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Entre histoire et historiette : le travail ferronien de la citation

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Academic year: 2021

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(2)
(3)

par

Éric Montpetit

Mémoire de maÎtrise soumis à la

Faculté des études supérieures etde la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

MaÎtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises lfniversité McGili

Montréal, Québec

Novembre 2000

(4)

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(5)

Résumé

Ce mémoire présente notre étude du travail ferronien de la citation qui vise à faire «vivre l'histoire comme un roman». Plus précisément, ranalyse porte sur trois historiettes: « De Loudun à Ville-Marie», « Saint Tartuffe» et « La prise Parmanda ».

Nous avons divisé le travail en tonction de deux objectifs

complémentaires. D'abord, retrouver les sources que Ferron a citées et les confronter ensuite aux trois historiettes du recueil dans un tableau comparatif. Le lecteur sera ainsi à même de constater les modifications que l'écrivain a fait subir aux textes qu'il cite.

Le deuxième objectif de notre recherche est l'analyse dans le détail des cas de «déviation» les plus importants: la contretàçon et la copie ~ deux procédés visant chez Ferron à effacer la première occurrence d'une citation.

Nous ne cherchons pas à prendre Ferron en flagrant délit de plagiat, ce qui est sans intérêt, compte tenu du fait que nous analysons non pas les textes d'un historien, mais ceux d'un écrivain. Nous voulons plutôt mettre en évidence la portée de l' intertextualité dans l' inspiration et la composition de trois historiettes ferroniennes .

(6)

Abstract

This thesis presents our study of Jacques Ferron's work on quotation. Jacques Ferron's goal was to let « history live as a novel}). This analysis is based on three littles stories (historiettes): « De Loudun à Ville-Marie »,

«Saint Tartuffe» and «La prise Parmanda ».

We have divided the work into two complementary objectives. Firstly, to find the sources Ferron quoted in order to put them against the three little stories he has written. The reader cao therefore observe the different types of modifications the writer has operated in his sources.

The second objective of our research is a detailed analysis of the most important «deviation}) cases: the counterfeiting and the copying; two procedures that permit Ferron to erase the tirst occurrence of a quotation.

Our goal is not to accuse Ferron of plagiarism \vhich is of no interest due to the fact that we are not analysing the writings of a historian, but those of a writer. We do however. want to emphasize the importance of « intertextuality» in Ferron's inspiration and composition of three littie stories.

(7)

Remerciements

Nous tenons à remercier sincèrement Monsieur Jean-Pierre Boucher pour avoir accepté la direction de cette recherche et voulons exprimer notre reconnaissance à 1~égard de sa générosité, de son respect et, surtout, de sa rigueur intellectuelle.

Merci également à Sœurette dont l~aide technique fut fort appréciée, à ma famille pour la confiance et les encouragements qui m'honorent, à toutes mesblondes~ à Anne-Marie qui est toujours là...

(8)

Table des matières Introduction

Jacques Ferron. «historien»

7

La citation dans les

Historiettes

9

État présent de la critique ferronienne sur la citation Il

Stnlcture élémentaire de la citation

13

Cas de «déviations» de la citation dans les

Historiettes

18

Chapitre 1:De Loudun à Ville-Marie

Tableau comparatif

25

Une historiette (( littéraire»

27

Les sources

31

Ferron, lecteur d'Aldous Huxley

34

Cas de contrefaçon

37

Cas de copie 40

Chapitre II : Saint Tartuffe

Tableau comparatif

46

Une historiette bigarrée

74

Cas de contrefaçon

79

Cas de copie

87

Cas d'invention 90

Chapitre III: La prise Parmanda

Tableau cOlnparatif

93

L'art du salis-entendu

103

Cas de contrefaçon

108

Cas de copie

112

Conclusion

117

Bibliographie

126

(9)

Et pourtant l'histoire vit comme un roman.

(10)

Introduction

Jacques Fe"on, « historien ))

Le thème de la nation occupe une place privilégiée dans la littérature québécoise des années soixante. Prochain épisode d~Hubert Aquin~ Salut Galarneau! de Jacques Godbout ou encore la poésie de Gaston Miron ne sont que quelques exemples d'une littérature qui n'a pas su «échapper au chantage du pays1». Jacques Godbout expliquant par cette expression qu~à

cette époque~ le «service littéraire2 » était obligatoire aux écrivains québécois. Comme beaucoup de ses contemporains~ l'écrivain Jacques Ferron s'est intéresséà l'histoire du Québec. Il déclaraità Jean Marcel~ à la fin des années soixante: « Pour l'instant je reviens à l'histoire, bien décidé de m'imposer comme historien [... ] Le pays m'a paru incertain et mon idée fut la suivante: assurer sa pérennité et ensuite ne plus y penser, écrire en paix, sans souci du pays, comme cela se fait dans les pays normaux.3 » Il s~agissait là d'une étape à franchir avant la nécessaire indépendance des écri vains, 1~auteur sachant qu'il est contre nature

11.Godbout,«Écrire»,Leréformisle, lexIes IraJlquil/es, Montréal, Quinze, 1975,p. 150. 2Ibidem,p. 157.

(11)

d'engager la littérature au service d'une cause. Ailleurs, Ferron a ajouté: «Qu'on sache là-dessus que je m~occuped'histoire simplement parce que la sottise des historiens me tache. On ne peut se fier à rien ni à personne dans ce bordel de pays:~» Il fallait, selon ferron, corriger l'image que les Québécois s'étaient faite de leur histoire. Il s'est consacré à cette tâche et rune des mises en œuvre les plus marquantes de sa pensée sur l'histoire québécoise fut la publication du recueil des Historiettes, en 1969.

Les trente-cinq textes qui s'y trouvent ont d'abord paru dans

l'Information médicale et paramédicale, Situations, Parti pris, l'Action nationale et Liberté, entre mai 1957 et janvier 1969. La tribune des «Historiettes », dans l'Information médicale et paramédicale, fut la plus importante puisque vingt-neuf des trente-cinq textes du recueil en sont tirés.

L~approche de Ferron en regard de rhistoire est particulièrement originale. La dédicace, placée en exergue du recueil, est révélatrice de sa pensée:

à Jacques Hébert qui publie n'importe quoi mais le tàit avec amusement ayant celui par exemple de ne pas me classer parmi les historiens, ces jocrisses, qui, sous prétexte de frégoter (sic) le document, ont été des faussaires et ont tout tàit pour mettre le passé au temps mort - et pourtant

1

'histoire vit comme un

li

roman.'

.JJ. Ferron,«Champlain».HislOrielles. Montréal. Éditions du Jour.«Les romanciers du Jour»•

1969.p.54.

(12)

Les manuels d'histoire n'ont en principe rien de romanesque, du moins pas au sens propre du tenne. Or, le titre du recueil et cette dédicace présentent un parti pris chez Ferron pour la «petite histoire». Le terme «historiette », en partie à cause de son suffixe, ne renvoie-t-il pas à l'expression «raconter une histoire» et donc faire œuvre non d'historien rigoureux, respectueux des tàits, mais de créateur, de fabulateur, de conteur? Il semble àtout le moins que l'éditeur Jacques Hébert considérait [es Historiettes comme des textes littéraires puisqu'il a classé le recueil dans la collection des«Romanciers du Jour».

Malgré qu'elles aient l'apparence d'un essai, les Historiettes constituent une mise en scène dans laquelle on retrouve autant d'éléments fictifs que réels. Le problème est là : même les «faits », les «dates », les «noms », [es «citations» les plus indiscutables en apparence, peuvent révéler des fictions, des artifices, des mythes fabriqués de toutes pièces. Ferron semble se mêler d'histoire par ricochet, utilisant [es personnages les plus connus à des fins fictives, révélant par le fait même ses partis pris historiques.

La citation dans les

Historiettes

Ferron se veut historien (et l'on connaît toute la rigueur méthodologique et ['objectivité que cette discipline exige) tout en plaçant son travail sous le couvert de [a littérature. Les Historiettes constituent une étonnante application de cette conception de l'histoire comme discipline scientifique.

