HAL Id: dumas-01780734
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chez les agriculteurs : une étude qualitative de leurs
représentations et comportements en santé réalisée en
Ille et Vilaine et Morbihan
Benjamin Jouenne
To cite this version:
Benjamin Jouenne. Sous-consommation médicale, prévention et dépistage chez les agriculteurs : une étude qualitative de leurs représentations et comportements en santé réalisée en Ille et Vilaine et Morbihan. Sciences du Vivant [q-bio]. 2017. �dumas-01780734�
N° d’ordre :
ANNÉE 2017
THÈSE D'EXERCICE / UNIVERSITÉ DE RENNES 1
sous le sceau de l’Université Bretagne Loire
Thèse en vue du
DIPLÔME D'ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE
présenté par
Benjamin Jouenne
Né le 1 er juillet 1985 à Valognes
Sous-consommation
médicale, prévention et
dépistage chez les
agriculteurs : une étude
qualitative de leurs
représentations et
comportements en santé
réalisée en Ille et Vilaine et
Morbihan
Thèse soutenue à Rennes
le 28 avril 2017
devant le jury composé de :
Patrick JEGO
Professeur, CHU de Rennes / Président
Benoît DESRUES
Professeur, CHU de Rennes / Juge
Eric MENER
Professeur associé, DMG Rennes / Juge
Patrick MORVAN
Médecin conseil, Bruz / Directeur de thèse
Patrick DEVRAND
Médecin généraliste, Broons / Membre
invité
PROFESSEURS UNIVERSITAIRES - PRATICIENS HOSPITALIERS
Nom Prénom Sous-section de CNU
ANNE-GALIBERT Marie Dominique Biochimie et biologie moléculaire
BELAUD-ROTUREAU Marc-Antoine Histologie; embryologie et cytogénétique
BELLISSANT Eric Pharmacologie fondamentale; pharmacologie clinique; addictologie
BELLOU Abdelouahab Thérapeutique; médecine d'urgence; addictologie
BELOEIL Hélène Anesthésiologie-réanimation; médecine d'urgence
BENDAVID Claude Biochimie et biologie moléculaire
BENSALAH Karim Urologie
BEUCHEE Alain Pédiatrie
BONAN Isabelle Médecine physique et de réadaptation
BONNET Fabrice Endocrinologie, maladies métaboliques; gynécologie médicale
BOUDJEMA Karim Chirurgie générale
BOUGET Jacques Thérapeutique; médecine d'urgence; addictologie
BOUGET Patrick
Professeur des Universités en surnombre
Biophysique et médecine nucléaire
BRASSIER Gilles Neurochirurgie
BRETAGNE Jean-François Gastroentérologie; hépatologie; addictologie
BRISSOT Pierre
Professeur des Universités en surnombre
PROFESSEURS UNIVERSITAIRES - PRATICIENS HOSPITALIERS
Nom Prénom Sous-section de CNU
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CATROS Véronique Biologie cellulaire
CATTOIR Vincent Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
CHALES Gérard
Professeur des Universités émérite Rhumatologie
CORBINEAU Hervé Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
CUGGIA Marc Biostatistiques et informatique médicale
DARNAULT Pierre Anatomie
DAUBERT Jean-Claude
Professeur des Universités émérite Cardiologie
DAVID Véronique Biochimie et biologie moléculaire
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Professeur des Universités associé, A mi temps
Pédopsychiatrie; addictologie
DE CREVOISIER Renaud Cancérologie; radiothérapie
DECAUX Olivier Médecine interne; gériatrie et biologie du vieillissement; addictologie
DESRUES Benoît Pneumologie; addictologie
DEUGNIER Yves
Professeur des Universités en surnombre
Gastroentérologie; hépatologie; addictologie
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PROFESSEURS UNIVERSITAIRES - PRATICIENS HOSPITALIERS
Nom Prénom Sous-section de CNU
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FLECHER Erwan Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
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GAUVRIT Jean-Yves Radiologie et imagerie Médecine
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GUGGENBUHL Pascal Rhumatologie
GUIGUEN Claude
Professeur des Universités émérite Parasitologie et mycologie
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GUYADER Dominique Gastroentérologie; hépatologie; addictologie
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HUSSON Jean-Louis
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JEGO Patrick Médecine interne; gériatrie et biologie du vieillissement; addictologie
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KAYAL Samer Bactériologie-virologie; hygiène hospitalière
KERBRAT Pierre Cancérologie; radiothérapie
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LAVIOLLE Bruno Pharmacologie fondamentale; pharmacologie clinique; addictologie
LAVOUE Vincent Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale
LE BRETON Hervé Cardiologie
LE GUEUT Maryannick Professeur des universités en surnombre
Médecine légale et droit de la santé
LE TULZO Yves Réanimation; médecine d'urgence
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LECLERCQ Christophe Cardiologie
LEGUERRIER Alain
Professeur des universités en surnombre
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
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LEVEQUE Jean Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale
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Professeur des universités de MG Médecine générale
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MOIRAND Romain Gastroentérologie; hépatologie; addictologie
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MOREL Vincent Thérapeutique ; médecine d’urgence ; addictologie
MORTEMOUSQUE Bruno Ophtalmologie
MOSSER Jean Biochimie et biologie moléculaire
MOULINOUX Jacques Biologie cellulaire
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Nom Prénom Sous-section de CNU
MYHIE Didier
Professeur des universités de MG Médecine générale
ODENT Sylvie Génétique
OGER Emmanuel Pharmacologie fondamentale; pharmacologie clinique; addictologie
PARIS Christophe Médecine et santé au travail
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PLADYS Patrick Pédiatrie
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ROPARS Mickaël Chirurgie orthopédique et rhumatologique
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SEGUIN Philippe Anesthésiologie-réanimation; médecine d'urgence
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SIPROUDHIS Laurent Gastroentérologie; hépatologie; addictologie
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SULPICE Laurent Chirurgie générale
TARTE Karin Immunologie
TATTEVIN Pierre Maladies infectieuses; maladies tropicales
TATTEVIN-FABLET Françoise Professeur associé des universités de MG
Médecine générale
THIBAULT Ronan Nutrition
THIBAULT Vincent Bactériologie-virologie; hygiène hospitalière
TORDJMAN Sylvie Pédopsychiatrie; addictologie
VERHOYE Jean-Philippe Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
VERIN Marc Neurologie
VIEL Jean-François Epidémiologie, économie de la santé et prévention
VIGNEAU Cécile Néphrologie
VIOLAS Philippe Chirurgie infantile
WATIER Eric Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique; brûlologie
MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES - PRATICIENS HOSPITALIERS
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ALLORY Emmanuel
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AMIOT Laurence Hématologie; transfusion
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CABILLIC Florian Biologie cellulaire
CAUBET Alain Médecine et santé au travail
DAMERON Olivier Informatique
DE TAYRAC Marie Biochimie et biologie moléculaire
DEGEILH Brigitte Parasitologie et mycologie
DUBOURG Christèle Biochimie et biologie moléculaire
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EDELINE Julien Cancérologie; radiothérapie
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GARLANTEZEC Ronan Epidémiologie, économie de la santé et prévention
GOUIN Isabelle
épouse THIBAULT Hématologie ; transfusion
GUILLET Benoit Hématologie; transfusion
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JAILLARD Sylvie Histologie; embryologie et cytogénétique
KALADJI Adrien Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire
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MAHÉ Guillaume Chirurgie vasculaire; médecine vasculaire
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MATHIEU-SANQUER Romain Urologie
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Maitre de conférence associé de médecine générale
Médecine générale
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Epouse SALIOU Neurologie
TURLIN Bruno Anatomie et cytologie pathologiques
VERDIER Marie-Clémence
(Lorne) Pharmacologie fondamentale; pharmacologie clinique; addictologie
REMERCIEMENTS
A Monsieur le Professeur Patrick Jego, vous me faites l'honneur de présider mon Jury et de juger ce travail. Veuillez recevoir toute ma gratitude et ma respectueuse considération.
