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Le personnage de Julie Bruneau dans la correspondance Papineau /

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Academic year: 2021

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(1)

par

MarIa ARBACH

Mémoire de maîtrise soumis à la Faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Août 2001

(2)

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(3)

Julie Bruneau is characterized in many different ways in the Papineau family

correspondence. The first-, second- and third-person narrators of the correspondence each use many techniques, sorne similar and sorne different, to emphasize various aspects of Julie's character.

The study of the characterization achieved by the different narrative voices, as well as by the contrasting first-person voices in Julie's own letters, allows us ta better understand the nature of epistolary characterization in aH its forms. The comparison ofthese varying accounts of Julie Bruneau's character allows us to come to a more balanced and complete portrait than would the study of only one part of the correspondence.

(4)

Julie Bruneau est caractérisée de plusieurs façons dans la correspondance de la famille Papineau. Les narrateursàla première, deuxième et troisième personne emploient plusieurs procédés, communs et particuliers, pour faire ressortir divers aspects du personnage de Julie.

En analysant les caractérisations réussies par les diverses voix narratives ainsi que la diversité des voix à la première personne qui ressortent dans la correspondance écrite par Julie, nous arrivons à mieux comprendre la nature de la caractérisation épistolaire. En comparant les divers portraits du personnage, nous arrivonsàun portrait global de Julie Bruneau plus complet que si nous n'avions analysé qu'une seule partie de la correspondance.

(5)

Je tiens à ren1ercier mon directeur de mémoire, Yvan Lamonde, et le Département de langue et littératures françaises de l'université McGill.

Je veux également remercier mes parents, Daoud et Geraldine Arbach, et ma soeur, Nadia Arbach, pour leur appui et leur aide constants.

Finalen1ent, je tiensàremercier tous mes amis qui m'ont encouragée et soutenue cette année.

(6)

Introduction

Premier chapitre: Louis-Joseph Papineau à ses enfants

1. Portrait de Julie Bruneau (selon Louis-Joseph Papineau) a) L'autorité

b) L'éducation des enfants c) Le ménage

d) L'argent

e) Les soins aux malades

f) Les indispositions et les dépressions g) La religion

2. Techniques particulières La critique

Deuxième chapitre: Papineau à Julie

1. Portrait de Julie Bruneau (Louis-Joseph Papineau

à

Julie) a) L'indépendance poussée

à

l'excès

b) L'expérience d'une mère de famille c) Les relations troublées avec la société d) L'encouragement et la consolation

e) L'éducation religieuse et sociale des enfants f) La politique et les affaires

10 10 Il 13 17

22

27

31 33 34

35

42

42

42

47

48 50 52

55

(7)

h) La plainte et le reproche

59

i) Le ménage

60

2.

Techniques particulières

62

a) L'opinion des autres

62

b) L'appel aux devoirs de mère

65

c) Le langage de l'intime

68

d) La critique

70

e) L'appel

à

l'autorité religieuse 72

Troisième chapitre: Correspondance de Julie

74

l. Julieàson mari

74

a) L'émotivité

74

b) Les bons principes

79

c) Le rôle des femmes

82

d) La maternité

84

e) Le soutien du mari

87

f) L'argent

89

g) La rébellion contre l'autorité

91

h) La politique

93

2.

Julieàses fils

96

3.

Julie àses filles etàsa belle-fille

102

Conclusion

Chronologie du couple Louis-Joseph Papineau-Julie Bruneau Bibliographie

106

114

(8)

Le nom de Papineau fait partie de la culture populaire du Québec depuis le XIXe siècle. Depuis sa mort en 1871, le rôle qu'a joué ce plus fameux des chefs des Patriotes, Louis-Joseph Papineau, dans la fondation du Québec moderne a fait l'objet d'études et d'analyses de divers biographes et historiens.1 Grâceàla publication très récente de la correspondance réunie de divers

membres de la famille Papineau, nous avons maintenant accès à des sources sur la vie de la famille Papineau écrites de première main, sources qui éclairent non seulement le caractère de Louis-Joseph Papineau, mais également le caractère des autres membres de sa famille, dont son épouse et ses enfants. Ce mémoire portera sur la construction du "personnage" de Julie Bruneau Papineau, femme de Louis-Joseph, dans les diverses parties de la correspondance.

La correspondance de la famille Papineau comprend quatre séries de lettres pour un total de 1414 lettres: celles écrites par Louis-Joseph Papineauàses enfants2(711 lettres), celles écrites par

Louis-Joseph Papineau à Julie Bruneau Papineau3(312 lettres), celles écrites par Julie à divers

membres de sa famille4(309 lettres), et celles écrites par Lactance Papineau(lefils de Julie et de

Louis-Joseph)5 (82 lettres).

1Voir Y. Lamonde, Louis-Joseph Papineau: un demi-siècle de combats, p. 615-662, pour une bibliographie chronologique des études sur Louis-Joseph Papineau (écrits de Papineau aussi inclus). Voir aussi R. Rudin, Making History in Twentieth-Century Quebec, pour une description détaillée des premiers historiens "professionnels" au Québec, et de leurs travaux sur Papineau et autres.

2Ces lettres sontà paraître sous peu chez Septentrion. Elles ont été consultées sous forme dactylographiée et nous y

référons en donnant la date de la lettre citée. Nous remercions M. Georges Aubin de nous avoir donné accès à la version dactylographiée des lettres de Louis-Joseph Papineau à ses enfants.

3Lettres à Julie, Georges Aubin et Renée Blanchet (éd.), Sillery (Québec), Septentrion, 2000, 813 p.

4Une femme patriote: correspondance 1823-1862, Renée Blanchet (éd.), Sillery (Québec), Septentrion, 1997, 519 p. 5Correspondance 1831-1857, Renée Blanchet (éd.), Montréal, Comeau et Nadeau, 2000, 251 p. Comme cette correspondance ne mentionne Julie que rarement, nous nous en servirons seulement de temps en temps.

(9)

La correspondance de Louis-Joseph Papineauà ses enfants6couvre la période de 1825 à

1871, l'année de sa mort. La grande majorité des lettres sont adressées au fils aîné des Papineau, Amédée. Une infime partie est adressée au frère cadet d'Amédée, Lactance. Les parties les plus importantes de la correspondance sont celles qui couvrent la période 1839-1845, lorsque la famille Papineau était réunie en France, sauf pour Amédée, qui étudiait et travaillait aux États-Unis, et la période de la construction du manoir de Montebello, qui a débuté au milieu des années 1850. Julie Bruneau Papineau n'est pas le sujet principal de cette correspondance; au contraire, la

correspondance concerne surtout les affaires et la situation financière de la famille. Mais bien qu'elle soit un personnage secondaire, Julie Bruneau est quand même présente dans l'échange épistolaire entre père et fils.

La correspondance de Louis-Joseph Papineauà Julie couvre la période entre 1820 et 1862, année de la mort de Julie. Elle peut se subdiviser en quatre parties: "L'Orateur" (1820-1829), "Le Patriote" (1830-1836), "L'Exilé" (1837-1845) et "Le Seigneur" (1846-1862). Les deux premières parties comprennent des lettres adresséesà une Julie qui s'occupait de la maison et de la famille à Montréal pendant que son mari poursuivait sa carrière politiqueà Québec. La troisième partie s'adresseà une Julie qui reste au Canada durant une partie de l'exil de son mari aux États-Unis et en France, et ensuite, à une Julie qui est de retour au Canada, alors que son mari reste en France. La quatrième et dernière partie est adresséeà une Julie qui reprend sa vie au Canada dans la

cinquantaine.?

Durant sa vie d'épouse et de mère de famille, Julie Bruneau a adressé des lettresà presque tous les membres de sa famille. Sa correspondance réunie dans le volume intitulé Une femme patriote comprend un grand nombre de lettres écritesà son mari et à son fils Amédée, une quantité considérable de lettres adresséesà sa belle-fille Marie Westcott Papineau (épouse d'Amédée), et un nombre moins important de lettresà son fils Lactance, ses filles Ézilda et Azélie, et sa belle-soeur

6Les cinq enfants Papineau à survivre à l'enfance sont: Amédée (1819-1903), Lactance (1822-1862), Ézilda (1828-1894), Gustave (1829-1851) et Azélie (1834-1869). Voir Y. Lamonde, «Introduction», Lettres à Julie, p. 10. 7Lettres à Julie, «Notes sur la présente édition», p. 22.

