Machel4 (1996) au sujet de l’impact des conflits armés sur les enfants et par l’élaboration des Principes du Cap et meilleures pratiques concernant le recrutement d’enfants dans les forces armées et la démobilisation et la réinsertion sociale des enfants soldats en Afrique (Principes du Cap, UNICEF 1996) qui en fixaient quelques grands axes. Elles s’inscrivent pleinement dans les valeurs qui fondent l’intervention humanitaire consacrée par les droits humains que sont l’humanisme, l’universalisme, la compassion et la générosité et dans ce qui caractérise le régime humanitaire5, c’est-à-dire une injonction à intervenir, renforcée par le cadre hautement moral dans lequel l’intervention s’inscrit : « Cette sommation à se tenir, sans discrimination, auprès de personnes en détresse et tenter de remédier à leur souffrance ne peut être relativisée » (Brauman 1996, cité par Fassin 2003 : 7). Comme le démontre Boltanski (1993) en revisitant le concept de politique de la pitié élaboré par Arendt (1967),

3 Un « enfant associé à une force armée ou à un groupe armé » est toute personne âgée de moins de 18 ans qui est ou a été recrutée ou employée par une force ou un groupe armé, quelque soit la fonction qu’elle y exerce. Il peut s’agir, notamment mais pas exclusivement, d’enfants, filles ou garçons, utilisé comme combattants, cuisiniers, porteurs, messagers, espions ou à des fins sexuelles. Le terme ne désigne pas seulement un enfant qui participe ou a participé directement à des hostilités.

4 Le 8 juin 1994, Graça Machel a été désignée en tant qu’expert par le Secrétaire général des Nations unies pour conduire une étude sur l’impact des conflits armés sur les enfants en application de la résolution 48/157 de l’Assemblée générale datée du 20 décembre 1993. Cette étude a été entreprise avec la collaboration du Centre des Nations unies pour les droits de l’homme et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et remise le 26 août 1996 lors de la cinquante et unième session de l’Assemblée générale (point 108 de l’ordre du jour provisoire).

5 S’appuyant pour l’essentiel sur le Droit international humanitaire et les travaux du CICR, la résolution 46/182 de l’AG de l’ONU énumère trois principes de base devant guider l’action humanitaire : Humanité, Impartialité et Neutralité.

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c’est en particulier l’image de misères singulières figurant des malheureux assemblés en masse, qui opère et mobilise l’impératif humanitaire. La figure de l’enfant comme entité spécifique et vulnérable, sanctionnée au préambule de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) en 1989constitue une de ces images de misères, englobant parmi d’autres, les enfants soldats.

La particularité des enfants soldats est qu’ils incarnent une situation liminaire où la vulnérabilité, érigée par une vision occidentale comme quasiment ontologique à l’enfance, pourrait être mise en question par leur fonction de combattants impliquant des actes violents à l’encontre d’autrui. Pourtant, comme j’ai eu l’occasion de le démontrer lors de travaux précédents (Bodineau 2012, 2014), le régime humanitaire de protection de l’enfance a construit un intolérable moral puissant, faisant de ces enfants en capacité de tuer, des victimes plus paradigmatiques que leurs cibles, dont le comportement est considéré comme une déviance à soigner. Ceci est le résultat d’une série d’opérations de formulation des discours décrivant des guerres contemporaines et leurs implications sous une forme apocalyptique, faisant côtoyer innocence de l’enfance et barbarie meurtrière des combattants (généralement imaginés comme rebelles ou terroristes d’un pays du Sud), et extrayant les enfants de leur espace social, politique et historique pour en faire des victimes impuissantes et muettes de prédateurs sans foi ni loi. Ce paradigme est cependant en décalage avec les compréhensions locales, même si le phénomène d’engagement d’enfants dans les conflits y produit inquiétudes, questionnements et rejets sous d’autres formes, en fonction des contextes sociaux, politiques et historiques. Les politiques et programmes d’intervention qui en ont découlé en RDC, faisant partie intégrante du Programme National de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion des ex-combattants (PNDDR), ont été façonnés sur des modes distributifs et salvateurs uniformisés suivant un paradigme d’attention et de prise en charge transitoire dite « psychosociale », avant une opération de réunification familiale visant à replacer les enfants dans des conditions susceptibles de leur restituer ce qui est considéré comme une enfance volée. Au fil du temps, face aux échecs répétés de ces programmes qui eurent à se déployer dans le contexte de démobilisations massives en un temps restreint, et en correspondance avec les besoins immédiats énoncés par les jeunes concernés, ont été ajoutées à certains dispositifs d’intervention, des activités de formation et d’insertion professionnelle. Des tentatives d’ancrage communautaire