(13)

Le travail de la citation est l'une des techniques récurrentes chez Ferron pour entremêler le réel et la fiction et ainsi manifester sa subjectivité. II existe chez lui un art de citer qui rompt complètement avec les règles établies dans la communauté scientifique. Dans plusieurs cas, l'historien que se veut Ferron présente de flagrants manques de rigueur: citations incomplètes, sans références~ dialogues fictifs~ usage de l'italique sans raisons apparentes, etc. D'autre part, ces «erreurs méthodologiques » dans lesquelles il cite les personnages de l'histoire québécoise sans présenter de sources, rapporte de manière approximative leurs paroles, ou.. plus audacieusement encore, leur prête des paroles purement fictives, deviennent des actes de création par lesquels l'écrivain (et non l'historien) exprime sa pensée.

Dans ce mémoire, nous étudierons la pratique ferronienne de la citation qui vise à tàire «vivre l'histoire comme un roman». Plus précisément, l'analyse portera sur trois historiettes: «De Loudun à Ville-Marie »,

«Saint Tartuffe» et «La prise Parmanda». Nous avons divisé le travail en fonction de deux objectifs complémentaires. D'abord, retrouver les sources que Ferron a citées et les confronter aux trois historiettes du recueil dans un tableau comparatif. Sachant que Ferron ne révèle que très rarement ses sources, ce premier objectif de la recherche a comporté son lot de difficultés. Le lecteur sera ainsi àmême de constater les modifications que l'écrivain a fait subir aux textes qu'il cite. Le deuxième objectif de notre

(14)

recherche est l"analyse dans le détail des cas de «déviation» les plus importants dont nous produirons une typologie.

État présent de la critiquefe"onienne sur la citation

Jusqu'à maintenan~ rien à notre connaissance n'a été publié sur le travail de la citation chez ferron. À ce manque d'intérêt pour cette problématique s'ajoute la rareté des études portant sur le recueil des

Historiettes. Nous voudrions donc, dans la mesure de nos moyens et sans

prétendre aucunement épuiser le sujet, suggérer une approche analytique du recueil basée sur son intertextualité. Le choix de cette approche s'est opéré après la lecture des quelques réflexions formulées sur les Historiettes par les commentateurs de l"œuvre ferronienne et par quelques historiens de métier.

Il apparaît pertinent de consacreràce recueil une étude, comme Jean-Pierre Boucher l'a souligné:

L'historiette offre des perspectives de recherches

prometteuses [... ]. La contribution de Ferron est doublement précieuse, à la fois parce qu~il le ressuscite [le genre de l'historiette], et surtout peut-être, parce qu' il le renouvelle.6

Si le recueil semble mériter qu 'on s'y intéresse, la citation quant à elle suscite aussi un questionnement puisque, selon Pierre Cantin, la rigueur intellectuelle et scientifique de Ferron pose problème:

(15)

La critique, plutôt parcimonieuse, a été unanime à souligner la qualité du style et de la langue. Les rares historiens de carrièreà lire l'ouvrage ont pu lui reprocher le manque de rigueur scientifique, les répétitions de thèmes et l'absence d'indication de sources, mais ils ont tenu à souligner la force d'évocation et

r

érudition du pamphlétaire.7

En effet, Pierre Savard note que Ferron « est honnête homme: il laisse tomber ça et là sans pédanterie une référence àses sources et on sent qu'il a des lectures considérables.8 » La remarque est juste. Les sources ne sont indiquées (lorsqu'elles le sont) que de manière approximative. Ferron ne divulgue que le nom des auteurs qu'il cite, sans jamais préciser le titre de leurs ouvrages. Il s'agit dans la majorité des cas de récits de voyage, de monographies de paroisse, de chroniques de couvents, de lettres colligées en recueils, de relations de jésuites et de quelques ouvrages plus connus: entre autres les

Historiettes

de Gédéon Tallemant des Réaux, les écrits de Cyrano de Bergerac, de Michelet et de Voltaire.

Denis Vaugeois, quant à lui, déplore que Ferron s'en prenne avec autant de véhémence aux historiens «otliciels» que sont Marcel TrudeL Guy Frégault et Lionel Groulx. Il aftinne également que Ferron «a assez de talent pour tâter de tàçon troublante du métier d'historien?» CePendant, Vaugeois ajoute un bémol:

Il peut griffer les uns et les autres de ses collègues d'occasion, le procédé est admis et... largement pratiqué. Mais encore

7P. Cantin,«Historielles», Dicli01l11aire des œuvres lilléraires du Québec,1.4, 1960-/969,p.411.

8P. Savard,«Historiellesde Jacques Ferron».Livres el auteurs québécois/969, p. 181. 9D. Vaugeois, <<Historiettes», Revue d'histoire de l'Amériquefrançaise, 1969.p. 302.

(16)

convient-il de le faire avec ordre et méthode. Et surtout d'éviter soigneusement le défaut dont on accuse volontiers les autres.10

En effet, Ferron accuse les «autres» (les historiens) de « frégoter» les documents de première main dont ils disposent. «Frégoter », néologisme ferronien inspiré du patronyme de 1'historien Guy Frégault., pourrait signifier «manipuler», «trahir », «subvertir» la signification d'un texte fondateur. Denis Vaugeois sous-entend donc que Ferron a lui aussi «frégoté »les documents.

Mais Ferron manque-t-il vraiment de rigueur? Ne respecte-t-il pas plutôt la prémisse qui est énoncée dans la dédicace, au tout début du recueil? L'historiette tèrronienne s'identifiant davantage au conte qu'au manuel d'histoire, la problématique qu'elle présente n'émane pas de l'authenticité de ses citations, mais plutôt des moyens employés pour les «trafiquer», les «subvertir», les «frégoter ».

Structure élémentaire de la citation

La citation est le procédé par lequel on insère dans un texte un passage emprunté à un autre texte, lequel doit toujours être clairement identifié.

Selon Antoine Compagnon, la citation est un «opérateur trivial

d' intertextualité11». Si on la considère en général comme le produit, le

\0 D.Vaugeois.«Historielles». p.302.

IlA Compagnon, La seconde mai" ml le travail delacitalioll.Paris, Seuil, 1979,p.44.

(17)

résultat d'une opération de transfe~ Compagnon, en contrepartie, précise qu'il faut également considérer la citation comme une production, un travail, puisqu'elle «conjoint l'acte de lecture et celui d'écriture12 ».

La répétition est une contrainte liée à la langue parce que celle-ci est constituée d'un nombre limité de composantes (phonèmes~ signes., morphèmes, syntagmes). La langue est engendrée par la répétition structurée de ses composantes., produisant ainsi le discours considéré en linguistique comme une actualisation (mise en contexte) des composantes de la langue. À l'inverse de la langue dont les composantes sont limitées., le discours est infini, l'actualisation ne connaissant pas de limites. Le phénomène de la répétition d'un énoncé d'un discours à un autre a été nommé par Julia Kristeva13 «intertextualité », concept englobé par la «transtextualité »,depuis Gérard Genette14. Afin d'évaluer les situations de répétition du discours (citations), il tàut détenniner un objet d'analyse. Si la langue est composée de signes répétés, le discours, quant à lui, est composé d'énoncés répétés.

La citation, en tant que signe, joue un rôle de renvoi qui nous rappelle son caractère relationnel. La relation entre un texte citant et un texte cité est similaire à celle du signe et son objet. Le texte citant (signe) détermine le texte cité (objet). S'il y a une distinction à faire entre ces deux types de

12A. Compagnon,LSNf.,p.34.

13 Voir 1. Kristeva.Sèméiôlikè,Paris, Seuil, 1969.

(18)

relations, elle repose sur leurs natures divergentes. La relation entre le texte citant et le texte cité, contrairementà la relation entre le signe et son obje~

n'est pas binaire (signe/signifié) mais plurielle (texte2, texte3, texte'h etc.! texte.). La citation se trouve au cœur d'un réseau de textes qu'elle réunit par sa présence dans chacun d'eux. Ses relations sont donc infinies et les correspondances qu'elle établit entre différents systèmes sémiotiques (textes) n'ont pas de limites.

Antoine Compagnon a identifié trois types de relation texte citant/texte cité auxquelles il a donné les figures suivantes: rindice~ l'icône et le symbole. Les deux types de citations que l'on retrouve dans «De Loudun à Ville-Marie », «Saint Tartuffe» et «La prise Parmanda» sont l'indice et l'icône. Nous nous limiterons donc à ces deux figures de la citation.

