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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'image : obstacle ou auxiliaire au développement de la culture scientifique et technique ?

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Academic year: 2021

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L'IMAGE, OBSTACLE OU AUXILIAIRE

AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE

SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE ?

Bernard PIETTRE

Professeur de Philosophie, Lycée Thuillier, Amiens

Action Culturelle du Rectorat d'Amiens (Culture scientifique et technique)

MOTS-CLÉS: IMAGE - CONCEPT - SCIENCE - ART - VULGARISATION SCIENTIFIQUE-CULTIJRESCIENTIFIQUE

RÉSUMÉ :L'image nécessairement présente, sous des formes diverses, dans les entreprises de vulgarisation scientifique risque-t-elle de la détourner de sa finalité: développer une culture scientifique, permettre l'acquisition de concepts scientifiques essentiels ? Si le processsus d'acquisition des concepts suppose l'élimination d'images parasitaires, il ne supprime nullement le rôle fondamental de l'imagination,àl'oeuvre dans la vie de la pensée scientifique elle-même.

SUMMARY : Is there any danger that pictures, seemingly part and parcel of any process of scientific popularization, may diven the latter from its finality, namely to develop a scientific culture and ensure that essentiel scientific concepts are mastered ?Ifthe process of acquiring concepts supposes the elirnination of parisitic images, it does not by any means do away with the essential mie of the imagination, at workinthe life of scientific thought itself.

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1. INTRODUCTION

Un reproche bien connu qu'on peut faire aux entreprises de vulgarisation scientifique, c'est de donner dans le spectaculaire, l'anecdotique, l'inquiétant, le sensationnel... Surtout aujourd'hui, à l'époque des médias dominants, médias oùils'agit d'assurer le maximum d'audience, où le critère de sélection des émissions, ou bien de leur place dans la grille horaire des programmes, est le sacro-saint audimat. On sait, par exemple, qu'à la télévision les émissions scientifiques sont placées à des heures tardives d'écoute, ou tout simplement refusées, en raison de leur caractère trop culturel et pas assez divertissant. Dans ces conditions, le journaliste scientifique est incitéàcréer du sensationnel, s'il veut appâter l'auditeur, et par la même occasion, recevoir l'aval des directeurs de chaînes.

Àun degré moindre, les efforts de vulgarisation scientifique para-scolaires ou extra-scolaires, menés par des enseignants, ou des associations de culture scientifique, peuvent apparaître comme des récréations démagogiques qui ne feraient rien d'autre que flatter une curiosité papillonnante et superficielle des élèves ou des jeunes. Il suffit, par exemple, de se promener avec des élèves à la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette pour voir que les élèves vont naturellement vers les stands qui font le plus "sensation", si du moins on n'a guère préparé la visite ou qu'on les livre à eux-mêmes. Cela est bien naturel;ilen va un peu de même en classe de physique ou de chimie: ce qui marque en général le plus la mémoire des élèves, ce sont les expériences qui ratent; et plus elles ratent, et plus c'est "marrant"!Toute la difficulté du travail du professeur, on le sait bien, est de les faire se souvenir des expériences qui réussissent, et surtout des raisons pour lesquelles elles réussissent. Enfin, pensons aux titres aguichants dont des revues scientifiques de vulgarisation se croient obliger d'orner leur page de couverture pour attirer le lecteur.

Les exemples sont nombreux et je ne vous apprendrai rien en en énumérant davantage. Cette tendance de la vulgarisation scientifique à exciter la curiosité, à étonner n'a rien de nouveau. Toute une littérature scientifique du XIXe siècle, et, en deçà, du XVIIIe, n'échappait pasàce travers.

De ce point de vue l'image, la mise en scène, le spectacle, prétendument au service de la science, bien loin d'informer, risquent peut-être de désinformer, ou plus précisément d'enfoncer davantage le grand public ou l'élève dans des pseudo-connaissances, - dans ce que Bachelard appelait des connaissances empiriques déjà constituées:"L'adolescent arrive dans la classe de physique avec des confUlissances empiriques déjà constituées: ils'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer une culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne" (Formation de l'Esprit Scientifique, p. 18). On sait que, selon Bachelard, c'est en termes d'obstacles à surmonter qu'il faut penser la genèse d'une pensée scientifique.Orle renforcement de certaines images, l'évocation de tout un imaginaire autour de la science peuvent former un véritable obstacle épistémologique. "En donnant une satisfaction immédiate à la curiosité, dit encore Bachelard, en multipliant les occasions de curiosité, loin de favoriser la culture scientifique, on l'entrave, on remplace la connaissance par l'admiration, les idées par les images" (Ibid. p. 29).

