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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Science et cultures Éros ou Érosion ?

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SCIENCE ET CULTURES… ÉROS OU ÉROSION ?

Gina THÉSÉE

Université du Québec à Montréal

MOTS-CLÉS : SCIENCE - CULTURES - HISTORIQUE - ÉTHIQUE

RÉSUMÉ : La science occidentale tend à s’ériger en culture universelle. Toutefois, sa rencontre avec les cultures dites traditionnelles, vernaculaires ou populaires se révèle abrasive. Son élan lui confère l’hégémonie du monde et permet de comprendre ce qui en résulte, l’érosion des cultures. Comment dès lors amener la rencontre sous l’égide d’Éros ?

ABSTRACT : Science, as an occidental vision of nature and man, is being proposed as the universal culture. However, the contact between science and cultures generates some corrosive effects leading to the erosion of the cultures. What should be done in order to invite Eros to take part in this relationship ?

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1. INTRODUCTION

La juxtaposition des concepts pluriels et indéfinis du thème des Journées laisse sous-entendre une mosaïque dont les éléments, équivalents et autonomes, se touchent et coopèrent ou, au pire, s’esquivent et s’ignorent. Or, il s’agit plutôt de la dynamique d’une rencontre entre LA science et DES cultures qui, selon le contexte, sont dites traditionnelles, vernaculaires ou populaires. La triade formée des sciences, des technologies et de leur prolongement, l’industrie, objet de fierté des cultures occidentales, s’est singularisée au cours des deux derniers siècles au point d’être promue aujourd’hui au rang de culture universelle. C’est ce qui nous amène à considérer le concept « science » comme défini et singulier et le concept « culture » comme indéfini et pluriel. La rencontre de leurs valeurs, représentations, savoirs et opérations tourne à l’affrontement. La science exerce une hégémonie de plus en plus prégnante sur les cultures. Quels sont les lieux et les modalités de l’affrontement ? Quels sont les effets sur les cultures ? Nous présentons certains des enjeux de la rencontre entre la science et des cultures. Pour mener la réflexion, nous avons fait le choix d’une posture critique partiale dans le but de dénoncer la logique d’exclusion observée dans les manifestations de la science.

2. LES DEUX CONCEPTS : CULTURE ET SCIENCE

2.1 La culture

La culture est entendue ici au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire, ce qui est au-delà du biologique, ce qui est « construit » socialement. En anthropologie culturelle, la culture comprend l’ensemble des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées par les membres d’un groupe ; elles induisent des attitudes, des représentations et des comportements communs valorisés, reproduits par des voies non génétiques. Hall (1986) la désigne comme une grammaire cachée, inconsciente, qui détermine la manière de voir le monde, définit les valeurs et établit les cadences et les rythmes de vie fondamentaux. Ladrière (2001) la désigne comme l’ensemble des institutions, considérées à la fois dans leur aspect fonctionnel et normatif, en lesquelles s’expriment une certaine totalité sociale et qui représentent, pour les individus qui appartiennent à cette totalité, le cadre obligatoire qui façonne leur personnalité. Ainsi entendue, la culture comprend également tous les systèmes de connaissances et les systèmes technologiques. Une définition de type axiologique propose la culture comme l’ensemble des valeurs qui fondent les aspects normatifs des institutions et les interactions effectives qui tissent la vie de ces institutions. Ces valeurs représentent l’essentiel que doit offrir une culture, soit un enracinement et des finalités, et

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constituent donc son principe intégrateur ultime. En ce sens, la culture permet à l’être humain de s’enraciner, de s’appréhender et de s’orienter tant dans sa vie d’individu que dans sa vie collective. L’enracinement cristallise la quête de sens qui s’opère à travers les actions et dans la poursuite des finalités. Or, les véritables fins de l’action sont d’ordre éthique et, dans une large mesure, d’ordre esthétique, et présentent des significations plus prégnantes que les représentations intellectuelles rationnelles. (Ladrière, 2001).