Compagnon définit ainsi le rapport indiciel ou de contiguïté factuelle entre deux textes :

L'indice est un signe détenniné par son objet en vertu de la relation réelle qu'il entretient avec lui [... ] L'indice est une citation d'auteur: une motion de confiance~ ou de censure (ce qui revient au même du point de vue de la reconnaissance), par laquelle le citateur s'absente, dégage sa propre responsabilité, renvoie l'énonciation.15

15 A. Compagnon, LSM., p. 78. Nous nous pennettons ici une mise en abîme. Compagnon ajoute au sujet de l'indice :«Un cas prégnant en est celui des notes de bas de page dans une thèse, où le sujet s'abolit dans un objet ou une méthode qui, tous deux, s'imposent: dans un mémoire sur Balzac, les citations de Balzac sont avant tout des indices. Le rapport indiciel sera dit de

(19)

Plusieurs citations que ron trouve dans «De Loudun à Ville-Marie», «Saint Tartuffe» et «La prise Parmanda» correspondentàcette typologie. Ferron s'appuie en effet sur plusieurs auteurs pour corroborer ses propres affirmations. Il Y a donc un rapport de dérivation continuel entre les

Historiettes et les textes cités.

Le rapport de similarité factuelle, quant à lui, est caractérisé par l'icône, que Compagnon décrit dans les termes suivants :

L'icône est un signe déterminé par son objet en vertu de sa nature inteme~c~est un signe qui porte en lui des caractéristiques physiques de l'objet~ il exhibe quelque qualité ou contiguration

qu~il a en partage avec l'objet.16

Nous verrons que quelques citations de Ferron dans les trois historiettes choisies présentent les caractéristiques de l' icône. Le pastiche, la copie, la réterence implicite à un autre texte en sont des exemples concrets. En ce sens, le citateur ne désire pas présenter une preuve de ce qu'il avance ou encore donner le relais de rénonciation, mais plutôt emprunter une fonne., un thème, dont la propriété est d'emblée reconnue et attribuée à un autre auteur.

Dans le cas de l'indice comme dans celui de l'icône, ce transfert qu'ils opèrent «délie à jamais la citation du référent, l'«idée» qu'énonçait l'expression en premier lieu, le ground du signe, et lancent la série des valeurs qu'elle prendra en répétition, les valeurs et la répétition n'abolissant

(20)

jamais le hasard à l'origine de la citation.17» Le sens d'une citation dépend

essentiellement de la volonté du citateur. Nous pourrions croire, comme c'est le cas pour le signe, qu'il Ya une dénotation et une connotation de la citation. Or, la signification de la citation est celle produite dans le premier texte etdans tous les autres textes où elle se trouve. Cependant, une chose paraît certaine: toute citation tente de «saisir ou de dissoudre la relation originelle et indéfinie avec l'objet.18»

On ne peut parler du travail de la citation sans évoquer la problématique de la propriété privée.

n

existe des conventions en matière de présentation matérielle de la citation qu'il importe ici de rappeler. Tout transfert de texte doit conserver son objet intact et, par conséquent, ne pas «dissoudre la relation originelle et indéfinie avec l'objet». La citation ne peut en rien être altérée. Le citateur se porte garant de l'authenticité d'une citation en utilisant les guillemets pour l'encadrer. Compagnon rappelle àce sujet:

Ce que les guillemets disent, c'est que la parole est donnée à un autre, que l'auteur se démet de l'énonciation au profit d'un autre: les guillemets désignent une ré-énonciation., ou une renonciation à un droit d'auteur.19

Cette conception de la propriété privée des textes et des idées qu'ils véhiculent engendre une série de conventions qui régissent le travail de la citation. Toute citation est en principe accompagnée d'informations

17A. Compagnon,LSM.,p. 67. IKIbidem,p.64.

(21)

précises: nom de r'auteur, titre du livre, lieu d'édition, nom de l'éditeur et année de publication. Laprécision de ces informations varie en fonction du type de texte. Plus le texte se veut scientifique (ou théorique), plus les informations qui accompagnent les citations sont précises.

Il arrive que le citateur se Permette de modifier le texie qu'il cite. Ce genre d'intervention est permis dans la mesure où le citateur respecte l'esprit du texte cité. Il peut alléger une citation trop longue par la suppression d'une de ses parties, celle-ci sera alors remplacée par les points de suspension placés entre crochets ( (... ] ), ces derniers indiquant cette suppression. Lorsque le citateur veut clarifier une citation, la rectifier ou en préciser le contenu, il peut intervenir dans le texte par interpolation, opération qui consiste à insérer dans la citation un contenu supplémentaire et complémentaire. Son intervention devra encore une fois être indiquée par les crochets. Toute modification de conjugaison ou de temps de verbe doit également être signalée entre crochets.

Cas de«déviation» de la citation dans les Historiettes

Devant ces règles méthodologiques entourant le travail de la citation, on se doute bien qu'il existe de nombreux cas de «déviation}). Compagnon qualifie de «brouillages» ces cas où le citateur dissout la première occurrence de la citation. La citation inexacte, est-il nécessaire de l'affirmer, est considérée comme un véritable acte de trahison. Elle semble

(22)

inadmissible et discrédite le citateur. La citation crée une dépendance entre les deux textes qu'elle met en relation. Toute modification qui n'est pas indiquée par le citateur est conséquemment un acte de transgression qui rompt cette dépendance.

Les cas de déviation étudiés par Compagnon sont de deux ordres: régression et perversion. C'est au deuxième ordre que nous nous intéressons dans cette recherche. La perversion est une «déviation du code, mais elle ne le détruit pas. [... ] [E]lIe perturbe la structure des échanges dans le discours et la propriété littéraire. C'est le vol (le plagiat), [...

fO».

Les nombreux cas de perversion de la citation visent à améliorer son adéquation au texte qui la répète. Pour ce faire, le citateur pratique l'interpolation ou encore la suppression sans toutefois utiliser les crochets identifiant ces manipulations. La perversion consiste donc à altérer secrètement le texte cité sans l'indiquer au lecteur. Compagnon parle également du «jeu », de 1'« excès» et de la «série », trois autres cas de

«déviation» qui ne se trouvent pas dans les Historiettesde Ferron.

Nous retiendrons pour fins d'analyse les cas de déviation suivants: la contrefaçon et la copie. La contretàçon établit une correspondance entre deux textes à partir des procédés d'interpolation et de suppression visant à favoriser l'adéquation entre le texte citant et le texte cité. La copie, de son

(23)

côté~ est selon Compagnon une « aberration [... ] qui abolit I~indépendance des deux systèmes [texte citant/texte cité], qui les accouple ou même les contond [... ] 2]». Le plagiat, la tiliation, l'homothétie, le nivellement et la réduction sont autant d'exemples de copies. Cette pratique vise à

«confondre et aplatir différents registres d'énonciation ou àpermettre entre eux des échanges~

r

effet étant bien de dissoudre la notion d'auteur, par l'imprécision sur sa place, son lieu dans le texte.22»

L'étude du travail de la citation dans les Historiettes de Ferron permettra de mieux comprendre sa vision de l'histoire et de la littérature. On observera avec étonnement la pratique tèrronienne de la citation, sa tàçon de composer àpartir du texte des autres. En ce sens, le «palimpseste» tel que le définit Genette, convient toutàfait à l'écriture ferronienne. Les trois historiettes étudiées ici sont des « œuvres dérivées d~une œuvre antérieure~ par transformation ou par imitation.23 » L'histoire pour Ferron semble intimement liée au conte, à l'imaginaire collectif Jean Marcel, dans un article sur Ferron, soulignait justement rintérêt particulier de récrivain pour 1~histoireen tant que narration:

Cette conception de l'histoire explique en grande partie que Jacques Ferron se soit acharné avec une tenace sévérité contre les historiens~ préférant aux historiens «scientifiques» ceux pour qui l'histoire est avant tout fondée sur des «effets de narration» (Jean-Baptiste Ferland etMichelet).2~

21 A. Compagnon,LSM.,p. 371. 22Ibidem, p. 387.

23 G. Genette, Pa/impsesles, quatrième de couverture de ('édition du Seuil,« Points/essais», 1982. 241. Marcel,« Jacques Ferron ou l'histoire au futur»,LeDevoir, 10 novembre 1973, p. 27.