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adoptant une vision romantique assumant une solidarité « naturelle » entre les membres des communautés locales, bien qu’énoncées dans les textes ont, dans la plupart du temps, fait long feu, contrariées par le caractère urgentiste des dispositifs (lié au conflit) et le décalage des représentations. Ces paradigmes ont en outre été altérés par d’autres enjeux associés aux programmes, portant sur le règlement du conflit et la réforme des forces de sécurité. Lorsque j’ai commencé à consulter les recherches socio-anthropologiques considérant la question, j’ai dans un premier temps eu le sentiment que, même si cette littérature m’aidait à faire sens sur cet objet, elle n’arrivait pas à totalement embrasser l’essence de ce que j’avais expérimenté en tant que consultante depuis des années sur la question. En effet, les anthropologues ont généralement fixé leur attention soit sur la production du régime d’intervention, soit sur la manière dont les enfants soldats et leurs proches environnements l’expérimentent, mais se sont peu questionnés sur les effets potentiels des discours et pratiques des enfants et des communautés locales sur le régime lui-même, omettant d’envisager la pluralité des acteurs impliqués, notamment en plus des bénéficiaires, les intervenants dans leur diversité. Pris dans un modèle induit par le régime humanitaire qui se présente comme universel, univoque, et externe au milieu dans lequel il se déploie (en déclarant sa neutralité et son impartialité), les chercheurs ont généralement englobé tous les acteurs de l’intervention dans un ensemble relativement opaque, et de ce fait, détourné leur regard des interactions et influences mutuelles à l’intérieur même de cet espace, puis entre les enfants et leurs interfaces. C’est à cet endroit que l’approche soutenue par Goodale et Merry (2007) pour une anthropologie critique des pratiques des droits humains encourage les chercheurs à aller au-delà des approches anthropologiques classiques portant sur l’humanitaire. Car en abordant la dynamique de la pratique des droits humains entre global et local, elle porte regard sur l’ensemble des aspects qui y sont relatifs, ouvrant un large éventail d’angles, et permet d’étudier l’intervention humanitaire comme une des pratiques des droits humains non pas seulement en termes opérationnels, mais aussi en termes interactionnels. De ce fait, elle ouvre la possibilité, sinon d’identifier des transformations drastiques du régime, du moins de montrer qu’il n’est pas totalement étanche au contexte dans lequel il se déploie.

