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Lacepède et les poissons électriques

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Academic year: 2021

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Lacepède et les poissons électriques

Plus de trois cents espèces de « poissons électriques » ont été répertoriées à ce jour. Ces animaux possèdent des organes émetteurs très spécialisés - des batteries d’« électroplaques » d’origine musculaire - qui leur permettent d’infliger de douloureuses décharges à leurs proies, d’explorer leur environnement - géolocalisation - et de communiquer entre eux. Des « organes tubéreux », minuscules ampoules réparties à la surface de leur corps, font office d’électrorécepteurs.

Plusieurs hommes de science se sont intéressés aux poissons électriques. Parmi eux figure en bonne place Bernard de Lacepède (1756-1825), dont le traité d’électricité a fait l’objet d’un précédent article. Le savant, désireux de compléter l’Histoire naturelle de Buffon, se concentre - à partir de 1788 - de manière quasi exclusive sur les Vertébrés à peau écailleuse. En effet, Lacepède est professeur de « Zoologie (Reptiles et Poissons) » du Muséum. Ses principaux ouvrages sur le sujet - dont l’Histoire naturelle des Poissons (1798-1803) - seront ensuite regroupés dans L’Histoire naturelle comprenant les Cétacés, les Quadrupèdes ovipares, les Serpents et les Poissons (1830). Ce magnum opus posthume de 17 volumes sera plusieurs fois réédité à partir de 1839 en deux tomes (Tome I, 668 p. ; Tome II, 647 p.) par Charles Furne (1794-1859). Ce dernier est un imprimeur célèbre pour ses publications d’œuvres finement illustrées par les meilleurs graveurs du XIXème siècle - Histoire naturelle des oiseaux de Buffon, Comédie humaine de Balzac, etc.

Nous présenterons ici l’édition « Furne 1847 » de l’Histoire naturelle de Lacepède, illustrée de belles gravures en couleurs. Le Tome I s’ouvre sur l’« Éloge historique du comte de Lacepède par M. le baron Cuvier » (pp. I-XII). Comme le précise une note infra-paginale, l’éloge en question a été « lu à l’Académie des sciences le 5 juin 1826 ». L’Histoire naturelle des Poissons débute à la p. 441 du Tome I, par un long « Discours sur la nature des poissons », et s’achève à la fin du Tome II sur un « Discours sur la pêche, sur la connaissance des poissons fossiles, et sur quelques attributs généraux des poissons (1803) ». Le second « Discours » nous apparaît quelque peu prophétique, si l’on considère les créations futures au Muséum d’une chaire des « Pêches et productions coloniales d’origine animale » (1920) et d’une chaire de « Paléontologie » (1853).

Les poissons électriques apparaissent dès le premier « Discours ». Lacepède le rappelle : comme les venins, la « vertu électrique » constitue un moyen de défense des poissons. Ces animaux « mettent en mouvement ce feu électrique qui, excité par l’art du physicien, brille, éclate, brise ou renverse dans nos laboratoires, et qui, condensé par la nature, resplendit dans les nuages et lance la foudre dans les airs ». Par ailleurs, les poissons concernés sont imprégnés d’une matière huileuse « très analogue aux résines et aux substances dont le frottement fait naître tous les phénomènes de l’électricité ». C’est ici le physicien qui s’exprime.

Dans la suite de son ouvrage, Lacepède décrit cinq espèces électriques, dont il fournit la nomenclature vulgaire et latine : la Raie torpille (Raia torpédo), le Gymnote électrique ou Gymnote soporifique ou Anguille électrique de Cayenne, ou du Surinam (Gymnotus electricus), le Malaptérure électrique ou Poisson-chat électrique du Nil (Malapterurus electricus), le Trichiure électrique (Trichiurus electricus), le Tétrodon électrique (Tetraodon electricus). Lacepède développe diverses caractéristiques de ces poissons originaires des cinq

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continents : biogéographie, morphologie, anatomie, physiologie, éthologie, etc. Ce sont les articles relatifs au Gymnote (T. II, pp. 15-23) et à la Torpille (T. I, pp. 515-521) qui sont les plus longs et les plus détaillés. Dans son texte, Lacepède mentionne les travaux de nombreux naturalistes : Antoine Risso (1777-1845), Francesco Redi (1626-1697), Stefano Lorenzini (1652 - ?), John Walsh (1726-1795), John Hunter (1728-1793), etc. Le lecteur est même projeté dans l’avenir, avec l’annonce des « recherches faites en Égypte par Mr. Geoffroy sur le Malaptérure » (p. 465). Collègue de Lacepède au Muséum et membre de l’expédition égyptienne de Bonaparte, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) a décrit des poisson du Nil.

