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Sociologie des usages et projet architectural

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Academic year: 2021

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Submitted on 18 Mar 2021

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To cite this version:

Guy Tapie. Sociologie des usages et projet architectural. Lieux Communs - Les Cahiers du LAUA, LAUA (Langages, Actions Urbaines, Altérités - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes), 1994, pp.43-50. �hal-03173389�

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SOC IO L O G I E DES USAG ES

ET

P R O JE T A R C H IT E C T U R A L

C ette réflexion sur les relations entre sciences humaines et projet architectural est l'occasion de rappeler la capacité du sociolo­ gue à critiquer, orienter ou induire des choix spatiaux dans la production de projets archi­ tecturaux. Nous avons ici précisé l'intérêt d'une critique sociologique en présentant les niveaux où elle s'applique dans le projet architectural et les formes qu’elle prend : critique sociale, politique ou production nor­ mative de solutions spatiales.

Guy TAPIE

Introduction

Dans nombre d'écoles d'architecture les attentes vis à vis des sciences humaines, et de la sociologie en particulier, sont souvent ambiguës : teintées d'un certain scepticisme quant à leur réel intérêt pour apprendre à produire de l'architecture ; réifiées pour conduire méthodiquement une connaissance des usagers de manière à optim iser une composante architecturale, la fonction et l'u ­ sage 1

1- Cette réflexion sur l'appel au sociologue (ou à toute catégorie d'expert) trouve un écho dans la société globale. Il n'est pas rare que, pour des questions de légitim ités et de maîtrise de la connaissance de la réalité sociale, les médias fassent appel au sociologue pour expliquer un certain nombre d'événements : la crise des banlieues, les manifestations des jeunes et des

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Sans doute fa u t-il y voir les effets d'une pensée manichéenne et classificatrice issue de l'histoire des relations entre sciences hu­ maines et enseignement de l'architecture : les sciences humaines trouvant dans l'enseigne­ ment de l'architecture de réels débouchés à leurs propositions et à leurs influences ; l'enseignement de l'architecture puisant dans les sciences humaines son rationalisme mé­ thodologique pour ordonner ses propres interrogations ou les compléter.

Cet exemple de cohabitation entre deux champs de savoirs distincts ; il nous indique déjà que, par tradition, la sociologie vise à l'analyse et à la compréhension des modes de vie des usagers; le projet architectural impose quant à lu i des devoirs de production et de concrétisation en form ulant des solutions d'habitat.

Cette dichotomie, exacerbée dans un système de form ation privilégiant par essence le projet, ne reflète que partiellement les com­ plémentarités et les concurrences entre ces deux champs de savoirs.

Nous avons eu l'occasion de mener des expérimentations en matière de conception et de production de logements sociaux2 qui intègrent dans des opérations réelles (tant au niveau de la programmation que du projet architectural), une connaissance des modes de vie des locataires fondée sur une sociolo­ gie des modes de vie : connaissance apte en l'occurrence, à dégager des configurations spatiales adaptées à l'usager.

La finalité était de rechercher une adéquation maximale entre les pratiques d'habiter des locataires (instrumentales et symboliques) définies par le sociologue et l'espace architec­ tural conçu par l'architecte. La sociologie est alors directement inductrice de solutions spatiales ce qui ne manque pas d’interroger l'architecte (et les sociologues dans leur capa­ cité à prévoir les comportements des usa­ gers).

Dans l'u n et l'autre cas, un système de forma­ tion ou un système de production de loge­ ments sociaux, l'apport de la connaissance

sociologique est à débattre.

Le savoir légitime sur l'habitant, acquis au sociologue, n'est pas objet de litiges, mais la place de ce savoir dans le projet architectural est l'occasion d'appréciations souvent diver­ gentes.

Ce savoir d o it-il être une donnée qui oriente le projet, lu i donne son sens et le modèle ? La prise en compte de l'usager dans le projet architectural est alors de l'ordre du projet politique (orientant les principaux choix des maîtres d'ouvrages et concepteurs) et pas simplement le résultat d’une transcription technique d'une connaissance sociologique sur l'usager. En d'autres termes, le projet architectural peut il s'amender de toute réfle­ xion sociologique sérieuse sur les usages au nom de son autonomie ?

