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Quelle place pour les migrants originaires d'Afrique subsaharienne au Maghreb ?

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-03211563

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03211563

Preprint submitted on 28 Apr 2021

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Quelle place pour les migrants originaires d’Afrique

subsaharienne au Maghreb ?

Olivier Damourette

To cite this version:

Olivier Damourette. Quelle place pour les migrants originaires d’Afrique subsaharienne au Maghreb ?. 2021. �halshs-03211563�

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Quelle place pour les migrants originaires d’Afrique subsaharienne au Maghreb ?

Olivier Damourette - Chaire francophonie et migrations - Institut catholique de Toulouse

Notice biographique

Docteur en géographie, maître de conférences à l’Institut catholique de Toulouse, Olivier Damourette a travaillé sur le lien entre aide humanitaire et sédentarisation des nomades somali dans l’est du Kenya. Aujourd'hui ses recherches portent sur la prise en compte des mouvements migratoires dans un contexte d’évolution des causes et des conditions de la mobilité ; les questions liées au paysage dans la géographie scolaire ; l’impact de la numérisation du monde dans l’enseignement de la géographie.

Résumé

La migration des africains subsahariens revient souvent sur le devant de la scène médiatique. En effet, si les migrations sont constitutives de la géographie humaine du bassin méditerranéen on assiste depuis quelques années à une amplification de certains mouvements migratoires. Dans ce contexte les pays du Maghreb voient leur rôle changer.

Passant du statut de pays d'émigration à celui de pays d'accueil ils s'accommodent parfois mal de cette posture inédite. De plus, l’action de l'Union européenne, qui tente d'en faire des lieux de rétention pour externaliser la gestion des migrants, pose question.

Nous tenterons donc dans cet article d'avancer quelques pistes de réflexion pour mieux comprendre ce contexte migratoire qui, au-delà de la surexposition médiatique, renvoie encore et toujours à des situations humaines complexes et souvent désespérées.

Mots-clés : Afrique subsaharienne, Maghreb, Migrations, Europe, bassin méditerranéen.

Abstract

The migration of sub-Saharan Africans often comes to the forefront of the media.

Indeed, if migrations are part of the human geography of the Mediterranean basin, we have witnessed in recent years an increase in certain migratory movements. In this context, the Maghreb countries are seeing their role change.

Passing from the status of emigration country to that of host country, they sometimes find it difficult to adapt to this new position. Moreover, the action of the European Union, which is trying to turn them into places of detention in order to externalise the management of migrants, raises questions.

In this article, we will therefore attempt to put forward a few lines of thought in order to better understand this migratory context which, beyond the media overexposure, still refers to complex and often desperate human situations.

Keywords : Sub-Saharan Africa, Maghreb, Migrations, Europe, Mediterranean basin.

Resumen

La migración de los africanos subsaharianos suele estar en el punto de mira de los medios de comunicación.

En efecto, si las migraciones forman parte de la geografía humana de la cuenca mediterránea, en los últimos años hemos asistido a un aumento de ciertos movimientos migratorios. En este contexto, los países del Magreb están viendo cómo cambia su papel.

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Al pasar del estatus de país de emigración al de país de acogida, a veces les resulta difícil adaptarse a esta nueva posición. Además, la actuación de la Unión Europea, que intenta convertirlos en lugares de detención para externalizar la gestión de los migrantes, plantea interrogantes.

Por ello, en este artículo trataremos de plantear algunas líneas de reflexión para comprender mejor este contexto migratorio que, más allá de la sobreexposición mediática, sigue remitiendo a situaciones humanas complejas y a menudo desesperadas.

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Introduction

Dire que la Méditerranée a été traversée depuis des siècles par des mouvements de populations est un doux euphémisme. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter un atlas historique ou de se pencher sur des articles scientifiques traitant de la question.

