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Exploration de l’effet de la privation de sommeil sur les comportements de jeu chez les joueurs de poker en ligne

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Academic year: 2021

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© Alexandre Hamel, 2020

Exploration de l’effet de la privation de sommeil sur les

comportements de jeu chez les joueurs de poker en

ligne

Mémoire doctoral

Alexandre Hamel

Doctorat en psychologie

Docteur en psychologie (D. Psy.)

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ii Résumé

Le poker en ligne (PEL) est un jeu de hasard et d’argent avec des caractéristiques structurelles et contextuelles uniques. Contrairement à certains jeux plus connus (p.ex., appareils de loterie vidéo), le PEL permet à certains joueurs de retirer un bénéfice financier de cette pratique au long cours. Le PEL est accessible 24/7, cette accessibilité entraine certains joueurs à jouer durant leurs heures habituelles de sommeil et en privation de sommeil. Bien que la pratique du PEL en privation de sommeil n’ait pas encore été spécifiquement étudiée, la privation de sommeil favorise des comportements à risque dans plusieurs contextes et est associée à des altérations dans la capacité de prise de décision et de régulation des émotions. La capacité de prise de décision et de régulation émotionnelle constitue des facteurs importants pour le joueur de PEL, notamment afin de prévenir le tilt. Le tilt est un phénomène de perte de contrôle transitoire au PEL, caractérisé notamment par de la colère, un style de jeu plus agressif et l’apparition de l’illusion de contrôle. D’autre part, le PEL avant le coucher pourrait affecter le sommeil de la nuit subséquente. L’utilisation d’un appareil électronique avant le coucher et l’activation émotionnelle sont des circonstances ayant des effets délétères sur le sommeil. De plus, les conséquences du jeu comme la rumination en lien avec les pertes pourraient également affecter le sommeil du joueur.

L’objectif premier de ce mémoire est d’explorer les effets de la privation de sommeil sur les symptômes de tilt et les comportements de jeu (gains et pertes nettes et nombre de mains jouées). L’objectif secondaire de ce mémoire est d’explorer les effets du PEL sur le sommeil de la nuit subséquente. L’heure de coucher, la latence d’endormissement, l’efficacité de sommeil, le temps total de sommeil et le sentiment de repos au matin sont mesurés. Un devis expérimental sur 28 jours permet de récolter des informations quotidiennes sur les habitudes de sommeil, les comportements de jeu et les symptômes du tilt de 23 joueurs de PEL réguliers. Ces joueurs sont âgés entre 20 et 52 ans et possèdent des niveaux d’expérience au PEL variés, la grande majorité jouent depuis plus d’un an. Des analyses mixtes permettent de comparer les séances de jeu selon l’heure où elles ont été jouées sur le tilt, les gains et les pertes nettes, le nombre de mains jouées et les mesures de sommeil. Les résultats révèlent un plus haut niveau de tilt émotionnel et comportemental, davantage de mains jouées et des résultats financiers inférieurs lorsque les séances sont jouées en privation de sommeil, comparativement aux séances jouées au repos. Davantage de tilt émotionnel et comportemental est également observé lorsque de l’alcool est consommé durant la soirée. Les résultats révèlent également une latence d’endormissement inférieure lorsqu’une séance est jouée moins de deux heures avant le coucher comparativement à l’absence de séance jouée durant cette période. Des analyses Post-Hoc révèlent que le tilt émotionnel et comportemental est associé à des heures de coucher plus tardives, un temps total de sommeil réduit et de plus grandes latences au sommeil rapportés, tandis que le tilt cognitif est associé à une efficacité de sommeil moindre.

Les résultats de cette étude appuient l’idée que la pratique du PEL en privation de sommeil constitue une pratique pouvant comporter des risques pour les joueurs, du moins à court terme. Les risques de cette pratique résident dans les symptômes de tilt émotionnel et

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comportemental pouvant en résulter, qui eux peuvent entrainer des effets délétères sur le sommeil. Les résultats indiquent également que le jeu en privation de sommeil peut favoriser davantage de pertes pour le joueur. Ce mémoire permet d’explorer des facteurs de risque spécifiques au PEL. La dernière section de ce mémoire offre une discussion sur les résultats de l’étude en prenant en compte les caractéristiques uniques du PEL et de ses joueurs. Des recommandations sont faites en ce sens pour les études futures, les mesures préventives en jeu responsable et pour les professionnels cliniques pouvant intervenir auprès des joueurs de PEL.

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Résumé ... ii

Liste des tableaux ... vi

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... vii

Remerciements... viii

Avant-propos ... xi

Introduction générale ... 1

Modèles étiologiques des problèmes de jeu ... 3

Modèle du syndrome de dépendance. ... 3

Modèle diathèse-stress. ... 4

Modèle des voies associatives du jeu problématique. ... 5

Facteurs individuels ... 8

Facteurs propres au jeu ... 8

Facteurs situationnels et contextuels ... 9

Le poker ... 10

Les habiletés au poker. ... 11

Le poker en ligne. ... 13

La privation de sommeil ... 17

Cognition. ... 18

Régulation des émotions. ... 20

Conséquences du jeu sur le sommeil... 22

Forces et limites des recherches antérieures ... 23

Objectifs de ce mémoire doctoral ... 24

Chapitre 1. Dormir ou jouer au poker en ligne : Comportements et symptômes de tilt en contexte de privation de sommeil. ... 26

Résumé ... 27

Introduction ... 28

Le tilt au PEL ... 30

Privation de sommeil, capacités cognitives et régulation des émotions ... 31

Conséquences potentielles du PEL sur le sommeil ... 33

Objectifs et hypothèses ... 33

Méthode ... 34

Description des joueurs ... 34

Instruments ... 36

Logiciel ... 38

Échantillon ... 39

Procédure ... 40

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Analyses statistiques ... 41

Résultats ... 42

Privation de sommeil et niveau de tilt ... 42

Privation de sommeil et comportements de jeu... 43

Séance de PEL avant l’endormissement et sommeil ... 44

Tilt et sommeil ... 44

Discussion ... 45

Forces et limites ... 52

Conclusion ... 54

Références ... 56

Liste des tableaux et des figures ... 61

Conclusion générale ... 70

Pistes de recherche futures ... 74

Recommandations ... 75

Bibliographie ... 77

Annexe A : Formulaire de consentement verbal soumis aux joueurs ... 86

Annexe B : Questionnaire complété par téléphone ou par Skype... 89

Annexe C. Questionnaire en ligne à compléter chaque matin ... 104

Annexe D. Questionnaire à compléter le soir ... 109

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Liste des tableaux

Chapitre 1

Tableau 1. Moyennes, écarts-type et proportions des caractéristiques sociodémographiques des participants en fonction de leur inclusion dans les analyses principales.

Tableau 2. Distribution des joueurs selon les catégories de l’IGJC, l’IGJC-PEL et des réponses aux questions de l’ICJE-Conséquences.

Tableau 3. Fréquence de réponses aux questions du Poker Experience.

Tableau 4. Degrés de liberté, moyenne en privation de sommeil et au repos, analyses de variance mixtes pour les symptômes de l’OPTS et ses sous-échelles et les comportements de jeu.

Tableau 5. Analyses de variance mixtes sur les conditions PEL-Soir et NPEL-Soir pour les mesures de sommeil.

Tableau 6. Analyses post-hoc de régression mixte pour les variables de sommeil selon l’heure de la dernière séance de PEL entre les deux facteurs de tilt.

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

ANOVA : Analyse de la variance

CÉRUL : Comité d'éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université Laval CRSH : Conseil de recherche en sciences humaines du Canada

DSM : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux FRQSC : Fonds de recherche du Québec – Société et Culture HM 2 : Outil de gestion des données de poker Hold’Em Manager 2 ICJE : Indice canadien du jeu excessif

ICJE-Conséquences : Indice canadien du jeu excessif – version spécifique aux conséquences IGJC : Indice de Gravité du Jeu Compulsif

IGJC : Indice de Gravité du Jeu Compulsif, version abordant tous les JHA IGJC-PEL : Indice de Gravité du Jeu Compulsif, version abordant le PEL JHA : Jeu(x) de hasard et d’argent

NPEL-Soir : Condition composée de l’absence de séances jouées deux heures avant la tentative d’endormissement

OPTS : Online Poker Tilt Scale PE : Poker Experience

PEL : Poker en ligne

PEL-Soir : Condition de séances ayant été jouées deux heures avant la tentative d’endormissement

PS : Condition de séances ayant été jouées 16 heures depuis l’éveil matinal

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viii Remerciements

Je pense que cette section est la plus difficile que j’ai eu à écrire dans ce mémoire doctoral, mais aussi celle qui a fait le plus de bien à rédiger.