Inversement, le projet architectural d o it il se plier aux exigences des conclusions du sociologue pour n'être que la mise en espace des attentes de l'usager "sociologisé " ? Ces exigences, au nom d'une connaissance scienti­ fique, garantissent-elles des propositions plus justes pour l'habitant ?

Le débat est ouvert, et notre contribution s’efforcera, pour apporter des éléments de réponse, à sérier les apports relatifs et circon­ stanciés d'une sociologie des usages.

En premier lieu nous identifions dans le projet architectural des aspects qui confron­ tent connaissance sociologique des usages et spécificité3 du projet.

lycéens, la désagrégation et l'éclatement de valeurs de référence... Cette présence est souvent ambivalente : souhaitée pour comprendre une réalité qui "échappe"

mais aussi critiquée car vision d'un expert déconnecté des réalités et "mauthen tique” par rapport au témoi­ gnage brut ; témoignage qui conserve sinon une vertu explicative, du moins une capacité démonstrative sans égale. D’ailleurs la télévision dans de nombreux cas remet à l'ordre du jour cette parole authentique de l'usager , interlocuteur direct et sans interm édiaire du journaliste.

2- Francis Rathier, Guy Tapie : "Penser la cohabitation", 1990, Plan Construction et Architecture.

3- Sans doute fa u d ra it-il dé fin ir avec rigueur les termes de cette association, sociologie des usages et projet architectural, dont la généralité révèle mal l'hété­ rogénéité des approches qui sous-tend chaque champ de savoir, celui de la sociologie d'une part, de la - conception architecturale d'autre part.

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Dans un deuxième temps nous précisons l'in ­ térêt de cette sociologie pour une critique du projet architectural en distinguant : une critique générale, sociale et culturelle, une autre plus politique pour aboutir à des propo­ sitions normatives sur les espaces habités.

Projet architectural et critique socio- logique

L'un des premiers éléments du débat entre sociologues et architectes est de savoir si la connaissance "incorporée" de l'architecte est suffisante pour concevoir des projets en adé­ quation aux aspirations et modes de vie des usagers.

Souvent l'usage ne semble pas forcément poser question car il est naturalisé par l'archi­ tecte et par le système de production dans son ensemble.

Si nous considérons l'architecte, il possède une connaissance plus ou moins forte des usagers. Elle procède de stéréotypes qu 'il a accumulé liés à son expérience individuelle, professionnelle ou sociale. Il y a là des images de l'usager qui interfèrent sur la solution que l'architecte peut penser, édicter et promou­ voir. Images ou connaissance qui ont des effets positifs comme négatifs sur les solu­ tions spatiales produites et sur leurs corres­ pondances aux besoins des usagers.

Cette connaissance résulte rarement d'une analyse, elle dépend d'une acculturation du concepteur et de la m obilisation des informa­ tions du programme (et de la manière dont est réalisé le programme et son contenu). Elle existe donc mais reste par nature partielle. Une hypothèse culturaliste sur la permanence des modes d'habiter et sur les attentes "normées" des habitants étaye l'affirm ation que cette connaissance "incorporée" est suffi­ sante. Opposons à cette thèse les mutations de notre société qui renvoient clairement des interrogations fortes sur l'usage actuel du logement : les transformations de la cellule fam iliale (le développement des familles monoparentales, la présence d'adolescents de plus en plus âgés dans le logement des parents... ) ; les équilibres démographiques se

m odifient ; l'émergence des personnes Sans Domicile Fixes (qui interrogent le logement comme valeur) ; la crise des banlieues d'habitat social... sans compter l'augmentation des attentes qualitatives en matière d'habitat. Il y a matière à interrogation pour le sociolo­ gue sur le sens des productions de logements et sur la manière dont l'architecture traduit ces mutations.

Le deuxième élément de débat entre archi­ tectes et sociologues est la nature fondamen­ talement différente d'une logique d'analyse scientifique et d'une logique de projet (posi­ tion qui conduit à des regards distincts sur l'usager).