(10)

Rosalie Papineau Dessaulles.8 Ces lettres couvrent la période entre 1823 et 1862. Les lettres de

Julie écrites avant 1823 n'ont pas été retrouvées, soit parce qu'elles ont été perdues, soit parce qu'elle ont été détruites.9

Avant de décider quelle sorte d'étude entreprendre sur un corpus tel que le nôtre,ilfaut examiner les études qui ont déjà été publiées sur la correspondance familiale. Dans son livre intitulé La Famille dans son intimité: Échanges épistolaires au sein de l'élite canadienne du XVIIIe sièclelO ,l'historienne Lorraine Gadoury a réussi une étude pertinente pour la nôtre qui utilise comme corpus de base la correspondance de laCollection Baby,ensemble des lettres familiales de cette famille québécoise du 18e siècle. Le but de Gadoury est de tirer des conclusions historiques générales sur la dynamique d'une famille à travers l'étude de ses lettres. En examinant les différents échanges entre membres, elle jette un éclairage sur plusieurs sujets liés à la vie quotidienne des correspondants dont les alliances matrimoniales et les relations entre époux, les enfants et leur éducation, la famille et son soutien, et le rôle de la maladie, la mort et la foi dans une relation familiale.

A

part l'étude de Gadoury, la grande majorité des études récentes sur l'épistolaire (non fictif) se concentrent sur un épistolier qui est principalement connu comme écrivain.Il Donc, la correspondance sert comme sorte dlllavant-texte de l'oeuvre littéraire"12 de l'écrivain en question et elle est considérée comme un outil qui fournit des indices utiles à l'oeuvre littéraire "véritable".

8La correspondance de celle-ci a récemment paru sous le titre Correspondance, 1805-1854, Georges Aubin et Renée Blanchet (éd.), Montréal, Éditions Varia, 2001,305 p. Malheureusement, cette étude était déjà trop avancée pour permettre l'inclusion de cette correspondance.

9R. Blanchet, «Introduction», Une femme patriote, p. 9.

lOMontréal, Éditions Hurtubise, Collection Cahiers du Québec, Collection Histoire, 1998, 186 p.

IlLa «Présentation» (p. 3-11) de Benoît Melançon et Pierre Popovic dans leur volume intitulé Les facultés des lettres: recherches récentes sur l'épistolaire francais et québécois offre un excellent aperçu de l'intérêt récent pour l'épistolaire et les concepts- et études-clés de ce domaine. (Montreal: Centre universitaire pour la sociopoétique de l'épistolaire et des correspondances (Université de Montréal), 1993,241 p.).

l2Alain Pagès, «Le discours de la correspondance», Les cahiers naturalistes, 45e année, vol. 73, 1999, p. 9-23. Ce sentiment est aussi exprimé entre autres par B. Melançon dans <<Didérot épistolier: pour une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle. Conclusions d'une thèse», Les facultés des lettres: recherches récentes sur l'épistolaire français et québécois, Montreal: Centre universitaire pour la sociopoétique de l'épistolaire et des correspondances (Université de Montréal), 1993, p. 19.

(11)

Mais dans notre cas, bien que plusieurs membres de la famille Papineau, dont Louis-Joseph13et Amédée en particulier, aient publié un certain nombre d'écrits (de non-fiction, précisons), l'écriture n'est pas nécessairement leur métier principal. Il y a des mentions explicites que Louis-Joseph avait l'intention d'utiliser les informations contenues dans ses premières lettres pour la publication éventuelle d'une histoire "secrète" de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canadal

4,

mais ce projet n'a

jamais été réalisé. Mais même s'il y avait une oeuvre littéraireà éclairer par la correspondance, cette sorte d'approche implique une position d'infériorité de la part de la correspondance,

connotation qui n'est pas nécessairement souhaitable. La correspondance est un texte littéraire et mérite d'être examinée en tant que tel.

Une lecture initiale du corpus a permis de relever un fait intéressant: en tant que figure centrale de la dynamique familiale, Julie Bruneau Papineau, femme de Louis-Joseph, est présente dans la majorité des échanges épistolaires, qu'elle soit participante active ou non. Autrement dit, même si elle n'est ni destinatrice ni destinataire d'une lettre, elle est souvent impliquée dans l'échange. Grâceà la publication des quatre séries de lettres, nous sommes maintenant en mesure d'examiner en même temps le portrait de Julie créé par les lettres qu'elle a écrites, par celles qui lui sont adressées et par celles qui parlent d'elle. Nous pouvons maintenant COmmencerà déterminer ce que signifie le nom "Julie Bruneau" dans les diverses correspondances et pour les divers correspondants de la famille Papineau. Ce mémoire portera sur l'effet et les procédés de la caractérisation de Julie Bruneau effectuée par divers correspondants dans les différentes parties de la correspondance familiale.

Étant donné la publication très récente des quatre volumes de lettres réunies des divers membres de la famille Papineau, il existe très peu d'études sur les divers volumes, et aucune sur la correspondance familiale en son entier. Dans son livre Making History in Twentieth-Century

13Un aperçu des écrits politiques de Papineau a été publié dans le volume Louis-Joseph Papineau: un demi-siècle de combats, interventions publiques, Yvan Lamonde et Claude Larin (éds.), Montréal, Éditions Fides, 1998,665 p.

(12)

Ouebec, Ronald Rudin écrit que l'historien responsable de la publication d'une partie de la correspondance dans les années 195015, Fernand Ouellet, a accompagné la correspondance

d'introductions où il qualifiait la famille, et en particulier Julie Bruneau, de profondément troublées sur le plan émotif. Mais selon Rudin, la caractérisation de Ouellet n'est pas du tout fondée, et Ouellet se considérait "free to make extravagant claims based on relatively little evidence".16 En

1958, F. Ouellet a publié une étude sur Julie Bruneau dans le Bulletin des recherches historigues17 ,

étude qu'il a tenté de publier avec quelques nouvelles parties sous forme de livre en 1961, mais qui n'a finalement jamais paru,18 L'article de Ouellet est ainsi le seul ouvrage consacréàJulie Bruneau, sauf pour la courte introduction de Renée Blanchet dans le volume Une femme patriote. Quant aux études sur les autres volumes de la correspondance, nous disposons seulement des introductions écrites par Renée Blanchet (Correspondance de Lactance Papineau) et par Yvan Lamonde (Lettres à Julie).

Comme notre étude porte sur la caractérisation de Julie Bruneau comme personnage, les études sur la fiction épistolaire, genre où la caractérisation des personnages est un élément clé, nous seront utiles, bien que les circonstances ne soient pas identiques. L'ouvrage de Janet Gurkin Altman, Epistolarity: Approaches to a Forml9,nous servira de base. Nous consulterons également l'ouvrage de Philippe Hamon, Le personnel du roman, pour des éléments additionnels sur l'idée du "personnage" littéraire.

Étant donné que la correspondance Papineau comprend un très grand nombre de textes, écrits par divers correspondants à divers destinataires, sur une période de plus de cinquante ans

15Dans le Rapport de l'archiviste de la province du Québec entre 1951-1959. Voir R. Rudin, p. 150. 16R. Rudin, p. 152.

17p.Ouellet,«Ledestin de Julie Bruneau-Papineau», Bulletin des recherches historiques, vol. 64 (1958), no. l, p. 7-31;

vol. 64 (1958), no. 2, p. 37-63.

18La publication de ce livre a été délibérément arrêtée par les Presses de l'Université Laval après un procès fait par la descendance de Julie Bruneau Papineau à Fernand Ouellet. Le tribunal a décidé que le travail de Ouellet était diffamatoire en certains aspects. Pour un résumé du procès et de ses effets, voir R. Rudin, p. 152-161. Dans ce mémoire, nous citerons l'article de 1958, qui n'a pas été contesté durant le procès, bien qu'il soit presque identique au livre.

19Columbus: Ohio State University Press, 1982,235 p. Le livre d'Altman comprend aussi une bibliographie assez complète sur le roman épistolaire et les études qui y sont consacrées (jusqu'à 1982).

(13)

(1820-1871), il n'est pas possible que Julie Bruneau Papineau ait été représentée de façon identique dans toute la correspondance. Nous nous poserons alors les questions suivantes: quelles sont les conceptions de Julie Bruneau dans chaque partie de la correspondance? et en quoi sont-elles différentes? Notre deuxième objectif sera d'examiner comment ces diverses conceptions sont construites par les épistoliers. Nous tenterons de découvrir des procédés ou tactiques utilisés par ceux-ci pour créer le personnage de Julie. Nous tenterons aussi d'évaluer l'effet final de la juxtaposition de ces diverses caractérisations. Autrement dit, nous essayerons de voir si le lecteur

de la correspondance peut arriver à une seule conception globale de Julie Bruneau, ou si les diverses versions sont trop différentes pour être réconciliées. Finalement, nous tenterons de tirer quelques conclusions sur la construction d'un personnage dans un texte épistolaire,àla troisième personne (Louis-Joseph Papineau à ses enfants), à la deuxième personne (Lettres à Julie) et à la première personne (Une femme patriote).

