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L'influence du salafisme dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne

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Academic year: 2021

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(1)

© Sabrina Zouaghi, 2018

L'influence du salafisme dans le processus de rédaction

de la nouvelle constitution tunisienne

Mémoire

Sabrina Zouaghi

Maîtrise en études internationales - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

L’influence du salafisme dans le processus de

rédaction de la nouvelle constitution tunisienne

Mémoire

Sabrina Zouaghi

Sous la direction de :

Francesco Cavatorta, directeur de recherche

Muriel Gomez-Perez, codirectrice de recherche

(3)
(4)

iii

RÉSUMÉ

Le présent mémoire tente d’apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et son implication au cœur du processus de constitution-making de la transition tunisienne en répondant à la question de recherche suivante : « les salafistes tunisiens, de par leur idéologie qui ne privilégie que la légitimité de leurs propres revendications et de par leurs actions qui ne favorisent pas la négociation, le compromis et la coexistence de différentes factions sociétales, ont-ils influencé le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne, et si oui, de quelle(s) manière(s) et quels ont été les impacts ? ».

Les résultats du mémoire font état que les salafistes tunisiens ont influencé le processus constitutionnel, mais pas le contenu de la constitution. En effet, ils ont réussi à remettre sur la table la question de la charî’a dans les débats constitutionnels et plus particulièrement dans les discussions internes du parti Ennahda grâce à des formes de mobilisation para-institutionnelle.

Cependant, ces formes de mobilisation n’ont pas eu l’effet escompté d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution. En réalité, le contexte socio-politique a plutôt favorisé l’exclusion des salafistes à cause de leurs discours qui discréditaient les autres factions sociétales et politiques et de leurs actions qui ne favorisaient pas la négociation, le compromis et la coexistence avec ces factions. Les salafistes, comme groupe social particulier qui attire les franges populaires de la société, véhiculent une idéologie religieuse entraînant des impacts politiques et sociaux qui les distingue de la majorité des Tunisiens.

Si Ennahda entretenait certains objectifs communs avec les salafistes, ses deux partenaires politiques ne se retrouvaient pas dans une situation similaire, bien au contraire. Les salafistes, par leurs discours et leurs actions, empêchaient l’atteinte d’un compromis démocratique entre ces partis politiques et représentaient une menace pour les règles de garantismo qu’ils étaient en train de négocier. Ils exacerbaient la polarisation entre « islamistes » et « non-islamistes » et menaçaient la coexistence des deux camps.

Lers intérêts paraissaient ainsi ne pas faire partie d’un consensus possible entre les factions les plus importantes qui ne considéraient pas les salafistes comme des acteurs significatifs au sein de la société tunisienne. Ils ont été dès lors exclus du jeu démocratique, à la fois des débats et du processus. La mise au rancart de leurs intérêts a été l’un des coûts à assumer pour Ennahda, afin d’assurer l’adoption de la nouvelle constitution tunisienne et la réussite de la transition démocratique.

(5)

iv

Table des matières

RÉSUMÉ ... iii

GLOSSAIRE ... vi

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... ix

DÉDICACE ... x

REMERCIEMENTS ... xi

CHAPITRE INTRODUCTIF ... 1

CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE ... 8

La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ? ... 8

Le projet de recherche : problématique et hypothèses ... 17

La méthodologie employée ... 21

Conclusion ... 27

CHAPITRE 2 - LE SALAFISME, UN MOUVEMENT RELIGIEUX LITTÉRALISTE ... 28

Un intérêt académique récent sur le salafisme au regard de l’actualité ... 28

Des éléments définitionnels ... 31

Débats sur les origines polémiques du salafisme ... 31

Un objectif pieux en réaction aux sociétés grugées par le capitalisme ... 35

Le minhâj salafî, une méthode stricte et littéraliste ... 39

Des concepts-clés au cœur du salafisme ... 41

Une catégorisation traditionnelle des salafistes ... 42

Le salafisme scientifique : une salafisation sociétale ... 43

Le salafisme politique : une salafisation institutionnelle ... 44

Le salafisme jihadiste : une salafisation révolutionnaire ... 45

Conclusion ... 46

CHAPITRE 3 - LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE POSTRÉVOLUTIONAIRE .. 48

Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en quête d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien ... 49

L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe ... 49

Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures horizontales ... 54

Tension idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique ... 60

La qualification salafiste : processus de (dé)légitimation ... 64

L’absence de représentation politique et la présence de programmes généraux au profit de la mosquée, le principal lieu de rencontre des salafistes ... 66

(6)

v

Les discours des salafistes tunisiens : entre des objectifs communs et des stratégies divergentes 69

L’État et la société islamiques : une solution à tous les maux ... 69

Vers une redéfinition de l’identité tunisienne : la charî’a comme demande identitaire salafiste ... 71

À la recherche d’une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice ... 78

Le recours à deux stratégies complémentaires ... 81

La renonciation au recours à la violence, l’emploi de la da’wa et l’implication politique : entre convergences et divergences ... 84

Conclusion ... 89

CHAPITRE 4 - LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL TUNISIEN : POINT DE FRICTION DES ACTIONS SALAFISANTES ... 94

L’absence d’actions politiques structurantes ... 95

La politique de la rue : le mot d’ordre implicite chez les salafistes ... 96

Manifestations publiques et rassemblements politiques, des méthodes d’action politique traditionnelles ... 97

L’instrumentalisation ou la politisation des actions sociales et religieuses ... 100

Une timide intégration aux instances participatives de l’Assemblée nationale constituante .. 108

Ennahda, un allié potentiel dans l’agenda salafiste de la Tunisie postrévolutionnaire ... 113

La logique de dialogue adoptée par les salafistes, un rapprochement utilitariste ?... 113

La charî’a chez Ennahda : les résultats d’une influence modeste... 122

Le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la constitution: le début d’une rupture des salafistes ... 129

La logique de distanciation des salafistes, une réaction dynamique aux actions nahdaouies 130 Des conséquences portant un changement de ton et d’action bien présent dans les rangs salafistes ... 135

La constitution tunisienne de 2014, une influence indirecte des salafistes ... 144

Conclusion ... 147

CHAPITRE CONCLUSIF ... 150

SOURCES ... 157

BIBLIOGRAPHIE ... 170

(7)

vi

GLOSSAIRE

‘amel tanzimî Le concept de travail organisé

‘aqîda Le credo

‘ibâdat Les actes cultuels et d’adoration

‘ijmâ’ Le concept d’interprétation juridique des textes

religieux qui consiste en le consensus parmi les chouyoûkh

‘ourf L’une des sources de du fiqh, soit la coutume

Ahâdîth (hadîth) Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier a approuvés parmi ses Compagnons (au pluriel)

Ahâdîth sahîha Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier a approuvés parmi ses Compagnons et qui sont avérés (chaque rapporteur de la isnad est retracé) (au pluriel)

Ahl- al-hadîth Les gens du hadîth

Aima (imâm) L’imam (au pluriel)

Allâhou akbar Dieu est grand

Al-amr bil-ma’roûf wal-nahî Le concept de promouvoir la vertu et de prévenir le vice

Al-firqa al-najiya La secte élue parmi les soixante-treize sectes en islam

Al-tâbi’oûn La première génération qui ont suivi les Compagnons

du Prophète (deuxième génération de musulmans)

Al-walâ wal-barâ’ Le concept de loyal et de désaveu

Ansârî Les partisans

Assâla L’authenticité

Ayât Les versets coraniques (au pluriel)

Bid’a (bidâ’) Les innovation religieuse (au singulier)

Bidâ’ (bid’a) Les innovations religieuses (au pluriel)

Chahâda L’attestation de foi

Charî’a La loi islamique

Cheikh (chouyoûkh) Le sage religieux (au singulier)