Pour déterminer les besoins et aspirations des usagers, la sociologie analyse un état des pra­ tiques (d'abord pour les connaître et les comprendre) pour le reproduire ou le m odi­ fier, en s'appuyant sur une méthodologie de connaissance établie. Dans ce domaine le modèle de pensée est essentiellement déductif et linéaire, le sociologue souhaitant la trans­ cription en architecture des prescriptions q u 'il a pu proposer (qu'elles visent à reproduire des usages ou à les transformer d'ailleurs). Le projet architectural possède une capacité à anticiper les éléments d'une vie future de l'usager et fonde sa spécificité sur un para­ digme de la création et de l'inventivité en raison du travail du concepteur sur l'espace. Tous les projets architecturaux ne sont pas in ­ novants mais l'heuristique im plicite du projet est, pour une grande part, une forme d'anticipation d'un état futur, focalisée autour du travail spatial et formel. Autrement d it par cette capacité de création et d'invention, l ’ar- chitecte/concepteur est médiateur d'aspira­ tions sociales et culturelles et porteur de nouveaux besoins4.

A la différence du modèle déductif qui régit les apports de l'analyse sociologique, c'est le modèle de l'anticipation qui régit le projet

4- Cette capacité s'applique d'abord dans l'enseigne­ ment. Dans la réalité la conception de logements est souvent banale ; l'explication oscille entre le faible désir des habitants à changer, le carcans des normes techniques et financières et la frilo sité des maîtres d'ouvrages et concepteurs à produire du logement innovant, socialisés aux routines d’un système de production.

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d'architecture5.

Cela se trad uit dans le projet architectural dans une "connaissance sublimée", s'appuyant sur une analyse esthétisante et onirique de l'usager (l'eau, la salle d'eau, la pluie, la terre, la vie, le foetus... ) ; travail métaphorique du concepteur faisant appel à l'im aginaire social qui se distingue (ou s'oppose à) d'une connaissance scientifique de l’usager.

Ce travail sur l'usage projeté, lié à un imagi­ naire in dividuel et collectif, n’est pas fam ilier d'une approche scientifique. Il n'est pas sus­ ceptible de traduction opératoire hors de la m édiation des intentions du concepteur : ce qui argumente en faveur de l'autonomie du projet.

Par ce travail sur le projet, l'architecte n'est pas le strict convertisseur dans la forme des désirs de l'usager : il agit sur les pratiques, proposant de nouvelles formes d'habiter et d'habitat.

Le troisième élément de débat entre sociolo­ gue et architecte porte sur le statut de l'usage dans le projet architectural.

La production du projet architectural est un champ autonome de production, avec ses propres finalités, méthodes, savoir-faire... Et si l'usage est un paramètre essentiel du projet, il n'en demeure pas moins un aspect parmi d'autres6. Citons sans ordre logique, ni hiérar­ chie : la symbolique et la culture, l'esthétique et le style, la construction et la technique, l'économique... Le projet est donc une totalité aux enjeux m ultiples qui amènent le concep­ teur à gérer bien souvent en priorité l ’un ou l'autre aspect, selon les époques, les contextes, les opérations... Les architectes soulignent avec justesse que le respect d'un ordre sociologique n'est pas la seule composante du projet mais q u 'il est soumis à l'ordonnance­ ment des différentes dimensions du projet, voire à la tutelle de la composition et de la forme. Des théories différentes existent en matière d'architecture sur le statut de l'usage et il serait erroné de regrouper en une seule et même catégorie toutes les architectures. Néanmoins rares sont les architectures ap­ préciées sur ce seul critère de la fonction et de

l ’usage montrant ainsi que le projet architec­ tural se préoccupe d'autres choses. Pour la sociologie des usages, il serait tautologique d'affirm er que l'usager est au coeur de ses analyses. Cette position peut déboucher sur une position du sociologue représentant l’usa­ ger et ses intérêts, glissement d'une position strictement scientifique vers une autre plus politique si l'on considère les enjeux du projet.

Le quatrième élément en débat est l'idée même de solution dans le projet qui conduit à un "réductionnisme” de la complexité des modes d’habiter analysés par le sociologue : il est de l'ordre de l'im pératif de la production. Les outils de l'architecte (plans successifs à différentes échelles, description des objets construits... ) sont ciblés autour de cet objectif de réalisation et de construction et les conseils / concepts du sociologue doivent trouver une définition opératoire pour agir sur la réalité sociale. La solution bâtie impose au sociolo­ gue de définir des modalités opératoires pour inscrire son savoir dans la production concrète de logements.

