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Le concept de responsabilité dans les problématiques environnementales

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Academic year: 2021

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WILLEM FORTIN

LE CONCEPT DE RESPONSABILITÉ DANS LES PROBLÉMATIQUES ENVIRONNEMENTALES

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de !'Université Laval

pour !,obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

SEPTEMBRE 2001

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11

RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur la notion de responsabilité. Le constat initial est que l'humanité exerce une pression de plus en plus grande sur !'environnement en raison des récentes avancées technologiques dont il dispose. Les éthiques traditionnelles ne semblent pas être en mesure d'apporter une solution satisfaisante à la crise de !'environnement, d'où la recherche d'une nouvelle éthique. Deux conceptions modernes de la responsabilité de l'homme vis-à-vis de !'environnement sont examinées dans la première partie de ce mémoire: la responsabilité déontologique fondée ontologiquement de Hans Jonas et l'utilitarisme positif de Dieter Birnbacher. Dans la seconde partie, on examine les conséquences au niveau politique de chacune d'entre elles, en prenant soin de faire ressortir leurs limites respectives. La dernière partie du mémoire permet de faire le lien entre la théorie et la pratique puisque les résultats d'une recherche menée sur le terrain chez des producteurs de porcs y sont exposés. La recherche porte sur le rapport de l'homme à son environnement et a été menée

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m AVANT-PROPOS

Devant la somme de travail et de sacrifices que représente la rédaction d'un mémoire, certains s'élèvent parmi les grands, tandis que d'autres font piètre figure. J'ai tâché au mieux de ma capacité de me situer entre les deux. D'un côté j'ai tout fait en mon pouvoir pour ne pas négliger ma conjointe Amélie et mon fils Xavier- Philippe, bien qu'il soit arrivé parfois que je les laisse seuls face à leur sort. D'un autre côté j'ai essayé de répondre positivement aux exigences de ma directrice de recherche, Marie-Hélène Parizeau, et je me suis enorgueilli de ses commentaires positifs tout au long de mon chemin. Plusieurs autres professeurs de partout à !'Université Laval (des facultés de philosophie, de science politique et d'agronomie) ont alimenté ma réflexion et m'ont conseillé lorsque j'en avais besoin. J'ai aussi eu une chance incomparable alors que certains producteurs de porcs m'ont gracieusement ouvert leur porte et leur coeur, malgré les temps houleux qu'ils traversaient pendant l'hiver 1998-1999; je leur en suis grandement reconnaissant. Je suis aussi redevable de ma lectrice attitrée, ma mère, qui s'est farcie mon mémoire alors qu'il n'en était encore qu'à ses premiers balbutiements. On dit de certains vins qu'ils sont de grands crus; on ne peut sans doute pas faire cette métaphore pour le mémoire que vous vous apprêtez à lire, mais il s'agit néanmoins d'une démarche intellectuelle honnête qui mérite que l'on se donne la ״peine d'y consacrer temps et réflexions.

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iv TABLE DES MATIÈRES

Résumé... ii

Avant-propos... iii

Table des matières... iv

INTRODUCTION... 1

PREMIÈRE PARUE... 7

1 PREMIER CHAPITRE: La nécessité de fonder une nouvelle éthique 8 1.1 Présentation de Γoeuvre de Hans Jonas... 9

1.2 Pourquoi fonder une nouvelle éthique?... 10

1.3 L'ampleur de la crise de !'environnement... 16

2 CHAPITRE DEUX: La question des fins et des valeurs... 23

2.1 La science de la prédiction et la crainte du pire... 27

2.2 Les fins et leur relation aux valeurs... 31

2.3 Le passage du «il est» vers le «on doit»... 35

2.4 La théorie de la responsabilité: le bien... 36

2.5 Théorie de la responsabilité: l'obligation... 38

2.6 Les paradigmes de la responsabilité... 40

2.7 Résumé de la position éthique de Jonas... 42

3 CHAPITRE TROIS: Dieter Birnbacher et la responsabilité envers les générations futures... 43

3.1 Remarques préliminaires sur !'utilitarisme... 44

3.1.1 Fondements historiques (l'utilitarisme classique)... 47

3.1.2 L'utilitarisme de la somme de la souffrance (utilitarisme négatif). 49 3.2 Les principes utilitaristes privilégiés par Birnbacher... 51

3.2.1 Modèle théorique: l'éthique idéale en tant que fondation des normes de la pratique... 52

3.2.2 4 paliers d'évaluation rationnelle du futur... 53

3.2.3 Le «devoir» envers les générations futures... 59

3.3 Principes utilitaristes idéaux... 60

3.3.1 L'utilitarisme de la somme du profit... 60

3.3.2 L'universaliste rationnel et les générations futures... 62

3.4 Les limites de la rationalité... 65

(5)

3.4.2 Répercussions sur la notion de devoir des générations présentes envers

les générations futures: les dimensions de la responsabilité... 67

3.5 Conclusion... 70

DEUXIÈME PARTIE... 71

4 CHAPITRE QUATRE: Aspects politiques de la responsabilité chez Jonas et Bimbacher... 72

4.1 Arguments adressés à !,homme politique par Hans Jonas... 74

4.1.1 Le rôle de !,homme politique: agir immédiatement... 76

4.1.2 Fondation de !,éthique de la responsabilité... 79

4.1.3 Théorie de la responsabilité... 82

4.1.4 Éclaircissements sur les liens entre la responsabilité parentale et la responsabilité de !,homme d'État... 83

4.1.5 L'objet élémentaire de la responsabilité et l'horizon d'avenir de l'homme politique... 85

4.1.6 La «prédiction» au niveau politique... 87

4.1.7 Progrès éthique en tant que solution aux problèmes environnementaux... 92

4.2 Examen de la théorie politique de Hans Jonas... 96

4.2.1 Inversion de la notion de justice... 100

4.2.2 La notion d'équité... 101

4.2.3 Les relations du citoyen à l'État... 102

4.2.4 Droits civiques et progrès moral... 105

4.3 La réponse de Dieter Bimbacher... 108

4.3.1 Définition utilitariste de la responsabilité... 108

4.3.2 La responsabilité dans le monde réel... 109

4.3.3 Démocratie et responsabilité... 114

4.4 Application des normes idéales au vécu politique réel... 117

4.5 Conclusion... 125

5 CHAPITRE CINQ: Y a-t-il des solutions économiques à la crise environnementale? Révolution industrielle et utilisation des ressources... 127

5.1 La crise environnementale... 128

5.2 La capacité limitée de la terre à subvenir à nos besoins... 132

5.3 Hans Jonas et la modification de l'agir humain... 137

5.4 Habermas et la critique du modèle économique... 142

5.5 L'évolution de l'économie... 146

5.6 Une critique interne au modèle économique... 149 V

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vi

5.6.1 La productivité des ressources comme solution à la crise... 152

5.6.2 Réformer le régime de taxes et d'impôts... 154

5.6.3 Exemples de réduction de la consommation de ressources... 157

5.6.4 Des problèmes... 158

5.7 Est-ce que la solution de Weizsâcker est envisageable?... 163

5.8 Conclusion... 165

TROISIÈME PARTIE... 167

6 CHAPITRE SIX: Le cas de la production porcine... 168

6.1 La problématique... 173 6.2 Questions et objectifs... 175 6.3 Cadre méthodologique... ... 177 6.3.1 Hypothèse... 177 6.3.2 Échantillon... 178 6.3.3 Procédure... 179 6.3.4 Matériel... 180

6.3.5 Limites de la présente étude... 180

6.4 Résultats et discussion... 182

6.4.1 Aspect politique de la production porcine... 182

6.4.2 Aspect économique de la production porcine... 185

6.4.3 Aspects technologiques de la production porcine... 190

6.4.3.1 Le rapport du producteur à sa relève... 192

6.4.3.2 Le rapport de l'homme avec les animaux... 194

6.4.3.3 L'importance des outils techniques dans la ferme... 201

6.4.3.4 Le rapport du producteur à la terre... 207

6.5 Conclusions... 209

CONCLUSION GÉNÉRALE... 211

BIBLIOGRAPHIE... 237

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Introduction 2 Le concept de responsabilité...