Comme le but de ce mémoire est d'étudier les tactiques utilisées par les épistoliers pour créer le personnage de Julie ainsi que les effets de ces procédés, l'approche se concentrera principalement sur le texte lui-même. Un examen minutieux des expressions et des métaphores utilisées par les auteurs qui se rétèrent à Julie sera la base de ce travail.

Faute d'études spécifiques sur la construction d'un personnage dans un texte épistolaire, nous nous servirons de la partie que Janet Gurkin Altman a consacréeàce sujet dans son livre Epistolarity: Approaches to a Form. Altman commence son travail avec l'hypothèse que la forme épistolaire "significant1y influence[s] the way meaning is consciously and unconsciously

constructed by writers and readers of epistolary works."20 Ainsi, le but d'Altman est de relever les enjeux particuliers du roman épistolaire, dont la notion de distance entre correspondants, la notion de confidentialité de la lettre et de sa fonction comme écriture intime, la notion du rôle du lecteur (interne autant qu'externe) et la notion du discours particulier de la lettre. Altman consacre

(14)

également une bonne partie de son livre à l'analyse de la "mosaïque" épistolaire, c'est-à-dire, l'opposition et la juxtaposition de la fonction de la lettre unique et sa fonction en tant que partie constituante d'un texte?1 Finalement, Altman aborde le sujet du personnage dans le roman épistolaire et bien que notre correspondance ne soit pas fictive, les procédés soulignés par Altman peuvent facilement s'adapter à nos propos.

Altman relève cinq procédés utilisés dans la construction du personnage dans le genre épistolaire22: caractérisation du personnage à travers les sujets choisis,à travers la fréquence des échanges entre une paire de correspondants23 ,à travers le point de vue exprimé par un

correspondant sur un événement en particulier (contrasté avec celui d'un autre correspondant sur le même événement)Z4,à travers la relation entre les correspondants et le titre invoqués par l'auteur d'une lettre, et à travers le style et le ton de la lettre. Dans notre examen des différents portraits de Julie Bruneau, nous signalerons l'utilisation de ces procédés établis par Altman. Nous analyserons également plusieurs passages particulièrement intéressants pour montrer comment fonctionne le texte pour évoquer les connotation voulues.

Étant donné que notre étude repose sur la notion du "personnage", il convient de donner une définition de ce terme. Comme le personnage est nécessairement fictif (bien qu'il soit censé causer un effet de réel), nous avons dû nous tourner vers la théorie de la fiction pour trouver une définition acceptable. Dans son livre Logique du personnage: réflexions sur l'univers

21 Cette analyse d'Altman repose sur la notion d'un auteur-éditeur conscient qui aurait dicté la production des lettres et leur arrangement dans le texte, ce qui n'existe pas dans notre correspondance. Cependant, il y a certainement eu un triage et une édition de cette correspondance de la part de la descendance des Papineau, intervention qui aurait plus ou moins arrangé la forme finale de la correspondance telle que nous la lisons. Voir les commentaires à ce sujet de Georges Aubin (<<Note sur la présente édition», Lettres à Julie, p. 23) et de Renée Blanchet (<<Introduction», Correspondance. 1831-1857 de Lactance Papineau, p. 22; et «Introduction», Une femme patriote, p. 9). 22J. Altman, p. 173-178.

23Bien que dans une correspondance non fictive, ce phénomène relève de la réalité--ou du hasard--historique. Si Julie s'est adressée à sa fille Azélie beaucoup plus souvent qu'à sa fille Ézilda, c'est parce que celle-ci est restée presque toujours aux côtés de sa mère, et donc la fréquence des échanges est gouvernée par la réalité pratique des correspondants. Par contre, le choix de Julie d'adresser une vingtaine de lettres à sa belle-fille, Marie Westcott Papineau, à la place de son fils, Amédée, mari de celle-ci, indique non pas un simple fait historique, comme dans l'autre cas, mais plutôt un désir de Julie de s'exprimer d'une autre façon que celle dont elle s'exprime avec son fils.

24Dans son étude sur le personnage romanesque, Philippe Hamon a aussi noté l'importance de la mise en opposition

comme procédé de construction du personnage (Le personnel du roman: le système des personnages dans les

(15)

faulknérien25, Sorin Alexandrescu a noté que généralement, les auteurs construisent des

personnages"analoguesà leurs [les auteurs] contemporains."26 Dans notre cas, bien sûr, l'idée était de représenter Julie Bruneau dans le texte pour que le personnage ressemble à la véritable Julie Bruneau le plus exactement possible (selon l'impression particulière que tenait chaque auteur de la vraie Julie). Mais le personnage n'est pas identique à la personne?? car le personnage n'est qu'un phénomène textuel composé de paroles censées évoquer un sens ou une idée qui, dans leur ensemble, formeront le personnage. Philippe Hamon définit deux parties constituantes du personnage: son "étiquette", ou l"'ensemble...de marques: nom propre, prénoms, surnoms, pseudonymes, périphrases descriptives diverses, titres"28 et son "portrait", ou la "somme de traits sémantiques intégrés dans l'unité d'un personnage. "29 Autrement dit, les façons multiples de nommer un personnage et les caractéristiques relevées de tous les commentaires proposés à son sujet créent ensemble ce que Hamon appelle "l'effet-personnage", ou l'effet qu'il s'agit là d'une vraie personne. Donc, dans notre étude, nous considérerons le "personnage" comme l'image d'une personne évoquée chez le lecteur autour d'un nom (dans ce cas, Julie Bruneau), qui a pour but de ressembler le plus possible à une vraie personne (dans ce cas, la véritable femme qui porte ce nom).30

L'analyse de la correspondance se déroulera en trois parties. Le premier chapitre traitera la correspondance de Louis-Joseph Papineau à ses enfants, où Julie est un personnage secondaire et où toutes les références à elle se font à la troisième personne. Nous dégagerons un premier portrait

25Logigue du personnage: réflexions sur l'univers faulknérien, Tours, Maison Marne, Collection «Univers sémiotiques», 1974,368 p. Comme la théorie d'Alexandrescu est très complexe, nous ne nous servirons que de ses propos introductifs.

26Ibidem,p.9.

27Distinction relevée par Barry N. Olshen, qui utilise le terme anglais "persona" pour indiquer ce que nous appelons

"personnage". (<<Subject, Persona, and Self in the Theory of Autobiography», a/b: AutolBiography, 10-1 (printemps 1995), p. 5-16.)

28Cette citation apparaîtà la page 107 du livre de Hamon; l'idée est répétée dans des mots presque identiques à la page

157.

29p. Hamon, p. 178.

30Le nom du personnage est ainsi le signifiant, et l'impression d'une vraie personne évoquée dans la mentalité du lecteur est le signifié.

(16)

de Julie telle que la présente son mari à ses enfants et nous découvrerons également quelques tactiques particulières qu'utilise Papineau pour faire valoir cette conception.

Le deuxième chapitre aura pour sujet la correspondance de Louis-Joseph Papineau à sa femme. Nous partirons de l'hypothèse que cette correspondance éclaire sa destinataire autant que son auteur.3 1 Dans ce chapitre, nous examinerons la conception de Julie que Papineau lui présente

dans les lettres qu'il lui adresse: conception à la fois représentative de Julie comme il la voit, et idéale de Julie commeilvoudrait qu'elle soit. Nous signalerons les zones de désaccord entre cette conception et celle relevée dans le premier chapitre.

Dans le troisième chapitre, nous considérerons la correspondance de Julie Papineau comme écriture autobiographique. Selon la théorie de Barry Olshen à l'effet que toute écriture

autobiographique crée dans le texte non pas une entité identique à l'auteur mais un personnage ("autobiographical persona") semblable32,le "je" de cette correspondance, c'est-à-dire le "je" autobiographique, est une construction textuelle. Cette construction textuelle mérite d'être étudiée comme telle, et non pas comme une simple inscription de la véritable Julie Papineau dans l'univers textuel (ce qui, d'ailleurs, est impossible). En nous inspirant de l'article de Sophie Marcotte, «Gabrielle Roy's Correspondence: An Epistolary Autobiography?», nous tenterons de d'établir et d'analyser le persona que l'auteur crée pour elle-même et les procédés qu'elle utilise pour le faire.