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Ma recherche ne se campe pas sur une comparaison des résultats avec les intentions énoncées de l’intervention. Elle ne cherche pas non plus de solutions techniques locales duplicables au niveau global. Elle s’attèle plutôt à explorer le dispositif, ses environnements, ses enjeux et justifications, ses implications, ou pour reprendre l’expression de Olivier de Sardan (1995), les « enchevêtrements de logiques sociales », mais aussi culturelles, familiales, politiques, économiques, historiques, dans lesquels il s’inscrit pour comprendre ce qui s’y joue pour l’ensemble des protagonistes. Suivant la proposition de Saillant (2007b) d’envisager les « circuits de signification » au sein de l’humanitaire, ma réflexion porte sur les interactions engendrées par et avec l’intervention, les relations sociales entourant l’humanitaire, mais aussi ce que je considère à un certain moment de mon analyse —en étendant le concept d’économies morales revisité récemment par Fassin & Stoczkowski (2008), Fassin (2009) et Zigon (2010), à la croisée du paradigme de transaction sociale développé par Rémy & al (1998)— comme les « transactions » humanitaires (transaction de biens, de sens, de promesses d’un meilleur futur, de statuts) et leurs déclinaisons au fil des contextes. Il s’agit donc aussi de regarder comment l’intervention se déploie, dans quoi elle s’insère, comment elle se décline, dans ses langages, mais aussi dans ses pratiques, ses évènements, ses émotions, ses patiences, ses urgences, ses interprétations, ses présents et ses projections. À partir de là, les enjeux de l’intervention peuvent être questionnés en termes d’économie morale, par exemple autour des articulations entre vulnérabilité, égalité, dignité, et agentivité, dans un espace transnational où persistent les traces de l’histoire coloniale. Et dans cette articulation entre local et global, peut s’ancrer une réflexion sur le renouvèlement des droits de l’enfant. À la différence des chercheurs qui concentrent leur regard essentiellement sur les enfants soldats, en adoptant l’approche d’une anthropologie des droits humains en pratique, mon intention était d’examiner aussi comment les responsables d’organisations non-gouvernementales (ONG), les éducateurs, familles d’accueil, et autres intervenants locaux ont articulé leurs discours et pratiques, pris entre la logique des programmes humanitaires de protection des enfants élaborés dans un espace global et national, et les comportements des jeunes démobilisés. Dans ce mouvement, j’ai pu obtenir une perspective sur la manière dont le dispositif d’intervention s’est transformé (ou non). Lors d’une recherche précédente, j’avais exploré les documents produits par les acteurs humanitaires de protection des

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enfants soldats en RDC sur une période de quinze années, pour comprendre ce qui motivait et justifiait l’intervention humanitaire et en dessinait les axes de mise en œuvre. Un certain nombre de figures de l’enfance en ressortaient, à l’image d’une conception occidentale et universaliste de l’enfance confrontée à des défis locaux (Bodineau 2012). Dans le présent travail, je suis allée rencontrer les acteurs protagonistes de l’intervention dans une petite ville de la province du Sud-Ubangi en RDC —bénéficiaires, praticiens et proches, jeunes gens, parents, volontaires communautaires, éducateurs, formateurs, familles d’accueil, représentants d’ONG, de la société civile, d’associations, personnalités publiques et religieuses— pour en appréhender la réalité, ses manifestations et implications, les interactions qu’elle engendre et dans lesquelles elle s’intègre. Cette deuxième partie du chemin est plus consistante, à la fois dans la durée et la complexité qu’elle appréhende. Elle m’a permis d’examiner plusieurs branches d’un ensemble rhizomique que je connaissais partiellement par expérience avant de l’explorer de manière plus analytique.

Cette thèse montre comment, plutôt que d’être une entité globale envahissant et contaminant l’espace local, l’intervention humanitaire qui se décline en RDC s’inscrit dans les rapports intrinsèques à la société congolaise (elle-même en relation avec un espace global), c’est-à-dire qu’elle influence, mais est aussi influencée par cette société. Dans cette perspective, la rhétorique globale de l’intervention n’est pas totalement étanche à la manière dont le mode d’existence local l’articule. Les notions de souffrance, de droit, de victime, d’aide, de protection y sont questionnées et sont parfois transformées sur le plan du dispositif d’intervention, plus difficilement sur le plan conceptuel.

En outre, cette thèse ne nous éclaire pas que sur l’intervention humanitaire de protection des enfants soldats. Elle ouvre aussi une fenêtre sur la société congolaise façonnée par la dynamique contemporaine postcoloniale dans laquelle s’inscrivent les conflits armés récents : notamment les rapports sociaux intergénérationnels, inter-genres et civilo-militaires et les stratégies de chacun des acteurs dans cette dynamique post-conflit. On y voit les habitants d’une ville à l’infrastructure économique, politique et administrative considérablement affaiblie « se débattre » pour émerger, et des jeunes mobilisés et démobilisés qui, en interagissant avec les adultes qui les accompagnent, transforment leurs identités et « se débrouillent » en usant de la condition de victime ou de héros, en jouant

