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Collaborer ou coopérer en formation à distance

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Academic year: 2021

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1 N° de la communication : 366-362

Nom de l’atelier : Technologies de l’information et de la communication

Collaborer ou coopérer en formation à distance : un certain apprentissage de l’incertitude

Elizabeth Armao Méliet

Doctorante en Sciences de l’éducation Laboratoire CIVIIC, Université de Rouen

Résumé en français

Cette recherche, qui s’inscrit dans le contexte plus large d’un doctorat en science de l’éducation, a pour ambition de décrire les stratégies sociales mises en œuvre par les apprenants en formation à distance pour lutter contre l’incertitude dans plusieurs de ses dimensions. Nous interrogerons dans un premier temps le terme de coopération, que nous confronterons à celui de collaboration. Puis, nous nous attacherons à étudier ce qu’implique la notion d’incertitude, tant d’un point de vue global qu’en ce qui concerne le contexte spécifique de la formation à distance. Enfin, grâce à l’analyse des interactions langagières relevées dans les échanges sur les différents forums de discussion, nous pourrons montrer à quelles occasions les apprenants collaborent ou coopèrent pour lutter contre l’incertitude. Mots clé : formation à distance, incertitude, forums, stratégies d’apprentissage, socialisation

Résumé en anglais

This research, which is carried out in the wider context of a PhD in Learning Sciences, aims at describing the social strategies developed by distance learning students struggling against uncertainty. We will first study the notion of cooperation, which we will confront to that of collaboration. Then, we will try and deepen the very definition of uncertainty, both on a global scope and in the specific context of distance learning. Thanks to the analysis of language interactions taken from exchanges on discussion forums, we will finally be able to show on what occasions the learners collaborate or cooperate in order to struggle against this uncertainty.

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2 Introduction

La formation à distance mobilise un certain nombre d’outils qui lui sont spécifiques, au service de l’apprentissage. Parmi ceux-là, nous nous intéressons particulièrement aux forums de discussion qui permettent aux apprenants d’échanger par écrit entre eux, avec leurs tuteurs de formation, et avec l’équipe de coordination des formations. Nous proposons ici d’analyser en quoi ils peuvent permettre de lutter contre l’incertitude créée par la distance. Leur rôle est triple : ils permettent une communication « ascendante » de l’apprenant vers le tuteur et l’équipe encadrante, « descendante » de l’équipe encadrante vers l’apprenant, et horizontale, c'est-à-dire entre les apprenants.

Le type d’échanges qui nous intéresse ici est horizontal. Nous souhaitons en effet comprendre quel est le mode sur lequel les apprenants s’investissent dans le groupe en formation ? Adoptent-t-il davantage un comportement collaboratif ou coopératif ? En quoi les forums de discussion contribuent-t-ils à circonscrire une certaine incertitude en formation ?

Pour le savoir, nous devons en premier lieu expliciter les termes de coopération et de collaboration. Dans un second temps, nous étudierons différentes formes de l’incertitude : indétermination, imprédictibilité et perte du futur, contestabilité et confusion (Ehrenberg, 1994 ; Durkheim, 2007 ; Morin, 2000 ; Castel, 2009). Nous tenterons de comprendre en quoi les comportements de coopération ou de collaboration permettent de lutter contre cette incertitude. Pour cela, nous avons relevé les échanges du forum de discussion de la promotion 2014 d’apprenants en formation longue, dans le cadre du titre professionnel de niveau 2 de « Chargé d’affaire en marketing et vente », inscrit au RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles), à Icademie, centre de formation à distance. Enfin, nous avons étudié les interactions langagières qui y ont opéré en nous référant aux travaux de Marie-Louise Martinez (1999, 2005).

Suite à ces analyses, nous avons noté que plus ils acquièrent de l’expérience dans le dispositif, plus les apprenants collaborent, mais que cela ne se fait pas sans heurts.

1. Coopérer ou collaborer

La coopération et la collaboration s’inscrivent dans un ensemble plus large de mode de relations et d’interactions convergentes (Cristol, 2014). Bidart, Degenne et Grosseti (2011) nous permettent de distinguer relations et interactions : « une interaction est ponctuelle, alors qu’une relation est une suite d’interactions entre les mêmes personnes » (p. 23). Dans le contexte qui nous intéresse, nous nous intéressons particulièrement aux interactions. En effet, les relations qui se nouent entre les apprenants peuvent difficilement être étudiées dans leur intégralité et dans leur continuité, les forums de discussion ne constituant pas leur unique mode de communication : ils utilisent également des conférences téléphoniques, des réseaux sociaux, les emails. Nous concentrerons donc notre travail sur ce qui nous est donné à voir dans un délai circonscrit.