À ce titre l’ouvrage de Gerard Chaliand, Michel Jan et Jean-Pierre Rageau1

nous éclaire en mettant en lumière le caractère ancien des mouvements migratoires à travers le monde et en particulier au sein du bassin méditerranéen, dessinant au passage un tableau absolument fascinant des mouvements migratoires depuis la haute antiquité.

Cette question des migrations méditerranéennes est particulièrement médiatisée à la faveur de la recrudescence de mouvements de populations liées à des guerres ou au marasme économique.

Mais, plus que l’apparent retour des migrations transméditerranéennes c’est en réalité la permanence des mouvements migratoires dans cet ensemble géographique qui est frappante. Cela est d’autant plus vrai que le bassin méditerranéen apparaît extrêmement fragmenté au début des années 2020, au point que l’on peine à imaginer l’avenir politique de cet ensemble qui est qui aurait pourtant bien besoin d’unité.

Dans ce cadre les pays d'Afrique du nord apparaissent aujourd'hui dans une position tout à fait singulière.

Naguère pays d’émigration ils sont devenus par la force des choses des pays d'accueil pour des milliers de migrants originaires d'Afrique noire qui remontent dans l’espoir de tenter leur chance en Europe.

Vus depuis la rive nord de la Méditerranée ces mouvements migratoires sont souvent présentés comme massifs, parfois violents, les images d’Africains partant à l'assaut des hautes clôtures entourant les enclaves espagnoles de Ceuta ou Melilla venant alimenter le fantasme de hordes de migrants prêts à tout pour envahir l'Europe.

La réalité est bien éloignée de ces instantanés et le sort des subsahariens au Maghreb soulève aujourd'hui la question de la capacité d’accueil de pays, qui ayant vu des milliers de jeunes quitter leur terre natale pour s’embaucher en Europe dans les années 1960 et 1970, se retrouvent aujourd'hui face aux mêmes problème de racisme, de xénophobie dont leurs ressortissants étaient les victimes à l’époque. Ils font la délicate expérience de l’altérité. Il s'agira donc ici de faire le point sur ce mouvement migratoire et de mettre en lumière le rôle des états et de l'Union européenne dans sa prise en compte.

Celle-ci a en effet connu de profonds changements en l'espace d'une vingtaine d'années, passant d'une relative bienveillance à une volonté délibérée de la part des 27 de bloquer les migrants sur la rive sud de la Méditerranée.

Finalement, c'est la rétention des populations en mouvement qui pose question car elle fait de pays traditionnellement espaces de transit de nouvelles terres d'accueil, mal préparées, dans l’incapacité économique de fournir les opportunités nécessaires aux populations migrantes. Dans un contexte de profonde instabilité politique dans certains des pays d'Afrique du nord et de la bande sahélienne, cette situation - au-delà du prétendu caractère massif de la migration – ne risque-t-elle pas de devenir intenable tant d'un point de vue humain que légal ? Dans quelle mesure le rôle de l'UE apparaît-il comme ambigu par rapport au respect des règles les plus élémentaires du droit humanitaire ?

1 Gérard CHALIAND, Michel JAN, Jean-Pierre RAGEAU, Atlas historique des migrations, Paris, Editions du seuil, 1994.

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I. Le Maghreb, entre espace d’émigration et terre d’accueil.

Avant toute chose il faut remettre les « choses à l’endroit ». Pendant des décennies ce ne sont pas les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb qui se sont massivement rendus en direction du continent européen mais bien l’inverse qui s’est produit. L’Afrique du nord est longtemps apparue comme un eldorado pour les centaines de milliers d’Européens qui s’y sont rendus durant la période coloniale contribuant au peuplement de l’Algérie (département français de 1848 à 1962) ou de protectorats comme le Maroc et la Tunisie. Ces pays voyaient affluer des immigrants en quête d’une nouvelle vie, de la fortune ou encore d’aventure.

Les Européens constituaient alors des cohortes importantes de populations migrantes. Rappelons par exemple qu’à la veille de l’indépendance algérienne ils étaient environ un million sur une population totale de 10 millions d’habitants.