Ce passage dans l'ordre des solutions impose des choix, des arbitrages et des négociations qui ne sont pas toujours à l'avantage de l'usager.

Le projet architectural et la pensée sociologi­ que sur l'usage se réfèrent à des structures de pensée et des pratiques relativement diffé­ rentes. Il n'en demeure pas moins qu 'il existe des territoires communs de connaissance per­ mettant de m ultiples points d'ancrage d'une critique sociologique : réflexion générale sur les usages explicites ou im plicites, ou cons­ ciemment développés dans le projet ; analyse du statut de l'usager confronté aux autres dimensions de toute production architectu­ rale ; production par le sociologue d ’un savoir

5- Cela ne veut pas dire que le concepteur n'analyse pas des données ou que l'analyste soit incapable "d'inventions" mais q u 'il s'agit d’habitus différenciés au sens de P. Bourdieu.

6- Composante historique et structurelle comme le montre Daniel Pinson, Usage et architecture, l'Harm at­ tan, 1993.

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à finalité pratique pour intervenir directe­ ment dans les solutions.

Sociologie des usages : approche scientifique orthodoxe et recherches appliquées

Il serait prétentieux de vouloir tracer dans ce texte un bilan des perspectives en matière d'analyse des usagers et des modes de vie. Notons d'abord que cette connaissance n'est pas du seul ressort de la sociologie mais de bien d'autres perspectives : l ’anthropologie, l'ethnologie7, la géographie pour ne citer que celles-là.

Toutes ces sciences, quand elles se centrent sur l'habitat et les modes d'habiter, produi­ sent une connaissance des modes d'occupa­ tion d'un espace, de leurs pratiques et de leurs représentations. L'architecture et l'es­ pace matériel apparaissent au gré des sensibi­ lités de chacun (et des cadres théoriques mobilisés) comme un simple contenant dans lequel s'inscrit une diversité de modes de vie, un élément déterminant des pratiques so­ ciales et culturelles ou un élément de signifi­ cation symbolique (autant matériau d'analyse que variable explicative).

Chaque sous-ensemble d'une sociologie générale peut amener à une connaissance de l'usager en mettant en exergue dans l'occupa­ tion, les usages et le vécu des espaces de vie quotidiens, différents types de facteurs : psychologiques (biographie des individus, habitudes acquises pendant la petite enfance...) ; environnementaux qui caractéri­ sent l'habitat (situation géographique, locali­ sation, disposition des espaces... ) ; sociocul­ turels comme l'appartenance à une classe d'âge, à un sexe, à une catégorie sociale, à un groupe culturel. La diversité des problémati­ ques n'a d'égale que celle des méthodes : enquêtes statistiques8, enquêtes qualitatives ou observations ethnographiques....

Ces approches canoniques, bâties sur des méthodes d'analyse et d'observations scienti­ fiquement validées, fondent une connaissance exemplaire de l'usager. Elles donnent un état

de la manière dont les usagers occupent à un moment donné leurs territoires de vie sans parti pris sur les qualités et les inconvénients d'un espace. Elles constatent, expliquent et débouchent, quand des jugements publics sont sollicités, sur une critique sociale et culturelle.

Cette critique, en s'appuyant sur l'analyse de phénomènes sociaux ou culturels majeurs, ne produit pas de solutions spatiales directement importables dans le projet architectural, sauf de manière marginale.

C’est une critique des évidences et des lieux communs dans l'analyse des modes de vie restituant un phénomène dans la complexité de sa production et de ses significations. La perspective analytique d ’un phénomène est nettement privilégiée sans considération par­ ticulière sur les conséquences pratiques : d'abord comprendre9. L'espace auquel s'inté­ resse cette sociologie n'est pas l'espace archi­ tectural au sens où il est le produit de la pensée du concepteur10 : il est l'espace des pratiques sociales et culturelles11.

Des branches "spécialisées" de la sociologie ont particulièrement fa it référence aux formes matérielles d'inscriptions des pratiques so­ ciales et culturelles (l'espace bâti et architectu­ ré ) : certains n'hésitant pas à parler d'un paradigme de l'espace faisant prévaloir pour comprendre et analyser les conduites hu­ maines, leur dimension spatio-temporelle.