Dans ce contexte, la coopération consiste à diviser une tâche en actions distinctes, dont la responsabilité est distribuée aux membres du groupe. Pour Denis Cristol (2014), l’objectif ne peut être atteint que si tous les membres de l’équipe ont fait leur part de travail. Cette configuration nécessite donc des moyens de contrôler l’avancement du travail pour permettre à chaque participant d’évaluer sa contribution :

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La coopération est un processus d’organisation et de contrôle des activités au service d’un objectif collectif. En structurant les actions individuelles et collectives, la coopération permet à chacun de prendre des repères. Chacun est capable d’identifier les étapes à franchir pour mener à bien une activité. Il apprend dans l’action en obtenant un résultat avec les autres et comprend l’interdépendance au sein d’une collectivité. (Cristol, 2014, p. 90)

Dans ce cas, l’apprentissage est une conséquence de l’évaluation de l’action.

La collaboration ne présuppose pas une distribution prédéterminée des rôles. Chacun construit son action, en fonction de l’objectif qu’il fixe à la tâche :

Il s’agit d’un processus d’action collective, sous-tendu par l’engagement volontaire. La collaboration, c’est la fusion des contributions qui s’établit selon les compétences et motivations individuelles. La collaboration nécessite de la transparence, de la confiance et une contractualisation formelle ou informelle. L’apprentissage collaboratif se produit dans l’action avec, et par les autres, soit à l’occasion de ce qui est apporté, soit à l’occasion de ce qui est pris, c'est-à-dire modélisé et observé. (Cristol, 2014, p. 90)

Dans un contexte de collaboration, l’apprentissage est le résultat de l’action elle-même, grâce aux interactions qui se créent pendant l’exécution de la tâche.

La collaboration implique donc davantage d’autonomie de la part de l’apprenant, et exige l’effort d’entrer en relation avec l’autre, tandis que dans le cas de la coopération, chacun peut travailler de façon isolée jusqu’au moment de fusionner les différentes parties de la tâche que chacun aura façonnées de son côté.

La collaboration et la coopération ont sans doute un rôle à jouer bien distinct dans l’apprentissage, en particulier sur les forums en formation à distance. En effet, ils permettent « l’enregistrement et la communication de sens pour l’ensemble du groupe, grâce à la technologie » (Silva, 2003, p. 227). Il ne s’agit donc pas seulement d’espaces d’information, mais aussi d’expression des subjectivités sur une thématique précise. Dans le cadre de notre étude, les acteurs en présence sont les apprenants, les tuteurs et les coordinatrices pédagogiques. Pour savoir en quoi leurs interactions participent à circonscrire l’incertitude en formation, il nous faut d’abord en définir les contours. Marielle Brugvin (2005) identifie l’incertitude parmi les freins à la réussite en formation à distance lorsqu’elle cite Nicole Anne Tremblay (1996). S’il est question dans ce contexte de « tolérer l’incertitude », nous nous proposons ici de chercher à comprendre comment les apprenants peuvent avant tout en prendre conscience.

2. L’incertitude

a) Une mutation de la régulation sociale

Dès la fin du XIXe siècle, pour Emile Durkheim, l’indétermination et l’anomie sont issues d’une dérégulation de la société et renforcées en temps de crise (Durkheim, 2007). Par indétermination, il signifie qu’avec l’effacement des cadres anciens de la société comme la religion, l’hérédité, la famille, ainsi que les corps de métier tels qu’ils existaient dans les sociétés « traditionnelles », les places qu’occupent les individus dans la société ne sont plus déterminées. Tous les individus peuvent ainsi laisser libre cours à leurs désirs – posséder du

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pouvoir ou des richesses – et potentiellement accéder à tous les niveaux de la société, à tous les métiers. Les statuts et les identités deviennent mobiles.

