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Entre privilège et marginalisation : politiques de la culture et développement du tourisme ethnique chez les Mayas Lacandóns de Nahá, Chiapas, Mexique

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chez les Mayas Lacand6ns de Nahâ, Chiapas, Mexique

Manon Lévesque Département d'anthropologie

Université McGill, Montréal Février 2005

Mémoire de maîtrise soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du grade de M.A. en Anthropologie

(4)

Published Heritage Branch

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395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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Résumé

Dans ce mémoire, j'examine comment, au cours du vingtième siècle, les Lacand6ns, un groupe minoritaire de

r

ethnie maya, en sont venus à être considérés comme les autochtones les plus « purs» entre tous au Chiapas, un état situé au sud-est du Mexique. Alors que le tourisme ethnique fait présentement l'objet d'importants

développements, une conception de la culture qui met

r

emphase sur les traditions et la continuité avec le passé est véhiculée. Je tenterai de démontrer que

r

essentialisation de la culture lacand6n impose des contraintes avec lesquelles les individus doivent composer. Mais, alors que les façons dont ils se définissent et se représentent face aux touristes, anthropologues et autres visiteurs étrangers révèlent l'effet insidieux de cette

essentialisation, on verra également qu'à travers ces rencontres, les Lacand6ns négocient un espace à l'intérieur duquel ils articulent leurs subjectivités tout en répondant aux attentes des visiteurs.

Abstract

In this thesis, 1 examine how, during the twentieth century, the Lacand6ns, an ethnic subgroup of the Mayas came to be considered the « purest » of the indigenous groups living in Chiapas, the southeastemmost state of Mexico. As the development of ethnie tourism continues to intensif y, a conception of culture that emphasizes timeless traditions and continuity with the past is concurrently increasing. 1 intend to demonstrate that this essentialization of the lacand6n culture imposes constraints within which individuals must operate. However, while the ways in which they define and represent themselves for tourists, anthropologists, and other visiting foreigners reveals the

pervasiveness of this essentialization, it is also argued that through these encounters, the Lacand6ns negotiate a space in which they articulate their subjectivities as they meet visitors' expectations.

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Remerciements

Le chemin que j'ai parcouru pour mener à terme ce mémoire m'a fait entrer en contact avec un nombre incalculable d'individus. Si mes remerciements vont à toutes ces personnes, je n'en nomme ici qu'une fraction, composée de celles et ceux dont la

présence, l'enseignement, les commentaires et le support ont été des plus décisifs pour ma progression.

J'aimerais tout d'abord témoigner ma reconnaissance à la communauté de Nahâ pour l'accueil que j'y ai reçu. Je tiens à remercier, entre autres, les personnes qui, en me communiquant leurs vues, ont éclairci des situations dans lesquelles j'étais parfois embrouillée. Je remercie tout spécialement les membres de ma famille d'accueil, mes mamans, mes sœurs et mes frères, qui m'ont si généreusement accueillie et qui se sont préoccupés de moi quand je tardais à sortir de mon antre. Ma présence au sein de cette famille et dans la communauté, en plus de l'exercice intellectuel qu'elle a suscité, a été une expérience personnelle extraordinaire.

À l'Université McGill, mes remerciements vont aux professeurs du département qui, par leurs enseignements, ont approfondi mes connaissances et aiguisé le regard critique que je porte sur le monde. Ces remerciements s'adressent tout spécialement à ma superviseure, Kristin Norget, pour m'avoir fait découvrir un pan fascinant de la littérature et pour m'avoir fait comprendre que je pouvais croire en moi-même. Je souhaite exprimer toute ma gratitude aux professeurs qui, en plus de m'enseigner, ont fait partie de mon comité de supervision, soit Carmen Lambert, dont la confiance en mes capacités et en mon jugement m'a ouvert les portes vers de nouvelles expériences, et Colin Scott, dont l'ouverture et les commentaires ont été d'une aide précieuse. J'aimerais aussi remercier Laurel Bossen et John Galaty pour avoir créé des espaces de discussion particulièrement stimulants. Mes remerciements vont de plus à Cynthia Romanyk qui, sans jamais perdre le sourire, a répondu à toutes mes questions, ainsi qu'à Rose Marie Stano qui a réussi l'impossible, soit me calmer dans des moments de hautes tensions.

Je remercie tous mes amis et collègues à STANDD : Isabelle Poulin, en plus d'être un modèle de discipline et d'assiduité au travail, ton aide généreuse m'a permis de mener ce mémoire à terme dans des conditions humaines, Annie Jaimes, pour ta patience et ta sensibilité face à mes complaintes ainsi que pour avoir partagé tes vues

enthousiasmantes sur mon travail, Scott Matter, Margaret Garrard, Olivier Larocque, Pierre Minn, Julia Freeman, Rémy Rouillard, Nicole Gombay, Maria Eugenia

Brockmann, Stephen Moiko, Morgan Smith, Sabrina Doyon, Allan Dawson, Karen McAllister, Jason Paiement et tous les autres. En partageant avec moi vos réflexions, vos connaissances et vos idéaux, vous avez été une source de motivation constante tout au long de mon parcours à vos côtés.

J'aimerais également adresser de sincères remerciements à Marie France Labrecque à l'Université Laval. En m'ouvrant votre porte comme vous l'avez fait et en croyant en moi, vous avez joué une part importante dans la concrétisation de ce projet de maîtrise. Sans cela, j'aurais probablement pris la clé des champs plutôt que de poursuivre plus avant dans le monde académique. Je suis reconnaissante aussi envers les autres

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professeurs qui m'ont enseigné à l'Université Laval et à l'Université de Colombie-Britannique et sans lesquels, la fibre anthropologique n'aurait pas vibré en moi.

l'ai fait mes premiers pas au Chiapas en tant que volontaire à Na Bolom. Pour ce, je dois des remerciements à Fabiola Sânchez Balderas qui a rendu ce séjour possible et

qui m'a conduit vers Naha la première fois. De là, comme un oiseau, j'ai appris à voler de mes propres ailes.

À toute l'équipe de la CONANP, et spécialement à José Hemândez Nava, Don Félix, Sergio Montes et Hugo qui ont partagé avec moi leurs visions, leurs espoirs, mais aussi leurs inquiétudes vis-à-vis la situation fort complexe dans laquelle se trouvent plusieurs communautés autochtones au Chiapas, je tiens à dire mille fois merci. Votre générosité a été des plus rafraîchissantes, croyez-moi.