Choumouliya al-islâm Le principe de globalité en islam

Choûra Le conseil consultatif

Chouyoûkh (cheikh) Les sages religieux (au pluriel)

(8)

vii

Dâr al-islâm La terre de l’islam, lorsque la population d’un pays est

majoritairement musulmane

Destour al-khilafa La constitution du califat

Dhimmis Le statut de minorités

Fatâwâ (fatwâ) Les avis juridiques émis par des spécialistes religieux

(au pluriel)

Fatwâ (fatâwâ) L’avis juridique émis par des spécialistes religieux (au

singulier)

Fitna La division entre les musulmans, initialement compris

comme celle entre les sunnites et les chiites

Furoû’ Les principes secondaires

Hadîth (ahâdîth) Les communications orales qui expriment les actes et

paroles du Prophète Mohammed et ceux que ce dernier a approuvés parmi ses Compagnons (au singulier)

Hâj Le pèlerinage religieux à faire obligatoirement une fois

pour le musulman qui en a les moyens

Halaqât Les cercles d’études religieuses

Halâl Ce qui est permis en islam, licite

Harâm Ce qui est interdit en islam, illicite

Hijâb Le voile qui couvre les cheveux (aussi le principe de

porter des vêtements modestes)

Hisba Le principe islamique désignant le devoir de

promouvoir la vertu et de prévenir le vice

Hizbiyya La partisannerie

Hudoûd Les sanctions pénales religieuses

Imâm (aima) Le guide spiritual religieux

Îmâne La foi

Isnad La chaîne des transmetteurs des ahâdîth

Istislah L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques, soit l’intérêt commun

Janna Le paradis

Jihâd fî sabîllilâh La lutte armée dans le chemin de Dieu

Jiziyya La taxe ou le tribut de protection

Joumou’a Le vendredi

Kalam L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques religieuses, soit la parole

Khuttab Écoles coraniques (au pluriel)

Khalaf Le successeur

Kuffar Les mécréants (au pluriel)

Matn Le contenu des ahâdîth

(9)

viii

Madhâhib (madhab) Les écoles islamiques de pensée juridique (au pluriel)

Maslaha L’une des méthodes d’interprétation des sources

juridiques, soit le bien-être public

Minhâj La méthode d’interprétation des sources religieuses

Minhâj salafî La méthode d’interprétation salafiste des sources

religieuses

Muftî Le jurisconsulte

Mujâhidîn Le combattant engagé dans le jihâd fî sabîllilâh

Mu’âmalat Les prescriptions et pratiques sociales en islam

Muttâwa’a La police religieuse en Arabie saoudite

Oumma La communauté islamique

Qîyâs Les raisonnements analogiques comme méthode

d’interprétation en islam

Ribâ Le prêt usurier interdit en islam

Salaf L’ancêtre, le prédécesseur

Salafiyya Le salafisme

Salaf al-salîh Les pieux prédécesseurs

Salât La prière

Sunna La tradition

Tablighi L’un des mouvements islamiques fondamentalistes

Tâbi’ al-tâbi’în La deuxième génération qui suit les Compagnons du

Prophète (troisième génération de musulmans)

Takbîr La magnification de Dieu

Takfîr Le principe d’excommunication

Taqlîd L’imitation de la pratique religieuse des ancêtres

Tarbiyya L’éducation

Tawhîd Le principe d’unicité de Dieu

Tazkiyya La purification de soi

Thawra La révolution

Usoûl al-fiqh Les sources, les connaissances du droit islamique

Walî al-amr L’obéissance à celui qui détient l’autorité

(10)

ix

LISTE DES ABRÉVIATIONS

ANC Assemblée nationale constituante

ARP Assemblée des représentants du peuple

AST Ansâr al-Charî’a en Tunisie

CPR Congrès pour la République

Ettakatol Forum démocratique pour le travail et les libertés

FTAI Front tunisien des associations islamiques

ISIE Instance supérieure indépendante pour les élections

MENA Afrique du Nord et Moyen-Orient

ONG Organisation non-gouvernementale

OTAN Organisation du traité de l’Atlantique nord

(11)

x

DÉDICACE

Le fruit de ce travail de longue haleine, je le dédie d’abord et avant tout à mon grand cœur d’amour qui, j’espère, est très fière de son petit rayon de soleil.

Je le dédie également à toutes ces personnes qui désirent changer le monde, un pas à la fois. À toutes ces personnes qui parfois doutent d’elles-mêmes, mais dont la soif de connaissances et la volonté de contribuer à un monde meilleur ne cessent de se tarir.

À nous tous, puissions-nous ne jamais oublier ces quelques mots… « S’instruire sans agir, c’est labourer sans semer. »

(12)

xi

REMERCIEMENTS

La rédaction est un exercice trop souvent solitaire, mais dont l’aboutissement ne peut se concrétiser sans l’apport remarquable de plusieurs collaborateurs. L’accomplissement de ce mémoire n’y fait nullement exception.

Je tiens à remercier de tout cœur mon oncle Khémaïs Zouaghi qui s’est révélé d’une précieuse aide en sachant me préparer avec intelligence aux entrevues que j’allais mener, mais aussi en m’indiquant comment aborder les députés.

Je dois également remercier chaleureusement Salah Mtiraoui sans qui je n’aurais pas eu les accès privilégiés qui représentent l’apport significatif de ce mémoire à la littérature sur le salafisme tunisien.

Un merci tout particulier à mon directeur de recherche qui a su me donner la chance d’accomplir une recherche de terrain et de partager les fruits de mon dur labeur auprès de pairs, ainsi qu’à ma co-directrice dont les précieux commentaires ont su enrichir et bonifier grandement la qualité de ce mémoire.

Je dois également remercier ma famille qui m’a grandement supporté tout au long de ce fastidieux parcours de rédaction.

Enfin, je tiens à remercier mon ange gardien qui m’a fourni d’inestimables conseils et qui m’a sans cesse encouragé à persévérer et à compléter ce mémoire.

(13)

1

CHAPITRE INTRODUCTIF

L’immolation du vendeur ambulant de fruits, Mohammed Bouazizi, à Sidi Bouzid le 10 décembre 2010, a suscité une vague d’indignations au sein de la population tunisienne. S’ensuivirent dès lors des manifestations et une séquence d’événements d’une ampleur inégalée1 depuis la révolte du pain de 1984 et la saga de la révolte du bassin minier de Gafsa en 2008, révolte concentrée précisément sur cette ville2. Si les soulèvements populaires touchèrent en premier la Tunisie, ils se répandirent rapidement à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient : de l’Égypte au Bahreïn, en passant par la Syrie et le Yémen, ils ont fortement déstabilisé des régimes à la légitimité en réalité vacillante3. Fragilisant ces régimes longtemps perçus comme solides, le printemps arabe a fait la démonstration de la frustration populaire accumulée par des indicateurs économiques peu réjouissants, d’une corruption rampante à tous les échelons de la société et du désespoir de ne pouvoir accéder à de meilleures conditions de vie, assortis par de nombreux cas de violations de droits et libertés civiles, politiques et socio-économiques4.

1 Pour une chronologie des événements, voir : Fethi BELAID, « Chronologie : les 30 jours qui ont fait basculer

la Tunisie », Le Parisien, [En ligne], 15 janvier 2011, http://www.leparisien.fr/crise-tunisie/chronologie-les-30-jours-qui-ont-fait-basculer-la-tunisie-14-01-2011-1227217.php, (Page consultée le 28 juin 2017).

