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LE PAYSAGE SALAFISTE TUNISIEN À L’ÈRE POSTRÉVOLUTIONAIRE

L’actuel chapitre a pour objectif de détailler le paysage salafiste tunisien à l’ère postrévolutionnaire. Il s’articule autour de deux principaux axes : l’hétérogénéité du mouvement salafiste tunisien à la recherche d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien et les discours tenus par les groupes salafistes tunisiens.

Le premier axe souligne la présence des adhérents au courant salafiste avant les débuts de la révolution du jasmin. Soumis à un régime répressif, c’est précisément la chute de ce régime qui leur a permis d’occuper la scène publique avec la libération de plusieurs prisonniers et le retour d’exil de personnes de tendance salafiste. Il est également traité des choix organisationnels des salafistes qui se sont formés en plusieurs organisations qui indiquent le caractère multiforme du mouvement. Leurs formations se sont avérées hétéroclites et ont démontré une hiérarchie plutôt éclatée, misant sur des structures horizontales. Elles ont fait preuve de divergence idéologique sur le plan de la reconnaissance juridique et ont employé le label « salafiste » comme un moyen de légitimation. Les organisations salafistes ont adopté des programmes très généraux et n’ont pas obtenu une réelle représentation politique, misant plutôt sur une présence soutenue dans les mosquées.

Quant au second axe, il s’avère que peu importe l’organisation à laquelle ils appartenaient, ils partageaient des objectifs communs, soit l’établissement d’un État et d’une société islamiques. Cela passait par une redéfinition de l’identité tunisienne en imposant la charî’a dans la nouvelle constitution tunisienne. Les organisations salafistes ont donc agi pour rallier une clientèle sociale et politique ultraconservatrice. Dans leur volonté de participer activement à la transition tunisienne, le mouvement a opté pour deux stratégies complémentaires visant la salafisation, l’une se concentrant sur l’État et ses institutions, l’autre sur la société. Néanmoins, leurs stratégies et leurs discours se différenciaient par

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rapport à d’autres mouvements en raison du recours à la violence, de l’emploi de la da’wa et de l’implication politique.

Les organisations salafistes en Tunisie : un mouvement multiforme en

quête d’un rôle dans le processus transitionnel tunisien

L’amnistie générale du 19 février 2011 : l’essor publique d’un courant orthodoxe191

Le salafisme s’est propagé en Tunisie au courant des trente dernières décennies grâce au vacuum créé par Bourguiba et Ben Ali. Bourguiba a débuté un processus de laïcisation en marge de la modernisation des institutions qui a froissé les traditions et les croyances de la société tunisienne. Il estimait que la religion, telle que pratiquée à l’époque, exerçait sur le pays des contraintes le maintenant au stade de sous-développement192. Il a notamment supprimé les habous qui généraient les revenus autonomes des établissements religieux193, a

unifié le système d’éducation et de justice194 et a retiré la fonction d’université de la

prestigieuse mosquée Zeitouna195. Quant à Ben Ali, il a poursuivi ces mesures tout en

cooptant les symboles religieux, afin de se présenter comme un défenseur de l’islam pour contrer la montée de la ferveur religieuse196. Selon un ancien député d’Ennahda, il faut également attribuer la faute à l’emprisonnement de nahdaouis :

Avant les années 80 à 2000, l’islam modéré était représenté par Mourou, Ghannouchi, Ellouze et les cheikhs de la Zitouna, non pas les salafistes. C’était le MTI. On avait une génération bien cultivée et modérée. Il était impossible de voir des salafistes ou d’introduire la pensée salafiste. […] Cependant, sous Ben

191 Voir en annexe III la liste des associations, groupes et individus salafistes tunisiens mentionnés dans ce

mémoire.

192 Marion BOULBY, « The Islamic challenge: Tunisia since independence », Third World Quarterly, 10 (2),

1988, p. 592.

193 Malika ZEGHAL, op. cit., p. 84.

194 Susan WALTZ, « Islamist appeal in Tunisia », Middle East Journal, 40 (4), 1986, p. 660.

195 « La mosquée Ezzitouna », Agence de mise en valeur du Patrimoine et de Promotion culturelle - Ministère

de la Culture - République tunisienne, [En ligne], http://www.patrimoinedetunisie.com.tn/fr/monuments/ezzitouna.php (Page consultée le 13 janvier 2017).