(24)

Il s~agit bien ici de la narration du conteur et non de celle du scientifique rapportant objectivement les faits. Les Historiettes témoignent également

de la liberté de création et d'appropriation que pouvait s'offrir ferron.

Les trois historiettes que nous nous proposons d~étudier ont à leur origine fait partie d~un projet de rédaction mené par Ferron dans le but de revoir les mythes fondateurs de 1'histoire québécoise. Ces trois textes portent sur la création de la ville de Montréal~au XVIIesiècle. Ferron écrit

àce sujet:

C'est ici que commence l'histoire de Ville-Marie.. une histoire qui ne durera guère: dès les 1665 Ville-Marie sera devenue Montréal. Mais c'est une histoire de tant d~ intrigues~ d'exagérations, de mensonges, d'encre, qu'elle est devenue fabuleuse. Nous en avons tiré des mythes grotesques, un héros national sordide..,0:; Après trois siècles, elle nous empoisonne

encore.--Son projet dépasse largement le cadre des trois historiettes présentées dans ce mémoire. rI y a eu en tout cinq historiettes consacrées au sujet et portant le titre général «Des MistigochesàTartutè26 ». Ce projet s'est étalé sur six années, soit de 1959à 1965.

Notons tout d'abord que «De Loudun à Ville-Marie» ne tàisait pas partie du projet, que cette historiette est le seul texte inédit du recueil. Son étude constituera le premier chapitre. À l'intérieur du projet, la première historiette, «Lors vismes leur mauvaisté», relatait l'arrivée de Jacques

1S1. Ferron,«Lors vismes leur mauvaisté»,Historielfes,Montréal. Éditions du Jour, 1969, p. 52.

26Pour des raisons inconnues, Ferron orthographie le nom du personnage parfois avec un«f».

(25)

Cartier en Amérique et les premiers contacts entre Européens et Amérindiens. La deuxième historiette du projet fut à ('origine publiée en trois parties. La première ad" abord paru dans la revue Situations, en 1959.

À

ce premier texte, Ferron a greffé une autre historiette intitulée «Saint Tartufe », publiée en deux parties, sur deux numéros successifs de la revue

L'Information médicale et paramédicale. Le collage de ces trois textes a produit«Saint Tartuffe }}27. Cette historiette d'une longueur appréciable (la plus longue du recueil), véritable patchwork, sera analysée dans le deuxième chapitre. La troisième partie du projet, demeurée authentique dans le recueil, s'intitule «La prise Parmanda»28 et fera ('objet du

troisième chapitre. La quatrième historiette de ce projet s'intitule «La troisième mort de Dollard». Dans le recueil, son titre a été changé pour «Sieur Dollard, trois fois mort »29.

Nous avons préféré laisser de côté la première partie du projet de Ferron ainsi que la dernière pour la raison suivante. Les trois historiettes retenues dans ce mémoire font partie d'un même projet et, de surcroît, elles présentent les mêmes sources. Ce n" est pas le cas des deux historiettes intitulées «Lors vismes leur mauvaisté» et «Sieur Dollard, trois fois mort», dont les sources sont, entre autres, des relations de jésuites (celle de Paul Ragueneau, par exemple), d'autres annales (celles de Sœur

Saint-271.Ferron,«Saint Tartuffe»,Historie/les, p. 60-86. 281.Ferron,«Laprise Parmanda»,HislOrielles,p. 127-135.

(26)

Augustin) et le récit de voyage de Radisson. Nous les laissons donc de côté.

Les résultats de notre recherche sont présentés de la manière suivante: dans chaque chapitre, on trouve des tableaux comparatifs exposant dans la colonne de gauche le texte de Ferron:! tel qu'il est présenté dans le recueil des Historiettes, avec ses erreurs et ses coquilles. Dans la colonne de droite, nous présentons les passages tirés des sources citées par Ferron. Ces trois tableaux constituent la pièce de résistance du mémoire puisqu'il a fallu de longues lectures pour arriver à débusquer le nombre considérable de sources citées dans les trois historiettes choisies.

Le

lecteur remarquera que nous présentons des sources là où, parfois, Ferron n'la pas indiqué, par

l'usage de guillemets ou encore d'lune note de bas de page, qu'il citait un autre texte. Les caractères italiques qui sont utilisés dans les tableaux appartiennent aux historiettes de Ferron ou aux sources qu'il a citées. Nous nous sommes accordé le droit de souligner, dans les deux colonnes, les passages présents à la fois dans les Historiettes de Ferron et dans les textes qui lui ont servi de sources.

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Chapitre 1

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TablellM comparatif

« De Loudun à ViUe-Marie» Sources

(2) Ces voyages se fesois la plupart du temps la heire sur le dos, sur des épaules pouries. (Sœur Morin, Annales del'Hôtel-Die"deMontréal, p.129)

(1) Peu avant la fondation de Ville- (1) On a cru que la diablerie de Marie et la création de Tartuffe, les Loudun ne fust point arrivée sans luy, dames Ursulines de Loudun devinrent car Grandier, curé, et les capucins de un peu follettes, du mOlos se LoudUl1 disputoient à qui auroit la plaignaient-elles d'être possédées par le direction des Religieuses qui furent Diable, ce qui, eu égard à leur vœux, ne ou qui firent les possédées, et il y eut laissait pas d'être inconvenant. On fit un capucin tué [...] Cependant, [... ] venir les Capucins, qui les exorcisèrent [la] vengeance des Capucins, fut de la bonne façon, c'est-à-dire que le cause que Grandier fut bruslé tout vif Diable dénonça le curé de Loudun, [...]. Ce Grandier avoit esté galant. et Urbain Grandier, dont on voulait avoit fait quelques ennemys dans la justement se débarrasser. Ce Grandier ville qui lui nuysirent. (G. Tallemant était un homme fier, d'esprit trop des RéaUI, «Le père Joseph 1 Religieuses

éclairé pour l'époque. Le voilà traduit de Loudun»,p.2~297) en justice et sur le point de gagner son

procès, car les juges civils ne se laissent pas convaincre par les moines et leurs dévergondées; à ce moment, assez curieusement, les possessions cessent. Elles reprendront après l'arrivée de l'envoyé spécial de Richelieu, qUI voulait la peau de Grandier. Certaines religieuses avouèrent par la suite qu'on avait

demandé d'aider le Diable à se

manifester. La machination aboutit: Urbain Grandier fut mis à la question et exécuté. C'est une affaire assez atroce, qu'Aldous Huxley vient de rappeler dans un livre, que je conseille aux dévôts (sic); ils verront de quel limon sort Tartuffe et sa (2) haire.

De Loudun passons à Ville-Marie, la distance n'est pas si grande, grâce au fameux Jérôme Le Royer de la (sic) Dauversière, pl us connu au Canada qu'en France, quoiqu'il n'ait jamais mis les pieds ici. C'était un homme qui mêlait étroitement les affaires et la religion. Il capta ainsi la confiance de beaucoup de pieuses Personnes. Quand il mourut, ruiné, car il était semble-t-il

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plus habile à montrer sa haire qu'à commercer, nos bonnes religieuses de l'Hôtel-Dieu ne furent guère avantagées: (3) «Monsieur Le Royer, écrit Soeur Morin, ayant leur fondation en ses coffres, aussy tost gu'ilfut mort ellefutprise avec tout ce qui luy restait de biens; ce gui mit ses héritiers hors d'estat d'y jamais satisfaire».

(4) Le pauvre homme!

(3) Il avoit leur fondation en ses coffres et comme il estoit comptable du Roy, aussy 10st qu'il fut mort elle fut prise avec tout ce qui luy restoit de biens; ce qui mit ses héritiers hors d'estat d'y jamais satisfaire [u.] (Sœur Morin, Alllla/es de l'Hôlel.Die,, de MOlltréaJ, p. US)

(4) En une petite ville de quelque province de France, un homme de la Cour alla voir un capucin. Les principaux le vinrent entretenir; ils luy demanderent des nouvelles du Roy, puis du cardinal de Richelieu.