À Karine van Ameringen et Iphigénie Marcoux-Fortier, mes amies et collègues dans cette aventure qu'est le film et que fut le mois de tournage dans la communauté, vous m'avez, lors de nos innombrables discussions, offert des perspectives originales et spontanées pour lesquelles je vous remercie. Je ne saurais non plus oublier votre

générosité à l'égard des photos qui apparaissent dans ce mémoire.

Merci également à Tim Trench pour avoir grandement facilité mes recherches bibliographiques et pour avoir si généreusement partagé avec moi ses vues, à Rolando Gomez, Raul Duron et Miguel Dewever pour les informations et les discussions

stimulantes, à Elisa Martfnez pour m'avoir offert un toit à chacun de mes séjours à San Cristobal ainsi qu'à toutes les personnes dans les institutions que j'ai visitées qui ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions.

Pendant tout ce temps, les membres de ma famille, Hélène, Jean-Guy, Lulu, Benoît et Nathalie, m'ont regardée aller et, toujours, revenir. À chaque retour, vous m'avez offert un accueil apaisant. Pour cela et pour tout le reste, merci.

Enfin, j'aimerais dédier le fruit de ces efforts à Carlos Antonio, mon complice de tous les instants, ceux de joie comme ceux de tristesse. Ce fut un parcours parfois ardu que par ta seule présence tu as adouci. Merci.

Par ailleurs, cette recherche n'aurait pas été possible sans l'appui financier des Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture, de l'Université McGill

(Max Stem recruitmentfellowship), de STANDD (Centre for Society, Technologyand Development), du Centre de recherche et d'enseignement sur les femmes (Margaret Gillett Graduate Research Award), du Conseil de recherches en sciences humaines du

Canada, de ma superviseure, Kristin Norget, et de l'Office Québec-Amériques pour la jeunesse.

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,.." Table des matières ,.."

Résumé / Abstract ... ii

Remerciements ... iii

Liste des cartes ... vi

Acronymes ... vi

1 - Introduction ... 1

Les Lacand6ns dans la littérature ... et dans mon imaginaire ... 1

Tourisme et développement à Naha, Chiapas, Mexique ... 4

De l'ethnographie au mémoire ... 5

De l'anthropologie au tourisme: culture et représentation ... 9

2 - Laforêt Lacandona : histoire et politiques de la culture ... 12

La forêt Lacandona, une terre convoitée .. ... 13

L 'histoire des Lacand6ns, une histoire distincte ... 15

Gertrude Duby et Frans Blom, témoins de grands bouleversements ... 21

1ndigénisme mexicain .. ... 25

De la « Brecha » au Zapatisme ... ... 30

3 - Conservation et tourisme: émergence de la rhétorique du Bon et du Mauvais Sauvage ... 33

« Vivre en harmonie avec la forêt» : pierre angulaire du processus de dichotomisation ethnique ... 33

Tourisme: intensification des activités et de la présence institutionnelle ... 37

4 -P · ·1" ." nVl egles ou margina lses. . ... . . I·"? 44 Le tourisme comme outil de développement ... 44

L'équation culture et tradition: la base du développement de l'ethnotourisme à Naha ... 47

Quand changement devient synonyme de désintégration ... ... 50

Entre tradition et modernité: tourisme et authenticité revisités ... 53

5 - « Netsoy Rach Winik! » : discours réappropriés, espace négocié .••••••••••••• 61 L'espace de la rencontre interculturelle ... 62

Mais où donc sont passés les touristes? ... 65

Culture et capital symbolique ... 72

Artisanat lacand6n : source de revenu et d'indépendance pour les femmes ... 75

Hach Winik: de« vrais hommes» à « vrais Mayas» ... 79

6 - Conclusion ... 81

Annexe 1 - Tableau - Réception des touristes au sein des familles et fabrication d' artisanal ... 85

Annexe 2 - Photos - Fabrication d'artisanat ... 88

Annexe 3 - Certificat d'acceptabilité éthique ... 90

(9)

Liste des cartes

Carte1: forêt Lacandona, Chiapas, Mexique ... 15

Carte 2 : emplacement des communautés lacand6ns depuis le décret (incluant les endroits où vivaient les familles avant le regroupement en communautés) ... 16 Carte 3 : limites de la Comunidad Lacandona ... 16 Carte 4: emplacement de Naha et Metzabok par rapport à la REB/MA ... 19

Acronymes

COFOLASA Compafiia Forestal de la Compagnie forestière de la

Lacandona, S.A. Lacandona.

CONANP Comisi6n Nacional de Areas Commission Nationale des Aires

Naturales ProteRidas Naturelles Protégées

CONASUPO Comisi6n Nacional de Commission Nationale de

Subsistencias POJJulares Subsistance Populaire

lliNyE /nstituto de Historia Natural y Institut d'Histoire Naturelle et

Ecologia d'Écologie

INE /nstituto Nacional de Ecologia Institut National d'Ecologie INI /nstituto Nacional /ndiRenista Institut National Indigéniste REBIMA Reserva de la Biosfera Montes Azules Réserve de la Biosphère Montes

Azules

SEDESOL Secretaria de Desarrollo Social Secrétariat de Développement Social

SECTUR Secretaria de Turismo Secrétariat du Tourisme

SEMARNAP Secretaria dei Medio Ambiente, Secrétariat de l'Environnement,

Recursos Naturaies y Pesca des Ressources Naturelles et des Pêches (est devenu la

SEMARNATen 2001)

SEMARNAT Secretaria dei Medio Ambiente y Secrétariat de l'Environnement et

(10)

1 -

Introduction

No understanding of mimesis is worthwhile

if

it lacks the mobility to traverse this two-way street, especially pertinent to which is Euro-American colonialism, the felt relation of the civilizing process to savagery [ .. .].

Michael Taussig, Mimesis and Alterity (1993)

Les Lacandôns dans la littérature ... et dans mon imaginaire

La littérature sur les Lacand6ns, un groupe de près de 900 autochtones, est vaste, et m'a d'abord mystifiée. Habitant la forêt tropicale du Chiapas, située à l'extrémité sud du pays, là où les forêts du Mexique et du Guatemala se rencontrent, les Lacand6ns sont présentés dans la littérature comme un groupe minoritaire vivant selon un mode de vie toujours régulé par des traditions provenant d'un passé lointain et mystérieux. Leur tunique blanche et leurs longs cheveux, qui les différencient des autres autochtones, sont devenus des symboles par lesquels on les reconnaît comme étant les plus « primitifs» entre tous.