7- Le renouveau des approches anthropologiques ou d'une sociologie à forte connotation ethno-métnodolo- gique confirme la recherche du témoignage "brut” et l'am bition de restitution littérale" de la parole et des pratiques de l'habitant

8- Données Sociales 87, 90, 94, INSEE ; Yvonne Bernard, La France au Logis, Mardaga 1993.

9- Coing H., Rénovation urbaine et changement Sociables

Editions ouvrières 1966 ; Colette Pétonnet, On est tous dans le brouillard, éd. Galilé 1982 ; J.C. Chamboredon et et M. Lemaire, "Proxim ité spatiale et distance sociale : les grands ensembles et leur peuplement", Revue Française de Sociologie, XI Jan/Fev. 1970 ; Richard Sennett, La ville à vue d'oeil, Plon, 1992.

10- A u sens où l'entendent les architecturologues, notamment Philippe Boudon.

11- Pierre Bourdieu joue fréquemment sur la double nature des espaces : espace physique et espace social. Cf. "Effets de lieu" P.. Bourdieu, pl59-167 m La misère du monde, Ouvrage collectif, 1993.

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C'est le cas à l'origine de la sociologie urbaine, de l'École de Chicago mais aussi d'analyses plus récentes en termes d'appro­ priation de l'espace : les premières s'attachent à saisir la dimension territoriale et culturelle de l'espace urbain et des groupes (ou commu­ nautés) qui l'occupent ; les secondes montrent qu'espace et activités humaines s'élaborent de manière dialectique pour créer les lieux per­ tinents de la vie individuelle et collective12. En s'intéressant aux formes matérielles d'e­ xistence, la critique, encore sociale et générali­ sante, se rapproche de la production architec­ turale contestant certaines productions (comme par exemple les effets négatifs et déstructurants de la v ille moderne pour l'école de Chicago) ou soulignant les diffé­ rentes contraintes du cadre matériel. La com­ paraison réalisée par Haumont et Raymond entre la performance de l'habitat collectif et pavillonnaire en matière de hiérarchisation possible des espaces publics privés et publics est significative. La critique est alors nette­ ment plus ciblée car rapprochant les deux cadres de référence in itiau x du sociologue et de l'architecte, pour n'en faire plus qu'un, celui de l'espace13. La critique sociale et cultu­ relle tend alors à devenir davantage prescrip­ tible en prenant comme référence les p o liti­ ques de l'espace. Des experts émergent plus sensibles à cette question spatiale, et d'une critique générale on passe à une critique plus politique, érigeant un jugement sur les politiques de l'État et sur celles des grandes institutions14 en analysant leur adéquation à la société et à ses évolutions.

Recherches-actions et formulations de solutions spatiales.

Comme on l'a vu précédemment la sociologie a des prétentions pour agir sur la production architecturale, sous forme d'une critique sociale générale ou d'une autre plus politique. Son apport peut être plus dynamique : elle possède une capacité à orienter concrètement les choix spatiaux des concepteurs au détri­ ment d'une visée scientifique, produisant

alors une connaissance "normative". C'est ce que nous appelons fréquemment recherches appliquées.

Nous avons utilisé, comme nous l'avons déjà signalé, de telles démarches dans le cadre des expérimentations du Plan Construction et Architecture. L'enjeu était de form aliser la connaissance des pratiques et des usages des habitants de manière à les intégrer dans la dy­ namique des processus de programmation, de conception et de gestion de logements collec­ tifs.