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Ali, c’était un désert sur la scène religieuse parce que tout le monde, les religieux (et les personnes nommées ci-haut) étaient en prison. Ils ne pouvaient influencer les jeunes, on voyait les islamistes écrasés par le régime. Il n’y avait pas de sources ni de culture religieuses, alors que les gens ont tendance à chercher à connaître. Il y avait une vague, une ferveur religieuse. L’apparition du courant salafiste remonte à ce moment-là.197

Ce vacuum a eu pour effet que les jeunes ont délaissé les mosquées contrôlées par l’État et se sont plutôt tournés vers des sources alternatives de discours religieux influencées par la doctrine salafiste et wahhabite. Des chaînes satellitaires saoudiennes telles qu’Iqraa, Al- Khalijiyya, la Mecque parabolique, Ben Athaymin, et égyptiennes comme Al-Nass, Ar- Rahma, Al-Hikma, ont diffusé plus précisément les enseignements salafistes198. Leur auditoire est devenu plus conséquent avec l’expansion d’Internet qui a aussi contribué à l’essor de la doctrine salafiste199. Prédication et informations sont disponibles en ligne,

ajoutées aux prêches vidéo qui sont conservés et diffusés à grande échelle200. Les subventions accordées par l’Arabie saoudite ont permis l’achat de livres qui promouvaient ces doctrines et qui étaient distribués à travers les mosquées et les kiosques de livres religieux en Tunisie, la mise sur pied de programmes pour l’accomplissement du hâj201 et l’attribution de bourses

comprenant les frais d’études, de transport et de subsistance pour étudier à l’Université islamique de Médine à des jeunes désireux d’occuper des fonctions d’imam en retournant au pays d’origine.

Pendant cette période, si la prédication religieuse des salafistes scientifiques a été tolérée, voire encouragée par le régime autoritaire, les salafistes jihadistes ont été au contraire constamment réprimés. La présence salafiste n’est ainsi pas en soi une chose nouvelle dans le paysage tunisien, bien que plusieurs préfèrent y voir un phénomène conséquent à la période post-printemps arabe202. Au contraire, le printemps arabe a plutôt permis aux adhérents du

197 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

198 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 11.

199 Dominique THOMAS, op. cit.

200 Ibid., p. 89.

201 Olivier ROY, Globalised Islam : the Search for a New Ummah, op. cit., p. 236.

202 Ridha BEN KACEM, « Le salafisme et la naissance d’Ansar al-Charia », Actualités Tunisie Focus, [En

ligne], 25 mars 2013, <http://www.tunisiefocus.com/politique/le-salafisme-et-la-naissance-dansar-al-charia- 41333/ (Page consultée le 29 mai 2017).

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salafisme de revendiquer leurs intérêts, d’occuper une place considérable dans la sphère publique et médiatique et de diffuser leurs idées :

Après la révolution, c’était l’anarchie. Cela a favorisé la propagation de l’idéologie salafiste : il y a eu la création de plusieurs associations, les salafistes ont obtenu la mainmise sur les mosquées, ils donnaient des leçons et des conférences… Il n’y avait personne pour les arrêter, aucune autorité. Ainsi, tout le monde en a profité.203

Le départ de Ben Ali, la désorganisation des forces policières et du Ministère de l’Intérieur et le lancement du processus transitionnel ont entraîné un plus grand respect des autorités étatiques des droits et libertés civiles et politiques dont la liberté d’expression, d’association et de religion qui a consacré le déverrouillage des sphères politique, sociale et religieuse. Le plein exercice de ces droits a permis à l’ensemble des membres de la société civile de se constituer en diverses associations et d’exprimer leurs revendications. Comme cela sera vu dans les pages suivantes, les salafistes, en tant que membres de cette société civile tunisienne, se sont retrouvés devant la possibilité de s’organiser en diverses associations, de diffuser leurs discours et de mener leurs activités sans entraves dès 2011204.

L’idée d’une amnistie générale pour les prisonniers politiques et d’opinion a émergé assez tôt au cours de la transition, comme en témoigne le projet de loi d’amnistie générale annoncé le 20 janvier 2011205. Les salafistes jihadistes et certains salafistes politiques, transfuges d’Ennahda, ont retrouvé leur liberté après cette amnistie générale finalement promulguée le 19 février 2011 aux côtés de prisonniers politiques et d’opinion206. Ils avaient été emprisonnés sous la loi antiterroriste 2003-75 du 10 décembre 2003207 adoptée dans la foulée de la lutte internationale contre le terrorisme et en accord avec la résolution 1373 de 2001 du

203 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

204 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », The Journal of

North African Studies, 20, 2015, pp. 1-14.