Mais l'image, la mise en scène, le spectacle (qui cherchent à frapper l'imagination de l'élève ou du spectateur), sont-elles nécessairement des obstacles à la culture scientifique? En d'autres termes,

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une entreprise de vulgarisation scientifique - dont la finalité est de favoriser l'émergence d'une culture scientifique dans la cité, afin que le maximum de gens possèdent le minimum de connaissances leur permettant de comprendre et de juger leur environnement scientifique et technique - doit-elle être austère, au point d'éviter tout ce qui suscite émerveillement, excite l'imaginaire et détourne du chemin rigoureux et patient de l'apprentissage d'une science, de ses concepts et de ses méthodes? Oui, l'image est-elle un obstacleàl'acquisition d'une culture scientifique? Ou bien, peut-elle, au contraire, en être une précieuse auxiliaire ?

2. PERCEPTION, IMAGE, CONCEPT

Il nous faut d'abord définir sommairement l'image. On appelle~une représentation mentale d'un objet, en l'absence de cet objet. Je perçois un objet ou un être présent (présent devant moi), j'imagine un objet ou un être, alors qu'il n'est pas maintenant dans mon champ de perception, parce qu'il est présent ailleurs, ou bien qu'il appartient au passé, ou au futur...

L'image est plus pauvre que la perception en ce sens qu'elle est moins précise, moins déterminée que celle-ci. Si j'imagine le Panthéon par exemple, je suis incapable dedirecombien de colonnes contient sa façade; alors que si je le perçois, je peux "photographier" ces colonnes, les compter. En même temps, l'image est plus riche que la perception, puisqu'elle peut me pennettre de me représenter des choses que la perception ne me présente pas. Par exemple, j'imagine la femme dont je suis amoureux, alors qu'elle est loin de moi, en la parant de qualités qu'elle n'a pas nécessairement. Et plus elle me manque et plus je l'embellis par mon imagination. L'imagination, fabulatrice, et non plus reproductrice, supplée aux défauts de la réalité perçue. L'imagination est alors redoublée par le désir.

Mais l'imagination peut pénétrer, à notre insu, notre perception. Percevoir dans la vie quotidienne, c'est toujours en même temps imaginer un peu. C'est pourquoi personne ne perçoit exactement les mêmes choses - les mêmes aspects d'un événement, d'un individu, etc. Nos perceptions sont inévitablement traversées par des désirs, pas nécessairement conscients.

Les sciences - les mathématiques, les sciences expérimentales, physique, biologie, les sciences humaines - exigent, lorsqu'on a affaire à leurs différents objets, qu'on élimine de la représentation de ces objets ce qui provient des aléas de notre subjectivité. La représentation de l'objet n'est plus alors une image, ni une perception, mais devient un~.Par exemple, le carré, le triangle... On peut bien en avoir des images, ou les percevoir dessinés sur le tableau. Mais le cours de géométrie ne sera compris que s'il repose sur des définitions précises du carré, du triangle (comme du triangle isocèle, équilatéral, de la bissectrice, de la hauteur etc. ). Il n'y a de concept d'un objet que fondé sur une déf"mition de cet objet (définition qui fait abstraction des détails accidentels de l'objet pour ne retenir que ses propriétés générales et essentielles). Et l'élève ne peut apprendre, et avancer dans son apprentissage, en géométrie, par exemple, que s'il a appris et retenu (et donc compris) des définitions liminaires.Àcet égard, c'est un non sens de vouloir faire apprendre la géométrie intuitivement, ou par tâtonnement expérimental, comme on le préconise parfois dans l'enseignement primaire. C'est

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laisser l'élève dans le flou et ralentir son apprentissage. Même chose en français: c'est un non sens grave de prétendre vouloir faire apprendre la langue, les régies de grammaire intuitivement, ou par "imprégnation". C'est au contraire en ayant appris des définitions, en ayant assimilé des concepts, que l'enfant sera stimulé dans son imagination, et aidé ensuite soit dans la saisie intuitive de la résolution de problèmes mathématiques nouveaux, soit dans la saisie intuitive du sens d'une phrase complexe, dans sa langue maternelle ou bien dans une autre langue.