2.2 La science

Toute culture a sa science. En ce sens, toute science fait partie intégrante d’une culture donnée. Dans notre discours, « La science » réfère à celle qui a été élaborée par les cultures occidentales enracinées dans l’Antiquité grecque, inspirées du rationalisme de Descartes du XVIIe siècle et guidées par le positivisme d’Auguste Comte du XIXe siècle. Ces courants philosophiques, bien qu’ils soient critiqués depuis plusieurs décennies, ont façonné les représentations sociales de la science. Les fondements de l’activité scientifique y sont toujours inféodés ; comme le dit Fourez (1997), le positivisme « vulgaire » est devenu la philosophie spontanée de nombreux scientifiques et imprègne beaucoup de manuels de sciences. Cette science se veut incontestable, de l’extérieur du moins, en s’appuyant sur sept attributs : la rationalité, la réalité, l’objectivité, la neutralité, la vérité, l’universalité, l’utilité. Selon cette perspective idéologique, la physique serait la science par excellence. Vu l’hypertrophie de ce sous-système culturel, la science peut être considérée comme une superstructure autonome, ou qui prétend à l’autonomie, qui est formée de systèmes de savoirs standardisés et offre des outils matériels, symboliques, logiques et conceptuels pour interagir avec le monde.

3. LES LIEUX DE LA RENCONTRE

Science et cultures en interaction se modifient mutuellement. Nous ne nions pas le caractère dialectique de leur rencontre. Cependant, notre propos concerne plus spécifiquement les effets de la science sur la culture dont elle est issue. Quatre lieux ou contextes cristallisent ces effets : le contexte épistémologique, le contexte éducatif, le contexte historique, et le contexte éthique.

3.1 Le contexte épistémologique

Bachelard (1989) pose les conditions psychologiques de la formation de l’esprit scientifique en termes d’obstacles internes. Les obstacles épistémologiques qu’il recense vont de l’expérience première au mythe, en passant par la connaissance générale, la connaissance unitaire et la

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connaissance quantitative, et les obstacles animiste, substantialiste, verbal et la libido. Pour

surmonter ces obstacles et « accéder » à la science, il est demandé à l’esprit d’opérer une mutation brusque qui doit contredire un passé en luttant contre sa tendance naturelle, en détruisant les

connaissances mal faites du sens commun. Selon ces consignes, il faut commencer par l’observation mais se méfier des données sensibles ; il faut observer avec son cerveau mais penser contre lui ; il faut désapprendre pour apprendre ; l’esprit scientifique doit s’affranchir du sens commun et se former contre la nature. Une rupture d’avec le sens commun s’avère donc essentielle, « l’esprit

scientifique ne peut se constituer qu’en détruisant l’esprit non scientifique ». Or, cette exigence de

rupture mutile la pensée et traduit une violence symbolique, au sens bourdieusien du terme (Trabal, 1997). Pour parodier Geneviève Delbos « eux, ils croient (la rupture aura échoué) », mais « nous

savons (la rupture aura réussi) ». Paradoxalement, l’obstacle épistémologique le plus important dans

la formation de l’esprit scientifique semble bien le cerveau humain lui-même, dans son état initial.

3.2 Le contexte éducatif

L’équation d’échec, souvent constatée, de l’éducation aux sciences met en relief la dynamique abrasive qui y sévit. Nous voyons l’échec dans un aspect du processus d’enculturation de l’élève. L’enculturation désigne le processus par lequel une personne s’approprie, par apprentissage, et ce, tout au long de sa vie, une partie de l’héritage culturel que sa société met à sa disposition. Ainsi, l’école est le lieu formel des phases initiales de l’enculturation. Or, la dimension scientifique de l’enculturation de l’élève entre en conflit avec la formation de son identité à une phase cruciale de celle-ci. L’éducation aux sciences fait violence dans le sens où elle impose non seulement des savoirs et un rapport particulier aux savoirs, mais surtout, un rapport particulier à soi. La science évoque pour beaucoup d’adolescents du secondaire l’antithèse de l’image d’eux-mêmes qu’ils veulent projeter ; elle est associée à la froideur, à la rigueur, voire à une certaine rigidité de la personnalité, à un manque de sociabilité, au rejet de l’esthétique et aussi, à un manque de libido. En ce cas, l’exigence d’enculturation par la science conduit à ce paradoxe : la motivation pour les sciences dénote une personnalité inintéressante dont le modèle donne envie de fuir tandis que le succès scolaire en sciences est pressenti comme un échec de soi.