À travers mon exploration de la littérature, je me suis aperçue que les étrangers avaient été nombreux à s'intéresser aux Lacand6ns. En plus des anthropologues et des touristes, l'État mexicain et les fondateurs de l'Association Culturelle Na Bolom (une ONG locale) ont certainement été parmi les plus assidus. C'est ainsi que j'ai appris qu'un décret avait fait des Lacand6ns les propriétaires de plus de 600 000 hectares de forêt et les avait conséquemment placés dans une position qui contrastait avec celle des autres

groupes autochtones vivant aussi dans la forêt Lacandona, qu'ils soient Tzeltals, Tzotzils, ChoIs, Tojolabals ou autres. Alors que la situation précaire dans laquelle se trouvaient plusieurs de ces derniers les a poussés à joindre les rangs des Zapatistes, le décret semblait au contraire assurer aux Lacand6ns un avenir à l'abri des tourments de la modernisation et des politiques néolibérales. Exception faite du processus de

sédentarisation} nécessaire au regroupement en communautés leur ayant été imposé, rien

1 Il semble toutefois que la sédentarisation elle-même consistait en une altération seulement partielle de leur

mode de vie puisque les Lacand6ns, traditionnellement agriculteurs, vivaient de façon semi-sédentaire. Tozzer au début du xxe

siècle affirmait qu'ils ne changeaient de lieu de résidence qu'aux trois ou quatre ans, soit lorsque la terre cultivée devenait stérile (1907 : 38).

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du mode de vie des Lacand6ns n'était remis en cause. En fait, ils étaient plutôt fortement encouragés, notamment par le gouvernement, à le maintenir tel quel et surtout, à

continuer à vivre selon leurs traditions. Les territoires leur appartenant, éventuellement transformés en aires protégées, étaient destinés à devenir des zones où la vie traditionnelle des Lacand6ns pouvait, harmonieusement, suivre son cours.

Au fil de mes lectures, les Lacand6ns se formaient dans mon imaginaire comme un groupe ethnique ayant maintenu des traditions et un mode de vie qui, somme toute, étaient demeurés sans grands changements. Quelques publications parmi les plus récentes laissaient toutefois entrevoir que leur survivance était maintenant menacée. Mes lectures m'ont aussi donné l'impression que la présence d'un gouvernement décidément

paternaliste aplanissait tout besoin de proclamation identitaire : leur identité en tant que Lacand6ns était célébrée par le régime lui-même.

Mes premiers contacts avec les Lacand6ns vivant à Nahâ2 ont contribué à la formation de cette vision qui s'était formée dans mon imaginaire3. Au premier coup d'œil effectivement, ils semblent vivre selon des traditions ayant existé depuis au moins aussi longtemps que les anthropologues, missionnaires et explorateurs en ont témoigné.

D'ailleurs, plusieurs des descriptions fournies il y a près de 100 ans par Alfred M. Tozzer (1907) dans une étude comparative des Mayas du Yucatân et des Lacandôns s'appliquent dans une certaine mesure encore aujourd'hui. Bien que de façon moins intensive, les Lacand6ns pratiquent toujours l'agriculture, ils continuent de chasser et de pêcher, ils

2 Naha, qui vient de « na », ou maison en maya-lacand6n et de « ha », qui signifie eau, est située aux bords

de trois lagunes. Au moment où le décret a été signé, les Lacand6ns ont été amenés à se regrouper en trois villages, auxquels on réfère toujours en tant que communautés. Située tout juste à côté des ruines de Bonampak, Lacanja Chansayab est la plus peuplée avec près de 600 habitants. Naha pour sa part compte environ 200 personnes et Metzabok, la plus petite, compte une quinzaine de familles, soit moins de 100 personnes. Le chiffre de 600 pour Lacanja Chansayab inclut par contre des familles de Naha et Metzabok y ayant immigré dans les deux dernières décennies, dont certaines ont formé un nouveau regroupement qui porte le nom de Béthel. Il comprend aussi les familles de Lacanja Chansayab qui se sont installées à San Javier, soit près de la route frontalière (voir carte 2). Dans la littérature, on réfère aux Lacand6ns de Naha et Metzabok comme constituant le groupe septentrional et à ceux de Lacanja Chansayab comme constituant le groupe méridional. Cette division entre Nord et Sud marque aussi une certaine division culturelle, visible notamment dans la longueur de leur tunique et dans la façon dont les hommes du groupe septentrional coupent leurs cheveux à l'avant. Pour plus d'information à l'égard des différences culturelles entre ces deux sous-groupes, voir notamment l'étude comparative de Didier Boremanse (1998).

3 Je suis allée pour la première fois à Naha en mars 2002 alors que je travaillais comme volontaire à Na Bolom et j'y suis retournée pour une seconde fois en janvier 2003 afin de vérifier s'il était possible d'y conduire mes recherches. Dans chacun des cas, ma visite n'a duré que quelques jours.

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fabriquent toujours des arcs et des flèches (qu'ils vendaient déjà aux touristes à cette époque) ainsi que des figurines en terre cuite utilisées lors de cérémonies religieuses.

Le type de contact qu'ont les touristes avec les Lacand6ns est certainement similaire à celui que j'ai eu. Pour ceux qui s'y rendent en utilisant les transports en commun, les longues heures passées dans l'inconfort d'un vieil autobus progressant péniblement sur une route cahoteuse contribuent à faire paraître Nahâ, c'est indéniable, comme une communauté isolée. Bien que seulement 100 kilomètres séparent Nahâ de Palenque, où se trouvent un important site archéologique de l'époque classique, le voyage en autobus prend aux environs de cinq heures. Pour ceux qui s'y rendent depuis San Crist6bal de Las Casas, une petite ville coloniale située dans les hauteurs du Chiapas qui se retrouve immanquablement sur l'itinéraire des voyageurs, spécialement ceux intéressés par les cultures autochtones, c'est un voyage de huit heures qu'ils auront à faire pour parcourir les 150 kilomètres qui les séparent de Nahâ.