Tout d’abord, j’aimerais remercier chaque membre de l’équipe de travail ayant participé à l’écriture de mon mémoire. Isabelle, j’aimerais te remercier pour ton ouverture d’esprit dans l’ébauche et l’écriture de ce mémoire. Cette étude est le fruit d’une idée que tu as eu et que tu m’as proposé dans le cadre de porte de mon bureau, peu après m’avoir mentionné tout bonnement que tu acceptais de me superviser pour mon mémoire. Cette attitude m’a permis de rester curieux, de me poser des questions et surtout, m’a permis de me sentir libre à toutes les étapes de mon cheminement. Célyne, je voulais également souligner ton ouverture d’esprit et ta facilité à travailler en équipe. Cela m’a permis une saine autonomie dans ce processus d’apprentissage. Nos rencontres ponctuelles m’ont donné des repères dans la construction et l’écriture de ce mémoire, et ce, dans une ambiance humaine et décontractée. J’aimerais également remercier Axelle. Ton expertise auprès des joueurs de poker en ligne m’a été extrêmement précieuse. La lecture et la relecture de tes articles et nos nombreuses discussions ont beaucoup influencé ce mémoire. J’aimerais aussi souligner ta capacité à avoir un esprit léger et festif tout en maintenant des standards élevés en recherche. J’aimerais finalement remercier Christian. D’abord, merci pour tous tes précieux conseils en recherche, j’ai appris beaucoup en te côtoyant. Ta porte était toujours ouverte. J’ai toujours senti que je pouvais te soumettre mes questionnements et que j’aurais une réponse solide et complète (et parfois accompagnée de multiples autres questionnements). Avec Isabelle, vous donnez toute qu’une ambiance agréable au Lab, vous avez contribué fortement à mon degré d’appréciation de mes études universitaires. Merci beaucoup !

J’aimerais également remercier mes amis et collègues qui m’ont fait sourire et rire aux éclats durant de nombreuses années au treizième étage du Félix-Antoine Savard. P-Y, Christian, Ben, Étienne, Max, Dan, Camille et Chanelle, ma tête est remplie de souvenirs de moments passés avec vous. Bien que ça soit plus difficile de me rappeler certaines soirées…, je vais me rappeler longtemps du plaisir que j’ai eu avec vous. Je m’ennuie déjà des conversations de cadre de porte, ou des moments où on se lançait la balle bleue. Par-dessus

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tout, ce qui me manquera le plus, ce sont les dîners qui s’éternisent où on pouvait débattre de sujets philosophiques, ou avoir des discussions qui diminuent considérablement le QI moyen de l’université (je n’aurais jamais pensé me faire traiter de « maudit droitiste » un jour). Merci mes amis !

Dallaire, Karèle, Fred (Freud), Legendre, Catherine, Vincent, Rox, Anne-Ma, Krystina et Émilie, je suis choyé de vous avoir eu autour de moi pour la durée complète de mes années universitaires. Votre présence aura donné une saveur sucrée et épicée aux cours basés sur les données probantes. En espérant continuer de créer des moments mémorables durant nos chalets annuels et de continuer tous ensemble de manger et lancer de délicieux Peetas. Merci mes amis.

Benj, Kryss, Mendo vous êtes ma petite équipe de rap premium. Avec, Kelly, Marc et Bill, les soirées avec vous m’ont permis de décrocher et de maintenir une identité en dehors de mes études en psycho. Vous êtes des gars intéressés par toutes sortes de sujets et j’ai toujours senti votre support à-travers vos questionnements ou vos blagues sur la psychologie. Vous aurez bientôt l’occasion de m’appeler officiellement « Doc », même si je porte ce nom clandestinement avec vous depuis plusieurs années. Merci mes amis !

Félix, c’est avec toi que je termine les remerciements envers mes amis car tu es le frère que je n’ai jamais eu. Merci pour ton écoute et pour tous les moments qu’on a passés ensemble durant mon doctorat. Tu m’auras permis de décrocher de l’école durant nos soirées locales qui ont toujours fait beaucoup de bien dans nos presque 15 ans d’amitié. D’ailleurs, mes remercîments à ton égard vont au-delà de mon cursus scolaire car c’est toi qui était là lorsque j’en avais le plus besoin, je t’en serai toujours reconnaissant. Merci mon frère !

Les études en psychologie m’auront apporté une tonne de connaissances, de relations et de beaux moments, en plus d’un titre professionnel, une carrière, mais surtout, la femme avec qui je partage ma vie depuis six ans, Andrée-Ann. Merci Nane de m’avoir accompagné et épaulé tout au long de mon parcours. Ton intelligence et ta curiosité sont des qualités que j’admire chez toi et nos innombrables conversations sur la psycho me sont très précieuses.

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Notre relation m’apprend à réellement faire de la place à quelqu’un d’autre dans ma vie. Merci de partager avec moi les rires et les pleurs, on construit quelque chose de beau.

Maman, j’aimerais te remercier pour l’héritage que tu m’as légué en ta sensibilité et ton dévouement envers l’autre, ce sont des qualités que je chéris dans ma pratique clinique et dans mes relations, elles me rendent fier d’être ton fils. Papa, j’aimerais te remercier pour l’éducation que tu m’as donnée. Grâce à toi, j’ai intégré des valeurs et qualités, qui me sont chères en l’humilité, l’éthique, voir au-delà des apparences et ne pas hésiter à questionner ce qui m’entoure. La mère, le père, sans ses précieux héritages de votre part et sans votre appui inconditionnel durant mes études, je n’aurais jamais pu devenir psychologue. Merci beaucoup !

Je termine mes remerciements avec mes piliers, Lauré et Marie. Ensemble nous formons une solide équipe. Nous avons parcouru des épreuves difficiles, nous les avons parcourus ensemble. Sans vous, je ne crois pas que je m’en serais sorti aussi bien. Si les épreuves forment la personne, il faut tout de même être en mesure d’avoir certains repères pour garder le cap, vous avez été et vous êtes encore ces repères. Merci les sœurs !

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xi Avant-propos

Ce projet de recherche constitue un mémoire par article en 1 chapitre : une introduction générale de mémoire, un article scientifique et une discussion et conclusion générale. L’article scientifique est présenté en français, mais a été traduit en anglais, soumis pour publication et accepté avec modification dans la revue scientifique Frontiers :

Hamel, A., Bastien, C., Jacques, C., Moreau, A. et Giroux, I. (in review). Sleep or Play Online Poker ?: Gambling Behaviors and Tilt Symptoms while Sleep Deprived. Frontiers.

Tous les travaux de ce mémoire doctoral, soit l’élaboration, l’expérimentation, les analyses statistiques, l’interprétation des résultats et la rédaction ont été sous la supervision d’Isabelle Giroux, Ph. D., directrice du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu (CQEPTJ) et professeure à l’Université Laval et Célyne Bastien, Ph. D., directrice du Laboratoire de recherche en neurophysiologie humaine et sommeil et professeure à l’Université Laval. Les travaux ont également bénéficié de la collaboration étroite de Christian Jacques, M.Ps., professionnel de recherche au CQEPTJ et d’Axelle Moreau, Ph. D., post-doctorante au CQEPTJ. Les analyses statistiques ont été chapeautées par David Émond, M.Sc. Stat.ASSQ A.Stat, consultant en statistiques. La traduction des questionnaires a été faite en collaboration avec Catherine Boudreau, Ph.D. David Paquet, Alex-Anne Beaulieu B.A. et Vincent Laflamme Ph.D., ont contribué à la gestion des banques de données. Les avancements de ce projet ont été présentés aux chercheurs du Québec dans le domaine des jeux de hasard et d’argent dans le cadre d’activités de transfert des connaissances de l’action concertée sur le jeu responsable FRQ-SC en janvier 2018, février 2019 et mars 2020.