205 LE MONDE & AGENCE FRANCE PRESSE, « Tunisie : le gouvernement adopte un projet de loi d’amnistie

générale », Le Monde, [En ligne], 20 janvier 2011, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/20/nouvelle- manifestation-hostile-au-gouvernement-a-tunis_1468128_3212.html (Page consultée le 27 mai 2017).

206 OFPRA. Tunisie : Loi d’amnistie générale du 19 février 2011, Note d’information, 8 août 2014.

207 CHAMBRE DES DÉPUTÉS, Tunisie, Loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le

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Conseil de sécurité des Nations unies208. Malgré le libellé de cette loi, l’appareil coercitif

étatique l’a employée pour renforcer son système répressif, condamnant indistinctement des individus à des peines d’emprisonnement pour divers motifs. Des personnes ont ainsi fait face à des procès inéquitables et se sont retrouvées en prison pour la consultation d’un site web à contenu jihadiste ou pour la tentative, réussie ou non, de rejoindre les rangs des mujâhidîn d’Afghanistan ou d’Irak après l’invasion américaine de 2003209. D’autres ont été arrêtés après l’affaire de Soliman et Grombalia de 2006 quand une cellule du Groupe salafiste de prédication et de combat algérien avait réussi à infiltrer la Tunisie pour rejoindre des jihadistes tunisiens préparant des attentats sur le sol tunisien. Après un mois de cavale et au bout d’un combat contre les forces de sécurité, ils finissent par être arrêtés. Le procès de l’affaire Soliman s’est conclu par deux condamnations à mort, huit condamnations à perpétuité et vingt peines d’emprisonnement allant de cinq à trente ans de prison210.

Les séjours en prison se sont révélés bénéfiques pour le mouvement salafiste tunisien. Réunis dans plusieurs prisons, les salafistes jihadistes et politiques ont pu y jeter respectivement les bases de structures organisationnelles grâce à la constitution de réseaux informels qui opèreront librement après l’amnistie de février 2011. Les salafistes se retrouvaient parfois aux côtés de jeunes délinquants condamnés pour des crimes de droit commun et d’islamistes. La proximité et l’absence d’activités leur ont permis de partager leurs idées et leur projet à leurs codétenus et à travers les prisons211. Cette rencontre et cette mixité représentaient la

prise de contact entre des individus plus âgés au « lourd » passé jihadiste, des jeunes frustrés par l’impossibilité d’élévation sociale et attirés par les discours véhiculés par les salafistes et des islamistes212. L’une des personnes interrogées a d’ailleurs confirmé que les individus salafistes entretenaient des discussions avec des jeunes et des islamistes lorsqu’ils n’étaient

208 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Résolution 1373, S/RES/1373 (2001), adoptée le 28

septembre 2001.

209 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 13.

210 Samy GHORBAL, « Comment les salafistes ont été neutralisés », Jeune Afrique, [En ligne], 7 janvier 2008,

http://www.jeuneafrique.com/128126/archives-thematique/comment-les-salafistes-ont-t-neutralis-s, (Page

consultée le 21 mai 2017).

211 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 5.

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pas mis en isolement213. Cela tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle les prisons

tunisiennes ont été des incubateurs pour la radicalisation d’individus et leur adhérence au courant salafiste214.

C’est à cette période qu’est venue l’idée de créer des organisations formelles pour propager les discours salafistes et pour contribuer à la salafisation de l’État et de la société tunisiennes. Les embryons de l’organisation jihadiste et caritative d’AST et du parti salafiste Jabhat Al- Islâh se sont formés dans les milieux carcéraux via ces réseaux informels. Mohamed Khouja, chef du parti politique Jabhat Al-Islâh, a confirmé que la décision finale de créer un parti politique s’est faite « avec les frères libérés de prison à la suite de l’amnistie générale215 ».

La libération de ces salafistes jihadistes et politiques et le contexte de libertés civiles et politiques ont permis à ces individus de se reconnecter à la population tunisienne et d’adapter leurs discours à ses griefs socio-économiques suscitant les soulèvements populaires du printemps arabe, telles la lutte contre la corruption, le chômage et l’inflation. Des figures médiatisées telles que le jihadiste Seif Allah Ben Hassine, alias Abu Iyadh, le futur chef d’AST, ont compté parmi ces individus qui ont recouvert leur liberté216. Outre cette

libération, des salafistes scientifiques exilés de Tunisie sont revenus au bercail, à l’instar du controversé imam Béchir Ben Hassen.

