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Les traductions d'auteurs grecs et latins en France pendant la Renaissance, 1500-1580: historique, problèmes.

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(1)

NAME: Verstraelen Augustin.

Ti tle: Les traductions d'auteurs grecs et latins en France durant la Renaissane.e (1500-1580): Historique ..

Probl~.es.Que19ues traducteurs.

Degree: K.A.

* • •

*

*

* * * * *

Les traductions françaisea d'auteurs grecs et latins, déj! pratiquées par les clercs da .oyen Ige .. ont joui d'une faveur considérable durant la Renaissance.Ce succas est d~ .. en grande partie, au développement de l'Humanisme en France.Tr3s tet,érudits et

grands seigneurs song3rent ! mettre 1 la portée des ignorants les richesses des cultures antiques.Or la traduction n'était-elle pas le moyen. le plus rapide et le plUS efficace pour y arriver?

Les rois de France~qui désiraient élever le niveau

intellectuel et moral de leurs sUjets,apport3rent aux traducteurs un appui appréciable.Ils comprirent également que,par la traduction, il serait pOSSible d'enrichir et de Jéve10pper la langue française qui viendrait alors appuyer leur politique centralisatrice.

De 1500 ! 1580,.les traducteurs s'efforç~rent de "naturaliser" les principaux écrivains grecs et latins.Hom3re,Sophocle,Plutarque,

.,

Cicéron,Ov1de"virgile et bien d'autres fUrent rapidement édités en français.

Si les traductions ont contribué • l'enrichissement intel-lectuel et Moral de la société française .. elles ont égal.ement exercé une profonde influence sur la langue et la littérature en y intro-duisant de nouvelles formes d'expression.

(2)

Département de LangQe et Littérature Françaises.

THEBE DE MAITRISE.

Sujet: Les traduc.tions d'auteurs grecs et latins en. France cb1rant la Renaissanc:e (1500-1580):

Historique 1 Probl 3J1le s."Quelgues traducteurs.

Directeur de thAse: Monsieur Y. Qu1ntia.

!!!:

Mr.

Augustia Verstraelen.

Juillet 1969.

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AVANT-PROPOS : CHAPITRE l : CHAPITRE II : CHAPITRE III: CHAPITRE IV : CHAPITRE V: CONCLUSION

.

.

BIBLIOGRAPHIE Pages

Humsnjsme et Rena1ssan~e en It~e; iaportan~e des guerres d'Italie pour

la ci vil~sat~on française... •.• • l

Eclosion de la Renaissance française; comment la traduction part~c~pa

ac.ti-vement A ce mouvement... l

Aperçu de la traduct~on en France avant

la Renaissance •••••••••••••••••••••••••••• 19

Pourquoi la traduct~on eut tant de suc cas au XVI3me siaclejétat d'esprit des premiers traducteurs...

34

Des théories de la Traduction; de quelques caractérist~ques concernant la mani&re de

traduire au XVI3me siacle ••••••••••••••••• 50

De quelques traducteurs •••••••••••••••••••

69

Influence des traduct~oDS sur les ~dées,les

moeurs.la littérature et la langue françaises 104

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e • • • 115

(4)

AVANT-PROPOS

La France du XVrème siècle tut le théâtre d'une profonde révolu-tion intellectuelle et morale hâtée par l'arrivée des armées françaises au-delà des Alpes. Le conflit qui éclata entre les Valois et quelques princes italiens, à propos de la succession du duché de Milan et du roy-aume de Naples, força les rois de France à se rendre périodiquement etn Italie. Tapisseries somptueuses, beauté des jardins et des palais, marbres et toiles de grande valeur, vie de cour raffinée: c'était un monde nouveau et merveilleux qui s'offrait aux yeux des rudes guerriers français. Que les conquérants fussent séduits par un tel éclat, on le conçoit facilement. ''Vous ne pourriez croire, écrit Charles VIII, les beaux jardins que j'ai vus en cette v'i11e. Car, sur ma foy, i l semble qu'il n'y faille qu'Adam et Eve pour en faire un paradis: terrestre."

I l est peu probable qu'ils aient senti, dès leur arrivée en Italie, toute la profondeur de cette nouvelle civilisation. Cela importe peu; ce qui compte avant tout c'est qu'un contact étroit se soit rapidement établi entre les deux nations.

La première réaction des chevaliers français est un peu compara-ble à celle de touristes qui, émerveillés par les beautés qU'ils découvrent, veulent en rapporter des copies chez eux. Mais l'envahisseur ne se con-tenta pas de copies, il se précipita sur les originaux et se les appropria. Marbres, peintures et ensuite livres de toutes sortes affluèrent en France

par charrois entiers.

Sous l'influence des artistes italiens, la France se peupla rapi-dement de chefs d'oeuvre di architecture , de peinture et de sculpture; des artistes prestigieux comme Le Titien, Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, Le Primatice furent invités par les souverains à séjourner en France afin d'y dispenser leurs précieux enseignements. Des transformations sensibles se manifestèrent aussi du côté de la noblesse. François Ier, soit par calcul politique, soit par goût des fêtes et des belles ohoses, ou pour les deux raisons, travailla à reproduire dans son royaume l'éclat des cours

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italiennes qu'il avait eu le loisir d'examiner de près. L'oeuvre de Baltazar Castiglione, i l Cortegiano, dut certainement lui fournir un modèle. Sous l'influence royale les moeurs se polirent, le goût s'élar-gi t, la conversation devint pihus raffinée, la galanterie se para de grâce et de délicatesse. En un mot, la cour devenait plus raffinée1• Ainsi

la France fut touchée, au début, par le développement artistique et le raffinement des moeurs princières de l'Italie2• La propagation de l'Hu-manisme et des "Belles Lettres" ne connurent pas un succès aussi rapide.

La pénétration de la culture grecque et latine en France se fit très lentement et avec une centaine d'années de retard sur l'Italie. Un siècle auparavant, en effet, la Péninsule -et notamment Florence qui se mérita le titre de "République des Lettres"- avait entrepris une vérita-ble résurrection de l'antiquité aussi bien grecque que latine. Dès le XIVème siècle Pétrarque s'était lancé dans une étude directe des grands classiques latins dont

Cicéron~irgile.

Grâce à Saint Augustin et à Cicé-ron, i l fut un des premiers à apprécier la philosophie platonicienne dont il s'inspira pour écrire son Canzoniere. Le mouvement prit une ampleur considérable avec ses suecesseurs. Un de ceux-ci, Coluccio Salutati, dans une de ses lettres où il réclame sans cesse de nouvelles copies ou manuscrits, nous laisse la liste de toutes les oeuvres qu'il possédait déjà. Après avoir demandé les oeuvres d'historiens anciens il ajoute:

"Inutile de m'envoyer ceux que tous ont entre les mains: Eusèbe, Cassiodore, Hégésippe, Bède, Orose, Justin, Eutrope, Paul Diacre, les trois Décades de Tite-Live, Salluste ••• non plus que Sénèque l'ancien ni l'Abréviation. Ne m'envoie pas non plus ces bagatelles sans valeur de nos modernes, le Miroir historique, la satire de Paulin, les chroniques de Martin, ni autres élucubrations de ces derniers siècles. Laisse aussi de côté l'Histoire des Césars de Suétone, les auteurs de l'Histoire d'Auguste et les Commentaires de César De bello g81lico et de bello civili.

Mais ai tu en as, ou si tu en trouves d'autres, ne manque pas de me les faire parvenir, particulièrement Tite-Live dont noua ne pos-sédons que trente livres, Trogue-Pompée, ~uinte-Curcet dont nous ~J~v~

1

1 L'Heptaméron de Marguerite de NaVle est un exemple de ce raffinement en cours de réalisation.

2 cfr. le célèbre vers d'H()race:

IIGr~cia

capta ferum victo:rem cepit ••• 11 De même, l'Italie, vaincue militairrment par la France, était sur le point d'aborder son envahisseur. '!