Au vu de grandes catastrophes écologiques les individus sont prompts à demander réparation auprès de la personne responsable et prévention auprès des gouvernements. Par exemple après la sortie de la rivière Ha Ha de son lit plusieurs saguenayens ont intenté un recours collectif contre les gestionnaires de barrages et réclamé une commission d'enquête afin que de tels événements ne se reproduisent pas. Or le gerne de problèmes dont il sera question dans ce mémoire, appelons-les comportements collectifs dommageables, se manifeste au bout d'un certain laps de temps et ne permet pas de cibler une personne responsable plus qu'une autre. Pensons à !'utilisation des pesticides pour se débarrasser des insectes nuisibles, mais qui, en grandes quantités, interagissent de façon notable sur toute la chaîne alimentaire. Qui peut être tenu pour responsable? Les producteurs qui, en fin de compte ne font rien de plus que se conformer aux demandes du marché; les fournisseurs de pesticide, soumis aux même aléas; ou bien les consommateurs qui réclament des fruits et légumes de «qualité»? Les comportements collectifs dommageables pour !'environnement sont presque anodins, l'effet de masse fait cependant que l'impact de tous ces petits gestes quotidiens finit par être majeur. On peut parler de bombes à retardement que les contemporains ne verront pas exploser. Ces effets nocifs sont parfois détectés trop tard pour que l'on soit en mesure d'y remédier, ce qui fait que certains dommages peuvent être irréversibles, d'où l'importance de la notion de responsabilité. Quels sont les obstacles qui peuvent faire croire aux gens qu'ils ne sont pas responsables des conséquences de leurs actes collectifs? Est-ce que le modèle de décision si répandu aujourd'hui, l'analyse des coûts et des avantages, peut tenir compte des impacts environnementaux? Les décisions politiques peuvent-elles être prises en tenant compte des conflits d'intérêts opposant les générations présentes aux générations futures, ou sont-elles inévitablement orientées vers le court terme? Ceci pose plus généralement le problème de l'articulation entre la responsabilité individuelle et collective.

Dans le cadre de cette recherche on s'intéressera aux problèmes environnementaux diffus. On dit de ces problèmes qu'ils sont diffus car la responsabilité n'est portée par personne en particulier. Ce sont les effets

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Introduction 3 Le concept de responsabilité...

d'accumulation et de rupture^ qui en font des problèmes d'importance majeur, au même titre que les catastrophes. H peut y avoir accumulation pendant très longtemps et sur une vaste étendue. Mais une fois qu'il y a rupture les effets peuvent se faire sentir très longtemps et ne connaissent pas de frontières. H est tentant de chercher à contrôler ces nuisances en fournissant des fondements au concept éthique de responsabilité. Par définition, la responsabilité morale est «la situation d'un agent conscient à l'égard des actes qu'il a réellement voulus. Elle consiste en ce qu'il peut alors, devant tout être raisonnable, en donner les motifs, et qu'il doit, suivant la valeur et la nature de ceux-ci, encourir le blâme ou l'estime qui s'y rattachent»^. Le concept de responsabilité a souvent été abordé du point de vue de l'éthique parce qu'elle traite essentiellement de l'action. En effet, l'éthique tente de répondre à la question «Que dois-je faire?» En ce sens, elle fait appel à la distinction que nous faisons entre le bien et le mal puisque nous désirons tous faire pour le mieux. L'éthique, ou la morale, s'oppose donc au domaine pratique qui se contente de chercher la meilleure technique d'exécution ou la meilleure stratégie pour atteindre un but. La question d'ordre pratique ne remet pas le but en question, seulement la manière de l'atteindre; c'est donc un agir stratégique. En règle générale, pour qu'un problème soit d'ordre moral, il doit mettre l'action d'une personne en rapport avec des exigences supérieures dont elle reconnaît la valeur et auquel elle se sent obligée de répondre. On reconnaît de plus que ces exigences ont de la valeur pour d'autres que soi-même. Elles vont donc au-delà des préférences subjectives. La morale, fournissant une réponse à la question «Que dois-je faire?», a donc pour effet de rendre coupable de négligence ou simplement de lâcheté celui qui n'agit pas en conformité avec ses principes moraux. D'où le sentiment de remords ou de honte ressentis par la personne fautive. Par contre l'agir stratégique éloigne l'individu de la responsabilité de deux manières. D'abord, comme

1 H y a rupture lorsque la capacité d'absorption maximale est atteinte. Lorsqu'il y a rupture, plusieurs effets négatifs s'enchaînent Par exemple, dans le cas des lacs qui reçoivent les rejets des industries avoisinantes, leur eau peut avoir un effet tampon sur ces produits pendant plusieurs décennies. Cependant, lorsque le pH de l'eau devient trop alcalin, il y a eutrophisation du lac, on dit qu'il est mort L'eutrophisation est la diminution de l'oxygène dissous. Π n'y a plus de poissons, seulement des algues qui en recouvrent toute la surface.

2 LALANDE, André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1980, p. 927.

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Introduction 4 Le concept de responsabilité...

mentionné plus tôt en éloignant l'agent des conséquences de ses actes grâces aux outils techniques. Et en excluant la validité des questions portant sur les valeurs.

Puisque les valeurs sont si importantes dans la notion de responsabilité, il faut clarifier ce concept. La valeur d'une chose peut être déterminée soit par «l'estime qu'elle mérite» ou bien par «la satisfaction d'une certaine fin qu'elle accomplit»^. Une valeur est donc une hiérarchisation de certains éléments selon un critère défini. Par exemple, selon le critère esthétique, la Joconde a plus de valeur que les gribouillis d'un étudiant dans ses cahiers d'école. On peut aussi parler des valeurs monétaire, de qualité de vie, du bonheur, etc. Une valeur morale, ou éthique, se rapporte aussi à des critères d'action. L'éthique fournit des critères généraux qui définissent le bien et qui nous servent à évaluer nos actions; à leur accorder une certaine valeur. Elle fait donc la part des choses entre le bien et le mal, mais elle établit en plus une hiérarchie des valeurs. Certaines valeurs ont plus d'importance que d'autres ou sont reconnues quasi unanimement. Par exemple, on peut se demander si on sacrifierait sa qualité de vie pour la prolonger indéfiniment; les deux sont désirables mais il y a un choix à faire. C'est dans les conflits de valeurs que l'on est appelé à décider ce qui vaut plus qu'autre chose. Pour arriver à résoudre ce genre de conflit, il faut donc apprécier le poids respectif des valeurs qui s'opposent. Cependant, les philosophes s'opposent à savoir si un jugement peut être universalisé. Certains croient qu'il faut toujours tenir compte du contexte où le choix s'exerce^. Tandis que d'autres croient pouvoir considérer la nature des choses dans leur essence pour déterminer leur valeur^.

À notre époque, les valeurs morales suscitent des questionnements profonds puisque le monde occidental est en constante transformation, ce qui le plonge dans l'incertitude. Ainsi, la plus grande partie de nos activités sont encadrées par les lois

3 André Lalande, dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie, estime que les termes anglais intrinsic value et instrumental value ne peuvent être traduits adéquatement en français. C'est la raison pour laquelle il propose ces deux définitions du terme valeur. 4 C'est le cas de plusieurs philosophes politique modernes et contemporains, tels que Marx, Rawls, Devlin, Chomsky, etc. Les philosophes du langages penchent aussi de ce côté: Davidson, Habermas, etc.

5 Hans Jonas fait une tentative en ce sens, Karl Otto Apel l'a aussi inscrit dans son programme.

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Introduction 5 Le concept de responsabilité...

du marché, d'où la dominance de la valeur monétaire. Peut-on tout sacrifier sur l'autel de la rentabilité sans attirer le discrédit au nom de valeurs supérieures? Y a- t-il moyen d'accorder de la valeur à des choses en dehors de leur valeur monétaire, ou bien doit-on se résigner à accorder une valeur monétaire à tout ce qui nous semble important?

Par exemple, les libertés individuelles si chéries par les pays occidentaux semblent nous conduire à un individualisme et à une vision centrée sur de courtes échéances qui peuvent s'avérer néfastes pour autrui. Ce problème est exacerbé par les avancées scientifiques-technologiques qui peuvent prolonger la vie, prévenir des épidémies ou produire des biens de meilleure qualité en plus grande quantité. Ces opportunités nouvelles offertes par la technique font en sorte que l'on prend des décisions aux conséquences plus graves que par le passé. Auparavant des décisions de cette gravité n'étaient pas envisageables en raison de la faiblesse des moyens techniques dont l'homme disposait. H lui fallait se résigner à laisser la nature suivre son cours et accepter les choses telles qu'elles étaient. Aujourd'hui, dans les sociétés industrialisées, l'homme est de plus en plus en mesure de transformer l'ordre naturel des choses.