Une fois les indépendances achevées, l’Afrique du nord a connu un mouvement de reflux de ces populations qui ont émigré vers la métropole.

Puis, à partir des années 1960 les pays du Maghreb ont en effet vu une partie de leur population (masculine dans un premier temps) se diriger vers la France. L’ex puissance coloniale trouvant là une main d’oeuvre bon marché et docile pour les besoins de la reconstruction du pays dans un contexte de forte croissance économique.

Il faut attendre 1976 et la présidence de Valéry Giscard d’Estaing pour voir évoluer (et se durcir contrairement aux idées reçues) la politique du regroupement familial. Celui-ci, pratiqué de longue date, visait à recréer des noyaux familiaux pour les travailleurs immigrés venus seuls, logeant pour nombre d’entre eux dans des foyers de la Sonacotra, organisme créé en 1956 à l’instigation du ministère de l’intérieur.2

A travers les temps historiques et les mouvements de populations contemporains, le fait migratoire est bel et bien constitutif de la géographie humaine du bassin méditerranéen et du creuset démographique de pays comme la France. Gildas Simon et Daniel Noin3 le rappelaient d’ailleurs fort bien dans un article publié en 1972 :

« La migration maghrébine vers l’Europe est plus ancienne qu'on ne l'imagine généralement. Les premiers migrants algériens à venir en France semblent avoir été des commerçants ambulants appelés « Turcos » à partir de 1870-71 ; les travailleurs de l'industrie ont commencé à venir à partir de 1900-1905 ; ils ont été suivis à quelques années près, par les premiers Marocains. En 1912, une enquête effectuée par l'Office de l’Algérie évaluait le nombre des Algériens à 4 000 ou 5 000. C’étaient, en majorité, des Kabyles employés dans les industries marseillaises, dans les chantiers du métropolitain à Paris, dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais. En 1913-1914, le nombre des Maghrébins avait rapidement augmenté ; il atteignait 30 000 à la veille de la Première Guerre mondiale. »

Il faut attendre les années 1960-1975 pour voir s’amorcer des flux migratoires transméditerranéens sud / nord remarquables du point de vue du nombre de ressortissants maghrébins se dirigeant vers la France dans un premier temps puis vers l’Espagne.

2 Marc BERNARDOT, Chronique d'une institution : la "sonacotra" (1956-1976), Sociétés Contemporaines Année 1999 33-34 pp. 39-58.

3 Gildas SIMON, Daniel NOIN, La migration maghrébine vers l'Europe. Cahiers d'outre-mer. N° 99 - 25ème année, Juillet- septembre 1972. pp. 241-276

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Le Maghreb se situe finalement aujourd’hui dans une situation particulière : pris d’une certaine manière en « sandwich » entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe.

Ses pays sont ainsi devenus des zones d’immigration en lien direct avec la population d’origine subsaharienne qui les traverse les faisant devenir des lieux de transit incontournables sur la route vers l’Europe.

Des migrations s’y jouent en réalité depuis des siècles et les populations d’Afrique noire les fréquentent de longue date. Il suffit pour s’en convaincre de se pencher sur les questions de traite négrière et d’esclavagisme pratiqués pendant des siècles dans le monde arabo-musulman. Par ces migrations forcées il mettait déjà à l’époque des populations noires avec celles d’Afrique du nord.

La migration actuelle doit donc être replacée dans ce continuum historique qui permet de la saisir en évitant une lecture trop conjoncturelle. La migration est bel et bien structurellement constitutive du bassin méditerranéen.

Cela ne doit pas pour autant nous faire sous estimer les mouvements migratoire actuels. De ce point de vue les chiffres sont éloquents. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qu’entre le 1er

janvier et le 30 juin 2019 « Quelque 37 100 réfugiés et migrants sont arrivés par les trois routes méditerranéennes en provenance d'Afrique du Nord et de Turquie. »4.