2 Le 5 janvier 2008 à Redeyef, les résultats du concours d’embauche à la Compagne des phosphates de Gafsa

(CPG), principal employeur de la région, furent dévoilés et aussitôt dénoncés par les habitants locaux. Ils ont été qualifiés comme frauduleux, puisque certains accords pris entre l’entreprise et les syndicats n’ont pas été respectés et que de forts soupçons de corruption sur l’octroi d’emploi à certains individus demeuraient. Les protagonistes, particulièrement des diplômés chômeurs, mais aussi des mères de familles, des adolescents, des militants syndicaux, des étudiants, des professeurs, désiraient dénoncer l’autoritarisme du régime. Les répliques de ce dernier ont été impitoyables : trois décès et des centaines d’arrestation de manifestants et de leaders syndicaux, assorties de condamnations de lourdes peines de prison ferme. Voir à ce sujet : Amr AL-MISRI, « 5 janvier 2008 : révolte du bassin minier de Gafsa en Tunisie », Divergens, [En ligne], 2008, http://diversgens.com/revolte-bassin-minier-gafsa-tunisie, (Page consultée le 28 juin 2017); Larbi CHOUIKHA et Vincent GEISSER, « Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinq leçons politiques d’un conflit social inédit », Année Maghreb, 6, 2010, pp. 415‑426; Béatrice GURREY, « Retour à Redeyef, creuset de la révolution tunisienne », Le Monde, [En ligne], 4 mars 2011, http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/03/04/retour-a-redeyef-creuset-de-la-revolution-tunisienne_1488163_1477893.html, (Page consultée le 28 juin 2017).

3 Pour une chronologie globale des événements, voir : Hélène SALLON, « Chronologie des « printemps

arabes » », Le Monde, [En ligne], 13 janvier 2014,

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/01/13/chronologie-des-printemps-arabes_4347112_3218.html, (Page consultée le 28 juin 2017).

4 Emma C. MURPHY, « Under the Emperor’s Neoliberal Clothes! Why the International Financial Institutions

Got it Wrong in Tunisia » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution : Contexts,

(14)

2

Si certains dirigeants consentirent à la mise en place de réformes pour satisfaire un tant soit peu les revendications des manifestants et demeurer au pouvoir, à l’instar du roi Mohammed VI qui a promis des réformes constitutionnelles5 ou le président algérien Bouteflika qui a annoncé une réforme constitutionnelle le 15 avril 20116, d’autres recoururent à la répression violente tel le Bahreïn, ayant reçu l’aide des forces saoudiennes et émiraties pour mater la révolte7.

Dans d’autres situations, les dirigeants ont dû quitter la tête de l’État comme le président tunisien Zine Al-Abidine Ben Ali ayant pris la fuite vers l’Arabie saoudite le 14 janvier 2011, au plus grand étonnement de son gouvernement et du peuple8. En Égypte, après avoir promis de réformer la constitution et de ne pas se présenter aux prochaines élections tout en réprimant les manifestants, Hosni Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février 20119. Au Yémen, le président Ali Abdallah Saleh a cédé les rênes du pouvoir à Abdel Rabbo Mansour le 27 février 2012 après de violentes manifestations des rebelles houthis10. Après l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui soutenait les rebelles libyens, Qaddhafi a pris la fuite et a été assassiné par ces derniers11.

5 Till BRUCKNER, « Sept mythes sur la démocratie au Maroc », Huffington Post, [En ligne], 7 octobre 2015,

http://www.huffingtonpost.fr/till-bruckner/democratie-maroc-mythes_b_7720852.html, (Page consultée le 28 juin 2017).

6 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Algérie : Bouteflika va réviser la Constitution pour renforcer

la démocratie », Le Monde, [En ligne], 15 avril 2011,

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/04/15/algerie-le-president-bouteflika-pret-a-annoncer-des-decisions-importantes_1508461_3212.html, (Page consultée le 28 juin 2017).

7 ASSOCIATED PRESS IN MANAMA, « Bahrain’s Young People Mark Fifth Anniversary of Arab Spring »,

The Guardian, [En ligne], 14 février 2016,

https://www.theguardian.com/world/2016/feb/14/bahrains-young-people-mark-fifth-anniversary-arab-spring, (Page consultée le 28 juin 2017).

8 Pour une chronologie des événements, voir entre autres : Abdelaziz BELKHODJA et Tarak

CHEIKROUHOU, 14 janvier : L’enquête, 3ème édition, Tunis, Apollonia, 2013, 191 p.; Yadh BEN ACHOUR, Tunisie. Une révolution en pays d’islam, Tunis, Cérès Éditions, 2016, 387 p.

9 AL JAZEERA & AGENCIES, « Hosni Mubarak Resigns as President », Al Jazeera, [En ligne], 11 février

2011, http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/02/201121125158705862.html (Page consultée le 29 juin 2017).

10 L’ESSENTIEL & AGENCE FRANCE PRESSE, « Saleh quitte le pouvoir après 33 ans de règne »,

L’Essentiel, [En ligne], 27 février 2012

http://www.lessentiel.lu/fr/news/monde/story/Saleh-quitte-le-pouvoir-apr--s-33-ans-de-r--gne-31364181, (Page consultée le 29 juin 2017).

11 LIBÉRATION, « La Libye célèbre la mort du colonel Kadhafi », Libération, [En ligne], 20 octobre 2011,

http://www.liberation.fr/planete/2011/10/20/la-libye-celebre-la-mort-du-colonel-kadhafi_769291, (Page

(15)

3

Bien que des épisodes violents plus ou moins longs aient semé le parcours de la transition de certains États, notamment de l’Égypte12, de la Libye13 et du Yémen14, la Tunisie a semblé à

l’abri d’une telle situation chaotique. Cependant, un événement particulier a suscité de vives appréhensions de la part d’observateurs locaux et internationaux sur un phénomène encore méconnu en Tunisie : l’attaque de l’ambassade et d’une école états-uniennes à Tunis le 12 septembre 201115. Survenue à la suite de la diffusion d’une bande-annonce du « film » L’innocence des musulmans16 représentant le Prophète Mohammed et tenant des propos peu flatteurs à l’égard de l’islam, cette attaque a permis de mettre l’éclairage sur de « nouveaux acteurs » qui ont été à l’origine de cet élan de violence : les salafistes tunisiens.

Le peu d’écrits et de couverture médiatique en Tunisie sur le phénomène salafiste ont donné l’impression que ce courant a été importé après le printemps arabe par des pays du Golfe reconnus pour leur financement d’activités religieuses relevant de cette tendance, soit l’Arabie saoudite et le Qatar. Le salafisme paraissait un intrus dans l’équation de la thawra (révolution), particulièrement parce que le fer-de-lance de la révolution était représenté par la jeunesse laïque17 et le syndicat de l’Union générale tunisienne des travailleurs18 (UGTT). La répression de la liberté religieuse et le processus de sécularisation des institutions publiques menées par Bourguiba et poursuivies par son successeur Ben Ali portaient à croire

12 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Violences en Egypte: la fin de la transition démocratique? »,

Radio France Internationale - Afrique, [En ligne], 16 août 2013,

http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130816-violences-egypte-fin-transition-democratique-mohamed-el-baradei, (Page consultée le 29 juin 2017).

13 Ximena SAMPSON, « 5 questions pour comprendre les violences en Libye », Radio-Canada, [En ligne], 1

août 2014, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/678371/libye-affrontements-violence-milices-analyse-enjeux-zahar, (Page consultée le 29 juin 2017).

14 Hélène SALLON, « Les défis de la transition politique au Yémen », Le Monde, [En ligne] 21 février 2012,

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/02/21/les-defis-de-la-transition-politique-au-yemen_1646503_3218.html, (Page consultée le 29 juin 2017).

15 Lilia WESTLATY, « Attaque de l’ambassade américaine à Tunis : Quatre morts, zéro responsable », Nawaat,

[En ligne], 2012, http://nawaat.org/portail/2012/09/26/attaque-de-lambassade-us-a-tunis-quatre-morts-zero-responsable (Page consultée le 28 juin 2017).