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1

qu'un texte mutilé, les Histoires de Salluste, l'Histoire des guerres civiles de suétone et l'Histoire èe Claude. Mais je te recommande surtout Tite-Live."

Il voudrait également les Vies Parallèles de Plutarque, traduites en Espagnol, et qu'il se chargerait de mettre en latin. Dans le reste de sa lettre, qui date de 1392 et qu'il adresse à Juan Fernandez de Hérédia, haut dignitaire de l'ordre de Saint Jean d~ Jérusalem, il montre qu'U a conscience des innombrables richesses qui dorment encore dans l'oubli. Ces quelques lignes nous font voir l'ampleur qu'avait prise l'étude de l'antiquité latine dès le XIVème siècle en Italie.

La France connut aussi une première génération d'humanistes en la personne de Nicolas Oresme, Gerson, Jean de Montreuil et quelques au-tres qui manifestèrent de l'intérêt pour la culture latine; mais la rareté des manuscrits, le manque de formation et surtout l'influence considérable de la scolastique médiévale firent avorter le mouvement,-d'ailleurs limité à certains milieux de clercs- et reporter la renaissance au siècle suivant.

C'est encore l'Italie qui eut le privilège dé voir renaître chez elle la pensée grecque. L'intérêt pour la culture hellénique prit nais-sance le jour où Manuel Chrysoloras, un grec, vint enseignér à Florence

(1396). Dès le début du XVème siècle les humanistes italiens se livrèrent à une véritable chasse aux manuscrits qui firent l'objet d'un véritable commerce.

En

une trentaine d'années toute la littérature grecque, presque complètement ignorée au moyen âge, se trouvait entre leurs mains. L'Italie put en outre profiter des leçons de nombreux savants grecs qui se réfu-gièrent chez elle pour échapper à la menace turque. C'est le cas notamment de Bessarion, Gémiste Pléthon et, plus tard, de Lascaris et d'Hermonyme. De cette façon, et à quelques années d'intervalle seulement, l'Italie eut l'honneur de faire revivre les deux plus anciennes cultures.

Le premier soin des humanistes italiens fut de "translater" en latin d'abord, puia plus tard en italien, tous les auteurs qui leur tom-bèrent sous la main. Dès le premier tiers du XVème siècle on vit Leonardo Bruni traduire quelques discours de Démosthènes, des Vies de Plutarque,

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le Phédon, l'Apologie de Socrate, l'Ethique ët la Politique d'Aristote. Laurent Valla traduisit seize chants de l'Iliade. Le pape Nicolas V stimula grandement le zèle de ces traducteurs, comme le fera plus tard, en France, François 1er 1.

Contrairement à ce qui se passerait en France, l'humanisme italien ne fut pas le monopole de quelques chercheurs isolés, travaillant dans le silence, et luttant avec acharnement contre l'opinion publique indifférente, ou même hostile, aux idées nouvelles apportées par la culture antique.

Cette différence s'explique, en partie, par la position de l'Eglise en la matière. En effet, le clergé italien ne met aucun obstacle à la propaga-tion du grec à travers le pays; le pape Léon X va même jusqu'à fonder le Collège des Jeunes Grecs. Ainsi les érudits purent poursuivre leurs recherches sans se heurter constamment, comme leurs confrères du Nord, à l'hostilité d'un clergé qui, sous prétexte de lutter contre l'hérésie, dé-fendait le aonopole qu'il exerçait sur la Science depuis le mo,en âge. A Florence, par exemple, la jeunesse bourgeoise et aristocratique fut

entrainée de bonne heure dans le mouvement. Le souci de la culture n'était pas l'apanage de quelques érudits: tous s'y intéressaient, tous partici-paient à la redécouverte de l'antiquité. Cet appétit de savoir est clai-rement exprimé par Leone Battista Alberti dans son Traité de la famille

(1441) où il exhorte la jeunesse à s'enrichir au contact des Anciens:

1

"Jeunes gens, donnez tous vos efforts à l'étude des lettres; soyez sans paresse; aimez à connaître les choses du passé dignes de mémoire ••• goûtez la joie de nourrir votre esprit de belle science, le pl~isir d'orner votre coeur de qualités splendides ••• Cherchez à connaître les choses humaines, qui, aVec pleine raison, sont adaptées aux lettres. Il n'est pas de symphonie musicale si suave et si harmonieuse qu'elle puisse égaler la finesse et l'élégance d'un vers d'Homère ou dd Virgile ••• pas de promenade si bellement fleurie qui vaille l'agrément d'un discours de Démosthènes, de Cicéron, de Tite-Live ou de Xénophon."

Ces traductions, accomplies par les humanistes italiens, servirent souvent d'original aux traducteurs français. C'est ainsi que de nom-breuses traducti~ns des Vies de Plutarque furent effectuées à partir de l'édition de Campani (Rome, 1470).

(8)

1

Ailleurs, dans une lettre écrite'de Florence par Leonardo Bruni à Pogge qui vient d'annoncer la découverte de Quintilien, on peut lire:

"La République des Lettres a raison de se réjouir ••• Ce sera votre gloire suprême que soient rendus à notre âge, grâce à vos soins et à votre diligence, les écrits d'excellents auteurs qui avaient échappé jusqu'ici à la recherche des lettrés. L'accomplissement d'une pareille entreprise noua imposera, à nous et à nos sUBses-seurs, une dette éternelle de reconnaissance envers vous ••• "

Puis il compare Pogge à Camille qui fut appelé le second fondateur de Rome; en ressucitant ainsi une oeuvre précieuse, ne peut-on pas en être appelé le second père? Enfin la lettre se termine sur ce souhait touchant:

"Je vous en conjure, mon cher Pogga, envoyez-moi au plus tôt le manuscrit, afin que je puisse au moins le voir avant de mourir."

Ainsi, à une époque où la France connaissait encore les désordres de la guerre de Cent Ans, une partie de la société italienne se polisSRit et s'éduquait par les enseignements des philosophes, moralistes et

histo-" t. 1

rl.en an l.ques •

La littérature italienne bénéficia largement de ce courant humaniste. Après avoir atteint une première maturité grâce aux chefs d'oeuvre de

Dante, Pétrarque et Boccace2, elle fut, pour un temps, délaissée au profit du latin et de la littérature néo-latine. Comme en France, durant le siècle suivant, les humanistes prirent l'habitude de s'exprimer en latin, dédai-gnant l'usage de la langue vulgaire pour exprimer des idées élevées. Cor-respondances, traités, traductions furent d'abord présentés dang la langue de Cicéron. L'étude et l'admiration des poètes latins comme Horace, Catulle, Tibulle, Properce fut si grande que certains brûlèrent du désir de se ren-dre illustres en les :iDitant. Ce fut le cas de Marulle, de Pontanus de Naples, de Navagero et de bien d'autres qui connurent un certain succès non

1 Dans la seconde moitié du XVème siècle Florence possédait une académie où l'on étudiait exclusivement Platon.

2 Dante, Pétrarque et Boccace furent les premiers poètes où l'on trouve des traces très nettes de l'influence de l'antiquité.

(9)

seulement en Italie mais aussi en France1•

Cependant, l'inspiration, régénérée par l'étude des Anciens, per-mit aux poètes d'insuffler une vie nouvelle à leur littérature nationale. Les premiers signes du renouveau se manifestèrent d'abord dans la poésie lyrique avec les néo-pétrarquistes comme Charitéo, Tébaldéo, Serafino dell'Aquila. Il n'y a pas de quoi s'en étonner si l'on songe à la renom-mée de p,trarque et surtout de Platon en Italie à cette époque. Mais le mouvement ne s'arrêta pas au lyrisme: tous les principaux genres antiques furent remis à la mode. Les premières comédies et tragédies, d'abord de simples traductions d'oeuvres grecques et latines, furent présentées au public dès la fin du XVème siècle2• Quelques années plus tard les Italiens applaudissaient les premières cré~tions comiques et tragiques présentées dans leur langue: deux comédies, la Calandra (1514) et la Mandragore (1518) ainsi qu'une première tragédie, Sophonisbe

(1515)J

La poésie italienne put également s'enorgueillir d'avoir donné le jour à ces "longs poèmes" qui hantèrent les rêves des membres de la Pléiade

4.