C'est de ce nouveau pouvoir de transformation dont il est question dans ce mémoire car c'est de lui que découle la nécessité de fonder une nouvelle éthique. La théorie éthique fondée sur le concept de responsabilité est une des solutions qui sont suggérées aux problèmes découlant de ce pouvoir. Les fondements théoriques de ce concept feront l'objet d'un examen plus détaillé dans la première partie de ce mémoire. En effet, nous examinerons deux formulations différentes du concept de responsabilité. La première a un fondement métaphysique. Elle est l'œuvre de Hans Jonas qui se base sur les finalités de la nature pour articuler le concept de responsabilité morale. La seconde découle d'une conception utilitariste de l'homme, c'est-à-dire qu'il n'a pas de fin déterminée, seulement des intérêts ponctuels. Dieter Bimbacher est un défenseur contemporain de cette position éthique. Puisque Jonas et Bimbacher s'en remettent à une conception politique de la responsabilité plutôt qu'individuelle, il faudra examiner dans la seconde partie du mémoire les relations entre l'éthique et le politique. La question qui se pose

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Introduction 6 Le concept de responsabilité...

principalement dans cette partie est de savoir comment Jonas et Bimbacher croient pouvoir passer d'un concept éthique à des applications politiques concrètes. Par la suite, il sera question de la politique tant au niveau idéologique que concret. Dans la situation actuelle, compte tenu de !'interrelation entre le politique et l'économique, sommes-nous réellement en mesure d'apporter une solution à la crise environnementale? Enfin la dernière partie illustrera à l'aide d'un exemple concret, celui des éleveurs de porcs, les difficultés de l'articulation entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective. Afin de bien comprendre les problèmes que vivent les agriculteurs, j'ai mené une recherche qualitative directement chez les producteurs de porcs. Les différents sujets abordés dans cette recherche sont 1- les différences entre les méthodes de production traditionnelles et les méthodes modernes; 2- les difficultés économiques, environnementales et sociales des producteurs et 3; leurs revendications politiques pour assurer une répartition équitable des coûts et bénéfices liés à leur activité. On peut mieux comprendre les impacts réels des règlements et des structures administratives en effectuant une recherche directement sur le terrain plutôt que de s'en tenir à des considérations théoriques.

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PREMIÈRE PARTIE - LE CONCEPT DE RESPONSABILITÉ

Le premier chapitre de ce mémoire a pour objet de mettre en évidence la limite des éthiques traditionnelles et de montrer que nous traversons présentement une période de crise: la crise de !,environnement. Afin de clarifier le concept éthique de responsabilité, le livre de Hans Jonas, Le principe responsabilité - Une éthique pour la civilisation technologique sera à l'étude. Le deuxième chapitre est consacré à !,analyse de la solution proposée par Jonas, la responsabilité morale en mettant l'accent sur la base éthique: les notions de finalité de la nature et de valeur intrinsèque. Cela permettra de faire ressortir la grande différence avec !,utilitarisme de Bimbacher pour qui l'homme n'est pas défini par sa fin, mais par ses intérêts. Le concept de conflit intergénérationnel qui découle de cette autre position éthique est le sujet du troisième chapitre. Débutons cette étude en examinant l'oeuvre de Hans Jonas, Le principe responsabilité.

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PREMIER CHAPITRE

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Premier chapitre 9 Le concept de responsabilité...

1.1 Présentation de !,oeuvre de Hans Jonas

Jonas étudie plusieurs thèmes contemporains. Les dangers de la technologie sont du nombre. En effet, selon lui et plusieurs autres la nature était autrefois une grande puissance mythique sur laquelle l'homme n'avait aucune emprise. Or, elle est maintenant menacée par Faction de l'homme, ce qui lui confère le statut d'objet de responsabilité. La crise environnementale à laquelle nous devons faire face découle de l'urgence de prendre en charge cet objet de responsabilité avant que l'homme ne l'ait complètement détruit par son action. L'action de l'homme a de plus en plus d'impact sur la nature au fur et à mesure que la technologie nous donne prise sur elle. Les promesses de la technique sont indissolublement liées aux menaces qu'elles font peser sur le monde naturel. Malheureusement, le monde de possibilités auquel la technologie non donne accès est encore dépourvu de théorie éthique. Dans ces circonstances, Jonas considère que l'idéal utopique poussé par la technique devient une menace pour l'humanité car il nous plonge plus en avant dans le danger, sans tenir compte de l'absence de filet de sécurité. À ce sujet, Jonas veut répondre à Bloch qui parle des enjeux éthiques des nouvelles formes d'agir produites par la civilisation technologique: le «principe Espérance1». Jonas, lui, prend plutôt pour point de départ la dissymétrie radicale qui caractérise les relations de responsabilité partout où elles se présentent. Selon lui, les nouveaux principes éthiques doivent être anticipés dans la menace elle-même. La fondation d'une telle éthique, «!'heuristique de la peur», doit en appeler de la métaphysique qui, seule, peut expliquer pourquoi on devrait préserver l'existence de l'homme pour l'avenir.1 2

1 BLOCH, Ernst, Le principe espérance, traduit de !,allemand par Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976

2 Cette nécessité est remise en question par Jan Narveson dans Utilitarianism and New

Generations puisqu'il applique le principe de Γutilitarisme négatif. Selon ce principe, il vaut mieux

éliminer toutes les peines et souffrances que l'homme doit endurer avant de songer à donner naissance à des enfants, aussi heureux soient-ils. De ce point de vue, il n'est absolument pas contradictoire de conclure que l'humanité puisse un jour disparaître. Dieter Bimbacher se sert

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Pourquoi l'éthique de la responsabilité n'occupe-t-elle pas la place que Jonas voudrait qu'on lui accorde? Parce que, d'une part, la vision du monde des anciens était celle d'une nature bien ordonnée, régie par des lois immuables et étemelles. D'autre part, face à la régularité de cet ordre naturel, le savoir et le pouvoir de l'être humain paraissaient bien faibles. Le but de l'humanité est alors de se protéger et de reproduire l'harmonie de cet univers matériel, le succès étant donc principalement évalué à l'aulne de la stabilité. Or, l'âge moderne a opéré un retournement. Π se définit par le changement, !'accroissement du savoir et du pouvoir. Ce pouvoir entraîne une crainte face au futur de l'humanité qui est menacée par ce nouveau pouvoir, ce qui fait que sa survie tombe dans l'ordre des choses dépendant de nous. Le sort des générations futures est entre les mains des générations présentes, elles en sont donc responsables. C'est surtout le pouvoir de la technologie qui préoccupe Jonas car il peut modifier l'ordre naturel à sa racine même. H considère que l'humanité a un devoir proportionnel à sa puissance d'action. Or, ce devoir a une portée telle qu'il ne peut être assumé par l'homme ordinaire, il faut plutôt qu'il soit pris en mains par l'homme politique et les experts scientifiques.

Le concept de responsabilité... Premier chapitre 10

1.2 Pourquoi fonder une nouvelle éthique?

Jonas croit que par la suite de l'accès à de nouvelles possibilités, l'essence de l'agir humain s'est modifiée, jetant à terre les bases des éthiques traditionnelles. En quel sens la technique moderne affecte-t-elle l'agir humain placé sous son signe? Jonas répondrait que la technologie semble être devenue la «vocation» de l'être humain puisque ce dernier la valorise plus que toute autre chose. L'homo faber

d'ailleurs de Narveson comme point de départ pour fonder ses principes utilitaristes, lui qui privilégie un modèle utilitariste tenant compte de la somme des joies et des peines. Il sera plus longuement question de ces distinctions entre utilitarisme négatif et utilitarisme de la somme des profits dans le troisième chapitre.

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Premier chapitre 11 Le concept de responsabilité...

passe au-dessus de Yhomo sapiens. La technologie reçoit une signification éthique par !,importance que homo faber accorde à son avancement afin de s'éloigner de sa partie servile: homo sapiens. «Dans l'image de lui-même qu'il cultive, l'homme est maintenant de plus en plus le producteur de ce qu'il sera bientôt capable de faire. Mais «lui», qui est-il?»3 Est-ce que les éthiques traditionnelles peuvent renverser cet ordre de priorités qui est lui-même déjà un renversement qui place le moyen avant la fin? Suivons Jonas dans son raisonnement, pour répondre à cette question.