Pour Alain Ehrenberg, « nombre de problèmes relevant de la sphère privée (l'avortement, le divorce, le viol) sont redéfinis comme des problèmes publics et entrent dans la sphère politique. » (Ehrenberg, 1994, 91). Pour lui, « la politique ne doit pas mettre son nez, par justice et police interposées, dans la liberté intérieure qu'est le rapport de soi à soi (...)" (Ehrenberg, 1994, 156). La loi régule désormais des situations anciennement prises en charge par la famille ou les proches. Les modes de régulation changent.

En formation, la régulation intervient à plusieurs niveaux : dans la règlementation de la formation, à travers les référentiels de formation, et dans le cadre posé par l’institution de formation elle-même dès le démarrage de la formation. Il est donc de la responsabilité de la structure de formation d’informer les apprenants et de contractualiser avec eux sur les règles de fonctionnement du dispositif dès leur inscription.

b) Imprédictibilité et perte du futur

Pour Edgar Morin, l’incertitude est une caractéristique de la complexité. Elle a toujours fait partie de l’histoire de l’humanité et de la vie en général. Ainsi, par principe, rien n’est réellement prédictible : « le futur se nomme incertitude » (Morin, 2000, 89). En outre, l’incertitude est un vecteur d’évolution, notamment à travers la déviance et la destruction. Ainsi, « (…) à un univers obéissant à un ordre impeccable, il faut substituer un univers qui est le jeu et l’enjeu d’une dialogique (…) entre l’ordre, le désordre et l’organisation. » (Morin, 2000, 92). Alain Ehrenberg confirme ce point de vue : « L'histoire (...) exprime plutôt l'incertitude de l'avenir. La temporalité n'est plus linéaire, elle se brouille. » (Ehrenberg, 1995, 20).

Dans le contexte de la formation, l’imprédictibilité se concrétise par le surgissement d’aléas. Ils peuvent concerner le contexte global de la formation (météorologie, grèves, événements sociaux, politiques…), la vie privée de l’apprenant (conditions matérielles de la formation, situation personnelle), les intervenants du dispositif (incident ou erreur humaine, changement de référentiel, incidents dans l’organisation) et les pairs qui y participent (désengagement, changement de positionnement…).

c) La connaissance est contestable

Une troisième caractéristique de l’incertitude concerne la connaissance des choses. Edgar Morin (2000) illustre cette définition lorsqu’il nous dit que « la connaissance est donc bien une aventure incertaine (…). La connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes. » (p. 94). Dès qu’il est structuré et investi par un apprenant, le savoir devient connaissance. Il porte alors en lui toute l’irrationalité humaine qui en fait une substance incertaine. Edgar Morin préconise donc de mesurer les risques avant toute décision, de se prémunir contre « du possible encore invisible dans le réel » (p.95).

En formation à distance, l’incertitude de la connaissance peut être rapprochée de deux phénomènes : la mise à jour régulière des contenus et la démarche de l’apprenant pour

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structurer et restructurer régulièrement sa propre connaissance. Nous nous demandons alors en quoi les forums permettent cette actualisation.

d) La confusion des normes et des frontières

Lorsqu’il évoque de « la confusion des normes produite par l’exigence et l’aspiration simultanée à l’autonomie » (Ehrenberg, 1995, p. 248), Alain Ehrenberg dénonce la confusion des frontières entre la sphère privée et publique, notamment à travers la critique de la télé-réalité. Pour l’auteur, ce phénomène nous persuade que « nous sommes tous semblables dans nos difficultés et nos craintes secrètes, que le tréfonds indicible de la singularité est universelle » (p. 251)

Concernant la formation, la confusion intervient lorsque les apprenants ne distinguent pas les frontières de l’intervention des différents acteurs. La responsabilité de chacun doit donc être clairement établie, comprise et acceptée, afin d’éviter les incompréhensions et les doutes. C’est dans l’interaction et le débat réglé que les frontières de l’action de chacun peuvent être construites (Martinez, 2005).

e) L’émergence de l’individu

Le travailleur de Durkheim s’est mué en un nouvel acteur. L’incertitude est le terreau de l’émergence d’un nouvel être social : l’individu. Privé de visibilité, c’est un être abandonné au chaos, entrant dans une véritable quête identitaire que nous décrit Robert Castel :

(…) les itinéraires professionnels prennent fréquemment une allure chaotique et l'individu est plus souvent abandonné à lui-même, parce que son existence professionnelle n'est plus structurée par des régulations objectives et permanentes. Il doit faire face à des situations imprévues, changer de trajectoire, bifurquer, souvent tenter des recompositions plus ou moins aventureuses, rechercher de nouveaux équilibres plus ou moins aléatoires. (Castel, 2009, 145)

