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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Introduction aux XXVes Journées L'éloge de l'ignorance consciente ou pour une culture du questionnement

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

INTRODUCTION DES XXVes JIES

L’ELOGE DE L’IGNORANCE… CONSCIENTE OU…

POUR UNE CULTURE DU QUESTIONNEMENT

André GIORDAN LDES, Université de Genève

Président des JIES

L’ignorance est souvent présentée comme la source de tous nos maux. Nombre d’appels de chercheurs, d’organisations internationales sont là pour nous le rappeler en permanence.

« Le nouvel esclavage (est) l'ignorance et la misère. »

Frédérico Mayor, discours d'ouverture du débat de politique général de la trentième Conférence générale de l'Unesco (octobre/novembre 1999)

« Les plus grands maux qui menacent notre planète sont l'ignorance et l'oppression et non pas la science, la technologie et l'industrie dont les instruments, dans la mesure où ils sont gérés de façon adéquate, sont des outils indispensables qui permettront à l'humanité de venir à bout, par elle-même et pour elle-même, de fléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies. »

L'appel de Heidelberg

Dans un premier temps, nous y souscrivons pleinement ; il faut combattre sans relâche l’ignorance… Le savoir est toujours une diminution de notre dépendance. De plus, il peut être plaisir, étonnement, bonheur, passion, création, prévision, explication, action ou aventure.

Certes, le savoir peut ne pas être toujours efficace, il peut s’avérer futile ou décalé, mais l’ignorance dans tous les cas est pire…

Toutefois, allons au-delà de l’évidence… D’abord, l’ignorance reste une composante indissociable de notre société, même quand celle-ci se veut hyper technique. Savez-vous par exemple que les Journées de Chamonix ont manqué de ne pas se tenir ? On l’a échappé de peu ces derniers mois !..

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En vérité, on connaît fort peu de chose, à commencer sur des aspects qui nous sont des plus intimes. Notre corps reste plus méconnu que la planète Mars ! Que connaît-on de la perméabilité de la peau si souvent invoquée dans les publicités ? Que connaît-on sur les mécanismes neurologiques qui permettent de partager durant ces Journées ? Que connaît-on de l’impact sur ces derniers des technologies qui nous entourent : du téléphone portable aux nouvelles pratiques agroalimentaires ? Quelles seront les conséquences à terme ?.. Ne va-t-on pas se retrouver dans les situations comparables à celles de l’amiante ou du sang contaminé ?

La prise de conscience de ce type d’ignorance n’est pas neuve !.. Les écoles philosophiques de la Grèce antique ont beaucoup « philosophé » sur le sujet. Depuis, la Renaissance, puis le siècle des Lumières y sont revenues à moult reprises…

« Qu’est-ce que le sentiment ? comment l’ai-je reçu ? quel rapport y a-t-il entre l’air qui frappe mon oreille et le sentiment du son ? entre ce corps et le sentiment des couleurs ? Je l’ignore profondément, et je l’ignorerai toujours.

Qu’est-ce que la pensée ? où réside-t-elle ? comment se forme-t-elle ? qui me donne des pensées pendant mon sommeil ?… »

« Pourquoi sommes-nous ? pourquoi y a-t-il des êtres ? » Voltaire

Dictionnaire philosophique, Ignorance, Section I

Alors pourquoi ne s’intéresse-t-on pas à nos ignorances à l’école ?.. Cela serait nettement plus sain, plus formateur. En n’enseignant que les aspects que l’on connaît, les cours de sciences dans le secondaire créent chez tout lycéen une idée forte de maîtrise… Or, hors de l’école, l’individu prend conscience avec frayeur ou dédain de toutes les limites de ces savoirs, à commencer par les savoirs médicaux… Ce qui n’est pas sans fortes conséquences sociales. L’image de la science s’en ressent,

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elle ne paraît plus crédible… S’interroger sur nos ignorances en classe ou dans les médias limiterait passablement beaucoup d’irrationnels et de croyances en matière de santé ou d’environnement… Ceci d’autant plus que, si nous voulons être réalistes, la somme de nos ignorances face à celle de nos savoirs nous conduit à une évidence : la plupart des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui nous oblige à prendre des décisions sans connaître tous les tenants et aboutissants. Et ceci dans diverses situations des plus quotidiennes. En effet, comment se situer par rapport à nos ignorances en matière de technologie numérique (mémoire, circuit intégré, ...) par exemple. Tous ces composants sont l’objet de secret de fabrication ou de secret militaire qui empêchent de connaître même leur principe ! Et que faire en cas de panne ? Faut-il se contenter d’y parer en tentant, pour les plus « doués de l’ordinateur », différentes recettes (« forcer le système à quitter », « essayer sans les extensions », ...) ? Ou devons-nous définitivement nous résoudre à être tous des ignorants du numérique ? Faut-il vraiment chercher à comprendre un « bug » ? De toute façon, son explication a toutes les chances d’être statistique !

LES SCIENCES, PRODUCTRICES D’IGNORANCES ?

« Mettre le savoir à la portée du plus grand nombre dans tous les domaines de la connaissance, afin de développer une culture citoyenne et combler le fossé entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas » est ainsi généreux1. Mais est-ce encore raisonnable ? D’ailleurs à quelles conditions est-ce possible ?

Évaluation de jeunes suite à des enseignements

1 « Contre la "fracture du savoir" et l'exclusion culturelle », Rencontre avec Jean-Pierre Michaut, directeur du Centre de

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Trop de pratiques d’éducation ou de médiation scientifiques conduisent à des effets contraires de ce qu’elles prétendent. Les évaluations réalisées montrent qu’elles produisent plutôt de l’ignorance… ou, du moins, des « savants ignorants ». C’est le cas du « public » en général, qui a l’impression de connaître parce qu’on lui a présenté des notions, des expériences, des modèles. Cas typique, celui des élèves qui ont le sentiment de savoir parce qu’ils ont mémorisé des mots, des schémas ou des formules. L’étudiant répète sans comprendre… ou presque !