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Introduction générale

Un jeu de hasard et d’argent (JHA) est une activité où un montant d’argent ou un objet de valeur est misé, cette mise est irréversible et le résultat est en partie ou totalement issu du hasard (Ladouceur et al., 2000). La grande majorité des Québécois (84,1%) âgés de 18 ans et plus auraient joué à au moins un JHA dans leur vie et 66,6% auraient joué dans l’année précédant l’enquête populationnelle réalisée en 2012 (Kairouz et Nadeau, 2014). Au cours de cette période, ils ont joué en majorité à la loterie (60,6 %), et dans une moindre mesure aux machines à sous (9,7 %) au poker (4,7 %), au bingo (4,2%), aux appareils de loterie vidéo (4,1%) et à des JHA sur Internet (1,5%). Les JHA sont des activités ludiques pour la majorité des joueurs, mais les conséquences du jeu peuvent également être bien dommageables. Un rapport sur les impacts sociaux et économiques du jeu ayant utilisé une revue exhaustive de 492 études identifie que les impacts principaux de la participation aux JHA sont liés aux problèmes de jeu et leurs conséquences, telles les difficultés conjugales, la faillite personnelle, le suicide et la grande utilisation des soins de santé (Williams et al., 2011).

La dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) réfère au terme « jeu d’argent pathologique » pour décrire la pratique inadaptée,

persistante et répétée du jeu d'argent, conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative au cours d’une période de 12 mois (APA, 2013, p. 692).

Le jeu d’argent pathologique y est classé dans les troubles liés à une substance et les troubles addictifs. Pour être considéré joueur pathologique selon le DSM-5, il doit y avoir manifestation de quatre critères dichotomiques (oui ou non) parmi neuf nommés ci-dessous :

1. Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour atteindre l’état d’excitation désiré.

2. Agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique du jeu.

3. Efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu.

4. Préoccupations par le jeu (p.ex., préoccupation par la remémoration d’expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines, ou par les moyens de se procurer de l’argent pour jouer).

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5. Joue souvent lors des sentiments de souffrance/mal-être (p.ex., sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété ou de dépression).

6. Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour « se refaire »).

7. Ment pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu.

8. Met en danger ou a perdu une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu.

9. Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées.

La pratique du jeu d’argent n’est pas mieux expliquée par un épisode maniaque (APA 2013, p. 692).

Plusieurs études en jeu utilisent quant à elles l’Indice de gravité du jeu compulsif (IGJC) provenant de l’instrument de dépistage l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE ; Ferris et Wynne, 2001a). L’IGJC est une mesure de dépistage permettant d’obtenir un continuum des problèmes de jeu, quatre catégories de joueurs peuvent en découler en fonction de l’intensité des symptômes liés aux habitudes de jeu : les joueurs sans problème, les joueurs à faible risque, les joueurs à risque modéré et les joueurs pathologiques probables. Les joueurs à faible risque ont peu d’indicateurs de problèmes de comportements de jeu et ceux-ci sont de faible intensité. Ils ont peu de chance d’expérimenter des conséquences négatives de leurs habitudes de jeu. Les joueurs à risque modéré ont peu d’indicateurs de problèmes de comportements de jeu et ceux-ci sont de plus forte intensité que les joueurs à faible risque. Ils peuvent avoir expérimenté certaines conséquences négatives de leurs habitudes de jeu. Les joueurs des catégories de risque faible et modérée sont à risque de développer des problèmes de jeu s’ils sont grandement impliqués dans les activités de jeu. Les joueurs pathologiques probables vivent des conséquences de leurs habitudes de jeu et peuvent avoir perdu le contrôle de leurs comportements de jeu. Ces joueurs ont davantage de chance d’endosser des items sur les distorsions cognitives liées au jeu. Les joueurs pathologiques probables et à risque modéré sont fréquemment réunis et nommés « joueurs problématiques » (p.ex., Ferris et Wynne, 2001a; Kairouz et Nadeau, 2014).

Au Québec, parmi les joueurs, 92,9% seraient sans problème, 4,4% à faible risque, 2,1% à risque modéré et 0,6% joueurs pathologiques probables. Les jeux associés à la plus grande prévalence de joueurs problématiques au Québec sont respectivement les appareils de

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loterie vidéo (16,4%), les machines à sous (8,7%) et le poker (7,9%) (Kairouz et Nadeau, 2014). Cette enquête populationnelle révèle que la distribution des problèmes de jeu varie en fonction des populations, des contextes de jeu et des JHA en tant que tels. Les hommes, les personnes aillant des revenus faibles, sans emploi ou ayant de faibles niveaux de scolarité sont davantage représentés chez les joueurs problématiques. La participation aux jeux en ligne et aux appareils de loterie vidéo est associée davantage de problèmes de jeu, l’usage du tabac et du cannabis et la consommation à risque d’alcool (Kairouz et Nadeau, 2014).

Modèles étiologiques des problèmes de jeu

Plusieurs modèles étiologiques ont tenté d’identifier les facteurs favorisant l’apparition des problèmes de jeu (Blaszczynski et Nower, 2002; Bouju et al., 2011; Nower et al., 2013; Petry, 2005; Raylu et Oei, 2002; Shaffer et al., 2004; Sharpe, 2002; Valleur et al., 2016). Trois modèles ont été développés à cet effet en se basant sur des recensions des écrits, le modèle du syndrome de dépendance (Shaffer et al., 2004), le modèle diathèse-stress (Sharpe, 2002) et le modèle des voies associatives (Blaszczynski et Nower, 2002a).

Modèle du syndrome de dépendance. Selon le modèle de Shaffer et coll. (2004), toute manifestation d’une dépendance, qu’elle soit comportementale (p.ex., JHA, achats compulsifs) ou à une substance psychoactive (alcool, drogue), serait l’expression d’un même syndrome. Le développement du syndrome dépendrait d’antécédents spécifiques. D’une part, l’objet de dépendance doit être accessible pour les individus présentant des vulnérabilités neurobiologiques (p.ex., génétique et neurochimique) et psychosociales (p.ex., absence de support social, de spiritualité). Lorsqu’une personne est exposée à l’objet de dépendance, les vulnérabilités neurobiologiques constitueraient un facteur de risque. Elles induiraient un biais favorable envers l’objet de dépendance en raison des conséquences neurobiologiques (p.ex., activation du système de récompense) agréables causées par ce dernier. La mise en commun de ces facteurs favoriserait le passage vers une phase prémorbide du syndrome de dépendance, où des événements psychosociaux (p.ex., stress au travail) entraineraient une répétition de l’interaction avec l’objet de dépendance, associé à un effet désirable (p.ex., sentiment de puissance de gagner une main de poker, évitement des difficultés devant un

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appareil de loterie vidéo). Cette phase prémorbide mettrait le joueur à risque de dérapage vers le syndrome de dépendance, qui comporte des conséquences spécifiques (p.ex., dettes de jeu) et communes aux objets de dépendance (p.ex., tolérance, rechutes, changements neuroanatomiques, psychopathologie, initiation vers des comportements déviants). Cette conception du problème de jeu comme étant le résultat d’interactions entre des composantes personnelles, familiales et sociales est généralement appuyée dans les écrits scientifiques (p.ex., Petry, 2005; Raylu et Oei, 2002). Deux autres modèles étiologiques multifactoriels et biopsychosociaux ont été développés à partir des données empiriques, ceux-ci sont quant à eux spécifiques aux JHA.