16 Corentin CHAUVEL, « «L’Innocence des musulmans» : le film qui n’existait pas », 20 minutes, [En ligne],

21 septembre 2012, http://www.20minutes.fr/monde/1008013-20120921-l-innocence-musulmans-film-existait (Page consultée le 29 juin 2017).

17 Tarek KAHLAOUI, « The Powers of Social Media » dans Nouri GANA (sous la direction de), The Making

of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp.

147‑158.

18 Sami ZEMNI, « From Socio-Economic Protest to National Revolt : The Labor Origins of the Tunisian

Revolution » dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, pp. 127‑146.

(16)

4

que la population tunisienne avait accepté la modernité telle que véhiculée et promue par l’Occident et avait relégué la religion comme une simple pratique relevant de la tradition. L’étude ethnographique d’Haugbølle19 persuade du contraire. Cette stratégie, synonyme de

mise sous tutelle des institutions religieuses20 ou d’étatisation de l’islam, a plutôt eu comme conséquence une transformation et une adaptation de la pratique religieuse dans la sphère privée21. L’islam demeure ainsi un élément fondamental et au cœur de l’identité de nombreux Tunisiens.

Néanmoins, la littérature mentionne des éléments tunisiens dits « salafistes jihadistes » dès les années 1980 et plus spécifiquement dans le cadre de la lutte contre l’envahisseur soviétique en Afghanistan22 et de l’assassinat du Général afghan Massoud en 200123. Si certains pourraient de prime abord pointer le fait que ce sont des Tunisiens de la diaspora qui ont participé à ces manœuvres à l’étranger, il semble important de se remémorer les attentats survenus sur le territoire tunisien : celui de la synagogue El Ghriba à Djerba en 200224 et l’affaire de Grombalia et de Solimane en 2006-200725. Le milieu académique ne semble pas

s’intéresser à l’expansion du salafisme en Tunisie; le premier très court billet de blogue produit par un universitaire date de 201126. Quoiqu’il en soit, la société tunisienne réalise qu’elle contient en elle les germes insoupçonnés d’une tendance orthodoxe qui multiplie, aux lendemains du printemps arabe, les manifestations publiques.

19 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, « New Expressions of Islam in Tunisia : an Ethnographic Approach », The

Journal of North African Studies, 30 (3), 2015, pp. 319-335.

20 Malika ZEGHAL, « État et marché des biens religieux. Les voies égyptienne et tunisienne », Critique

internationale, 5 (1), 1999, pp. 75-95.

21 Rikke Hostrup HAUGBØLLE, op. cit., p. 321.

22 Hakim BEN HAMMOUDA, « Le choix des armes a-t-il un avenir en Tunisie (1) ? », Réalités, [En ligne], 24

janvier 2013,

http://www.realites.com.tn/2013/01/un-autre-regard-le-choix-des-armes-a-t-il-un-avenir-en-tunisie-1/, (Page consultée le 29 juin 2017).

23 Jean-Pierre STROOBANTS, « Vie et mort des assassins de Massoud », Le Monde, [En ligne], 19 avril 2005,

http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/04/19/vie-et-mort-des-assassins-de-massoud_640563_3208.html, (Page consultée le 29 juin 2017).

24 ÉQUIPE DE PERSPECTIVES MONDE, « Attentat terroriste en Tunisie », Perspectives Monde, [En ligne],

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=922>, (Page consultée le 29 juin 2017).

25 Seif SOUDANI, « Tunisie. Un documentaire sur l’affaire de Soliman fait polémique », Le courrier de l’Atlas,

[En ligne], 9 mai 2012, http://www.lecourrierdelatlas.com/tunisie-un-documentaire-sur-l-affaire-de-soliman-fait-polemique--2607, (Page consultée le 29 juin 2017).

26 Aaron Y. ZELIN, « The Rise of Salafists in Tunisia After the Fall of Ben Ali », Combating Terrorism Center,

[En ligne], 2011, https://ctc.usma.edu/posts/the-rise-of-salafists-in-tunisia-after-the-fall-of-ben-ali, (Page consultée le 28 juin 2017).

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L’expansion du salafisme en Tunisie paraît, au regard de la transition démocratique enclenchée après la fuite de Ben Ali, un enjeu socio-politique très intéressant et important à analyser. En effet, les idées véhiculées, de même que les actions posées, par le courant salafistes semblent par nature antidémocratiques et antilibérales, alors qu’elles prennent place dans un contexte de demandes généralisées de renforcement de la démocratie et des droits et libertés27. Cette prise de position et les actions menées par ces acteurs ont influencé, voire ont menacé, le processus transitionnel constitutionnel qui est de nature démocratique. De plus, l’ancrage du salafisme semble bien prendre racine au sein d’une tranche défavorisée et marginalisée de la population, à la fois dans des quartiers populaires des villes, mais aussi dans les régions intérieures où les disparités économiques font rage28. Le salafisme attire plus particulièrement les jeunes, paraissant ainsi leur offrir une « raison de vivre » et un moyen respectable d’élever d’échelon social grâce à ce processus qualifié de « sheikh-ism » par Cavatorta et Merone29. D’ailleurs, les élites tunisoises et la gauche laïque semblent perplexes et étonnées face à ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur30, alors qu’elles sont

déjà désemparées par la victoire du parti islamiste Ennahda aux premières élections démocratiques de la Tunisie. Ayant remporté 89 sièges sur les 217 mises en jeu à l’Assemblée nationale constituante (ANC)31, Ennahda est devenu la première force politique dans le pays

et a formé un gouvernement de coalition, la Troïka, avec le Congrès pour la République (CPR) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), détenant respectivement 29 et 20 sièges. Il s’agit dès lors de la première occasion pour des salafistes

27 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « The Rise of Salafism and the Future of Democratiation »

dans Nouri GANA (dir.), The Making of the Tunisian Revolution. Contexts, Architects, Prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, p. 252.

28 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam »,

British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, pp. 74-87.

29 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian

Democratic Transition », Middle East Law and Governance, 5 (3), 2013, pp. 308-330.

30 Zied KRICHEN, « Le mouvement Ennahda à l’épreuve du processus constituant, de la consécration de la

Charia à la liberté de conscience » dans La constitution tunisienne. Processus, principes et perspectives, Programme des Nations unies pour le développement, 2016, 183‑198.

31 CARTER CENTER. Les élections de l’Assemblée constituante en Tunisie. Le 23 octobre 2011, Atlanta, [En

ligne],

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d’interagir dans un environnement où les droits et libertés sont rétablis et où un parti islamiste, en l’occurrence Ennahda, est au pouvoir.

Cette situation paraît d’autant plus extraordinaire qu’elle émerge dans une période de transition où la principale mission de l’ANC consistait en la rédaction d’une nouvelle constitution remplaçant celle promulguée le 1er juin 1959. Généralement, ce processus constitutionnel demeure exclusivement entre les mains des représentants élus au sein d’une assemblée constituante. Cependant, une certaine forme de participation citoyenne peut survenir, par l’entremise d’un référendum populaire, une fois que le projet constitutionnel est complété. En Tunisie, la société civile, incluant les salafistes, a été interpellée à plusieurs reprises au cours de ce processus. Il est alors intéressant d’analyser si et comment la présence salafiste a pu influencer l’élaboration de cette constitution.