L’individu est caractérisé par la référence à soi : « chacun, désormais indubitablement confronté à l'incertain, doit s'appuyer sur lui-même pour inventer sa vie, lui donner un sens et s'engager dans l'action ». (Ehrenberg, 1995, 18). Pour exister en tant qu’individu, les acteurs doivent se dire, se montrer, se qualifier, quelque soit la sphère sociale :

La référence à soi comme mode d'action est un mécanisme général dans sa diversité : il est autant à l'œuvre dans l'entreprise, la famille et l'école que dans les renouveaux religieux, les groupes mystiques ou ésotériques. (Ehrenberg, 1995, 19)

Pour exister, les individus passent par les grands médias comme la télévision ou la presse magazine, mais aussi par la téléréalité et internet. Le Web 2.0 permet à tous de s’exposer, de s’affilier, de se positionner au regard du reste de la communauté via les réseaux sociaux, les blogs, les forums... L’identité se construit à travers la multiplication des témoins de soi agissant.

Ainsi, pour trouver sa place, l’individu doit agir : « Si l'enfant trouve sa place parce qu'il est attendu, l'individu contemporain doit se la construire par la parole et l'action. » (Ehrenberg, 1995, 204). L’apprenant à distance doit donc agir par la parole, de façon proactive, pour prendre la place qui est la sienne. Par l’analyse de la parole écrite, nous

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désirons savoir s’il y a déconstruction de l’incertitude chez les apprenants en formation à distance, et comment elle opère, et quelles sont les conséquences de ce rapport à l’incertitude sur le positionnement des apprenants dans leur relation de travail avec leurs pairs.

3. Analyse des interactions langagières dans les forums de formation à distance

Un forum de discussion est un espace numérique divisé en plusieurs fils de discussion dans lesquels les participants peuvent déposer des messages écrits les uns sous les autres. Chaque message est sensé répondre au précédent. Mangenot (2004) le voit « comme une communication écrite, asynchrone, publique et structurée. Pour Marcoccia, « un forum de discussion est une correspondance électronique archivée automatiquement, un document

numérique dynamique, produit collectivement d’une manière

interactive » (Marcoccia, 2001, p. 23)

La particularité du forum de discussion vient du décalage temporel entre les différentes interventions. Les apprenants peuvent mener une discussion sur une semaine ou davantage. Entre temps, des événements nouveaux peuvent surgir, les interlocuteurs peuvent en outre communiquer par d’autres voies avec le service pédagogique, les autres apprenants et les tuteurs (téléphone, mail, messagerie privée intégrée à la plateforme). Les interactions observées devront prendre en compte ces paramètres qui complexifient l’analyse.

Les apprenants concernés sont des adultes de 25 à 40 ans, souvent en emploi. La formation est un titre professionnel, de niveau 2, enregistrée au Répertoire National des Certifications Professionnelles sous le nom de « Chargé d’affaires en marketing et vente ».

Les tours de parole sont annotés de l’initiale de l’interlocuteur, puis numérotés par ordre d’intervention.

3.1. Discussion « Retour de devoir « swot de notre entreprise » »

La présente discussion commence le 4 septembre 2014, soit onze jours avant la date limite de rendu d’un devoir. Les apprenants ont été informés par le tuteur de ce délai. Le dépôt du devoir doit se faire à partir d’un module de dépôt sur la plateforme de formation. La procédure de correction leur a été expliquée en début de formation, c'est-à-dire jusqu’à six mois auparavant. Malgré cela, les apprenantes s’étonnent de n’avoir pas encore reçu leur note. Ce fil de discussion est typique d’une incertitude centrée sur les règles concernées, à savoir que les notes des devoirs ne sont rendues qu’après la date limite de dépôt.

Les interlocutrices présentes sont au nombre de quatre, une interlocutrice est absente, c’est la tutrice, qui répond individuellement aux apprenants par messagerie privée. On note huit tours de paroles.

La forme des échanges évolue tout au long de la discussion. Très formelle au départ, car elle s’adresse à la tutrice du cours qu’elle vouvoie, elle devient très informelle dès que les apprenantes se parlent. C’est Corinne qui initie la discussion en créant le sujet.