Jonas nous invite à remonter jusqu'à l'antiquité, alors que l'homme devait faire plier la nature afin d'en faire sa demeure. En même temps, il devait s'en méfier, s'en protéger, en érigeant des remparts entre elle et lui. Or la petitesse de l'homme est encore perceptible dans la grandeur de ses réalisations car la nature était perçue comme infatigable, inaltérable et immense par rapport à lui. L'oeuvre humaine de la cité permettait à la vie humaine d'évoluer côte-à-côte avec ce qui demeure. La cité donnait une impression de permanence à ce qui change. La nature n'était pas un objet de responsabilité car elle prenait soin d'elle-même en même temps qu'elle prenait soin de l'homme, dans la mesure où ce dernier se donnait la peine d'y travailler. Ce n'est que dans la cité que !'intelligence doit se marier à la moralité, et c'est là que les éthiques traditionnelles font leur apparition.

Jonas en déduit que l'éthique, jusqu'à présent, avait plusieurs signes distinctifs. D'abord, «la répercussion des actions humaines sur des objets non humains ne formait pas un domaine de la signification éthique»4. Cela n'aurait pas eu de sens d'inclure ce qui est permanent dans le domaine moral. En effet, pourquoi devrait-on se soucier de choses sur lesquelles nous n'avons pratiquement aucun impact. La nature était donc considérée comme un élément acquis, qui ne

3 JONAS, Hans, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, traduit de !,allemand par Jean Greisch, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992, p. 28.

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Premier chapitre 12 Le concept de responsabilité...

pouvait disparaître ni souffrir de !,action humaine. Deuxièmement, les éthiques traditionnelles sont anthropocentriques. Les animaux et la végétation faisaient partie de !,ensemble complexe de la nature, ce qui fait qu'ils échappaient aux obligations humaines. Ensuite, on ne croyait pas que «!,Homme» puisse être transformé. On supposait que la nature humaine pouvait être définie et universalisée, comme le montrent les écrits des philosophes de !,antiquité. Finalement, toute moralité est centrée sur le court terme. Le «bien» ou le «mauvais» de Faction est entièrement décidé à !,intérieur de ce contexte de courte durée et le savoir requis correspond à ces limitations. «La portée efficiente de Faction était petite, le laps de temps pour la prévision, la détermination des buts et pour !,imputabilité était court, le contrôle des circonstances était limité [...] Le long cours des conséquences était abandonné au hasard, au destin ou à la providence»5. Ainsi, deux éléments ressortent clairement. Le premier est la capacité limitée de prévoir les conséquences des actions humaines, limitée surtout par les connaissances des hommes. Le niveau de connaissance a beaucoup augmenté depuis quelques siècles, augmentant du même coup la capacité de prédiction autant dans le temps que dans !,espace. Le second est la portée réelle de Faction: s'il est vrai que la capacité de prédiction était alors limitée, il en va de même pour la capacité d'affecter les choses. La science et la technique ont augmenté la capacité d'action de l'homme de manière phénoménale.

Jonas constate que ces signes distinctifs se heurtent aux nouvelles dimensions de la responsabilité. La technique moderne ayant élargi l'ordre de grandeur des actions humaines, les éthiques traditionnelles ne peuvent en contenir toutes les possibilités. D'abord, la vulnérabilité de la nature se révèle au grand jour. Cette première modification majeure a deux aspects. Premièrement, cette vulnérabilité doit inspirer de la crainte. En effet, que serait l'homme en dehors de la nature, dans un univers entièrement humanisé ou artificiel? Deuxièmement, la

JONAS, id.

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taille de ce nouvel objet de responsabilité doit inspirer du respect. L'effet de cumul n'a jamais été envisagé jusqu'ici sur un objet aussi complexe que la biosphère entière.

Ensuite, le savoir acquiert un rôle moral nouveau. Le savoir devient très important et devrait idéalement avoir une portée assez grande pour englober l'ampleur causale de notre agir, ce qui n'est malheureusement pas le cas. On doit donc tenir compte, dans nos considérations éthiques, de cette insuffisance du savoir. Finalement, on doit envisager sérieusement d'accorder un droit éthique autonome à la nature. Est-ce que le nouvel agir humain implique que la nouvelle éthique doive aller au-delà du seul intérêt de l'homme? Si cela devait être le cas, on reconnaîtrait alors que le sort des choses est entre nos mains et nous leur accorderions ainsi la reconnaissance de «fin en soi» et devrions l'intégrer à notre morale.

Les anciens impératifs doivent donc être remplacés par de nouveaux puisqu'ils ne sont pas en mesure de répondre aux nouvelles interrogations éthiques qui se posent à nous. Ainsi, la fin de l'existence humaine ne contient aucune auto contradiction dans l'impératif catégorique de Kant. Or, selon Jonas, la série doit continuer si on veut garder espoir de sauvegarder la nature car l'homme avec sa conscience est le mieux placé pour y arriver. Le nouvel impératif se formulerait comme suit: «Agis de façon à ce que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre»6. Cela implique que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non la survie de l'humanité toute entière et nous n'avons pas non plus le droit d'en risquer les conditions d'existence proprement humaines. Cet impératif s'adresse davantage à l'action politique qu'à l'action individuelle qui n'a que très rarement la dimension causale qu'il nécessite.

Le concept de responsabilité... Premier chapitre 13

JONAS, ibid., p. 30.

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Premier chapitre 14 Le concept de responsabilité...

Y a-t-il des formes d'éthique antérieures qui vont au-delà du présent? Il y en a bien quelques unes, répond Jonas, mais aucune n'est en mesure de résoudre le problème. La première dont Jonas fait mention est l'éthique de !'accomplissement dans l'au-delà. L'avenir y est le seul lieu possible de la valeur absolue, plutôt que le présent. La vie agréable aux yeux de Dieu se résume bien souvent au respect des institutions humaines. Or, l'individu qui est porté à l'excès, l'ascèse, effectue un retour à l'éthique de l'immédiat car il a l'objectif hautement égoïste de devenir un être parfait. Le deuxième exemple de Jonas est la responsabilité de l'homme politique pour le présent. Jonas considère que les législateurs bienveillants qui s'efforcent de créer une configuration politique viable - prenant pour preuve la durabilité - n'ont pas une plus grande vision. Leur considération pour le futur s'appuie toujours sur le présent et sur une considération de la nature humaine en tant qu'immuable. Le dernier exemple est l'utopie moderne qui prétend livrer un combat au nom de l'avènement de l'humanité du futur. Ce n'est qu'avec le progrès moderne que l'on peut considérer tout ce qui précède comme une préparation. Pour le marxisme, toute action est orientée vers l'éthique authentique qui n'entrera en vigueur qu'une fois le temps venu. Jonas voit en cette utopie une fuite vers l'avant qui nous conduit directement vers la catastrophe.

Mais, il n'y a pas que la nature qui est menacée; l'homme est lui-même menacé dans son essence par la portée de la technique en vertu des nouveaux développements de la technique. Par exemple, la prolongation de la vie pose de nouvelles questions à l'homme car auparavant la durée de la vie (assez courte, dans le meilleur des cas) n'était pas un choix, mais un fait à accepter. Aujourd'hui on peut la prolonger indéfiniment. Est-ce désirable? Qui le mérite? En éliminant la mort, quel est le sens de la procréation et même de la jeunesse? Aucune éthique du passé n'est en mesure de répondre à ces questions. La possibilité de contrôler le comportement soulève d'autres inquiétudes: qui est soulagé par un médicament, le patient, ou la société qui inhibe un comportement dérangeant? L'assistance

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Premier chapitre 15 Le concept de responsabilité...

sociale peut-elle affranchir plutôt que mettre sous tutelle? Jonas estime que nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire à l'image de l'homme que nous ne pouvions lui faire auparavant. Ultimement, la manipulation génétique pose la question dans toute sa complexité. L'homme doit-il prendre en main sa propre évolution dans un but de préservation ou d'amélioration? Qui devrait façonner le modèle sur lequel toute personne évoluera? Notre pouvoir d'agir va au-delà de ce que l'éthique traditionnelle peut juger. Le pouvoir technologique nous pousse vers des buts semblables aux idéaux utopiques. Il faut se montrer humble face à ce pouvoir car il est bien plus grand que notre pouvoir de juger; c'est là l'attitude responsable à adopter. Une autre question découle de cette crainte: quelle importance doit avoir l'avenir pour le présent? Qu'est-ce qui peut représenter l'avenir, dans le présent pouvoir?