L’OIM5

(Organisation internationale de migrations) corrobore cette tendance puisque qu’elle rappelle que «104 644 migrants et réfugiés sont entrés en Europe par la mer jusqu'au 11 décembre 2019 ».

Ce qui frappe lorsque l’on étudie les données avec plus d’attention c’est la place des migrants subsahariens (Ivoiriens, Maliens, Guinéens) et leur pays de destination privilégié : l’Espagne. Elle a en effet officiellement accueilli 32 513 migrants en 2019 et 40 968 en 20206, confirmant sa place de porte d’entrée privilégiée en Europe pour les personnes originaires d’Afrique de l’ouest.

Notons que ces migrants sont majoritairement de jeunes hommes (plus de 60 %) dont l’âge moyen est d’environ 28 ans.

II. Le difficile accueil des subsahariens.

Depuis 2017 les cas de violences et d’exactions contre les migrants subsahariens dans les pays du Maghreb ont parfois fait la une de la presse ou ont été dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme.

Ces violences, qui rappelons-le, ne reflètent pas l’état d’esprit général de la population montrent malgré tout que la montée de la xénophobie et du racisme dans les pays du Maghreb est inéluctable et malheureusement ravageuse pour ces migrants en situation de grande précarité économique.

Les pays du Maghreb n’échappent donc pas à la règle quand il s’agit de stigmatiser certaines catégories de population, trouvant là des boucs-émissaires faciles.

4 UNHCR Operational Portal, Refugee Situation, consulté le 20 décembre 2020 à : https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean

5 « Mediterranean Migrant Arrivals Reach 104,644 in 2019 », OIM, Press realease, 13 décembre 2019,

consulté le 20 septembre 2020 à : https://www.iom.int/news/mediterranean-migrant-arrivals-reach-55918-2019-deaths-reach-929

6 Source : OIM, Flow Monitoring Europe, Consulté le 15 décembre 2020 à : https://migration.iom.int/europe?type=arrivals

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Il y a là un paradoxe dans la mesure où le Maroc, l’Algérie et la Tunisie étaient des pays d’émigration depuis les années 1960 et que leurs ressortissants arrivés sur le sol européen se trouvaient confrontés à l’époque à des réactions similaires.

La situation varie néanmoins d’un pays à l’autre. L’Algérie, qui emploie depuis de longues années des migrants subsahariens (on estime leur nombre à plus 200 000) a une certaine habitude de ces populations d’Afrique noire qui se retrouvent cantonnées - à l’instar d’une partie de la population maghrébine en France dans les années 1960 - dans des emplois bas de gamme (comme manœuvres dans le secteur de la construction par exemple).

Ce qui est frappant aujourd’hui c’est la montée en puissance de cette xénophobie dans des pays comme le Maroc, réputé pour sa tolérance. Le processus d’acculturation indissociable de toute migration s’avère contrarié par la société d’accueil elle même. Il faut rappeler ici que le cadre légal strict de la nationalité marocaine et les vieux préjugés ayant toujours cours favorisent les réactions de rejet comme souligné en 2016 dans l’ouvrage « Les migrants subsahariens au Maroc »7.

Pourtant, pour les populations étrangères le paradigme spatio-temporel revêt une importance singulière. En effet, le parcours des migrants ne saurait être ramené au simple déplacement entre point de départ et point d'arrivée. Cela lui ferait perdre une bonne part de sa substance. Le processus de construction / déconstruction identitaire est dynamique, continu donc marqué par le temps. Le géographe Guy Di Méo8 rappelle d’ailleurs que :

« Grâce à leurs ancrages spatiaux, grâce aux liens qu’ils tissent avec l’espace géographique, ses lieux et ses territoires, les individus et leurs groupes trouvent des ressources providentielles pour maintenir leur propre cohérence identitaire et fabriquer de la continuité par-delà les séparations spatio-temporelles que leur impose le déroulement de la vie sociale et ses mobilités. Dans un monde contemporain o la plupart des acteurs sont à la fois mobiles et installés, le concept de territorialité s’avère un outil fort utile pour comprendre de quelle façon les sujets régulent leurs identités et leurs spatialités multiples. »

Tout cela met en exergue la difficulté pour les migrants à se construire des structures socio-spatiales dans le cadre de plus en plus contraint des pays de transit qui tendent de fait à devenir pays d’installation dans la mesure o ledit transit s’inscrit dans un temps de plus en plus long.