Nous avons fait une étude comparée de plusieurs programmes européens. Tous, à l’exception des belges, proposent une multitude de détails non situés… Les nouveaux programmes de terminale de Biologie en France, sont devenus délirants de notions éparses. Ils parcellisent les données sans fournir ni aucune perspective, ni aucun repère2.

Programme SVT France 2002

On comprend mieux pourquoi les sciences ennuient, tuent l’étonnement, le questionnement, ...et que le nombre d’étudiants décroît dans nos filières scientifiques3.

2 Rigidifiés par le haut, déterminés par le secteur tertiaire et l’université qui exercent une pression corporatiste, les niveaux inférieurs

ne sont pas mieux traités. Comment prétendre à une initiation de la démarche expérimentale quand il s'agit d'aborder au cycle 3 – même à un premier niveau de représentation – plus de 30 concepts et environ 250 notions ? Voudrait-on décourager élèves et enseignants qu'on ne s'y prendrait pas mieux. Et c'est d'ailleurs ce qui se passe.

3 Au delà de leurs aspects fastidieux, plusieurs raisons à cela : elles ne traitent pas les questions ou les angoisses qu’elles ont généré

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Depuis 1996, le nombre d’étudiants français s’inscrivant en sciences a chuté de près de 13 %. La physique paraît toujours la plus durement frappée (Nature vol. 401, 21/10/99).

En Allemagne, le nombre d’étudiants en première année de physique a baissé de moitié par rapport à 1991 et le nombre des diplômés est insuffisant pour satisfaire la demande de l’industrie et de la recherche (Nature vol. 394, 6/08/98).

Au Japon, le nombre de jeunes chercheurs dans les disciplines scientifiques est passé de 11,6 % en 1977 à 4,5 % en 1995 et de graves problèmes de recrutement sont annoncés pour les années à venir (Nature vol. 391, 1/01/98).

En aucun cas ces curriculums ne fournissent les repères pour notre époque… Nous le dénonçons depuis longtemps. Nous sommes contraints de le dire encore une fois plus fort. Un tel enseignement des sciences ne peut plus durer. Il découpe le savoir, le détache des questions, du contexte ou de l’histoire. A quoi sert-il d'accumuler des connaissances spécialisées si la personne n'apprend pas à les relier, si elles n’aident pas à comprendre le sens de ses actes, si elles ne sont pas élaborées et mobilisées pour lui apprendre à vivre l'aventure humaine, « debout et conscient » ? Sans compter que celui qui sait est souvent imbuvable. Il veut tout expliquer, empêchant ainsi l’autre de s’approcher de la connaissance…

IGNORANCE, SOURCE DE CONNAISSANCES !

Mais allons plus en avant… L’ignorance n’est en aucun cas le contraire de la connaissance… Comme le dit plus élégamment Jean-Louis Martinand dans Slalom 1 (2003)…

« Le savoir n’en finit jamais avec l’ignorance ; et nous devons plutôt nous poser la question des transformations et conditionnements réciproques des savoirs et des ignorances, dans leurs multiplicités et leurs fonctionnalités. Savoirs et ignorances s’échangent, « circulent », se discutent et se « cultivent », en s’adaptant aux usages, aux besoins, aux contextes divers qui nous concernent tour à tour. »

Pour schématiser, il nous faut passer d’une ignorance que l’on peut qualifier de « crasse » à une ignorance « repérée ». C’est-à-dire d’une ignorance qui est enfermement sur soi-même… à une ignorance consciente, consciente d’elle-même. En d’autres termes, il nous faut aller vers une ignorance qui suscite l'étonnement, le questionnement face aux mondes naturels, artificiels, humains ou face aux savoirs établis.

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C’est le challenge de ces Journées que d’élaborer ce que peut être une ignorance qui renvoie à un questionnement mobilisateur. A surfer sur les mots, on a parfois des surprises !.. Peut-être pour démarrer vaudrait-il mieux les sentir intuitivement, c’est-à-dire les mimer.

Anne Fauche mime une ignorance crasse… Anne Fauche mime une ignorance consciente…

Anne ! voudrais-tu nous dire qu’il nous faut apprendre à jouer avec nos « bulles de savoirs », pour prendre conscience de nos limites, pour les repérer, les situer, les relier… et pour nous questionner ? Anne ! voudrais-tu nous dire que nos enseignements devraient nous interpeller en permanence, pour nous rendre curieux, pour nous interroger en permanence sur nous, sur le monde, sur les autres, sur les enjeux… ?

Et si l’ignorance consciente était la curiosité, non pas cette démarche de trou de serrure, mais plutôt ce moteur de vie alors que le savoir figé, c’est l’ennui, l’enfermement, la suffisance ?

Alors comment mettre en place une culture de la question plus que de la réponse ? La réponse n’est-elle pas trop limitée, car dépendante du moment, du contexte alors que la question nous permet de quêter… Dans un monde complexe, en mutation, susciter en permanence, en prenant conscience de ses ignorances4, l’interrogation, le questionnement n’est-ce pas plus pertinent que les solutions-recettes ?..

4

Nos connaissances à propos de ce que l’on ignore jouent un rôle fondamental dans toute recherche ou décision. Les approches d’histoire et de philosophie des sciences montrent très bien comment elles participent à la constitution de connaissances nouvelles. Les ignorances de Linné ou de Cuvier en matière d’évolution ont fait plus progresser la pensée sur ce plan que celles des prétendus évolutionnistes du XVIIIe.

Références

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