C'est le concept une fois connu par l'élève qui pennetàcet élève d'avoir des images opérantes. Par exemple, c'est une fois qu'on a défini le triangle qu'on peut alors imaginer une multiplicité d'images de triangle. Tant qu'on ne sait pas ce qu'est un triangle, on n'a pas réellement une image de triangle. Une image ne génère jamais un concept. Un concept en revanche génère des images. On dit par exemple qu'on a formé le concept de droite à partir, entre autre, de l'image dufilà plomb utilisé par les maçons pour mesurer la verticalité d'une paroi. Il faut plutôt dire qu'on eut l'idée de construire lefilàplombàpartir du moment où on eut le concept de la droite (qui existe bien avant les Grecs, chez les Égyptiens, les Babyloniens... ). Certes il faut bien quelque imageà partir de laquelle on construit un concept, mais le concept constitue toujours par rapportà l'image qui l'a suggéré (et non engendré) un saut qualitatif.

L'histoire des sciences révèle justement toute la difficulté qu'il y aà élaborer des concepts, à franchir ce saut qualitatif qui consisteàne pas se laisser emprisonner par l'expérience première, ou par les images courantes ou familères.Onconstruit des concepts plutôt contre des images qu'avec des images. Ceci est évident dans l'histoire de la physique et de la biologie. Prenons le principe d'Archimède.ilest impossible de parvenir à la formulation du principe d'Archimède en partant de l'expérience première de la flottaison des corps. Cette expérience, si on la soumetàdes enfants par exemple, donne lieuàtoute sorte d'images: on attribue spontanément une activité au corps qui flotte, qui nage. On imagine que si le corps remonte à la surface, c'est qu'il possède une résistance à l'eau. On n'attribue pas spontanément la résistance àl'exercice d'une poussée de l'eau. Archimède n'a trouvé le principe fondamental de l'hydrostatique qu'en allant contre l'image première. Archimède, je le précise, était d'ailleurs avant tout un mathématicien. On pourrait prendre de même le principe d'inertie de Galilée et de Descartes, et mille autre exemples de la science moderne ou contemporaine. L'expérience première certes donne à imaginer, mais l'imagination doit être corrigée par l'intelligence, plutôt que confirmée par l'expérience. Et l'expérience scientifique - est-ce besoin de le dire? -n'est pas une expérience première, mais un protocole expérimental guidé, construità partir d'une théorie, qui est elle-même le fruit d'une longue élaboration historique - élaboration dont il n'est pas nécessaire de raconter l'histoire aux élèves, du moins dans le cadre précis du cours de science.

Àpartir de ces rappels épistémologiques élémentaires, il est clair que le danger du recoursàune imagination qui n'est plus contrôlée par l'homme de science (l'enseignant, le chercheur...) - qui n'est plus structurée par des concepts précis de la science - loin d'instruire risque bien, semble-t-il, d'enfoncer dans l'ignorance, ou, comme nous le disions au début avec Bachelard, dans des opinions déjà consùtuées. Faut-il en conclure que la vulgarisaùon scientifique ne peut être que rigoureusement scientifique, qu'elle doit se maintenir dans la rigueur et la pureté conceptuelles de la science, sans recoursàdes expédients comme l'image: l'image qui agrémente le livre scolaire, le film, le dessin

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animé, l'exposition, la représentation théâtrale, etc. ? Faut-il en déduire qu'elle ne doit être entreprise que par des scientifiques, qu'il ne faut la confier ni à des artistes, ni à des littéraires, surtout s'ils sont en outre ignorants ou, pire, demi-savants dans les sciences qu'ils contribueraient à vulgariser?