Quand, à leur sortie de l'autobus, les touristes s'informeront des possibilités d'hébergement, on leur indiquera probablement de se rendre à la maison de Chank'in Viejo, l'ancien leader de Nahâ décédé en 1996, pour y rencontrer l'une de ses veuves. Lorsque ce dernier vivait, les étrangers (anthropologues, explorateurs et autres) de passage dans la communauté séjournaient chez lui. Tout indique que c'est parce que Chank'in Viejo était un ardent défenseur des traditions des Lacand6ns que Nahâ est maintenant regardée comme la communauté les ayant le mieux préservées. Aujourd'hui, les deux veuves lui ayant survécu y sont considérées comme faisant partie des dernières personnes à vivre selon un mode de vie traditionnel. Cette maison semble donc tout indiquée pour recevoir touristes '" et anthropologues.

Mais l'image qui s'était graduellement formée dans mon imaginaire était vouée à la dislocation ...

Entre juin et octobre 2003, je suis allée à Nahâ dans le but d'y conduire une étude de terrain portant sur le développement du tourisme. Un projet de construction de cabines touristiques y était à ce moment en cours de réalisation. D'autres projets, plus modestes, se sont également ajoutés à ce dernier lors de ma présence dans la communauté. Les efforts mis de l'avant reposent sur le fait que les Lacand6ns, et particulièrement ceux vivant à Nahâ, constituent une « attraction touristique ». Leur culture, leurs traditions et,

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parmi celles-ci, leur contact étroit avec l'environnement naturel, font en sorte que soient développées des activités ethnotouristiques et écotouristiques.

Tourisme et développement

à

Naha, Chiapas, Mexique.

Dans le cadre des efforts présentement déployés pour développer l'offre de produits et services touristiques à Nahâ, quelques institutions gouvernementales ainsi qu'une organisation non gouvernementale (Na Bolom) y sont présentes de façon régulière. Dans ces institutions, le tourisme est conçu et utilisé comme un outil de développement socio-économique ayant le potentiel d'initier le développement dans les régions les moins développées. Les objectifs à cet effet sont clairs: en augmentant les revenus des familles, on souhaite permettre à celles-ci d'améliorer leur niveau de vie. Suivant cette vision, on comprend qu'au Mexique, la nécessité d'aller plus avant sur la voie du développement se soit traduite par de lourds investissements dans l'industrie touristique. Seulement dans les états du Sud du pays (qui sont parmi les plus pauvres), on compte au moins deux projets de développement massif. Le Plan Puebla-Panama A par

exemple, que Vicente Fox promeut à grandes pompes depuis son arrivée au pouvoir en 2000, est un projet de développement qui vise à consolider le partenariat entre les pays d'Amérique centrale afin d'y augmenter les échanges commerciaux (Alonso 2(01). Avec une meilleure concertation, on vise également à stimuler l'industrie du tourisme. De façon similaire, dans le cadre du projet Munda Maya, le Mexique a joint ses efforts à ceux du Guatemala, El Salvador, Honduras et Belize dans le but de promouvoir l'écotourisme et le développement durable comme moyen d'améliorer l'économie et le niveau de vie des populations (Daltabuit Godâs 1999). Et à ces derniers, il faut ajouter une panoplie de projets qui, bien que moins ambitieux en terme d'étendue géographique, ne le sont pas moins en terme des impacts socio-économiques qu'ils souhaitent générer.

Malgré les grands discours toutefois, le développement n'est pas accessible à tous. Pendant que les présidents qui se succèdent à la tête du Mexique poursuivent sur la voie de la néolibéralisation, au Chiapas, un état périphérique parmi les plus pauvres et les moins développés du pays, plusieurs communautés autochtones n'aspirent toujours qu'à

4 Au Mexique, le Plan Pluebla-Panama couvre tous les états situés au sud de Puebla, c'est-à-dire Puebla,

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combler leurs besoins de base. Dans un contexte où ces communautés se voient refuser l'accès à une terre et où les inégalités profondes persistent, le soulèvement zapatiste du premier janvier 1994, date d'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain, est hautement significatif et, faut-il avouer, pas tellement surprenant.

Pendant ce temps, le tourisme, qui a la particularité de mettre en contact des personnes de cultures différentes, tend à être développé là où les groupes locaux

répondent le mieux aux attentes des visiteurs, lesquelles sont fréquemment régies par une quête d'exotisme et d'authenticité. Puisque les Lacand6ns ont vécu, au fil des siècles, plus isolément que quelconque groupe, le développement du tourisme, et plus spécifiquement de l'ethnotourisme, rencontre à Nahâ un potentiel que peu de communautés présentent.

De l'ethnographie au mémoire

Évidemment (et heureusement), mes investigations m'ont permis d'aller au-delà de ma première impression. Pendant mon terrain, j'ai observé les façons selon lesquelles les Lacand6ns perçoivent la présence étrangère dans leur communauté, laquelle englobe non seulement les touristes et anthropologues, mais également les représentants

d'institutions qui y implantent des projets de développement (et qui y ont été nombreux lors des quelques mois pendant lesquels j'y suis demeurée). J'ai voulu comprendre comment les gens à Nahâ se positionnent par rapport à ces projets et plus globalement, par rapport au tourisme et aux changements qui se produisent dans leur communauté et dans leur vie. l'ai, bref, observé comment les significations rattachées à certaines pratiques se transforment.

Après avoir obtenu la permission de l'assemblée5 de demeurer dans la

communauté et d'y conduire mes recherches, j'ai entrepris de me rendre dans chacune des maisons afin de faire mon propre recensement. Mais plus qu'un recensement, cette

tournée des maisons a été l'occasion de rencontrer également les femmes et d'offrir à tous l'opportunité de m'interroger.

5 Tous les hommes âgés de 15 ans et plus, les comuneros, se réunissent sur une base régulière, parfois

jusqu'à trois ou quatre fois par semaine, pour discuter des divers dossiers qui concernent l'ensemble de la communauté. C'est le commissaire, un homme de Naha qui convoque une assemblée lorsque nécessaire.