Dans ce contexte précis de liberté et de transition, les salafistes font face à un dilemme : comment doivent-ils réagir pour influencer le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne en faveur de leurs objectifs et intérêts ?

213 Entrevue avec C, ancien député d’Ennahda, dans sa maison, Lakagne (Tunis), Tunisie, 2017.

214 Imen LAJMI, Les trajectoires individuelles vers l’engagement radical : récits derrière les barreaux,

Mémoire de maîtrise – version préliminaire du mémoire non déposée, Université Laval, à paraître.

215 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 23.

216 Élodie AUFFREY, « Abou Iyadh, la disgrâce du jihad », Libération, [En ligne] 5 août 2013,

http://www.liberation.fr/planete/2013/08/05/abou-iyadh-la-disgrace-du-jihad_923008 (Page consultée le 22 avril 2018).

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Des formations organisationnelles hétéroclites, une hiérarchie éclatée et des structures horizontales

Le niveau organisationnel du mouvement salafiste tunisien varie grandement en fonction du degré d’acceptation de la fondation de groupes formels, issu d’une divergence théologique quant au ‘amel tanzimî (travail organisé). Cette différenciation entraîne l’absence d’un front commun entre les protagonistes salafistes autant sur les plans politiques que sociaux et religieux dans le contexte de la transition. Une personne interrogée qualifiait le salafisme comme « un radicalisme ‘’normal’’ en période de crises [et qu’il s’agissait d’un] salafisme social plutôt que politique. C’est une nébuleuse, car il n’y a pas de mouvement organisé217 ».

Il faut cependant rappeler que si les différentes tendances opéraient selon une logique discursive et actionnelle différente et ont obtenu une asymétrie sur le plan des résultats de leurs efforts de salafisation étatique et sociétale, le mouvement salafiste tunisien tendait tout de même vers un objectif commun, la mise en place d’un État et d’une société islamique.

À cet égard, le mouvement salafiste tunisien, à l’instar du mouvement salafiste général, s’est scindé en deux principales branches. D’abord, il y a ceux qui réfutent la mise sur pied d’organisations formelles comme porte-étendards de leur cause. Selon eux, cette situation risquerait d’engendrer de la hizbiyya, puisque les Tunisiens salafistes sont appelés à choisir une organisation au détriment d’une autre, ce qui entraînerait de la fitna218. Les salafistes

scientifiques tiennent cette position. Étant donné leur appréhension d’une forme organisationnelle, il n’existe pas à proprement parler d’organisation salafiste scientifique. Ils agissent plutôt à titre individuel et indépendamment les uns des autres. Certaines figures sont reconnues par leur engagement individualiste219 : Béchir Ben Hassen, Khamis Mejri, Hassan Brik, Mohammed Ali Hurrath ou Farid Al-Béji. Malgré ce positionnement, deux salafistes scientifiques, Adel Almi et Khatib Idrissi, ont créé deux associations salafistes scientifiques qui ont pour mission d’émettre des recommandations aux dirigeants, de promouvoir les

217 Entrevue avec D, membre d’Ennahda, dans son bureau, Montplaisir (Tunis), Tunisie, 2017.

218 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 218.

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bonnes mœurs et d’éviter la radicalisation violente220, soit l’Association centriste pour la

sensibilisation et la réforme (Al-Jam’iyya al-Wâsîtiyya li-l-Taw’iyya wal-l-Islâh) et le Conseil des sages (Majlis al-chouyoûkh).

Puis, il y a ceux qui acceptent la création de groupes afin de favoriser la défense et la promotion de leurs intérêts, d’œuvrer pour des activités de bienfaisance ou de mener le jihâd. De surcroît, cette séparation se sous-divise parmi ceux qui acceptent d’entrer dans le jeu de la démocratie en investissant le champ politique221, et ceux qui le refusent et préfèrent soit recourir à la force pour parvenir à leurs fins, soit mobiliser autrement la population autour de leur projet révolutionnaire222.