Vous devinez que ce n'est pas ma conviction, du moins pas tout à fait, sinon je ne serais pas là. Mais alors comment l'image peut-elle jamais instruire, s'il est vrai que la science, pour se constituer et s'enseigner, doit plutôt lutter sans cesse contre des images que s'aider d'images?

3. LA VÉRITÉ DE LA SCIENCE, MENSONGE DE L'IMAGE?

Cette conviction que la vulgarisation scientifique est peut-être plus néfaste qu'utile, sous prétexte qu'elle se complaît dans l'imprécision et la simplification des images, des raccourcis suggestifs mais erronés, dans des formules saisissantes mais contestables, qu'elle peut se laisser griser par un aspect littéraire ou artistique de l'entreprise, aspect tout à fait étranger au contenu scientifique qu'on cherche à transmettre, cette conviction repose aussi sur un préjugé: le concept serait seul poneur d'une vérité, l'image ne serait poneuse d'aucune vérité.

Ce préjugé a des racines profondes dans la tradition rationaliste de notre culture occidentale et imprègne une idéologie positiviste latente à notre époque dominée, qu'on le veuille ou non, par les sciences et les techniques. Ce préjugé on pourrait le résumer ainsi: il n'y a de vérité rigoureuse que scientifique, hors de la science il n'y a pas de vérité, seulement des opinions différentes, des idéologies, des philosophies, des éthiques différentes... (comme si tous ces mots d'ailleurs étaient à peu près équivalents! ) Quant à l'art, il est clair qu'il n'aurait, lui, rien à faire avec la vérité ni l'erreur: la beauté ou l'intérêt d'une oeuvre d'art ne seraient qu'une question d'appréciation subjective ("on aime ou on n'aime pas", comme on aime le chocolat ou on n'aime pas! ). Mieux, l'art n'aurait pas la même finalité que la science: l'art ferait rêver, la science dirait ce qui est; l'art formerait les imaginations, la science formerait à la vérité.

Quand je dis que ce préjugé est enfoui profondément dans notre culture occidentale, un de ses maîtres, le grand philosophe.flatQn, disait déjà"Illaut chasserlepoètede lacité" (République,

m,

389a). De la cité idéale s'entend, cité idéale dont il a tracé le modèle dans laRépublique. Selon Platon, les anistes étaient dangereux pour la cité parce qu'ils donnaient une fausse image des dieux et des héros, qu'ils représentaient animés par toute sone de passions condamnables et immorales, étalées avec complaisance par les poètes et tragédiens qui exercaient ainsi une influence corruptrice sur la jeunesse. C'est que les anistes et les poètes sont des magiciens de l'apparence, selon Platon: ils disent ou chantent dans leurs poèmes, dans leurs récits, dans leurs tragédies ou comédies, de même que les peintres ou sculpteurs montrent: non pas ce Qui est. mais seulement uneima~de ce ~ - image dont ils sont maîtres, heureux de pouvoir ainsi frapper l'imagination, réveiller des passions, susciter la terreur, ou la compassion etc. L'an, la musique, la poésie, etc. devront dans la cité idéale de laRépublique être épurés, contrôlés en quelque sorte par les philosophes-roi, gardiens de la vérité.

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Laissons Platon et sa cité idéale qui provoque en nous quelque frémissement de terreur, et réfléchissons à ce préjugé rationaliste, selon lequel, en gros, la science et ses concepts disent vrai, alors que J'image, qu'elle soit commune ou élaborée (par l'artiste), est extérieureàla vérité, si même elle n'est pas un obstacleà la vérité.

Mais lutter contre ce préjugé, c'est peut-être remettre en cause :

- l'idée selon laquelle l'image, qui peut être au service d'une entreprise de vulgarisation scientifique (le dessin animé, le film, l'expo etc. ), est seulement un agrément, une ornementation, un appât facile, un~de séduction totalement extérieur au contenu scientifique du message qu'on veut transmettre, un moyen même qui peut représenter virtuellement un danger de désinformation, un risque de détourner l'élève ou le public de l'essentiel;

- l'idée que l'image, de par son caractère subjectif, indéterminé et libre, est porteuse d'erreurs, erreurs qu'une authentique formation scientifique doit travailler à corriger.

