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Critiques et conceptions web citoyennes du journalisme : analyse de commentaires d'internautes sur les sites d'information québécois

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Critiques et conceptions web citoyennes du

journalisme : Analyse de commentaires d’internautes

sur les sites d’information québécois

Mémoire

Djilikoun Cyriaque Somé

Maîtrise en communication publique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que leur appropriation par la presse (écrite ou audiovisuelle) ont suscité de nouvelles formes de pratiques journalistiques, dont le journalisme en ligne. Nouveauté non seulement dans la production et la diffusion de contenus, mais aussi dans la réception par les destinataires. Ainsi, depuis que le journalisme a intégré le Web pour devenir du « journalisme 2.0 », le lecteur se voit octroyer des possibilités de publier des commentaires à la fin de chaque article diffusé sur le Net.

Ce mémoire vise à analyser et mieux comprendre la conception « idéale » que certains lecteurs peuvent se faire du journalisme à travers leurs rétroactions dans les espaces de commentaires ou de prise de parole, et ce, dans le sillage des mutations survenues avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette recherche, à caractère exploratoire, a pour objectif principal, dans un premier temps, d’étudier le discours des internautes sur la pratique journalistique dans un contexte de mutations technologiques et socio médiatiques, puis dans un second temps, de montrer l’importance de leurs interactions dans l’univers journalistique.

Nous avons choisi les sites Web du quotidien Le Devoir et de La Presse comme terrain d’étude. Dans la mesure où les internautes sont de plus en plus enclins à jeter un regard critique sur ce que les journalistes leur offrent, leur discours a été révélateur des valeurs qu’ils espèrent voir émerger dans les pratiques actuelles. Au cœur des différentes mutations, en effet, les affirmations sur l’intérêt public de l’information, l’objectivité et la rigueur dans son traitement ainsi que l’indépendance des journalistes demeurent des valeurs de références.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES FIGURES ... ix

LISTE ET LÉGENDE DES CODES POUR L’ANALYSE DES DONNÉES ... xi

REMERCIEMENTS ... xiii

INTRODUCTION : CONTEXTE DE LA RECHERCHE ... 1

Problématique et question de recherche ... 1

Objectif de la recherche ... 2

PREMIERE PARTIE : ... 5

CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL ... 5

CHAPITRE 1. ANCRAGE THÉORIQUE ... 7

1.1 Les fondements disciplinaires ... 7

1.2 Le concept d’interactivité ... 8

1.3 Le concept de commentaire ou critique ... 8

1.4 Revue de la littérature ... 9

CHAPITRE 2. LA REDÉFINITION DU PUBLIC À L’ÈRE DU WEB JOURNALISME ... 13

2.1 Une question d’enjeux ... 13

2.2 Publics et contenus journalistiques ... 15

2.2.1 Un public avisé des procédés journalistiques ... 16

2.2.2 Un public « infovore » ... 18

2.3 Le public dans ses rapports avec les acteurs journalistiques ... 20

2.3.1 Un public interactif ... 20

2.3.2 Un public contrôlant ... 21

2.3.3 Un public désenchanté ... 22

CHAPITRE 3. LA REDÉFINITION DU JOURNALISTE À L’ÈRE DU WEB ... 25

3.1 Histoire d’une mutation ... 25

3.2 Le journaliste dans la production de contenu ... 29

3.2.1 Journaliste-technicien du Web ... 29

3.2.2 Journaliste multitâche ... 30

3.2.3 Journaliste multiplateforme ... 31

3.2.4 Journaliste multimédia ... 31

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3.3 Le journaliste dans ses relations avec ses publics ... 36

3.3.1 Le journaliste « hyper réseauté » ... 36

3.3.2 Le journaliste en interaction ... 36

CHAPITRE 4. L’INTERACTIVITÉ ... 39

4.1 Comprendre l’interactivité ... 39

4.2 L’interactivité : une prise de parole par le public médiatique ... 41

4.2.1 L’interactivité dans la ligne du « courrier des lecteurs » ... 41

4.2.2 L’interactivité dans la ligne des tribunes téléphoniques ... 42

4.3 Interactivité dans le contexte d’un « journalisme de communication » ... 43

4.4 L’interactivité dans les sites d’information : une forme de « démocratie médiatique » ... 44

4.5 Les forums de discussion dans les sites d’information ... 45

DEUXIÈME PARTIE ... 47

COLLECTE ET ANALYSE DE DONNÉES ... 47

CHAPITRE 5. MÉTHODOLOGIE ... 49

5.1 Corpus et échantillon ... 49

5.2 Stratégie de collecte de données ... 51

5.3 Stratégie d’analyse des corpus ... 52

5.4 Descriptions des catégories thématiques ... 53

5.4.1 Les jugements spontanés ... 53

5.4.2 L’intérêt public ... 53

5.4.3 L’objectivité et la rigueur ... 54

5.4.4 L’indépendance, l’impartialité ... 55

5.4.5 L’éthique journalistique ... 56

5.4.6 La catégorie « inclassables » ... 56

CHAPITRE 6. ANALYSE DU DISCOURS D’INTERNAUTES DANS LE CORPUS DU DEVOIR ... 57

6.1 Catégorie « jugements spontanés » ... 57

6.2 Catégorie « intérêt public »... 58

6.3 Catégorie « objectivité » ... 61

6.4 Catégorie « indépendance des médias et des journalistes » ... 64

6.5 Catégorie « rigueur journalistique » ... 65

6.6 Catégorie « éthique journalistique » ... 67

6.7 Catégorie « commentaires inclassables » ... 68

CHAPITRE 7. ANALYSE DU DISCOURS D’INTERNAUTES DANS LE CORPUS DE LA PRESSE ... 71

7.1 Catégorie « Jugements spontanés » ... 71

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7.3 Catégorie « Objectivité » ... 74

7.4 Catégorie « Indépendance des médias et des journalistes » ... 76

7.5 Catégorie « rigueur journalistique » ... 77

7.6 Catégorie « éthique journalistique » ... 80

7.7 Catégorie « Inclassables » ... 81

7.8 Commentaire général sur les deux corpus ... 82

CHAPITRE 8. ANALYSE SYNTHÈSE DES ENTREVUES JOURNALISTIQUES 87 8.1 La place des commentaires d’internautes pour les médias et les journalistes ... 88

8.1.1 Appréciation des journalistes sur les espaces des commentaires ... 88

8.1.2. Appréciation des commentaires et critiques d‘internautes sur le journalisme en général ... 89

8.1.3. Appréciations des commentaires / critiques d’internautes sur les sites d’information du Devoir et de La Presse ... 90

8.1.4. La critique des internautes comme gage de liberté d’expression ... 91

8.2. Quelles interactions entre journalistes et internautes dans les espaces de commentaires ? ... 92

8.2.1. Absence d’interaction ... 93

8.2.2. Passage du débat public au privé : l’usage du courriel ... 94

8.2.3. Le rendez-vous sur les réseaux sociaux ... 94

8.3. Répercussions des feedback d’internautes dans les salles de nouvelles et sur les pratiques journalistiques ... 95

8.3.1. Les commentaires pertinents ... 95

8.3.2. Une réaction défensive : « articles fermés aux commentaires » ... 96

CONCLUSION ... 99

Rappel de l’objectif et de laméthodologie ... 99

Principaux résultats ... 99

Nouvelles pistes de recherche ... 102

Bibliographie ... 105

Sources journalistiques ... 111

Sources sonores : ... 112

ANNEXES ... 113

Annexe 1 - Grille d’entrevue ... 113

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LISTE DES FIGURES

Figure 1. Critiques des internautes sur le journalisme et la presse ... 9 Figure 2. Réponses des participants «Quand vous voulez vous informer, quel est

le média que vous considérez le plus crédible ? Est-ce...» (CREJ, 2012 : en ligne) ... 24 Figure 3. Capture d'écran de tweets de Radio Canada le 31 janvier 2014.