«Et après, »dit le gardien, «ne nous

«apprendrez-vous rien de notre bon

«Père Joseph? - Il se porte fort bien;

«il est exempt de toutes sortes

«d'austeritez. -Le pauvre homme! Disoit le gardien. -Il a du credit; les

«plus grands de la Cour le visitent

«avec soin. -Le pauvre homme! -Il

«a une bonne littiere quand on

«voyage. -Le pauvre homme! - Un

«mulet pour son lict! -Le pauvre

«homme! -Lorsqu'il y a quelque «chose de bonàla table de Monsieur

«le Cardinal, il luy en envoie. -Le «pauvre homme!» Ainsy à chaque article le bon gardien disoit: Le pauvre homme! Comme si ce pauvre homme eust esté bien à plaindre. C'est de ce conte-là que Moliere a pris ce qu'il a mis dans son Tartuffe,

où le mary, coiffé du bigot, répete plusieurs fois: le pauvre homme! (G. Tallemant des Réaux, «Le père JosephlReligieuse5 de Loudun», p. 295-296)

Il était mort de la (5) gravelle. (6) (5) [... ] la gravelle, la pierre, un

«Loin de songer à atténuer ses maux, ulcère dans le conduit et une colique écrit Soeur Mondoux, il garda sous ses nefretique qui avoit rempli les artères habits la haire, dont il était de petites pierres, qui ne pouvant

(30)

coutumier». Le œuvre homme! passer causoient des maux extrêmes. D7

ailleurs on pouvait prévoir sa (Sœur Morin, Âllilales de l'Hôlel-Dieu de

banqueroute: son ami de Kériole~ qui Molllréal,p.129)

s7était converti à Louduo7 avait (6) Le Royer7 ainsi souffran~ franchit

à cheval l'étape qui le séparait de La Flèche; e~ loin de songer à atténuer ses maux, il garda sous ses habits la

haire dont il était coutumier. » (Sœur

Mondou~L 'Hôtel-DieIIl•..},p. 172)

entendu le démon dire (7) «Par la (7) Dans le mémoire du petit-fils de bouche des possédées, qu'elles La Dauversière, on lit que, en 1659, le renverseraient la terre et 17

enfer pour célèbre abbé de Kériolet, ayant perdre Jérôme et sa famille. » Le demeuré plusieurs mois chez Le

pauvre homme! Royer, lui avait confié avoir entendu

Est-ce que j'insinue que Jérôme Le le démon dire, «par la bouche des Royer de la Dauversière ait pu servir de possédées, qu'elles renverseraient la modèle au Tartuffe de Molière? Il me terre et l'enferpour perdre Jérosme et semble bien. On aura toujours pour le sa famille et la Maison de Saint-réhabiliter, le pauvre homme, le Joseph de la Flèche». (Ibidem,p. 173)

témoignage des possédées de Loudun.

(J. Ferron, «De Loudun à ViUe-Marie», p. 42-43)

Une /,istoriette «littéraire»

Contrairement à toutes les historiettes du recueil, «De Loudun à Ville-Marie» est inédite, ce qui soulève une question: pourquoi Ferron a-t-il senti le besoin de composer ce court texte? La nécessité d"introduire" dans le recueil" le thème de la fondation de Montréal est la seule hypothèse paraissant valable. En effet" Ferron revient sur ce moment historique dans plusieurs historiettes, tentant d"éclaircir les enjeux de rétablissement de cette ville tout en analysant les hommes et les femmes qui ont présidé àsa fondation. C'est surtout au « personnage» de Jérôme Le Royer de La

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Dauversière que Ferron s'intéresse, récrivain prétendant que La

Dauversière serait le modèle du Tartuffe de Molière.

D'une tàcture très peu scientifique, «De Loudun à Ville-Marie» présente les caractéristiques d'un récit littéraire. Ce ne sont pas tant les événements ou leur chronologie qui intéressent rhistorien que se veut Ferron~mais plutôt le « personnage principal» de La Dauversière. Il existe donc une différence fondamentale entre le texte de Ferron et celui d'un historien : le mode de présentation des tàits. Ferron décrit ses personnages historiques à la manière d'un écrivain.

On retrouve dans cette historiette différentes composantes fonnelles propres à tout récit littéraire: un espace et un temps clairement définis par le biais du titre «De Loudun à Ville-Marie»~ la description d'un personnage; un ton particulier et constant dans le récit, l'ensemble de ces éléments formant un tout cohérent. On est tenté devant une telle description de l'historiette de s'objecter, d'affirmer que ces caractéristiques sont également présentes dans tout essai sur 1'histoire.

En effet~ il n'y a pas de différence marquée entre les deux pratiques que sont l'histoire et la littérature dans la désignation des villes de Loudun et de Ville-Marie qui rappellent l'époque de la colonie où maints Français traversaient pour s'établir en Amérique. Ces informations évoquent par la

même occasion la double nationalité de ces premiers colons. La

(32)

important puisque rapidement dans la courte histoire de la Nouvelle-France, Ville-Marie deviendra Montréal.

Pourtant., la présence de l'écrivain se fait sentir dans la tonalité du texte et la description de La Dauversière qui visent toutes deux à faire du personnage un hypocrite. Cette cohérence textuelle, propre àtout récit qui se veut littéraire, repose également sur le thème de la tromperie présenté au tout début de l'historiette. Le premier paragraphe, énigmatique à cause de l'imprécision des informations qu'il livre, dresse un portrait négatif des religieuses de Loudun qui ont, par leur mensonge, provoqué l'exécution d'un autre religieux: Urbain Grandier. Cet événement que Ferron semble juger historique est mis en relation avec deux autres: la création du

Tartuffe

de Molière et la fondation de Montréal. Cette curieuse association entre trois événements de nature hétérogène laisse cependant deviner le sujet et le ton de 1'historiette: la tromperie. La teneur des liens entre les événements n'a dès lors plus aucune importance. Ferron ne se préoccupe pas de la distance historique entre Urbain Grandier et Jérôme Le Royer de La Dauversière~ distance plutôt considérable si l'on considère que ces deux individus n'ont en commun que le fait d'avoir été victimes àdeux moments différents de la tromperie des Ursulines. Ce qui occupe bien davantage l'historien improvisé, c'est le ton ironique et le thème de la tromperie qui doivent transcender toutes les composantes du texte.

(33)

La description morale de La Dauversière n'est pas, elle non plus, typique du travail d'un historien. La Dauversière était habile à « mêler les affaires et la religion », il «capt[ait] la confiance» de «beaucoup de pieuses personnes» et il était « habile à montrer sa haire». Ces trois révélations (on serait tenté plutôt de dire «racontars» ) ne sont pas corroborées dans le texte de Ferron par l'identification de sources informatives. Elles servent essentiellement le propos de l'écrivain dont l'objectif est de faire de La Dauversière un «personnage» hypocrite, aussi hypocrite que le Tartuffe de Molière. Ferron met tout en œuvre pour faire comprendre au lecteur que La Dauversière affiche une fausse dévotion, ce dernier manipulant les plus innocents en leur montrant son instrument de piété : sa haire.

Le lecteur perçoit aussi la fausseté dans le ton ironique employé par Ferron. La répétition de l'antiphrase «Le pauvre homme! » produit cette ironie qui est supportée par des commentaires visant à discréditer complètement La Dauversière. Ce dernier «n'[a] jamais mis les pieds ici [Montréal] }), «mourut ruiné» et laissa ses héritiers sur la paille.

Ferron nous donne à lire non pas un texte d 'historien, mais plutôt celui d'un conteur. Ce qui étonne cependant, c'est que pour écrire ce texte, il a dû procéder à la manière d'un historien en effectuant des recherches, en mettant en relation les résultats de ces différentes recherches et, finalement, en rédigeant son texte à partir des différentes sources qu'il a jugées utiles.

(34)

La particularité de son travail d 'historien se trouve maintenant dans la manipulation qu'il a fait subiràses sources.