Ici encore l'Italie devança les aspirations des Français puisque sa première grande épopée, l'Orlando furioso fut publiée en 1516 et qu'au moment où Ronsard s'essoufflait dans la Franciade, le Tasse donnait à son pays sa Jérusalem délivrée.

1 Cet emploi exclusif du-latin suscita bientôt de nombreuses

pro~estations

qui devancèrent d'une centaine d'années celles qU'allait formuler Du

Bellay dans sa Defience et Illustration de la Langue Françoyse.

Ce mouvement de libération de la langue trouva son avocat dans la per-sonne de L.B. Alberti, prêtre florentin très cultivé, qui défendit la

légitimité et la valeur de l'idiome vulgaire. "Ce que j'écris, disait-il, je l'écris non pour moi mais pour l'humanité; or l'humanité écrit dans la même langue qu'elle parle ••• "

2

On commença par donner telles quelles les comédies de Plaute et de Térence. L'Asinaria fut jouée avant 1470; en 1487 on donna l'Amphitryon, puis les MénecRmes en 1491 •••

3 La Calandra venait du cardinal Bibiena; la Mandragore, de Machiavel; Sophonisbe, de Trissino.

4

Du Bellay attendait avec impatience l'auteur d'une telle oeuvre "qui fera hausser la teste" à son pauvre lilangaige".

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Ces quelques allusions à l'épanouissement de la littérature et de l'humanisme italiens ne nous intéressent que dans la mesure où ces der-niers furent un sujet d'admiration et d'envie de la part des lettrés fran-çais. Non seulement ils se trouvaient en présence d'un humanisme épanOui1 mais ils prirent également conscience de la richesse et de la supériorité de la langue italienne, contrastant singulièrement avec les insuffisances de leur idiome. Le renouveau italien ne se limitait pas à un pdtt cercle d'érudits; il avait, au contraire, atteint toutes les sphères de la société.

Ce que les Français découvrirent en arrivant en Italie, c'était une civilisation profondément transformée par ses contacts avec l'antiquité; une civilisation qui avait recréé des modes nouveaux d'expression et de pensée.

1

"Le service le plus important que nous ait alors rendu l'Italie c'est assurément de nous avoir fait connaître, de nous avoir fait aimer la source d'idées la plus ~bondante de beaucoup à laquelle il était pos-sible de puiser, je veux dire l'antiqUité grecque et latine." (Pierre Villey, Les sources d'idées au XVlème siècle, Paris, 1912)

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Eclosion de la renaissance française; comment la traduction participa activement à ce mouvement.

Il faut attendre la fin du XVème siècle pour voir se développer en France les premières lueurs de l'humanisme qui resta long§emps encore l'apanage d'un groupe très restreint d'érudits. Le moyen âge avait-il complètement oublié la culture grecque et latine? Certainement pas. Il semble, au contraire, qu'un fil continu relie la tradition palenne à notr,e XVIème siècle. Les vestiges du pa~rimoine antique, qui échappèrent mira-culeusement à la vague destructrice des barbares, fUreüt jalousement con-servés dans les couvents et les monastères. Le clergé, désormais seul gardien du savoir, et de la culture, épura, mutila, transforma les textes antiques afin de les rendre conformes à son enseignement. Pendant plusieurs siècles le public n'eut de l'antiquité qu'une vision déformée, atrophiée, moulée d'après les conceptions de l'Eglise. Le latin, utilisé par l'Eglise depuis les débuts du christianisme, devint la langue culturelle par excèl-lence et cela au détriment du grec qui tomba rapidement dans l'oubli. Non seulement i l fut relégué au rang des langues mortes, mais en plus il devint un objet de méfiance et même d'hostilité: tlGraecum est, non legiturtl, disait-on à cette époque. La connaissance de la langue d'Homère permet-tait de pénétrer au sein d'un monde encore peu exploré d'où ne pouvaient sortir qu'erreurs et hérésies. Dès lors on comprend facilement pourquoi si peu de personnes connaissaient le grec ~u début du XVI ème siècle. Ex-ception faite de Budé, Erasme, Gaguin, Fichet et quelques autres, tous les érudits de l'époque ne connurent la civilisation grecque qu'à travers des "versions" latines.

La culture latine n'eut guère un sort plus enviable: la pénurie de textes originaux et surtout le contrôle sévère exercé par l'Eglise transformaient les études en de vaines acrobaties intellectuelles, en une rhétorique creuse d'où l'on avait résolument banni le sens critique et la réflexion personnelle. Le XVlème siècle a d'ailleurs retenti des plaintes des savants contre l'imperfection des études à cette époque. - Muret se plaignit d~ ce qu'on lui avait appris au cours de sa jeunesse et

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1

surtout de ce qu'on avait omis de lui apprendre Dans une épître à Charles IX (1561) Denis Lambin écrivait:

"Muta erant ab iUis litteris, a liquida et germana philosophia, a veterum et probatorum auctorum vocibus Lutetiae Gymnasia ••• Merae nugae, merae ineptiae, mera barbaris docebantur ••• ignoti omnes graeci scriptores. Graecae linguae ne elementa quidem erant nota."

La situation de l'idiome national n'était pas plus brillante; on l'avait, depuis longtemps jugé incapable d'exprimer des idées élevées. Il dut se résigner à demeurer la langue du peuple, celle dont on se sert pour traiter des questions matérielles. Dans son traité "De l'Institution du Prince" écrit entre 1.53.5 et 1.540, Budé noua dit qu'Ill a peu écrit en fran-çais parce qu'il était occupé entièrement à l'étude des bonnes lettres, c'est-à-dire les littératures grecques et latines. Olivetan, dans sa pré-face à sa traduction de la bible (1532), parle de la langue fiançaise comme d'un jargon barbare en comparaison avec et le grec et l'hébreu:

"Il est autant difficile, écrit-il, de pouvoir bien faire parler à l'éloquence Ebra!que et Grecque le langaige Françoys (lequel n'est que barbarie en regard d'icelles) si que Ion vouloit ensei-gner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué."

Se servir du langage vulgaire c'était, aux yeux des lettrés, s'avouer en quelque sorte un homme d'un rang et d'une science inférieurs, c'était se déclasser. Dana sa Deffence et Illustration Du Bellay répondra que notre langue est capable de traiter les matières élevées comme la "phylosophie":

"Si la phylosophie semée par Aristotè et Platon au fertile champ Atique etoit replantée en notre pleine Françoyse, ce ne seroit la jeter entre les ronces et épines, ou elle devint stérile: mais ce serait la faire de lointaine prochaine, et d'etrangère citadine de notre republique ••• "

(Qill,

l,x.)

Un peu plus loin il ajoute:

nIa nature est digne d'estre congneue et louée de toutes pesonnes et en toutes laugues ••• "

Ce n'était pas de la poésie qu'il fallait attendre une réaction qui aurait servi la cause du français. Les rhétoriqueurs (Jean Molinet, Guillaume Cretin, Jean Meschinot et même Marot) s'étaient contentés de remettre à la mode les anciens genres du moyen âge tels que rondeaux, bal-lades, virelais, chants royaux "et autres telles épisseries, qui corrumpent

(13)

le goust de rLostre Langue ••• " (Deffence et Illustration, II, iv). On y re-trouvait l'allégorie, si chère à la littérature médiévale, ainsi qu'une vague érudition antique, mal comprise et mal digérée; pour eux, la poésie se transforma en un art de bien dire, reposant sur des raffinements de

style et des acrobaties de versification. Marot nous en donne un bel exemple dans sa Petite épitre au roi (1518):

"En m'esbatant je fais rondeaulx en rithme, Et en rithmant bien souvent je m'enrime;

Brief, c'est pitié d'entre nous rithmailleurs, Car vous trouvez assez de rithme ailleurs

Et quand vous plaist, mieulx que moy rithmassez. Des biens avez et de la rithme assez ••• "

Ainsi, la poésie fut réduite à n'êt~e plus qu'un jeu de patience, pour ne pas dire un tour de force, dont l'unique mérite résidait dans la difficulté vaincue.