Modèle diathèse-stress. Le modèle diathèse-stress de Sharpe et Tarrier (1993), bonifié en 2002 (Sharpe, 2002) identifie également des antécédents biologiques, environnementaux et psychologiques à la base du problème de jeu. Les vulnérabilités génétiques auraient une influence sur des systèmes de neurotransmission spécifiques à l’humeur et le système de récompense (dopaminergiques, sérotoninergiques et noradrénergiques) et augmenteraient les risques de développer des problèmes de jeux sous certaines circonstances. Un environnement familial mettant de l’avant une attitude positive envers le jeu favoriserait qu’un individu s’engage dans des activités de jeu. Une histoire développementale où l’individu développe certaines composantes psychologiques, telles l’impulsivité (favorisant la prise de risque) et une pauvre capacité de résolution de problème, augmenteraient quant à elles les chances que l’implication dans une activité de jeu soit associée à une perte de contrôle. La force de ce modèle réside dans l’importance accordée au développement de distorsions cognitives dans la perte de contrôle des comportements de jeu. L’accumulation de gains ou un gain d’un montant significatif tôt dans l’histoire du joueur favoriserait l’apparition d’une illusion de contrôle, c’est-à-dire le sentiment d’avoir du contrôle sur un événement régi par la chance (p.ex., les résultats des appareils de loterie vidéo) ou une surestimation du contrôle sur un événement partiellement régi par la chance (p.ex., résultats au poker, aux courses de chevaux, ou à un événement sportif). L’expérience positive qu’apporte le gain favoriserait également le développement d’autres croyances erronées. Ces croyances peuvent être caractérisées par l’incompréhension ou l’omission de l’indépendance des tours de jeu (croyance que l’issue des tours de jeu précédents permet de

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prédire les tours suivants; p.ex., tours d’enchères au poker, parties aux appareils de loterie vidéo) ou l’installation d’un biais attentionnel mettant de l’avant les gains encourus, sans prendre en compte l’importance des pertes. Ces cognitions erronées entrainent une surestimation des chances de gains à court et long termes et favorisent la persistance du jeu en séance et entre les séances. Ce contexte favorise une augmentation des comportements de jeu. Les gains et les quasi-gains (illusion de « passer près » de gagner; p.ex., avoir 2 cerises sur trois aux appareils de loterie vidéo) procurent quant à eux un sentiment d’excitation. Le joueur associe peu à peu les JHA à ce sentiment agréable, ce qui favorise également la persistance dans le jeu. À force d’exposition, les cognitions erronées et les attentes du sentiment d’excitation s’activent de manière autonome et dans des contextes de plus en plus généraux (p.ex., « je suis anxieux, j’aimerais jouer pour me détendre ») ce qui met le joueur à grand risque de perte de contrôle des comportements de jeu. Les comportements de jeu sont renforcés par l’utilisation de ceux-ci comme stratégie d’adaptation aux difficultés de la vie. Les indices internes (désir d’être dans un état de stimulation), ou externes (exposition au JHA) sont insidieusement associés aux cognitions et émotions agréables que procurent le jeu. Avec le temps, la simple exposition aux indices déclenche une réaction physiologique (envie irrépressible de jouer). Le modèle de Sharpe (2002) distingue les indices internes favorisant les comportements de jeu en fonction du type de jeu. Les joueurs d’appareil de loterie vidéo chercheraient l’évitement des émotions difficiles à tolérer (p.ex., humeur dysphorique), tandis que les parieurs hippiques chercheraient l’excitation dans le jeu en raison d’une intolérance à l’ennui. Une fois le jeu initié, la capacité d’adaptation du joueur et les facteurs cognitifs, émotionnels présentés ci-haut, déterminent la capacité du joueur à s’arrêter de jouer. Les conséquences associées au jeu (dettes, problèmes relationnels) favorisent le maintien du problème de jeu. De cette manière, le joueur peut tenter de recouvrer les pertes par le jeu, ou le stress lié aux conséquences du jeu peut être régulé avec le jeu comme stratégie d’adaptation.

Modèle des voies associatives du jeu problématique. Le modèle des voies associatives du jeu problématique (Pathways Model of Problem and Pathological Gambling) de Blaszczynski et Nower (2002), est similaire à celui de Sharpe (2002) au sens qu’il intègre des aspects biologiques, développementaux, propres à la personnalité, environnementaux et

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cognitifs. L’apport unique de ce modèle réside dans l’importance accordée à l’hétérogénéité qui peut exister entre les joueurs.

Ces auteurs postulent l’existence de trois trajectoires de développement du problème de jeu. À la base des trois trajectoires, le jeu doit être accessible et disponible pour le joueur, une augmentation de la disponibilité ou de l’accessibilité du jeu tend à augmenter la prévalence des problèmes de jeu dans la population. De plus, de manière similaire au modèle diathèse-stress, la perte de contrôle des habitudes de jeu est favorisée par un processus de conditionnement classique et opérant. Ce conditionnement est favorisé par l’excitation subjective et physiologique que procurent les gains et le développement de croyances erronées (p.ex., illusion de contrôle, indépendance des tours). Un environnement social favorable au jeu, et de premières expériences de jeu caractérisées par des gains, favorisent le conditionnement. La répétition des comportements de jeu favorise les comportements de

chasing (envie de se refaire) et l’établissement d’un cercle vicieux menant à la pathologie.

Les joueurs de la première trajectoire sont des joueurs problématiques conditionnés (1) (Behaviourally conditioned problem gamblers), ils ne présentent pas de vulnérabilité prémorbide et présentent un problème de jeu de plus faible intensité comparativement aux joueurs des autres trajectoires. Le développement et le maintien des comportements de jeu résident exclusivement dans les effets du conditionnement et des croyances erronées résultantes. Ces joueurs vivent des symptômes de dépression, d’anxiété, et de dépendance aux substances, mais ces symptômes constituent une conséquence du fardeau financier encouru par le jeu. Les joueurs émotionnellement vulnérables (2) (emotionally vulnerable

problem gamblers) se démarquent de ceux de la première trajectoire en raison de la présence

de symptômes prémorbides (p.ex., anxiété, dépression, utilisation de substances), des traits de la personnalité favorisant la prise de risque et la tendance à l’ennui, ainsi que des difficultés dans la résolution de problèmes. Un contexte développemental particulier, caractérisé par un vécu perturbé à l’enfance (p.ex., parent joueur problématique, carences, abus) et des vulnérabilités biochimiques (neurotransmission sérotoninergique, noradrénergique et dopaminergique) favoriseraient l’apparition des vulnérabilités psychologiques nommées ci-haut, et l’utilisation du jeu à des fins de régulation des émotions.

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À cet effet, le rôle de régulation qu’apporte le jeu dans la vie des joueurs aggrave leur pronostic comparativement à ceux de la première trajectoire. Ils sont également moins sujets à s’adonner au jeu de manière contrôlé par la suite. La troisième trajectoire réfère aux joueurs problématiques antisociaux et impulsifs (3) (antisocial impulsivist problem gamblers). Ceux-ci présentent des vulnérabilités psychosoCeux-ciales et biologiques similaires aux joueurs de la seconde trajectoire. Ils s’en démarquent par un profil intégrant des traits de la personnalité antisociale, davantage d’impulsivité et des symptômes de trouble déficitaire de l’attention. Ces composantes additionnelles au profil permettent d’expliquer les comportements mésadaptés multiples et sévères qui s’observent dans leur fonctionnement psychosocial. La prépondérance de l’impulsivité et des traits antisociaux favorise les difficultés comportementales diverses qui vont au-delà des comportements de jeu, tels des comportements d’abus de substances, des comportements criminels, des difficultés relationnelles, une pauvre tolérance à l’ennui (recherche de sensations), une plus grande irritabilité et un plus grand risque de comportements suicidaires.

Le modèle de Blaszczynski et Nower (2002) est basé sur la recension des écrits scientifiques sur les caractéristiques de joueurs et de groupes contrôles. Il a été testé et confirmé (trois profils aux caractéristiques cliniques très similaires à l’étude de 2002) auprès d’un échantillon épidémiologique de résidents des États-Unis (n= 581 joueurs pathologiques probables; N= 43 093) à l’aide d’une analyse en classe latente (Nower et al., 2013). Les travaux de Valleur et coll. (2016) permettent également de valider le modèle (N= 372 joueurs pathologiques) et observent que les joueurs émotionnellement vulnérables seraient davantage attirés vers des jeux entièrement régis par la chance (p.ex., appareil de loterie vidéo), tandis que les joueurs problématiques antisociaux et impulsifs seraient majoritairement attirés vers des jeux avec des composantes d’habiletés. Ces résultats concordent avec ceux de Lévesque et coll. (2017) qui observent que les joueurs de poker présentent davantage de traits de la personnalité narcissique, un plus grand niveau de recherche de sensations et de plus faibles niveaux de dépression comparativement aux joueurs d’appareil de loterie vidéo. Cette nuance ramène l’accent sur un aspect important de l’étiologie des problèmes de jeu, c’est-à-dire l’importance de la triade, jeu-environnement-individu. Celle-ci permet de décrire la contribution spécifique de facteurs de risque propres à l’individu lui-même, propres aux JHA

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et propres aux contextes de jeu (Bouju et al., 2011; Olivenstein, 1972; Parke et Griffiths, 2007).