A Monsieur le Professeur Benoit Desrues, vous me faites l’honneur de vous rendre disponible pour participer au jury et de juger ce travail. Merci de l’intérêt que vous portez à ce sujet. Veuillez recevoir mes sincères remerciements et ma profonde reconnaissance.
A Monsieur le Professeur Eric Mener, vous me faites l’honneur de lire et critiquer mon travail. Veuillez trouver ici le témoignage de tout mon respect et de ma reconnaissance. Merci également pour vos enseignements de qualité et votre engagement auprès des étudiants, mais aussi pour les moments plus informels partagés avec vous et votre bienveillance.
A Monsieur le Docteur Patrick Morvan, merci pour votre soutien et votre patience tout au long de la réalisation de cette thèse, pour nos échanges et vos précieux conseils.
Aux membres de la MSA des portes de Bretagne, notamment Mr Eric Jan, qui m’ont aidés et communiqués les données necessaires à l’élaboration de cette thèse.
Aux agriculteurs, paysans, qui ont participés à cette étude, merci pour le temps si précieux que vous m’avez consacré lors de ces riches entretiens.
A toutes les équipes médicales et paramédicales rencontrées au cours de mon internat, qui m’ont épaulées, formées et encadrées, à l’hopital comme ailleurs. En particulier aux médecins du cabinet médical de Broons : au Dr Patrick Devrand, merci pour ce que tu m’as appris, pour ton humanité, ton experience et ton désir de transmettre ainsi que ta gentillesse. Au Dr Pierre Berger, parti bien trop tôt, je garderai toujours ce souvenir de ton humour au quotidien, du plaisir que tu prenais à partager les bonnes choses.
Aux médecins que j’ai remplacés ou que je remplace régulièrement, qui m’acceuillent dans leurs cabinets, me donnent des conseils, m’accordent leur confiance et me permettent d’exercer librement: en particulier au Dr Emmanuelle Fouré-Amelot et au Dr Florence Doussin à Bédée; au Dr Xavier Loret, au Dr Gwenael Desprès et au Dr Sophie Walter à Saint Pierre de Plesguen. Grâce à vous je découvre jours après jours différents aspects de la médecine générale, je m’en inspire et je suis sûr que cela me guidera ulterieurement pour pouvoir construire mon propre projet professionnel.
A toux ceux qui m’ont accompagnés durant ces études, de près ou de loin:
A mes amis Caroline et Romain, Anne Sophie et François, Anais, Sophie, Laurène, pour tous les moments que nous avons partagés lors de nos études Caennaises et après.
A mes co-internes, collègues et amis rencontrés en Bretagne : Laura et Arnaud, Caroline et Vincent, Danielle, Annaelle, Zoé, Mathilde, Benoit. A Sebastien, pour ton soutien, ton ouverture d’esprit et pour m’avoir permis de découvrir l’hypnose. A Adrien, Mathilde...et aux autres membres de la team hypnose rennaise : que ce voyage continue ! A Adeline et Etienne.
A Cyril, Seb‘. A mes amis d’enfance, Julien, Antoine, Nicolas. A Caroline. A Marie, toi qui tiens une place si particulière. Je ne vous remercierai jamais assez de votre présence et de votre précieuse amitié.
A Lise. Tu sais pour quoi.
A ma famille. A mes parents, vous m’avez toujours encouragés à votre manière. A ma soeurette Marion et mon grand frère Hervé, à Stéphane, à Hélène et mes formidables neveux Fifi et Zaza. Je vous aime.
Et à Papi Paul, là-haut dans les étoiles.
Voila, ces études, démarrées il y a maintenant plus de treize ans, touchent à leur fin ! Mais il reste tant de choses à apprendre et à découvrir...
TABLE DES MATIERES
RESUME……….15 ABREVIATIONS………...….16 INTRODUCTION………...…17 METHODE………..18 RESULTATS………..191. Description de la population - Tableau 1..………19
2. Des représentations et des comportements en santé spécifiques………...20
2.1. Perceptions, représentations et connaissances 2.2. La décision de consulter 3. Le contexte professionnel………26
3.1. Des contraintes nombreuses 3.2. Une habitude d’autonomie et un isolement 4. Des causes plus profondes……… …………....28
4.1. L’héritage et les croyances 4.2. Le corps comme outil de travail 5. Les facteurs pouvant influencer la prise en compte de la santé...……….30
5.1. Facteurs intrinsèques 5.2. Facteurs extrinsèques 6. Les attentes des patients………...30
DISCUSSION………...33 1. Limites de l’étude 2. Forces de l’étude 3. Commentaires et perspectives CONCLUSION……….38 BIBLIOGRAPHIE………...41 ANNEXES ……….………...44
Annexe 1: Courrier de participation à l’étude ……….…………...44
Annexe 2: :Déroulement des entretiens ………...45
Annexe 3: Extraits d’entretiens..………...….51
Résumé
Introduction: Il existe une sous-consommation médicale et une participation inférieure aux actes de prévention et de dépistage chez les agriculteurs par rapport à la population générale. L’objectif de cette étude est d’explorer les représentations et les comportements en santé dans cette population afin de mieux comprendre les raisons de ces différences.
Méthode : Une étude qualitative a été réalisée à partir d’entretiens individuels semi-directifs. Les critères d’inclusion étaient un âge entre 25 et 65 ans ainsi que le statut de non salarié agricole parmi les assurés sociaux de la Mutualité Sociale Agricole de l’Ille et Vilaine et du Morbihan.
Résultats : Treize patients ont participé à l’étude. Ils se percevaient en bonne santé, définissaient celle-ci comme un bien-être global ou comme l’absence de maladie et faisaient souvent référence à la capacité de travailler. Ils estimaient avoir une bonne hygiène de vie et faire preuve de bon sens, connaissaient les actes de prévention et de dépistage même si certains n’y participaient pas, notamment pour le frottis cervico utérin et la mammographie. Ils décidaient de consulter la plupart du temps lorsque la capacité de travail était atteinte, pour des motifs ressentis comme importants ou d’évolution défavorable. Les contraintes professionnelles et le manque de temps, dans un contexte d’autonomie et d’isolement lié au travail, étaient avancés comme arguments pour repousser la prise en compte de leurs problèmes de santé. L’héritage socio-culturel, les croyances, la vision du corps comme un outil de travail, participaient aussi à ces comportements, qui étaient influencés par l’âge, l’expérience ou l’entourage social. Ils attendaient une écoute et une compréhension de leurs contraintes, une prise en charge rapide et efficace afin d’assumer leurs responsabilités professionnelles d’où une approche plus curative que préventive. Ils approuvaient la proximité de leur médecin généraliste et des actions de prévention organisées par la MSA via les Instants Santé.
Conclusion : La connaissance de ces dimensions psycho sociales, culturelles, physiques et existentielles déterminant les comportements en santé pourrait favoriser le développement d’actions adaptées par le médecin généraliste et la MSA afin de réduire les inégalités en santé dans cette population.
Mots-clés : Agriculteurs, Comportements en matière de santé, Déterminants sociaux de la santé, Médecine générale, Médecine préventive, Dépistage systématique.