C'est remettre en cause, en fin de compte, la thèse que nous avons défendue, selon laquelle il n'y a de vérité que du concept, et que tout concept élaboré par la raison l'est contre des images plutôt qu'avec des images. Du moins, il ne s'agit pas tant de la remettre en question, que de la nuancer et de l'enrichir.

4. L'IMAGINATION À L'OEUVRE DANS LA PENSÉE SCIENTIFIQUE

Le concept - les concepts d'une science déterminée - se forme(nt), c'est vrai, à la fois à partir d'images et contre des images; c'est vrai que la formation d'un concept suppose un saut qualitatif, saut qualitatif que nous, enseignants, faisons faire aux élèves (ou que nous essayons de faire faire aux élèves), et nous leur épargnons ainsi de refaire par eux-mêmes ce qui est en quelque sorte l'oeuvre de toute l'histoire de l'humanité. Mais nous avons dit que le concept générait à son tour des images; que la pensée abstraite loin de taire, d'épuiser l'imagination, la stimulait. Du moins, si on ne sépare pas la formation des concepts, l'acquisition d'un savoir sûr et fiable, de l'élan qui anime tout élève (ou tout amateur de science) porté par toute une imagination, aussi brouillonne et impétueuse soit-elie, mais qui est inséparable de sa curiosité et de sa motivation.

Un élève non motivé est un élève dont l'imagination n'est pas sollicitée par notre parole, comme si notre parole ne la rencontrait pas. Etilest faux de croire que son imagination soit nécessairement totalement étrangère à l'univers des sciences, aux énigmes des nombres, de la nature, de la matière ou de la vie, etc. Surtout s'il a déjà reçu des éléments de savoir, de l'école, ou de sa famille.Àmoins, bien sûr, que l'élève soit trop prisonnier de ses problèmes familiaux et sociaux, pour que son imaginaire se libère pour des préoccupations scientifiques ou scolaires. Ce qui arrive malheureusement, nous le savons bien, trop souvent.

Mais tout enseignant sait qu'une activité pédagogique plus ou moins extrascolaire (sortie, visite d'expo., rencontre avec des chercheurs etc.), mais surtout une activité où les élèves sont totalement partie prenante (construction d'un objet technique, reconstitution d'une expérience scientifique primordiale dans l'histoire des sciences, élaboration en commun de tout un protocole expérimental en

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vue de telle recherche déterminée avec le professeur, création d'une maquette ou d'un film sur un thème scientifique précis, etc.) révèle le plus souvent une motivation extraordinaire chez eux, motivation qu'on avait pu croire, parfois, à jamais éteinte. Ces moments heureux sont peut être rares dans l'enseignement; on sait très bien qu'ils existent virtuellement. On sait aussi que rien ne remplace le cours classique; un travail dit de culture scientifique, qui peut présenter un caractère ludique, ne peut se substituer au cours, car l'acquisition assurée de concepts et de théories scientifiques permet seule de donner tout son intérêtàun tel travail;ilen est cependant le prolongement nécessaire et le complément salutaire.

Je dirais seulement, par expérienceàl'action culturelle du rectorat d'Amiens où je suis sensé aider avec un collègue physicien-chimiste les actions de culture scientifique et technique dans l'enseignement secondaire, que beaucoup d'enseignants entreprennent àcet égard des choses remarquables; plus souvent d'ailleurs des enseignants de collège que de lycée, sans doute en raison des contraintes du baccalauréat.

Si nous revenons à la formulation théorique de notre problème, nous comprenons que les concepts scientifiques ne sont pas coupés de tout un contexte imaginatif. C'est évident chez l'élève et l'enfant, nous venons de le rappeler. Mais c'est encore vrai, Dieu merci, chez le plus desséché des hommes de science. Un homme sans imagination, sans rêves est-il encore un homme?

Imaginer c'est se représenter des choses qui ne sont pas, avons-nous dit. Mais la science ne dit pas ce qui est. Platon confondait vérité et réalité (et par exemple vérité et réalité des objets mathématiques). Mais la science crée son objet plus qu'elle ne le rencontre. Le chimiste en sait quelque chose, et le physicien quantique aussi. Bien sûr, la science n'est pas pour autant fantaisiste: et ses connaissances ont un caractère objectif, puisque leur vérité s'impose avec nécessité,àla fois par la rigueur de la théorie et la vérification expérimentale qui les sous-tendent. Mais la science ditvrai sans jamais avoir fini de dire ce qu'il en est de la nature ou de la vie... La réalité qui se donne à connaître est inépuisable. Il ne faut pas confondre vérité et réalité.