Ces recherches appliquées ont deux caracté­ ristiques fondamentales :

- la première est de s'appuyer sur des savoirs des usagers scientifiquement validés pour apporter des solutions à des problèmes so­ ciaux (ou plus simplement répondre aux besoins complexes des habitants) pour lesquels la capacité d'expertise du sociologue est requise : elle prescrit alors avec plus ou moins grande précision ce q u 'il serait néces­ saire de faire. L’enjeu est de produire une connaissance "plus pertinente de l'usager”. - la deuxième est de devoir intégrer cette connaissance dans les systèmes de production concrets : diffuser cette connaissance ou réfor­ mer des systèmes de production pour prendre en compte l'usager. L'enjeu est de "rendre cette connaissance transmissible" et

ap-12- La littérature est abondante, citons : Chombart de Lauwe P.H. : Des hommes et des villes, Paris, Payot, 1963; Grafmeyer (Y), Isaac (J) : L'Ecole de Chicago : naissance de l'écologie urbaine, Paris, Ed du champ u r­ bain, 1979 ; Hannertz (U) : Explorer la ville, Paris, M in u it . 1983 ; W irth (L) : Le ghetto, Paris, Ed. du champ urbain, 1980 ; "L'appropriation de l'espace", Actes de la troisième conférence de psychologie de l'espace construit, C.I.A.C.O., 1976 ; N. Haumont Les Pavillonnaires, Paris,ed. Cru 2ème ed, 1975.

13- Les termes employés par les architectes et les sociologues deviennent en partie commun au moins dans leur dénomination : il est question d'espace public, d'espace privé, de symbolique... Cela ne veut pas dire pour autant que les objets d'études ou les méthodes soient commîmes et de même nature. 14- Critique qu'a pu produire la sociologie urbaine des années 70 à propos des politiques de transform ations des villes (en particulier Manuel Castells et le courant néo-marxiste) ou plus récemment les politiques d'éva­ luation des politiques publiques (allant des grands programmes nationaux de développement des quar­ tiers en difficu lté à des programmes beaucoup plus ciblés comme "Conception et usages de l'habitat du Plan Construction et architecture).

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propriable par les acteurs de la production (maître d’ouvrage et maître d’oeuvre).

Produire une connaissance plus pertinente

Il s'agit de réaliser une analyse sociologique des modes d'appropriations des logements par les usagers en mobilisant les outils classiques du sociologue : théorie de réfé­ rence (appropriation de l’espace et modes de vie), form ulation d’hypothèses (le rapport formes spatiales et pratiques des usagers), mise en oeuvre d'une méthode (analyse des modalités d'ameublement de l'espace loge­ ment et de ses significations), techniques d'enquête appropriées (entretiens semi-direc­ tifs et relevés graphiques d'ameublement). Le sociologue d o it fournir une connaissance des usagers suffisamment pointue pour l'intégrer dans une approche performentielle du logement et principalement sur toutes les questions ayant tra it à l'organisation de la cellule.

Dans cette logique, le sociologue, l'anthropo­ logue ... désignent de manière "normative" le type d'espace à privilégier. En introduisant cette norme, il donne une connotation p o liti­ que à leur action dans la mesure où leurs pro­ positions affectent directement les solutions proposées : il est un acteur parm i d'autres, négociant pour faire prévaloir son point de vue.

L’analyse sociologique est aussi normative car fréquemment réductrice de la complexité des pratiques spatiales de habitant. Ainsi le logement peut être l ’espace de l'intim e, de l'ego, lieu où l'in d iv id u se replie, régresse, se libère ; l'espace du cercle fam ilial et de ses relations :parents/enfants, adolescent/enfant, autant de statuts qui ordonnent la vie du logement ; l'espace de cohabitation où les voisins, "les autres" sont une référence pour les modes de vie ; l'espace symbolique qui désigne, stigmatise, assoit une identité ; l'es­ pace d'une mémoire individuelle et collective. Bref, une pluralité de significations dont l'objectivation et l'intégration globale dans un projet posent question.

Rendre cette connaissance transmissible

Le deuxième aspect de ces expérimentations est la mise en oeuvre d'un schéma expérimen­ tal afin que les acteurs produisant concrète­ ment ces logements (maîtres d'ouvrages et ar­ chitectes) intègrent cette définition sociologi­ que de l'habitant. L'apport critique de la sociologie est essentiellement au niveau des représentations, stéréotypes ou a p rio ri des concepteurs et des gestionnaires, qui ordon­ nent leurs visions de l'usager et conditionnent leurs choix.

Cela a conduit à proposer des solutions alter­ natives en matière d'organisation de loge­ ments plus en adéquation avec la définition sociologique préalable des usagers. Pour par­ venir à ces propositions alternatives, sociolo­ gues et architectes se sont trouvés associés directement dans la form ulation des solutions (un plan de logement, de bâtiment...), combi­ nant leurs expertises respectives.