ABREVIATIONS
MSA : Mutualité Sociale Agricole
ECG : Electrocardiogramme
B : enquêteur
Px : Patient ayant participé à l’entretien numéro « x »
WONCA : World Organization Of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians (Organisation mondiale des médecins
Introduction
Il existe une sous-consommation médicale parmi les agriculteurs : ils recourent moins aux soins, tout en déclarant moins souvent y renoncer [1]. Ils ne renoncent pas aux soins (optique, dentaire, consultation de médecin, autres soins ou examens) pour des raisons financières, parce que le délai est trop long, le cabinet trop éloigné ou à cause de difficultés de transport pour s'y rendre [2]. Une des raisons avancées expliquant le non recours serait des contraintes de temps, liées au statut d'indépendant et à l'investissement professionnel [3].
D'autres facteurs pourraient être évoqués, notamment des différences de perception des normes retrouvées dans une thèse de 2010 qui étudiait le non recours aux soins dans les populations précaires [4]. Les études nationales montrent que pour les agriculteurs, le rapport à la santé est différent de la population générale, avec une approche plus curative que préventive. La santé serait définie avant tout comme une absence de maladie et la consultation médicale serait déclenchée lorsque la capacité de travail est atteinte [1]. Ils consultent lorsqu'ils en ressentent la nécessité, le plus souvent leur médecin généraliste, intervenant de premier recours [5] [6].
Concernant les actes de dépistage, les agricultrices sont parmi les femmes déclarant un taux de recours le plus bas au dépistage du cancer du col de l'utérus par frottis cervico-utérin et du cancer du sein par mammographie [7]. De plus, le risque d'alcoolisation excessive chronique et la prévalence du surpoids sont plus élevés (malgré une activité physique de niveau élevée ou modérée) chez les agriculteurs.
Afin d'essayer de réduire ces inégalités, la Mutualité Sociale Agricole invite tous ses assurés sociaux de 25 à 74 ans à participer à des bilans de médecine préventive appelés Instants Santé, gratuitement, tous les 10 ans. Après invitation, ils sont convoqués puis accueillis avec un auto questionnaire médical, suivi d’un entretien pré médical sur le mode de vie. Puis des examens complémentaires orientés sont réalisés : bilan sanguin et urinaire, audiométrie, tonométrie, mesure du dioxyde de carbone, spirométrie, ECG. Enfin, une consultation de prévention dédiée est effectuée chez le médecin de leur choix.
Mais les populations ayant une faible consommation de soins sont aussi celles qui participent le moins à ces actions de prévention [8] [9].
L’objectif de cette étude est donc d’explorer les représentations et les comportements en santé chez les agriculteurs, afin de comprendre les raisons de la sous-consommation médicale, notamment en matière de prévention et de dépistage.
Méthodes
Une étude qualitative par entretiens individuels a été conduite d’avril 2016 àjuin 2016 auprès d’un échantillon de patients en Bretagne. La méthode de recherche qualitative a été choisie puisqu’elle est adaptée pour l’exploration de comportements, d’opinions et de perceptions, de patients dans leur environnement [10] [11]. Des entretiens individuels plutôt que des focus groupes ont été réalisés dans le but de favoriser la libre expression.
Les patients ont été recrutés aléatoirement parmi les assurés sociaux de la Mutualité Sociale Agricole de l’Ille et Vilaine et du Morbihan. Les critères d’inclusion étaient un âge entre 25 et 65 ans ainsi que le statut de non salarié agricole. La variation maximale était recherchée selon l’âge, le sexe, le type d’exploitation.
Les patients ont été recrutés par courrier via la MSA : une lettre détaillant brièvement l’objectif de l’étude était adressée avec un coupon réponse et lettre T jointe (cf annexe 1). Les coordonnées des patients volontaires étaient communiquées à l’enquêteur, qui les contactait par téléphone pour convenir d’un entretien. Le lieu de l’entretien était fixé au domicile du patient.
Les participants étaient tous âgés de plus de 18 ans et ont signé un consentement écrit détaillant les caractéristiques et les aspects éthiques du projet de recherche, la confidentialité des données et la possibilité de retirer son consentement à tout moment (cf annexe 2).
Les entretiens ont été conduits par l’enquêteur à partir d’un guide (cf annexe 2) élaboré grâce aux données de la littérature et à des entretiens exploratoires réalisés auprès d’un médecin conseil de la MSA, un chargé de mission de la MSA et un médecin généraliste exerçant en milieu rural. Ils ont été enregistrés par dictaphone, intégralement retranscrits de manière littérale à l’issue de chaque rencontre via le logiciel Express Scribe® puis sur Word® et anonymisés. Une analyse thématique de contenu des entretiens a été effectuée par l’enquêteur et deux entretiens ont aussi été analysé par une tierce personne.
Résultats
1. Description de la population
Sept patients ont répondu favorablement à un premier tirage de cent assurés. Au vu du faible taux de réponse, un deuxième tirage de cent assurés a été réalisé et huit ont répondu favorablement, ce qui porte le taux de réponse à 7,5%. Deux patients n’ont finalement pas pu participer à l’étude, pour des raisons d’indisponibilité ou d’absence de réponse aux sollicitations téléphoniques. Le taux de participation était donc de 6.5%.
Treize patients ont donc été inclus dans l’étude. La moyenne d’âge était de 49 ans (de 38 à 59 ans). Les caractéristiques des patients interrogés sont reportées dans le tableau 1. Tous les patients interrogés consultaient en première intention leur médecin généraliste, intervenant de premier recours. La fréquence de consultation était : une fois par an (5/13), tous les deux ans (4/13), tous les mois (3/13) et quasiment jamais pour l’un d’entre eux.
La suffisance des données a été obtenue après 10 entretiens. Trois entretiens supplémentaires ont été réalisés.
Tableau 1
Patient Sexe Age Situation maritale Niveau d’etude Type d’exploitation Mode d’exercice Profession du conjoint Fréquence de consultation Durée de l’entretien (min) P1 M 38 Marié BTS Polyculture élevage
Seul Fonctionnaire 1 fois par an 46
P2 F 47 Mariée CAP Laitière Mari et femme Agriculteur 1 fois par an 30
P3 M 56 Marié BEP Polyculture élevage
Groupe Assistante maternelle
1 fois par mois 38
P4 M 52 Marié BAC+5 Polyculture Seul Logistique Tous les 2 ans 115
P5 M 48 Célibataire BTS Laitière Groupe familial Presque jamais 35
P6 M 52 Marié BTS Avicole Seul Ingénieur Tous les 2 ans 75
P7 F 59 Mariée BTA Polyculture élevage
Groupe Agriculteur Tous les 2 ans 35
P8 F 52 Mariée BTS Polyculture élevage
Groupe familial Agriculteur 1 fois par mois 56
P9 F 51 Mariée BAC S Polyculture élevage
Groupe familial Agriculteur 1 fois par mois 52
P10 M 49 Marié BEP Polyculture élevage Seul Agent administatif 1 fois par an 26 P11 M 53 Célibataire BTS Polyculture biologique
Seul Tous les 2 ans 31
P12 P13 F F 46 46 Mariée Mariée BAC+3 BAC+1 Polyculture élevage biologique Polyculture élevage Mari et femme Mari et femme Agriculteur Agriculteur 1 fois par an 1 fois par an 64 98
2. Des représentations et des comportements en santé spécifiques
2.1. Perceptions, représentations et connaissances
Les patients se déclaraient pour la plupart en bonne santé. (P1, P2, P3, P4, P5, P6, P7, P8, P10, P11, P12, P13)
P7 « En général, jamais malade. […] Je me sens en bonne santé. »
Une seule personne se déclarait en mauvaise santé, en raison d’une spondylarthrite ankylosante à un stade très avancé.