[C1] « Bonjour Madame Dupuis [Tutrice] » « Dans l'attente de votre réponse

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7 Cordialement

Corinne »

Se considérant à égalité, les apprenantes n’utilisent pas les circonvolutions d’usage et se tutoient :

[F2] « Bonjour Corinne » « Tu as de la chance » « Cdt, Fabienne » [C4] « Bonsoir Fabienne » « Corinne »

[S5] « Coucou! » « Voilà! »

Aux tours [C6] et [S7], les salutations de politesse disparaissent, l’échange devient alors une véritable conversation, phénomène accentué par l’apparition d’une ponctuation marquée :

[C7] « C'est logique en même temps ! »

[S8] « De rien Corinne ! C’est ce que je me suis dit en lisant la réponse… !! »

Si la discussion commence par une question adressée à la tutrice du cours, elle se transforme ensuite en un échange entre apprenantes. Corinne et Fabienne sont dans l’incertitude quant à leur note. Sophie intervient et les rassure en rapportant les propos de la tutrice :

[S5] « Je lui ai demandé moi aussi par message, en fait comme la date limite de rendu est le 15 septembre, elle ne commencera à les corriger qu'à partir de cette date là. »

A partir de ce moment, les échanges sont succincts et très informels, les apprenantes n’ont rien à ajouter.

Corinne, Fabienne et Sophie ont collaboré à la construction de la réponse à la question posée à la tutrice car elles ont, chacune de leur côté, sollicité la tutrice sans déterminer un rôle spécifique pour chacune d’entre elle. Leur intention de départ était d’établir une relation de coopération avec la tutrice, car chacun joue un rôle précis dans cette relation : l’apprenante dépose son devoir, la tutrice la note. Par leur discours, les apprenantes définissent chacune dans son rôle, la tutrice étant positionnée hiérarchiquement à un niveau supérieur. Le questionnement révélé par la forme interrogative se mue en incertitude, dont témoignent les points de suspension [F3] et [J8]. Une fois la règle rappelée, les points d’exclamation apparaissent, pour affirmer une évidence. Le doute n’est plus permis. Chacune des interlocutrices (hormis Julie, qui créé une discussion parallèle et semble n’avoir pas compris la réponse de Sophie) a collaboré à la reconstruction de la règle de diffusion des notes de devoirs. A la fin de la discussion, l’incertitude est contrée.

3.2. Discussion « P1 mars – constitution du groupe de travail GFCE pour octobre 2015 »

Ce fil de discussion porte sur l’organisation de groupes de travail dans le cadre d’une évaluation de projet : la création d’une entreprise. La discussion a lieu le 21 novembre 2014, pour un projet sensé démarrer en avril 2015, pour une évaluation en août 2015, soit cinq mois

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avant le début du travail et neuf mois avant l’évaluation. Les apprenants sont chargés de constituer des groupes de deux à quatre personnes. Pauline interpelle les autres apprenants sur le forum pour constituer un groupe. Elle a bien conscience de s’y prendre très tôt. Trois apprenantes vont répondre à son appel.

Les interlocutrices sont au nombre de quatre : Pauline, Claudine, Jeanne, Fabienne. Les propos du service pédagogique sont rapportés par Jeanne :

[J14] : « Icademie n’a pas encore l’adresse du centre d’examen. »

On observe 14 tours de parole : Pauline est la plus présente, avec six interventions, suivie de Jeanne, avec quatre interventions, et enfin Claudine et Fabienne, qui interviennent chacune à deux reprises.

La discussion se structure en trois parties : les présentations et la contractualisation sur le projet « Fil rouge » ([P1]-[P5]), la négociation pour une éventuelle collocation à l’occasion des examens ([C6]-[P9]), et le questionnement sur le lieu de l’examen ([J10]-[P14]). C’est Pauline qui mène la discussion : elle est à l’origine de la discussion, intervient très régulièrement pour répondre aux questions, commenter, préciser : [P1], [P3], [P5], [P9], [P11], [P14]. Elle est également présente très régulièrement sur le forum entre le 21 novembre et le 15 décembre. Son comportement est clairement proactif, dynamique. Elle structure son discours autour de trois sujets : l’organisation du groupe, les conditions qu’elle pose, son projet professionnel. Dans un premier temps, Pauline dirige clairement la discussion, elle pose et rappelle régulièrement les règles :

[P1] : « Je m’y prend à l’avance (…) », « (…) je recherche donc des étudiants pour former ce groupe qui doit être constitué de 4 personnes maxi. », « Pour rappel de mon profil (…) ». [P3] : « (…) il nous faut alors trouver encore 2 étudiants. »

[P5] : « Je suis d’accord pour le groupe de travail et pour la location d’un appart à Aix. » Elle va systématiquement à la ligne pour chaque sujet, son discours est structuré, ses phrases se composent en deux parties séparées par la ponctuation (virgules), reliées par des connecteurs logiques comme des participes présents (« en validant (…), je pourrais (…) ») ou des conjonctions de coordination telles que « donc ».