Le présent mémoire tentera de faire la lumière sur cet enjeu. Il se décline en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les assises théoriques sur lesquelles repose la présente recherche. La manière dont les chercheurs ont traité du processus de démocratisation au prisme de la transitologie, discipline popularisée au cours de la fin du XXème siècle, sera abordé en soulignant la pertinence de transposer les constats sur la négociation et le compromis entre les acteurs significatifs dans le contexte de la transition démocratique tunisienne. La question de recherche et les hypothèses sont ensuite formulées afin d’aboutir à la présentation de la méthodologie employée en faisant la mention limites de la recherche. Dans le deuxième chapitre, il est identifié les origines de ce courant et il est procédé à sa définition à travers la production scientifique. Ce chapitre aborde aussi de manière générale l’objectif de salafisation de l’État et de la société entretenu par les adhérents de ce courant et la façon dont ils entendent y parvenir grâce à la méthode d’interprétation salafiste, le minhâj salafî, et à une pratique guidée par trois concepts-clés, al-walâ wal-barâ (loyal et désaveu), al-amr bil-ma’rûf wa al-nahî ‘an al-munkar (promouvoir la vertu et prévenir le vice) et le takfîr (excommunication). La catégorisation traditionnelle des salafistes utilisée dans la recherche y est également présentée.

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Dans le troisième chapitre, il est expliqué que les salafistes ont voulu jouer un rôle dans le processus transitionnel tunisien après avoir été libérés de prison ou de retour d’exil. Ils ont employé à cet effet deux stratégies de salafisation. Il est analysé également le mouvement salafiste tunisien postrévolutionnaire en mettant l’accent sur l’hétérogénéité des groupes, les divergences quant à la reconnaissance juridique, l’emploi du label salafiste comme processus de légitimation, l’absence de hiérarchie formelle, la mosquée comme lieu de rencontre et l’adoption de programmes généraux et de l’absence de représentation politique. Enfin, il est décortiqué les discours des salafistes tunisiens sur le plan des objectifs communs et des stratégies divergentes. S’ils s’accordaient sur l’importance de la création d’un État et d’une société islamiques en Tunisie qui débuterait par l’insertion de la charî’a (loi islamique) dans la constitution tunisienne, s’alliant ainsi une clientèle sociale et politique ultra-conservatrice, ils entretenaient quelques différends quant à la position à tenir par rapport au recours à la violence, à l’emploi de la da’wa (prédication) et de l’implication politique.

Dans le dernier chapitre, il est traité des actions des salafistes dans le cadre du processus constitutionnel tunisien. Il est souligné l’absence d’actions politiques structurantes des salafistes tunisiens, bien qu’ils aient occupé la sphère publique notamment par une politique de la rue grâce aux manifestations publiques, aux rassemblements politiques, et aux actions sociales et religieuses qui ont été instrumentalisées à des fins politiques. Les salafistes ont également tenté une timide intégration dans les instances participatives de l’Assemblée nationale constituante et ont concentré leurs efforts de lobbying auprès d’Ennahda. Dans ce chapitre, il est aussi analysé la distanciation entreprise par les salafistes après le refus d’Ennahda d’inscrire la charî’a dans la nouvelle constitution et leur changement de ton et d’actions. Finalement, l’influence exercée par les salafistes dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne est expliquée.

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CHAPITRE 1 - PRÉSENTATION DU PROJET DE RECHERCHE

Le présent chapitre pose les jalons théoriques du projet de recherche qui permettront au lecteur de se familiariser avec la façon dont les chercheurs en science politique ont abordé le sujet du processus démocratique au cours du XXème siècle. Si les études ont permis de constater l’importance cruciale de la négociation entre les factions les plus significatives au sein d’une société pour assurer la réussite d’une transition démocratique, elles ont négligé de transposer les constats qui ont émergé dans la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord (MENA). La présente recherche se distingue par sa pertinence à appliquer ces grilles d’analyse au contexte tunisien au lendemain de la révolution du jasmin. La particularité de la concentration de la recherche sur les acteurs salafistes tunisiens sera explicitée, de même que la question de recherche et l’hypothèse suivie seront formulées. Le chapitre se conclura par la description de la méthodologie employée et la mention des limites de la recherche.

La transitologie et le « printemps arabe », une conciliation possible ?

Le long processus de démocratisation mené au cours des XIXème et XXème siècles à travers de nombreux continents, a suscité beaucoup d’intérêt de la part de chercheurs et d’analystes politiques. Le processus de démocratisation est généralement dépeint en trois vagues successives illustrées par Samuel Huntington32. La première s’étend de 1828 à 1926 et touche principalement l’Europe occidentale, les États-Unis, le Canada et l’Australie. La deuxième vise encore une fois l’Europe, certains pays d’Asie et d’autres issus de la décolonisation au cours de 1943 à 1962. Le dernier volet prend place de 1974 à la fin des années 90 ou début des années 2000 et concerne le Portugal, l’Espagne, la Grèce, l’Amérique latine et certains pays d’Afrique. À travers ces trois vagues, la seconde moitié du XXème siècle, période forte de la décolonisation et de l’émergence du droit des peuples à l’autodétermination, s’est présentée comme la période de l’accélération de la démocratisation. L’expansion du modèle

32 Samuel P. HUNTINGTON, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, Norman,

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démocratique libérale par le choix d’un régime démocratique lors de l’accès à l’indépendance ou par le passage de régimes autoritaires à des régimes démocratiques a été l’objet de l’analyse de Fukuyama qui estimait que la voie vers la démocratisation s’effectuait de façon linéaire et devrait représenter un aboutissement inévitable33.

Cependant, cette théorie n’est pas partagée par l’ensemble des chercheurs. Comme cela sera vu ci-dessous, ces derniers mettent plutôt l’accent sur la nécessité de la présence de certains paramètres qui favorisent la négociation et le compromis. Ces chercheurs essaient de comprendre comment se définit et se structure le passage de régimes autoritaires à des régimes démocratiques. Ils donnent ainsi essor à la « transitologie », l’étude des transitions, qui devient un thème incontournable de la science politique plus particulièrement au courant des années 1990.

Les chercheurs estiment que des paramètres viennent structurer le chemin vers un régime démocratique. Ils tentent donc de comprendre les causes initiant un tel processus et les facteurs internes et externes qui facilitent ou qui entravent une telle transition. Ils s’interrogent sur les événements qui ont amené les élites au pouvoir à entériner un changement qui met en péril leurs acquis notamment économiques et politiques. Les auteurs tels qu’O’Donnell et Schmitter, deux pionniers des théories de la démocratisation, attribuent ce choix à la théorie de l’agent selon laquelle les acteurs, dotés d’une raison pratique, prennent des décisions raisonnables qui représentent les meilleurs choix possibles au regard des circonstances qui les entourent, le tout dans une perspective de dialectique entre les dirigeants en faveur du statu quo, les duros, et les opposants qui désirent un changement de préférence démocratique, les blandos34.

L’ensemble des auteurs semble être en accord avec l’idée avancée par O’Donnell et Schmitter selon laquelle ces transitions sont initiées par une crise de légitimité du régime autoritaire. Cette crise, relevant essentiellement d’un conflit, nécessite que les duros réévaluent la

33 Francis FUKUYAMA, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992, 452 p.

34 Guillermo A. O’DONNELL, « Democracy, Law, and Comparative Politics », Studies in Comparative

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situation politique au regard de l’importance économique, politique et sociale des blandos35. Selon Haggard et Kaufman, un tel conflit peut notamment survenir lors de problèmes d’ordre économique qui dégradent les conditions de vie des citoyens, créant dès lors une situation propice à la gronde sociale. Ils précisent d’ailleurs que l’apogée de ces crises de légitimité survient généralement lors d’une crise économique36.