P9 « Je sais qu'elle s'est considérablement dégradée. »
Ils définissaient celle-ci tantôt comme un bien-être global, physique et psychologique, en omettant très souvent l’aspect social, tantôt comme l’absence de maladie ou de handicap. Beaucoup faisaient référence à la capacité de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. P11 « C’est l’essentiel, c’est le capital, toute la richesse qu’on peut créer dans une vie. Etre toujours bien portant, bien dormir, être de bonne humeur, être prêt à faire sa journée et en refaire une autre le lendemain. »
P13 « C’est vivre en ayant un corps intégral, sans des membres en moins, en pouvant bouger, manger, faire des choses sans douleurs, sans souffrance. La santé c’est l’absence de…pouvoir se bouger, se déplacer, travailler sans douleur. »
Néanmoins, plusieurs symptômes étaient souvent rapportés spontanément : les douleurs lombaires et articulaires, l’asthénie, l’anxiété et les viroses ORL ou digestives (P2, P3, P4, P5, P7, P8, P11).
P11 « À part le mal de dos. C'est tous les paysans. C'est physique. »
Ils percevaient la santé comme un état naturel et considéraient avoir peu de contrôle sur celle-ci, estimant que la nature faisait bien les choses. Peu d’entre eux y voyaient un processus dynamique, mais plutôt un équilibre présent pouvant être altéré. Un rapport au temps différent, centré sur le présent, pourrait en être à l’origine. Un certain fatalisme transparaissait lors des entretiens.
P4 « Laisser rouler. Tant que ça va bien, ça va bien. »
P10 « La santé, ça tombe du jour au lendemain, la vie tient sur un fil. »
Une minorité d’entre eux ont évoqué la notion de capital santé et de l’importance d’une vision à long terme (P2, P3, P9, P11, P12).
La plupart des patients estimaient avoir une bonne hygiène de vie avec une pratique de l’activité physique de par leur travail et parfois via le sport, ainsi qu’une alimentation saine dont ils connaissaient l’origine puisque souvent produite au sein de leur exploitation. Ils connaissaient les comportements à risque qu’ils considéraient néfastes pour la santé (tabagisme, alcoolisme). (P1, P2, P3, P4, P6, P10, P11, P13)
P10 « Je ne fais pas trop de sport, c'est du sport tous les jours. Je ne fume pas. Ou comme ça de temps en temps mais c'est tout. Je picole un peu comme tout le monde, je fais la fête. […] Pas manger trop gras, avoir une hygiène de vie saine. »
P11 « Je ne mange pas de viande, je mange des légumes. Je ne suis pas stressé. […] Je ne bois pas d’alcool. […] Je mange que des produits biologiques. […] La nourriture, c’est le premier médicament. »
Ils estimaient faire preuve de bon sens face à un problème de santé et se sentaient capables de réaliser les premiers soins la plupart du temps. Ils comptaient aussi pour beaucoup sur leur propre patience, au vu de l’évolution naturellement favorable de certaines affections (P2, P4, P8, P9, P11, P13). Ils avaient souvent recours à l’automédication, en particulier les antalgiques qu’ils connaissaient bien, pour les petits maux (infections ORL, douleurs lombaires) soit de manière autonome ou sur les conseils du pharmacien (P1, P2, P4, P5, P6, P7, P9, P10, P13).
P1 « En général on a la petite pharmacie par-ci par-là, s'il faut un Efferalgan t'as un mal de tête et puis voilà. […] T'es enrhumé, t'as mal à la gorge machin... ça se passe, deux trois machins par-ci, par-là pis on verra bien. »
P8 « Mais bon on sait très bien maintenant, on a appris...C'est par rapport à la connaissance aussi, des maladies ou du traitement qu'il peut y avoir derrière : on va vous dire il faut laisser passer, il faut attendre que ça se passe. »
De plus, certains ont fait le parallèle avec la santé de leurs animaux ou de leurs cultures, ces connaissances pouvant parfois les aider à prendre en charge leur propre santé (P3,P4, P13).
P3 « Aussi bien pour moi que pour mes animaux.[…] Aussi bien le médecin que aussi bien le vétérinaire c'est pareil. »
P9 « Je fais souvent plus attention à mes plantes et à mes animaux qu’à moi. »
P4 « Je fais plus l’analogie par rapport à ce que moi je vis avec les plantes, vu que j’ai bossé pendant 15 ans sur la santé des plantes: on fait moins d’erreurs en curatif qu’en préventif. » P13 « Si je consulte pas ou peu, c’est parce que j’ai appris à analyser les choses. Avec les animaux aussi car on a beaucoup de diarrhées, de problèmes respiratoires, j’ai appris plein de choses durant ma formation avant de m’installer en tant qu’agricultrice sur la santé animale. J’ai appris que pour un virus, on ne l’attaque pas avec des antibios. Si c’est valable
pour les animaux, c’est valable pour nous. […] J’ai également fait une formation de deux jours sur les huiles essentielles, j’ai essayé ça sur un animal qui souffrait de pneumonie et sur qui les antibios ne faisaient rien et son état s’est calmé, stabilisé. Donc maintenant, on va peut-être essayer avec ce genre de choses. »
Ils se sentaient peu à l’écoute de leur corps pour la plupart et pensaient avoir un seuil de tolérance élevé par rapport aux symptômes ou à la maladie, ainsi qu’un temps de réaction plus long avant de consulter.
Certains mettaient en doute le fait qu’ils aient un comportement véritablement adapté par rapport à la survenue d’un problème de santé, pouvant banaliser les symptômes ou faire preuve de négligence (P1, P2, P4, P5, P7, P13). Ils avançaient parfois le fait de ne pas avoir le temps nécessaire pour s’occuper de soi. D’autres au contraire, s’estimaient à l’écoute de leur corps et de leurs limites (P4). Pour beaucoup, s’accorder des périodes de répit était important (P2, P3, P4, P6, P7, P8, P9, P11).
P2 « Je ne m’énerve pas, j'attends. Dès que j'ai un petit mal, je ne vais pas y aller aussitôt. C'est peut être un tort, je ne dis pas que c'est bien. J'attendrai même trop à la limite. […] Bah on essaie de prendre du temps pour nous reposer quand même. Du repos. Un peu. Quand on peut. »
Concernant la prévention et le dépistage, ils connaissaient relativement bien les différents actes et citaient le plus fréquemment les bilans sanguins, le test de dépistage du cancer colo rectal ou les vaccinations (P2, P3, P8, P9, P11, P12, P13). La plupart estimaient que ces actes étaient utiles, aussi bien pratiqués par le médecin généraliste que via les actions menées par la MSA, au cours des Instants Santé (P3, P5, P8, P9, P10, P11, P12, P13). Ils avaient quasiment tous participé aux Instants Santé, qu’ils trouvaient bien organisés (P2, P3, P5, P8, P9, P10).
P3 « Je dis toujours il vaut mieux faire de la prévention avant de faire du pompier. Quand c'est rendu au pompier, c'est plus pareil. […] On sait jamais, on peut être bien et ne pas savoir qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez nous, qu'on ne sent pas. »
Néanmoins, deux femmes sur les six interrogés n’avaient pas réalisé le frottis ou la mammographie de dépistage.
Certains ont fait le parallèle avec la prévention chez leurs animaux ou leurs cultures (P3, P4, P6, P8, P13).