Lacepède évoque, essentiellement à propos de la Torpille et du Gymnote, trois caractéristiques de l’électricité émise : ses manifestations physiques, ses effets biologiques, ses organes producteurs et son étude expérimentale. Ainsi, la Torpille « possède la puissance remarquable et redoutable de lancer, pour ainsi dire, la foudre ; elle accumule dans son corps et en fait jaillir le fluide électrique avec la rapidité de l’éclair ». Si les secousses dues à la Torpille font qualifier ce poisson de « fulminant », le fluide électrique du Gymnote est plutôt « torporifique » ou « engourdissant ». Quant au Tétrodon électrique paré de belles couleurs -, il « fait éprouver de fortes commotions à ceux qui veulent le saisir ».

La localisation et la forme des organes électriques des poissons - allant toujours par paires - varient en fonction de l’espèce considérée. Situés chez la Torpille de chaque côté du crâne et des branchies, ils revêtent l’apparence de longues bandes visibles sous la peau. Les organes en question, initialement mentionnés par Nicolas Stenon (1638-1686), sont irrigués et innervés. Ils résultent de la juxtaposition de plus d’un millier de tubes creux, de section hexagonale, carrée ou prismatique. « Ce grand assemblage de tuyaux » reliés les uns aux autres par des fibres inextensibles « représente les batteries électriques si bien connues des physiciens modernes, et que composent des bouteilles fulminantes, appelées bouteilles de Leyde ». La Torpille recharge ses tubes en électricité grâce à des mouvements de contraction, de dilatation et de frottement.

Chez le Gymnote, Lacepède décrit - d’après Hunter - deux grands organes latéraux, situés chacun au-dessus d’un organe plus petit. Leur structure consiste en une sorte de grillage, formé par l’entrecroisement de membranes dont les surfaces réunies couvriraient - selon les calculs du savant - au moins 13 m2

. Quant aux organes des autres espèces de poissons électriques, ils sont simplement mentionnés.

Lacepède rapporte - parmi bien d’autres - une expérience très élaborée : celle de Walsh, réalisée à l’île de Ré et à La Rochelle. Le savant anglais a constitué une « chaîne conductrice » électrique. Il s’agit en réalité d’un véritable système de batteries, composé d’une Torpille vivante reliée à huit bassins par des fils de laiton. Plongeant leurs mains dans l’eau des récipients, huit personnes juchées sur des tabourets isolants ressentent des secousses électriques - quarante à cinquante en une minute et demie.

En conclusion, l’ouvrage de Lacepède offre à l’historien des sciences un état des lieux des connaissances relatives aux poissons électriques et à leurs organes électrogènes Ces derniers contribueront au XXème

siècle aux progrès de plusieurs disciplines : non seulement la neurophysiologie, mais aussi la pharmacologie, la toxicologie et la biochimie. En effet, l’isolement à partir des électroplaques du Gymnote du premier récepteur membranaire connu - fixant l’acétylcholine et la nicotine - (Jean-Pierre Changeux, 1970) matérialisera les « substances réceptrices » de John Newport Langley (1905) et nourrira le concept d’allostérie (modèle de Monod-Changeux-Wyman, 1965).

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Bibliographie

Bertin, Léon (1945) Cent-cinquantenaire de la chaire d’Ichthyologie et d’Herpétologie, leçon inaugurale faite au Muséum, le 9 juin 1945, Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, 2e série, vol. XVII, pp. 353-372.

Changeux, Jean-Pierre (1976) Chaire de Communications cellulaires, leçon inaugurale faite le 16

janvier 1976 au Collège de France, Paris : Collège de France, 38 p. http://www.openedition.org/6540.  

Fessard Alfred (1958) Les organes électriques, in : Grassé, Pierre Paul (éd.) Traité de Zoologie.

Anatomie, Systématique, Biologie, Paris : Masson, Tome XIII Agnathes et Poissons. Anatomie,

éthologie, systématique, fasc. 2, pp. 1143-1238.

Finger, Stanley et Piccolino, Marco (2011) The shocking history of electric fishes : from ancient epochs to the birth of modern neurophysiology, New-York : Oxford University Press, 496 p.

Quillet, Bernard (2013) Lacépède, Paris : Tallandier, 431 p.

Roule, Louis (1917), La Vie et l’œuvre de Lacépède, Mémoires de la Société zoologique de France, vol. XXVII, pp. 139-237.

Philippe JAUSSAUD, Université de Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1 (EA 4148 S2HEP et IUT Biologie)

Références

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