Affichage réduit. Chaque tweet affiché peut être déployé quand on clique sur le menu «Ouvrir» pour voir les «détails du résumé» ... 33 Figure 4. Capture d'écran de tweets de La Presse le 31 janvier 2014. Affichage

déployé laissant apparaître les détails ... 34 Figure 5. Récurrence des catégories thématiques des commentaires d'internautes

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LISTE ET LÉGENDE DES CODES POUR

L’ANALYSE DES DONNÉES

D1, D2, D3 : Unités du corpus du Devoir

D2a, D2b, D2c : Sous-unités d’un corpus du journal Le Devoir qui en a plusieurs P1, P2, P3 : Unités du corpus de La Presse

P1a, P1b, P1c : Sous-unités d’un corpus de La Presse qui en a plusieurs R.P.001 : Rétroaction aux critiques de La Presse

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REMERCIEMENTS

Il était une fois… des gens que j’ai rencontrés dans mon parcours existentiel…

J’adresse un merci tout spécial à mon directeur de mémoire, M. Thierry Watine, sans qui ce projet serait peut-être un feu de paille. Merci, M. Watine, d’avoir cru et de m’avoir fait croire à ma propre intuition originelle. Merci surtout pour votre accompagnement attentionné, professionnel et pédagogique.

Merci à mon diocèse (Diébougou, au Burkina Faso) et à son premier responsable, Mgr Der Raphaël Kusiélé Dabiré pour la confiance et la patience dans la réalisation de cette mission d’étude au Canada.

Merci à mes confrères et amis pour la communion sacerdotale et fraternelle.

Merci chaleureux au Séminaire de Québec et à ses membres pour leur généreuse hospitalité et leur soutien multiforme. Avec eux, j’ai passé un agréable séjour dans le Vieux-Québec, séjour dont le souvenir restera gravé en moi. Sans oublier toute la communauté, j’aimerais mentionner la collaboration de Mgr Hermann Giguère, ancien supérieur général et du chanoine Jacques Roberge, supérieur général actuel.

Il était une fois une idée… et de la matière d’où jaillit cette idée ...

Merci aux journalistes du quotidien Le Devoir et de La Presse. Ils nous ont offert leur temps et leurs témoignages, donc de la matière à penser. Ils se sont prêtés, pour une fois, au jeu de l’intervieweur interviewé.

Merci également à mes professeurs de l’Université Laval dont l’enseignement a contribué à aiguiser ma soif de la recherche.

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Un merci affectueux à mes parents, Jean Célestin et Cécile, à mes petites sœurs, Sylvie, Clarisse, Edwige, Gwladys et Béatrice pour le soutien familial.

Enfin un hommage à mon oncle, feu l’abbé Constantin Gbaanè Dabiré (Requiescat in pace1 !) pour son exemple de vie et de don de soi stimulant. Il aurait voulu parcourir ses pages – et il le fait désormais à sa manière.

Il était une fois… il en sera ainsi toutes les fois… mille mercis !

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INTRODUCTION : CONTEXTE DE LA RECHERCHE

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que leur appropriation par la presse (écrite ou audiovisuelle) ont suscité de nouvelles formes de pratiques journalistiques dont le journalisme en ligne. Nouveauté non seulement dans la production et la diffusion de contenus, mais aussi dans la réception par les destinataires. Ainsi, depuis que le journalisme a intégré le Web pour devenir du « journalisme 2.0 », le lecteur se voit octroyer des possibilités de poster des commentaires à la fin de chaque article publié.

Si tous les médias en ligne n’offrent pas ce cadre d’interactivité2, ceux qui le

permettent sont de plus en plus inondés de critiques web citoyennes à l’encontre des contenus et du travail journalistiques. Au Québec, ce nouveau comportement est observable par exemple sur les sites de Radio-Canada, La Presse, Le Devoir et Le Journal de Québec pour ne citer que ceux-là. Un comportement nouveau qui vient questionner la philosophie et les pratiques du journalisme dans un contexte de mutations.

Problématique et question de recherche

Notre objet d’étude porte sur les commentaires d’internautes sur la presse en ligne, à la fois comme formes et espaces discursifs identitaires. Dans plusieurs médias québécois en ligne (champ de notre objet d’étude) et ailleurs, les plateformes interactives associées aux contenus des publications permettent aux lecteurs de réagir par rapport aux enjeux abordés dans les articles. Cependant, force est de constater que ces forums sont aussi le lieu où des lecteurs critiquent les journalistes.

2 Il existe une panoplie de pratiques interactives dans le domaine du journalisme, autres que les commentaires ou forums de discussions. Ce sont les réseaux sociaux : Twitter, Facebook, Google+, etc. Notre approche n’abordera pas cet aspect tout aussi pertinent. Mentionnons d’ailleurs une étude qui a été menée à ce propos par Jean-Sébastien Barbeau en 2011 : La transformation

du blogue en une activité du journalisme professionnel québécois francophone (1995 – 2010).

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En effet, les lecteurs n’hésitent pas à relever les failles professionnelles, déontologiques dans les articles publiés sur le Web. Les observations sont de tous genres. Elles vont d’une simple remarque à un rappel à l’ordre : « Monsieur le Journaliste, vous vous trompez sur… », « Vous avez omis de… », « Votre article manque de pertinence », etc. À quelques rares occasions se glissent des satisfecits et des félicitations : « J'apprécie beaucoup vos articles, du punch et pas de langue de bois. Merci » ou encore « Très bon article. Informatif et rassurant ». Mais les web-citoyens savent également y aller avec un ton d’ironie : « Félicitations encore pour votre manque de jugement sur le tourisme de la F1 ».

Se posent alors le problème de la production et de la réception des contenus médiatiques ainsi que celui de la participation des cyber-citoyens dans la sphère journalistique. Comme le soulignent Bernier et al., « devant une situation où les médias ont l’initiative de proposer certains sujets et certains angles (pour ne pas dire les imposer), les récepteurs vont par réflexe chercher à contrecarrer les intentions de ces diverses autorités » (2008 p. 4).

Notre projet de recherche se veut une démarche inductive à partir de faits récurrents au sein des pratiques journalistiques sur le Web. Dans cette perspective, nous avons formulé notre question de recherche en deux volets : quelle conception les lecteurs ont-ils du rôle professionnel du journalisme à travers leurs réactions ? quels usages les médias font-ils de ces réactions ? De façon plus large, nous nous intéressons à la fois à l’objet des critiques et, subséquemment, aux fondements de cette forme d’interactivité ouverte aux lecteurs.

Objectif de la recherche

L’objectif que nous poursuivons dans cette démarche est de savoir quelle conception du journaliste et de son rôle se dégage à travers le discours des internautes sur le journalisme. Cet objectif principal se subdivise en deux objectifs spécifiques. Dans un premier temps, nous voulons savoir ce sur quoi porte le discours critique des internautes dans les sections « commentaires » des articles journalistiques publiés en ligne sur certains sites de médias québécois. Dans un

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3 second temps, nous chercherons à savoir si cette forme d’interactivité ou rétroaction suscite de nouvelles pratiques ou expressions journalistiques au plan organisationnel.

Nous entendons par expressions journalistiques ce que pourraient représenter les commentaires d’internautes au sein des médias (salles de rédaction, modérateurs/animateurs de sites). Car, comme le souligne Pélissier, « dans une dynamique d'espace public partiel [qui] implique aussi la mise en place de dispositifs adaptés de co-construction communautaire de l'information diffusée » (2003 : 101) l’offre de commentaires associée aux contenus journalistiques constitue une nouvelle problématique à explorer. Là, en effet,

se profilent aussi en creux d'importants enjeux de société : les effets structurants et déstructurants que peuvent avoir les nouveaux “portails” de communication électronique sur les territoires ; l'accès socialement partagé aux ressources numérisées ; la place des médias et des médiateurs dans un paysage élargi des acteurs de l'information. (Pélissier, 2001-2002 : 8)

Ainsi, le discours des internautes sur le journalisme d’une part et les pratiques des professionnels qui s’y rattachent d’autre part constitueraient un pan des mutations opérées par les médias dans la production et la diffusion de l’information.