P8 « Ça a été reconnu que le fait de détecter suffisamment tôt les choses... Ça, j'en suis convaincue. C'est un peu pareil que quand vous avez mal, si vous intervenez plus tôt, vous
avez un peu moins mal un peu moins longtemps, vous soignez plus vite, et ainsi de suite. On intervient sur des animaux, on sait ce qu'il en est. »
P13, parlant de ses animaux « On les vaccine. […] J’essaye de faire de la prévention sur eux. […] Et chez nous c’est pareil. Nos défenses immunitaires, elles sont comme les autres »
Un des patients interrogés ne savait pas que le médecin généraliste pratiquait des actes de prévention.
P5 « Je ne savais pas qu'ils faisaient des actes de prévention. Parce qu'un médecin généraliste pour moi c'est quand on est en vacances, quand il y a quelque chose qui ne va pas. Il n'y a pas la prévention... ils n'ont plus le temps de le faire. C'est comme les pompiers. Ils jouent le rôle des pompiers en fin de compte.»
Certains patients considéraient que le dépistage et la prévention étaient peu utiles: l’absence de connaissances et d’intérêt pour ces actes et les contraintes de temps pouvait justifier la non-participation aux Instants Santé (P1) ; le fait d’être asymptomatique, le bilan était jugé inutile s’il était normal puisqu’il n’y avait pas d’inquiétude sur la santé (P7). L’un d’entre eux estimait que cela générait de l’anxiété et il assimilait les campagnes de dépistage à du commerce (P4).
P1 « Prévention… je dis attends je suis pas malade, j’ai mon médecin quoi ! Pour moi j’ai mon médecin attitré … je suis malade je vais voir mon médecin quoi ! […] Il y avait un truc l'autre fois qu'il fallait aller voir le médecin de la MSA. Je n'y suis pas allé, je me porte bien c'est bon. Si c'est pour entendre du baratin. Ça va à peu près, ça marche, on y arrive. […] Je dis oh c'est bon j'ai autre chose à faire. Peut-être à tort. Je n'y suis pas allé, je ne voulais pas perdre une demi-journée avec ça. […] Tu te sens pas malade donc tu te dis pfou du baratin machin là.»
En outre, l’un d’entre eux notait qu’il n’y prenait pas une part active.
P6 « Mais sans souci apparent, je ne fais pas forcément la démarche de tout contrôler. »
Concernant la prévention au travail, certains notaient que les conseils, notamment pour éviter les troubles musculo-squelettiques, étaient difficilement applicables en pratique (P1, P6, P12). D’autres étaient conscients de l’importance de l’ergonomie au travail et quelques-uns prêtaient attention aux postures ou aux ports de charges (P4, P8, P13).
Certains rapportaient également l’importance des mesures de protection vis-à-vis des phytosanitaires ou des accidents (P4, P8, P10, P13).
P1 « prendre une charge par terre on sait bien qu'il faudrait avoir le dos droit...pfff. On sait bien que quand tu as un seau au lieu d'avoir un seau plein que d'un côté il faudrait avoir 2 seaux...on sait bien...mais s'il faut faire tout ça bah on n'avance à rien. […] Et puis pour moi
je pense pas qu’ils soient vraiment dans la réalité du boulot qu’on a quoi. Pour moi c’est trop théorique. »
P8 « Après on est malins, on travaille différemment du coup on a moins de soucis derrière. […] Au travail ou bien les outils de travail, l'équipement qu'on va avoir autour. Ne pas trop forcer, ou réfléchir à ce qu'on ait moins d'efforts à faire. […] Par rapport au traitement phyto des cultures : à une époque et ce n'est pas vieux, et encore j'en ai vu un l'autre jour qui ne met pas non plus tout ce qui est combinaison, gants pour traiter. Moi toujours je suis plus vigilante là-dessus. »
2.2. La décision de consulter
Les patients déclenchaient une consultation chez le médecin pour des motifs qu’ils ressentaient comme importants, voir graves ou menaçants. La plupart du temps, il s’agissait soit de symptômes dont l’évolution était ressentie comme défavorable malgré les premiers soins effectués, soit lorsqu’ils ne les comprenaient pas ou bien lorsque la douleur dépassait leur seuil de tolérance (P1, P2, P3, P4, P5, P6, P7, P9, P10, P13).
P1 « Non c'est que c’était supportable. Des fois on est habitué d'avoir mal à une patte, ça se passe quoi. Tant que c'est supportable ça allait. Et puis arrive un moment quand c'est la nuit ça te réveille toutes les nuits bah tu y vas t'as pas le choix. »
Certains se posaient la question de la légitimité à consulter, estimant ne devoir aller chez le médecin que lorsque cela est réellement nécessaire. Derrière cette notion, on pouvait y voir une représentation du médecin comme un personnage important, respecté, qu’il faut aller voir que lorsque cela est vraiment primordial (P4, P9, P13).
P4 « Est ce que c'est grave ? Est-ce que ça vaut le coup d'y aller ? »
P9 « Je sais qu’il a beaucoup de travail. Je me dis je peux attendre, sûrement, je me dis qu’il y en a qui ont plus besoin que moi. […] Je me considère pas encore assez malade. »
P13 «Je n’ai pas cette mentalité-là d’aller embêter le médecin pour rien. Par contre quand on y va, généralement ça va mal. »
Des patients ont noté l’absence de consultations pour des certificats, notamment d’arrêt de travail (P1, P2, P4, P5, P13).
P2 « De toute façon on va pas être arrêtés. »
Ils déclaraient ne pas renoncer aux soins mais certains exprimaient repousser la prise en compte de leurs problème de santé souvent pour des raisons professionnelles et par manque de temps. Ils n’avaient pas de problème de coût de la santé ou de distance pour se rendre dans les structures de soins. Les patients attendaient souvent de se sentir obligés à
consulter ou à intervenir, la plupart du temps en raison d’une capacité de travail atteinte. (P1, P2, P3, P5, P7)
P5 « Faut vraiment que j'ai une grosse fièvre ou que ça traine... Au bout d'une semaine... On peut pas travailler, on a du mal à faire le boulot, ça c'est quand même... Voire oui quand c'est handicapant, surtout pour le métier. »
Pour plusieurs patients interrogés, venir consulter était perçu comme un effort : l’attente chez le médecin, le rendez-vous, étaient vus comme une perte de temps. La consultation et la prise de traitements étaient parfois ressenties comme une contrainte (P1) et prendre des médicaments pouvait être vécu comme contre nature (P2, P3, P4).
P1 « On a été aux urgences on a passé une demi-journée là-bas pour être un quart d'heure dans le bazar quoi ». Puis parlant du médecin généraliste : « Tu vas être la bas tu vas encore attendre encore une heure une heure et demi...ça m'agace. Pour être cinq minutes avec un médecin ! »
P2 « On va se dire, j'ai encore ça...on ne va pas encore aller... Après faut prendre des médicaments...moins on en prend mieux c'est aussi, c'est peut être ça. »
P3 « Je trouve que aller en médecine parallèle on va un peu moins vers la chimie. »
Il existait aussi chez quelques un d’entre eux une certaine peur des examens et de trouver une maladie alors qu’il se considérait en en bonne santé (P1, P4).
P1 « Et puis maintenant on ne sait jamais, le moindre truc tout de suite on va chez le médecin, faut passer une radio, des machins, on va encore trouver une tumeur une connerie comme ça, c’est que de ça maintenant donc euh…t’y vas un peu à reculons, tu dis oh là ! » P4, au sujet des examens de prévention : « 100% des gens malades autour de nous ont fait une prise de sang. Moi, je prends pas le risque !»