La dernière partie de ce travail, la synthèse et les conclusions, tentera de comparer les différentes représentations textuelles de Julie Bruneau qui seront relevées dans les trois chapitres précédents afin d'arriver le mieux possible à une conception globale du personnage tel qu'il est présenté dans la correspondance familiale en son entier.

31Plusieurs chercheurs, dont Vincent Kaufmann en particulier, se sont penchés sur le problème du destinataire. Comme l'indique Sophie Marcotte, "Sorne theoreticians of the letter have also tried to demonstrate that the writer does not write to a real, but rather to a virtual 'Other'" (<<Gabrielle Roy: An Epistolary Autobiography?» p. 58). Benoît Melançon suggère aussi que "le destinataire désigné n'est parfois qu'un intermédiaire entre le destinateur et celui auquel il veut véritablement s'adresser" (<<Diderot épistolier», p. 26), ce qui pourrait bien être le cas dans les premières lettres

de Papineauà Julie au sujet de la politique. Mais même si Papineau n'écrivait pas seulement pour Julie, il utilise quand

même un "tu", et aufilde sa correspondance, un personnage est créé autour de ce "tu".

(17)

Lepersonnage de Julie Bruneau est construit de trois façons: à la première personne, dans ses propres lettres qu'elle a adressées aux membres de sa famille,àla deuxième personne, dans les lettres que ces derniers lui ont adresséesàelle, etàla troisième personne, dans les lettres que son mari et ses fils se sont adressées les uns aux autres. Dans cette section nous allons nous familiariser avec le personnage de Julie conçu et présentéàla troisième personne, de la perspective de son "narrateur", son mari. Nous allons nous servir d'exemples des quelque 700 lettres écrites par Papineauàses enfants entre 1825-1871 pour dégager un premier portrait de Julie Bruneau, tout en signalant l'utilisation des méthodes de caractérisation relevées par Janet Altman. Nous allons également noter quelques tactiques particulièresàPapineau que celui-ci utilise dans sa présentation de sa femme. Plus tard nous reprendrons les caractéristiques et tactiques qui composent ce premier portrait pour les contraster avec les caractéristiques et tactiques présentées dans les deux autres corpus.

1. Portrait de Julie Bruneau (selon Louis-Joseph Papineau)

Bien que les mentions de plusieurs caractéristiques de Julie se retrouvent partout dans la correspondance, le personnage ne reste certainement pas identiqueàtravers les plus de 45 ans que couvre cette correspondance. Nous verrons qu'au début de la correspondance, lorsque ses enfants sont en bas âge, l'accent est mis sur Julie comme mère, et sur ses responsabilités envers la santé et

(18)

l'éducation de ses enfants.1 Plus tard, lors du retour des Papineau au Canada en 1845 et de leur

établissement au manoir de Montebello, les tâches de Julie, et donc sa caractérisation, se

concentrent autour de son rôle de tête du ménage du manoir et de belle-mère envers l'épouse de son fils aîné Amédée, et de grand-mère envers les enfants de ce couple. Ce n'est pas seulement le personnage de Julie qui subit un changement au fil des années; Papineau, la voix qui construit le personnage de Julie dans cette série de lettres, change lui aussi. Nous constaterons une

augmentation significative dans le nombre et la sévérité des plaintes et des critiques au sujet du caractère de Julie vers la fin de la correspondance. Ceci ne veut pas nécessairement dire que c'est Julie qui devient moins raisonnable lorsqu'elle vieillit; au contraire, ceci dénote également un changement dans l'attutide de Papineau envers elle, c'est-à-dire, qu'il devient de plus en plus disposé à se plaindre, non seulement d'elle, mais de tout ce qu'il trouve déraisonnable.

a) L'autorité

Dans la toute première lettre de la série, la seule écrite avant 1835 à être conservée, Papineau invoque tout de suite le personnage de Julie comme la tête de la maison, une personne à laquelle obéir et à ne pas chagriner en la contrariant. Papineau écrit à Amédée, "N'oublie pas, mon cher Amédée, que le plus grand plaisir quetupuisses me faire, c'est d'être assez bon petit garçon, pour ne faire jamais de chagrin à la maison, à maman, à Lactance, à personne..."2. Au moment d'écrire cette lettre, Papineau est à Québec pour la session de l'Assemblée, comme c'est son habitude chaque hiver. Papineau a désigné Julie, ou "maman", comme la figure d'autorité durant son absence, ce qui est évident dans la deuxième partie de la lettre, adressée à Lactance, où Papineau lui conseille, "il faut qu'ils [les deux garçons] soient assez sages pour que leur bonne

1Cela est réussi par une combinaison des procédés d'Altman,ycompris le choix de toujours associer Julieà la vie

domestique (choix de sujets), et, comme nous verrons plus tard, la décision de Papineau de s'adresserà Julie comme

"maman" au lieu d"'épouse" (choixderelation ou titre privilégié).

2Papineauà Amédée et Lactance, 2 mars 1825. Comme cette correspondance n'est pas encore publiée, nous référons à

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maman puisse m'écrire: «Je suis bien contente de mes deux petits garçons, ils ont passé toute la journée hier sans se racher et ils s'aiment biem>."3 Fernand Ouellet, auteur de l'article «Le destin de Julie Bruneau-Papineau», a même conclu qu'à cette époque, "le rôle de la mère dans l'éducation et, en particulier, dans la formation religieuse des enfants, devenait dès lors déterminant et le mari apparaissait plutôt comme un auxiliaire de l'autorité maternelle."4

Dès le début de cette correspondance, Papineau met en rapport son bonheur avec celui de sa femme. Il dit que ça lui ferait plaisir si les deux garçons ne contrariaient jamais leur mère. L'implication est que si la mère n'est pas contente, le père ne l'est pas non plus. L'accent ici est moins sur le sage comportement souhaité de la part des enfants, que sur l'effet de ceci sur le ménage, et en particulier, sur leur mère. Ce n'est pas parce que c'est la façon dont il faut se

comporter que les enfants doivent être sages, mais plutôt pour que leur mère soit contente d'eux. Et en plus d'être la déléguée de l'autorité du père dans l'absence de celui-ci, Julie est aussi présentée aux enfants et au lecteur comme une espèce de "reporter" pour le père. Si les enfants se comportent sagement, les rapports qu'elle donnera au père seront favorables. L'implication, alors, est que s'ils se comportent d'une manière inacceptable, la mère racontera leurs actions à leur père. (Il n'y a rien dans ce passage pour indiquer si la mère les punira elle-même pour un mauvais comportement, et ensuite racontera le tout au père, ou si elle racontera tout simplement la bêtise au père pour qu'il punisse le malfaiteur lui-même.) Cependant, en dépit de ces rappels que la mère est la voie d'information au père et que des bêtises lui seront racontées, Papineau ne présente aucune indication d'une autorité extrêmement rigide; au contraire, il est plutôt indulgent (rappelons-nous que le petit Lactance n'a à ce moment que trois ans). Il répète que c'est "pour le consoler [de son absence forcée] et lui faire beaucoup de plaisir"5 que les enfants doivent s'empresser de rendre leur mère contente.

3Ibidem.

4Femand Ouel1et, «Le destin de Julie Bruneau-PapineaID>, p. 49. 5papineau à Amédée et Lactance, 2 mars 1825.