Comment les duros négocient-ils avec les blandos ? En poursuivant la logique de l’acteur rationnel avancée par O’Donnell, les duros effectuent conséquemment un calcul des coûts et bénéfices de différents paramètres. Haggard et Kaufman37 identifient les considérations économiques qui influenceraient la prise de décision des dirigeants. Selon eux, plus grande est la disparité dans la redistribution de la richesse nationale dans la société, plus les élites au pouvoir craignent la transition vers la démocratie qui mettrait en péril leur emprise économique. Cela a pour effet que les incitatifs à réprimer les contestataires sont plus élevés que ceux à négocier38. Pour Pusić, ce sont les considérations d’ordre politique qui priment sur la décision d’entreprendre une transition vers des élections démocratiques, libres, transparentes et pluralistes. La démocratie, motivée par l’incertitude de l’accès au pouvoir, représente la meilleure issue à la fois pour les duros, dont la légitimité au pouvoir est vacillante, et les blandos39. Cette incertitude et cette insécurité du pouvoir devraient créer un espace pour les libertés individuelles et civiles, permettant à tous de se concurrencer ouvertement et d’avoir une garantie provisoire de détenir le pouvoir pour une période limitée40. La réussite d’une transition n’est donc possible, selon Rustow, que dans les pays où prévalent des conditions favorables à la conclusion d'un pacte politique entre les duros et

35 Guillermo A. O’DONNELL et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative

Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p.

36 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN., Political Economy of Democratic Transitions, Princeton,

Princeton University Press, 1995, 391 p.

37 Stephan HAGGARD et Robert R. KAUFMAN, « Inequality and Regime Change : Democratic Transitions

and the Stability of Democratic Rule », American Political Science Review, 106 (3), 2012, pp. 495-516.

38 Ibid., p. 495.

39 Vesna PUSIĆ, « La dictature à légitimité démocratique. Démocratie ou nation? », Cahiers internationaux

de sociologie, Les sociétés post-totalitaires, Tome 1 : Paradoxes de la transition, 95, 1993, pp. 369–388.

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les blandos41, à savoir une certaine forme de balance des pouvoirs à l’image de la théorie sur la polyarchie de Dahl42.

Les études précitées négligent, dans le choix de leurs études de cas, la zone du MENA. Cette négligence s’expliquerait par le fait que les régimes de l’époque avaient échoué sur les rives de l’autoritarisme. Huntington et Lewis justifient cette mise au rancart par le fait que l’islam, par nature, serait incompatible avec l’esprit de la démocratie libérale, les valeurs islamiques entrant en conflit direct avec celles des droits et libertés individuels43. Cette prise de position de l’exception arabe, qualifiée de néo-orientalisme, est vivement décriée par Khalidi44. En

accordant une place prépondérante à la question religieuse, spécifiquement islamique, la région du MENA n’est pas évaluée selon des paramètres similaires à ceux employés pour les autres régions. S’ensuivent dès lors des débats et une remise en question de l’exceptionnalisme arabe45.

Pourtant, les récents soulèvements du printemps arabe ont ravivé l’intérêt des chercheurs pour la transitologie, bien que certains affirment que ce paradigme n’est plus d’actualité. Le modèle employé devrait plutôt être celui de la résilience autoritaire ou upgraded authoritarism de Valbjørn et Bank46, car si les régimes ont semblé s’ouvrir à la démocratie

en favorisant par exemple l’essor d’organisations non-gouvernementales (ONG), ces simili ouvertures ont plutôt renforcé le pouvoir autoritaire entre autres par la cooptation de ces ONG par les gouvernements (government-organized non-governmental organization). Ce concept, répandu au cours des années 2000, inverse donc l’analyse. Il s’agit d’observer plutôt les

41 Dankwart A. RUSTOW, « Transitions to Democracy : Toward a Dynamic Model », Comparative Politics, 2

(3), 1970, pp. 337-363.

42 Robert Alan DAHL, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971,

257 p.

43 Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000, 545 p.

44 Rashid KHALIDI, « Is There a Future for Middle East Studies? », Middle East Studies Association Bulletin,

29 (1), 1995, pp. 1-6.

45 Simon BROMLEY, « Middle East Exceptionalism : Myth or Reality » dans Democratization, David

POTTER et Open University (édité par), Democracy from classical times to the present, Cambridge, Blackwell Publishers, 2000.

46 Morten VALBJØRN et André BANK, « Examining the ‘Post’ in Post-Democratization : The Future of

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mécanismes sous-jacents au régime autoritaire qui permettent sa survie47. Le pouvoir

autoritaire est alors reconfiguré au lieu d’être libéralisé, ce qui n’exclut pas toutefois la possibilité du réveil de la société civile48. Le printemps arabe constitue une ouverture de régimes autoritaires à la démocratie qui a mené certains États comme l’Égypte vers un retour à l’autoritarisme, alors que d’autres comme la Tunisie se sont démocratisés. Cavatorta et Pace49 soulignent qu’il serait absurde en réalité d’observer ces soulèvements populaires à travers la lentille exclusive des deux principaux paradigmes, à savoir le modèle de démocratisation et de transition représenté principalement par O’Donnell et Schmitter50 et le modèle de la résilience autoritaire de Valbjørn et Bank51. Ils avancent qu’il est préférable de considérer un entre-deux plutôt que de se limiter à une interprétation rigoriste et exclusive de ces deux paradigmes.

Quoiqu’il en soit, au moins un auteur, Hinnebusch, a cherché à appliquer les théories développées dans le cadre de la transitologie en analysant la manière dont les élites au pouvoir ont réagi face aux manifestations monstres que leur État rencontrait durant le printemps arabe. Il compare les situations évolutives et distinctes de l’Égypte, de la Syrie et de la Tunisie en observant les différents acteurs impliqués dans ce processus. Il étudie les différentes variables qui ont eu un impact sur les négociations et il en vient à la conclusion que les États présentaient des caractéristiques qui les destinaient à trois issues possibles : l’État failli (Syrie), le régime hybride (Égypte) ou la polyarchie (Tunisie)52.

D’autres auteurs se sont penchés sur l’aspect religieux des acteurs parmi lesquels se retrouvent des islamistes. Ils soulignent qu’une polarisation a été créée entre les vainqueurs islamistes des élections, notamment en Égypte et en Tunisie, et l’opposition essentiellement

47 Michelle PACE et Francesco CAVATORTA, « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An

Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2), 2012, p. 127.

48 Ibid., p. 128.

49 Id., « The Arab Uprisings in Theoretical Perspective – An Introduction », Mediterranean Politics, 17 (2),

2012, pp. 125-138.

50 , Guillermo A. O’DONNEL. et Philippe C. SCHMITTER, Transitions from Authoritarian Rule. Tentative

Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, 190 p.

51 Morten VALBJØRN et André BANK, op. cit.

52 Raymond HINNEBUSCH, « Conclusion : Agency, Context and Emergent Post-Uprising Regimes »,

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laïque. La question de la coexistence entre la démocratie et la religion a été abordée dans l’article de Stepan sur les « twin tolerations » : les deux domaines doivent être relativement différenciés et indépendants l’un de l’autre pour pouvoir coexister53. Stepan et Linz

approfondissent cette théorie en comparant la situation de l’Égypte et de la Tunisie. Selon eux, la question de l’identité et de la religion représentait un obstacle pour conduire à un consensus entre les élites islamistes et celles laïques. Le cas de la Tunisie se révélerait comme une réussite parce que la démocratie était une demande partagée à la fois par les islamistes nahdaouis et par les partis laïcs qui ont maintenu un dialogue entre autres grâce au pacte du 18 octobre 200554. De nombreux articles ont plus particulièrement traité d’Ennahda et de son processus de modération au cours de la transition tunisienne. Par exemple, Guazzone s’est intéressée spécifiquement à ce processus de modération et son comportement pragmatique en ayant formé le gouvernement55. Haugbølle et Cavatorta se sont concentrés sur les transformations internes du parti islamiste, s’adaptant au contexte dynamique de la transition tunisienne56. Les impacts de la recherche du consensus sur les valeurs islamiques promues par Ennahda a fait l’objet d’études de Bedig57.