Concernant les facteurs liés au médecin généraliste qui pouvaient influencer la décision de consultation, certains évoquaient un problème d’accessibilité aux soins, en raison de la difficulté d’obtenir un rendez-vous rapide (P2, P5, P8) ou de ne pas ne pas pouvoir consulter sans rendez-vous (P2, P4). Le recours au spécialiste était perçu comme plus difficile, pour des raisons multiples : délais de rendez-vous, distance, mais aussi un rapport différent au médecin (P1, P3, P5, P8).
P2 « C'est pas évident non plus car notre docteur il faut avoir rendez-vous. Alors des fois si on est un peu malade le lundi, on n’a pas rendez-vous avant le mercredi voir jeudi. Des fois on dit on va essayer de se débrouiller par nous-même, rien que pour ça. Avant on avait un médecin on allait, si il y avait du monde on attendait mais bon. Je dirai que prendre rendez-vous ça freine un peu, enfin je pense. »
Plusieurs patients rapportaient qu’il était plus ou moins facile de consulter (notamment le spécialiste) ou d’avoir une intervention chirurgicale, suivant les saisons : ceci en raison d’une charge de travail variant suivant les périodes de l’année (P1, P3, P4, P6, P11).
P1 « J'ai encore eu la chance de choisir la période où je voulais être opéré : j'ai choisi en hiver où il y avait tout le boulot d’élevage concentré au même point et non pas en saison de maïs ou de foin ou en pleine saison de la moisson. On essaye de s'organiser. »
3. Le contexte professionnel
3.1. Des contraintes nombreuses
Pour beaucoup des personnes interrogées, la charge de travail était considérée comme imposante.
Premièrement, le temps de travail était déclaré comme important ; quelques patients ont bien insisté sur le fait que leur temps de travail était très différent d’un salarié (P1, P2, P3, P5, P6, P7, P13). Deuxièmement, la pénibilité physique : le travail manuel, avec parfois le port de charges lourdes ou l’exécution de mouvements répétitifs et les conditions de travail en extérieur sont des facteurs de fatigue physique. Troisièmement, les responsabilités vis-à-vis du travail : en tant que chef d’entreprise, les taches à réaliser sont multiples, aussi bien à la ferme qu’au bureau en raison de contraintes administratives jugées pesantes.
Le travail était perçu comme un devoir ou une obligation et les patients ont exprimé un certain degré d’aliénation. Par conséquent, l’attention est centrée sur le travail en quasi permanence, constituant un frein à la prise en charge des éventuels problèmes de santé. P5 « Le problème dans notre métier c'est qu'on n'a pas assez de temps de repos. […] On est plus négligeant car on est notre propre patron. […] Le souci par rapport aux exigences que nous demandent les autres, la chaîne de produits et l'administration, c'est notre exploitation, ils ne nous demandent pas si on est en bonne santé. »
P13 « Ce métier là nous mange un peu, nous accapare tellement qu’il passe toujours au premier plan. »
Certains patients affichaient leur priorité à la santé par rapport à leur travail (P3, P4, P6, P9, P10, P12) tandis que d’autres constataient que le travail prenait une place plus importante dans les faits (P1, P5, P7, P13).
P13 « Dans les faits […] le métier l’emporte toujours, nous emmène toujours. […] Il faut absolument qu’on protège notre outil de travail donc c’est forcément au détriment du reste. »
Ont été citées également des contraintes liées au remplacement en cas de problème de santé. Tout d’abord des contraintes économiques, puisque le remplaçant à un coût et le
rendement de celui-ci est jugé inferieur en raison d’un temps de travail moindre par rapport au chef d’entreprise ; mais aussi organisationnelles car la présence du chef d’entreprise est nécessaire pour la prise de décision et diriger le remplaçant et puisque la mise en place d’un remplacement pouvait parfois être difficile à initier et manquer de réactivité selon certains (P1, P2, P3, P5, P8, P13).
P13 « Un remplaçant ça fait que huit heures par jour donc nos journées à nous sont beaucoup plus longues. […] On vous en mets un pendant quatre jours, on vous l’enlève, on vous en remets un autre. Et c’est très couteux. […] Il n’y a que nous pour faire tourner la boutique. […] Si on est pas là, on ne peut pas la faire tourner. Le but du jeu c’est d’être à son travail. »
Le type d’exploitation pouvait influencer sur la capacité à être remplacé : les élevages laitiers pouvaient bénéficier d’un service de remplacement ce qui n’est pas le cas des autres types d’exploitations (P4).
Aussi, l’arrêt de travail pouvait être perçu comme un péril économique pouvant menacer l’entreprise, soit directement par la baisse du rendement qui en découlait et le coût induit, soit indirectement par les conséquences auprès des banques pour les emprunts contractés ou à venir.
P4 « L'autre côté vicieux, c'est que les jours d'arrêt, ça fait sauter les dossiers d'emprunt auprès des banques, ça pénalise. Le côté arrêt de travail, c'est la double peine pour nous.»
Il en résulte le sentiment pour les exploitants qu’ils n’ont pas le droit d’être malade. (P1, P2, P5, P8, P10)
P10 « Mais nous si tu es malade, c’est qui qui va faire le boulot ? »
3.2. Une habitude d’autonomie et un isolement
Le statut d’entrepreneur libéral, comme dans d’autres professions, nécessite et encourage l’autonomie. Certains citaient l’avantage d’être libéral pour la gestion de l’emploi du temps. Ils pouvaient reporter certaines tâches ou réorganiser leur travail en cas de problème de santé, en attendant d’être à nouveau capable de pouvoir les réaliser (P1, P2, P3, P4, P8, P11).
P8 « Donc je travaille un petit peu, on fait ce qu'on peut, à une vitesse où on peut »
P11 « Ca va être le mal de dos, alors je ralentis. Je suis obligé de ralentir. […] On rattrape après. On arrive à jongler avec les problèmes. […] On ne doit rien à personne. »
L’exploitant agricole travaille le plus souvent en autonomie et a l’habitude d’être seul durant son travail. Certains ont noté un sentiment d’isolement social du fait de ce mode d’exercice,
mais aussi probablement de par l’emplacement géographique du lieu de travail. (P1, P2, P7, P8)
Par conséquent, cette autonomie se développe probablement également dans les aspects privés de la vie des exploitants et peut avoir une incidence sur la gestion de leur santé. P9 « On traine et puis…parce que pas envie d’y aller. Pouvoir se soigner tout seul. »
4. Des causes plus profondes
4.1. L’héritage et les croyances
Les patients avaient parfois recours aux médecines non conventionnelles: homéopathie, phytothérapie, l’aromathérapie, ostéopathie étaient cités (P2, P3, P11, P13). L’un d’entre eux pratiquait l’auto hypnose (P9). Certains ont aussi évoqué des « remèdes de grand-mère » pour soigner les petits maux (P10).
Parfois, le traitement donné par le médecin revêtait un caractère magique ou mystique et les patients pouvaient considérer le praticien comme quelqu’un détenteur d’un pouvoir particulier. De plus, il persiste chez certains une vision paternaliste du rôle du médecin, pouvant renforcer le caractère passif des patients face à un problème de santé.(P3)
P2 « On a envie qu'on nous trouve le médicament miracle en fait.[…] Pourquoi on n’arrive pas à soigner certains mal de ventre, ou certains...on n’a pas un médicament qui... miraculeux quoi on va dire. »
P3 « je me dis t'es pas médecin alors va voir le docteur, il va avoir les cachets quelque chose qui va, il va te donner le traitement qu'il te faut [...] Le docteur donne le traitement. »
Plusieurs patients ont expliqué qu’il existait un caractère particulier commun aux exploitants agricoles, entrainant l’augmentation du seuil de tolérance aux symptômes et une écoute du corps différente (P2, P6, P8, P9, P10, P13).