Les premiers, les salafistes politiques, acceptent donc le processus électoral et les mécanismes sous-jacents à la démocratie mis en branle après le départ de Ben Ali223, se constituent en partis politiques accrédités auprès de l’ISIE et exercent une forme de lobbying pour influencer le processus constitutionnel, sans toutefois souscrire à la teneur libérale de la démocratie. À leurs yeux, les droits et libertés doivent être assujettis aux prescriptions de l’islam. Cependant, la majorité des personnes interrogées estimait qu’« il n’y a[vait] pas de distinction à opérer entre la sphère scientifique et politique224 ». Néanmoins, cette division

sera conservée pour la présente recherche. Les salafistes politiques tunisiens sont constitués autour de quatre principaux partis : Jabhat al-Islâh, Al-Rahma, Al-Assâla et Hizb Al-Tahrir.

Les seconds, les salafistes jihadistes, considèrent la démocratie comme un mode de gouvernance importé de l’Occident et qui n’est justifié par aucune référence islamique, voire même contredit le message coranique en reconnaissant une forme de souveraineté au peuple. Il s’agit dès lors d’un système illégitime et illicite de gouvernance au regard de leur interprétation du corpus religieux. :

220 Ibid., p. 20.

221 Quintan WIKTOROWICZ, op. cit., p. 221.

222 Ibid., p. 225.

223 Stefano M. TORELLI, « The Multi-Faced Dimensions of Tunisian Salafism » dans Francesco

CAVATORTA et Fabio MERONE (éditeurs), Salafism after the Arab Awakening. Contending with People’s

Power, London, Hurst & Company, 2016, p. 159.

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La société arabo-musulmane ne respecte plus les dispositions divines et il y a lieu d’obliger les gens, même par la force, de respecter ces dispositions. D’où l’autorisation d’utiliser la force et un degré de force qui permet d’attenter à la vie des personnes pour les obliger à respecter leurs points de vue.225

Plusieurs groupuscules jihadistes semblent avoir émergé après la fuite de Ben Ali et la chute de l’appareil sécuritaire. Seul AST, qui estimait d’ailleurs qu’une organisation permettait de mobiliser les forces jihadistes226, ne sera retenu dans la présente analyse étant donné

l’ampleur de ce groupe. Cependant, il ne représente nullement l’entièreté de la mouvance jihadiste tunisienne, car certains jihadistes se sont plutôt regrouper en petits groupuscules sans alliance réelle ni effective entre eux227.

Qu’ils soient formés en groupe ou en association, l’ensemble des structures de ces groupes et associations salafistes présentait plutôt une hiérarchie éclatée et des structures horizontales. Cependant, peu d’information circule sur certaines structures salafistes. Par exemple, les partis Al-Assâla et Al-Rahma et l’association Majlis Al-Chouyoûkh n’ont que très peu d’écrits à leur sujet, mis à part que cette dernière réunissait cinq chouyoûkh. Lorsque quelques informations transparaissent, les différents groupes ou associations ne semblaient pas adopter une structure très formelle ni hiérarchiquement pyramidale. Par exemple, l’Association centriste pour la sensibilisation et la réforme, issue de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice228, a une structure plutôt floue qui comporterait trois principaux comités : la première a trait à la charî’a, la deuxième à la science religieuse et la troisième aux affaires juridiques229.

225 Entrevue avec E, député d’Ennahda, dans le hall de l’Assemblée des représentants du peuple, Bardo (Tunis),

Tunisie, 2017.

226 Francesco CAVATORTA, « Salafism, Liberalism, and Democratic Learning in Tunisia », op. cit., p. 9.

227 Fabio MERONE, « Salafism in Tunisia: An Interview with a Member of Ansar al-Sharia », Jadaliyya, [En

ligne], 2013, http://www.jadaliyya.com/pages/index/11166/salafism-in-tunisia_an-interview-with-a-member- of- (Page consultée le 21 mai 2017).

228 Asma GHRIBI, « Tunisia Recognizes Controversial Islamist Organization », Tunisia Live, [En ligne], 21

février 2012, http://www.tunisia-live.net/2012/02/21/tunisia-recognizes-controversial-islamist-organization (Page consultée le 29 mai 2017).

229 Anna MAHJAR-BARDUCCI, « Tunisia’s New Islamist Police », Gatestone Institute, [En ligne], 2012,

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Néanmoins, quelques données plus détaillées circulent sur trois organisations qui ont fait l’objet d’une attention plus accrue par les médias et les chercheurs : Hizb Al-Tahrir, Jabhat

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