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La deuxième lettre, celle écrite à Amédée le 9 juillet 1835 lorsque Papineau et Julie sont à Saint-Hyacinthe, contient aussi une mention significative de Julie. Amédée, à cette époque âgé de 16 ans, souffre de l'absence de ses parents et se voit forcé à endurer "une solitude qu['il dit] être plus grande que celle d'un ermite." Son père essaie de le consoler en lui expliquant que l'absence, quoique pénible, est justifiée. Il raisonne, "Quant au coeur, l'absence de tes parents le laisserait seul en effet, si tu n'envisageais pas que cette promenade contribuera probablement à la santé de ta maman." Il est évident par cette phrase que la santé de Julie n'est pas parfaite (ce que, d'ailleurs, indique la grande majorité des mentions de Julie dans ce corpus). Il est évident aussi que le rétablissement de sa santé est quelque chose de positif, pour la réalisation duquel il faut parfois endurer des situations pénibles. Ce rétablissement est-il à souhaiter simplement pour la joie de savoir que la mère ne souffre plus, ou parce qu'il causera aussi un soulagement de sorte dans le rapport familial? La santé faible de Julie entraîne-t-elle de la tension entre les membres de la famille?

b) L'éducation des enfants

Dans les vingt premières années de la correspondance entre Papineau et son fils Amédée, un des rôles attribués à Julie qui ressort le plus est son rôle comme éducatrice de ses enfants. À

cette époque, la première éducation d'un enfant venait sans doute de la mère. Ceci est évident quand nous examinons la première lettre de Papineau à ses enfants, datée de 1825. Amédée, à l'âge de six ans, est déjà élève d'une école, dirigée par une demoiselle Waller. Lactance, âgé de trois ans, est encouragé par son père à apprendre ses lettres, que celui-ci lui écrit en gros caractères sur le texte manuscrit de la correspondance. Lactance n'est pas encore assez âgé pour aller à l'école, et Papineau, bien qu'il lui fournisse l'alphabet par écrit, n'est pas présent pour le lui enseigner. Il est évident, donc, que c'est le rôle de Julie de le faire. Julie n'était pas institutrice professionnelle, mais du simple fait que sa correspondance existe, nous pouvons constater qu'elle savait lire et écrire

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assez bien, ce qui est confinné par sa propre éducation, reçue chez les Ursulines de Québec.6 Fernand Ouellet propose que Julie "était peu apte en raison de son caractère et de son éducation à faire face aux difficultés que comportait l'éducation d'une nombreuse famille",? Cet énoncé a peut-être du mérite quant à l'éducation sociale des enfants Papineau, mais quant à leur éducation

classique, c'est-à-dire leur éducation formelle, il n'y a aucune indication que les enfants Papineau n'aient pas réussi autant que leurs pairs dans ce domaine. Les deux fils aînés, au moins, ont prouvé par leur réussite comme avocat (notaire) et médecin, respectivement, que leur éducation primaire reçue de leurs deux parents était tout à fait acceptable.

Nous allons voir plus tard, à travers ses propres lettres, l'intérêt que Julie a montré envers l'éducation collégiale de ses deux fils aînés. Mais dû aux circonstances du séjour de la famille Papineau à Paris dans les années 1839-1845, les deux parents ont joué un rôle central dans l'éducation des trois plus jeunes enfants, Ézilda, Gustave et Azélie, ce que la correspondance de Papineau à Amédée démontre. Dès que la famille s'installe à Paris, Papineau et Julie se trouvent très pauvres, et Papineau communique à Amédée son regret d'être "privé de donner au pauvre Lactance des avances presque indispensables pour le bon succès de ses études, laissé dans l'incertitude douloureuse de savoir s'il doit les continuer o[u] les abandonner"8. Que ce soit pour épargner les frais scolaires ou pour une autre raison, le résultat était que les enfants, comme l'explique Papineau, "étudient avec [leur] maman et [lui] l'histoire, la géographie, l'écriture, l'arithmétique".9 Il n'est pas clair quelles étaient les responsabilités de Julie dans ce curriculum; en effet, c'est Papineau qui est impliqué plus que de normal dans l'éducation des enfants, en les encourageant toujours à apprendre plus. Il est probable que le rôle de Julie était de superviser l'éducation de la petite Azélie, âgée d'environ 5 ans, éducation qui comporterait sûrement les matières de base, comme la lecture et l'écriture. Papineau, cependant, lui attribue sa propre part de crédit dans l'éducation des enfants, en répétant à Amédée dans sa lettre du 14 janvier 1840:

6F. Ouellet,p. 8.

7Ibidem, p. 9.

815 novembre 1839.

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Pour les chers petits enfants, ta maman et moi sommes les instituteurs. Pour le moment ça se borne à lecture, écriture, arithmétique, en anglais et en français, puis à la géographie et à l'histoire ancienne, l'une et l'autre passablement détaillée. Mais les promenades dans les musées deviennent pour eux une autre source d'instruction et de plaisir. Dans une aussi grande ville, il n'y a pas un établissement public ou privé qui ne puisse devenir une source d'enseignement,10

Cependant, après avoir donné à Julie la moitié du crédit pour l'enseignement, il continue à encourager la visite de sa soeur Rosalie Papineau Dessaulles et ses deux enfants, en disant, "deux pupilles de plus, mon neveu et ma nièce, ne perdraient pas tout à fait leur temps avec moi."ll Cette inconstance est peut-être due à l'âge des enfants en question: la nièce Rosalie est âgée de 15 ans et le neveu Casimir de 12 ans. Donc, leur éducation, d'un certain niveau déjà, serait probablement la responsabilité de Papineau et non pas de Julie.

Ajoutée à une des lettres de Papineau à Amédée est une page de la main de Julie, qui répète que la petite Azélie veut que les amis en Amérique sachent "qu'elle se dépêche de faire son

éducation."12 Julie précise, "Elle lit à présent le français et l'anglais, et elle apprend ses leçons comme les autres, de géographie, d'arithmétique, son catéchisme."B Julie ajoute que la famille entière s'empresse de parler l'anglais avec leurs amis de Philadelphie, pour ne pas l'oublier, et que ceci fait que Gustave et Ézilda améliorent leur connaissance de cette langue. Nous pouvons conclure, alors, que Julie est assez compétente dans les deux langues pour les faire apprendre à ses enfants. Mais le point le plus important dans ce rapport des activitiés d'apprentissage des enfants est le contraste entre les rapports de Papineau et celui de Julie. Dans les deux discours de Papineau sur l'éducation de ses enfants,ilmentionne l'écriture, l'arithmétique, l'histoire et la géographie. Julie mentionne également l'arithmétique, la géographie, et les langues. Cependant, elle ne manque pas de mentionner, et en position finale, ce qui intentionnellement ou non lui prête plus

IOPourtant, Papineau avait dit dans sa lettre du 15 novembre 1839, "Nous vivons isolés et casaniers le plus que possible. Je voudrais que ta maman sortît plus, je le ferais un peu plus pour l'amour d'elle; mais il faudrait être dans une moins triste anxiété que celle qui me tourmente pour jouir un peu de ces sorties." D'où cette contradiction sort-elle? Les circonstances auraient-elles pu changer autant en six semaines?

1114 janvier 1840. 12 12 février 1840.

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d'importance, le catéchisme. Ceci implique premièrement que c'est elle qui s'occupe de cette éducation religieuse, conclusion soutenue par Fernand Ouellet, qui dit que l'éduation religieuse dans la famille était" [f]onction primordiale de la mère".14 Deuxièmement, l'absence complète de ce sujet dans le curriculum de Papineau indique qu'il y prête peu d'importance--ou même aucune--ce qui n'est pas surprenant, vu son attitude générale méprisante envers la religion.

Après le retour de la famille au Canada et l'inscription des deux plus jeunes enfantsà l'école, Julie continueàs'intéresseràl'éducation de ses enfants. Par exemple, en1848, quand Azélie est au couvent chez les Ursulines, Papineau demandeàAmédée, "Comment la mère est-elle contente des nouvelles supérieure et institutrices?"15 Nous constatons de ceci que Julie s'est intéressée, comme toujours,à l'éducation de sa fille, et qu'elle est allée s'entretenir avec les enseignantes au couvent pour s'assurer que sa fille était placée dans une école de haute qualité. Papineau, selon toutes les indications, n'aura pas fait la connaissance de ces institutrices lui-même, mais vu son intérêt dans l'éducation de ses enfants jusqu'ici, il aurait sûrement quelque chose à dire s'il pensait que les institutrices n'étaient pas bonnes. Donc, il pose la questionà Amédée également parce qu'il sait que le sujet est important pour Julie, et parce qu'il veut savoir pour sa propre tranquillité si sa fille est chez des enseignantes compétentes, et il montre qu'il a confiance dans le jugement de Julie sur ce sujet.

L'éducation d'Azélie est une responsabilité importante de Julie dans les années après le retour des Papineau au Canada, même après que celle-ci a quitté le couvent. C'est l'éducation sociale qui domineàcette époque. Julie est consciente qu'Azélie, tout comme elle-même, s'ennuie àMontebello, et elle décide de l'envoyer chez son frère et, plus particulièrement, chez sa belle-soeur Marie, qui jouit d'une certaine position dans la société de Montréal, et qui pourra donc présenter et introduire Azélie dans les cercles sociaux appropriés. Papineau n'a jamais compris pourquoi sa famille ne se contentait pas de la vie à Montebello, et c'est la raison pour laquelle il prend la peine de souligner que c'est "maman [qui] enverra Azélie auprès de son frère et de sa

14p.Ouellet, p. 42.