Facteurs individuels

Les facteurs individuels réfèrent à la présence de comorbidités psychiatriques, aux facteurs liés au sexe, à l’âge, aux antécédents personnels et familiaux (Bouju et al., 2011). Les hommes (Dowling et al., 2017; Kairouz et Nadeau, 2014) et les joueurs ayant été initiés à un plus jeune âge seraient plus à risque de développer un problème de jeu (Johansson et al., 2009). Comme mentionné plus haut, une attitude parentale positive par rapport au jeu et des antécédents de maltraitance constitueraient également des facteurs de risque au développement de pratiques de jeu inadaptées (Bouju et al., 2011). Une méta-analyse et une recension systématique identifient les symptômes anxieux et dépressifs, le trouble obsessionnel compulsif, l’utilisation d’alcool et de drogues, les troubles de la personnalité, les comportements antisociaux, la recherche de sensation, le trouble déficitaire de l’attention, l’utilisation de stratégies d’adaptation pauvres et peu réflexives comme facteurs de risque au développement d’un jeu problématique (Dowling et al., 2017; Johansson et al., 2009).

Facteurs propres au jeu

Les facteurs propres au jeu, aussi nommés caractéristiques structurelles des JHA (Parke et Griffiths, 2007) sont les caractéristiques des JHA pouvant faire varier l’intensité des comportements de jeu et faciliter les comportements de jeu problématiques par le biais du renforcement des comportements de jeu et la satisfaction des besoins du joueur (Bouju et al., 2011; Griffiths, 1993; Parke et Griffiths, 2007). Bouju et al. (2011) résument les caractéristiques structurelles préalablement identifiées par Parke et Griffiths (2007). Celles-ci sont : (1) le mode de paiement (virtuel vs réel), (2) la dimension ludique (proximité et familiarité du joueur avec le jeu), (3) la temporalité de la séquence de jeu (laps de temps entre les mises), (4) le niveau de récompense (montant de gain possible et probabilité de gains), (5) la place des messages éducationnels et autres actions de prévention (informations générales sur le jeu et les risques associés), (6) l’ambiance du jeu (environnement sensoriel

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du jeu ; p.ex. sons, images, vitesse, utilisation de substances, etc.), (7) le support de jeu (plateforme de jeu : en ligne, sur table ou électronique) et (8) la part respective de hasard et de la stratégie. Bouju et coll. (2011) rapportent également des facteurs situationnels et contextuels complémentaires aux modèles développés plus haut.

Facteurs situationnels et contextuels

Les facteurs situationnels et contextuels sont (1) l’impact de l’offre et de la disponibilité des jeux et (2) le poids des facteurs socio-économiques (Bouju et al., 2011). D’ailleurs, avec l’arrivée d’Internet, l’accessibilité des JHA a connu un accroissement, alors qu’il est possible d’y accéder par Internet sur de nombreux sites (PokerScout, 2017) et via une multitude d’appareils électroniques (ordinateur, tablette et téléphone intelligent).

Le poker pose des défis aux chercheurs en raison de ses caractéristiques structurelles et contextuelles. Il se démarque des JHA « typiques » (p.ex., appareil de loterie vidéo, loterie, machines à sous), dont l’issu d’une mise est généralement complètement tributaire du hasard, et dont l’offre de jeu se fait dans des environnements physiques prévus à cet effet. Le poker est un JHA présentant certaines composantes d’habiletés pouvant influencer la réussite du joueur au long cours et est grandement pratiqué en ligne, sur des sites de jeu accessibles 24 heures par jour. Depuis 2010, la société d’État de la province de Québec offre via sa plateforme Espace Jeux de nombreux JHA en ligne dont le poker en ligne (PEL) (Loto-Québec, 2019). La grande accessibilité et disponibilité du PEL offre l’opportunité de jouer à toute heure du jour ou de la nuit, dans le confort de la maison. Cela interroge sur la place que peut prendre cette pratique dans le quotidien du joueur au travers des différentes sphères de sa vie. L’augmentation en popularité du poker depuis les années 2000 (Chevalier et Pastinelli, 2008) a favorisé une ouverture de la communauté scientifique, qui tient de plus en plus compte des caractéristiques uniques et en évolution de cette pratique de jeu (p.ex., Bjerg, 2010; Brochu et al., 2015; Hopley et al., 2012; Hopley et Nicki, 2010; Shead et al., 2008).

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10 Le poker

Le poker est un JHA de cartes où plusieurs joueurs (habituellement de 2 à 10) s’affrontent afin de gagner la cagnotte d’argent misé. Il existe différentes variantes de poker, la plus populaire étant le Texas Hold’Em (Fiedler, 2011; Shead et al., 2008). Au Texas Hold’Em, à chaque main, les deux premiers joueurs sont forcés de miser (petite et grande mise à l’aveuglette), chaque joueur reçoit deux cartes (privés) et 5 cartes sont communes à tous les joueurs de la table (retournées et distribuées pendant les tours d’enchères). Le gagnant de chaque cagnotte est le joueur actif détenant la main (combinaison de 5 cartes, privés et communes) la plus forte à la suite des quatre tours d’enchères. La force de la main est déterminée par les probabilités de réunir les cartes incluses, plus faibles sont les chances d’avoir une main, plus forte est cette dernière. Par exemple, comme les probabilités d’obtenir une suite de 5 cartes consécutives (quinte) sont plus basses que d’obtenir une paire, la quinte l’emporte sur la paire. Il y a deux principales manières de jouer, en partie à l’argent (cash

game) ou en tournoi. Le poker présente une particularité par rapport à la plupart des autres

JHA. L’issue d’une main ou de la partie n’est pas totalement liée au hasard, mais parfois aussi aux habiletés du joueur (p.ex., Berthet, 2010; Fiedler et Rock, 2009).

Certains joueurs peuvent s’appuyer sur La théorie des jeux (Von Neumann et Morgenstern, 2007) pour leur prise de décision au poker. La théorie des jeux est un outil mathématique d’analyse des interactions stratégiques entre des acteurs qui sont en compétition (Eber, 2007). Cette théorie économique permet de résoudre des jeux complexes comme le jeu d’échecs et le poker. Le joueur, qui est considéré comme un « agent », est en compétition avec au moins un autre agent. Les agents doivent adopter une stratégie en fonction des caractéristiques du jeu et doivent tenir compte des comportements de leurs opposants qui tentent eux aussi d’adopter une stratégie optimale. Au poker, le joueur tente de prendre les meilleures décisions possibles afin de maximiser ses gains au long cours. La théorie des jeux permet aux joueurs de poker d’orienter leurs prises de décision vers les stratégies les plus optimales possible en fonction de la part d’incertitude inhérente au jeu. Les sources d’incertitudes sont diverses il y a notamment la distribution aléatoire des cartes privés au joueur et à ses adversaires, ainsi que la stratégie privilégiée par les adversaires. Le joueur

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doit tenir compte de ces parts d’incertitude dans le calcul de l’espérance de gains d’une décision. Comme le poker se joue avec un nombre de cartes fini (52 cartes) pouvant être classées en ordre de force, il est possible d’évaluer les probabilités d’obtenir une main ou une autre. Bien que les composantes inconnues pour le joueur amènent de la variance sur l’efficacité de réaliser des gains, l’accumulation de décisions ayant une espérance de gains positive devrait théoriquement lui assurer des gains au long cours. Récemment, un programme en intelligence artificielle nommé Pluribus a d’ailleurs réussi à obtenir de meilleurs résultats que des joueurs de poker professionnels sur une table de six joueurs au Texas Hold’em (Brown et Sandholm, 2019). Plusieurs auteurs (p.ex., Croson et al., 2008; Dedonno et Detterman, 2008; Fiedler et Rock, 2009) s’interrogent sur la part réelle des habiletés sur les résultats des joueurs de poker.