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des rapports de force entre civils et militaires qui viennent bouleverser l’ordre intergénérationnel, ou encore en tentant leur chance utilisant les différentes alternatives à leur portée au travers du petit commerce, du réseautage, de l’éducation, ou du mariage. Au-delà de représentations de héros-versus-parasite mobilisées par la figure militaire, ou de celles de sauveur-versus-serviteur dans le rapport d’aide ou de solidarité, on y entrevoit aussi la tentative de chacun de maintenir de la dignité, comme un horizon constant « au cœur de l’adversité » (Truchon 2012).

En se centrant non pas sur une population « exotique » (les enfants soldats congolais), mais sur la manière dont le « régime des droits de l’enfant » (Pupavac 2001), prenant son origine dans le monde occidental, se confronte aux réalités congolaises au travers des pratiques humanitaires de protection des enfants, cette thèse s’inscrit dans une anthropologie du proche. Plus précisément, dans une perspective typiquement anthropologique, en portant un regard sur la pratique des droits de l’enfant hors de leur lieu de production, elle permet de mieux comprendre la manière dont se construisent les altruismes dans le contexte transnational tout à fait contemporain de l’intervention humanitaire et des droits humains. Considérant les points de vue de Pupavac (2011), Hart (2006b, 2011), et Rosen (2007), cette thèse ouvre une réflexion sur les possibilités de renouveler le régime des droits de l’enfant en cessant de considérer les enfants isolément du reste de l’humanité, c’est-à-dire en tenant compte des relations qu’ils ont avec et dans leurs multiples environnements. Cette recherche ne corrobore pas l’idée exprimée par Billaud (2016) selon laquelle l’esprit à la base des droits humains, grandes utopies du XXème siècle, aurait disparu sous une bureaucratie envahissante, mais montre que le régime forgé autour des droits de l’enfant a été investi de multiples enjeux qui l’ont complexifié et en ont anéanti certains effets. Dans ce sens, la discipline anthropologique qui s’y intéresse n’est à court ni d’esprit, ni de matière sur le sujet, mais doit s’enrichir de nouvelles perspectives pour offrir aux défenseurs des droits de l’enfant un regard qui leur donne les moyens de circonscrire les obstacles en leur sein. Il nous revient d’en penser l’épistémologie et les méthodologies les plus pertinentes, effort auquel cette thèse participe.

La thèse est organisée en sept chapitres, constituant deux parties distinctes. Les trois premiers chapitres exposent le cadre de la recherche, et les quatre suivants les résultats.

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Le chapitre 1 fait état de mon approche théorique autour de trois déclinaisons des droits de l’enfant, tels qu’examinés par l’anthropologie de l’humanitaire, les childhood studies, et l’anthropologie des droits humains, et présente mes objectifs de recherche. Il traite en premier lieu de la genèse et des fondements des droits de l’enfant dans leurs fonctions descriptives, provisionnelles et prescriptives, et de la vision idéale de l’enfance qui en ressort, prise entre son origine occidentale et l’universalisme auquel elle prétend. Il aborde ensuite les droits de l’enfant sous l’angle de l’intervention humanitaire de protection qui s’en réclame, notamment autour de la souffrance et des valeurs humanistes qui motivent l’intervention, puis autour de la figure de l’enfant soldat que les droits façonnent sous la forme d’un intolérable moral renforçant l’injonction d’intervenir. Il reprend enfin quels sont les apports de l’anthropologie critique et engagée des droits humains pour envisager les droits de l’enfant en termes de praxis. Et il se termine sur mon positionnement à la croisée des différents champs, et sur mes questions et objectifs de recherche.