(15)

Dans le cadre de mon terrain, j'ai utilisé les entrevues formelles de façon très limitée. En fait, j'ai plutôt privilégié les conversations informelles quotidiennes comme moyen de recueillir les propos des gens6. De plus, ces conversations se sont déroulées, le plus souvent, sans que j'aie recours à un carnet de note. J'ai effectué ces choix

méthodologiques dans le but d'aller au-delà des discours que les Lacand6ns sont habitués de servir aux étrangers 7•

Par ailleurs, dès mon arrivée, j'ai rapidement constaté que l'on me percevait comme travaillant toujours pour Na Bolom. Si la confusion n'avait rien de surprenant, elle n'en était cependant pas moins troublante. En assemblée donc, j'ai expliqué la nature du lien qui m'avait uni à Na Bolom dans le passé et j'ai réitéré que ce lien n'existait plus puisque j'étais maintenant présente dans la communauté sur une base individuelle. La même situation s'est reproduite, quoique à un degré moindre, lorsque, quelques mois plus tard, j'ai rencontré les membres de l'équipe de la Commission Nationale des Aires

Naturelles Protégées (CONANP)8. Malgré une prise de position claire de ma part vis-à-vis ces institutions, on ne m'a jamais formulé de critique ouverte à leur endroit. Au plus, quelques individus m'ont communiqué des opinions mitigées. Aux yeux des Lacand6ns après tout, j'étais, moi aussi, une étrangère.

Mon quatrième et dernier mois de terrain a été consacré au tournage d'un film ethnographique portant, tout comme mes recherches, sur le développement du tourisme. Deux étudiantes en communication sont venues me rejoindre à N ahâ à la fin du mois de septembre, soit à la veille d'un mois qui s'est avéré riche en événements. En octobre, l'équipe de la CONANP ainsi que celle de Na Bolom y ont tenu des ateliers destinés aux femmes, tous les deux dans le cadre des efforts de développement de produits et services touristiques. Ces ateliers ont été l'occasion d'observer les femmes et de les côtoyer alors qu'elles étaient amenées à transiger directement avec les représentants de ces

organisations. Dans le cadre du film, quelques entrevues ont été conduites auprès des

6 Bien que la majorité des personnes à Naha, tant les hommes que les femmes, parle l'espagnol couramment

en plus du maya-lacand6n, il y a tout de même quelques femmes, parmi les plus âgées, qui ne maîtrisent pas l'espagnol. N'ayant moi-même pas appris suffisamment de maya-Iacand6n pour entretenir une conversation dans cette langue, j'ai eu recours à des intermédiaires pour m'adresser à ces femmes.

7 II sera question plus loin, notamment au chapitre cinq, de la façon dont les gens à Naha s'expriment face

aux étrangers.

8 La CONANP est l'organisme gouvernemental en charge de la gestion des aires protégées, dont Naha fait

(16)

organisateurs ainsi que de quelques femmes ayant participé aux ateliers. Ces entrevues, tout comme les ateliers d'ailleurs, font partie du matériel que j'ai analysé et que je présente dans ce mémoire.

Cumulé, le temps passé dans la communauté totalise environ trois mois et demi. Mon séjour à Naha a été parsemé de quelques absences pendant lesquelles j'ai fait des recherches auprès des diverses institutions impliquées dans le développement du tourisme à Naha. l'ai ainsi effectué quelques allers et retours à San Crist6bal de Las Casas, Tuxtla-Gutiérrez, Palenque et Santo Domingo afin de rendre visite à Na Bolom, à la CONANP, aux différents bureaux de l'Institut National Indigéniste (INI), au Secrétariat de

l'Environnement et des Ressources Naturelles (SEMARNAT), à l'Institut d'Histoire Naturelle et d'Écologie (IHN y E), au Secrétariat du Tourisme (SECTUR), à

Conservation International ainsi qu'à différentes agences de voyages.

Au-delà de ces recherches auprès des institutions, l'essentiel de mon analyse provient des conversations que j'ai eues et de l'expérience que j'ai partagée avec des femmes et des hommes de Naha. Ce sont ces dernières qui m'ont permis d'arriver à une certaine compréhension de la situation dans laquelle ils vivent. De là, mon objectif avec ce mémoire est de démontrer que, contrairement à l'image qui s'était formée dans mon imaginaire, les Lacand6ns ne constituent pas un groupe vivant en dehors du temps, pas plus qu'ils ne constituent un groupe dont le simple contact avec la modernité met en péril la culture. Bien que leur mode de vie puisse certainement sembler tout à fait harmonieux et coupé du reste du monde pour les touristes qui n'y séjournent qu'un ou deux jours, le temps que j'ai passé à vivre avec eux, à les regarder et à les écouter, m'a permis de voir émerger leurs croyances, leurs désirs et leurs ambitions. Or, si la présence soutenue et hautement paternaliste de nombreux étrangers a certes contribué à en restreindre le spectre, elle ne les a toutefois pas anéantis. Elle a plutôt créé un espace qui, d'une part, donne lieu à l'apparition de dissonances et qui, d'autre part, pousse les gens à Naha à y négocier une place qui leur convient. Voilà donc ce vers quoi je me dirige et auquel j'arriverrai au chapitre cinq. Mais avant, un détour s'impose.

Pour bien comprendre l'importance de la présence étrangère à Naha, il faut aussi saisir son inégale contrepartie, soit l'absence d'étrangers dans les autres communautés autochtones (où plusieurs personnes ont joint les rangs des Zapatistes). Malgré que cette

(17)

étude ne porte pas sur ces communautés, il est devenu évident au fil des discussions que j'ai eues avec les gens à Naha que les relations qu'ont les Lacand6ns avec leurs voisins Tzeltals sont cruciales dans la façon dont ils conçoivent les changements qui s'opèrent dans leur communauté. Leur perception mutuelle, conçue en termes antagonistes, révèle notamment qu'être Hach Winik9, c'est aussi ne pas être Tzeltals. Et quand des éléments

sur lesquels repose leur identité se perdent, les Lacand6ns prennent dangereusement, c'est l'avis de certains, des allures de Tzeltals.

TI ressort de tout cela que la relation que l'État mexicainlO entretient avec les Lacand6ns ainsi qu'avec tous les groupes autochtones vivant au Chiapas doit également être examinée si l'on veut réellement comprendre les changements qui s'opèrent à Naha. Étant donné l'importance que prend le contexte historique et socio-politique dans la façon dont les Lacand6ns se définissent et se projettent, le prochain chapitre constitue un survol des principaux développements ayant touché la forêt Lacandona et ayant eu un impact direct sur sa configuration géopolitique d'aujourd'hui. Ce chapitre démontrera la façon selon laquelle est née la dichotomisation ethnique qui persiste entre les Lacand6ns et les autres groupes autochtones habitant aussi la forêt.

Dans le chapitre trois, les bases sur lesquelles repose cette dichotomisation seront exposées. Ce chapitre s'inscrit en continuité avec le précédent en ce qu'y seront discutées les raisons qui ont fait en sorte que les Lacand6ns ont reçu, et continuent de recevoir, tellement d'attention. Une fois ces bases jetées, il deviendra possible de les questionner.