Les habiletés au poker. D’un côté, le nombre de mains jouées à vie, pourrait influencer la proportion de gains d’un joueur (DeDonno et Detterman, 2008). À partir d’un large échantillon (N = 51 761) de joueurs de PEL, une équipe de chercheurs observe que les joueurs ayant joué le plus de mains (plus de 44 550 mains, n = 100) gagnent en moyenne davantage d’argent comparativement aux autres joueurs de leur échantillon (Fiedler et Rock, 2009). Les résultats précédents en tournois de poker de grande ampleur permettraient de prédire les résultats en tournois subséquents avec une précision similaire que les résultats de tournois de golf professionnels (Croson et al., 2008). Certains « joueurs expérimentés » acquièrent assez d’habiletés pour retirer un bénéfice financier provenant du poker (Fiedler, 2011; Palomäki et al., 2013b). Toutefois, les joueurs plus expérimentés et habiles auraient de plus grandes probabilités de gagner, tant que leur niveau d’habileté est supérieur à celui de leurs adversaires (Turner et Fritz, 2001). Ce faisant, plus les niveaux d’habileté des joueurs à une table sont équivalents, plus les résultats seront attribuables au hasard. Par ailleurs, les cartes reçues auraient une plus grande incidence sur l’issue du jeu selon les résultats de plusieurs études (p.ex., Berthet, 2010; Meyer et al., 2013; Sévigny et al., 2008), du moins lorsque le nombre de mains jouées est limité. Les études empiriques permettent d’identifier que les habiletés d’un joueur, dans certaines circonstances, lui permettent d’en retirer un bénéfice financier. Toutefois, de quantifier la proportion d’habileté et de chance au poker

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semble être réducteur puisque cette opération nécessite la prise en compte de variables propres à chaque joueur et à ses adversaires (Fiedler et Rock, 2009).

Outre l’usage des probabilités dans la prise de décision optimale d’un joueur, plusieurs autres variables doivent être prise en compte par celui-ci afin d’avoir le dessus sur ses adversaires. Le livre The psychology of poker aborde la rapidité de prise de décision, la distance émotionnelle dans la prise de décision, le raisonnement stratégique et la capacité d’adaptation (Schoonmaker, 2000) comme des caractéristiques importantes pour les joueurs de poker. Selon des études qualitatives auprès des joueurs de poker, la régulation des émotions serait particulièrement importante afin de maintenir un processus décisionnel optimal durant la partie (Barrault et al., 2014; Brochu et al., 2015). Les joueurs expérimentés auraient un processus de prise de décision plus rationnel et davantage basé sur leurs connaissances que les joueurs inexpérimentés (McCormack et Griffiths, 2012; Morgan, 2014) et useraient de stratégies multiples comme de cibler des adversaires moins expérimentés (McCormack et Griffiths, 2012). Une chercheure observe quant à elle que les joueurs expérimentés de son étude prennent moins de risque en contexte de jeu et jouent moins de mains à espérance de gains négatives que les joueurs moins expérimentés (Morgan, 2014). Les joueurs expérimentés auraient également un rapport aux émotions différent. Ceux-ci exprimeraient moins d’émotions négatives que les joueurs inexpérimentés (Morgan, 2014). De plus, l’induction d’émotions négatives en laboratoire n’aurait pas d’effet sur leur propension à la prise de risque, contrairement aux joueurs inexpérimentés pour qui la prise de risque augmenterait dans ces conditions (Morgan, 2014). Ainsi, l’importance des habiletés dans les résultats au poker semble dépendre d’une multitude de variables propres aux capacités de prise de décision et de régulation des émotions du joueur, et l’expérience acquise semble importante dans l’acquisition de ces habiletés. Plusieurs joueurs identifient le PEL comme une manière de développer leurs habiletés (Barrault et al., 2014). En effet, les joueurs de PEL peuvent acquérir de l’expérience, en jouant un grand nombre de mains, sans grande implication monétaire, puisque de nombreux sites ou programmes offrent des tables à prix modeste (Barrault et al., 2014). Ils peuvent jouer davantage de mains rapidement en raison de la grande rapidité du PEL (Fiedler et Rock, 2009).

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Le poker en ligne. Joueurs de PEL. Chez les Québécois, le PEL constitue le JHA en ligne le plus populaire, alors que 58,7% des joueurs jouant sur Internet auraient joué à une partie à l’argent et 26,6% à un tournoi dans l’année précédant l’enquête (Kairouz et Nadeau, 2014). Les joueurs de PEL joueraient généralement pour développer leurs habiletés, le plaisir, faire de l’argent (Brochu et al., 2015; Wood et al., 2007), les interactions sociales, la stimulation intellectuelle, pour passer le temps, le désir de compétitionner et la montée d’adrénaline (Dufour et al., 2013). Les joueurs problématiques joueraient davantage que les autres pour fuir leurs difficultés (Wood et al., 2007). Les joueurs de poker présenteraient davantage de traits de la personnalité narcissique que les autres joueurs de JHA (Lévesque,, Sévigny et Giroux, 2017). Les traits de la personnalité narcissiques existent sur un continuum de sévérité (Lingiardi et McWilliams, 2017). Les individus ayant des traits narcissiques se caractérisent par un désir de reconnaissance et de succès (APA, 2013) et un sentiment de vide intérieur et de vide de sens existentiel (Lingiardi et McWilliams, 2017). Ces états d’âmes nécessitent, dans une intensité variable, des stimuli externes leur permettant d’affirmer leur valeur ou leur importance (Lingiardi et McWilliams, 2017), sans quoi des symptômes dépressifs, ou de la honte peuvent être ressentis et être associés à des mécanismes de défense tels le déni, la rationalisation et la minimisation (Perry et al., 2013). Les individus avec une personnalité narcissique consacrent beaucoup d’énergie dans l’évaluation de leur statut en comparaison à celui des autres (Lingiardi et McWilliams, 2017).

Les données de Parke et coll. (2007) permettent de constater que les joueurs de PEL (N = 10 865) sont typiquement des hommes (73,8%) et de jeunes adultes (26-35 ans; 26,9%). Près du quart (24,0%) des joueurs de PEL jouent sur deux tables à la fois, le tiers jouent une ou deux heures chaque session et plus du quart (26,8%) jouent entre 2 et 3 fois par semaine (Parke et al., 2007). Plus récemment, l’Observatoire des Jeux en France a réalisé une enquête auprès des joueurs en ligne, en partie des joueurs de PEL (Eroukmanoff et al., 2014). Ils constatent que 20,9% des joueurs jouent presque chaque jour, et plus de la moitié jouent au moins une fois par semaine. Les deux tiers des joueurs de PEL sont des hommes et le tiers des joueurs ont moins de 31 ans. De tels résultats concordent avec ceux de Fiedler (2013; N = 2 127 887), qui observe que les joueurs réguliers (joueurs actifs durant 6 mois) jouent sur plus d’une table à la fois (M = 1,73), près d’une heure par session (M = 57,90 min) et

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approximativement une journée sur deux. Ainsi, de nombreuses heures sont consacrées à cette activité chaque semaine chez les joueurs réguliers.

Problèmes de jeu et conséquences propres au PEL. Le grand niveau d’engagement

des joueurs de PEL envers cette activité n’est pas dénué de conséquences. Une recension systématique sur la psychopathologie chez les joueurs de PEL illustre que cette pratique est associée à des taux de prévalence de problèmes de jeu plus élevés que la plupart des JHA (Moreau et al., 2016). La dernière étude épidémiologique québécoise indique que 7,9 % des joueurs de poker seraient considérés à risque modéré ou pathologique probable (Kairouz et Nadeau, 2014). L’enquête de l’Observatoire des jeux en France révèle que 17,4% des joueurs de PEL de leur échantillon rapportent avoir misé davantage que prévu, 7,9% rapportent avoir vendu quelque chose ou emprunté pour avoir de l’argent pour jouer et 16,2% perçoivent avoir un problème de jeu. Malgré ces taux de prévalence alarmants en comparaison aux autres JHA, plusieurs auteurs critiquent les outils habituellement utilisés pour évaluer les problèmes de jeu (p.ex., South Oaks Gambling Screen ; Lesieur et Blume, 1987 et le Problem Gambling

Severity Index ; Ferris et Wynne, 2001b) puisqu’ils n’ont pas été validés chez les joueurs de

PEL, et ne semblent pas adaptés à ceux-ci (Bjerg, 2010; Dufour et al., 2015; Dufour et al., 2012; Laakasuo et al., 2015; Moreau et al., 2016). À ce propos, les travaux de Lévesque et coll. (2017) et Laakasuo et coll. (2015) indiquent que des pensées dysfonctionnelles seraient attribués à tort à des joueurs de poker en raison de la part inhérente d’habileté au poker que les questionnaires ne prennent pas en compte.