Or, face à cette humilité, l'entreprise de la technologie, elle, n'est pas patiente; elle préfère les enjambées colossales. L'homme ne prend tout simplement pas le temps de corriger ses erreurs; il fuit vers l'avant, laissant derrière lui des problèmes graves. La dynamique cumulative des développements techniques découle du fait que le développement technologique nous échappe: il s'est emparé de son impulsion et il a une inertie très grande. Cela renforce l'obligation de veiller aux commencements. De plus, le caractère sacro-saint du sujet de l'évolution démontre que l'entreprise est animée par l'orgueil du savoir et par sa capacité d'action, bien que tout cela découle de la nature. Le marché est l'outil quasi exclusif par lequel les hommes se procurent les biens nécessaires à leur survie. Il intervient donc dans toutes les phases de l'activité humaine, ce qui fait que son impact peut être très grand.11 peut mépriser la nature ou, en d'autres termes, renoncer à tout principe (solution inimaginable, même aujourd'hui) ou bien il peut affirmer la qualification de la nature et reconnaître sa présupposition. On dirait bien que, dans la société occidentale, c'est la première alternative qui a été choisie car le savoir moderne renie les fondements des normes éthiques.

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Premier chapitre 16 Le concept de responsabilité...

Celles-ci ne seraient pas fondées légitimement, c'est-à-dire selon la méthode logico-mathématique. Selon Jonas, l'éthique doit pourtant exister parce que les hommes agissent et qu'ils reposent sur elle pour justifier leurs actions. Si on devait la discréditer, les actions humaines ne seraient que des questions de stratégie. C'est pourquoi il faut une éthique nouvelle pour accompagner un agir nouveau.

Dans ce qui précède, nous avons montré la validité des présuppositions, à savoir que l'agir collectif-ctunulatif technologique est d'un type nouveau par ses objets et par son ampleur et que par ses effets, indépendamment de toute intention immédiate, il n'est plus éthiquement

neutre. Mais avec cela la véritable tâche, à savoir celle de chercher une réponse, ne fait que

commencer7.

1.3 L'ampleur de la crise de l'environnement

Jonas semble avoir vu assez juste. La crise de l'environnement que nous traversons confirme que l'action humaine a atteint un seuil que la nature ne pourra supporter très longtemps. Voyons où nous en sommes à ce jour à l'aide de quelques exemples concrets de l'ampleur de cette crise. Ces exemples reprennent les plus grandes craintes des hommes face au mode de vie occidental, soit l'épuisement des ressources, le réchauffement planétaire, l'explosion démographique, la pollution et la transformation de l'homme.

Le premier exemple: l'épuisement des ressources non renouvelables. Les ressources non renouvelables sont constituées de produits minéraux regroupés en trois familles:

- les produits énergétiques;

- les minerais métalliques à partir desquels on élabore les métaux nécessaires dans la plupart des processus de production de biens;

- les substances non métalliques telles que les diamants, les phosphates, le sel, etc.

JONAS, ibid., p. 46.

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Premier chapitre 17 Le concept de responsabilité...

Le charbon et le pétrole sont les produits énergétiques qui sont les plus utilisés dont les réserves sont au bord de !,épuisement. Le charbon a été la source d'énergie indispensable pour que la révolution industrielle puisse avoir lieu dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Le charbon est essentiellement utilisé pour la production d'électricité dans les centrales thermiques. On exploite environ 3,5 milliards (3,5 X 109) de tonnes de charbon annuellement, comparativement à 640 milliards (6,4 X 1011) de tonnes de charbon exploitable total (en fonction des critères d'accessibilité et de coût d'extraction). Ces réserves seraient donc suffisantes pour environ 250 ans, en tenant compte d'une possible diminution de la demande8. Le principal problème avec le charbon n'est cependant pas son épuisement, mais les rejets de C02 qui découlent de sa combustion, augmentant l'effet de serre. D'autre part, le pétrole a surtout connu son essor après la deuxième guerre mondiale, surtout en raison des réserves trouvées au Moyen- Orient et de son coût relativement peu élevé comparativement au charbon. Les réserves totales de pétrole sont estimées à environ 400 à 500 milliards (4,5 X 1011) de tonnes, dont seulement 200 milliards seraient exploitables. Au rythme actuel de !'exploitation, il n'en resterait que pour une cinquantaine d'années puisque !'exploitation annuelle atteint les 3 milliards de tonnes. La ressource est pratiquement épuisée en Amérique du nord où on exploite en tout 500 millions (5,0 X 108) de tonnes, alors que la réserve n'est que de 4,5 milliards (4,5 X 109) de tonnes, ce qui signifie qu'il ne reste plus qu'une dizaine d'années d'exploitation rentable9.

Les minerais métalliques qui sont utilisés aujourd'hui sont très variés et ont des usages tout aussi variés. Certains servent à la construction de bâtiments ou de moyens de transport (bateaux, automobiles), tels que le fer ou le manganèse. D'autres servent à produire des alliages aussi utilisés dans la construction, tels que

8 Tiré de VEYRET, Yvette & PECH, Pierre, L'homme et l'environnement, Paris, Presses universitaires de France, Collection Premier cycle, 1993, pp 95-99.

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le cobalt, le nickel, le tungstène... D'autres encore servent dans les technologies de pointe (puces électroniques, hyper conducteurs, nucléaire, etc.) tels que le titane, le zircon ou encore le béryllium.

Les éléments natifs comme le cuivre et l'or furent les premiers utilisés par l'homme, l'âge du cuivre a ouvert !ère des métaux plusieurs millénaires avant Jésus-Chnst. Dès l'âge du Bronze, ou celui du Fer, les métaux tiennent une place très importante dans les productions et les échanges entre les différents peuples. Depuis et surtout assez récemment, la demande en métaux s'est fortement accrue tant en quantité qu'en variété9 10.

Les gisements métallifères sont des accumulations de minéraux hétérogènes qui constituent en quelque sorte des anomalies en raison de la concentration qu'ils présentent, car la concentration de ces métaux est souvent très minime dans l'écorce terrestre, par comparaison. Par exemple, le titane ne constitue que 0,6% de la croûte terrestre, le fer 4,7%, le sodium 3,4%... L'Europe est largement déficitaire dans ce domaine, ce qui fait qu'elle doit recourir aux importations, principalement des pays en développement.

Les substances non métalliques sont particulièrement utilisées pour produire des engrais, comme dans le cas des phosphates, ou pour la construction. Les ressources sont encore abondantes dans ce domaine, mais n'en demeurent pas moins non renouvelables, donc épuisables avec le temps.

Les ressources qui viennent d'être évoquées constituent les fondements de l'activité humaine, les bases du développement économique et technologique. La population d'Occident en dépend à tel point qu'il est pratiquement inimaginable de penser à ce qu'il adviendrait dans le cas de l'épuisement de ces ressources ou d'un blocus de !'exploitation et des importations.

Deuxième exemple: le réchauffement planétaire. L'accusé est au banc: le gaz carbonique, causant l'effet de serre, se retrouve en plus grande concentration

Le concept de responsabilité... Premier chapitre 18

9 Tiré de HOES, M., Énergie et environnement, Paris, La Documentation française, 1992,58 p. 10 Tiré de VEYRET, Yvette & PECH, Pierre, L'homme et Venvironnement, Paris, Presses universitaires de France, Collection Premier cycle, 1993, p. 117.

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Premier chapitre 19 Le concept de responsabilité...

dans Γatmosphère que par le passé. Chaque année, les milliards d'êtres humains rejettent environ 6 milliards de tonnes de charbon dans Γatmosphère. Cela peut sembler très peu comparativement aux échanges naturels entre !,atmosphère, le sol et l'eau, mais il ne faut pas oublier que le gaz carbonique (C02) peut prendre jusqu'à 150 ans avant de se dissiper. L'augmentation de la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère a pour conséquence d'empêcher les rayons infrarouges, émis par la terre en réponse aux rayons solaires, de se dissiper dans l'espace, augmentant la température à la surface de la terre. Ce réchauffement a des effets spectaculaires! Depuis 20 ans, l'étendue des glaces de l'Arctique diminue chaque année de près de 37 000 km2, tandis que leur épaisseur a diminué de près de 40% depuis 30 ans11. L'injection de ces milliards de mètres cubes d'eau douce dans les océans représente une hausse de leur niveau de près de cinquante centimètres, de quoi engloutir des États insulaires ou des pays couverts de plaines, comme les Pays-Bas ou le Bangladesh, si la tendance devait se maintenir. Le World Wildlife Fund (WWF) dénonçait en août 2000 l'inaction des gouvernements face au réchauffement climatique. Selon le WWF, plus de la moitié des habitats naturels de la planète risquent de disparaître, entraînant l'extinction de nombreuses espèces végétales ou animales. Par exemple, au Québec, le niveau du fleuve Saint-Laurent pourrait baisser en moyenne de plus d'un mètre, ce qui aurait pour effet probable de laisser l'eau salée de l'Océan Atlantique remonter bien plus haut que la normale, bouleversant au passage les habitats des poissons d'eau douce. Dans le grand Nord Québécois, le pergélisol risque de dégeler, ce qui semble être positif, mais la rapidité du dégel laisse croire que les forêts ne pourraient jamais se déplacer assez rapidement vers le Nord pour occuper ce nouveau territoire. Ainsi, le réchauffement planétaire risque non seulement d'avoir des effets sur l'homme, mais aussi sur un grand nombre d'animaux qui risquent de perdre leur écosystème naturel. À une époque où l'on cherche à protéger la diversité biologique, il est *

Tiré de GAGNÉ, Jean-Simon, Chaudes hypothèses, in Le Soleil, Québec, le samedi 23

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Premier chapitre 20 Le concept de responsabilité...

probablement nécessaire de remettre le mode de vie de l'Homme en question s'il veut réellement protéger les autres espèces du vivant.