Notre recherche se structure en deux grandes parties de quatre chapitres chacune. Dans la première partie consacrée au cadre théorique, nous essayons d’abord de situer notre problématique dans un ancrage disciplinaire et conceptuel (chap. 1). Plus spécifiquement, nous tenterons de comprendre comment les concepts de « public » (chap. 2), de « journaliste » (chap. 3) et d’« interactivité » (chap. 4) ont évolué à l’ère du journalisme 2.0.

Dans la deuxième partie (méthodologique), l’analyse des corpus de presse (chap. 6 et 7) ainsi que les entrevues de journalistes (chap. 8) visent à répondre à notre question de recherche, à savoir : quelle conception les lecteurs ont-ils du rôle professionnel du journalisme à travers leurs réactions et quels usages les médias font-ils de ces réactions ? Le chapitre 5, quant à lui, explique au préalable la démarche méthodologique concrète de mobilisation et d’analyse des données.

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PREMIERE PARTIE :

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CHAPITRE 1. ANCRAGE THÉORIQUE

1.1 Les fondements disciplinaires

Plusieurs domaines ou disciplines scientifiques sont concernés par notre projet, en particulier la communication (concept d’interactivité), la sociologie (théories de la réception et des usages) et la linguistique (les critiques comme « énoncés évaluatifs »). Notre projet de recherche s’inscrit d’abord dans le cadre général de l’émergence du journalisme en ligne et de son positionnement dans la sphère de la communication publique. De ce point de vue, les théories sur la réception des messages, d’une part, et du journalisme participatif, d’autre part, semblent être les mieux à même de nous éclairer sur le phénomène des réactions cybercitoyennes à l’égard du travail des journalistes. À ce propos, le constat du célèbre professeur canadien et théoricien des médias McLuhan nous interpelle, quand il clamait, il y a plus d’un demi-siècle de cela, que « le médium est le message », médium pouvant être désigné par les normes professionnelles, objet des différentes critiques des internautes. Dans ce sens, on peut dire que ce ne sont pas forcément les contenus des articles journalistiques qui livrent le message, mais plutôt leurs formes.

Nous pourrions nous inspirer également du modèle « texte-lecteur » (Dayan, 2000) pour comprendre notre problématique. Ce modèle est à la jonction entre théories littéraires et sciences sociales. Il combine l’analyse textuelle et la recherche empirique pour mettre l’accent sur la nature de la relation entre texte et lecteur. Selon ce modèle, « la réception n'est pas l'absorption passive de significations préconstruites, mais le lieu d'une production de sens » (Dayan, 2000 : 436).

Enfin, ce projet a un lien avec la théorie des effets en communication, mais elle concerne particulièrement les interactions dans l’espace public communicationnel. Face à l’émergence des pratiques multiformes de diffusion de l’information qui, avec la complicité de l’Internet, défient les cadres traditionnels, le journalisme et ses « professionnels » sont contraints d’innover pour ne pas perdre la face dans

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cette agora, aussi virtuelle soit-elle. Et de ce point de vue, l’interactivité semble être inhérente au journalisme dans sa forme actuelle.

1.2 Le concept d’interactivité

Même si « le mot interactivité se perd aujourd’hui dans un foisonnement de discours » (Guéneau, 2005 : en ligne), allant du domaine informatique à celui de la communication humaine et de masse, c’est une caractéristique de la communication considérée comme un processus dynamique. Sans être mentionné explicitement, l’idée était perceptible dans certaines recherches sur les théories de la communication. Déjà dans les années 1950, la théorie cybernétique de Norbert Wiener a introduit la notion de « rétroaction » dans la communication. Nous reviendrons plus loin sur ce concept pour une compréhension plus approfondie. Mais si le cyberjournalisme favorise des pratiques interactives entre lecteurs, entre ceux-ci et les journalistes, c’est à travers cette interactivité que les internautes débattent des questions journalistiques, en plus de commenter l’actualité.

1.3 Le concept de commentaire ou critique

La notion de « commentaire » fait référence à celles de « critique », de « jugement » selon le dictionnaire des synonymes (en ligne). Le Dictionnaire du

journalisme et des médias définit le commentaire comme la « réaction d’un

internaute à un article mis en ligne sur un site d’information, lisible une fois modérée positivement » (2010 : 141). Pour sa part, Roger Burrows, en sociologie des médias, situe l’émergence des commentaires dans la logique et les « formes de pratiques contributives » engendrées par le Web 2.0 (2007 : en ligne). Appliqués au lecteur-internaute, les commentaires ou critiques peuvent être définis comme des énoncés évaluatifs, sous forme écrite, portant à la fois sur les enjeux et sur le travail professionnel, sur la fonction, le rôle des journalistes, à la suite d’un article publié en ligne sur un site d’information. Le schéma ci-dessous résume cette définition.

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Figure 1. Critiques des internautes sur le journalisme et la presse

1.4 Revue de la littérature

Nous pouvons distinguer la revue de la littérature en trois catégories. Celle qui concerne l’histoire du cyberjournalisme, ou de l’évolution du journalisme avec l’émergence des nouvelles technologies (Deleu 1998 ; Pélissier, 2001-2002 ; Estienne, 2007) ; celle qui traite des compétences techniques et professionnelles liées à la production de l’information (Thuillier, 2012 ; Vuillod, 2012 ; Mercier, 2013) et enfin, celle qui traite des publics (Falguères, 2008).

Commentaires d’internautes : Énoncés évaluatifs Jugements de valeur - conception Opinions neutres - suggestions Structure/organisation : Médias Sites Journaux, TV, Radio Journalistes/ individus Normes journalistiques : Rigueur Professionnalisme Objectivité Articles journalistiques Enjeux publics Actualité/ faits Journalisme/Presse Indépendance Intérêt public Éthique

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Ainsi, de la littérature webjournalistique, on peut retenir trois attitudes caractérisant le l’émergence du journalisme dans le cyberespace. D’abord une attitude de méfiance vis-à-vis de l’outil Internet, ensuite une adoption timide du cyberespace par la presse et enfin l’intégration complète de l’outil Web dans le journalisme (Estienne, 2007).

Après deux décennies de présence sur la Toile, le journalisme en ligne continue de s’adapter, de se transformer tout en modifiant aussi la façon de travailler des journalistes. Thierry Thuillier propose à cet effet un portrait du journaliste à l’ère du Web 2.0 quand il écrit :

Voici donc le nouveau visage du journalisme : capable de publier sur plusieurs supports, et surtout de nous dire ce qui est important dans la marche de l’actualité et ce qui l’est moins. Être en mesure de hiérarchiser, d’expertiser et de sélectionner les informations qui arrivent en flot continu. De dialoguer enfin avec son public. Un journaliste mieux formé, aux connaissances pointues. (2012 : 10)

Les études concernant le public journalistique analysent les changements dans les relations3 entre internautes et journalistes. Patrick Weber souligne le fait que les

modes d’interaction entre les médias et leurs publics changent au rythme des innovations technologiques accompagnant la production, la diffusion et la réception de l’information :

By providing commentary and debate spaces, online newspapers create the opportunity for active communication that is easy and accessible for ordinary users in these important forums of the public sphere. This opportunity opens up prospects for the visible and public discursive processing of news issues by readers (2013 : en ligne)

Dans sa thèse de doctorat, ouvrage publié en 2008, Sophie Falguères, analyse l'exploitation des espaces de prises de parole des internautes au sein des rédactions de trois quotidiens français (Le Monde, Libération et Le Figaro). Partant d’une enquête sociologique interdisciplinaire (les nouvelles technologies de l’information et de la communication en lien avec la presse quotidienne nationale), l’auteure a mis en évidence que :

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11 les internautes participent à un processus de redéfinition identitaire des journaux référents et ce, de trois façons : par les commentaires qu’ils écrivent au sujet de la modération, en faisant des forums des lieux où discuter entre lecteurs du contenu des quotidiens référents et par les rôles qu’ils attribuent aux forums (2008 : 271).

C’est dans une perspective similaire que s’inscrit notre projet, à savoir, l’analyse du discours des internautes sur la presse au Québec.

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CHAPITRE 2. LA REDÉFINITION DU PUBLIC À

L’ÈRE DU WEB JOURNALISME

Dans ce chapitre, nous essayerons de comprendre comment la notion et la réalité de « public » ont évolué avec le webjournalisme, passant du droit à l’information à un « droit à la réaction » sur l’information et sur l’informateur. N’y a-t-il pas là un glissement de posture révélateur d’enjeux importants pour la communication publique ?