Il n’en est pas moins que les conséquences sont réelles pour certains joueurs. Il semble que le dysfonctionnement lié au problème de jeu chez les joueurs de PEL ne se manifeste pas de la même manière que les jeux à composantes de hasard pur. Certains auteurs observent que les joueurs de PEL problématiques ne croulent pas sous les dettes de jeu, mais passent davantage de temps à jouer que les autres (Griffiths et al., 2010; Smith et al., 2012). Il semble que la perte de contrôle des comportements de jeu puisse davantage être dans le temps consacré à l’activité. Cela concorde avec les propos de certains joueurs qui témoignent réaliser des gains au PEL, mais désinvestir les autres sphères de leur vie au détriment du PEL (Bjerg, 2010). Certains participants de cette étude témoignent toutefois que la perte de

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contrôle de leurs comportements de jeu pouvait également les amener à s’éloigner de leur stratégie optimale, prendre de mauvaises décisions et leur entrainer des pertes monétaires. Plus de sept pourcents (7,9%) des joueurs de poker au Québec seraient considérés joueurs problématiques (Kairouz et Nadeau, 2014). L’enquête de l’Observatoire des jeux en France identifie quant à elle que près d’un joueur de PEL sur quatre joue tard le soir ou durant la nuit et 45,6% des joueurs mentionnent que le PEL empiète sur leurs heures de sommeil (Eroukmanoff et al., 2014). Une majorité de ces joueurs (61,7%) identifient que le PEL a une incidence sur leurs habitudes de vie, entrainant une négligence de certaines tâches quotidiennes. De plus, près d’un joueur sur cinq (18,9%) mentionne que leur jeu a fait l’objet de critique de la part de leur entourage et 10,2% mentionnent avoir eu des difficultés financières à la suite du jeu. Malgré tout, la ligne d’aide provinciale québécoise Jeu : Aide et

référence indiquent qu’un peu moins de 2% des demandeurs, entre 2015 et 2017, sont des

joueurs de PEL (1,4% en 2015-2016 ; 1,8% en 2016-2017 ; H. Hamel, communication personnelle, 12 septembre 2017). Cela semble indiquer que malgré les conséquences du jeu, peu de joueurs de PEL vont chercher de l’aide.

Ainsi, les conséquences propres à la pratique du PEL sont bien réelles, mais leurs manifestations semblent se démarquer des JHA avec composantes de hasard pur. Il semble que les conséquences financières soient moins prononcées que ce qui est observé pour d’autres JHA comme les appareils de loterie vidéo. Les conséquences semblent plus prononcées sur le plan du temps passé à réaliser l’activité de jeu, qui peut nuire à d’autres sphères de la vie du joueur, comme l’hygiène dans les habitudes de vie ou les relations interpersonnelles, familiales et occupationnelles. La perte de contrôle des comportements de jeu au PEL et au poker amène plusieurs chercheurs à aborder le tilt comme objet de recherche (p.ex., Browne, 1989; Moreau et al., 2016; Palomäki et al 2014; Wei et al., 2016), une manifestation de perte de contrôle propre aux joueurs de poker. Le tilt correspond à une perte de contrôle transitoire des comportements de jeu au poker et au PEL.

Perte de contrôle au PEL : Le tilt. Le tilt est un état émotionnel (essentiellement de

la colère), comportemental (impulsivité, perte de contrôle, hyperkinésie et passage à l’acte) et cognitif (dissociation, envie de se refaire et difficulté d’inhibition) transitoire vécu par les

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joueurs de poker et de PEL et spécifique à cette pratique (Browne, 1989; Moreau et al., 2015). Les causes du tilt sont variables, mais les joueurs de PEL de l’étude qualitative de Moreau et coll. (2015) identifient des événements internes (p.ex., inattention, manque de concentration, stress et fatigue) et des événements externes (p.ex., mauvaise séquence de jeu, enchainement de grosses mises perdues et perdre une mise au détriment d’un adversaire qui a mal joué) pouvant favoriser son apparition. Le tilt entraine une perte de contrôle des comportements de jeu par le biais d’une augmentation de la prise de risque et des comportements impulsifs, l’apparition de symptômes de dissociation (Moreau et al., 2017), l’altération de la capacité de prise de décision et de la concentration, l’apparition de l’illusion de contrôle, un changement dans la stratégie de jeu (plus agressive) ou une diminution de la capacité de s’arrêter de jouer (Browne, 1989; Moreau et al., 2015; Palomäki et al., 2013a). Ce faisant, ces changements dans les comportements de jeu peuvent avoir des conséquences financières et émotionnelles chez le joueur de PEL.

En effet, à la suite d’un épisode de tilt, certains rapportent ressentir de la tristesse, de la culpabilité, du dégoût (Moreau et al., 2015), de l’anxiété, de la déception d’avoir perdu le contrôle et/ou ont tendance à la rumination (Browne, 1989). Malgré l’aspect transitoire du tilt, les conséquences de cette perte de contrôle, tant au niveau émotionnel, que financier, perdurent dans le temps (Moreau et al., 2015). Moreau et coll. (2015) décrivent même le tilt comme un état de comportement de jeu pathologique transitoire. D’ailleurs, les joueurs de poker problématiques vivraient plus souvent des épisodes de tilt que les joueurs non problématiques (Moreau et al., 2017) et il semble que la fréquence des périodes de tilt et la régulation de celles-ci puissent influencer l’apparition de problèmes de jeu (Browne, 1989).

Certains joueurs de poker mentionnent deux stratégies pour réguler les épisodes de tilt, soit de quitter la table de jeu, ou adopter une stratégie de régulation des émotions (c.-à-d. une prise de conscience et une acceptation des émotions associées au tilt) (Brochu et al., 2015; Browne, 1989). Ces stratégies seraient peu utilisées chez les joueurs moins expérimentés (Palomäki et al., 2013a). Il est raisonnable d’affirmer qu’un joueur a tout intérêt à maintenir une stabilité émotionnelle et cognitive lors des séances de jeu afin d’éviter de se retrouver en état de tilt et d’éviter les conséquences inhérentes à celle-ci.

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Les études portant sur le tilt permettent d’avoir un portrait du phénomène tel que rapporté par les joueurs de poker et de PEL. Toutefois, elles constituent souvent des devis qualitatifs ne permettant pas de quantifier le phénomène dans des contextes particuliers. Le

Online Poker Tilt Scale (OPTS) a récemment été validé auprès d’une population française,

permettant d’évaluer le niveau de tilt associé au PEL (Moreau et al., 2017). Les chercheurs peuvent désormais étudier la variation des épisodes dans le temps et dans des contextes variés, et ainsi explorer les facteurs de risque inhérents au tilt.

Parmi les facteurs de risques potentiels du tilt, il est possible que la grande disponibilité et accessibilité du PEL favorise la participation au PEL lorsque le joueur n’est pas en contexte favorable pour réguler ses émotions et réfléchir de manière optimale. Les plateformes de PEL donnent accès à des tournois et des parties à l’argent à toute heure du jour ou de la nuit (Dubois, 2013; Loto-Québec, 2017), pratiquement n’importe où. À ce propos, des joueurs de PEL identifient l’accessibilité qu’offre Internet comme un facteur favorisant la perte de contrôle de leurs comportements de jeu et le désir de se refaire (Hing et al., 2015), un critère diagnostique du jeu d’argent pathologique (APA, 2013). Malgré la grande accessibilité et la disponibilité du PEL 24 heures sur 24, aucune étude en jeu n’a exploré les conséquences que peuvent entraîner la participation au PEL durant les heures habituelles de sommeil. Pourtant, les écrits scientifiques empiriques dans le domaine du sommeil permettent d’observer que la privation de sommeil est associée à de nombreuses conséquences sur le plan des émotions et des processus cognitifs de l’individu, des conditions similaires celles identifiées comme des déclencheurs des épisodes de tilt (Moreau et al., 2017).