Troisième exemple: l'explosion démographique. H a jusqu'ici été beaucoup question du mode de vie occidental. On fait cette distinction car il existe un réel clivage entre les pays industrialisés (Amérique du Nord, Europe occidentale, Japon,) et les pays en voie de développement. D'abord, les pays industrialisés, pour un population totale d'environ 600 millions d'êtres humains, produisent plus de déchets et utilisent plus de ressources, renouvelables ou non, que les quelques 5,5 milliards d'êtres humains vivant ailleurs. Cette différence peut s'expliquer d'une manière ou d'une autre, à l'aide d'une démarche historique. Ce qui est inquiétant, c'est la croissance de la population des pays en développement et la croissance de leur niveau de vie, ce qui aurait pour effet d'augmenter la demande en ressources et les effets néfastes sur !'environnement. En effet, la population mondiale d'êtres humains a rapidement augmenté depuis le début du XIXe siècle, passant de près de un milliard è six milliards deux siècles plus tard. Par exemple, la population de l'Inde, estimée à 835 millions d'habitants en 1988 risque de passer à un milliards 680 millions d'ici 2100, surpassant ainsi la population de la Chine. La pression sur les écosystèmes augmente donc sans cesse; la lutte pour les ressources aussi; et bien sûr tous ces êtres humains voudront profiter du meilleur niveau de vie possible. Le mouvement pousse les habitants hors des campagnes vers les villes, dont la plupart des mégalopoles de plus de dix millions d'habitants sont dans les pays en voie de développement. Qu'adviendra-t-il des nouveaux bidons villes aux conditions sanitaires épouvantables et aux terres surexploitées pour subvenir aux besoins des citadins? H y a donc deux risques qui découlent de l'explosion démographique: !'augmentation de !'exploitation des ressources et l'exode rural. Tous deux posent des problèmes très sérieux qui caractérisent la crise de l'environnement.

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Premier chapitre 21 Le concept de responsabilité...

Quatrième exemple: la pollution. Par pollution, on entend ici tous les aspects de Γactivité humaine qui ont un effet d'accumulation. Des gaz carboniques à !'accumulation de déchets en passant par la contamination de l'eau. L'eau, source de vie, est l'élément essentiel du développement du vivant. Π y a différentes formes de pollution de l'eau: la pollution thermique, les matières en suspension et la pollution chimique (organique ou non). La pollution thermique affecte la faune et la flore. La principale cause vient des centrales thermiques ou les usines qui utilisent l'eau comme procédé de refroidissement. L'eau rejetée a parfois une température jusqu'à 10° supérieure à sa température avant d'entrer dans le système. L'augmentation de la température de l'eau d'une rivière peut avoir des effets sur les poissons qui ont besoin d'une certaine température pour la fraie, par exemple. De plus, Cette augmentation favorise l'eutrophisation des lacs ou des rivières. Dans ce cas, les micro-organismes et les algues prolifèrent, consommant tout l'oxygène dissous dans l'eau. L'oxygène ayant disparu, toute forme de vie disparaît dans les eaux eutrophiées. La pollution chimique organique, particulièrement par les nitrates et le phosphore favorise aussi l'eutrophisation des cours d'eau. La concentration de nitrate favorisant la prolifération de micro-organismes. D'autre part, la pollution chimique inorganique״ surtout causée par les pesticides ou les insecticides, modifie le pH de l'eau, ce qui a pour effet d'affecter la faune et la flore. Les lacs dont le pH est trop acide ne peuvent contenir de poissons ou d'algues. Finalement, la pollution par les matières en suspension découle surtout de !'exploitation minière et des rejets de métaux lourds par les industries postées aux abords des lacs. Ce sont plus particulièrement les pollution au plomb ou au cuivre qui sont connues, car elles entraînent des déformations chez les poissons qui peuplent ces eaux. Bref, la pollution des eaux découle presque uniquement de l'activité humaine, surtout de la concentration de cette activité aux abords des cours d'eau.

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Premier chapitre 22 Le concept de responsabilité...

Cinquième et dernier exemple: la transformation de !,homme. H serait plus juste de parler de !,injustice de la transformation. Étant une capacité acquise à grands coups de millions de dollars investis dans la recherche biomédicale, la capacité de guérir n'est plus le seul moyen technique de !,homme sur !,homme. H est maintenant possible dzaméIiorer, de choisir, peut-être même un jour de viser la perfection. Les images du monde futur dans lequel !,homme a atteint la «perfection» se bousculent. Du Meilleur des mondes à Gattacca, en passant par la Fondation12, tous ont vu le risque qui pèse: plutôt que de réunir tous les hommes sous un même étendard, la technologie divise grâce à une nouvelle forme d'eugénisme. Le «nous» et le «eux» ne sera plus un appel à la patrie, mais une évocation de la «qualité» du sang. La concentration des moyens techniques entre quelques mains risque de nous conduire à ce cauchemar, seule une nouvelle répartition des moyens saura nous en épargner.

Ces exemples montrent !,ampleur de la crise que nous traversons. Cette partie a davantage insisté sur !,aspect symbolique: !,urgence que la crise nous révèle, laissant de côté la remise en question des fondements éthiques. C'est pourquoi il faut maintenant examiner les différents fondements que l'on peut donner à la nouvelle éthique. Les deux chapitres qui suivent permettent d'exposer les points de vue de Hans Jonas et de Dieter Birnbacher.

12 Voir Aidons Huxley, Le meilleur des mondes, la série de romans Fondation de Isaac Asimov et le film Bienvenue à Gattacca de Andrew Niccol.

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Chapitre 2 Le concept de responsabilité...

CHAPITRE DEUX

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Chapitre 2 24 Le concept de responsabilité...

Pour Jonas, !,entreprise de Kant de fonder Γéthique sur des bases rationnelles en dehors de toute motivation émotionnelle est vouée à !,échec car «!,éthique a une face objective et une face subjective, dont !,une a affaire à la raison et !,autre au sentiment»1. Dans certaines conditions, on ne peut se comporter moralement que si on est sensible à la vulnérabilité d'autrui. Cela se manifeste selon Jonas en imaginant ce qui arrivera à autrui si j'interviens ou si je n'interviens pas. «L'apprêtement personnel à se laisser affecter par le salut ou par le malheur des générations à venir, quoique d'abord seulement imaginé, est donc la seconde obligation «liminaire» de l'éthique cherchée [...] Instruits par cette pensée, nous sommes tenus d'observer la crainte correspondante»1 2. Le côté émotionnel ou !'imagination doivent donc parfois entrer en jeu. H est vrai que la raison est importante pour justifier et légitimer des rapports de responsabilité, mais l'effet d'une telle fondation rationnelle sur l'engagement moral serait marginal sans la motivation qui vient du sentiment. L'homme est un être moral car il a la capacité d'être affecté par la détresse d'autrui. D'ailleurs, la sollicitude parentale en témoigne. Il y a un devoir imposé de Γextérieur: l'appel de détresse auquel on ne peut rester insensible, bien que l'on soit libre de ne pas y répondre.

La face objective ne saurait jamais posséder pareille autosuffisance; son impératif, quelque évidente qu'en soit la vérité, ne peut pas du tout devenir efficace à moins qu'elle ne rencontre une sensibilité réceptive à quelque chose de son espèce. [...] Cela ne veut rien dire sinon que les hommes sont potentiellement déjà des «êtres moraux», parce qu'ils possèdent cette capacité d'être affectés, et que c'est seulement ainsi qu'ils peuvent également être immoraux. (Celui qui y est sourd par nature ne peut être moral ni immoral.)3

Hans Jonas innove lorsqu'il fonde sa morale sur le concept de responsabilité. Pourtant, la responsabilité est l'une des notions que nous associons naturellement à la sphère morale. Les notions de liberté et de devoir y sont étroitement liées. La responsabilité est surtout invoquée de façon rétroactive,

c'est-1 Hans Jonas, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, traduit de l'allemand par Jean Greisch, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992, p. 123.