En décrivant sa situation, Pauline invite les autres à faire de même. Une proximité se créé : [C2] : « Je suis exactement dans la même situation concernant les cartes »

Dans la première partie, il est question de coopération : Claudine attribue la position de coordinatrice à Pauline en lui posant une question. Elle lui attribue la position de « celle qui sait » :

[C2] : « Peux-tu m’aider sur ce sujet ? »

Elle en fait la propriétaire du groupe. En outre, elle pose sa candidature au projet en rappelant la règle édictée par Pauline :

[C2] : « (si ton équipe n’est pas encore constituée) »

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9 [C6] : « (…) je ne sais pas quoi choisir »

Claudine associe ensuite Jeanne à son questionnement, confirmant son propre statut de « celle qui ne sait pas » :

[C6] : « Est-ce que l’une d’entre vous connais bien Aix ? Savez-vous si les plannings des examens sont les mêmes (horaires et jours) sur Paris et sur Aix ? », « Est-ce bien cela ? »

Jeanne ne sait pas non plus. Elle est également en position de questionnement, elle attribue la propriété du groupe aux deux précédentes interlocutrices en utilisant le possessif « votre » :

[J4] : « Je suis intéressée pour faire partie de votre groupe de travail »

Jeanne et Claudine déconstruisent l’incertitude en partageant leurs incertitudes.

La position de Pauline évolue dans la discussion lorsque Fabienne intervient. Fabienne dispose d’une expérience supplémentaire (elle a déjà passé des examens à Icademie), elle peut donc très bien répondre aux interrogations de Claudine et de Jeanne :

[F8] : « Je vous apporte une information ‘‘terrain’’ sur mon expérience des examens à AIX. (…) Je vous déconseille de loger en ville : vous risquez d’énormes bouchons, et les bus n’en parlons pas. »

Son expérience circonscrit l’incertitude et la transforme en information rassurante que Pauline valide. Elle ne peut que se ranger à ses côtés :

[P9] : « merci beaucoup pour tes conseils. »

Elle reprend la main en interpelant Jeanne et Claudine :

[P9] : « jeanne et Claudine, finalement, il vaudrait mieux l’hôtel, non ? »

Cette seconde partie de discussion est caractérisée par une posture de négociation des places entre Fabienne et Pauline. Claudine et Jeanne se positionnent comme « celles qui ne savent pas », Fabienne et Pauline ont chacune la possibilité de contrer l’incertitude : Pauline en organisant, et Fabienne en faisant part de son expérience.

Jeanne fait preuve d’initiative pour résoudre l’incertitude du lieu d’examen dans le troisième temps de la discussion :

[J10] : « demain, lundi, je fais un mail au service pédagogique pour demander comme convenu où se trouve le centre. »

Le lundi même, elle apporte une réponse qui ne résout pas l’incertitude : [J14] : « Icademie n’a pas encore l’adresse du centre d’examen. »

Fabienne tente de résoudre l’incertitude par la logique, mais elle ne s’adresse qu’à Pauline : [F12] : « Pauline, à Aix en Provence, il n’y a qu’un centre d’examen, c’est au siège d’Icademie. »

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Par son absence de réponse, Pauline semble ne pas valider cette logique. La discussion prend fin sur ce silence et sur l’affirmation, de la part de Jeanne, que l’information n’est pas encore confirmée.