Heureusement la cause des lettres et de l'humanisme français trouva dans la royauté un soutien puissant. De très bonne heure les Valois s'in-téressèrent à l'épanouissement des arts et des lettres en France. On voit, par exemple, Charles VIII revenir d'Italie avec un millier de volumes des-tinés à enrichir la bibliothèque royale et s'adjoindre les services de Jean Lascaris, un grec réfugié en Italie. Son successeur, Louis XII conti-nuera de la même façon à stimuler la zèle des érudits et des artistes. Mais leurs efforts ne sont en rien comparables à ceux fournis par François "Pre-mier plus que de nom" pour fortifier la langue française et cultiver ses sujets.

"Quant le roi François vint à la couronne, écrit le maréchal de Vieilleville dans ses Mémoires, l'on usait que de la seule lan-gue latine encore fort barbarementj il n'y avait science qui eût cours et vogue en l'université de Paris que la théologie. Mais il envoya en toutes les parties du monde, et principalement en Orient pour les langues hébra!que, grecque et chaldaique, sans y épargner aucune dépense, d'où nous vinrent de grands et doctes personnages qui profitèrent si bien qu'en moins de quinze ans toutes langues et sciences furent remises sus, et les fit ce grand roy par sa libératé fleurir plus que jamais."

Des témoignages semblables se retrouvent chez tous les écrivainé de l'époque. Chacun s'accorde à reconnaître le rôle important joué par ce grand roi.

(14)

Comment expliquer cette royale attention aux choses de l'esprit? Les raisons sont multiples. Il y a avant tout, au départ, ce goût inné pour les sciences et les lettres qu'on retrouve chez tous les Valois. Lais-sons à Brantôme le soin de faire le portrait de François 1er:

"Entre autres belles vertus que le roi eut, c'est qu'il fut fort amateur des bonnes lettres et des gens savants, et des plus grands .de son royaume, lesquels il entretenait toujours de discours

grands et savants, leur en baillant la plupart du temps les sujets et les thèmes. Et y était reçu qui venait; mais il ne fallait pas qu'il fût un âne ni qu'il bronchât, car il était bientôt relevé de lui-même. Sur tous il avait M. Castellanus, très docte personnage sur qui le roi se rapportait parmi tous les autres, quand il y avait quelque point difficile. De telle façon que la table du roi était une vraie école, car il s'y trai-tait de toutes matières, autant de la guerre que des sciences hautes et basses. Il fut appelé "Père et vrai restaurateurll des arts et des lettres"; car, parftvant lui, l'ignorance tenait lieu quelque peu en France ••• "

Cette curieuse lignée de rois resta, jusqij'à son extinction, fidèle à ce noble zèle Ju savoir qui constitue peut-être, à travers toutes leurs vicis-situdes politiques, un de leurs plus beaux titres de gloire. Marguerit.e de France, fille de François 1er, fut surnommée la "Pallas de France" à cause de son zèle pour les lettres. Princesse, d'un esprit cultivé et d'une belle âme, elle aidait les littérateurs de son crédit, les admettait dans son intimité et les comblait de cadeaux. Ronsard, lui attribuant l'hon-neur d'avoir "semé la France de sciences et d'arts" disait d'elle:

"~utelle portoit âme hostellière dès Muses ••• , Et que le ciel la fit si parfaite et si belle 2 Que pour n'en faire plus on rompit le modelle."

Et que dire du rôle joué par la soeur même de François 1er, Marguerite de Navarre, protectrice éclairée des lettres et des arts, doublée d'une poétesse3? De Chales VIII à Henri Illon vit défiler à la cour une lon-gue suite de princes et de princesses passionnés pour "la libérale science et honneste littérature." Ces augustes personnes eurent en outre la chance

1

2

Brantôme, Vies des grands capitaines français,(liv. l, part. II, chap. xiv), Tombeau de Marguerite de France, duchesse de Savoie. Signalons que les poètes et érudits répondaient à cette grande sollicitude des souverains en répandant sur eux des flots de :buanges.

3 Parmi ses oeuvres, mentionnons notamment La Harguerite de la Marguerite des Princesses (1547) et 1 'Heptaméron. (1559)

(15)

d'être éduquées par les plus brillants esprits du temps. Lefèvre d'Etaples (Faber Stapulensis) fut chargé de l'éducation du troisième fils de François 1er, Charles, duc d'Orléans. Jacques Amyot fut choisi comme précepteur de ce même duc d'Orléans1 (le futur Charles II) ainsi que d'Henri d'Anjou qui deviendra roi de France sous le nom de Henri III. De son côté François 1er entretenait des relations permanentes avec l'un des plus grands huma-nistes du siècle, Guillaume Budé. Epoque privilégiée que ce XVlème siècle où l'on vit les valeurs intellectuelles se développer au même rythme que le pouvoir temporel, et souvent. même avec l'aide de ce dernier.

Toutefois ce soutien aceol"dé aux IIBelll;!f;i Lettres" par la royauté n'ét.ait pas le simple fait d'un caprice de lettré. François 1er avait compris, bien avant Louis XIV, que l'épanouissement des lettres et des arts pouvait rehausser la majesté royale et le prestige de la nation. Il vit la nécessité d'arracher à leur ignorance traditionnelle les grands qui l'entouraient, soit pour augmenter l'éclat et l'agrément de sa cour, soit pour développer l'intelligence de ceux qui étaient les conseillers et les agents de la royauté. Pour cette raison, il attacha à sa cour des traducteurs comme il y attachait des poltes, et, accueillant l'hommage d'une traduction mieux encore qu'il n'agréait celui d'une ballade ou d'une épître, il encouragea et récompensa les premiers efforts d'Amyot. Lui et ses suc-cesseurs voulurent, selon l'erpression de Jacques Colin qui publia le Thucydide de seysse12, que toutes les grandes oeuvres fussent mises "comme sur ung perron dont elles fussent veues de toutes parts". Comprenant tat le profit que pouvaient en retirer leurs sujets, ils entreprirent de faire naturaliser en France par la traduction les principaux chefs d'oeuvre de l'antiquité. Ce souci d'éducation les porta à choisir d'abord les auteurs d'oeuvres morales et édifiantes; ainsi François ler distingua Plutarque au premier rang des auteurs qu'il fallait lire à ses sujets, dans leur

langue, et qui pouvaient le mieux l'instruire lui-même. Un savant contemporain

1

Auguste De Blignières dans son Essai sur Amyot et les traducteurs français au XVlème siècle donne, en appendice, un extrait des traductions de Cicêron faites par le futur Charles IX sous la direction d'Amyot.