Le chapitre 2 situe le contexte de l’intervention humanitaire de protection des enfants soldats au Congo en abordant l’histoire et la situation congolaise dans lesquels s’inscrit l’enrôlement d’enfants par les forces et groupes armés, et les dynamiques —globales et nationales— qui encadrent les interventions de protection des enfants soldats. S’inspirant de l’approche de l’historien Ndaywel è Nziem (1998, 2009), il considère l’enrôlement des kadogos en relation avec le continuum de violences qui ont traversé le pays depuis la colonisation et se poursuit par une analyse des modalités de l’intervention internationale, du global au national. Il se termine par une présentation des programmes de protection des enfants soldats en RDC.

Le chapitre 3 présente mes choix méthodologiques. Avec l’intention de réaffirmer la spécificité anthropologique et la pertinence éthique de l’engagement critique de la discipline dans ce champ de recherche, j’y explicite en premier lieu les éléments saillants des courants théoriques des sciences sociales qui encadrent mon approche et guident mes choix méthodologiques, notamment les spécificités liées à mon objet d’études et ma positionnalité. J’y aborde ensuite les modalités du dispositif méthodologique mis en œuvre, de l’identification de mes interlocuteurs à la collecte des données, avant d’exposer la

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manière dont j’ai analysé et interprété ces données et mis en forme les résultats, aux fins de les restituer à différentes étapes et publics.

Dans les chapitres 4, 5, 6, et 7, j’expose et discute des résultats de ma recherche. Ces chapitres qui sont organisés de manière à structurer mon propos depuis le contexte de l’intervention jusqu’aux transactions qui s’y opèrent, accordent une place centrale aux récits de mes interlocuteurs, faisant état de leur expérience telle qu’ils s’en souvenaient au moment de nos rencontres et sous la forme qu’ils choisissaient pour me la raconter. Ce choix d’écriture, en concordance avec la perspective subjectiviste que j’ai adoptée —qui considère comme valide la production du savoir avec les acteurs sociaux par le biais de constructions sociales situées— peut donner à première vue un sentiment de morcèlement et requiert des lecteurs une attention soutenue. Mais leur inclusion au texte permet de percevoir les subjectivités et les conflits d’agentivité des différents protagonistes de l’intervention, et d’entrer dans l’univers de notre interlocution sur le sujet au plus près de ce que j’en ai perçu et que je souhaite restituer.

Le chapitre 4 présente le contexte dans lequel l’intervention s’est déroulée. Reprenant l’histoire de la contrée et de ses habitants, il retrace l’histoire des Ngbaka de la région de Gemena, dans le Sud Ubangi, depuis les conquêtes arabo-swahilies jusqu’aux guerres récentes, et montre combien l’ordre social s’est trouvé déstructuré sous maintes formes, face aux violences successives. Il expose ensuite la manière dont les guerres de libération et d’agression ont été perçues à partir de Gemena, et revient sur les bouleversements opérés par le passage des troupes, les bombardements, et les déplacements, s’attardant ensuite sur la place des militaires dans la vie de la contrée jusqu’à la fin de la guerre. Il se termine par une présentation de l’émergence de l’intervention humanitaire à Gemena qui forme le contexte dans lequel le programme d’appui à la démobilisation et réinsertion des enfants associés aux forces et groupes armés fut mis en place à Gemena à partir de 2005.

Le chapitre 5 présente la trajectoire militaire des enfants qui furent enrôlés au sein des forces et groupes armés dans la contrée et participèrent par la suite au programme de soutien à la démobilisation et réinsertion dans la vie civile. À partir des récits des jeunes gens rencontrés au cours de la recherche, y est exposé le parcours des enfants entre engagement et désengagement militaires. L’exploration, qui considère la trajectoire des

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enfants sous l’angle de la navigation sociale (Vigh 2006, 2010), y est opérée sous plusieurs modes. L’analyse de la forme et de la structure des récits inspirée par Ricoeur (2004) renseigne le lecteur sur la positionnalité des jeunes gens au moment de leur narration ; celle du fond nous renseigne sur ce qu’ils ont retenu de leur expérience militaire et de leur état d’esprit au moment de leur démobilisation ; et un retour sur les tournants-clés de leurs récits permet de mesurer l’espace et les logiques d’agentivité qui étaient les leurs.