Les échanges sont toujours courtois. Au fur et à mesure que la discussion se déroule, et plus le temps passe, plus les apprenantes adoptent un discours informel mais toujours poli. Dans un premier temps, elles adoptent une structure classique : salutations / corps du message / relance (ce que l’apprenante attend de ses pairs) / salutations / signature. Si l’on retire le corps, voici ce qui apparaît :

[P1] : « Bonjour », « Qui serait d’accord pour travailler sur cette matière avec moi ? », « Merci », « Pauline »

[C2] : « Bonjour Pauline », « J’attends ton retour », « Bonne journée », « Claudine »

[P3] : « bonjour, enchantée Claudine », « Notre profil semble un peu similaire, c’est encore mieux », « A très vite », « Pauline »

[J4] : « Bonjour », « Je suis intéressée pour faire partie de votre groupe de travail », « A bientôt je l’espère. Mon mail : ……….@gmail.com », « Jeanne »

Le groupe pourrait presque s’organiser avec ces seules phrases. Lorsque les places sont en négociation, puis lorsque les points de vue s’affrontent, les salutations disparaissent.

L’initiative de Pauline vise à contrer l’émergence d’aléas. Elle sollicite des apprenants bien à l’avance, mais son initiative est vouée à l’échec car les lieux d’examens ne sont pas encore fixés. Elle a cependant participé à contrer une certaine forme d’incertitude en précisant en quoi consiste l’épreuve et en donnant des précisions sur ce qui va déterminer l’organisation de leur voyage :

[P13] : « cependant le lieu d’examen n’est pas encore défini il est indiqué à 3 kms maxi du siège d’ICADEMIE »

A partir de la seconde partie de la discussion, les interlocutrices déconstruisent l’incertitude en distinguant ce qui est connu de ce qui est aléatoire. Cet échange se mue en une collaboration : chacune apporte ce qu’elle sait de la situation de façon autonome afin d’anticiper les aléas, à partir de son expérience. La collaboration ne se fait pas sans opposition, mais toujours dans le respect de l’autre. La suite des échanges se faisant par mail, nous n’aurons pas davantage de données sur ce thème.

3.3. Discussion « exercice corrigé en conf call le 17/07/14 18h15 »

Cette discussion prend place suite à une conférence téléphonique au cours de laquelle un exercice a été corrigé avec le tuteur. Dix personnes y participent.16 tours de paroles se succèdent. Les interlocuteurs les plus actifs sont Jean, avec cinq interventions, Corinne et Fabienne, avec deux interventions chacune.

C’est Corinne qui est à l’origine de la discussion. Manifestement, il a été convenu pendant la conférence téléphonique qu’elle partage son travail, puisqu’elle n’accompagne son message d’aucune explication superflue au-delà des politesses d’usage :

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[C1] : « Ci-joint mon fichier excel, calculs et analyse. »

Elle s’adresse donc aux participants de la conférence, et dans un second temps, à ceux qui n’ont pas participé à la conférence téléphonique. Elle remet son fichier de calculs et d’analyse aux autres apprenants, puis le dépose à nouveau sous un autre format à l’attention des apprenants qui ne parviennent pas à ouvrir le premier document. Son attitude est clairement collaborative. Jean, Emilie et Fabienne adoptent cette également attitude en partageant chacun son travail, sur le même sujet. Emma s’interroge sur l’utilité de sa participation au travail, au regard de ce qui a déjà été partagé, mais personne ne lui répond. Les autres apprenants reçoivent le travail et remercient chaleureusement les contributeurs. Les échanges sont très cordiaux et marqués par des politesses adressées individuellement ou de façon collective :

[S2] : « Merci beaucoup Corinne pour ton fichier », « stp quand tu as du temps? » [J4] : « merci Corinne et encore bravo pour l'analyse »

[J5] : « merci Emilie pour ce compte rendu et ces ajouts sur l'analyse » [F6] : « merci les filles pour vos analyses et pour le compte rendu » [N8] : « Merci beaucoup les filles »

[S9] : « Merci les filles! »

L’utilité de chacun est clairement reconnue par les membres du groupe. Chacun apporte sa contribution de façon autonome au travail des autres, nous sommes clairement en présence de collaboration. Sachant que chacun va partager son travail – ce qui a été convenu pendant la conférence téléphonique – les apprenants collaborent à la construction de la connaissance de tous. Cette stratégie, qui consiste à faire confiance aux autres, vise à contrer l’incertitude. De cette façon, chacun peut actualiser et perfectionner ses connaissances.