2.1 Une question d’enjeux

La place et la connaissance du public médiatique – pas seulement journalistique4

sont un enjeu majeur dans l’environnement actuel de l’information et de la communication. Enjeu tellement important que, par exemple, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a lancé en octobre 2013 une consultation générale sur l'avenir du système de télévision. Entre autres préoccupations, le CRTC veut dans un premier temps connaître le point de vue des gens sur les émissions qui passent à la télévision et sur le mode par lequel ils reçoivent la programmation télévisuelle. Ensuite, le CRTC cherche d’une part, à savoir si les citoyens ont suffisamment d'informations pour exercer des choix éclairés et d’autre part, à répondre aux attentes qui seront exprimées dans les forums de discussion (CRTC, 2013).

Recueillir ainsi l’opinion du public (canadien) sur la télévision témoigne bien qu’une nouvelle donne est en train de s’imposer désormais dans les rapports entre diffuseurs et consommateurs de l’information. Finie peut-être l’époque où les programmes télévisuels étaient conçus et diffusés de manière magistérielle ? Déjà quelques semaines après le lancement des consultations publiques, le site Web du CRTC avait enregistré plusieurs commentaires de citoyens sur son forum de

4 Dans la sphère médiatique, les relationnistes et les publicitaires s’intéressent également à la connaissance du public ou de « leurs publics » pour développer des stratégies de communication.

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discussions. On pouvait y lire les contributions du public dont le CRTC se servirait éventuellement pour réorienter sa politique et ses actions.

Sur le plan de la recherche également, on « [s’interroge] sur les circonstances, les motivations et les habitudes qui sous-tendent la production et la consommation de contenus informatifs chez les publics dans un contexte numérique. [Et cela] revient à explorer la place du journalisme dans la société, à analyser sur des bases empiriques les processus d’information et à dépasser les débats stériles sur la fin du journalisme, en le resituant dans le contexte des pratiques digitales émergentes. » (Le Cam, 2013, en ligne)

C’est également une question d’enjeu lorsque les producteurs de contenus Web se livrent à un profilage du public Web, ainsi que le démontrent des études sur l’audimat5. En réalité, on assiste depuis quelques décennies à une fragmentation

(Thuillier, 2012), voire un éclatement du public médiatique comme le constatent Denis Pingaud et Bernard Poulet :

Il nous semble que la scène publique commune qui a caractérisé l’époque des grands médias de masse est en train d’éclater en morceaux. Les nouvelles technologies de l’information – Internet, téléphones mobiles, SM BlackBerry, blogs, MP3, TNT, etc. – qui permettent à l’individualisme consumériste de s’épanouir sous mille formes, de même que la désaffection pour la lecture de la chose imprimée parmi les jeunes générations, contribuent à fabriquer un monde médiatique morcelé, celui « des solitudes interactives », évoqué par Dominique Wolton. Au mythe du « village global » imaginé par Marshall McLuhan pourrait bien se substituer l’inquiétante réalité d’un globe des tribus. (2006 : en ligne)

L’enjeu pour le journalisme dans cette redécouverte du public est d’autant plus grand pour une double raison : efficacité et positionnement.

Premièrement, il y a un enjeu d’efficacité : peut-on informer, du moins adéquatement, un public que l’on ne connaît pas ? Or ce public du Web n’est plus le même que celui des médias traditionnels et cela constitue tout un défi quand on

5 Yves Thiran souligne l’impact des analyses audimétriques dans les salles de rédaction : « l’horaire de travail des journalistes, par exemple, est adapté aux courbes de fréquentation des sites, en privilégiant les jours et les plages de plus grande consommation » (2012 : 91).

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15 veut le définir. Comment traiter avec un interlocuteur dans cet univers numérique marqué par la volatilité (Chalvon-Demersey et Rosental 1998) ? En effet, dans le cyberespace les possibilités liées aux sources d’information sont multiples. À l’aide des outils agrégateurs, par exemple, chaque internaute peut créer son propre fil d’actualités et de nouvelles en ligne en ne choisissant que les contenus qui l’intéressent. Des outils comme Yahoo actualités, Google actualités, Netvibes ou

Google Reader facilitent énormément ce profilage, de sorte qu’il peut être difficile

pour les journalistes de savoir à qui ils ont réellement affaire.

Deuxièmement, il y a un enjeu de positionnement : sur la Toile, l’information journalistique tend à devenir un produit à part entière destiné à l’attention des internautes, comme ceux que proposent la publicité, le divertissement. Dans une telle posture concurrentielle, il est difficile de séduire le public quand on n’est pas convaincant. Or ce que déplore François Demers, c’est que sur le Web « le journalisme est devenu la portion congrue des contenus et a été secondarisé sinon marginalisé dans la capacité du média à rassembler un public » (2012 : en ligne). Même si Thierry Thuillier (2012) pense que les rédactions devraient avoir pour ambition de traiter des sujets complexes sans chercher forcément à séduire, l’information a besoin de garder sa spécificité tout en allant à la conquête d’un public volatile.

Les auteurs qui se sont intéressés aux transformations dans le journalisme contemporain reconnaissent qu’il y a abandon d’une représentation du public comme formé de citoyens au profit de l’idée de « destinataire cible » non encore maîtrisée (Demers, 2012.) Pour comprendre donc le public du cyberjournalisme, il importe d’examiner plutôt le comportement de ce dernier dans son interaction à la fois avec le contenu et avec le journaliste.

2.2 Publics et contenus journalistiques

Le public est de plus en plus techniquement outillé et familier des technologies de l’information et de la communication. L’expansion des technologies de l’information et de la communication ainsi que leur intégration dans le quotidien des Québécois semblent

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incontestables pour certains observateurs. En ce qui concerne le domaine de Web, par exemple, les études sur l’usage des technologies montrent une progression dans l’adoption de ces outils. Nous nous référons aux résultats de l’enquête NETendances 2013 du CEFRIO qui nous livrent les données suivantes6 :

 En 2013, 78,1 % des foyers québécois sont branchés à Internet à leur domicile, et 76,9 % d'entre eux le sont à haute vitesse. Ainsi, la quasi-totalité (98,5 %) des foyers branchés à Internet l’est à haute vitesse

 Les foyers québécois sont dorénavant plus nombreux à posséder un ordinateur portable ou un miniportable (60,4 %) qu’un ordinateur de table (52,1 %).

 Du côté des nouveaux appareils mobiles, 41,8 % des foyers ont au moins un téléphone intelligent, 26,5 % une tablette numérique et 11,6 % une liseuse électronique. Notons que si 4,5 % des répondants disposent à la maison de ces trois appareils, 46,7 % des foyers québécois n’en ont aucun.

 En moyenne, les internautes passent près de 20 heures par semaine à utiliser activement Internet. L’ordinateur de bureau reste le principal appareil utilisé (9,4 heures en moyenne), mais il est progressivement rattrapé par l’ordinateur portable (7,3 heures) et les appareils mobiles (5,1 heures).

 La télévision reste présente dans les foyers québécois qui sont 64,9 % à posséder une télévision haute définition. Les consoles de jeux vidéo aussi y figurent toujours, mais stagnent autour de 42 % [de foyers] depuis 2010. Les enregistreurs numériques personnels ou PVR prennent progressivement leur place, présents au sein de 17,2 % des foyers en 2010 et de 31,9 % aujourd’hui. (CEFRIO, 2013 : en ligne)

2.2.1 Un public avisé des procédés journalistiques

Le public journalistique est également un public averti des procédés rédactionnels que les journalistes utilisent. C’est du moins l’impression que l’on ressent à travers certains commentaires webcitoyens que nous analyserons dans la deuxième partie de notre travail. Par ailleurs, l’émergence d’un « journalisme citoyen » conquérant et concurrentiel révèle bien que le public possède un minimum de connaissances en la matière. Là, il faut reconnaître peut-être aux médias une certaine fonction qui n’était pas inscrite dans leur mission originelle : c’est la valeur pédagogique de l’acte informationnel. Il est vrai qu’on ne devient pas journaliste en lisant des journaux ou en écoutant de la radio, tout comme on ne devient pas footballeur en regardant des matchs de football, mais on peut finir par en décoder les principes. À

6 CEFRIO : Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC). « Les répondants ont été interrogés à propos du branchement et de l’équipement technologique de leur domicile au complet (base foyers) ou bien de leur utilisation personnelle d’Internet (base internautes). » (2013 : en ligne)

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17 force donc de voir pratiquer et de consommer du journalisme, le lecteur finit par se familiariser avec certaines « manières de faire » journalistiques.