Le chapitre 6 aborde l’intervention du point de vue des intervenants. Il est organisé en deux parties. En premier lieu, y sont présentées les caractéristiques de l’engagement humanitaire des divers intervenants du programme, qui permettent d’identifier ce qui motiva et orienta leurs approches et leurs interactions avec les enfants, et l’espace de créativité et d’agentivité dont ils disposaient au sein du programme. Ensuite, j’y présente les différentes composantes du dispositif d’intervention tel qu’il a été mis en œuvre du point de vue des intervenants et de quelques bénéficiaires. Le chapitre se termine enfin par un constat sur l’inconsistance du programme avec ses intentions. S’il ne fait pas l’objet d’une analyse théorique immédiate, il permet cependant de prendre la mesure du chaos dans lequel les protagonistes du programme se sont sentis intégrés, et fournit des éléments qui permettront au dernier chapitre, de comprendre comment discours et pratiques se sont articulés.

Le chapitre 7 qui clôt l’exploration du programme d’intervention est organisé en deux parties. Il présente en premier lieu la suite des navigations sociales des enfants, cette fois-ci à partir de leur démobilisation jusqu’au moment de nos rencontres. Ceci permet de situer la place que prit le programme dans leur parcours de réinsertion et les différents facteurs qui orientèrent leur positionnement et les choix qu’ils opérèrent. Enfin, s’inspirant des concepts relatifs aux économies morales (Thompson, Fassin, Stoczkowski, Zigon) et aux transactions sociales (Rémy & al), y sont présentées les transactions humanitaires qui traversèrent le programme, donnant à voir « l’enchevêtrement des logiques sociales » (Oliver de Sardan 1995) et les « circuits de signification » (Saillant 2007b) à l’œuvre dans la praxis des droits de l’enfant.

La conclusion fait synthèse de l’ensemble et me permet de revenir sur les potentialités de renouvèlement des droits de l’enfant et du régime humanitaire, ainsi que du domaine de recherche qui s’y intéresse.

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Chapitre 1 -

Penser l’intervention dans son ensemble

Mon approche théorique est à la croisée de trois domaines des sciences sociales, soit l’anthropologie de l’humanitaire, les childhood studies, et l’anthropologie des droits humains. Ces champs de recherche, bien que s’appuyant sur des positions épistémologiques différentes forgées par des débats en leur propre sein, proposent des analyses convergentes sur mon objet de recherche. Ils m’ont aidée à circonscrire mon sujet, en élaborer la problématique et choisir la méthodologie qui me permettrait de l’aborder. Dans un second temps, afin de compléter et affiner mon analyse, je me suis inspirée de divers travaux d’anthropologues et d’ethnographes, mais aussi d’analystes littéraires, d’historiens et de politistes, sur le Congo, la jeunesse africaine, la postcolonie, la violence et la guerre, le monde militaire, les ex-combattants. En cohérence avec ma démarche exploratoire, je présente dans ce chapitre les trois grands domaines de mon cadre théorique de départ. Les autres apports théoriques seront abordés dans les parties analytiques de cette thèse, à chaque fois qu’ils permettront d’éclairer mon propos.

En premier lieu, c’est à partir de l’anthropologie de l’humanitaire qui avait encadré mes travaux précédents que j’ai abordé ce travail. Ce domaine de recherche relativement récent, héritier de l’anthropologie du développement traversée par des débats animés sur l’engagement des anthropologues vis-à-vis de leur objet —notamment pendant la période postmoderniste et sous l’influence des études postcoloniales des années 1990— a produit et continue de produire un nombre considérable d’études, investissant l’humanitaire sous une grande diversité d’angles. Il est venu éclairer mon objet de recherche en me permettant de faire ressortir les modalités de production des figures de souffrance justifiant et modelant les interventions de protection des enfants soldats, ainsi que les ressorts, enjeux et manifestations de ce régime. Les questions de gouvernementalité et d’économies morales qui y sont soulevées forment une part de mes outils d’analyse.