(16)

dit de lui:

"Nullis sumptibus, nullo labori unquam pepercit ut omnes omnium linguarum authores, qui vel de moribus et vita, vel de rebus fortiter ac praeclare gestis, vel de orbis situ, vel de prudentia et sapientia egissent, in gallicam linguam translatas, omnes omnium ordinum ejus populi legere possent."1

L'histoire littéraire du XYlème siècle offre des exemples sans nombre de cette protection toute spéciale que les rois accordaient aux traducteurs, et l'essor que leur patronage fit prendre à la traduction est peut-être le service le plus important qu'ils aient rendu aux lettres françaises. La faveur royale ne fait pas des poètes à son gré; elle fait plus aisément des traducteurs; et là du moins l'effort, même médio-cre, n'est pas sans fruit. L'appropriation d'une oeuvre garde assez de prix pour compenser l'imperfection du travail. Et quels travaux servaient mieux l'ambition et les desseins des rois que ces conquêtes}pURla traduc-tion)du génie français sur l'antiquité? Quel savoir avait pour eux plus de valeur que celui qui s'exprimait en leur langue, qu'ils entendaient eux-mêmes, qui instruisait leurs sujets tout en enrichissant nos lettres et no~re idiome? Aussi sous leur règne les traducteurs abondèrent-ils; et l'on en compta, disait Macault, "ung nombre infini en France, au moyen des dons, bienfaictz et pensions que leur donne et ordonne ordinairement le Roy. ,,2 Quelques-uns, comme J.iacault lUi-même, se consacrèrent tout entiers à cet office, et, en retour des faveurs du roi, s'engageaient à lui "vouer et adresser tout l'esmolument et revenu de leurs petits la-beurs,,3: c'était un tribut dont chaque année ramenait l'échéance. Tra-duire était devenu un des "louables passe-temps de la court", dont toute la France recueillait "le fruict et le plaisir".

François 1er ouvrait aux savants sa bibliotftèque de Fontainebleau, riche en anciens manuscrits, en traductions surtout, présentées à ses pré-décesseurs et restées inédites; c'est là que reposait notamment le Thucydide de Seyssel. Souvent le roi déterminait lui-même l'ouvrage dont il voulait

1 In funere Francisci Gallorum regis oratio J. B. Gyraldi.

2 Ep. dédic. de la trad. du Pro Marcello au cardinal de Lerraine, 1534.

(17)

)

que la traduction vint enrichir les lettres françaises; son désir devenait un ordre (il commanda la version de Plutarque à Georges de Selve et à Amyot, celle de l'Iliade à Salel etc ••• ). Et si les interprètes trouvaient des détracteurs -d'ailleurs fort nombreux à l'époque- ils se couvraient de son patronage, opposaient hautement son approbation à leurs ennemis, et songeant qu'ils l'avaient "à maistre et protecteur", reprenaient confiance en une cause "où l'on se peut d'un grand roy remp&rerll1

Quant à la fondation du Collège Royal (1530) ainsi que la création de la première imprimerie royale (1543), ce sont autant d'exemples qui at-testent du soutien actif apbrté par François 1er à la cause des Lettres.

La création de ce Collège Royal constitue une étape importante dans la propag~tion de l'humanisme en France. Pour la première fois dans son his-toire la France possédait un établissement d'enseignement complètement émancipé de la tutelle de l'Eglise, dans lequel il était possible de se livrer à une étude directe des textes anciens, aussi bien grecs que latins ou même qu 'hébreux. W.ssons à Guillaume BUdé, qui participa activeqlent à sa fondation, le soin de commenter l'événement:

"Les lettres, dit-il au roi, sans vostre ayde estoient de

nostre tens déjectées, comme orphenines, pupilles et destituées de tout ayde et confort: et ont èncore bien grand besoin

d'estre supportées d'une si grande et opulente main comme la vostre, pour défendre leur bon droict, honneur et grande estime, que2tant de personnes s'efforcent par leur malice supprimer. Il

Par ces IIlettresll qui risquaient d'être "déjectéesll

, Budé fait

allusion à la langue grecque longtemps tenue pour suspecte en France, comme langue d'une science libre et encore insoumise. L'érudition, facilement t~ée par le clergé de favoriser la révolte des esprits, accusée même par les passions ignorantes de la foule -comme toutes les grandes nouveautés de l'époque- d'être la cause des m~eurs contemporains, avait besoin d'être dé fendue par la fe.veur royale et par l' irr"éprochable réputation de

1

Epistre de Dame Poésie à François 1er, sur la traduction d'Homère par Salel. 2 Préface de l'Institution d'un Prince.

(18)

Budé lui-même contre d'injustes défiances, parfois même contre les violences populaires. 1 C'est

avec~~nthousiasme

qui le caractérise que Rabelais sou-ligne l'événement:

"Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées: Grecque, sana laquelle c'est honte qu'une per-sonne se die savant, Hébra!que, Chalda!que, latine; les impressions tant élégantes et correctes, en usance, qui ont été inventées de mon âge par inspiration divine, et comme à contrefil, l'artillerie, par suggestion diabolique. Tout

le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, et m'est avis que, ni au temps de Platmn, ni de Cicéron, ni de Papinian, n'était telle commodité d'étude qu'on y voit maintaant. Et ne se faudra plus

dor.é-navant trouver en place ni en compagnie, qui ne sera bien expoli en l'officine de Minerve. Je vois les brigands, les bourreaux, les aventuriers, les palfreniers de main

2

enant p~us doctes ~ue

les docteurs et p~êcheurs de mon temps."

A cette louable ambition qu'avaient les rois de France de veiller au développement culturel de leur pays par la vulgarisation de la pensée antique vient se greffer une autre raison d'encourager le travail des traducteurs. C'est une raison d'ordre politique: il semble évident que les souvèrains -etsurtout François Ier- aient deviné tout le profit que le pouvoir retirerait d'une langue nationale forte et acceptée dans tous les coins du royaume. L'intérêt de l'Etat commandait l'unification et "l'illustration" de la langue qui devait faciliter l'unification de la justice et de l'administration du royaume. Cette idée devait déjà se trou-ver dans les esprits du siècle précédent mais n'allait se réaliser qu'en 1539 lorsque François Ier fait paraitre l'ordonnance de Villers-Cotterets sur la réforme de la justice: tous les actes, toutes les opérations de justice devront désormais se faire "en langaige maternel françois".

Existait-il un moyen plus sûr et surtout plus rapide que la traduction pour diffuser et amplifier notre langue? Comme 8e'comprend bien alors cet em-pressement qu'avaient les rois de faire passer en français les principaux chefs d'oeuvre de l'antiquité. Tout le monde y trouvait son compte: la

1 De là, des récits qui nous représentent Amyot, comme soupçonné ou même entaché d'hérésie, et réduit à fuir les persécutions que sa science lui attire.

2

(19)

langue s'enrichissait de tournures et d'expressions nouvelles; le public, lassé des Tristans, Girons, Lancelots et autres thèmes médiévauxi lisait avec avidité les exploits des "saiges et vaillants capitaines de l'anti-quité"; la royauté voyait, non sans satisfaction, se développer une langue nationale qui appuyait fort heureusement sa politique centralisatrice. C'est ce qu'a bien noté Du Bellay dans sa Defience et Illustration:

"Mais à qui, après Dieu, rendrons nous grâce d'un tel bénéfice, sinon à nostre feu bon roy et père Françoys, premier de ce nom et de toutes vertuz? Je dy premier, d'autant qu'il a en

son noble royaume premièrement restitué tous les bons ars et scien-ces en leur ancienne dignité: et si à nostre langage, aupara-vant scabreux et mal poly, rendu élégant, et sinon tant

copieux qu'il pourra bien estre, pour le moins fidèle interprète de tous les autres. Et qu'ainsi soit, philosophes, historiens, médecins, poUt es , orateurs Greez et Latins ont appris à parler français. 111

Antoine HéroHt, dédicaçant sa version de l'AndrOgyne de Platon (1536) à François Ier, lui rend le même hommage:

"Soubz vostre nom, soubz vostre bon exemple, On peult venter ce Royaulme tresample

De n'estre moins en lettres fleurissant Qu'on l'a congneu par guerre trespuissant. Sur ce propos ma langue ne peult taire Ce que vous doibt nostre langue vulgaire, Laquelle avez en telz termes reduicte,

Que par elle est la plus grand'part traduicte De ce qu'on lict de toute discipline

En langue Grecque, Hébra!que et Latine."