En effet, les personnes migrantes acquièrent une conscience de leur identité socioculturelle lorsqu'elles sont prises au sein d'une migration collective. Si la distance n’est pas nécessairement grande pour qu'une personne se sente immigrée, il faut rappeler que la production de formes territoriales au sein de la société d’accueil participe directement de l’acculturation et de la capacité des migrants à intégrer un monde qui leur est plus ou moins étranger.

7 Fouzi MOURJI, Jean-No L FERRI , Saadia RADI, Mehdi ALIOUA, Les migrants subsahariens au Maroc,

Enjeu d’une migration de résidence, 2016, Université internationale de Rabat, Konrad Adenauer Stiftung,

p.13 Disponible en ligne à : https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=5757725d-390b-3cbf-1151-999a9653f572&groupId=252038

8 Guy DI M O, e ra ort identit e a e E ment on e tue et i t mo ogi ue , 2008. halshs- 00281929, consulté le 10 septembre 2020 à : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00281929/document

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De plus, le « parcours identitaire » des migrants peut se découper en trois phases distinctes se superposant aux étapes du parcours migratoire : l'identité avant le départ, sa modification dans la migration et par la suite (dans la période d'installation).

Ces phases correspondent à l'histoire de la personne et à celle du groupe dans lequel elle évolue.

Par ailleurs, l'acculturation ne saurait être envisagée uniquement au sein de l'espace de la société d'accueil mais aussi dans les contacts qui apparaîtront tout au long de la période de déplacement des migrants.

Les milliers de ressortissants subsahariens qui se déplacent en direction du nord et qui trouvent au Maroc ou en Libye des points de passage obligés posent donc la question de la capacité d’accueil de l’espace maghrébin, rive sud de la Méditerranée apparaissant de plus en plus souvent comment une zone tampon entre la frontière sud de l’Europe et la bande sahélienne.

III Le Maghreb, espace de transit centre de rétention de l’Union européenne ?

La médiatisation - devrions nous dire surmédiatisation - des mouvements de populations se jouant au Maghreb fait qu’actuellement Mare Nostrum semble traversée par des flux migratoires d’une intensité extrême qui, selon certains représentants politiques mettraient en danger la stabilité démographique des vieilles nations européennes. De plus, ces mouvements de populations semblent apparaître à l’œil de l’observateur comme un phénomène nouveau et parfaitement homogène alors que le phénomène est en réalité beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, ne serait-ce que dans la diversité, l’origine des migrants, leurs parcours mais également l’ancienneté de ces déplacements.

Publié en 2006 sous l’égide de la CEDEAO et du CSAO9

un rapport consacré aux migrations ouest africaines10 notait par exemple :

« Il est cependant probable que la Libye demeure aujourd’hui le pays d’Afrique du nord accueillant le plus de Subsahariens (près de 00 000 selon le recensement de 1995, sans doute plus aujourd’hui). Les données des recensements réalisés dans les années 2000 dans les autres pays (Maroc, Tunisie, Algérie et gypte) totalisent 20 000 migrants ouest-africains. Il est bien difficile de se faire une idée précise de la réalité face à des mouvements de population pendulaires et souvent illégaux. Il semblerait que ces dernières années, les migrations subsahariennes vers l’Afrique du nord connaissent un net regain. »

Il s’agit donc de mettre en lumière le sort des migrants d’Afrique subsaharienne qui trouvent dans les pays du Maghreb une terre d’accueil théoriquement temporaire avant leur passage au nord.