Quel impact cela a-t-il sur le rôle des journalistes ? Le fait que le public soit ainsi familier d’une culture journalistique, certains auteurs y voient un défi pour les journalistes dans l’accomplissement de leurs tâches. Selon eux, « il devient de plus en plus difficile pour un journaliste d'expliquer simplement des choses de plus en plus compliquées à des clients qui [paradoxalement] en savent de moins en moins sur tout, même s'ils en savent de plus en plus sur peu » (Hervouet, 2000 : 100).

Par ailleurs, la plupart des médias, même traditionnels, commencent à outiller leurs publics en les appellent à collaborer à la collecte de l’information ; n’est-ce pas là, dans un certain sens, une forme d’initiation journalistique ? Il n’est pas rare en effet que des journalistes à la radio ou sur le Web invitent ou incitent le public à leur envoyer des photos, des vidéos et du texte sur tout sujet. « Envoyez-nous vos photos et vos vidéos » (TVA Nouvelles, 2013). Radio-Canada quant à elle, se fait plus suggestive : « VOUS AVEZ UNE NOUVELLE ? » (2013, en ligne). Ainsi, on apprend à tous à réaliser des topos amateurs qui agrémenteront les articles professionnels. On peut d’ailleurs lire sur le site de TVA cinq conditions de transmission de contenus. Ces dispositions7 font du citoyen non initié un

quasi-journaliste. C’est une pédagogie, qui se déploie en dehors de l’orthodoxie traditionnelle, c’est-à-dire des écoles de journalisme, mais qui contribue à outiller

7 (1) Des conditions qui s’apparentent aux standards de responsabilité qu’un journal impose pour la publication d’une lettre à l’éditeur : Je confirme à [TVA] détenir tous les droits (y compris les droits d’auteur) sur les photo(s), vidéo (s) ou enregistrement (s) (le « Matériel ») que je transmets à TVA. (2) J’atteste que le Matériel est une œuvre originale, authentique que j’ai réalisé sans enfreindre aucune loi ou règlementation. (3) Je cède irrévocablement, pour toujours, et gratuitement à TVA tous les droits sur le Matériel et je renonce à mes droits moraux sur ce Matériel. (4) Je comprends que TVA pourra utiliser, modifier, diffuser ou autrement exploiter une partie ou la totalité du Matériel sur quelque média que ce soit ainsi que diffuser mon nom en association avec le Matériel, sans cependant avoir aucune obligation à cet égard. (5) Dans le cas où le participant est un mineur, les droits et obligations ci-dessus à l’endroit du mineur participant doivent être pris par le parent ou tuteur signataire de la cession au nom du mineur.

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progressivement le public en matière de collecte d’informations, ce qui le rend apte à critiquer plus tard le travail professionnel.

Enfin, il faut souligner l’émergence du journalisme citoyen8 qui fascine bon nombre

d’internautes. Ceux-ci possédant souvent les mêmes outils que les journalistes (caméras, téléphones et Internet) ont accès aux mêmes sources d’information (événements quotidiens, communiqués de presse, dépêches, etc.). Avec le développement des outils technologiques, les citoyens ont maintenant la possibilité de diffuser eux-mêmes des événements dont ils sont parfois témoins avant que les journalistes en fassent des reportages. On a vu par exemple, des vidéos inédites de sources citoyennes lors des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, du Tsunami qui a frappé l’Asie en 2004, ou lors du printemps arabe en 2011. Comme le reconnaît Alfred Hermida, « c’est là le signe d’une évolution des médias vers un espace partagé, une évolution favorisée par l’apparition de puissants outils de communication numériques qui donnent au citoyen les moyens d’être partie prenante de l’observation, de la sélection, du filtrage, de la diffusion et de l’interprétation d’un événement » (2012 : 115).

2.2.2 Un public « infovore »

Qui consulte l’actualité et les nouvelles en ligne ? Selon un sondage réalisé par le CEFRIO, 55,4 % des internautes québécois ont utilisé Internet pour consulter l’actualité ou les nouvelles au cours d’une semaine type en 2012. Parmi eux se distinguent les internautes de 25 à 34 ans (67,1 %) et ceux qui ont un niveau de scolarité universitaire (70,8 %). À l'heure où chacun peut regarder la télévision sur un ordinateur, un téléphone intelligent, une tablette numérique, à l’heure où les postes de télévision peuvent se connecter à Internet, la consommation de l’information s’accroît surtout grâce aux médias en ligne. La conclusion du sondage du CEFRIO le souligne d’ailleurs en ces termes : « Au cours des cinq

8 Un journalisme citoyen jugé nécessaire en contexte démocratique, selon Antoine Char qui pense que l’expertise et la connaissance ne sont plus la propriété exclusive des professionnels de l’information. « On peut et on doit s’improviser journaliste, c’est indispensable pour la démocratie directe et participative » (Char, 2012).

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19 dernières années, il y a incontestablement eu une hausse de l’intérêt pour Internet et un déclin pour la télévision à titre de principale source d’information pour consulter l’actualité ou les nouvelles chez les Québécois. Ceci est particulièrement clair chez les plus jeunes adultes » (CEFRIO, 2012).

Les statistiques que donne le CRTC dans sa campagne de consultation (2012) font état de plus de 700 chaînes de télévision accessibles au public (au Canada), de 900 millions d’heures passées devant la télévision par semaine, ce qui correspond à 28 heures par personne et par semaine. Le tiers de ce volume temporel est consacré aux émissions canadiennes et un tiers de ceux qui regardent la télévision le font via Internet tandis qu’environ 5 % la suivent à partir d’un appareil mobile (CRTC, 2013). Certes, tout n’est pas que de l’information journalistique, mais on ne peut ignorer la place qu’occupe l’actualité dans les grilles de programme des différentes chaînes et surtout la diffusion en continu sur d’autres. Tout ceci contribue à augmenter la consommation de l’information par le public. Il en est de même pour la radio et son pendant du Web, la webradio. Ainsi, selon les études du Centre d’études des médias (CEM), après la télévision, la radiodiffusion sur le web occupe le deuxième rang comme support d’information utilisé par les usagers en 2011. Ces études étendues sur trois périodes ont montré une augmentation progressive du taux d’utilisation de la radio sur Internet. Ce taux qui était de 6,2 % en 2007 est passé à 7,7 % en 2009 pour atteindre 11 % en 2011 pour l’ensemble des personnes interrogées (CEM, 2011). Le déplacement du public vers Internet est réel, ce qui n’est pas sans influence sur l’écoute des médias traditionnels.

Du côté de la presse en ligne, nous pouvons admettre que la consommation de l’information se reflète sur le nombre de visites des sites, le nombre de clics enregistrés pour chaque article. Malgré les crises que connaît le format papier, de nouvelles éditions9 voient le jour. Sur ce plan, même si certaines données font état

d’une chute dramatique du taux de lectorat notamment au sein de la catégorie

9 Exemple : L'Écho de St‐Jean‐sur‐Richelieu paru en octobre 2011. Une version Web est

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20

« jeunes » (CEM, 201110), rien n’indique un manque d’intérêt pour la lecture sur

d’autres supports. Et l’information en ligne circule à un rythme de plus en plus accéléré, à tel point que sur certains sites Web une nouvelle en chasse une autre à la minute près. Inversement, le public lui aussi semble en quête permanente de nouvelles de plus en plus fraîches, multipliant les visites des pages Web. Cette « boulimie des internautes-lecteurs » (Vuillod, 2012) pousse ceux-ci à interagir avec les journalistes.