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soeur...avec l'intime persuasion qu'elle lui procure la meilleure société qu'elle puisse avoir."16 La construction de la remarque de Papineau souligne le fait que c'est l'idée de la mère d'envoyer Azélie à Montréal et qu'elle est persuadée intimement (à raison ou à tort) que c'est la meilleure chose pour sa fille; Papineau ne donne aucun indice sur sa propre opinion, mais la façon dont il décrit la conviction de la mère, en termes d'émotion au lieu de raison, implique qu'il doute que la visiteà Montréal soit la meilleure chose pour sa fille.

Même quand elle n'est pas aux côtés d'Azélie, c'est Julie qui détermine les activités qui lui sont permises. Dans sa lettre du27janvier1851,Papineau commence par dire à Amédée que celui-ci peut faire faireàAzélie une nouvelle robe de soirée pour qu'elle puisse assister aux événements sociaux avec Marie. Papineau approuve clairement ce projet, qu'il a conçu lui-même, mais il indique que c'est Julie qui sera responable des détails. Il dit, "maman aura donné ses instructions sur ce chapitre qui la regarde plus particulièrement [c'est-à-dire, l'éducation sociale d'Azélie]." Cependant, il se hâte de se corriger, ostensiblement après avoir discuté de l'affaire avec Julie, en disant, "Maman a écrit à Marie: point de soirée pour Azélie, qu'elle a avertie. Ce que dessus est donc annulé." Ceci montre que quand les deux sont en désaccord quant à l'éducation d'Azélie, c'est l'opinion de Julie, la plus prudente, qui est soutenue. 17

c) Le ménage

En plus de l'éducation des enfants, Julie est aussi responsable de la maison, et selon toutes les indications, elle s'acquitte de ses responsabilités d'une manière satisfaisante, sinon exemplaire. La fréquence des mentions, en particulier après1850,de la mère occupée à nettoyer la maison, ou "faire le breda" 18, indique le temps qu'elle consacrait à cette activité et l'importance qu'elle lui

16Papineau à Amédée et Marie, 30 décembre 1850.

17L'opposition des attitudes des deux époux, l'attitude plus sévère de Julie et l'attitude plus indulgente de Papineau, est un exemple du procédé souligné par Janet Altman et Philippe Hamon. L'effet est d'augmenter le contraste, ce qui fait que Julie semble encore plus sévère.

18Yoir, par exemple, les lettres de Papineau à Amédée du 17 octobre 1850, du 9 avril 1852, du 10 juillet 1854, du 25

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prêtait. 19 Elle passait tellement de temps à nettoyer et à ranger la maison qu'elle négligeait assez souvent son autre "devoir", celui d'écrireàses enfants. Papineau explique le fait qu'elle n'ait pas écrit à Amédée et Marie par le fait qu'elle a été excessivement occupée à ranger la maison, en disant, "mère, en sus des bredas accoutumés, fait tapisser et découpe des bordures, et n'écrit point"20; et il essaye de l'excuser, en disant, "Les occupations de maman et d'Ézilda sont assez multipliées pour que notre chère fille [Marie] excuse la rareté de leurs lettres"21. Il est évident, alors, que l'entretien de la maison était une occupation importante et justifiée au point de négliger d'autres activités, dont la communication avec les membres de la famille (pourvu, sans doute, qu'au moins un membre de la famille reste en contact avec les autres).

Dans la correspondance de Papineauàses enfants, nous ne retrouvons aucun indice convaincant de l'état d'esprit de Julie sur ces responsabilités de "bredas" fréquents; nous tenterons de dégager son opinion sur ce sujet dans notre analyse de sa propre correspondance. Néanmoins, nous pouvons constater plusieurs choses à travers les indices que fournit Papineau. Par exemple, le breda était vu comme une tâcheàcompléter le plus vite possible, pour ensuite recevoir de la visite, ou pour être libre d'aller visiter Montréal. Papineau écritàAmédée, au sujet d'une visite prévue d'Amédée et de Marie, "Maman est mieux, se hâte de finir le breda pour vous installer le plus confortablement que nous pourrons."22 Également, quand il écritàAmédée pour lui annoncer l'arrivée de la mère chez lui, il dit, "Maman aura aussi fini son grand breda quand elle ira vous voir."23 Et encore, "Elle voudrait meubler la chambre qui doit te recevoir bien vite, pour demeurer libre, après, le breda fait, d'aller en ville quand le chemin de fer aura roulé quelques jours... "24

de mère de famille et de tête de ménage, cette association inscrit ces responsabilités dans son personnage. C'est le

procédé relevé par Altman de caractérisationà travers sujets choisis.

19Pemand Oue\let voit la dévotion de Julie aux soins de la maison comme des "manies de propreté" (p. 24). Il

argumente que le caractère de Julie est prédisposéà former des manies, ce qui résultait en un effet négatif sur sa

famille. Cette opinion semble appuyée seulement par une occasion en 1832 où Papineau s'est plaint que Julie ne lui a

pas écrit parce qu'el1e passait tout son tempsà faire le ménage. Évidemment, Papineau aurait changé d'avis, puisque

plus tard, il excuse Julie auprès d'Amédée et de Marie pour la même offense.

20papineauà Amédée, Il juin 1859.

21Papineauà Amédée, 16 décembre 1850.

2210 juil1et 1854. 239 avril 1852. 2425 septembre 1854.

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Nous voyons aussi que Julie est toujours consciente de prendre soin de la maison, même lorsqu'elle n'est pas présente elle-même, quand Papineau expliqueàAmédée la proposition de Julie "que pendant la quinzaine qu'Ézilda serait à Montréal, mère ferait faire ici le breda puis qu'au retour d'Ézilda elle irait la remplacer; qu'ainsi la maison ne restant pas seule, elles éviteraient des inconvénients qui résulteraient, disent-elles, et que je n'y vois pas, si nous étions tous absents. "25

Pourtant, Papineau n'implique jamais que Julie voie ces responsabilités d'une manière négative; au contraire, il dit d'Ézilda, qui suit l'exemple de sa mère dans les occupations de la maison, "elle porte gaiement et légèrement plus de fatigues que nous ne voudrions lui en voir prendre."26 Il poursuit, "Item de la part de mère. Néanmoins, leur santé n'en paraît pas souffrir." Ceci suggère que bien que les tâches soient fatigantes, la mère et la fille prenaient plaisiràles accomplir, mais que Papineau n'approuvait pas un travail si acharné. Dans les lettres de Papineau nous retrouvons aussi l'implication que Julie était mécontente quand elle ne pouvait pas aller s'occuper de la maison.27 En effet, si c'était un de ses devoirs, sa valeur serait sans doute jugée sur le degré auquel elle accomplissait son devoir. Une maison sale ou impropre reflétait une perception négative de Julie, etiln'y a aucun doute qu'elle ressentait cela. Papineau, sans doute, le savait lui aussi, quand il écrivait à Amédée, vraisemblablement pour que ce dernier renvoie l'information à sa mère, "Si maman voyait comme j'ai tout fait nettoyer autour de la maison, elle serait contente de moi."28 Papineau veut rassurer sa femme qu'il garde la maison dans l'état propre dans lequel Julie l'a laissée; il sait que ça lui causerait du chagrin de savoir que durant son absence, on avait négligé de prendre soin de la maison, et, bien sûr, si des voisins l'avaient vue dans cet état. Nous voyons aussi que Julie était fière de la propreté de sa maison. Quand Amédée se réfère àdes plans pour la construction de Montebello qu'il a dessinés sur le mur de la maison, Papineau lui rappelle, "Tes plans ne sont pas tracés dans l'immortalité quand tu les crayonnes sur les murs d'une maison dont ta

2525 mars 1859. Papineau dit qu'il ne comprend pas les inconvénients de laisser la maison seule; ceci implique déjà qu'il trouve les soins de la mère un tant soit peu excessifs.

26papineau à Amédée, 12 décembre 1850.

27Lettre de Papineau à Amédée du 17 octobre 1850. 28Papineau à Amédée, 13 mai 1852.

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maman a la surveillance."29 Il continue, "Elle s'offense que tu l'aies crue assez peu soigneuse pour n'avoir pas fait lessiver et chauler ces murailles bien des fois depuis que tu les avais barbouillées." Le ton est assez léger, et Papineau avait un peu plus tôt remarqué que ces jours-là, Julie était "aussi maladive qu'ennuyeuse," ce qui implique (comme, d'ailleurs, le fait souvent Papineau quand il raconte une critique qu'a faite Julie) que Julie est de mauvaise humeur, et donc qu'elle s'offense sans cause. Mais il n'y a pas raison de croire que Julie n'ait pas été vraiment affligée, quoique peut-être un peu excessivement, par l'attitude de son fils envers ses habitudes de ménage. Au contraire, il est fort probable que Julie aurait vraiment ressenti de la peine si quelqu'un avait eu si peu d'estime pour elle comme responsable d'une maison.