Quant à la société civile, représentée par diverses associations professionnelles, syndicales et militantes pour les droits humains, et aux partis politiques laïcs formant l’opposition, Stepan et Linz soulignent qu’ils n’ont cessé de se développer et de réagir aux actions du

53 Alfred C. STEPAN, « Religion, Democracy, and the “Twin Tolerations” », Journal of Democracy, 11 (4),

2000, pp. 37-57.

54 Le Pacte du 18 octobre 2005 représentait l’alliance entre les laïcs et les islamistes contre le pouvoir répressif

de Ben Ali. Ils ont exigé ensemble le rétablissement de droits et libertés individuels, notamment la liberté d’expression et d’association. Synda TAJINE, « Pacte du 18-Octobre : la hache de guerre déterrée entre islamistes et laïcs », Businessnews, [En ligne], 17 octobre 2013, http://www.businessnews.com.tn/pacte-du-18-octobre--la-hae-de-guerre-deterree-entre-islamistes-et-laics,519,41569,3 (Page consultée le 21 décembre 2017); Frida DAHMANI, « Tunisie : le Mouvement du 18 octobre 2005, 10 ans après », Jeune Afrique, [En ligne], 27 octobre 2015, http://www.jeuneafrique.com/274962/politique/tunisie-le-mouvement-du-18-octobre-2005-10-ans-apres (Page consultée le 24 septembre 2017).

55 Laura GUAZZONE, « Ennahda Islamists and the Test of Government in Tunisia », The International

Spectator : Italian Journal of International Affairs, 48 (4), 2013, pp. 30-50.

56 , Rikke Hostrup HAUGBØLLE et Francesco CAVATORTA, « Beyond Ghannouchi : Islamism and Social

Change in Tunisia », Middle East Report, 262, 2012, p. 20-25.

57 Alysha BEDIG, « Ennahda’s Split Personality : Identity Crises in Tunisian Politics », The Fletcher Forum of

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gouvernement d’Ennahda58, ce qui expliquerait en majeure partie sa capacité réactionnelle à

l’encontre des forces jugées ultraconservatrices tels que les salafistes.

L’un des éléments majeurs survenant lors d’une transition démocratique est la révision ou l’élaboration d’une nouvelle constitution, document-clé qui régule le fonctionnement des institutions de base de l’État et qui revêt un caractère supra-législatif. Le processus de rédaction, connu sous le terme de constitution-making, en tant qu’objet d’études a été négligé dans le cadre de la transitologie59. L’importance de ce document fait en sorte que tous les acteurs de la société devraient avoir un intérêt marqué à participer, d’une manière ou d’une autre, au processus d’élaboration. La participation citoyenne et l’inclusion sont deux caractéristiques qui colorent le constitution-making d’aujourd’hui60 parce qu’il ne demeure pas une exclusivité des constituants. Cet engouement entraîne forcément une confrontation des intérêts qui divergent parmi l’ensemble des acteurs impliqués.

Les auteurs sur le constitution-making abondent dans le sens de la théorie de l’acteur rationnel qui cherche à maximiser ses intérêts dans une perspective de redistribution et de balance des pouvoirs entre les factions de duros et de blandos61. Ces intérêts doivent faire l’objet d’un marchandage et de compromis pour qu’un consensus permette l’adoption de la constitution62 et que ces intérêts soient intégrés dans la constitution pour assurer sa stabilité63.

Wandan ajoute sur ce point que les constituants sont tout aussi sensibles aux demandes populaires que les politiciens lors de mandats normaux64.

58 Alfred C. STEPAN et Juan J. LINZ, « Democratization Theory and the “« Arab Spring »” », Journal of

Democracy, 24 (2), 2013, p. 23.

59 David LANDAU, « The Importance of Constitution-Making », Denver University Law Review, 89 (3), 2012,

p. 612.

60 Cheryl SAUNDERS, « Constitution-Making in the 21st Century », International Review of Law, 4, 2012, p.

3.

61 Solongo WANDAN, « Nothing Out of the Ordinary : Constitution Making as Representative Politics »,

Constellations, 22 (1), 2015, pp. 44-58.

62 Jon ELSTER, « Forces and Mechanisms in the Constitution-Making Process », Duke Law Journal, 45(2),

1995, pp. 388-389.

63 BROWN, Nathan J. « Reason, Interest, Rationality, and Passion in Constitution Drafting », Perspectives on

Politics, 6 (4), 2008, p. 676.

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Le relatif intérêt suscité par le constitution-making dans le cadre du printemps arabe a permis la publication de quelques articles scientifiques. Parolin s’est penchée sur les feuilles de route établies lors des transitions en Égypte et en Tunisie. Sa recherche s’inspire des travaux menés par Elster65 sur les forces et les mécanismes impliqués dans le processus de rédaction de constitution et leurs impacts, ainsi que des travaux de Madison66 sur les compromis s’opérant entre les différentes factions en présence : la théorie du Big Bang représente le point de friction entre les factions de Madison et les intérêts d’Elster67. Selon Parolin, ce moment

crucial survient lors du choix d’une carte de route68. C’est à ce moment précis que le rôle

attribué à chaque protagoniste est décidé, de même que la détermination d’un nouveau gouvernement69. Néanmoins, la recherche de Parolin se limite à n’observer que les positions de force des principales figures politiques au regard de la détermination du parcours à effectuer jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution. La feuille de route ne détermine pas les façons dont seront traités les intérêts des différents acteurs, par exemple les anciens membres du Rassemblement démocratique constitutionnel (RCD), d’Ennahda, des partis d’opposition, mais surtout des salafistes, ni les gains et les pertes de chacun70.

Merone, pour sa part, s’est intéressé aux compromis entre l’ancien et le nouveau régime, en l’occurrence les islamistes, en soulignant que la confrontation va beaucoup plus loin qu’un simple conflit idéologique. Selon lui, elle représenterait bel est bien une lutte entre la classe moyenne, libérale, et la classe défavorisée, islamiste et ce, depuis les années 198071.

Traditionnellement, les islamistes représentaient la classe sociale défavorisée, mais Merone avance qu’Ennahda représenterait aujourd’hui essentiellement la classe moyenne plus sensible à l’idéologie islamiste et que le parti islamiste serait ainsi plus enclin à faire des compromis et à accepter une certaine continuité avec le passé pour bénéficier de l’inclusion

65 Jon ELSTER, op. cit.

66 James MADISON, « The Federalist », Daily Advertiser, [En ligne], 1787,

https://archive.csac.history.wisc.edu/Publius_10.pdf (Page consultée le 21 avril 2018).

67 PAROLIN, Gianluca P., « Constitutions Against Revolutions : Political Participation in North Africa »,

British Journal of Middle Eastern Studies, 42 (1), 2015, p. 32.

68 Ibid., p. 33.

69 Ibid., p. 35.

70 Ibid., pp. 43-44.

71 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisian : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

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de la sphère politique au lieu de jouer le jeu de l’exclusion72. Ainsi, la classe sociale

défavorisée se retrouverait sous-représentée et s’orienterait davantage vers des groupes salafistes tels qu’Ansâr al-Charî’a en Tunisie (AST), véritable mouvement social travaillant à la mobilisation des laissés-pour-compte pour un changement profondément radical73.

Sami Zemni a étudié la polarisation de la société entre les personnes laïques et religieuses, présente dès la création de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE) et au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), et a abordé l’impact d’une telle polarisation sur la constitution. Il mentionne que la frange salafiste était sous-représentée au sein de l’ANC et que les politiques institutionnelles étaient régulièrement défiées par différents types de mobilisation. Ces manifestations présentaient une occasion pour divers courants sociétaux, qui étaient connectés de manière marginale à l’arène politique formelle, de faire part de leurs demandes constitutionnelles74.