2.3 Le public dans ses rapports avec les acteurs

journalistiques

2.3.1 Un public interactif

Sur le Web, le public journalistique est de moins en moins passif à l’égard des productions et des acteurs de l’information. Ce que la sociologie des usages affirmait bien avant l’ère Internet, nous en trouvons les preuves dans le cyberjournalisme, à savoir : « l’usager n’est plus un simple consommateur passif de produits et services qui lui sont offerts […]; il devient acteur » (Jouët, 2000 : 502). Contrairement à ce que prétendaient les tenants de certaines théories de la communication11, le public n’est pas un simple récepteur. De nos jours, le public

des médias, en particulier celui du Web, a de nouvelles marges de manœuvre devant l’information. Il peut sélectionner, trier, hiérarchiser, accepter ou refuser les articles qu’on lui sert. À cet égard, Dominique Wolton estime que « plus il est exposé à un flux croissant d'information, plus il se tiendra à distance » (2003 : 16). Le public médiatique d'aujourd'hui, plus éduqué et informé, serait donc plus critique à l'égard de l'information et des journalistes. Cette capacité du public

10 Le CEM est le Centre d’études des médias de l’Université Laval. D’après ses études, « à l’échelle du Canada, le taux de lectorat des quotidiens gratuits et payants chez l’ensemble de la population adulte est passé de 57 % en 2001 à 47 % en 2010. La baisse de popularité touche tous les groupes d’âge, à l’exception des 65 ans et plus, mais elle est plus marquée chez les jeunes adultes. Ils ne sont plus que 37 % chez les 18-24 ans et 35 % chez les 25-34 ans à lire régulièrement un journal en semaine (graphique 3), comparativement à environ 50 % chez chacun de ces groupes en 2001. Cette tendance est présente dans de nombreux pays» (2011, en ligne). 11 C’est le cas des modèles linéaires de la communication de masse (modèle de Shannon et Weaver, modèle de Lasswell) qui cantonnent le public au rôle de destinataire de messages.

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21 comme sujet actif qui peut contester ou même négocier le sens des textes a été reconnue par d’autres auteurs bien avant l’avènement du Web et du cyberjournalisme (Stuart Hall 1997, Eco 1979/1985).

2.3.2 Un public contrôlant

L’une des conséquences de l’interactivité du webjournalisme est de voir le public disputer aux journalistes certaines de leurs prérogatives. Pendant longtemps, reconnaît Demers,

les médias ont exercé leur magistère en s’imposant comme définisseurs de l’agenda de ce qui est neuf aujourd’hui, de ce qui est important, de ce qu’il faut savoir pour les conversations de la journée. Les médias – et leurs journalistes – se sont faits définisseurs de l’actualité, ils se sont proclamés missionnaires de l’information autrement inaccessible aux simples citoyens. (2007, en ligne)

Ce magistère-là12 semble échapper aux journalistes; l’époque du pouvoir des

médias se termine, selon Char (2012), Pingaud et Poulet (2006). Analysant l'impact d'Internet sur les journalistes, Marc Laimé13 fait ressortir qu’à travers la

Toile, les agences de presse produisent plus de matériels pour les citoyens que pour les professionnels de l’information. Du fait que les citoyens ont accès aux mêmes sources, « les journalistes en viennent ainsi à "écrire sous contrôle" [ils s’exposent] désormais à recevoir dans les heures qui suivent [leurs publications] plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de messages de protestation » (2000, en ligne).

Faut-il alors voir à travers certains messages de protestation que l’on retrouve par exemple dans les zones réservées aux commentaires des internautes une volonté de « contrôle » ? Ces espaces de commentaires, espaces d’interactions, comme nous le verrons plus loin, sont très exploités par les internautes. De plus, on peut se demander si les réactions des internautes ne débordent pas les zones

12 La perte du magistère englobe aussi bien la perte du monopole de production que celle

de la diffusion de l’information.

13 Journaliste, coordinateur du dossier « La Folie de l’Internet » du Canard Enchaîné

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22

réservées aux commentaires, si elles ne se retrouvent pas aussi dans les sphères plus ou moins privées ou individuelles des journalistes qui ont publié un article, d’autant plus que les journalistes eux-mêmes affichent régulièrement leur adresse courriel14 pour être accessibles (en dehors du cadre établi). Et puisque pour le

moment les journalistes répondent rarement aux critiques15, si un lecteur n’est pas

satisfait d’un article, il pourra le signifier de manière personnelle via le courriel. Le débat se déplace ainsi et se prolonge d’une sphère à l’autre. Ceci pourrait constituer une autre problématique à explorer, c’est-à-dire voir comment un enjeu dit public, présenté et débattu publiquement, peut se prolonger dans des échanges privés entre journaliste et lecteur à travers l’exhibition d’identités personnelles telles les adresses de contact.

2.3.3 Un public désenchanté

Que ce soit sur papier ou en ligne, le public de l’information journalistique est quelque peu insatisfait et c’est la raison pour laquelle l’information délivrée par les médias est objet de contestation régulière. En 2008, un collectif de chercheurs en communication de l’Université Laval à Québec a publié un ouvrage sur L’héritage

fragile du journalisme d’information. Cette publication révélait, entre autres, les

positions mitigées d’un public journalistique face aux médias d’information. C’est un public incapable de définir exactement ce qu’est le journalisme. C’est aussi un public qui a d’une part « des conceptions plus ou moins précises quant à la mission du journalisme eu égard à l’intérêt du public [et d’autre part] de fortes suspicions quant à la capacité des journalistes et des médias à être à la hauteur de cette exigence » (Bernier et al., 2008 : 32).

Pour Jean-Marie Charon, il s’agit d’un malentendu, car « d’un côté une exigence de qualité et notamment de fiabilité est revendiquée avec force par la société civile. [Ce malentendu] peut prendre chez certains la forme de la notion “zéro défaut”. De

14 Par exemple, on trouve ceci à la fin d’un article de lapresse.ca : « pour joindre notre chroniqueuse : rima.elkouri@lapresse.ca ».

15 Dans les zones de commentaires des médias en ligne que nous avons choisi d’étudier dans ce travail, nous n’avons rencontré qu’une seule fois une réplique de journaliste à la question d’un internaute.

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23 l’autre côté, les journalistes dans leur grande majorité considèrent que leur activité, tout en étant perceptible, ne peut prétendre à un tel objectif » (2007 : 9).

Dans le registre des opinions publiques, des études ont montré que les journalistes québécois jouissent encore d'une crédibilité et d'une confiance importantes, mais semblent toutefois confrontés à une érosion de ces atouts (Bernier, 2012). En effet, la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa (CREJ) a publié en 2012 les résultats de quatre sondages sur « l’opinion et de la perception des Québécois quant à la crédibilité et à la confiance qu’ils accordent à leurs médias d’information » (Bernier, 2012, en ligne). Il ressort de ces études que :

1. La télévision demeure le média le plus crédible chez 58 % des 55 ans et plus, mais le moins crédible chez les Québécois qui ont un diplôme universitaire qui sont seulement 37 % à lui faire confiance.

2. La télévision est aussi jugée plus crédible pour 40 % des 18-34 ans, tandis que 30 % de ceux-ci optent pour Internet et seulement 4 % pour les journaux payants.

3. 13 % des répondants affirment qu'aucun des médias n’est plus crédible que les autres.

D’après donc ces études, la crédibilité que le public accorde aux médias d’information connaît des hauts et des bas. Le tableau ci-dessous présente une photographie de la situation de 2009 à 2012. D’une année à l’autre, le désenchantement des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs prend des proportions variées pour chaque source d’information.

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Figure 2. Réponses des participants «Quand vous voulez vous informer, quel est le média que vous considérez le plus crédible ? Est-ce...» (CREJ, 2012 : en ligne)

D’après ce graphique, la télévision demeure la source d’information la plus crédible au sein des médias, suivie des journaux payants puis de l’Internet et de la radio. Mais au sein de chaque type de média, on peut voir que le niveau de confiance évolue en dents de scie.