La responsabilité de la maison était un des devoirs d'une mère de famille à cette époque, et

ilest donc très raisonnable qu'une femme soit fière de ses capacités dans ce domaine. Mais si Julie et Ézilda aimaient s'occuper de la maison, il est évident que Papineau trouve leur dévouement excessif. Il se plaint du fait que Julie travaille trop, en disant, "Il n'y a que la fatigue de ces grands bredas que les femmes trop rangées me paraissent faire avec des soins trop minutieux, dont elles pourraient souffrir, si la surveillance du mari, quand elles sont assez sages pour l'écouter, ne venait les arrêter à temps. Quant à la mienne, qui n'est pas assez sage pour m'écouter, elle a un peu mal à la gorge."30 Papineau ne dit pas que ce sont les femmes rangées qui font des grands bredas; il dit "les femmes trop rangées". Et également, leurs soins ne sont pas minutieux dans un sens positif, mais "trop minutieux". Évidemment, Papineau croit que Julie joue son rôle de bonne épouse et de mère de famille à l'extrême. Peut-être éprouve-t-il du ressentiment envers les devoirs qui occupent la mère tout le temps et ne lui laissent que peu de temps pour son mari, ce qui, d'ailleurs, semble peu probable, vu que c'était Papineau qui passait tout son temps sur les plans de construction de son manoir, au déplaisir de Julie. Ou alorsilse plaint du fait que Julie s'épuise trop, et qu'ensuite elle se plaint d'être malade à cause du travail. Malheureusement, dans le cas spécifique dont parle Papineau, nous ne savons pas si Julie s'est plainte de son indisposition, bien qu'elle eût certainement

29papineauà Amédée, 19 mai 1853.

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l'habitude de faire savoir aux autres quand elle était malade. Même au cas où Julie ne s'était pas plainte de son indisposition, si elle était tombée malade pour ne pas avoir écouté son mari quand il lui avait conseillé d'arrêter, le mari aurait été affligé de la savoir atteinte d'une maladie évitable.

Dans ce même passage nous pourrons retrouver des signes d'un conflit que relève Fernand Ouellet comme central au ménage Papineau: l'épouse exerçait une "domination effective...au foyer, [ce qui était] en opposition avec les idées communément acceptées [de l'infériorité de la femme]."31 Selon la théorie de Ouellet, quand Papineau lui demandait d'arrêter de faire le ménage, Julie était dans une position génante parce que comme bonne épouse, elle aurait dû lui obéir, mais en même temps, c'était sa responsabilité et son droit de décider comment serait fait le ménage. Autrement dit, c'était un conflit entre la pratique, qui voulait que le ménage soit le domaine de la femme, et l'idéologique, qui voulait que la femme reste toujours subalterne et soumiseàla volonté de son mari. Ouellet voit dans ceci un conflit majeur de la société québécoise du 1ge siècle, où l'absence du foyer de l'homme aurait forcé la femme à assumer "contrôle de la vie familiale"32, même si "[l]a croyance en l'infériorité de la femme était encore trop profondément ancrée dans les moeurs et dans les traditions juridiques de l'époque pour justifier l'épanouissement total du matriarcat."33 Cependant, dans ce cas spécifique, il semble que l'idée de Papineau en protestant contre la vigueur avec laquelle Julie abordait le ménage n'était pas d'enlever à Julie le moindre pouvoir en exerçant du contrôle sur le domaine qui lui était traditionnellement réservé, mais d'empêcher la souffrance qui lui apporterait un mal causé par un excès de travail.

d) L'argent

31F.Ouel1et,p.50.

32/bidem,p.49.

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Un des traits de caractère les plus marqués de Julie, et un de ceux qui causent le plus d'ennui à son mari, est sa frugalité. La situation financière de la famille n'est pas bonne du tout, en particulier durant leur séjour en France et même après leur retour au Canada, ce que Papineau lui-même reconnaît avec chagrin.34 Nous voyons dans la correspondance de Lactance Papineau que Julie donne souvent des conseilsàses fils sur des façons d'épargner de l'argent.35 Il est évident qu'elle ne veut jamais dépenser de l'argent sans que ce ne soit nécessaire. Ceci aurait pû être vu comme un trait de caractère très positif; cependant, Papineau le présente plutôt comme quelque chose de négatif. Il est significatif, pourtant, qu'il invoque la frugalité (voire l'avarice) de sa femme en rapport avec ses projets de construction du manoir de Montebello, projets qu'il aurait sans doute voulu promouvoir et justifier. Nous voyons tout de suite que Julie désapprouve les projets de construction qu'elle considère mal réfléchis et imprudents financièrement. Elle ditàAmédée,àla fin de la lettre de son mari du Il juillet 1848, "il [Papineau] ne vit pasàla maison depuis que les ouvriers sont arrivés .. .il est gai et heureux; il fait comme vous des plans et des projets sans nombre et sans fin, sans calculer où vous allez prendre le pécuniaire qu'il faudra pour tout cela; ainsi vous voguezàpleine voile; je vous souhaite plein succès, et pourtant, je n'y vois rien de rassurant." Ce passage ne donne pas vraiment l'impression de mauvaise humeur de la part de Julie, seulement de prudence. Il ne semble pas que Julie en veuilleàPapineau du bonheur que lui apportent ses projets, mais il semble qu'elle se sente un peu contrariée qu'il n'écoute pas ses avertissements à propos des dangers d'entreprendre des projets sans assez y réfléchir. Le contraste entre l'attitude prudente de Julie et le caractère impulsif de Papineau paraît très prononcé dans cette situation, ce qui semblerait soutenir la théorie de Fernand Ouellet selon lequel les deux époux ne s'entendaient pas bien du tout36,mais peut-être le contraste est-il exaggéré par une Julie qui voudrait promouvoir son point de

34Yoir, par exemple, la lettre de Papineau à Amédée du 15 novembre 1839.

35Yoir,parexemple, la lettre de Lactance à Amédée du 19 décembre 1838 (Correspondance de Lactance Papineau, p.

46-47), où celui-là transmet les conseilsdesa mère à Amédée.

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vue en faisant en sorte que le point de vue de l'autre paraisse complètement opposé.37 Il ne faut pas oublier que c'est elle qui dit que les projets de construction sont mal réfléchis; il est possible que le texte ne soutienne pas cette théorie. Le corpus démontre que Papineau et son fils ont tous deux discuté de cette idée pendant plusieurs années; en effet, c'est le sujet principal de leur

correspondance après le retour de la famille de France. Cependant, les changements fréquents dans les plans semblent appuyer le point de vue de Julie qu'ils "voguentàpleine voile" d'une idée àune autre selon leur plaisir.

Papineau, cependant, présente les objections de Julie d'une façon négative, évidemment parce qu'il veut leur ôter de la crédibilité. Il dit, par exemple, de la construction d'un chemin en particulier qu'Amédée a proposé, "Ton chemin, que j'approuve, que ta maman condamne comme dépense superflue, ne se finira que la semaine prochaine.38 Et encore, "Avant partir, je ferai finir ton pont, quoique maman nous gronde bien fort tous deux de faire tous ces sentiers au loin, que personne ne fréquentera, dit-elle."39 Les termes "condamner" et "gronder bien fort" sont plutôt durs et négatifs, bien que les arguments de Julie semblent très raisonnables. Ce n'est pas la seule fois que Papineau utilise ce genre de terme. Quand il décritàAmédée comment il a gardé un de ses engagés"àgrand prix," il continue, "la mère gronde."40 Puisqu'il ne montre aucun sentiment de remords, l'implication est surtout, "la mère grondesansjustification";à Julie n'est accordée aucune chance de plaider son propos, bien que ses arguments dans le cas de dépenses d'argent soient pour la plupart bien logiques. De toute façon, dans le cas du sentier, selon Papineau, Julie désapprouve sa construction parce que c'est une dépense trop grande puisque personne ne s'en servira.

Évidemment, c'est l'argument logique et pratique de Julie contre l'argument esthétique de Papineau, qui croit que la beauté du sentier est plus importante que son utilité. Il est intéressant de noter que dans ce cas où Papineau attribue des paroles à Julie, ce sont des paroles éminemment raisonnables,

37Ici s'emploie le procédé d'Altmandecaractérisation par l'opposition du point de vue du personnage avec celui d'un

autre.

38Papineauà Amédée, vendredi 12 octobre 1852.

39Papineauà Amédée, 13 mai 1853.