C'est à Claude de Seyssel que revient le mérite d'avoir composé le premier plaidoyer véritable en faveur de la langue française et, indi-rectement, en faveur de la traduction. Il s'agit d'une préface qu'il ~ eomposéeen l'honneur de Louis XII lors de sa traduction de Justin!. Son

1

2

Deffence et Illustration, I, iVe

"Prologue de Messire Claude de Seyssel, evesque de lIiarseille, en la translation de Justin, abbréviateur des Histoires de Trogue Popée, addressée au très puissant et très Chrestien Roy de France 10ys XII

(20)

mérite est d'autant grand qu'il n'est pas, par sa naissance, de langue franqaise1 et qu'il risque moins de se laisser emporter par son nationalis-me. Cela ne l'empêche pas de défendre avec force le développement de notre langue.

La première raison est qu'il veut la vulgarisation des sciences e~ des diverses disciplines, particulièrement de l'histoire, "qui, outre

la delectation qu'on peut prendre en la lecture d'icelle, est plaine d'en-ee;.gnements et documents à qui les veut gouster et digerer et reduire à sens moral. lt Ce désir d'éducation a animé Seyssel dès le début de son oeuvre, et l'encouragea jusqu'à la fin. Mais pour que cee sciences soient comprises de tous, il est nécessaire de les traduire en langue vulgaire. Car il faut "que ceux qui n'ont aucune notice de la langue latine, puissent entendre plusieurs choses bonnes et hautes, soit en la Saincte Escriture, en Philo-sophie morale, en Médecine ou en Histoire." (Préface de Justin). Et tout en admettant la présence du latin aux côtés du français; il conseille au roi "d'enrichir et magnifier la langue françoise." C'est là, lui dit-il, une oeuvre qui lui sera comptée "avec les autres choses grandes et dignes de mémoire qu'il a faites peur accroiatra et perpétuer en ce monde son nom et sa memoire.ft Il voit donc dans le développement de la langue

un moyen d'élever le niveau intellectuel et moral de la nation.

La seconde raison, beaucoup plus originale, c'est que le dévelop-pement du français est nécess~ire pour appuyer la politique extérieure de la France. Au moment où Seyssel écrit ce prologue la royauté française essaie d'assimiler les provinces conquises en Italie; Seyssel, qui a vécu dans ce pays, est le premier à constater que la diffusion de la langue serait

1

Voir l'Histoire du vOYage que fit Cyrus ••• par Xénophon ••• traduit par Cl. de Seyssel, 1529. !fLe langaige ne sera pas si agence et friant, comme la matière requiert et comme vous avez trouve en plusieurs autres. Non pour-tant, sire, prenez le en gre tel qulil est sil vous plait, et considerez que je ne suis pas natif de France et ny ay hante le tout comprins que trois ans plus, tant ~u service et conseil du feu Roy Charles huitième, vostre prédecesseur que au vostre, Parquoy nest pas a merveiller si je nay le Françoys bien familier, aina la plus part de mon aage ay use en Italie et en aultre exercice que en histoires mesmement franço3ses cumme bien scavez."

(21)

un des meilleurs moyens d'affermir ces conquêtes.

"Qu'ont fait le peuple et les princes romains, quand ils tenoient la monarchie du monde et qu'ils taschoient à la perpetuer et rendre eternelle? Ils n'ont trouvé d'autre moyen plus certain, ne plus seur que de magnifier, enrichir et sublimer leur langue Latine, qui du commencement de leur empire, estoit bien maigre et bien rude, et apres, de la communiquer aux pals et provinces et peuples par eux conquis, ensemble leurs lois.Romaines couchees en icelle."

Puis il montre, quarante ans avant Du Bellay (Defience, l, vii), comment les Romains ont enrichi leur langue ennitant les Grecs pour ensuite imposer le latin à tous les membres de leur empire.

"Qui fut la raison, pourquoy les autres pais et provinces, qui depuis se sont soustraits de l'obeissance de l'empire Romain, ont retenu l'usance d'icelle Langue, quasi en toute Europe, excepté Greee: quoy que soit, en toutes les terres

et nations, qui obeissent au sainct siege Apostolique: pourtant qu'au moyeh d'icelle avoyent communication de langage commun à eux

tous, et ausei cognoissance de tous les Arts et Sciences, et de toutes Histoires du monde, tant vieilles que nouvelles. Et parainsi la maiesté d'iceluy empire et de cette tres grande

.,monarchie n'a este conservee sinon en usance et auctori té de la langue Latine."

Comme autre exemple il donne celui de Guillaume de Normandie, "bastard de France", qui, après avoir conquis le royaume d'Angleterre et le voulant "perpetuer en sa lignee et nation, ••• bailla aux Anglois par escrit les loix Normandes, au langage mesme de Normandie, dont ils usent encore à present."

Dès lors, il suffit que le ~oi continue dans la voie où il s'est engagé, qu'il se constitue une litterature française en faisant "translater en françois les livres qui estes couchez'en langage grec Et latin." Ainsi, par ce travail, la langue française, comme celle. des Romains, se trouvera "enrichie par la communication des anciennes", capable et digne d'être ré-pandue. Les résultats des premiers efforts sont déjà appréciables en beau-coup d'endroits et la langue tise trouve moult pUbliée en plusieurs provinces et nations d'Europe", mais c'est en Italie surtout que le progrès est sen-sible. "Là, entendait le langage tout ainsi que leur propre et le parlait la plupart d'eux."

"Car, ajoute Seyssel s'adressant au roi, par le moyen des grandes et glorieuses conquestes qu'y avez. faites, n'y a quartier maintenant

(22)

en icelle, ou le langage François ne soit entendu par la plus-part des gens; tellement que la ou les Italiens reputoyirent iadis les Français barbares tant en meurs qu'en langage ~ present s'entrentendait sans truchement les uns les autres, et si s'a-daptent les Italiens, tant ceux ~ui sont soubs vostre obeissance, que plusieurs autres, aux habillemens et maniere de vivre de France. Et par continuation sera quasi tout une mesme façon, ainsi que l'on voit de ceux d'Astisane et de tout le Piedmont: lesquels au moyen de ce qu'ils ont de long temps esté soubz la seigneurie et obeissance de vous et de vo§ predecesseurs Ducs d'Orléans, ceux d'Ast et ceux de Piedmont, des Princes de Savoye, qui vivoyent et vivent à la Françoise, ne sont pas grandement differens de lEt forme de vivre de France."

La hardiesse et l'originalité de ces idées concernant le profit à tirer de notre langue nationale ne devaient pas déplaire aux souvèrains. Il est très probable que des conseils aussi précis et aussi avisés que ceux de Seyssel -et des autres lettrés de l'époque, dont notamment Jean Lemaire

1

de Belges - ont contribué à faire comprendre aux Valois que généraliser l'emploi de la langue nationale, c'était encore un moyen,et des plus effi-caces, pour assurer le succès de leur politique. Comment ne pas voir dans l'ordonnance de Villers-Cotterets une éclatante consécration des théories de Seyssel?

Les idées de l'évêque de Turin ne recueillirent aucun succès

im-médiat. Il faut attendre de nombreuses années encore pour voir d'autres lettrés se pencher à nouveau sur la question. Un des premiers humanistes français à avoir été sérieusement préoccupé par l'insuffisance de sa langue maternelle fut Geoffroy Tory, professeur, grammérien, imprimeur, miniatu-riste, peintre: un de ces esprits universels de la Renaissance. Le sort du français le préoccupait visiblement; il voyait autour de lui "des hom-mes qui aspiraient à écrire le grec et le latin s~ savoir parler

correc-2

tement leur langue maternelle." Il lui apparut qu'il serait plus glorieux pouu un Français d'écrire en français plutôt que dans une autre langue, aussi bien pour la préservation de son idiome que pour l'honneur de Bon pays.