La fluctuation du degré de confiance du public envers les journalistes se manifeste aussi dans son attitude face au journalisme comme profession. C’est ce que révèle « le baromètre des professions 2012 au Québec » de la firme de sondage Leger marketing16. Selon les statistiques de la firme, 48 % des Québécois font confiance

aux journalistes, contre 39 % l’année précédente. C’est une situation qui interpelle les professionnels de l’information. Pour être à la hauteur de leur mission, ceux-ci se voient donc contraints de s’adapter aux nouvelles exigences créées par l’évolution sociale et technologique.

16 Les journalistes occupent ainsi le 38e rang sur total de 61 métiers. Sondage Léger Marketing affirme avoir réalisé cette enquête «auprès de 619 Québécois et Québécoises entre le 25 septembre 2012. À l’aide des plus récentes données de Statistique Canada, les résultats ont été pondérés selon la région, le sexe, l’âge et la langue maternelle afin de rendre l’échantillon représentatif de la population québécoise. Un échantillon probabiliste de cette taille comporterait une marge d’erreur maximale de 3,9%, 19 fois sur 20.»

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CHAPITRE 3. LA REDÉFINITION DU JOURNALISTE

À L’ÈRE DU WEB

Les pratiques journalistiques à l’ère du Web imposent une nouvelle compréhension sinon une redéfinition du journalisme aujourd’hui qu’il importe de cerner. Internet a favorisé une autre forme de journalisme à dénominations multiples : journalisme en ligne, webjournalisme, cyberjournalisme ou journalisme 2.0 traduisent une même réalité, celle de la production et de la diffusion de contenus journalistiques sur le support numérique qu’est Internet. Mais concrètement on peut se demander ce qu’est devenu le journalisme sur le Web. Répondre à la question reviendrait à retracer toute l’histoire – certes récente, mais dense – de l’adoption de cet outil par les professionnels de l’information. Ce qui est une gageüre dans le cadre restreint d’un travail de mémoire en communication publique. Plusieurs recherches existent déjà dans ce domaine, toutefois l’intérêt de notre étude nécessite un bref retour historique sur le journalisme en ligne.

3.1 Histoire d’une mutation

De la littérature webjournalistique, on peut retenir trois périodes caractérisant le développement du journalisme dans le cyberespace. On note d’abord une première phase marquée par la méfiance vis-à-vis de l’outil Internet dont l’avènement fut interprété par certains comme la fin du journalisme (Patino et Fogel, 2005). Une deuxième phase est caractérisée par l’adoption timide du cyberespace où les journaux papier sont numérisés, conservant leur format d’origine. Une troisième phase, celle des mutations, tant dans la forme que dans la philosophie du journalisme17. C’est l’intégration complète de l’outil Web dans le

journalisme (Estienne, 2007).

17 On est passé d’une conception du Web comme prolongement des journaux traditionnels à celle d’un outil médiatique à part entière.

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Dans la pratique, s’il n’est pas possible de distinguer avec précision chacune des trois périodes, les auteurs s’accordent néanmoins sur un point de départ, le début des années 1990 (Estienne, 2007). En effet, c’est à cette période que Internet a véritablement amorcé son essor. Les premières expérimentations journalistiques sur Internet ont commencé aux États-Unis en 1993, au Canada en 1994 puis en France (1995). Le quotidien américain San Jose Mercury News est le premier à s’afficher sur la Toile, suivi par plusieurs autres journaux comme le New York

Times, le Washington Post ou le WaIl Street Journal. Au 1er octobre 1997 déjà, le

site américain de médias Newslink recensait plus de 2 000 journaux en ligne (Paradis, 1998 ; J.-M. Charon, 2012).

Au Québec également, les médias ont suivi la même tendance, comme l’explique Mylène Paradis :

si les médias traditionnels brillaient par leur absence dans le cyberespace en 1994, le nombre de leurs sites Web a connu une croissance depuis. À la fin de l’année 1995, une quarantaine de médias québécois avaient tenté l’aventure du cyberespace. Douze mois plus tard, on retrouvait sur Internet 116 médias québécois […], soit une moyenne de plus d’un nouveau média par semaine. (1998 : 207-208)

Aujourd’hui en 2014, on dénombre plus de 181 sites de journaux en ligne pour la province du Québec18.

Durant cette période où les journaux intègrent le Web, les professionnels des médias s’interrogent sur l’avenir de la profession. Les débats prennent place au sein des médias eux-mêmes et dans les écrits d’auteurs à propos de l’ère Internet. En effet, tandis que certains s’en inquiètent et entrevoient la fin du journalisme, d’autres y voient une « opportunité historique : refonder les valeurs de ce métier pour se rendre encore plus indispensables comme médiateurs capables de trier le vrai du faux, l’essentiel de l’accessoire. Un nouveau contrat de confiance avec le public, indispensable à nos démocraties » (Thuillier, 2012 : 11).

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27 Ainsi, pour Foglel et Patino (2005 : 16), « Internet n’est pas un support en plus ; c’est la fin du journalisme tel qu’il a vécu jusqu’ici [...]. La presse n’a pas entamé un nouveau chapitre de son histoire, mais bien une autre histoire, sous le régime d’Internet ». Chez certains auteurs par contre, la fascination du Web a déjà fait place à un désenchantement au début des années 2000. C’est le cas de Nicolas Pélissier quand il soutenait en 2001 l’échec d’une révolution annoncée du cyberjournalisme. La résilience de la presse papier ou sa cohabitation aux côtés de la presse en ligne semble lui donner raison.

Après un tel constat de son évolution, peut-on parler d’avenir pour le journalisme ? Le débat reste ouvert tandis que les innovations technologiques (journalisme format mobile) et professionnelles (journalisme de données) se poursuivent. Comme le disait Florian Sauvageau19 en 2009 lors d’une conférence

aux étudiants en journalisme de l’Université Laval, « ceux qui prétendent dire ce que sera le journalisme dans dix ou vingt ans sont des fumistes » (dans Godbout, 2008). L’émergence de nouveaux outils de communication comme les médias sociaux rend plus ardue la réflexion sur le journalisme. Mais les premières Assises

internationales du journalisme de Lille et Arras se sont tenues en mars 2007 sous

un thème évocateur : « Un monde sans journalistes ? ». Hervé Bourges, qui était alors président de l'Union internationale de la presse francophone avait exprimé ses inquiétudes en dénonçant des « pratiques qui révèlent une volonté sourde, tacite, mais profonde, de développer de manière croissante des médias sans journalistes » (dans Philippe Allienne, 2007 : en ligne).

Au plan épistémologique, des études se sont intéressées au phénomène de la mutation du journalisme. Denis Pingaud et Bernard Poulet (2006) proposent d’orienter la réflexion sur les médias dans un contexte plus large des évolutions de la société avec son individualisme, son consumérisme, et les transformations de la démocratie. Rémy Rieffel (2012), pour sa part, attribue l’évolution des pratiques journalistiques (notamment l’émergence du cyberjournalisme) à trois facteurs

19 Ex‐journaliste, professeur émérite associé, directeur du Centre d'études sur les médias,

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majeurs. Il évoque d’abord l’intensification de la crise économique et financière au sein des médias, ensuite l’essor fulgurant de nouvelles technologies de communication et enfin la transformation progressive du comportement du public par rapport à l’information. Du point de vue économique et financier, estime-t-il, les médias s’inscrivent dans une logique des industries de la culture et de la communication avec ce qu’elles comportent comme pressions sur les conditions de travail des journalistes : concentration des médias, convergence numérique, conquête de nouveaux marchés, expansion mondiale, etc.