Ensuite, du fait de leur aspect central dans le régime humanitaire de protection des enfants soldats, j’ai tourné mon attention vers les travaux relatifs aux enfances et aux droits de

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l’enfant. La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) est devenue, très peu de temps après son adoption en 1989, la référence du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et des organisations humanitaires de protection de l’enfant intervenant en zones de conflit et post-conflit. Munie d’une ratification juridique quasi universelle lui conférant un puissant impératif moral, elle s’est imposée pour justifier l’intervention, modeler les politiques et programmes, et configurer l’organisation des différents services d’aide destinés à l’enfance. Elle a en outre introduit dans la démarche humanitaire une perspective qui situe les enfants non plus seulement comme objets de protection, mais aussi comme sujets de droits. Les chercheurs qui se sont emparés en premier de cet objet d’un point de vue socio-anthropologique sont ceux qui se penchaient déjà sur l’enfance ou les enfances et qui, à la faveur de l’adoption de la CDE, ont renouvelé le champ des childhood studies et

anthropology of childhoods, réamorçant les débats entre relativisme et universalisme. En

effet, du fait de la portée universaliste de la CDE, une partie de ces recherches est consacrée aux interventions humanitaires de protection de l’enfance, dirigées notamment aux enfants considérés comme les plus vulnérables, qui ne correspondent pas au modèle idéal de l’enfance tel que conçu en Occident, par exemple les enfants parcourant les rues, enfants sorciers, enfants travailleurs, enfants chefs de ménage, enfants soldats. Ces travaux fournissent un éclairage sur les droits de l’enfant en tant que régime englobant la genèse et le fondement des droits de l’enfant, ainsi que sur les discours et pratiques qui l’entourent. Le choix d’envisager cet objet sous l’acception de régime (Pupavac 2001) ou de politics (Hart 2006a, Rosen 2007), révèle un angle d’analyse dépassant le juridique, envisageant le corpus des droits de l’enfant dans sa fonction prescriptive, comme producteur sémantique et/ou politique. Le régime des droits de l’enfant est de ce fait considéré en tant que vecteur de transformation sociale. En reconnaissant une place aux enfants à un niveau universel, participe de la redéfinition des relations intergénérationnelles, mais aussi des rapports entre les cultures. Il mobilise par ailleurs des questionnements autour des représentations identitaires, de l’interculturalité, de la gouvernementalité, et de la justice sociale.

À la croisée des droits de l’enfant et de l’intervention humanitaire, c’est finalement le domaine relativement récent de l’anthropologie critique des droits humains qui s’est trouvé compléter le mieux le cadre théorique de ma recherche. Cette perspective qui considère les droits humains non pas uniquement comme une structure juridique qui viendrait

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contraindre l’agentivité des individus, les examine en tant que culture (dans un sens large) considérant les discours, les pratiques et les modes de pensée qui y sont relatifs. Elle propose ainsi une approche « œcuménique » (Goodale 2006) —c’est-à-dire à la fois critique et engagée— dépassant le clivage entre relativisme et universalisme, avec un regard embrassant les droits humains de leurs émergences à leurs pratiques dans une perspective dynamique entre global et local.

There is by no means a single, uni-directional influence flowing from global to local. People are engaging human rights in complicated ways in the ambiguous “betweens” of global and local and the nation-state. My argument is that these engagements are dialogic; human rights discourses whether considered “global”, “local”, or “state” discourses, are products of continuous interpellation in which the others are implicated.