En définitive, les recherches exposées ci-dessus sont pertinentes comme assises pour le travail proposé, mais elles n’ont pas le même objectif. D’une part, peu de chercheurs se sont intéressés aux salafistes tunisiens, bien que certains articles aient été publiés pendant et après la période transitionnelle. Ces articles traitent des salafistes en essayant de comprendre leur attrait et leur institutionnalisation, alors qu’ils sont qualifiés de marginaux75, leurs impacts

sociaux76, la radicalisation et l’essor du jihadisme77 et se concentrent bien souvent sur un

seul groupe social salafiste, soit d’Ansâr Al-Charî’a en Tunisie (AST)78. D’autre part, la

tangente des articles touchant à la transition politique tunisienne se concentre sur l’évolution

72 Ibid., p. 76.

73 Loc. cit.

74 Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The Process of Constitution

Making », Mediterranean Politics, 20 (1), 2014, p. 3.

75 Fabio MERONE et Francesco CAVATORTA, « Salafist Movement and Sheikh-ism in the Tunisian

Democratic Transition », op. cit.

76 Fabio MERONE, « Enduring Class Struggle in Tunisia : The Fight for Identity beyond Political Islam », op.

cit.

77 Stefano M. TORELLI, « Radicalisation and Jihadist Threat in Tunisia : Internal Root Causes, External

Connections and Possible Responses », Barcelone, European Institute of the Mediterranean, 2017, pp. 109-127.

78 Alaya ALLANI, « Mouvements religieux radicaux pendant la transition. L’exemple d’Ansar Al-Charia en

Tunisie : naissance et expansion. Perspectives 2011-2014 » dans La constitution tunisienne. Processus,

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et l’efficacité de l’action gouvernementale d’Ennahda79. Parolin s’est intéressée au processus

de constitutionnalisation via la détermination d’une feuille de route et les subséquentes stratégies menées par les différents acteurs pour obtenir un avantage sur leurs adversaires sur cette détermination80. La recherche de Merone est très intéressante, mais elle ne se concentre uniquement que sur l’institutionnalisation de ce groupe salafiste, afin de comprendre son modus operandi. Elle ne traite pas à proprement parler de l’influence que les salafistes ont eu ni sur le processus constitutionnel par l’entremise des négociations ni sur la mouture finale de la nouvelle constitution tunisienne. Par ailleurs, quelques auteurs traitant du processus constitutionnel ont discuté de la question de la charî’a en mentionnant la présence sociale des salafistes81, mais aucun article n’a abordé directement la question de l’influence des salafistes dans le cadre de la rédaction de la constitution tunisienne.

Le travail de Zemni constitue le point de départ de la présente recherche qui vise à comprendre comment ces acteurs sous-représentés politiquement, qui ne cachent pas leur grande réticence à l’égard de ce qui est en train de se développer, ont influencé, essentiellement en dehors des institutions établies, le processus et les négociations autour de la nouvelle constitution dans le cadre de la transition d’un régime autoritaire vers un régime démocratique.

Le projet de recherche : problématique et hypothèses

L’esprit de cette recherche dépasse les débats entourant la compatibilité entre l’islam et la démocratie82. Elle ne se concentre pas non plus comme d’autres recherches à déterminer si le modus operandi du mouvement nahdaoui est conforme à l’esprit démocratique ou s’il ne s’agit que d’une instrumentalisation du mécanisme démocratique en vue de mener à bien un agenda caché. Elle n’essaie pas non plus de comprendre le degré d’acceptation des islamistes

79 Laura Guazzone, op. cit.

80 Gianluca P. PAROLIN, op. cit.

81 Zied KRICHEN, op. cit. et Sami ZEMNI, « The Extraordinary Politics of the Tunisian Revolution : The

Process of Constitution Making », op. cit.

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par les autres partis politiques ni de tenter d’éclaircir la dynamique interne des partis islamistes et leurs réactions à l’égard de leurs adversaires politiques ou encore moins d’expliquer les causes de l’essor du salafisme en Tunisie.

Ce projet de recherche veut apporter un éclairage nouveau sur le phénomène du salafisme et son implication au cœur du processus de constitution-making dans le cadre de la transition tunisienne. En effet, aucune recherche n’a été menée sur l’objet précis traité dans ce mémoire. Bien que la recherche se trouve limitée par l’absence d’entrevues auprès des salafistes et du manque de sources primaires et secondaires, elle tente d’apporter des éléments de réponse quant à l’influence indirecte des salafistes dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne.

Au regard de ce qui a déjà été dit, il paraît donc pertinent de se pencher sur la question du constitution-making dans le cadre de la transition tunisienne. La présente recherche transpose en partie les constats de Zemni sur les travaux menés par Giuseppe Di Palma dans son ouvrage To Craft Democracies83. Di Palma s’intéresse aux régimes autoritaires qui vivent des bouleversements internes dus à une crise de légitimité qui entraîne une période transitoire pouvant éventuellement mener à un régime démocratique. Son modèle théorique et ses scénarios hypothétiques prolongent les idées des auteurs précités, à savoir que les transitions représentent des périodes de négociation entre les factions de duros et de blandos dont les actions des membres poussent vers la maximisation de leurs intérêts. Di Palma se concentre plus précisément sur la sphère politique en avançant que les négociations ont pour objectif de créer des règles institutionnelles qui devraient garantir la coexistence de ces diverses factions et d’assurer leur participation et leur implication politiques futures. Ces règles servant de garantie, qualifiées d’ailleurs de « garantismo », doivent rompre avec le passé pour éviter une continuité des pratiques, le « continuismo ». Ainsi, le choix vers un régime démocratique est motivé par ces règles de garantismo qui provoqueraient une incertitude des résultats électoraux par rapport à l’accès aux pouvoirs exécutif et législatif84.

83 Giuseppe DI PALMA, To Craft Democracies ?, Berkeley & Los Angeles, University of California Press,

1990, 248 p.

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Ce choix relève donc d’un calcul stratégique des coûts et des bénéfices d’une coexistence entre les différents groupes politiques. Pour reprendre les propos de Di Palma, « consenting to lose is a condition for winning [and] the costs of toleration are lower than those of suppression85 ». De telles règles doivent cependant faire consensus parmi la classe politique qui représente, du moins théoriquement, les intérêts de ses électeurs. Mais quels sont ces intérêts qui nécessitent d’être pris en compte et d’être intégrés lors de cette transition ? Puisque le succès de la transition repose sur une entente collective, Di Palma avance qu’il est nécessaire que les intérêts de tous les acteurs significatifs soient pris en compte lors de l’élaboration de cet accord. Il va sans dire que si des membres de la société considèrent que leurs propres intérêts vitaux sont perçus par le reste de la société comme minoritaires, ils auraient tout à gagner d’investir le champ politique pour les défendre86. Cependant, ce ne

sont pas tous ces individus qui sont considérés en tant qu’acteurs significatifs. Par raisonnement inverse, il faut s’assurer qu’aucun acteur n’ait la possibilité de mettre en péril cet accord, ce qui signifie qu’aucun acteur significatif ne doit être exclu87. Advenant un tel

cas, les parties prenantes de l’entente doivent trouver un moyen de les coopter, afin d’éviter de faire capoter la transition. Di Palma nuance par la suite que la conclusion d’un tel accord ne nécessite pas le partage de motivations similaires, de la part de l’ensemble des parties prenantes, à l’égard de la construction d’un régime démocratique. Elles doivent cependant adhérer au processus démocratique et aux règles de garantismo, afin que leurs comportements soient modifiés en conséquence et favorisent leur coexistence88. Une transition se conclurait donc soit par une négociation entraînant la formation de larges alliances entre groupes idéologiques divergents, sous la condition de l’exclusion des mouvements et des acteurs se situant à l’extrême des pôles politiques du processus, soit par un retour à un régime autoritaire.

85 Ibid., p. 55.

86 Ibid., p. 46.

87 Ibid., p. 111.

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