L'image appelle le saut du concept.Leconcept appelle à son tour des images de choses non encore conceptualisées. La pensée est vivante, et non pas faite de moments figés qui seraient d'un côté l'image, de l'autre le concept. Et c'est pourquoi la science ne cesse pas de se transformer, de se renouveler, et suscite non seulement l'effort de la raison et de l'intelligence, mais aussi celui de l'imagination.

5. LA VULGARISATION AU SERVICE DE L'IMAGINATION SCIENTIFIQUE

Àpartir de ces reflexions nous pouvons maintenant mieux cerner quelle sont l'utilité et la finalité de l'entreprise de vulgarisation scientifique, qui s'aide toujours d'images (films, expo, etc.) et ne se maintient pas dans l'austérité des seuls concepts. Elles sont:

Il -De parleràl'imagination de l'enfant, de l'élève ou de l'adulte qui a envie de savoir, de répondreàleur curiosité qui, si superficielle qu'elle puisse apparaître dans un premier moment, ne demande qu'à être guidée et approfondie. Inutile de dire alors que l'art et l'image peuvent être doivent

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être un précieux auxiliaire de cette entreprise d'éveil à la science. L'art émerveille. Mais doit-on dire que l'aventure scientifique n'a rien de merveilleux?

Car si la science vise la~à propos de ce qui est, sans prétendre pouvoir révéler l'être, l'art, sans prétendre dire vrai, s'efforce de révélerUtte. -l'être, c'est-à-dire ce qui est, ou plutôt ce qui advient à l'être, qui s'offre, se présente, se découvre à la pensée, et non ce que la pensée (scientifique) pose, constitue, évalue, étudie, analyse, maîtrise.... La science démontre, l'art montre. L'une démontre ce qu'elle veut trouver à propos d'un objet qu'elle constitue elle-même. L'art - le grand - opère comme le miracle d'une révélation.Lepeintre Klee disait: "L'art ne reproduit pas le visible,ilrend visible". L'artiste "rend visible",ildévoile, il révèle, il attire l'attention du regard de chacun sur ce qu'il n'a jamais été capable de voir jusqu'alors de la réalité.

Or la science aussi, à travers ses investigations, nous révèle, comme malgré eUe, bien des aspects cachés de la nature, de la matière, du vivant, de l'ordre ou du désordre qui les régissent, devenant ainsi une riche inspiratrice de l'art.Leregard du biologiste, par l'exigence de rigueur et d'objectivité de ses observations et de ses expérimentations, n'est pas celui de l'artiste, certes. Et pourtant quelle matière extraordinaire ne donne-t-il pas à l'artiste (peintre, photographe, cinéaste, etc.) ? Même chose pour l'astronome; ou pour le mathématicien (pensons aux images numériques obtenues à partir de l'étude des "fractales"). Là où commence le concept ne finit pas l'imagination, mais commence une nouvelle aventure de l'imagination, pour le savant, s'il n'a pas perdu toute âme d'artiste, pour l'artiste, s'il s'instruit auprès du savant. Car l'entreprise de vulgarisation scientifique ne vise pas seulement à informer, à simplifier des contenus de science. Elle vise aussi clairementà réveiUer cette imagination porteuse de ce goût de savoir,àsusciter la passion de la science.

Quelle est d'aiUeurs, ou quelle devrait-être la seule authentique finalité poursuivie par un enseignant? Transmettre des connaisances ? Soit. En réalité, au-delà de cela, - on le sait bien, mais cela n'apparaît dans aucun traité de didactique - essayer de transmettre sa propre passion pour la discipline qu'il enseigne.