Son Champfleury parut en 1529, mais l'auteur prétend en avoir conçu le projet dès 1523 ("en fantasiant dans son lict ••• "). L'ouvrage, divisé en

1 Sa Concorde des deux langages.

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trois parties, rappelle fort, quant au fond, les idées exprimées vingt ans auparavant par Seyssel. Jugeant que les Romains "avoient eu domination sur la plus grande partie du monde, et avoient plus prospéré de vic~re par leur langue que par leur lance", il souhaitait que les Français en "pussent faire autant, non pas pour estre -/;yrans et rays sur tous", mais

qu· "en ayant leur langue bien reiglée, ils pussent rédiger et mettre bonnes scien8es et arts en mémoire et par escript", au lieu de "mandier et prendre furtivement des Greez et des Latina" ee qu'on veut savoir des sciences. Ce n'est pas qu'il s'agisse de "contelllller les langues hébra!que .. grecque et latine", mais seulement de "cheminer plus seurement en sa "J'oye domestique, cestadire escripre en françois, comme François que nous sommes." Ensuite Tory indiquait les deux progrès essentiels qui étaient à faire: augmenter la production intellectuelle en invitant tous ceux qui pensaient, quelle que fût leur langue, à y concourir; puis répandre cette production en la mettant à la portée de tous ceux qui savaient lire. La dernière partie de son livre contient quelques suggestions pratiques pour amé1imrer l'orthographe; signalons entre autres l'usage de la cédille, de l'apos-trophe pour l'élision, de l'acdent aigu •••

A partir de 1530 les ouvrages touchant l'orthographe et la gram-maire françaises se multiplièrent, attestant de l'intérêt croissant que les érudits marquaient au français. La première grammaire régUlière fut l'oeuvre de l'anglais Palsgrave; elle parut à Londres en 1530 sous le titre de Esclarcissement de la langue françoyse. L'année suivante, Jacques Dubois -dit Sylvius- publie In linguam gallicam Isagwge, una cum euisdem Grammatica Latino-Ga1lica, ex Hebraeis. Graecis et Latinis authoribus.

La question de l'orthographe fut également l'objet de nombreuses études. Parmi celles-ci signalons l'ouvrage de Louis Meigret "Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise.,1 et celui de Jacques Pelletier "Dialogue de l'Orthografe e Prononciation françoese departi an deus liures".2 Mais, comme disait Olivetan "pource que la matiere pend encore au Clou ung chacun estime son orthographe estre la plus seure."

-r--

Lyon, 1542.

(24)

Cependant à côté des efforts déployés par quelques érudits pour revivifier leur idiome national, la langue française se heurtait à l'hos-tilité de l'Eglise et de l'Université farouchement· attachées à la tradition latine. Depuis le moyen âge le latin demeurait le seul langage admis dans les prières, les offices, les sacrements, la liturgie toute entière. Et surtout il avait, lui seul, le p~ivilège de traduire les Ecritures. Le clergé s'appliqua de très bOlllle heure à empêcher la vulgarisation des tex-tes sacrés. Dès 1170, lorsque Pierre Valdo, le chef des "pauvres de Lyon" voulut faire traduire l'Ecriture pour les ignorants, les persécutions d'In-nocent III arrêtèrent ses efforts. Le pape, dans une lettre à l'évêque et au chapitre de Metz, admettait que le désir de comprendre la Sainte Ecriture n'avait rien que de louable; mais il continuait en ajoutant qu'il avait été sagement IIdécl'été dans la loi divine que toute bête qui touche-rait à la montagne sainte devait être lapidée" et que "ceux qui ne voudraient

pas obéir librement apprendraient à se soumettre malgré eux." Le concile de Toulouse (1229) fut plus net encore: il interdit aux laïques de posséder aucun livre du Nouveau comme de l'Ancien Testament et ne fit exception que pour le Psautier, le Bréviaire des Offices et des Heures de la Vierge, mais à condition qu'ils fussent en latin; tout livre de ce genre demeurait prohibé s'il était en langue vulgaire. On pourrait multiplier ainsi les exemples à l'infini. Pourtant, en 1523 parut chez le libraire Simon de Colines le Nouveau Testament de Lefevre d'Etaples afin que, dit-il dans une préface, "ung chascun qui a congnoissance de la langue gallicane et non point du latinlt en un mot "les simples membres du corps de Jésus-Christ,

ayant ce en leur langue, puissent estre aussi certains de la vérité évan-gélique comme ceux qui l'ont en latin". On sait les ennuis que lui valurent cette traduetion. Un mois après la sortie du Nouvèau Testament la Faculté déclarait à l'lmanimité que les inconvénients des traductions étant multi-ples il fallait les interdire absolument. Si Lefèvre d'Etamulti-ples échappa au triste sort de son ami Dolet, ce fut grâce à une protection toute spé-ciale de François Ier qui intercéda en sa faveur. Cette répression impi-toyable exercée par la Sorbonne dura jusqu'à la fin du XYlème siècle. A ce moment la division était très nette: l'Eglise catholique subissait la langue vulgaire là où elle ne pouvait l'écarter; mais elle l'exiuait du culte proprement dit et, bien sûr, de la Bible. Erasme commenta la position

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de l'Eglise en ces termes:

"Pourquoi parait-il inconvenant que quelqu'un prononce l'Evangile dans cette langue, où il est né et qu'il comprend: le Français en français, le Breton en breton, le Germain en germanique, l'Indien en indien? Ce qui me paraît bien plus inconvenant, ou mieux, ridicule, c'est que des gens sans instruction et des femmes, ainsi que des perroquets, marmottent leurs Psaumes et leur Oraison dominicale en latin, alors qu'ils ne

compren-œnt pas ce qu'ils prononcent. Pour moi, d'accord avec Saint Jérôme, je me féliciterais plutot de la gloire de la Croix, je

consi-dérerais le résultat comme particulièrement magnifique et

triomphal. si toutes les langues, toutes les races la célébraient, si le laboureur, au manche de sa charrue, chantait en sa langue quelques couplets des Psaumes mystiques, si le tisserand, devant son métier, modulait quelque passage de l'Evangile, souigeant ainsi son travail, que le patron, appuyé à son gouvernail, en fredonnât un morceau; qu'enfin, pendant que la mère de famille est assise à sa qu,nouille, une camarade ou une parente lui en lût à haute voix des fragments. ;;"l

Erasme accusait les théologiens de vouloir se réserver le rôle d'oracles ou encore d'empêcher qu'on ne comparât leur vie aux principes que leur maitre~

't ' 2

aval. poses.

"Cette interdiction de vulgariser en France ce qui était devenu le livre par excellence a eu certainement de graves conséquences non seulement pour le développement de notre idiome mais pour le développement des idées morales et reli-gieuses de la nation même."3

La tradition._ latine demeurait très forte également dans les écoles et à l'Université. Il ne faut pas oublier que l'acquisition du latin était le but principal, presque unique des premières études. Selon l'expression de l'époque: "latine loqui, pie iiivere"; c'était tout un programme de vie. La piété ouvrait le chemin du ciel, le latin assurait l'entrée des sciences divines et humaines; il donnait com~ce avec tout ce qU'il y a de bien, de sage et de noble sur la terre. La plupart des érudits du XVlème siècle furent éduqués dans cette langue dès leur plus tendre enfance. Dans ses Essais4 Montaigne nous décrit les soins que prenait son père pour lui

1

Opera omnia, Ludg. Bat., 1706, VII. Erasmus pio lectori.

2

On retrouve la même critique chez

Du

Bellay, Deffence, I, x.

3 F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, T.II. 4 Essais, l, xxvi.

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assurer une éducation en latin.

Dans la maison de Robert Estienne aussi, au grand amusement de Daurat, femmes, servantes, clients, enfants ••• "tout l'$ssaim de la ruche laborieuse" s'entretenait chaque jour dans le langage de Plaute et de Té-rence.