Dans le chapitre quatre donc, mon approche se resserre et se concentre, à travers la présentation du discours et des pratiques des institutions, sur le développement du

tourisme dans la communauté, sur ses assises et sa portée. Je discuterai plus en détails de la façon selon laquelle les développeurs pensent le tourisme, soit comme un outil de développement socio-économique. On y verra notamment que la culture des Lacand6ns est définie de façon contraignante et fait l'objet d'une marchandisation sur laquelle se sont construites les attentes des touristes et autres étrangers qui transitent par Naha.

9 Expression par laquelle les Lacandons se désignent et qui signifie « vrais hommes ».

10 L'État réfère ici aux divers aspects de l'appareil administratif et coercitif gouvernemental tels

qu'expérimentés localement (Tsing 1993 : 26) et qui, à Naha, rejoignent la communauté notamment à travers des politiques, programmes et projets de développement.

(18)

L'analyse du discours et des pratiques mises de l'avant par les institutions révèle de quelle façon, au fil des ans, s'est formée une image des Lacand6ns non dénuée d'idéalisation qui fait ressortir certains éléments de leur culture au détriment d'autres. Parmi ces éléments se retrouvent invariablement leurs traditions de sorte qu'aujourd'hui, dans le cadre des efforts déployés pour développer le tourisme à Naha, plusieurs des projets visant à « renforcer» la culture sont dirigés exclusivement vers ces quelques éléments qui, sélectionnés pour leur caractère exotique et « authentique », correspondent à ce regard provenant de l'extérieur qui est posé sur eux. Cette discussion me permettra de mettre à l'épreuve la supposition à l'effet que les Lacand6ns soient «les enfants privilégiés du régime» et de faire ressortir les implications inhérentes à ces privilèges.

À cette discussion s'ajouteront des considérations d'ordre théorique provenant, notamment, de la littérature sur l'anthropologie du tourisme. Comme il en sera question, les approches adoptées dans l'étude du tourisme en anthropologie ont grandement contribué à une meilleure compréhension de la façon dont les processus liés au développement du tourisme, conçu comme un phénomène global, s'entremêlent aux rapports de pouvoir entre pays. Bien que ces approches démontrent clairement comment les hiérarchies internationales agissent localement, elles n'offrent toutefois que peu d'explications quant à la façon dont les populations locales y réagissent. Les études appréhendant le tourisme en tant que manifestation du développement capitaliste ne suffisent pas à expliquer les processus engendrés dans les localités touchées par un tel développement. Or, et malgré qu'elles tendent à le faire ressortir comme un processus uniforme et récursif, elles offrent néanmoins une explication éclairée et nécessaire des liens unissant le global et le local. Mais puisque les populations locales sont activement engagées dans la redéfinition de leurs sociétés, l'étude des processus en cours

présentement à Naha permettra d'entrevoir la diversité des réponses que reçoit ce type de développement. C'est donc ce à quoi est consacré le chapitre cinq.

De l'anthropologie au tourisme: culture et représentation

Ce mémoire s'insère dans la foulée des débats ayant cours dans la discipline concernant la façon dont l'anthropologie construit son objet d'étude.

n

me semble que le tourisme fournit un terrain particulièrement fertile pour alimenter ce questionnement. N' y

(19)

a-t-il pas un rapprochement à faire entre le touriste et l'anthropologue qui, tous les deux, se rendent à Nahâ sous l'impulsion de leur intérêt envers la culture des Lacand6ns? Ne sont-ils pas tous les deux attirés par ce groupe ethnique, le plus « primitif» entre tous? Or, c'est bien connu, les anthropologues n'aiment pas être confondus avec les touristes. il semble d'ailleurs exister une hiérarchie qui attribue inévitablement un grade supérieur à l'anthropologue. Pierre van den Berghe y fait référence quand il affirme que l'anthropologie est parfois conçue comme la forme ultime de tourisme (1994 : 8). Franck Michel, dans un essai d'anthropologie des voyages, qualifie les ethnologues de « figures idéales - parfois idéalisées» (2000 : 115).

Malgré cette ressemblance, nettement tangible du point de vue d'un Lacand6n, il

existe néanmoins une différence dont la portée sort des confins du monde académique, puisque contrairement aux touristes, les anthropologues ont joué un rôle actif dans la construction de leur objet d'étude, maintenant objet de curiosité pour les touristes.

Tout comme James Clifford, je ne conçoie pas le monde comme étant peuplé

« d'authenticités en péril» (1988 : 5) et je ne vois pas dans le contact entre les Lacand6ns et la modernité la désintégration culturelle que plusieurs proclament. Au contraire, je partage avec Tim Trench (2002) l'avis que les Lacand6ns ne sont que rarement abordés en tant qu'acteurs politiques à part entière dans la société mexicaine. C'est ce que confirme un survol des études les plus fréquemment citées à leur sujet. Elles sont

nombreuses à se consacrer aux éléments de leur culture qui appuient une vision empreinte de nostalgie face à un passé qui, peu à peu, disparaît. Ainsi, le thème le plus récurrent dans la littérature anthropologique à leur sujet est leur religion traditionnelle (les dieux, croyances, cérémonies, rituels et mythologie). C'est le cas notamment de plusieurs des publications de Didier Boremanse (1982, 1984, 1986, 1989, 1991, 1993), en plus d'autres de Marie-Odile Marion Singer (1991, 1992, 2000), Jon McGee (1990), Victor Perera et Robert D. Bruce (1982), Jacques Soustelle (1935), Georgette Soustelle (1959), Alfred M. Tozzer (1907) et Alfonso Villa Rojas (1968)11.

II Parmi ces dernières, certaines s'intéressent également à l'organisation sociale, par exemple McGee

(1990), Marion Singer (1991 et 1992) et Tozzer (1907). C'est aussi le cas de Phillip et Mary Baer (1949), de Phil1ip Baer et William R. Marrifield (1972), de James D. Nations (1979), de Boremanse (1990 et 1998), de Mc Gee (2002) et de Villas Rojas (1967b).