P9 «Les agriculteurs sont durs au mal. [...] Bah je me dis des fois il faut accepter son mal et puis voilà ça passera toujours. [...] Je pense que c’est dans leurs caractères. [...] On a une résistance au fond de soi qui est peut être supérieure à certaines personnes, on encaisse plus facilement les coups quoi.»
Une des personnes interrogées avançait des raisons historiques et culturelles : autrefois, lorsque les moyens de transport étaient moins rapides, les habitants des campagnes n’allaient chez le médecin ou ne le faisaient venir qu’en cas d’extrême nécessité. La famille, anciens et plus jeunes, regroupés sous le même toit, s’organisait pour faire le travail si le malade n’en était plus capable et les plus anciens dispensaient les remèdes transmis.
Il existait également une pudeur vis-à-vis du corps et de la santé (P2, P6, P7).
Une des femmes interrogées a justifié l’absence de réalisation du frottis pour cette raison. P7 « Tout ce qui est en relation avec l'intimité, je freine des quatre fers pour aller voir le médecin. Autant je vais chez le dentiste tous les ans... Mais tout ce qui est lié à l'intimité c'est clair que je... J'ai du mal à aller voir le médecin pour ça. »
L’évocation de la maladie faisait naitre parfois un sentiment de honte : demander de l’aide d’un proche ou d’un médecin, parler de ses symptômes, pouvait être vécu comme un aveu de faiblesse.
P9 « Mais en règle générale, je n'aime pas trop en parler donc voilà quoi. J'essaye de cacher au maximum. [...] A ne pas vouloir me plaindre et à aller au jusqu’au bout. »
Une des patientes a aussi évoqué la peur de la rumeur, du regard des autres exploitants qui sont aussi des concurrents économiques.
P2 «On entend les gens, quand malheureusement il y a des gros problèmes, on en entend parler. »
Une autre patiente notait qu’elle s’évertuait à faire preuve d’une certaine forme de charité. P9 « Par contre je pense beaucoup plus aux autres qu’à moi : dès qu’un de mes proches ne se sent pas bien ou a quelque chose, je suis là immédiatement bah il faut te soigner, l’accompagner. »
4.2. Le corps comme outil de travail
Au travers du discours des interrogés, il semblait parfois ressortir une vision mécanique du corps, comme si celui-ci était une machine, un animal ou un objet, réduit à un outil de travail, et que les personnes n’en étaient plus réellement propriétaires.
P1 « Mais il m'a fait un pansement, j'ai dit vous me bricolez ça et puis ssss on va au boulot. » […] « Bon attends on va aller voir un mec qui te fait...comment on appelle ça...qui te fous la clôture électrique dans le bras... j’appelle ça la clôture électrique ! […] C'est l'épaule moi. Je vais voir le kiné, enfin l'ostéopathe. Tu me remets ça et puis hop c'est reparti ! […]
Être en condition physique correcte pour pouvoir aller travailler correctement, être à l'aise à travailler. »
P4, parlant de l’ostéopathe : « Je ne voulais pas qu'il me désosse. […] Il y a des moments où on va être à fond, on va au-delà de ce qui est raisonnable pour l'animal »
P7 « Le matin, je me lève et puis bah on va [au travail]. »
P8 « Il faut être fonctionnel […] On sera peut-être un peu moins sympa avec le corps. » Puis, parlant des sutures de son médecin traitant : « C'est lui qui soudait. »
5. Les facteurs pouvant influencer la prise en compte de la santé
5.1. Facteurs intrinsèques
Les personnes qui avaient plus de cinquante ans déclaraient pour la plupart d’entre elles prêter plus attention à leur santé (P3, P8). Ils expliquaient consulter plus rapidement et être plus à l’écoute de leur corps.
P8 « Ça a évolué avec l'âge et la maturité. […] Avec l'âge, le délai est plus court. Entre le temps que tu as le symptôme et le temps que tu réagisses, le temps est beaucoup plus rapide. »
Ceux qui avaient déjà eu des problèmes de santé expliquaient également être plus vigilants : les expériences passées peuvent donc influencer la prise en compte de l’état de santé actuel (P1, P2, P8, P9, P12, P13).
P1, au sujet de sa chirurgie du canal carpien : « Alors la deuxième main, j'avais été plus calme, j'ai tenu plus longtemps. Ça a guéri plus vite. »
P8 « Je vais plutôt aller tout de suite maintenant et avec du recul, je me rends compte que ça se résout rapidement et qu'il y a moins de séquelles. Je suis plus réactive. »
5.2. Facteurs extrinsèques
L’entourage des patients jouait un rôle particulier : les enfants, le conjoint, pouvaient, en particulier lorsqu’ils sont dans un milieu professionnel différent, avoir un regard extérieur et motiver le patient à consulter plus facilement ou rapidement face à un symptôme (P3, P7, P8).
La présence de collègues au travail, pour les mêmes raisons mais aussi parce qu’ils permettaient de remplacer le patient au travail en cas de problème de santé, pouvait aussi avoir un rôle protecteur. (P2, P3)
P8 «Ça fait beaucoup le fait que les épouses d'agriculteurs ne font pas forcément partie de la profession. Dans beaucoup de domaines mais entre autre dans un apport médical. […] Les épouses qui disent : tu ne vas pas rester là comme ça ! […] Maintenant y'a les enfants et les épouses qui ne sont plus forcément dans le monde agricole, qui ont un autre regard sur les choses, donc qui sont beaucoup plus réactives. »
6. Les attentes des patients
Les patients attendaient que le médecin les écoute et comprenne leurs problématiques, notamment en termes d’organisation des soins par rapport à leur travail et souhaitaient être
pris au sérieux puisqu’ils estimaient consulter pour des motifs importants. Ils voulaient également une prise en charge rapide en cas de besoin ressenti.
P13 « Vu qu’on attend le dernier moment, on a tendance à presser les autres, « moi c’est urgent », on a tendance à vouloir être soigné plus rapidement.»
Une des patientes attendait de son médecin des compétences larges, de sorte qu’elle puisse n’avoir que lui comme référent par rapport à sa santé.
P8 « Si le docteur du secteur est compétent, je sais que M. X ici, il va aller en retraite là maintenant. Il s'est habitué ici mais je ne sais pas si vous êtes à même de le faire autrement mais tout ce qui est coupure, c'est lui qui soudait, qui recousait. Il s'est formé, je ne sais pas si ça existe toujours, dans une médecine un peu spécifique au monde agricole. […] Mais par rapport à être beaucoup plus réactif, par rapport aux situations et non pas systématiquement emmener les gens...[sous-entendu aux urgences ou chez le spécialiste]. Il a fait pas mal de choses comme ça, où il fallait dépanner. »
Ils estimaient nécessaire qu’on leur dispense un traitement efficace rapidement, afin de pouvoir recouvrir leur capacité physique pour assumer leurs responsabilités professionnelles. (P2, P8).
P12 « Les agriculteurs, ils ne repayent pas deux consultations s’ils ne sont pas soignés, ils en payent une, c’est la consultation qui doit soigner. »
Il existait un désir d’éviter l’hospitalisation, de peur de laisser l’entreprise. Certains ont exprimé leur intérêt pour les prises en charge en ambulatoire en cas de chirurgie par exemple, afin de pouvoir être présent rapidement sur leur exploitation, même en cas d’arrêt de travail, pour surveiller et organiser le travail.