"Intaminata quam latini puri tas Sermonis et castus decor 1

Nempe uxor, ancillae, clientes, liberi, Non segnis examen domus,

Quo Plautus ore, quo Terentiu6, salent Quotidiane colloqui."1

On a retrouvé des ouvrages pédagogiques très anciens où entrait le français.2 Dans tous ces cas, on étudie les formes françaises mais uniquement pour faire mieux sentir à l'élève la valeur et le sens des -formes latines: quand le français a rendu les services qu'on attendait de lui, et que l'étudiant n'est plua un si "rude abécédaire", on l'aban-donne. Ses premières années terminées, l'élève, hors de la classe comme dans la classe, ne doit plus avoir d'autre langue que le latin.

Les COllèges de Jésuites comme les universités3 restèrent, pen-dant tout le XVlème siècle, de farouches défenseurs du latin. Chaque Faculté entendait conserver le monopole qu'elle exerçait sur la Science. La Faculté de Médecine de Paris en donna une preuve comique dans le procès qu'elle fit à un empirique, Roch Bai1lif de la Rivière, qui se réclamait

1 Cité par Feugère, dans la Précellence de H. Estienne, Paris, 1850.

2

Ouvrages attribués à R. Estienne.

C'est le cas, par exemple, de la "Hanière de tourner en langue françoyse les verbes Actifz. Passifz! Gerondifz! Supins et Participes; item les verbes impersonnels ayant terminaisons active ou passive avec le verbe substantif nomme sum"; ou encore "les déclinaisons des noms et verbes. ~e doibvent sacvoir entierement par coeur les enfans ausguels on veult bailler entrée a la langue latine.

3 Du Boulay a raconté dans son khst. unl.versitatis, ~~~, 126, qu'un papetier harangué en latin par le ~ecteur de l'Université, qui lui faisait des reproches sur ses fournitures, fut cité devant le Pé.rlement pour avoir riposté en disant: "Parlez fN.nçais, je vous répondrai." (cfr. Compayre, iiist. des doct. de l ' éduc i., l, 137.)

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assurer une éducation en latin.

Dans la maison de Robert Estienne aussi, au grand amusem~nt de Daurat? femmes, servantes, clients, enfants ••• "tout l'essaim de la ruche laborieuse" s'entretenait chaquè jour dans le langage de Plaute et de Té-rence.

"Intaminata quam latini puritas Sermonis et castus decor J

Nempe uxor, ancillae, clientes, liberi, Non segnis examen dcmus,

Quo Plautus ore, quo Terentius, soIent Quotidiane col1oqui.,,1

On a retrouvé des ouvrages pédagogiques très anciens où entrait le français.2 Dans tous ces cas, on étudie les formes françaises mais uniquement pour faire mieux sentir à l'élève la valeur et le sens des formes latines: quand le français a rendu les services qu'on attendait de lui, et que l'étudiant n'est plus un si "rude abécédaire", on l'aban-donne. Ses premières années terminées, l'élève, hors de la classe comme dans la classe, ne doit plus avoir d'autre langue que le latin.

Les collèges de Jésuites comme les universités3 restèrent, pen-dant tout le XVI ème siècle, de farouches défenseurs du latin. Chaque Faculté entendait conserver le monopole qu'elle exerçait sur la Science.

La Faculté de Médecine de Paris en donna une preuve comique dans le procès qu'elle fit à un empirique, Roch Baillif de la Rivière, qui se réclamait

1 Cité par Feugère, dans la Précellence de H. Estienne, Paris, 1850.

2

Ouvrages attribués à R. Estienne.

C'est le cas, par exemple, de la "Hanière de tourner en langue françoyse les verbes Actifz, Passifz, Gerondifz, Supins et Participes; item les verbes impersonnels ayant terminaisons active ou passive avec le verbe substantif nomme sum"; ou encore "les déclinaisons des noms et verbes, sue doibvent sacvoir entierement par coeur les enfans ausquels on veult bailler entrée a la langue latin!.

3 Du Boulay a raconté dans son tlist. Un1versitatis,

rrr,

126, qu'un papetier harangué en latin par le ~ecteur de l'Université, qui lui faisait des reproches sur ses fournitures, fut cité devant le P~rlement pour avoir riposté en disant: "Parlez français, je vous répondrai." (cfr. Compayre, Rist. des doct. de l'éduc~, l, 137.)

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de Paracelse. Appelée à examiner les doctrines de l'imposteur, la commission des six délégués, nommée par elle, refusa de discuter des théories expri-mées en français, estimant à priori qu'un homme qui ne savait pas le latin, donc incapable de lire Hippocrate ou Galien ou Avicenne, était inapte à guérir. Pierre Boulenger,1 un des esprits modernes de l'époque, défendit avec acharnement l'instruction obligatoire et la gratuité de l'enseigne-ment pour les pauvres mais il n'imagina pas un seul instant que cette

ins-truction pût se faire sans le latin.

Cette domination exclusive du latin à l'Ecole suscita de nombreuses critiques de la part de certains lettrés. Une des premières protestations vint de Jean Bodin, célèbre jurisconsulte de l'époque, dans un discours prononcé à Toulouse en

1559.

Il

Y

déclarait qu'il y aurait une économie énorme de temps à étudier les sciences en sa langue maternelle, comme avaient fait les Anciens et comme les Italiens commençaient à le faire; il avança hardiment que le français y pouvait suffire, étant assez riche non seulement pour vêtir, mais pour orner les disciplines; on devait donc s'exercer:,à écrire et à parler en français comme en grec et en latin.2

Dans la seconde moitié du XVlème siècle plusieurs professeurs du Collège Royal appliquèrent cette idée hardie. Ce fut le cas de Ramus, Forcadel et surtout Louis Le Roy qui s'avança assez loin dans la défense du français. Tout en reconnaissant l'utilité et la beauté des langues appelées "doctes et grammaticales", il se prononce contre ceux qui se li-mitent uniquement à ces langues anciennes -si élégantes et utiles qu'elles soient- et négligent leur langage vulgaire et surtout les choses sûres et importantes de la vie contemporaine.

"N'est-ce point grande erreur, dit-il, que d'employer tant d'an-nées aux langues anciennes, comme Ion a accoustumé de faire, et

1

P. Boulenger, De uti1itate quae ad popu1um Ga11icum rediret. si sancte Regis edictum serv~etur, De adhibendis in singu1is Ga1liae oppidis preceptoribus. a quibus gratuito egentiores adolescentuli ingenuis artibus erudirentur. Paris, Fred, Morel.

2 Toutefois il reconnaissait les avantages du latin qui servait de langue

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consommer le temps à apprendre les mots, qui devrait estre donné

à la cognaissance des choses ausquelles Ion n'a plus ny le moyen ny le loisir de vaguer ?"

Passer tant de temps à l'étude de ces langues anciennes c'est "prendre la fleur pour le fruict, l'escorce pour le bois&" Certains érudits connaissent la généalogie des dieux anciens mais "ne leurent jamais en la saincte écriture." D'autres connaissent à fond le gouverne-ment de Sparte, de Carthage, d'Athènes mais "n'entendent rien au conseil de France, maniement des Fina."lces, ordre des Par lemens ••• Ii 1

Cependant cette indépendance d'esprit, même au Collège de France, ne changea rien à la routine; pendant de nombreuses années encore le français fut considéré, par certains savants, comme une langue de se-cond ordre qui discréditait celui-là même qui s'en servait pour traiter de matières !!graves et profondes". Mais clis irréductibles "latiniseurs" pouvaient-ils faire obstacle à l'émancipation et à l'avènement de leur langue nationale, puissamment soutenue par les souverains2, au profit d'un langage qui ne se parlait plus que dans les livres et dont le pays natal abandonnait progressivement l'usage?

1

Discours prononcé du haut d'une chaire d'b~_~ v~rs 1570.

2 Le Maçon, valet de chambre de la reine de Navarre, raconte dans la Préface de son.Décaméron, comment cette dernière l'avait littéralement obligé à traduire Boccace alors qu'elle connaissait parfaitement l'ita-lien. Mais elle ne voulait pas qu'il fût dit qu'en "aucune languel! on pût rien écrire, qui "ne pût être bien dit en français."

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