Les sources

Les sources citées dans «De Loudun à Ville-Marie» sont les Annales de l'Hôtel-Dieu de Montréal de Sœur Marie Morin et L'Hôtel-Dieu, premier hôpital de Alontréal, d'après les annales Inanuscrifes, les docunlents originale( de l'Institut des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph et autres sources, 16-12-/763 de Sœur Mondoux. Ferron fait également allusion à un «livre »30 d'Aldous Huxley.. dont il ne révèle pas le

titre,

The

devils

ofLoudun, et qu'il «conseille aux dévôts (sic)

»31. Ce texte

n'est pas à proprement parler cité par Ferron.. mais il a joué un rôle considérable, comme on le verra plus loin, dans la rédaction de l'historiette. Quant aux Historiettes de Gédéon Tallemant des Réaux dont nous avons révélé la présence parmi les sources., Ferron n'en tàit peut-être pas mention mais., tout bien considéré, il semble évident que la lecture de l'historiette intitulée «Le père JosephlReligieuses de Loudun» ait été déterminante dans la composition. Ferron a lu ce texte puisque, comme Tallemant, il évoque l'histoire des possédées de Loudun, la mort d'Urbain Grandier, et cite Molière par la célèbre réplique d'Orgon dans Tartuffe.

JO1. Ferron,«De Loudun à Ville-Marie»,p. 42.

JI Ibidem. p. 42. II apparait plus probable que Ferron ait lu la version française: Les diables de

(35)

«De Loudun à Ville-Marie» correspond donc tout à fait à la définition du «palimpseste» élaborée par Gérard Genette. Il s'agit bien d'un texte dérivé de plusieurs textes antérieurs. Ferron débute ainsi «De Loudun à

Ville-Marie» :

Peu avant la fondation de Vil le-Marie et la création de Tartuffe, les dames Ursulines de Loudun devinrent un peu follettes, du moins se plaignaient-elles d'être possédées par le Diable., ce qui, eu égard à leur vœux, ne laissait pas d'être

. J1

Inconvenant.

-Dès le début., Ferron entremêle ses lectures, chaque source jouant un rôle spécitique dans la rédaction de l'historiette, selon que l'auteur s'intéresse à la dimension réelle de La Dauversière ou qu'il veuille lui donner une dimension littéraire. À partir des textes des sœurs Morin et Mondoux., l'écrivain élabore sur les circonstances de la fondation de rHôtel-Dieu de Montréal et celles de la mort de La Dauversière. Il s~agit donc de sources tournissant des informations d'ordre événementiel. Les textes de Tallemant et Huxley, quant à eux, fournissent à Ferron des informations concernant la personnalité du fondateur des Hospitalières. Huxley décrit la psychologie du personnage, le caractérise de l'intérieur et Tallemant lui donne la parole, le caractérise de l'extérieur. Ferron combine ces deux lectures et crée un nouveau personnage qui devient dans son historiette Jérôme Le Royer de La Dauversière.

321. Ferron, « De LoudunàVille-Marie ». p. 42. Le manuscrit de cette historiette se trouve dans le Fonds Jacques-Ferron de la Bibliothèque nationale du Québec.

(36)

Il est particulièrement difficile de démêler les lectures de Ferron pour tenter de remettre le processus de composition en ordre. Ferron a-t-il lu en premier Tallemant des Réaux ou Huxley? D'où lui est venue l'idée d'associer La Dauversière à Tartuffe? Donc, quel rapport Ferron entretenait-il avec ces sources?

Nous savons que le mémoire de Sœur Mondoux sur la fondation de l'Hôtel-Dieu de Montréal était disponible depuis 1942 et que toute recherche sur 1'histoire de Montréal y menait inévitablement puisque cette ville fut fondée à la même époque que son hôpital.

Comme Ferron a fréquenté des collèges montréalais, il connaissait certainement les différentes congrégations religieuses qui géraient alors l'enseignement et [es hôpitaux. Nul doute qu'il était informé de l'existence des Hospitalières dont ont fait partie les sœurs Mondoux et Morin~ à deux époques différentes. On peut ainsi supposer que la lecture du mémoire de Sœur Mondoux ait ensuite aiguillé Ferron vers les Annales de Sœur Morin puisqu'elles y sont citées à plusieurs reprises.

Gédéon Tallemant des Réaux, Ferron le connaissait depuis ses années de collège puisque, selon Marcel Olscamp, le jeune collégien était amateur d'écrivains mineurs et Tallemant des Réaux était de ceux-là:

Au lieu de lire Voltaire et Rousseau comme le commun des mortels, il affectera plus tard un goût prononcé pour les auteurs mineurs des XVIIe et XVIIIe siècles: Rotrou, Cazotte, Antoine Hamilton, Sorel, Tallemant des Réaux... Par intérêt sincère,

(37)

bien sûr, mais aussi par besoin de mystifier ses lecteurs et de s'accaparer un champ intellectuel inconnu de la majorité [...]33

Il semble, par ailleurs, que Ferron ait établi une filiation entre l'œuvre de Tallemant et la sienne puisqu'il a repris le titre des Historiettes pour son

recueil.

Ce que Ferron retient essentiellement du texte de Tallemant, c'est l'évocation du personnage de Tartuffe. En effet, Tallemant a tenté d'identifier, dans son historiette, le modèle d'inspiration du personnage

moliéresque. Le « pauvre homme» serait le père Joseph, un proche

collaborateur de Richelieu et l'expression maintes fois répétées par Orgon, dans la quatrième scène du premier acte de Tartuffe, aurait été prononcée

par un capucin qui, parlant du père Joseph de manière ironique~ aurait dressé de lui le portrait d'un homme « bien à plaindre »34. Ferron. quant à

lui, attribue cette description de Tartuffe à La Dauversière.

Ferron, lecteur d'Aldous Huxley

L'évocation de Tartuffe revient égalelnent dans la «biography» que Huxley a écrite sur les possédées de Loudun. Nous ne savons pas comment Ferron en est venu à lire Huxley, surtout parce qu'à notre connaissance il ne parle pas de La Dauversière dans The devils of Loudun. La publication

33 M. Olscamp,Lefils dullo/aire. Jacques Ferroll. 1921-/9-19, Montréal, Fides, 1997, p. 173. 34G. Tallemant des Réaux,«Le père Joseph! Religieuses de Loudun»,Historie/les.t. 1, Paris.

(38)

originale de la biographie a eu lieu en 1952 et Ferron s'est intéressé à son projet d'écriture sur l'histoire vers 1959. On peut supposer que Ferron en ait fait la lecture dans le but d'en connaître davantage sur la ville natale de

La Dauversière. Il est capital de ne pas passer sous silence les

correspondances entre certains passages de la biographie et l' historiette de Ferron.

Ce n'est pas tant au modèle du personnage que Huxley s'intéresse, mais plutôt à l'archétype du faux-dévot qui l'a fait naître. En effet, l'écrivain cherche à comprendre la motivation de ces religieuses qui ont manipulé et trompé les gens de leur entourage pour mener Urbain Grandier au bûcher. Son interprétation de leur comportement est fortement inspirée du bovarysme, théorie s'intéressant aux humains qui, comme le personnage de Flaubert, confondent la réalité et la fiction. Huxley écrit plutôt en ces termes:

Bovarism is byno means invariably disastrous. On the contrary, the process of imagining that we are what we are not, and of acting upon this imagination., is one of the most effective mechanisms of education.35

Il existe selon Huxley différents types de bovarysme dont le bovarysme religieux, basé sur l'enseignement de L'imitation de Jésus-Christ.

Huxley décrit ainsi les répercussions que peut avoir une telle éducation:

(39)

It is thinking and acting in any given situation, not as we would normally think and act, but rather as we imagine that we should do if we were Iike sorne other and better person, that we finally cease tohe like our old selves and come, instead, to resemble our ideal model.36

Cette éducation donne naissance, selon Huxley, à certains travers dont la fausse dévotion est un exemple parfait. Le bovarysme religieux se définit donc ainsi:

[... ] we have at one end of the scale the saint who wholeheartedly imitates the Christ, and at the other the hypocrite who tries to look like a saint in order the more effectively to pursue his own unholy ends. In the middle ground, somewhere between the two extremes of Tartufe37 and St John of the Cross.. there exists a third, hybrid variety of rel igous bovarists.38 .

Huxley nous dresse là le portrait moral de Tartuffe, portrait moral que Ferron attribuera plutôt à La Dauversière. Huxley termine sur cette réflexion à propos de Tartuffe:

[H]ow movingly, when at last he is unmasked, does the hypocrite confess his total depravity! Ali the saints have always believed themselves to be enormous sinners, and Tartufe is no exception to the rule.