L’Europe, perçue comme l’Eldorado synonyme d’emploi pour alimenter, via les circuits monétaires et les réseaux de solidarité la partie de la famille restée au pays11 est, la plupart du

9 Respectivement : « Communauté économique des états d’Afrique de l’ouest » et « Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest ».

10 Laurent BOSSARD, Sous la dir., Les migrations, Atlas de l’intégration régionale, CEDEAO-CSAO OCDE, Ao t 2006, pp. 1-24, consulté le 12 septembre 2020 à : https://www.oecd.org/fr/migrations/38410164.pdf 11 Hugo Bréant, Migrations et flux monétaires : quand ceux qui restent financent celui qui part, Dossier :

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temps, en ligne de mire pour les populations des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’ouest.

Mais le durcissement des politiques migratoires des nations européennes fait que depuis quelques années ces populations ont de plus en plus de difficultés à atteindre la rive nord et restent cantonnées au Maghreb. Il faut dire que certains pays, par le biais d’accords avec l’UE, tendent à devenir des espaces de rétention situés hors de l’espace Schengen et échappant de fait au droit européen.

Le paradoxe des pays maghrébins tient depuis quelques années dans cette situation particulière qu’ils occupent désormais au sein des dispositifs migratoires.

La situation est assez singulière dans la mesure o l’UE leur demande de contenir ces migrants sur leur territoire pour éviter de les accueillir sur le sol du vieux continent.

On a ainsi vu se développer des mécanismes de rétention au sein des états d’Afrique du nord, encouragés et financés par l’Europe. Cela conduit des états comme le Maroc a littéralement bloquer sur leur sol des ressortissants maliens, sénégalais, mauritanien ou ivoiriens.

Cela s’inscrit donc dans le cadre d’une politique intégrée dépassant le cadre strictement maghrébins de la migration.

Il faut dont absolument replacer ces politiques dans un contexte plus large au sein duquel l’UE fait pression sur les pays d’Afrique du nord pour qu’ils prennent part à la une «lutte » contre ce qui est uniquement présenté comme une immigration illégale, faisant fi de la dimension humaine du la migration.

La question des migrations transméditerranéennes nous ramène donc assez brutalement à la politique européenne placée sous le sceau de la surenchère quand il s’agit des questions migratoires, privilégiant la réaction « à chaud » à la projection le long terme. L'instabilité politique et le marasme économique dans lequel se trouvent certains pays du Maghreb et d'Afrique subsaharienne fait que nous assisterons encore à des mouvements de populations en direction du nord.

La crispation européenne renvoie à des préoccupations internes qu'à une réelle prise en considération de la réalité de terrain.

Et les conséquences peuvent dramatiques, en particulier en Méditerranée centrale quand l’Europe décide de refouler co te que co te des migrants n’ayant souvent d'autre choix que de quitter le sol libyen (la Libye est devenue, ou redevenue un point de passage de premier ordre dans les parcours migratoires) pour fuir les conditions de vie parfois terribles qu’ils y rencontrent. Ces drames humains sont relatés dans une litanie interminable par la presse européenne.

L’attitude de l'UE face à la Libye est frappante. Passant d'une gestion de la transition de l’après Mouammar Kadhafi à la gestion des flux migratoires à la faveur d'un changement du mandat de la mission militaire « Sophia »12, les 27 ont ainsi mis en œuvre un édifice militaire pour bloquer les migrants sur le territoire de la Tripolitaine et les priver d'une porte de sortie salutaire.

Cela ouvre la voie à des conséquences désastreuses compte-tenu de l'état d'éclatement extrême du pays et de l'instabilité chronique qui y règne depuis et la chute de Mouammar Kadhafi.