(20)

Les publications sont par contre beaucoup moins nombreuses à s'adresser aux transformations qui s'opèrent parmi les Lacand6ns. Nations (1978) y consacre un article où il s'attarde à leur contact avec l'économie de type capitaliste. McGee (2002), quant à lui, y consacre un livre entier, mais transmet dans ce dernier l'urgence de documenter au plus vite la vie traditionnelle des Lacand6ns avant qu'elle ne disparaisse complètement. Ignacio March, dans un document consacré aux problèmes et défis auxquels doivent faire face les Lacand6ns aujourd'hui, prend une position plutôt ambiguë, alors que d'un côté il critique la « posture romantique» qui indique que les groupes autochtones doivent demeurer « figés dans le temps » et que de l'autre, il affirme que les influences du « monde extérieur» n'ont que des impacts négatifs sur les Lacand6ns puisqu'elles mettent en péril les structures sociales traditionnelles. Et il ajoute :

Cependant, et malgré tout, présentement la culture lacand6n a des perspectives de survivance, dépendant du fait que les Hach Winik valorisent leurs traditions et terminent le processus d'apprentissage pour vivre dans« deux mondes» très contrastants sans éroder leur identité, leur capital culturel et leurs ressources naturelles (1998: 4012).

Ainsi, bien que March admette le changement, il conçoit tout de même que l'avenir des Lacand6ns doive s'inscrire en continuité avec le passé, puisque de leurs traditions continue de dépendre leur identité.

Bien que non exhaustif, ce survol n'en donne pas moins un aperçu de la façon dont les chercheurs se sont intéressés aux Lacand6ns. Et puisque l'anthropologie n'agit pas en vase clos, il est nécessaire d'admettre sa contribution au fait qu'à ce jour, l'image qui s'est forgée des Lacand6ns, soit celle d'un groupe minoritaire résistant de plus en plus difficilement aux affres du monde moderne, persiste.

Empruntant la voie tracée par James Clifford, George Marcus (1986), Michael Fischer (1986) et bien d'autres,je veux, dans ce mémoire, revoir les suppositions ayant été largement véhiculées quant à la culture des Lacand6ns et offrir un aperçu des

dilemmes et paradoxes auxquels les habitants de Nahâ font face aujourd'hui. Je souhaite ainsi démontrer la complexité de la situation dans laquelle ils se trouvent et contribuer à ouvrir un espace où l'on verra enfin les Lacand6ns en tant que sujets.

(21)

2 -

La forêt Lacandona :

histoire et politiques de la culture

Mais on voit bien qu'Histoire n'est pas à entendre ici comme le recueil des

successions defait, telles qu'elles ont pu être constituées; c'est le mode d'être

fondamental des empiricités, ce à partir de quoi elles sont affirmées, posées,

disposées et réparties dans l'espace du savoir pour d'éventuelles connaissances, et pour des sciences possibles.

Michel Foucault, Les mots et les choses (1966)

Mon intention de départ n'était certes pas de faire une dissertation sur les conflits inter-ethniques, mais avec la forêt Lacandona comme zone d'investigation, faire une recherche sans aborder les conflits entre d'une part, Zapatistes et gouvernement et d'autre part, entre les Zapatistes et non-Zapatistes, paraît impossible. Quel que soit le thème d'investigation, dès qu'un effort est fait pour comprendre la dynamique de la région et l'histoire d'un groupe en particulier, il devient essentiel de le situer dans le contexte historique et socio-politique du Chiapas ainsi que dans celui du Mexique. Ce faisant, la politique de distribution des terres telle qu'appliquée par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) au pouvoir pendant plus de 70 ans et les conséquences directes qu'elle a eues et qu'elle continue d'avoir sur les groupes autochtones qui vivent aujourd'hui au Chiapas, tant ceux qui y ont émigré que ceux qui s'y trouvaient depuis plus longtemps, occupent forcément une place importante. Ainsi, bien que j'aie eu pour but d'étudier le projet de développement touristique mis sur pied à Naha, il m'est rapidement apparu impossible d'aborder le tourisme sans d'abord tenir compte de la position socio-politique spécifique des Lacand6ns, un groupe non-Zapatiste, et de sa situation géographique 13 , lesquelles découlent directement des politiques de dotation

territoriale du PRI. Plus de 30 ans après le décret présidentiel ayant doté les Lacand6ns de plus de 600 000 hectares de terres, et près de 10 ans après le soulèvement zapatiste de

1994, ces événements sont encore bien présents dans l'imaginaire collectif des groupes

13 Naha, dont le territoire s'étant sur un peu moins de 3900 hectares, apparaît comme une enclave en ce

qu'elle est complètement entourée par des communautés tzeltales, dont plusieurs se sont jointes aux Zapatistes. Voir cartes 3 et 4.

(22)

impliqués et contribuent à alimenter les conflits, certes moins visibles qu'en 1994, mais toujours bien présents.

Cette situation a eu pour conséquence, par moments, de reléguer le tourisme au second rang lors de mes investigations à Naha. En fait, le tourisme m'a parfois semblé être un prisme à travers lequel pouvaient être observées les positions antagoniques de chacun des groupes. Ce n'est qu'une fois celles-ci prises en compte, soit les uns vis-à-vis les autres et chacun d'eux vis-à-vis l'État mexicain, qu'il devient possible d'analyser le rôle que peut prendre le développement d'activités touristiques à Naha. C'est aussi suite à cela qu'apparaîtront plus clairement les processus de formation des communautés ayant eu lieu au cours de ces décennies conflictuelles ainsi que ceux d'intégration, d'adaptation et/ou de résistance aux politiques étatiques. Vue sous cet angle, la forêt Lacandona se transforme non seulement en un lieu où l'accès aux ressources est devenu source de conflit, mais également en un espace où se jouent les relations que l'État entretient avec les groupes, lesquelles prennent les allures d'un processus de différentiation

institutionnalisé.