Du point de vue des technologies, Rémy Rieffel partage ainsi le même avis qu’Éric Scherer qui fait le constat suivant :

« pratiquement, tout ce qui bouleverse et structure les médias et les métiers du journalisme aujourd’hui n’existait tout simplement pas en l’an 2000 : connexions Internet à haut débit, blogs, podcasts, flux RSS, Google News20,

Gmail, YouTube, Facebook, Twitter, iTune, l’univers des applications, les écrans plats, la HD, la 3D, le Wi-Fi, la géolocalisation, les métadonnées, l’iPod, l’Internet mobile, le smartphone, l’iPhone et le BlackBerry, les tablettes, Android, l’iPad, les lecteurs e-book, le streaming vidéo, la télévision connectée. » (2001 : 1)

Vers la fin des années 1970, Florian Sauvageau, journaliste à l’époque, faisait cette observation à propos des changements comportementaux provoqués par la télévision : « hier, quand un événement se produisait, on descendait dans la rue pour acheter un journal. Aujourd’hui, on rentre chez soi pour regarder la télévision » (Godbout 2009). Avec les nouvelles technologies, cette donne a encore changé : aujourd’hui, quand un événement se produit, on reste sur place,

20 Google News a été lancé septembre en 2002. Ce moteur de recherche met gratuitement à la disposition de l’internaute une sélection d’articles journalistiques puisés dans les pages des sites d’information (Estienne, 2007).

Facebook est né en 2004. C’est un service de réseautage social qui permet à ses utilisateurs de publier du contenu et d'échanger des messages via Internet. Journalistes et internautes s’en servent justement pour afficher (sur leurs babillards) et commenter des contenus journalistiques. Créé le 21 mars 2006 par Jack Dorsey, Twitter est un service de messagerie instantanée permettant à un utilisateur d’envoyer gratuitement de brefs messages (jusqu’à 140 caractères), appelés tweets (« gazouillis »), sur Internet. Il permet également aux journalistes de suivre des sources auxquelles ils sont abonnés et d’être eux-mêmes suivis par les abonnés ou «followers».

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29 on ouvre son ordinateur, sa tablette ou son téléphone intelligent, on lit la nouvelle et on la partage immédiatement.

Quant à l’attitude du public, par rapport à l’information, elle s’inscrit, aux dires de François Demers (2002), dans une logique de la démocratie postmoderniste caractérisée par une perte générale des repères normatifs, c’est-à-dire la perte du sentiment d’un ordre central et supérieur, l’exaltation des valeurs du relativisme, de la tolérance. Selon cette logique, la démocratie postmoderne « fait porter au citoyen/consommateur le poids moral de la souveraineté qu’elle lui attribue » (2002 : 3)

Dans cette posture, le cyber ou webjournaliste se distingue du journaliste traditionnel à plusieurs égards parce que « les caractéristiques propres aux médias en ligne influencent de façon certaine la forme de journalisme qui se pratique dans le cyberespace » (Paradis, 1998 : 234). En effet, le cyberjournaliste de nos jours ne peut échapper aux multiples défis de l’information, défis non seulement dans les étapes de sa production, mais surtout dans les réactions que celle-ci suscite chez les lecteurs.

3.2 Le journaliste dans la production de contenu

3.2.1 Journaliste-technicien du Web

À l’ère des technologies de l’information et de la communication, la première condition pour être cyberjournaliste est sans doute la maîtrise des outils technologiques Web. En effet, le cyberjournaliste est avant tout un « connaisseur » du Web dont il se sert pour diffuser ses articles. Dans les organes de presse, ce rôle qui au départ était réservé à des spécialistes tels que les webmestres est de plus en plus partagé. La tendance actuelle est que le journaliste peut rédiger son texte et le « poster » lui-même sur le site de son média ou sur son blogue personnel.

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La maîtrise de l’outil Web fait désormais partie des exigences pour les offres d’emploi dans les organes de presse. De nos jours, il est quasi impossible de se faire embaucher comme journaliste sans un minimum de connaissances et de maîtrise en la matière21. Cette exigence est d’ailleurs prise en compte dans la

formation des futurs journalistes dans les universités et écoles de journalisme. Au Département d’information et de communication de l’Université Laval à Québec, le journal-école des étudiants, L’Exemplaire, jadis en format papier et électronique PDF, est devenu depuis octobre 2013 un « média-école », fermant la page des pratiques traditionnelles et s’ouvrant aux commodités du Web 2.0. Conçu sur les modèles des médias professionnels en ligne, ce site de diffusion multimédia est « d’abord et avant tout un outil pédagogique permettant à tous les étudiants en journalisme de s’initier concrètement à l’évolution des pratiques journalistiques sur le Net » (L’Exemplaire, 2013 : en ligne). Car, comme le constate Rémy Rieffel, le nouvel horizon des apprentis journalistes de demain, c’est d’être de plus en plus situé au carrefour de plusieurs trajectoires et de plusieurs domaines (2001 : 156).

3.2.2 Journaliste multitâche

L’une des caractéristiques du journaliste web est sa capacité à assumer plusieurs tâches à la fois. Le journaliste multitâche fait, entre autres, la recherche, les entrevues, le montage, le tournage, la photographie, la rédaction et la mise en forme des articles, la mise en ligne, tandis que dans le journalisme traditionnel – journalisme d’avant Web – les rôles sont bien séparés.

Pour Rémy Rieffel, il s’agit d’une polyvalence journalistique qui sera fortement recommandée chez les nouveaux entrants, et qui

21 Sur le site de CBC-Radio-Canada où est publiée une offre d’emploi pour un poste de Journaliste temporaire, on demande aux candidats, entre autres qualifications, une maîtrise des techniques de rédaction, d’entrevue, de production radiophonique et télévisuelle; une bonne connaissance de l’informatique et des médias sociaux; un intérêt et une aptitude à apprendre l’utilisation de nouveaux outils. Les journalistes retenus auront à assumer les fonctions suivantes : « faire des recherches, rédiger des textes, traiter des images et du son, produire des contenus d’information rigoureux, vérifiés, dynamiques et captivants qui seront susceptibles d’être diffusés sur divers supports (radio, télévision, internet, mobiles)» (CBC-Radio-Canada, 2014 : en ligne).

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31 [impliquera] donc une capacité d'adaptation à des formats professionnels différents : de l'enquête à la présentation, du reportage au "desk", voire d'un type d'article à un autre (recherche d'illustrations, iconographie, écriture, mise en page, contact avec des contributeurs extérieurs, etc.). En d'autres termes, être opérationnel signifiera vraisemblablement avoir été formé à des techniques diverses (2000 : 161).

Et puisque la tendance est au regroupement des tâches dans le webjournalisme, Degand et al. (2012) distinguent deux types de postes. Pour ces auteurs, il y aurait, premièrement, les postes d’éditeurs. Ceux-ci sont chargés d’alimenter les sites Web des médias d’information sur la base principalement de « bâtonnage de dépêches », c’est-à-dire, la réécriture d’articles d’agences de presse. En second lieu, il y a les rédacteurs qui ont pour rôle de produire des contenus spécifiques pour le Web, d’apporter de la valeur ajoutée (2012 : 43). À la diversité des tâches, s’ajoute une multiplicité de supports avec laquelle les journalistes doivent composer.

3.2.3 Journaliste multiplateforme

Une autre facette du journalisme en ligne est la production et la diffusion de contenus médiatiques sur plusieurs plateformes médiatiques. Le journaliste va chercher de l’information qui sera ensuite déclinée séparément sur les trois supports que sont la radio, la télé et la presse écrite. De ce fait, des rédactions jadis séparées, se lancent dans des pratiques de convergence ou d’intégration de supports, comme en témoigne Chantal Francoeur à propos de Radio Canada : « Radio-Canada a réalisé l’intégration physique de ses équipes de journalistes télé, radio et Web au printemps 2010. […] Les journalistes de la télévision sont désormais appelés à faire de la radio, les journalistes radio font aussi de la télévision, enfin, chacun produit des textes et des reportages pour le Web » (dans Degand et al., 2012 : 51)

3.2.4 Journaliste multimédia

La polyvalence du webjournaliste concerne également la production multimédia. Celle-ci associe à l’écriture Web, donc simultanément sur un même support, les

Figure

Figure 2. Réponses des participants «Quand vous voulez vous informer, quel  est le média que vous considérez le plus crédible ? Est-ce...» (CREJ, 2012 :  en ligne)
Figure 4. Capture d'écran de tweets de La Presse le 31 janvier 2014.
Figure 5. Récurrence des catégories thématiques des commentaires  d'internautes  jugements spontanésintérêt publicobjectivitéindépendancerigueuréthiqueinclassables6,9%6,2%4,2%

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