3.3 Le contexte historique

La rencontre de la science avec les cultures vernaculaires des nations non européennes s’est déroulée à partir du XVIe siècle à l’enseigne des dynamiques de colonisation. La « mission civilisatrice » des sciences et des techniques occidentales du XVIIIe siècle les a étroitement impliquées dans les diverses stratégies de l’entreprise coloniale (Petit-Jean, 1999). Les recherches de certains sociologues et historiens des sciences, tels Wallerstein et Adas, permettent de placer les

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sciences et les techniques occidentales au cœur du succès de l’expansion européenne et de la colonisation d’une grande partie du globe. Les technosciences associant les moyens militaires et de communication, les chemins de fer, l’agriculture de plantation et la médecine occidentale, connurent un essor considérable à cette époque et furent utilisés comme moyens de mise en place de la structure coloniale, mais aussi comme symboles d’une « civilisation » avancée et culturellement supérieure. Au XIXe siècle, l’impérialisme culturel s’intensifie et trouve sa justification dans les courants de pensée capitaliste, rationaliste et scientiste. La science fournit le modèle rationnel d’un développement colonial productif, la colonisation scientifique. Pendant ce temps, la mobilisation des technologies occidentales comme procédés d’exploitation des ressources humaines, agricoles et minières asservissent les économies locales, dépossèdent les indigènes et font germer lentement des sentiments de nationalisme et de révolte. Par ailleurs, alors que le phénotype et les mesures anatomiques fournissent des argumentaires d’inégalité des races, l’eurocentrisme peut s’approprier les savoirs locaux, tout en les niant ou en les invalidant comme des croyances ou des «

non-savoirs ». Aujourd’hui, l’exigence de progrès qui pèse sur ces nations exclues les place devant ce

paradoxe : pour être incluses dans le marché mondial, elles doivent « accepter » de recourir aux mêmes outils qui les ont asservis. Notons cependant que les écoliers de ces nations sont en général absents des filières académiques scientifiques.

3.4 Le contexte éthique

Les questions éthiques relèvent de la quête fondamentale de l’humain, celle du sens, que rejette la science hors de son champ d’intérêt. Pourtant, les valeurs éthiques jouent un rôle central dans le système de valeurs d’une culture ; ce sont elles qui commandent les normes de l’action, les modèles de comportement, les principes de choix, les critères d’appréciation et les motivations à l’action. Or, il est demandé de ne pas poser aux scientifiques des questions qui ne sont pas du ressort de la science. Qui alors peut et doit réfléchir sur l’éthique ? Si la science déstructure les systèmes de valeurs d’une culture, comment celle-ci peut-elle mobiliser ces mêmes valeurs pour penser une éthique de la science ? De plus, une éthique « rationnelle », noyautée par la science, est-elle en mesure d’assumer réellement sa fonction de guide de réflexion sur l’ethos… à propos de la

science ? Peut-elle, sans se dénaturer, accepter un principe directeur qui lui est extérieur ? Par

ailleurs, l’éthique a une fonction normative, mais son mode d’action est téléologique. Or, la tendance actuelle est de confondre le débat éthique avec le débat moral, les valeurs éthiques avec des régulations législatives. La réflexion éthique peut-elle avoir lieu dans ces conditions ? Au fait, dans le contexte actuel des biotechnologies, le questionnement autour de la « la dignité humaine », au sens kantien du terme, est-il encore pertinent ? La question des « risques anthropologiques » peut-elle fonder un nouvel argumentaire pour contrer les effets de l’aveuglement positiviste sur la

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réflexion éthique ? (Vacquin, 2002). En somme, l’exigence d’une « éthique scientifique » conduit à ce paradoxe : il est demandé à la science de réfléchir sur les problématiques éthiques qu’elle soulève alors que sa logique instrumentale pragmatique, définie par l’utilité, l’immédiateté et la rentabilité, opère une remise en cause de la pertinence même du questionnement éthique.