Ibid., p. 51. Ibid., p. 124.

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à-dire après Γaccomplissement de Lacte. Cette conception est une conception faible de la responsabilité. Hans Jonas lui oppose une conception forte de la responsabilité qui considère autant !,abstention que Faction vis-à-vis du devoir moral d'agir d'une certaine manière plutôt que d'une autre. La responsabilité n'est donc plus consécutive à un acte passé, mais elle est à la source de l'acte car elle commande un acte à accomplir, elle devient donc prospective. Ce qui fonde cette responsabilité prospective est le fait qu'un être se trouve dans le champs d'action d'un autre être et que le sort du premier dépend directement de !'intervention du second. H y a donc une notion de vulnérabilité qui entre en jeu puisqu'il peut avoir besoin de nous ou être menacé par nous. Les exigences posées par la notion forte de responsabilité sont plus grandes que dans la notion rétrospective de responsabilité.

La responsabilité prospective suppose que l'on ait un pouvoir d'action. Or, le pouvoir dépend du savoir, particulièrement avec le développement technologique. Quelle forme doit prendre ce savoir? On doit avoir conscience des effets possibles d'un pouvoir et d'une action. On voit bien pourquoi on doit envisager les conséquences de nos actions, mais pourquoi devrait-on tenir compte des effets possibles d'un pouvoir? Le problème, selon Jonas, est qu'il subsiste une inégalité fondamentale entre le pouvoir d'action et le pouvoir de prédiction, «le simple savoir de possibilités qui certes est insuffisant à la prédiction, suffit parfaitement aux fins d'une casuistique heuristique, entreprise au service de la doctrine éthique des principes»4. C'est pourquoi Jonas parle d'une heuristique de la peur de l'inconnu. Par heuristique de la peur, Jonas entend que certaines hypothèses sont invérifiables de manière scientifique, mais que la perspective de leur avènement est tellement terrible, qu'il faut engager tous les moyens disponibles pour ne pas qu'elles se concrétisent.

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 25

Ibid., p. 52.

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On peut donc opposer deux notions de responsabilité. Celle au sens faible qui n'est qu'une démonstration scientifique de la causalité. Ainsi, pour être trouvée coupable, une personne doit être la seule responsable d'un événement. Cette première interprétation s'oppose au sens fort de la responsabilité qu'utilise Jonas qui n'a rien à voir avec la démonstration scientifique car elle est plutôt reliée à la crainte de ce qui pourrait arriver. Dans cette interprétation de la responsabilité, il y a une inégalité entre la personne responsable et celle qui se trouve dans sa sphère d'action. Cette inégalité est la condition même de la responsabilité prospective de Jonas. Toutes les personnes qui disposent de compétences techniques particulières sont directement visées par ce concept dans la mesure où leurs actions influent sur le bien-être de d'autres personnes qui dépendent d'eux. Cette notion de responsabilité dépendant du savoir et du pouvoir n'est donc pas réciproque. Le patient n'a aucune responsabilité envers le médecin, pas plus que la personne victime d'un accident de la route vis-à-vis du témoin qui, lui, serait en mesure d'intervenir. Cette interprétation va bien au-delà de cette inégalité car elle sous-entend que l'on doive empêcher les événements graves d'arriver. Ces deux notions pourraient donc être caractérisées par les termes culpabilité (sens faible) par opposition à négligence (sens fort) pour des actions négatives et héroïsme (sens faible) par opposition à devoir accompli (sens faible) pour des actions positives.

L'exemple extrême de responsabilité prospective est la responsabilité parentale. Π s'agit, selon Jonas, de «l'archétype intemporel de toute responsabilité»5, car elle concerne la totalité de l'enfant et de son avenir, elle s'exerce sans relâche et on ne saurait s'en décharger en aucun temps. Le nouveau- né se trouve dans un état absolu de dépendance et de vulnérabilité. La prise en charge de l'enfant par ses parents est le devoir humain le plus fondamental et contient le germe de toute autre forme de responsabilité. Un deuxième archétype

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de la responsabilité est le chef d'État. choisie et limitée dans le temps.

2.1 La science de la prédiction et la crainte du pire

Le savoir factuel des effets lointains de !,action technologique permet d'évaluer l'aspect désirable des conséquences d'une action et, d'autre part, d'évaluer la vraisemblance de leur occurrence. H y a donc entre le savoir éthique et le savoir pratique (relatif à ce qu'il faut attendre) une science des prédictions hypothétiques, une «futurologie comparative». Ce savoir contribue au savoir des principes d'un point de vue heuristique: la crainte de l'altération nous fait déterminer ce qu'il faut préserver. La «première obligation» de l'éthique de l'avenir est donc de se procurer une idée des effets lointains de nos actions. Nous avons donc l'obligation de chercher à savoir ce que le mal imaginé nous ferait éprouver. La «seconde obligation»: mobiliser le sentiment adéquat au danger. Or, ce mal n'étant pas le mien, il n'est pas aussi contraignant que si je l'éprouvais moi- même. H faut donc se représenter la crainte5 6 et l'observer du point de vue des générations suivantes. Le problème découle du fait que les projections d'avenir ont un caractère incertain puisque !'extrapolation exigée est d'un ordre de grandeur plus étendu que celui de la technologie. Le savoir exigé n'existe donc pas encore.

Jonas arrive à solutionner le problème grâce à !'heuristique de la peur: connaître précisément les effets est beaucoup plus que nécessaire; il suffit d'évaluer quelle serait la conséquence la plus fâcheuse. Ses moyens sont donc conjecturaux car c'est le contenu et non la certitude de ce qui est offert comme possible qui doit être jugé à la lumière de la morale. Mais apparemment il est inutilisable pour

5 Ibid., p. 65.

6 Cette utilisation de la représentation est soulignée par Bimbacher et sévèrement critiquée. Birnbacher estime que le sentiment qui découle de la représentation n'est pas exact et ne peut en

Le concept de responsabilité...

Cette responsabilité est cependant librement Chapitre 2 27

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appliquer les principes à la politique. Dans !'application pratique-politique cela ne suffit pas car c'est la représentation de l'effet terminal qui détermine ce qui soit être fait ou évité. Si l'on tient compte de la possibilité d'erreur, rien n'empêche que l'on s'en remette à ses préférences en écartant la possibilité la moins favorable à notre fin. C'est ce problème que Jonas devra surmonter à l'aide de son analyse politique que nous verrons dans le quatrième chapitre.

Selon Jonas, l'incertitude doit donc être considérée du point de vue moral et inspirer le principe qu'il vaut mieux craindre le pire qu'espérer le meilleur. Mais dans la mise en jeu, quelque chose impose le respect, la suprême obligation de la conservation.

La présupposition de toute cette considération, c'est qu'à l'avenir nous aurons à faire des choix bien plus graves qu'avant. Une autre prescription doit parer à son caractère incertain et distant dans l'avenir. Premièrement, la considération que chaque action engage le bien d'autrui. Je dois donc me demander «jusqu'où puis-je aller dans la «mise en danger» de ce bien?»7 car je n'ai pas le droit d'agir de manière irréfléchie. L'enjeu ne doit jamais être l'intégralité des intérêts des autres, surtout pas leur vie car l'enjeu est trop gros. La seule occasion où on peut risquer le tout, selon Jonas, c'est lorsque l'on tente d'en sauver la possibilité. Les grands risques de la technologie ne servent qu'à améliorer, en vue du progrès, non pas à éviter le pire. On ne peut donc pas tout risquer en son nom. Le fin mot de tout cela est qu'on ne doit mettre en jeu l'humanité à aucun prix. Voyons pourquoi Jonas insiste tant sur ce point.

D'abord, l'absence de réciprocité dans l'éthique de l'avenir ne permet pas d'établir l'existence de droits car avec les droits est aussi établie l'obligation de les faire respecter. Cette idée n'est pas possible pour le but fixé car seul un sujet de

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 28

aucun cas tenir lieu de supposition exacte de ce que l'autre peut ressentir. Π estime qu'il vaut mieux s'en tenir à des critères objectifs qui seront énoncés dans le prochain chapitre.