2/ - De préciser, d'expliciter pour l'homme de science lui-même l'imaginaire qui entoure toute sa pensée conceptuelle. L'entreprise de vulgarisation est utile à l'homme de science lui-même: eUe le force à dire de manière simple ce que ses concepts contiennent implicitement.Oron ne comprend le compliqué que si on arrive à le rattacher au simple: si on n'est pas capable de se faire comprendre sur tel ou tel point de sa science et reste obscur dans ses explications, c'est qu'on ne l'a pas compris soi-même. Or il ne faut pas croire que tous les concepts scientifiques sont en eux-mêmes clairs, ni qu'ils sont dégagés de tout contexte imaginatif qui mériterait d'être mis au jour.Onpeut très bien travailler en physique sur des concepts, comme les photons ou des électrons, on peut vaguement en avoir des images, sans savoir très bien ce qu'est la lumière, ou le champ électromagnétique. On en manipule des effets; on les prévoit; mais on n'a pas trop le temps de s'interroger sur la réalité véritable des phénomènes qu'on expérimente avec l'assurance de théories mathématiques qui ont fait leur preuve. Mais si rien n'étaitàexpliciter dans ce que l'on sait en science, aucun progrès scientifique ne serait possible. C'est pourquoi le retour au langage littéraire, après l'usage du seul langage mathématique, est nécessaire pour s'assurer d'une compréhension en profondeur de ce que l'on fait.

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Et si des chercheurs de haut niveau se mettentàécrire des ouvrages de vulgarisation, ce n'est pas seulement par devoir vis à vis du public, c'est aussi pour savoir eux-mêmes où ils en sont dans leur recherche. Les plus grands savants sont aussi parfois les plus grands vulgarisateurs (Cf. les Discours de Galilée, ou le petit livre sUr la Relativité, ou l'Évolution des Idées en Physique d'Einstein).Onne peut pas dissocier recherche et vulgarisation scientifique. Le chercheur chevronné apprend en vulgarisant.

3/- Enfin, de préciser les images que suscite l'activité scientifique et technologique auprès du public, et puis les images qui sont à l'oeuvre dans la pensée scientifique - images inconnues de l'homme de science lui-même, images qui opèrent en lui sans qu'il en soit conscient. Tout chercheur draine toute une représentation du monde, de son travail, toute une idéologie, non reconnues comme telles par lui-même en général. Et les images qu'il peut drainer dans son oeuvre ne sont pas neutres, ni innocentes, surtout si elles sont inconscientes : image de domination de la nature, images de carrière, d'efficacité du laboratoire qu'on dirige, etc. Quand un homme est entièrement préoccupé de traitement infonnatique, et de la possibilité de perfectionner sans cesse les perfonnances des ordinateurs, quelle image a-t-il de l'intelligence artificielle et de l'intelligence humaine? Quand un physicien nucléaire travaille à l'Électricité de France ou bien pour l'armée, quelle image a-t-il du rôle de la science dans la société? Quand un Watson dit (d'après Langaney, dans sa communication du mercredi26/02 à Chamonix) qu'il y a une bonne science, comme la biologie moléculaire, et une science inutile comme l'histoire naturelle, c'est-à-dire l'observation et la classification des espèces naturelles, quelle image a-t-il donc de la science, et, au-delà, de la nature, et du rapport de l'homme à la nature ...?

C'est pourquoi l'entreprise de vulgarisation scientifique doit être aussi laissée en partieàdes hommes étrangersàla science.Ilimporte que la critique de la science soit possible de l'extérieur de la science. Car un ouvrage de vulgarisation scientifique, pensons au théâtre scientifique par exemple, dispose de cette liberté de pouvoir juger la science et ses acteurs.

Révéler ces images que suscite ou que véhicule l'aventure scientifique, les expliciter, lesdire... cela exige une approche autre que rigoureusement scientifique.Ilfaut non seulement l'imagination mais l'intelligence de l'artiste ou du littéraire pour les dévoiler. L'art ditàsa manière ce qui est, avons-nous dit"L'art est un mensonge", ditMaxJacob (Platon avait en partie raison), mais, ajoute-t-il,"un bon artiste n'est pas un menteur". L'artiste "rend visible" ce que les regards du commun des mortels ne voient pas: mettre en évidence par exemple tout un impensé, un non-dit de la science (et de ses aventures technologiques)."Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps" , selon une fonnule de Saint John Perse (discours de Stockholm, 1960, citée dans La Passion du Scientifique par D. Raichvarg).