Le réseau Info Migrants relatait par exemple le 17 décembre 2020 que « Plus de 120 migrants à destination de l’Europe, dont huit femmes et 28 enfants, ont été interceptés en mer

12 « Le Conseil a lancé l'opération militaire Sophia en mai 2015. Cette opération vise à démanteler le modèle économique des passeurs et des trafiquants d'êtres humains en Méditerranée. Cette opération a cessé définitivement ses activités fin mars 2020. ». Source : Conseil de l’Union européenne, consulté le 10 novembre 2020 à : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/migratory-pressures/sea-criminal-networks/

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Méditerranée par les garde-côtes libyens, a annoncé jeudi l’agence des Nations Unies pour les migrations. ».

Ce type d'événement s'inscrit pleinement dans la politique de refoulement systématique des migrants. L'Organisation internationale pour les migrations s'offusque d'ailleurs régulièrement du traitement fait à ces populations qui, une fois reconduites en territoire libyen sont fréquemment de violences commises par les forces de sécurité chargées de garder les camps de rétention.

Il faut dire que dans ce domaine l’Europe ne se montre pas avare. L’agence Associated Press13

relevait par exemple en décembre 2019 le fait suivant à propos de la Libye :

« L'UE a envoyé plus de 327,9 millions d'euros en Libye, et 41 millions supplémentaires ont été approuvés début décembre, en grande partie par l'intermédiaire d'agences des Nations unies. L'AP a découvert que dans un pays sans gouvernement en état de marche, d'énormes sommes d'argent européen ont été détournées vers des réseaux entrelacés de miliciens, de trafiquants et de membres des garde-côtes qui exploitent les migrants. Dans certains cas, les fonctionnaires des Nations unies savaient que les réseaux de milices recevaient l'argent, selon des courriels internes. »

L’UE a également débloqué en décembre 2019 la somme de 101,7 millions d’euros en direction de l’état marocain pour qu’il prenne en charge les actions de lutte contre l’immigration clandestine et le trafic d’êtres humains.

Ces aides s’ajoutent à divers subsides versées aux états du Maghreb pour qu’ils maintiennent sur leur territoire les migrants considérés comme vulnérables.

L’UE rappelle d’ailleurs dans le cadre de son projet de « Soutien à la gestion intégrée des frontières et de la migration au Maroc » certaines de ses actions devenues prioritaires14 :

Objectif spécifique 1: Le cadre institutionnel en matière de migration irrégulière, en particulier pour la lutte contre le trafic de migrants et la traite d’êtres humains, est renforcé;

Objectif spécifique 2 : La coopération entre les autorités marocaines compétentes dans le domaine de la migration irrégulière est améliorée;

Objectif spécifique 3 : Les cadres institutionnels et procéduraux sont améliorés notamment par des mécanismes efficaces de coordination et de coopération à l’échelle régionale et transrégionale.

La fiche d’action détaillée15

nous renseigne un peu plus quant aux types de dispositifs encouragés dans le cadre de ces financements. On y lit par exemple « Qu’il est essentiel de contribuer à appuyer les efforts d’envergure du Maroc et à renforcer les capacités organisationnelles, techniques et opérationnels du Maroc pour faire face au flux migratoire irrégulier actuel et améliorer la gestion de ses frontières terrestres et maritimes. »

13 Maggie MICHAEL, Lori HINNANT, Renata BRITO, « Making misery pay: Libya militias take EU funds for

migrants », Associated Press, 31 décembre 2019, consulté le 10 novembre 2020 à :

https://apnews.com/article/9d9e8d668ae4b73a336a636a86bdf27f

14 EU Emergency Trust Fund For Africa, Soutien à la gestion intégrée des frontières et de la migration au

Maroc, texte adopté le 13 décembre 2018, consulté le 28/08/2020 à :

https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/north-africa/morocco/soutien-la-gestion-integree-des-frontieres-et-de-la-migration-au-maroc_en

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La mise en place de cette politique d’endiguement n’est pas nouvelle. Dès les années 2010 l’Union encourageait déjà le refoulement des migrants présents en territoire marocain pour éviter à tout prix qu’ils ne traversent la Méditerranée.