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable, Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité. Le plus grand scélérat qui jamais ait été.

It is the language of St. Catherine de Siena - and the language, when she remembers ta speak il., of Sœur Jeanne des Anges [une des possédées de Loudun] in her Autobiography.39

36A. Huxley, Thedevils ofLoudulI, p. 114.

31Il n'est pas dépourvu d'intérêt de souligner que Ferron ol1hographie dans la première version de son texte le nom du personnageà la manière de Huxley.

38A. Huxley, The devils ofLoudu", p. 114.

(40)

Huxley, pour expliquer l'hypocrisie des possédées de Loudun, et plus particulièrement celle de Sœur Jeanne des Anges, développe une théorie du bovarysme religieux avec pour modèle misérable le personnage de Tartuffe. Cette description de Tartuffe n'est pas sans rappeler ce que Ferron dit et répète à l'égard de La Dauversière au sujet de sa haire et de sa fausse dévotion. Nous pouvons donc prétendre que l'idée de Ferron d'associer La Dauversière à Tartuffe lui soit venue à la lecture de l'essai de Huxley. Ce dernier, de la même manière, a aussi cherché la source du personnage en rassociantàJeanne des Anges, une des possédées de Loudun.

Cas de contrefaçon

« De Loudun à Ville-Marie» présente un éventail assez riche de citations. Si l'on se tie à Ferron cependant, il n'yen a que trois dans cette historiette. La recherche a plutôt démontré qu'il ya sept citations dont une seule respectant les conventions en matière de présentation matérielle décrites dans l'introduction.

C'est à la troisième citation du tableau que Ferron emploie pour la première fois les guillemets. Il mentionne aussi le nom de l'auteur, Sœur Morin, àqui il emprunte une information concernant les circonstances de la mort de La Dauversière. Le citateur n'a respecté les conventions qu'en apparence puisqu'il a aussi pratiqué une suppression assez significative dans le texte de Sœur Morin. La proposition «et comme il était comptable

(41)

du Roy» est disparue alors qu'elle était indispensable à la compréhension des événements. Si le roi a saisi les propriétés de La Dauversière, c'est parce qu'elles lui appartenaient.

En supprimant cette information, Ferron contribue de manière

significative à faire de La Dauversière un hypocrite. S'il ne mentionne pas que La Dauversière était à remploi du roi, c'est pour faire en sorte que ses héritiers, en l'occurrence les Hospitalières, paraissent bernées par le fondateur de leur congrégation. Ferron fait de son personnage un être intàme~coupable d'hypocrisie. Ce n'est pourtant pas le cas., du moins pas en ce qui concerne la propriété de l'Hôtel-Dieu de Montréal.

L'écrivain n'a donc pas cédé sa place à l'historien. Ce cas de contrefaçon montre hors de tout doute que Ferron manipule ses sources dans le but d~être cohérent (d'un point de vue littéraire). Chaque élément de l~historiette devant contribuer à faire de La Dauversière un faux-dévot., Ferron a secrètement manipulé le texte des Annalesparce que Sœur Morin tàit plutôt voir la faillite de La Dauversière d'un autre point de vue.

La sixième citation, quant à elle, est reproduite de manière intégrale. Les guillemets encadrent le début et la fin de la citation et le nom de l'auteur est mentionné. Il aurait été prétërable, malgré cette apparente bonne volonté, que Ferron précise le titre de l'ouvrage de Sœur Mondoux.

Le rapport de dérivation entre le mémoire de Sœur Mondoux et l'historiette de Ferron ne présente pas d'anomalie à première vue mais on

(42)

constate après une lecture plus attentive que Ferron a modifié le ton du texte. En effet, la citation est encadrée dans «De Loudun à Ville-Marie» par la répétition de l'expression «Le pauvre homme!» Le ton, sans subtilité aucune, est ironique et ne convient pas du tout au texte de Sœur Mondoux qui relate plutôt les souffrances de La Dauversière le plus sérieusement du monde. Ferron crée une rupture radicale, de sorte que la pitié que suscite le texte de Sœur Mondoux se transforme en raillerie dans 1'historiette ferronienne. Malgré que le texte paraisse intact, cette rupture de ton constitue un exemple de contrefaçon.

La septième citation présente un cas de contrefaçon similaire à celui de la sixième citation. Alors que Sœur Mondoux affirme avec pitié et respect que le malheur de La Dauversière était annoncé par les religieuses possédées, Ferron, lui, désamorce l'aspect dramatique de l'événement. Cette seconde rupture de ton contribue elle aussi à dresser de manière ironique le portrait du personnage de La Dauversière. Pour accentuer et amplifier cette ironie, l'écrivain juxtapose à la citation l'antiphrase anaphorique «Le pauvre homme!» Cette juxtaposition tàit en sorte que le lecteur ne prend pas du tout au sérieux (qui l'aurait fait?) l'affirmation de Sœur Mondoux. En fait, on ne voit plus que de la supercherie dans ce que raconte l'historiette de Ferron. Il se moque de la souffrance de La Dauversière., ridiculise sa fausse dévotion et rappelle que la mort de cet homme était annoncée par le Diable.

(43)

ClIS

de copie

On trouve également deux cas de copie dans « De Loudun à VilIe-Marie ». D'abord, le premier paragraphe de l'historiette ferronienne semble

fortement inspiré de celle de Tallemant. Ferron relate les mêmes

événements que Tallemant, fait référence au même lieu, aux mêmes personnages de Grandier et des religieuses possédées. Le texte de Ferron reprend la même tonalité que celui de Tallemant. Le doute, pour ne pas dire la raillerie, est exprimé dans le texte de Tallemant par la phrase suivante: « [ ... ] Grandier, curé, et les capucins de Loudun, disputoient à qui auroit la direction des Religieuses qui furent ou qui firent les possédées [... ]»40 De son côté, Ferron amplifie ce doute par l'usage de plusieurs expressions

dépréciatives pour qualifier les religieuses. Il les traite de

«dévergondées », affirme que leur «machination» a réussi. De plus, Ferron note que les possessions ont « curieusement» connu un intermède. Bref, il apparaît évident que Ferron s'est fortement inspiré du texte de Tallemant sans toutefois l'indiquer. Nous assimilons ce cas de déviation à la copie. La présence de certains mots empruntés au texte de Tallemant soutient cette affirmation, notamment «Loudun», «Grandier» et « capucins». Par ailleurs, Ferron a remplacé l'expression « fut bruslé tout vif» par « fut mis à la question et exécuté », et l'adjectif «galant» par

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l'expression «fier et d'esprit trop éclairé». Plutôt que de copier simplement en modernisant l'expression du texte de Tallemant, Ferron l'a résumé. L'écriture de 1'historiette s'est donc faite à partir du texte de Tallemant, Ferron ne s'étantpas obligé à tout recomposer.

La quatrième citation est sans aucun doute la plus intéressante. Comme on peut le constater en observant le tableau comparatif: Ferron, tout comme Tallemant, cite Molière dans son historiette. Sans doute par amusement, mais aussi pour tenter d'identifier la source ayant inspiré la quatrième scène du premier acte de Tartuffe. Molière a employé deux procédés comiques dans cette scène: l'ironie et la répétition. Le texte de Tallemant procède du même humour. Il est ironique dans le récit qu'il fait de l'exorcisme des religieuses ainsi que dans l'anecdote qu'il raconte au sujet du père Joseph. Cette anecdote est elle-même ponctuée par la répétition de la réplique célèbre d'Orgon. Ferron, à son tour, reprend les deux mêmes procédés, racontant avec ironie les souffrances de La Dauversière avant sa mort., et répétantàson intention «Le pauvre homme! »

La copie dans le texte de Ferron., comme dans le cas précédent., ne s"opère pas à partir du texte de la source mais plutôt à partir de 1" idée qu'elle contient. Nous pourrions aller jusqu'à dire que c'est en lisant le texte de Tallemant que Ferron a eu l'idée de faire de La Dauversière le modèle de Tartuffe. Peu lui importe dès lors de vérifier si Molière a connu La Dauversière, s'il en a déjà entendu parler. Il a son sujet et ce n'est pas

(45)

en historien qu'il le traite, mais en conteur. En effe~ « De Loudun à Ville-Marie» est un texte se terminant par une chute. Le lecteur connaissant le classique de Molière, amusé tout au long du texte par la répétition de la réplique « Le pauvre homme!», anticipe l'arrivée de Tartuffe dans l'historiette. Ferron le satisfaitàla tout fin, lui apprenant que, selon lui, La Dauversière fut le modèle d'inspiration du personnage de Molière.