Cette connaissance est encore normative de ce point de vue car elle entre dans la production courante de logement devenant ainsi modèle pour concevoir et produire. Son intérêt est bien évidemment sa capacité de produire une connaissance plus pertinente que le système antérieur.

Le "mémento” spatial intègre ces deux éléments, analytique et politique. Il est un moyen de communication possible pour une autre connaissance plus sociologique de l'usa­ ger, opératoire pour le projet architectural.

Le mémento spatial, un o u til de médiation entre connaissance sociologique et projet architectural

Ce mémento15 est un o u til possible de formalisation de la connaissance des usagers.

15- Il a été créé par Michel Conan et le CSTB in itia le ­ ment à propos des personnes âgées : "Méthode de programmation génerative pour l'habitat des per­ sonnes âgées", M ichel Conan, Paris, coll. recherches, Plan Construction et Architecture, 1989. Nous avons eu l'occasion d'expérimenter un tel o u til pour des opéra­ tions de logements étudiants "Le logement étudiant en résidence collective - Mémento spatial", Paris, Plan Construction Architecture, 1991 (avec Catherine Chimits et Francis Rathier).

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Il répond à la connaissance de l'usager estimée partielle dans la programmation clas­ sique de logements où l'usager est traité au travers de normes techniques (types et sur­ faces des logements, nombre de pièces, pres­ tations techniques...), réglementaires (im po­ sées par le système de financement du loge­ ment social) et économiques (analyse du loyer de sortie) : la dimension psychologique, sociale et culturelle n'étant que rarement abordée de manière formelle.

Ce mémento s'élabore sur un principe : il connecte les problèmes d'usages (analysés sur la base d'une connaissance des pratiques des habitants) et la résolution, en termes d'inten­ tions et de suggestions, que peuvent y appor­ ter la conception architecturale et le gestion­ naire, lia n t ainsi dimension sociale et dimen­ sion architecturale. Le postulat est la possibi­ lité à p a rtir d'une analyse des activités quoti­ diennes des habitants d'en déduire des consé­ quences au niveau architectural16.

L'une des vertus principales du "mémento" est d’être finalisé et directement "utile" aux concepteurs ; il crée une connaissance "inter­ médiaire" entre une stricte approche scientifi­ que des modes de vie et celle plus subjective des acteurs opérationnels.

Cette inscription du sociologue dans les modes opératoires (dans la production des solutions) le met en concurrence avec l'archi­ tecte car le premier impose ses cadres de pensées d'autant plus facilement que sa rigueur scientifique et analytique s'oppose à l'esprit d'invention.

Cette pensée sociologique sur l'espace habi­ tant, précédant les propositions de l'archi­ tecte, oriente sur nombre d'aspect sa capacité à inventer les espaces faisant évoluer les usagers. Cette pensée peut vite devenir coercitive afin de faire respecter les attendus de sa production (les règles de vie des usagers inférées de l'analyse des pratiques), corsetant le projet architectural dans ses propres préoccupations. Comme en toute chose la recherche du "juste” équilibre s'oppose à un autoritarisme suffisant et à un radicalisme politique conduisant à l'indéci­

sion.

Le sociologue n'est plus le scientifique mais devient l'expert scientifique ou le conseiller scientifique et à ce titre il n'est pas hors du champ de production de l’architecture mais dans ce champ de production. Cet usage de l'analyse sociologique est une vision positi­ viste traduisant sa capacité à form uler des ré­ ponses plus appropriées à la réalité sociale et aux aspirations des habitants. Encore ne faut- il pas omettre qu’elle n'est qu'une réponse parmi d’autres, sa force dépendant des jeux de négociations et des légitim ités acquises par ces deux champs de savoir et ces deux ac­ teurs, sociologue et architecte.

16- Le mémento d é fin it souvent quatre types d'espaces: espace privés, de transitions espaces collectifs, espaces extérieurs et deux types de pratiques, instrum entales et symboliques : le rapport au logement est envisagé alors dans une globalité ou conditions matérielles, sociales et symboliques sont autant d'éléments des pratiques à connaître pour les intégrer dans l'objet architectural fabriqué.

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