6.CONCLUSION

Le reproche que l'on peut donc faireàla vulgarisation scientifique de donner dans une certaine facilité: exciter l'imagination au risque de favoriser l'obscurantisme plutôt que d'éclairer vraiment

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l'opinion, reste fondé bien sûr. Maisils'agit alors de cette entreprise de vulgarisation qui n'appartient pas tellement aux enseignants ou aux amateurs de science, encore moins aux chercheurs, mais plutôt à cette troisième catégorie de gens qui parlent des sciences de l'extérieur: des journalistes, des littéraires - pas nécessairement des artistes ni de bons littéraires. "Le bon artiste n'est pas un menteur". Impossible de contrôler vraiment ces mauvais popularisateurs des sciences, de contrôler les méfaits des médias ou de certaines revues à grands tirages. Et puis, difficile de distinguer de façon tranchée où finit la mauvaise vulgarisation et où commence la bonne. Reste que nous devons nous battre pour que des émissions de culture scientifique de qualité soient beaucoup plus fréquentes à la télévision.

En vérité, les mauvais vulgarisateurs font moins de mal qu'on ne le dit. C'est déjà une bonne chose que des élèves lisentScience et Vie, par exemple, et qu'ils viennent vous voir pour poser des questions, non de cours ou d'exercices, mais de culture scientifique.Ànous enseignants le plaisir de corriger alors leurs erreurs - seul ne se trompe pas celui qui ne cherche pas à savoir - à nous alors aussi l'occasion de servir et de guider une passion; de les orienter dans leurs lectures, de leur indiquer aussi l'existence d'autres revues etc. Mais le pire qui puisse arriver, et ceci arrive bien trop souvent, y compris dans les classes d'élite (terminale C, prépas scientifiques...), c'est que les élèves se présentent privés de tout imaginaire scientifique, comme stérilisés; cela pour des raisons socio-économique et politiques profondes qu'il serait trop long d'examiner ici - la société d'aujourd'hui aime-t-elle des esprits trop imaginatifs 7 - mais pour des raisons scolaires aussi malheureusement: on finit par manipuler des formules, acquérir des automatismes dans les exercices, sans plus savoir ce qu'on fait, ni comprendre le sens des concepts utilisés dans des exercices ou contenus dans des formules.

On ne peut oublier qu'un concept a toujours un contenu intuitif (au sens kantien: "Un concept sans intuition sensible est vide, une intuition sans concept est aveugle", disait Kant), et cela est vrai aussi en mathématique. Je crois même qu'on peut dire, mais je sais que cela mériterait de plus amples explications, qu'un concept constitue toujours une représentation. D'une manière générale la compréhension du sens de concepts scientifiques nécessite, du moins dans un premier temps, le recoursàdes exemples. Le plus souvent, pour mieux faire saisir le sens d'un concept, on utilise des figures, des dessins, des schémas, des représentations visuelles: pensons simplement au schéma d'une cellule, ou bien de la configuration spatiale d'une molécule, etc. Certes, ici, l'image est entièrement déterminée et guidée par le concept.

Mais on peut utiliser des concepts sans plus jamais s'occuper de leur contenu. On peut résoudre parfaitement des équations de physique sans plus savoir ce que "représentent" les variables en jeu. L'acquisition du concept d'un objet suppose qu'on soit capable de faire abstraction des éléments subjectifs inessentiels et erronés de la représentation de cet objet; mais elle n'en supprime jamais tout le contexte imaginatif et même affectif (sinon quel plaisir aurait-onàmanier des concepts 7).Orc'est cette imagination, qui entoure en quelque sorte les opérations de la pensée abstraite et qui porte l'empreinte de notre individualité, qui donne l'impulsion véritable au désir de la connaissance.

L'imagination est la sève de la pensée. Sans images, nécessairement fausses ou insuffisamment précises, pas de désir, pas de possibilité de former des concepts, même si le concept dépasse toujours

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l'image et la corrige; et sans concepts découverts et réellement compris, pas de stimulation nouvelle de l'imagination.

BIBLIOGRAPHIE

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Références

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