4. LES EFFETS D’ÉROSION

La « psychanalyse », au sens bachelardien du terme, de la rencontre entre la science et des cultures suggère une métaphore d’« érosion » des cultures. Un premier effet est la confrontation des représentations scientifiques et traditionnelles qui conduit à l’invalidation de ces dernières et à un sentiment de déshumanisation. Deuxièmement, la science façonne pour l’humain un nouveau décor d’existence qui fait de plus en plus écran entre lui et la nature, entre lui et sa propre nature ; ainsi, les caractères anthropomorphes sont devenus suspects parce qu’apparentés à la faiblesse, à l’ignorance et donc, à l’erreur. Troisièmement, les métaphores réalistes qui ont remplacé les métaphores du vivant ont banalisé le rapport qu’entretient l’être humain avec son monde et ont déchargé celui-ci de signification. Finalement, la science est animée d’un projet interne de puissance et de progrès ; et de plus, sa finalité évacue les finalités autres. Conséquemment, l’anticipation rationnelle à la base du projet modifie le rapport au futur, et par là, le rapport au temps ; le présent est ainsi réduit à la planification du futur et le passé, sans utilité pour le projet, est dévalorisé. De cette manière, s’installe un nouveau schème de temporalité qui a des effets profonds sur l’équilibre des cultures. Les effets négatifs conjugués des technosciences et de l’industrie sur les cultures conduisent à long terme à un sentiment de perte de sens. Et c’est le déracinement des assises affectives, cognitives et sociales qui fait dire qu’il y a bien érosion des cultures.

5. UNE NOUVELLE ALLIANCE SOUS L’ÉGIDE D’ÉROS

C’est le temps du désenchantement. L’ancienne alliance est rompue. La quête de sens est hors-la-loi ; ce n’est pas dans la science que résident les principes fondateurs d’une culture. En ce cas, une « culture scientifique universelle » est-elle possible ? Les théories scientifiques ne peuvent plus supposer la possibilité d’un savoir omniscient et omnipotent. Il importe que la science aille au bout de son criticisme et qu’elle devienne consciente des limites internes que lui assignent ses présupposés les plus fondamentaux. Déjà, au début du XXe siècle, la physique quantique invitait la science classique à remettre en question ses certitudes, ses dogmes. Un siècle plus tard, approfondir

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la réflexion suppose qu’une nouvelle alliance soit scellée ; cela requiert que des valeurs d’altérité, d’intersubjectivité, de responsabilité et de communauté de destin soient instaurées au cœur des dialogues. Elle suppose de faire émerger du sens, des sens multiples. Alors, en accord avec Platon dans Le Phèdre, reconnaissons la dimension érotique présente dans tout dialogue et donnons à la rencontre entre les sciences et les cultures l’impulsion d’Éros.

6. CONCLUSION

Cette analyse a conduit au diagnostic d’érosion des cultures par la science. Cependant, elle se voulait non seulement une dénonciation des exclusions mais aussi, une proposition de réhabilitation de ces exclus de la science que sont le sens commun, l’identité du sujet, les rationalités traditionnelles et le questionnement éthique. Toutefois, elle suscite d’autres questions, notamment : 1) Comment les cultures peuvent-elles accueillir la science sans se perdre ? 2) Comment la science de son côté peut-elle s’intégrer à une culture sans en rompre l’équilibre ? 3) Que signifie l’intégrité d’une culture dans le contexte de la modernité définie par la science ? Reconnaissons d’emblée que pour ce qui est de la problématique de la rencontre entre la science et les cultures, réfléchir ensemble, c’est aussi… agir.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD G., La formation de l’esprit scientifique, Paris : Vrin, 1989, 256 p. HALL E. T., La danse de la vie, Paris : Seuil, 1984, 282 p.

LADRIÈRE J., Les enjeux de la rationalité, Montréal : Liber, 2001, 233 p.

PETIT-JEAN P., Le triomphe du savant colonial, Les Cahiers de Science & Vie, 1999, 50, 30-37. TRABAL P., La violence de l’enseignement des mathématiques et des sciences, Paris : L’Harmattan, 1997, 292 p.

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