3.4. Discussion « Epreuve fil rouge »

Ce fil de discussion porte sur l’épreuve « fil rouge » déjà abordée par la discussion « P1 mars – constitution du groupe de travail GFCE pour octobre 2015 ». Trois apprenantes échangent : Emilie, Sandrine, Bernadette. Emilie initie l’échange, elle demande en quoi consistent le travail et l’examen. Elle semble inquiète, à trois mois du démarrage du projet. Elle ne semble pas avoir consulté le référentiel, ni assisté aux conférences téléphoniques qui expliquent les règles de fonctionnement du module. Son inquiétude transparaît grâce à une ponctuation riche et expressive : points de suspension, d’interrogation, d’exclamation se succèdent et s’associent :

[E1] : « concernant l'épreuve du fil rouge .. », « comment les groupes vont ils se former ?! que faut il faire exactement ? je craint d'être en decallage !

MERCI DE REPONDRE ! »

Elle appuie son inquiétude en rédigeant sa demande en capitales, elle semble davantage produire une injonction qu’une sollicitation. Elle demande la coopération de ses pairs pour fixer les frontières de son travail, distinguer le rôle qu’elle doit y jouer. Pour l’instant, elle

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semble confuse, et cette confusion semble provoquer une certaine panique chez elle. Elle en oublie les politesses élémentaires, hormis une salutation rapide et sans mise en forme : « bonjour ». Elle n’interviendra plus dans la discussion.

Sandrine lui fournit une réponse précise, lui indique les liens à suivre pour trouver toutes les informations nécessaires sur la plateforme. L’institution a en effet réservé un espace à l’explicitation des attendus pour cette épreuve. Cependant, elle ne sait pas distinguer deux épreuves, et c’est Bernadette qui complète sa réponse :

[B3] : « Le fil rouge est une épreuve de Gestion financière (…)

Le consulting RH est également un dossier à préparer en groupe. il ne concerne que le bachelor RH »

Sandrine a coopéré avec Emilie en répondant à sa requête. Sandrine entre quant à elle dans une démarche de collaboration avec Sandrine, car elle déconstruit l’intégralité de sa réponse et différencie les deux épreuves à partir de ce qu’elle sait. Elle ajoute les formules de politesses qu’Emilie et Sandrine avaient omises. C’est Sandrine qui la remercie, signe de l’acceptation de la remise en question de sa première réponse, et de la collaboration qui s’est instaurée.

4. Conclusion

Dans ces échantillons, les apprenants des forums de discussion collaborent ou coopèrent pour quatre raisons : pour s’approprier les règles de fonctionnement de la formation telles qu’elles ont été déterminées par l’institution, pour anticiper les aléas et organiser leur formation, pour structurer et actualiser leurs connaissances et pour lutter contre la confusion. La coopération est demandée par les apprenants qui, ainsi, s’attribuent le rôle de ceux « qui ne savent pas » et font de leurs pairs « ceux qui savent ». Lorsque les pairs possèdent les bonnes réponses, la coopération permet de résoudre le problème posé, mais ce n’est pas le cas lorsque la réponse ne dépend pas que des apprenants. Elle nécessite alors que l’un des apprenants prenne une initiative, ici de contacter le service pédagogique. Dans le cadre de notre étude, la collaboration passe par une opposition des points de vue, puis par la négociation des places et des rôles de chacun. C’est dans la collaboration, c'est-à-dire le travail autonome de chacun sur l’intégralité du problème, que les apprenants réussissent à déconstruire véritablement l’incertitude, puis à proposer une solution pertinente. On remarque en outre que les apprenants les plus récemment inscrits ont davantage tendance à coopérer, tandis que plus ils gagnent en expérience dans le dispositif de formation, plus ils sont susceptibles de collaborer.

On peut remarquer que les politesses se font plus rares en situation d’incertitude, en l’occurrence, ici, en raison de la tension provoquée par l’indétermination des places et des règles, l’imprévisibilité des événements ou la confusion des normes entre elles. Nous avons vu que le rôle de l’institution est primordial, puisqu’à chaque questionnement, c’est sa réponse qui rassure et clarifie une situation, à travers les tuteurs, le service pédagogique ou les référentiels de formation.

Les forums jouent ici leur rôle : ils constituent bien un espace sur lequel les apprenants s’appuient pour construire leur apprentissage dans la coopération, puis dans la collaboration. On observe que des médias sont utilisés en complément des forums : ici il s’agit du mail ou de la messagerie instantanée et du téléphone. Ce sont donc des outils complémentaires à articuler

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entre eux de façon concertée dans le processus d’apprentissage pour favoriser le passage d’un comportement de coopération vers une collaboration active et autonome.

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