Ajoutons que contrairementà tous les autres cas de déviation dans cette historiette, celle-ci n'établit pas un rapport indiciel avec sa source. «Le pauvre homme! »est plutôt une icône, un symbole. En effet, Ferron copie ou plutôt pastiche sans toutefois mentir au lecteur, puisqu'il compte sur lui pour anticiper la fin de l'historiette. «Est-ce que finsinue que Jérôme Le Royer de La Dauversière ait pu servir de modèle au Tartuffe?».Jl~

demande-t-il. Il répond, inutilement: «li me semble bien»42. Nous avions compris.

Les deux autres cas de copie que nous avons relevés dans 1'historiette reposent sur l'utilisation des deux mots «haire» et «gravelle». A l'évidence, Ferron a emprunté ces mots aux Annales de Sœurs Morin. On remarque en effet qu'elle parle des souffrances de La Dauversière reliées à la gravelle et au port d'une haire à la page 125 des Annales alors que, quatre pages plus loin, se trouve le passage que Ferron a cité au sujet de la prise des biens de La Dauversière après sa mort. Ferron a tout simplement

0111.Ferron.«De Loudun à Ville-Marie», p.43.

(46)

intégré ces deux mots à son texte sans pour autant mentionner qu'il s'agissait là d'une information provenant desAnnales.

Rappelons que l'objet de notre étude n'est pas de prendre Ferron en flagrant délit de plagiat. Au contraire, cette pratique de l'écriture qui implique la lecture d'une manière aussi importante nous fascine. Ferron écrit à partir de ses lectures. Le cas le plus troublant est sans doute la citation de Molière. Talleman~dans son historiette, affirme lui-même qu'il cite le grand dramaturge: «C'est de ce conte-là que Molière a pris ce qu'il a mis dans son Tartuffe.. où le mary, coiffé du bigot, répete plusieurs fois: Le pauvre homme!43 » L'édition de la Pléiade des Historiettes de Tallemant précise àce sujet:

Les contemporains de Molière étaient persuadés qu" il avait écrit Tartuffe d'après les mémoires où étaient recueill ies des

anecdotes véritables. Au dire de l'abbé d'Olivet, qui avait conservé cette tradition, c'est Louis XIV qui aurait prononcé le pauvre homme à propos d'Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris.44

Ferron termine son historiette par la phrase suivante: «On aura toujours pour le [La Dauversière] réhabiliter, le pauvre homme., le témoignage des possédées de Loudun.45 » C'est dans cette phrase finale qu'il lie les trois objets de son texte : La Dauversière, Tartuffe et les possédées de Loudun. On comprend que la cohérence entre ces trois objets est leur

43G. Tallemant des Réaux.,«Le père Joseph/Religieuses de Loudun», p. 296.

44G.Tallemant des Réaux.,Historiettes,p. 967.

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connotation liée à la tromperie. Ce qui nous permet de dire que Ferron a écrit un«texte », au sens où les trois sources qui ont suscité la composition de l'historiette sont soigneusement entremêlées les unes aux autres. Ferron manipule ses sources au gré de sa subjectivité et, par conséquent, sa pratique de l'historiette est beaucoup plus près de la fiction que de 1'histoire.

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Chapitre II

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Tllb/elUl comparatif

«

Saint Tartuffe»

Monsieur de La Dauversière, homme de rien, qui laissa à sa mort autant de dettes que le comte de Grignan, gouverneur de Provence, était en 1630 échevin à LaFlèche et administrateur du bien des pauvres. Ce bien comprenait un hôpital que pour mettre

à sa disposition le saint homme avait imaginé de donner à une congrégation religieuse, dont il serait le fondateur et le trésorier, bien entendu. Il alla tâter les jésuites, se disant envoyé par le bon Dieu. Les jésuites le retournèrent à sa famille et ses enfants. L'année suivante il revint à la charge: Dieu insistait. Seulement, cette fois, il ne s'agissait plus d'une affaire locale: ses hospitalières établiraient un Hôtel-Dieu

à Montréal. Les jésuites, qui ont la passion des Hurons, prêtent l'oreille et le projet trouve son chemin. Dix ans plus tard Monsieur de La Dauversière aura sa congrégation, son hôpital et par surcroit toute l'ile de Montréal. Plus loin nous verrons comment son intérêt rencontrant celui des jésuites, cette conjonction fit sa fortune. Pour le moment restons-enàcet Hôtel-Dieu de Montréal, à cet œuf dont la couvée avait été si profitable à l'échevin de LaFlèche: il n'eut garde de le laisser éclore; ce ne sera qu'en 1659 que trois hospitalières prendront charge à Ville-Marie d'une masure. Auparavant la couvée aura continué: on avait mis sur

l'œuf une bonne grosse femme, veuve d'un surintendant des Finances, la de Bullion, qui de 1641 à 1659 ne laissa pas de rapporter, de l'aveu même de la rabatteuse, quelque cent cinquante mille livres. La rabatteuse se nommait Jeanne Mance.

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La charge de surintendant des Finances, à une époque où il n'y avait pas de comptes publics, ne mettait pas son homme dans la misère. Foucquet, successeur de M. de Bullio~donnait à

Vaux des tètesquiéclipsaient celles du roi; il finit ses jours en prison. De Bullion, plus habile, ne tenait point table et n'avait qu'un équipage fort médiocre. Il laissa sept mille livres de rentes, ça représentait un assez beau capital. Quand on fit l'inventaire, le notaire dit à sa veuve (et je cite

Tallemant)(l ): (1) Richer, notaire, comme on fit -Voyez, madame, si vous avez l'inventaire, dit à Madame de Bullion: encore quelque chose à dire. Est-ce là « Voyez Madame, SI vous avez

tout? Il ne faut rien cacher. « encore guelque choseà dire. Est-ce Cette bonne grosse dame crut «là tout? Il ne faut rien cacher.» qu'il la soupçonnait et changea de Cette bonne grosse dame crut gu" i1 la couleur. «Si vous ne savez rien de soupçonnoit et changea de couleur. plus, ajouta-t-il, j'ai à vous dire, moi, «Si vous ne scavez rien de plus »,

que je sais où feu M. votre mari avait ajousta-t-il, «j'ay à vous dire, moy, déposé cent vingt miHe écus d'or en «gue je scay où feu Monsieur votre espèces: c'est chez moi. » « mary avoit déposé cent vingt mille De Bullion mourut le 22 décembre «escus d'or en espece; c'est chez 1640. Mance se présenta chez la veuve «moy. » (G. Tallemant des Réaux, « M.

au commencement de 1641. On de Bullion»,p.302)

présume que ce fut à même les cent vingt mille écus d'or qu'elle reçut de quoi fonder son hôpital, car elle fut

payée en espèces. (2) «Mlle Mance, (2) Mademoiselle Mance recut son écrit Sœur Morin, recut son argent à argent à plusieurs repnses ou pl usieurs reprises, ne pouvant pas tout payements, comme j'ay déjà dit, sortir à la fois. Un soir ses porteurs crainte qu'on ne s'en aperçut~ ne lui dirent: «Mais d'où vient, pouvant pas tout porterà la fois; elle mademoiselle, gue quand vous venez m'a raconté elle-mesme plusieurs ici vous êtes moins pesante que quand fois, fort agréablement, qu'elle s~y

vous en sortez? » Cela lui donna fesoit porter en chaise; et qu'un soir, beaucoup de crainte d'être volée et ses porteurs luy dirent: mais d'où peut-être tuée, ce qui lui fit changer de vient, Mademoiselle, que quand vous porteurs et aussi d'heure pour aller voir venez ici, vous estes moins pesante Madame de Bullion. Elle reçut ainsi que quand vous en sorte~ assurément soixante mille livres. cette dame vous aime et vous fait des Sur Monsieur le Surintendant présents. Ce qui luy donna beaucoup quelques traits, que Je prends dans de craintes d'estre volée et peut-être tuée. Ce Qui 1uv fit prudemment

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