Ils appréciaient la proximité géographique du médecin généraliste et jugeaient que la distance était un facteur influençant la participation aux Instants Santé.
P5, au sujet des Instants Santé: « c'est pas très loin et heureusement. »
Pour quelques-uns d’entre eux, ils s’attendaient à se voir proposer des actes de prévention au cours de consultation pour un problème aigu.
P5 « Ils n'ont pas trop le temps de le faire ou ils ne prennent pas le temps, je n'en sais rien. C'est bien pénible aussi. Je sais bien qu'ils ont du boulot, c'est clair. »
P6 « Le médecin m'a pris en urgence et c'est à cette occasion là que j'en ai profité pour ramener le papier du test colorectal. »
Concernant les Instants Santé, la majorité des patients trouvaient cela utile et s’attendaient à être relancés pour y participer. Un autre estimait que les Instants Santé ne touchaient pas le bon public, pensant que ceux qui y participent prennent déjà soin de leur santé.
P11 « Quand les gens ne vont pas au médecin, ils ne vont pas non plus aux Instants Santé »
L’une des patientes participant aux Instants Santé se demandait comment améliorer ce programme pour qu’il puisse bénéficier à plus d’agriculteurs: elle proposait d’en modifier la perception qu’en ont ceux-ci.
P8 « On entend quand même dire que cela ne sert à rien. Le souci c'est que si la personne n'a rien, ça ne sert à rien. Mais si on détecte un cas de cancer grâce à ce biais-là, c'est déjà pas mal. Il faudrait peut-être le peaufiner un peu plus. Avoir le temps, avoir les moyens sans doute, je ne sais pas comment l'améliorer pour que les gens le perçoivent un peu mieux. Après, il y a quand même un pourcentage de gens qui y vont ? Est-ce qu'il ne faut pas l'améliorer et comment ? Je ne sais pas. »
Quelques-uns appréciaient les réunions thématiques sur la santé proposés par la MSA mais n’avaient pas toujours le temps pour y participer. Certains ont exprimé le souhait d’avoir plus d’informations sur les signes devant amener à consulter le médecin, les viroses, les vaccinations par exemple (P2, P3, P4).
P4 « On est passif. J'attendrais de la MSA qu'ils soient plus sur la pédagogie. Nous expliquer les types de symptômes, ce que cela peut être. »
L’un d’entre eux souhaitait plus de pédagogie et obtenir des informations scientifiques sur la validité du dépistage (P4).
P4 « Si j'étais capable de faire mon opinion sur les bénéfices attendus, je pourrais regarder plus d'un autre œil. »
Discussion
1. Limites de l’étude
Le mode de recrutement, par tirage au sort, a pu entrainer un biais de sélection : bien que plus difficile à réaliser techniquement, il aurait été plus judicieux de sélectionner des profils différents parmi les assurés de la MSA en fonction de l’âge, du sexe, du type d’exploitation, mais aussi des chiffres de leur consommation en soins et en biens médicaux, des actes de dépistage et de la participation ou non aux Instants Santé pour obtenir une variation maximale. Ainsi, nous aurions pu améliorer la diversité des points de vues notamment en interrogeant plus de patients qui ont peu de suivi médical et font peu d’actes de prévention. Néanmoins, vu le faible taux de réponse au premier tirage au sort et au deuxième, il n’est pas certain que nous aurions pu atteindre cette population avec cet autre mode de recrutement.
Le courrier initial de la MSA faisait référence au thème de l’étude « sous-consommation médicale » et a pu influencer la décision de participation à l’étude et la spontanéité des patients lors des entretiens.
Ainsi, les personnes interrogées avaient peut-être un intérêt personnel pour la santé supérieur à la population étudiée ; le faible taux de réponse parmi les assurés sollicités pourrait conforter cette hypothèse. Pour exemple, deux patients étaient délégués de la MSA ; trois allaient tous les mois consulter leur médecin traitant pour reconduire leur traitement (et l’une d’entre elles avait une fille travaillant en imagerie médicale) ; une exerçait la profession d’ambulancière avant de rejoindre son mari sur l’exploitation ; une était infirmière reconvertie à l’agriculture et ses parents étaient médecins ; une avait une fille qui est infirmière.
Un biais d’intervention a pu également exister puisque tous les entretiens ont été réalisés par un seul enquêteur, même si celui-ci a essayé d’être le plus neutre possible.
Un biais de mémorisation a dû exister lorsque le patient relatait ses expériences et son vécu des soins effectués auparavant.
La validité externe est limitée par la petite taille de l’échantillon mais aussi par le fait que peu de jeunes exploitants et de non consommateurs de soins ont participé à l’étude.
Une triangulation des résultats par double codage a été effectuée pour deux entretiens ce qui a permis au moins partiellement de limiter le biais d’interprétation.
2. Forces de l’étude
Cette étude a permis de donner la parole aux exploitants agricoles concernant leurs comportements et représentations en santé afin d’éclairer les raisons d’une consommation
en soins différente et d’une participation à certains actes de prévention et de dépistage inférieurs à la population générale. Les témoignages, de par leur profondeur, leur sincérité et leur richesse montrent que les personnes interrogées appréciaient que l’on s’intéresse à eux et souhaitaient faire connaître leurs conditions. De plus, à l’inverse des enquêtes par questionnaires sur papier, les entretiens en face à face ont été bien accueillis grâce à l’échange enrichissant qu’il en résulte.
Enfin, peu de travaux existent sur ce sujet et cette étude ouvre de nouvelles pistes de réflexion.
3. Commentaires et perspectives
Ces témoignages permettent de mieux comprendre les perceptions qu’ont les agriculteurs interrogés par rapport à leur santé : ils se déclaraient plutôt en bonne santé, mais voyaient souvent celle-ci comme l’absence de maladie et comme un état présent pouvant être altéré, risquant dans ce cas d’empêcher d’exercer leur activité professionnelle.
L’hygiène de vie, notamment par une alimentation considérée comme saine et la connaissance des comportements à risque, était avancée par les patients comme un moyen simple d’expliquer et de veiller à leur bonne santé.
Etonnamment, plusieurs patients faisaient le parallèle avec la santé de leurs animaux ou de leurs plantes : cela signifie que l’on peut parfois utiliser les images et le vécu du quotidien de chaque patient dans les éléments de communication ou en consultation lorsque ceci semble adapté.
Les personnes interrogées estimaient faire preuve de bon sens, notamment pour les petits maux, avaient un seuil de tolérance à la douleur plus élevé et étaient peu à l’écoute de leur corps. Ils décidaient de consulter lorsque le motif leur semblait suffisamment important, souvent lorsque la capacité de travail était atteinte, ce qui concorde avec les données de la littérature [1]. Ceci montre qu’ils n’ont pas d’inquiétudes particulières par rapport à la maladie tant que celle-ci n’a pas de répercussion professionnelle. Ils avaient recours à l’automédication, probablement par manque de temps et par besoin de soulagement rapide, ces causes étant retrouvées dans d’autres travaux [12] [13]. Une de ces études avançait que les agriculteurs avaient plus souvent recours à l’automédication qu’à la pharmacie prescrite [13].
Ils connaissaient pour la plupart les actes de prévention et de dépistage et reconnaissaient leur utilité. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène : premièrement, ces données peuvent être liées au biais de sélection. Deuxièmement, la Bretagne est l’une des régions de France où il y a le plus fort taux de participation aux Instants Santé [8], probablement en raison d’une bonne communication et de relances régulières auprès des assurés sociaux de la MSA.