Speed 2007: 165

Dans cette perspective, c’est en multipliant les études dans des champs allant de « l’administration des droits humains » (Riles & Jean-Klein 2005) et la « légitimation des normes » (Bélanger-Vincent 2016), aux « droits en rébellion » (Speed 2008), en passant par « les droits et cultures en mouvement » (Saillant & Truchon 2013) dans leurs plus infimes déclinaisons et « vernacularisations » (Merry 1996, 2006c) entre global et local, que la connaissance sur le sujet s’enrichit, entrecroisant des modes de compréhension de nos mondes sous forme transnationale. De manière générale, l’éclectisme relatif des travaux s’inscrivant dans ce champ (à la croisée de l’anthropologie juridique, l’anthropologie de l’humanitaire, et l’anthropologie politique, pour ne citer que quelques-uns des domaines auxquels ils appartiennent) m’a permis d’envisager mon objet avec une plus grande ouverture. Plus particulièrement, la posture épistémologique de cette approche m’a amenée à organiser mon travail de recherche autour des dynamiques entre discours, représentations et pratiques, en considérant, non pas seulement les bénéficiaires, mais aussi les acteurs des interventions déployées au nom des droits de l’enfant, me concentrant, entre autres, sur leurs interactions, comme productrices de sens nouveaux. J’ai ainsi été en mesure d’identifier un certain nombre de lieux et situations où les enfants et jeunes gens, en changeant certains termes de la transaction humanitaire par leurs formes de « navigation sociale » (Vigh 2006a) et d’interpellation du programme, ont participé à sa reconfiguration.

(34)

La première partie de ce chapitre présente les droits de l’enfant sous le regard des

childhood studies et de l’anthropologie de l’humanitaire, depuis la genèse des droits de

l’enfant jusqu’à leur déploiement à travers l’intervention humanitaire. J’aborde ensuite les droits de l’enfant dans leurs pratiques, en précisant les apports de l’anthropologie critique des droits humains dans le domaine, puis en explorant les travaux ethnographiques relatifs aux enfants soldats. Après une brève exploration des possibilités de renouvèlement des droits de l’enfant, je formule enfin mon intention et mes choix épistémologiques avant de conclure avec la question principale et les objectifs de cette recherche.

1.1 Les droits de l’enfant entre relativisme et universalisme

Les droits de l’enfant ont incontestablement offert aux chercheurs en sciences sociales -peu impliqués dans leur élaboration- du grain à moudre, renouvelant considérablement les

childhood studies. « This international law document [CDE] provides the ‘framework’ and

the starting point for the study reported in the articles. […] in most of the cases, the Convention has quite clearly provided researchers with the topic to study empirically » écrivait à ce titre Alanen (2010 : 6) dans l’éditorial d’un numéro spécial de la revue

Childhood intitulé « Taking children’s rights seriously ».

Ils sont étudiés par les anthropologues en leurs qualités à la fois descriptive, provisionnelle, et prescriptive. Leur caractère descriptif —en cela qu’ils sont le résultat d’une certaine conception de l’enfance qu’ils décrivent— produit du savoir sur les différentes représentations de l’enfance à l’œuvre à leur origine. Les tensions et consensus autour des idéaux de l’enfance y sont interrogés à la fois dans leur interculturalité et leurs fondements initiaux. Les questions posées sont du type : « Quelles sont les représentations de l’enfance? », « Quelles places donne-t-on aux enfants ? », « Quels sont les rôles qui leurs sont attribués ? », et renseignent les droits de l’enfant en vue de possibles interprétations, adaptations, voire transformations des textes, en soulignant les spécificités contextuelles à prendre en compte pour élaborer les politiques sociales au bénéfice des enfants, (Boyden 1985 ; Freeman 1997 ; Jones 2005 ; Macmillan 2009 ; Quennerstedt 2010 ; Read 2002 ; Rosen 2007, 2008 ; Shepler 2005). Le caractère provisionnel des droits de l’enfant —en cela qu’ils préconisent que les adultes (États, famille, etc.) agissent en faveur des enfants,

Figure

Figure 1. Campagne de sensibilisation      Source: GADERES/MONUC
Figure 2- She said she'd let me take her photo if I bought some peanuts from her. Afterward, I asked if she could  remember the saddest moment of her life
Figure 3 - « Prends-moi en photo, avec mon tas de bois, pour montrer chez toi qu’ici, les vieilles mamans travaillent dur
Figure 4 - Église de la paroisse St-Élizabeth, vue de la pension des frères Capucins – 2013  (Photo : Sylvie Bodineau, novembre 2013)
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Références

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