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sans rien d'exagéré (nous examinerons plus tard cette stratégie, employée souvent par Papineau, d'attribuer des paroles à Julie). Il n'y a aucune indication dans les lettres postérieures si le sentier d'Amédée a vraiment été utilisé ou non, donc le texte ne corrobore ni le point de vue de Julie, ni celui de Papineau. Mais si l'on juge les arguments de la façon dont Papineau les a présentés, l'impression est que c'est Papineau et Amédée qui ont tort de poursuivre des plans de construction coûteux, et que c'est Julie qui les "gronde bien fort" mais avec raison.

Àune autre occasion, Papineau lui-même consent un peu à contrecoeur à un plan d'Amédée qu'il trouve quelque peu trop coûteux et pas strictement nécessaire. Il dit,

Je voulais souffrir les concessions au sud du chemin, sur la terre de Grant, par motifs d'économie. Par des considérations de beauté réelle, tu m'as suggéré de ne les pas souffrir. J'y ai acquiescé puisque ce t'était agréable. Je l'ai communiquéàl'évêque. Il n'y a plusà reculer! J'en suis content, quoique ça entraîne quelque perte et dépense, mais, comme c'est sur ta suggestion, tu auras cette fois la discrétion de n'en pas murmurer tout haut; et, comme c'est pour l'embellissement et profit de sainte église, aussi bien qu'embellissementà sa promenade àl'église, mère sera forcée aussi de ne rien dire. Si vous êtes contents tous deux de ce que je ferai, ce sera un de mes beaux jours. Si vous ne l'êtes pas, mais ne dites mot, ce sera un jour de repos. J'en ai moins eu de tels que je ne l'aurais souhaité.41 Il est évident que Papineau reconnaît que Julie aussi va trouver les dépenses trop grandes, mais il prend la décision sans la consulter, et s'empresse de trouver un argument (quelque faible qu'il soit) pour justifier la dépense pour que Julie soit "forcée aussi de ne rien dire". Ceci montre que

Papineau voit que Julie a (au moins parfois) raison dans ses protestations sous "motifs d'économie". Selon toute évidence, Papineau a l'intention de présenterleplanàJulie comme s'il l'avait approuvé dès le début, et lui faire taire ses reproches par l'argument religieux, sans jamais lui faire part de ses doutes, ce qui, nous pouvons le voir, donne raison à Julie. Ceci implique peut-être un peu de rancune de la part de Papineau, puisqu'il refuse (selon toutes indications) d'admettre à Julie qu'il trouve qu'elle a raison de penser que ce plan de construction particulier est trop coûteux. Il est également évident que Papineau n'est pas toujours totalement honnête avec Julieàpropos des finances. À une autre occasion, il conseilleàAmédée de payer une facture "sans gémir et sans

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parler, car ta maman s'inquiète quand elle voit les dépenses grandes et les revenus modiques. "42 Julie s'inquiète, c'est évident, mais pas nécessairement à tort! Encore une fois, Papineau essaie de créer une sorte de complicité avec son fils pour se justifier et pour éviter les reproches (parfois justes) de sa femme, à qui il finit par donner un air mesquin et avare.

Fernand Ouellet attribue à Julie Bruneau un tempérament mélancolique43qui, selon lui,

entraîne de l'avarice. Il cite des notes prises par Joseph Papineau, père de Louis-Joseph et donc beau-père de Julie, sur le sujet des tempéraments44; "[une personne mélancolique] est

avare;

croyant que toutes choses lui manquent."45 De cette description quelque peu douteuse, Ouellet conclut que Julie "apparaît alors comme une hyper-émotive" et que "cette émotivité s'y présentait sous une forme spécialisée: avarice et autres manies" .46 Il n'y a cependant aucune indication textuelle que les tendances économiques de Julie soient assez sévères pour être qualifiées d'obsession avare. Il y a évidence, certes, qu'elle prêchait l'économie et louait les tendances d'économe de ses enfants, ce qu'on voit dans ce rapport d'une scène qui se serait déroulée, selon Papineau, quand Amédée aurait envoyé grande quantité de provisions chez la famille. Papineau raconte, "Maman, en voyant cet étalage, a dit: - Amédée est économe, c'est connu; et Ézilda, portée à la prodigalité, c'est connu. Pourquoi a-t-il eu la faiblesse de céder aux sollicitations de sa soeur et envoyer tant de vin?"47 Dans cette situation, Julie proteste contre l'excès, ou la prodigalité,

d'Ézilda, et la faiblesse d'Amédée, normalement économe,àse laisser persuader par elle. Encore

42 13 mai 1852.

43p.Ouellet, p. 10-11. Il est intéressant de noter que bien que Papineau emploie le terme "mélancolique" dans sa

correspondance à sa femme, il utilise aussi le terme "bilieux" à quelques reprises dans sa correspondance avec ses

enfants. Il écritàAmédée, par exemple, "Maman est assez, et trop souvent, fatiguée par son tempérament bilieux qui

nécessite des purgations incessantes" (11 février 1859). Ou bien encore, "Ici ta mère a ce malheureux tempérament

trop bilieux qui l'obligeàprendre plus de remèdes, chaque année, que je n'en ai pris en ma vie... " (7 avril 1862). Il

n'est pas clair si Papineau veut dire que Julie souffre physiquement de la bile ou sa caractérisation entraîne également

les traits habituellement attribués aux personnes dites d'un tempérament bilieux. De toute façon, le diagnosticde

Ouellet, qui décrit Julie comme mélancolique, semble être contesté par le texte à travers ces références au tempérament bilieux.

44Joseph Papineau, pourtant, n'a jamais interprété le caractère de sa belle-fille en se servant de ces notes; cela est

l'oeuvredeOuellet.

45Ibidem, p. 11.

46Ibid. Selon Ouellet, les "autres manies" comptent la maniedel'ordre et de la propreté; à son avis, alors, la frugalité et le souci d'entretien de la maison que démontrait Julie sont excessifs et font preuve d'un caractère très mal ajusté. 47Lettre du 10 juillet 1854.

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ici nous voyons que les paroles de Julie sont rapportées par Papineau sous une lumière favorable. Le reproche est plutôt léger, et l'impression est qu'Amédée aurait été entraîné à céder à sa soeur par ses doux sentiments envers elle et non pas par vice. Il est possible que ces paroles rapportées soient exactement celles que Julie a prononcées au moment en question. Mais si elles ne sont qu'une paraphrase, il est significatif qu'elles donnent une représentation favorable de Julie. Supposons que Papineau aurait inséré dans les "paroles" de Julie un reproche plutôt fort contre l'excès des deux enfants. Ce reproche fort n'aurait-il pas pu convaincre Amédée que Julie avait raison de lui reprocher son excès? Mais dans ce passage c'est le but exprès de Papineau de montrer que le reproche de Julie était peu justifié, ce qu'il fait clairement en ajoutant, après lecommentaire de Julie, "Moi, dans la crainte de commettre injustice, je vous remercie bien tous deux de l'avoir fait."48

Quoiqu'ils ne soient pas toujours d'accord sur la question des finances, Papineau consultait Julie fréquemment sur les affaires.49 Julie était impliquée dans des décisions sur la vente et l'achat

des biens, la location de propriétés, et, bien sûr, le budget du ménage. Bien que Papineau ne croie pas que Julie puisse administrer la seigneurie5o,il la laisse fréquemment arranger (avec Amédée) l'embauche des serviteurs de la maison, y compris la détermination de leurs salaires. Une fois, quand Papineau confie à Amédée la tâche de louer la maison de la rue Bonsecours, celui-ci suggère de la louer

à

un tel Francisco, qui l'a déjà louée pour un terme. Julie exprime son désaccord, que Papineau décrit de la manière suivante:

Mère a une forte antipathie et opposition à laisser de nouveau Francisco pénétrer dans une maison qu'il a si fort déconsidérée, salie et endommagée. Elle dit que tu ne seras pas entièrement et régulièrement payé. Qu'il aurait fallu presser un peu plus Mme Chalifoux; voir à combien se montreraient les réparations indispensables, tâcher de réduire à quatre ou trois ans le bail de cinq qu'elle demandait, se contenter de son offre de 100f parce que l'on resterait assurés du bon entretien et propreté et bon nom de la maison pendant son

occupation et que, cet avantage une fois reconquis, elle se louerait toujours par la suite pour

48Ibidem.

49Cela effectue encore une caractérisation par choix de sujets.

50nécrit à Amédée, le 1er août 1843, "Si j'étais en Canada, mon inclination, voire même ma détermination serait bien

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