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droit peut revendiquer que Ton fasse respecter ses droits. Cela va à !,encontre de ce que Jonas recherche car il faut une asymétrie entre l'objet de responsabilité et le sujet. En ce sens, l'avenir n'a ni droit ni réciprocité. Jonas croit qu'il existe au moins un cas de responsabilité non réciproque sur lequel il se base pour fonder l'éthique du futur: la parenté. Cette obligation n'est cependant pas la même que celle envers les générations futures. Nous sommes la cause de l'existence de l'enfant, ce qui explique notre responsabilité à leur égard. Partant de l'existence de cette forme de responsabilité parentale, Jonas conclu qu'il existe deux obligations: l'obligation de procréer et l'obligation de veiller à ce que la génération future soit humaine (l'être tel).

En ce qui concerne l'obligation de procréer, Jonas fait remarquer que notre postérité existera de toute façon, ce qui fait que nous ne sommes responsable que de ses conditions de vie7 8. Ce qu'il faut considérer, ce ne sont pas les désirs anticipés de nos successeurs, mais leur capacité à accomplir leurs devoirs dont le premier est d'être une humanité. Notre droit particulier à la reproduction repose sur l'obligation générale de perpétuer l'humanité et notre seconde obligation découle du fait qu'on doit présumer de leur capacité à porter le fardeau de leur devoir - celui d'être humains.

Le premier impératif catégorique: qu'une humanité soit. Les comptes à rendre sont portés à l'idée ontologique de l'homme à venir; qu'il doit être et que nous ne pouvons mettre en péril son existence. Pourquoi l'idée ontologique engendre-t- elle un impératif catégorique et non hypothétique? Parce que l'impératif

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 29

7 Ibid., p. 59.

8 Cela soulève une question de principe très importante. Puisque l'on ne fonde pas

l'obligation de procréer et que la seule question importante concerne le monde que l'on lègue aux générations ultérieures, on peut craindre le pire. La chute de la natalité est un exemple. Dans le cas des nations industrialisées, on peut se demander si le fait d'avoir un enfant dépend de ses conditions de vie ou plutôt de celle des parents qui refusent d'abaisser le leur pour élever un enfant

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hypothétique consiste à dire «si, dans !,avenir, il existe des hommes, alors...», tandis que !,impératif catégorique commande qu'il y ait des hommes.

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 30

Jonas affirme que deux dogmes doivent donc être renversés «pas de vérité métaphysique»; «pas de chemin du il est vers le on doit».

Cela se heurte aux deux dogmes les plus endurcis de notre époque: qu'il n'y a pas de vérité métaphysique et qu'on ne saurait tirer un devoir de l'être. La dernière thèse n'a jamais été examinée sérieusement et s'applique seulement à un concept d'être pour lequel la non- dérivabilité du devoir est une conséquence tautologique, mais dont l'extension qui en fait un axiome général équivaut à !'affirmation qu'aucun autre concept d'être n'est possible ou bien: que celui qui est pris pour base ici est déjà le véritable concept et le concept intégral de l'être. Ainsi la séparation de l'être et du devoir, précisément en acceptant un tel concept de l'être, reflète-t-elle déjà une métaphysique déterminée9.

Le second énoncé transgresse donc le premier puisqu'il dépend d'une conception métaphysique. Selon Jonas, l'énoncé «H est impossible d'acquérir un savoir scientifique relatif aux objets métaphysiques» est tautologique puisque la science s'adresse justement aux objets physiques. Celui qui recherche une éthique doit au préalable accepter la possibilité d'une métaphysique, à moins que le rationnel ne dépende que de la science positive.10 Dans ce qui suit, Jonas tient deux choses pour sues: 1- il faut remonter à l'ultime infondé métaphysique et 2- il faut délaisser !'anthropocentrisme.

À la place de toutes les alternatives de l'être on peut choisir le non-être, à moins que ne soit reconnue une prééminence absolue de l'être. Selon Jonas, l'être prédomine sur le rien et l'individu. Un devoir en faveur de l'être ne signifie pas que chaque individu doive survivre, si sa mort permet de sauvegarder la dignité humaine ou d'autres vies. Par contre on ne peut choisir la disparition de l'humanité. Pourquoi quelque chose doit être de préférence au rien? Parce que la

9 Ibid., pp 70-71.

10 Donald Davidson est de ceux qui croient que le rationnel ne dépend que de la science positive. Il considère que tous les événements physiques et mentaux relèvent des mêmes lois. Cela ne signifie pas pour autant que l'on puisse appliquer une science prédictive aux événements mentaux car ils sont désorganisés. On peut résumer cette théorie par l'expression «monisme anomal»: une seule forme d'événements dont certaines parties sont impossible à prédire. Nous

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question de la valeur de toute chose ou non chose se pose toujours. La question se transforme cependant en celle du statut de la «valeur». S'il s'agit d'éthique et de devoir, il est nécessaire de s'occuper de la théorie des valeurs, dont l'objectivité seule permet d'inférer un pouvoir être objectif et par le fait même une obligation à l'égard de l'être.

2.2 Les fins et leur relation aux valeurs

La fin répond à la question «en vue de quoi?» H se peut que je décrète que toutes ces fins sont sans valeur, mais elles demeurent toujours des fins si la description est exacte. Nous pouvons ainsi former un concept de «bien» lorsque nous distinguons les fins dans les choses elles-mêmes. Π faut cependant clarifier les fins dans les choses que nous percevons afin de comprendre pourquoi Jonas préfère s'en remettre aux valeurs. Prenons l'exemple du piano. Π a été créé avec la fin de pouvoir en jouer et pour cette fin. La fin fait partie du concept du piano, précédait son existence et en est la cause. Ce concept est sous-jacent à l'objet et non le contraire. Ce sont donc son producteur et son utilisateur qui ont la fin du piano. Par contre d'autres objets ont une fin immanente: si ses parties agissantes sont animées par la fin. Par exemple, l'ensemble que constitue la corrida permet de donner un spectacle. Le toréador et le taureau sont une partie du tout. Tout écart par rapport à la fin première attirerait la critique du produit. On peut décrire adéquatement le piano, la lampe, le lit, sans même dire à quoi ils servent. Cela n'est pas le cas pour la corrida. Je dois voir la corrida en action pour comprendre qu'il s'agit d'un spectacle; l'inventaire physique ne permet pas de conclure; elle n'a pas d'existence distincte de la fin. Plus un objet inclut un agir physique, plus on peut le reconnaître. Même la fin d'anéantissement de l'arme nucléaire ne révèle pas la fin de leur accumulation: faire la paix.

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 31

aborderons cette question plus sérieusement au chapitre 4, lorsque nous parlerons de théorie de la décision et de philosophie de faction.

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Dans tous les cas le siège de la fin est !,homme. Us ont été créés par !,homme en vue d'une fin. Or, la fin peut être externe (le piano) ou interne. La Fin en soi est-elle aussi située en l'homme? H n'est pas exclu que les artefacts humains deviennent des fins en soi, contrairement à !,intention première. La préhension est un exemple de fonction naturelle et volontaire. L'intention est purement humaine. Le moyen est différent de la fonction car les mains sont prêtes pour !,utilisation, mais doivent attendre que l'on décide de saisir un objet. Elles remplissent leur fin en le faisant, mais on ne peut dire si elles atteignent ou ratent leur fin si elles sont utilisées à autre chose. L'outil naturel (le membre) trouve-t-il déjà sa fin dans son origine et dans son existence? Lorsque le sujet est humain, on peut s'en remettre à !,intention. La subjectivité est aussi objectivement dans le monde que les choses corporelles. Elle est effective puisqu'elle agit causalement vers l'intérieur et vers !,extérieur. On peut donc dire que le domaine des mouvements corporels volontaires est déterminé par des fins et des buts accomplis objectivement par ceux qui les entretiennent subjectivement; en ce sens, il existe un agir.

Y a-t-il une fin à l'oeuvre dans les processus involontaires? «Chaque organe dans un organisme sert une fin qu'il accomplit par son fonctionnement. La fin englobant, au service de laquelle se trouve la fonction particulière, est la vie de l'organisme en sa totalité»11. La causalité finale se limite-t-elle aux êtres doués de subjectivité? Jonas n'a pu postuler la fin dans le vivant qu'à l'intérieur des limites du conscient, jusqu'ici. Mais il y a deux tendances qui cherchent à expliquer d'où vient cette conscience. A) La première est !'interprétation dualiste: «l'âme» s'empare de certains aspects de la matière qui lui sont accessibles. Le problème de cette interprétation est qu'il faudrait qu'il y ait de l'esprit sans matière, ce qui est indémontrable avec la méthode scientifique qui s'applique justement à étudier les interactions physiques. B) La seconde est la théorie moniste de l'émergence:

Le concept de responsabilité... Chapitre 2 32

Ibid., p. 97.

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