Des organisations de défense des droits de l’homme pointaient déjà pour l’année 2010 des opérations de refoulement forcé de migrants subsahariens sur le territoire du royaume chérifien. On mentionne par exemple des rafles qui se sont déroulées dans des quartiers populaires de Rabat et qui abouti à la reconduite à la frontière d’une centaine de migrante. Tout cela s’inscrivait déjà à l’époque dans le cadre de la volonté marocaine de se plier aux exigences de l’Europe moyennant des financements obtenus dans le cadre de sa politique de voisinage, mettant un plus en lumière le lien d’interdépendance entre les deux ensembles.

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Conclusion

En définitive la place des migrants subsahariens dans les pays du Maghreb est révélatrice du rôle de cet ensemble géographique dans la nouvelle politique migratoire de l'UE. Les missions conférées par l'Europe aux pays du Maghreb sont lourdes de conséquences. Espace de transit de premier ordre, l’Afrique du nord voit affluer sur son territoire des migrants en quête de solutions à leurs maux, tant du point de vue économique que sécuritaire. Compte tenu de la fermeture progressive de l'espace Schengen aux migrants non européens « non désirés » la situation de ces populations précaires est d'autant plus intenable. Cela s'ajoute aux tensions générées dans les pays de la zone par leur accueil, les migrants subsahariens étant souvent perçus d'un mauvais œil par les locaux.

La politique migratoire de l'Union génère donc des effets préoccupants dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Derrière l'objectif affiché de sécurisation des migrations et de la protection des migrants, l’Europe ériger de nouvelles frontières à l'extérieur de son propre territoire. Cette politique d'immigration choisie s'inscrit à contre-courant des dynamiques migratoires contemporaines et jette une lumière crue sur les contradictions du vieux continent. À ce titre l'exemple espagnol est tout à fait emblématique. En l'espace de trois décennies des centaines de milliers d'immigrants ont en effet fait le choix de l'Espagne dans leur parcours migratoire. Il s'agissait souvent de demandeurs d’asile algériens, somaliens, ivoiriens ou encore maliens fuyant leur pays en proie à des tensions politiques mais aussi de personnes à la recherche d’emploi (une partie de ces immigrants participe d’ailleurs au fonctionnement de l’économie agricole locale, souvent dans un cadre illégal).

Il faut souligner que la situation reste globalement inchangée puisque depuis le mois de juin 2020 les migrants algériens ont recommencé à affluer dans la péninsule ibérique, à la faveur de la pandémie de Covid 19. Celle-ci, associée à l'instabilité politique dans leur pays jette sur les routes de l'exil des milliers de jeunes qui tentent leur chance au nord16.

Dans ce contexte migratoire et politique tendu les migrants d'origine subsaharienne ont donc d'autant plus de difficultés à se faire une place, à la fois dans des sociétés d'accueil mal préparées et dans leurs parcours migratoires rendus de plus en plus chaotiques par les contraintes nouvelles mises en place par l’Europe.

Vingt cinq ans après la mise en place du processus de Barcelone, on peut donc constater que le tableau migratoire du bassin méditerranéen n’invite guère à l’optimisme. Il met en scène des migrants ballotés, cantonnés dans des espaces de plus en plus incertains et le rôle des pays riches du nord de la Méditerranée arc-boutés sur la question migratoire.

Pourtant, tant du point de vue humanitaire que politique il est d'une impérieuse nécessité de revoir de repenser l'accueil de ces populations pour réintroduire des règles s’inscrivant dans le respect des droits humains. Ces derniers se trouvent aujourd'hui de plus en plus souvent bafoués, à la fois dans les espaces de rétention au sud de la Méditerranée que dans les pays d'immigration du Nord qui durcissent jour après jour un peu plus les conditions d’accès à leurs territoires.

16 Sandrine MOREL, Les migrants algériens affluent sur les côtes espagnoles, Le Monde, 27 octobre 2020, Consulté le 2 novembre 2020 à : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/27/les-migrants-algeriens-affluent-sur-les-cotes-espagnoles_6057563_3212.html

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