La privation de sommeil

À court terme, des heures de lever et de coucher irrégulières entrainent parfois un état de privation de sommeil. La privation de sommeil peut être sélective, partielle ou totale (Horne, 1978). La privation de sommeil sélective réfère à l’éveil du dormeur à un stade de sommeil prédéterminé, une pratique généralement utilisée pour étudier les caractéristiques spécifiques aux stades de sommeil (Encyclopaedia Britannica, 2019). Une privation de

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sommeil partielle réfère chez un individu à dormir moins que nécessaire pendant plusieurs nuits consécutives (p.ex., dormir moins de 6 h pendant 5 nuits) (Frenda et Fenn, 2016). Par définition, ce type de privation de sommeil peut survenir en concomitance avec un diagnostic d’insomnie clinique ou sous-clinique. La privation de sommeil totale réfère quant à elle une prolongation de la période d’éveil d’un individu, ayant un effet néfaste sur ses capacités physiques et psychologiques (Alhola et Polo-Kantola, 2007). Il peut être difficile de définir à partir de quel moment une personne se retrouve en privation de sommeil totale ou partielle en raison des variations individuelles observées sur plusieurs variables cliniques et neurocomportementales (fatigue, humeur et somnolence autorapportée; capacité de traitement cognitif et vigilance comportementale) (Van Dongen et al., 2004). Bien que les déficits neurocomportementaux associés à la privation de sommeil peuvent varier entre les individus, il semble qu’une période d’environ 16 heures et plus (15,84, E.T.=0,73) d’éveil soit nécessaire avant de les observer (N= 48; temps de réaction, somnolence subjective et mémoire de travail; Van Dongen et al., 2003). La privation de sommeil partielle et totale sont associées à des altérations sur le plan des cognitions, des émotions et de la régulation des émotions.

Cognition. La cognition est un processus pouvant être définie comme l’ensemble des

activités mentales impliqués dans nos relations avec l’environnement (Fortin et Rousseau,

2012, p. 1). Un modèle, le Layered Reference Model of the Brain, identifie 37 processus cognitifs, hiérarchisés en 6 strates (Wang et al., 2006). Ce modèle décrit d’abord les processus inconscients primaires comme les sensations, la mémoire, les perceptions et les actions (strates 1 à 4) et place en haut de la hiérarchie les processus métacognitifs et de plus haut niveau tels l’attention, la mémorisation, l’apprentissage, la prise de décisions et la résolution de problèmes (strates 5 et 6). Le rapport de l’individu avec son environnement dépend de l’interaction entre ces strates hiérarchisées (Wang et al., 2006).

Les variables cognitives ont été particulièrement étudiées en contexte de privation de sommeil, probablement en raison des effets délétères de la privation de sommeil sur les activités quotidiennes comme le travail ou la conduite automobile. Une méta-analyse permet d’observer que la privation de sommeil totale (≤48h) est associée à une altération (temps de

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réaction et nombre d’erreurs) de l’attention simple (détection stimulus) et complexe (soutenue, divisée et sélective), la mémoire de travail, la mémoire à court terme et la capacité de raisonnement (p.ex., résolution de problème, vocabulaire) (Lim et Dinges, 2010). Ces résultats concordent avec une méta-analyse qui conclut que des privations de sommeil diverses (≤45 h et ≥45h) sont corrélées à une diminution de la performance telle que mesurée par le temps de réaction et le nombre d’erreurs, cette corrélation s’accentuerait pour les tâches pour lesquelles le sujet ne contrôle pas le rythme (pression du temps) (Koslowsky et Babkoff, 1992). La méta-analyse de Wickens et coll. (2015) identifie quant à elle que les performances cognitives pour répondre à des tâches complexes et simples diminuent en fonction de l’intensité de la privation de sommeil (totale et partielle). Une étude en imagerie cérébrale permettrait d’expliquer les altérations cognitives identifiées en privation de sommeil totale, alors qu’une équipe de chercheurs observe une diminution de la vigilance et des performances cognitives en association avec une réduction de l’activité cérébrale responsable de l’attention et des activités cognitives complexes (réseau cortico-thalamique; Thomas et al., 2000).

Prise de décisions. La prise de décision est l’un des 37 processus cognitifs

fondamentaux décrits dans le modèle de Wang et coll. (2006), il permet à l’individu de faire des choix en fonction de critères prédéterminés. Une recension des écrits révèle que la privation de sommeil affecte la capacité de prise de décision, et ce, particulièrement dans les tâches simples et monotones, les situations inattendues ou lorsque l’individu se doit d’innover ou de réviser ses plans (Harrison et Horne, 2000). Les participants d’une étude en laboratoire expérimentent quant à eux une augmentation de leur propension à la prise de risque lorsqu’il y a des chances de gains (jeu de loterie simulé) après 23 heures de privation de sommeil comparativement à lorsqu’ils sont au repos (McKenna et al., 2007). Une seule étude recensée n’observe pas d’effet de la privation de sommeil sur la prise de risque (Demos et al., 2016). Les participants en privation de sommeil partielle (6 heures c. 9 heures de sommeil) ne vivraient pas une augmentation de leur propension à la prise de risque, mais une diminution de leurs capacités d’inhibition des comportements (tâche go no-go). Une recension systématique récente appuie tout de même l’association entre la privation de sommeil et une augmentation de la prise de risque de l’individu (Womack et al., 2013). De

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nombreuses études abordées dans cette recension sont conduites en laboratoire avec des tâches s’apparentant à des JHA pour simuler la prise de risque. C’est le cas de celle de Killgore et coll. (2006) (N = 34) et celle de Venkatraman et coll. (2011; N = 29). Celles-ci ont induites des conditions de privation de sommeil respectives de 49 et 22 heures à leurs participants. Les résultats de ces études indiquent que les participants en privation de sommeil priorisent plus souvent des choix risqués, et déficitaires, lorsque comparés à eux-mêmes au repos (Killgore et al., 2006) et lorsque comparés à un groupe contrôle au repos (Venkatraman et al., 2011). Venkatraman et coll. (2011) expliquent leurs résultats par un changement d’attitude des participants en privation de sommeil qui seraient moins concernés par les pertes, au profit d’une maximisation des gains. De plus, comme les participants de cette étude n’avaient pas de rétroaction sur les résultats économiques de leur choix en temps réel, les auteurs suggèrent que les participants en privation de sommeil présenteraient une augmentation des attentes de gains non fondées, menant à une tendance vers la prise de risque dans la prise de décision économique. Comme le succès d’un joueur de PEL dépend en grande partie de sa capacité à prendre les meilleures décisions possibles (Barrault et al., 2014; Schoonmaker, 2000; Von Neumann et Morgenstern, 2007), il est pertinent de s’interroger sur les effets que peut avoir une privation de sommeil sur leurs prises de décisions.

Régulation des émotions. Dans un même ordre d’idées, de nombreuses études ont observé un effet de la privation de sommeil sur le rapport aux émotions et à la capacité de régulation de celles-ci. Les émotions correspondent à des réponses affectives brèves qui se produisent à la suite d’une interaction entre le monde interne et l’environnement externe de la personne (Fox, 2008; Watling et al., 2017). La régulation des émotions réfère aux processus responsables de l’observation, l’évaluation et la modulation des émotions, qui permet à une personne d’accomplir ses buts et de fonctionner dans des contextes variés (Thompson, 1994; Watling et al., 2017). Au contraire, une difficulté momentanée ou au long cours dans la régulation des émotions altère les capacités d’adaptation lors de situations stressantes, pouvant mener à la prise de risque, vers des comportements impulsifs et dommageables pour l’individu (Bateman et Fonagy, 2010; Kernberg et al., 2008; Linehan, 2018).

Références

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