La forêt Lacandona, une terre convoitée

Pour plusieurs des gouvernements à avoir été à la tête du Mexique depuis l'indépendance, la colonisation des terres vacantes représentait un objectif réel,

directement lié au développement économique du pays, mais un objectif malgré tout resté sur papier pour la plupart d'entre eux. Ce n'est que sous les présidences de GonzaIez et de Porfirio Dfaz14 que de sérieuses mesures ont été prises à cet égard, i.e. qu'on a autorisé les compagnies privées à entreprendre le levé des terres vacantes. Et puisque les lois

permettaient à ces compagnies d'acheter à peu de frais une partie des terres inventoriées, elles se sont appropriées de larges portions de terre à peu de frais. Cette concentration des terres s'est souvent faite au détriment des autochtones. En effet, puisque la plupart de ces derniers étaient illettrés, il devenait facile de prouver l'absence de titre pour les terres

14 Diaz a été au pouvoir de 1876 jusqu'à 1911, avec pour seule interruption les années pendant lesquelles

Gonzâlez a été au pouvoir, soit de 1880 à 1884. En fait, la présidence de Gonzalez a été rendue possible par la précédente campagne de DIaz qui avait publiquement adhéré au principe de non-réélection en accédant au pouvoir en 1876. Lié à cette promesse, Diaz a cédé la place à Gonzalez, élu en 1880. Or, il était connu de tous que DIaz appuyait Gonzalez à un tel point que plusieurs s'accordent pour dire que ce dernier n'était en réalité qu'une «marionnette» au service de Diaz (Garner 200] : 90)

(23)

qu'ils occupaient, dans certains cas depuis plusieurs générations, ce qui a eu pour effet de faire disparaître plusieurs villages.

Déjà en 1895 au Chiapas, la majeure partie des terres vacantes était délimitée et était soit propriété privée, soit propriété de la nation. Selon ce qu'indique Jan de Vos (1988), les seuls départements relativement vierges à cette époque étaient ceux couverts par la forêt Lacandona, une zone difficile d'accès. Cette situation était toutefois appelée à changer, puisque dans les années suivantes, le gouvernement allait concéder des contrats selon lesquels des compagnies forestières pouvaient entreprendre l'exploitation du bois et l'extraction de gomme et de résine dans cette région. En parallèle à l'avancée des

compagnies dans la forêt s'en produisait une autre, celle-là liée au fait que la réforme agraire incluse dans la constitution prévoyait une meilleure distribution des terres. Puisque au Chiapas, plus aucune terre n'était disponible dans les montagnes15, la forêt Lacandona s'est présentée comme une alternative. C'est donc vers la forêt que les

campesinos (paysans) à la recherche soit de travail, soit de terres à cultiver, se sont

dirigés. Les communautés tzeltales ont été les premières à se déplacer, mais elles ont rapidement été suivies par des communautés tzotziles, choIes et tojolabales16•

Tel que prévu par la réforme agraire, les terres étaient redistribuées suivant deux principes, les dotations et les restitutions. Les dotations, de loin la forme de redistribution la plus répandue, permettaient la création d'ejidos, qui sont en fait des terres dont le

gouvernement demeure propriétaire mais pour lesquelles des coopératives de campesinos

jouissent d'un droit d'usufruit à perpétuité. Ces derniers peuvent se subdiviser les terres et en passer le droit à leurs descendants. Les restitutions quant à elles consistent en une reconnaissance de droits historiques à une communauté autochtone, avec pour

15 Au Chiapas, même après la Révolution (1910-1917) et la réforme agraire (Ley Agraria dei Estado), les

terres sont demeurées hautement concentrées.

16 Au tout début du xxe siècle, les premiers à migrer vers la forêt Lacandona étaient attirés par la possibilité

d'y obtenir du travail, le plus souvent dans les fermes dédiées à l'élevage de bovin ou à la culture du café, mais aussi dans les compagnies qui exploitaient le caoutchouc, la canne à sucre, le cacao et le café. Dans les années 1940, l'exploitation du chiclé a attiré des travailleurs du Yucatan, Campeche, Quintana Roo, Tabasco et de la Huasteca (Leyva Solano et Ascencio Franco 1996 : 45-46). Plus tard, ce sont également les avancées des compagnies forestières et les explorations de Petr6leos Mexicanos (PEMEX) qui ont continué à ouvrir davantage d'accès. Parmi les mesures prises par l'État pour organiser la colonisation, l'élevage du bovin, à cause des possibilités de générer des revenus élevés dans une période de temps relativement courte, était alors encouragé, notamment à travers l'offre de crédits (O'Brien 1998: 125-131). Or, c'est entre autres à cause de ces pratiques que plus tard les campesinos allaient être pointé du doigt comme étant responsables de la déforestation et de l'épuisement des terres.

(24)

conséquence que les terres sont détenues en commun et indivisibles (Trench 2002: 23-24). Comme il en sera question dans la prochaine section, c'est cette dernière mesure qui a été utilisée dans le cas des Lacand6ns. Elle était un moyen par lequel le gouvernement cherchait à freiner la croissance de la population dans la forêt puisqu'elle atteignait un point critique. Bien qu'au premier coup d'œil cette mesure parraisse sans équivoque, elle n'en demeure pas moins, après examen, quelque peu ambiguë.

L'histoire des Lacandons, une histoire distincte

Tel qu'inscrit dans le Diario Oficial, le gouvernement mexicain, sous la

présidence de Luis Echeverrfa, passe en 1972 une résolution selon laquelle 66 chefs de famille de la « Tribu Lacand6n »17, « qui ont été en possession continue, publique, pacifique [ ... ] des terres communales depuis des temps immémoriaux », se voient reconnaître et attribuer les titres sur une superficie de 614 321 hectares de terres communales de la forêt Lacandona, et crée du coup la Comunidad Lacandona (de Vos

2002 : 405). C'était une mesure tout à fait exceptionnelle puisque jamais, dans toute l'histoire de la réforme agraire au Mexique, le gouvernement n'avait alloué des titres sur une superficie aussi grande à un groupe autochtone.

Cartel: Forêt Lacandona, Chiapas, Mexique.

Source: Ignacio J. March Mifsut, ECOSUR • El Colegio de la Frontera Sur

(25)

GUATEMALA

Carte 2 : Communautés où vivent la majorité des Lacandons depuis le décret. Les (P) indiquent les endroits où vivaient les familles avant le regroupement en communautés. Source: Ignacio J. March Mifsut, ECOSUR - El Colegio de la Frontera Sur

6000'/1 91020' /1

91000' /1

Carte 3 : Limites de la Comunidad Lacandona.

90040'

/1

90020'

/1

(26)

Puisque cette résolution consistait en une reconnaissance de l'occupation de ces terres « depuis des temps immémoriaux », le gouvernement attestait du coup que les Lacand6ns qui se trouvent aujourd'hui dans la forêt Lacandona y ont été depuis bien avant l'arrivée des Espagnols. Pour cette raison, le décret consiste en une restitution des terres qui leurs avaient été enlevées par les gouvernements d'avant la Révolution, comme le montre cet extrait tiré du décret:

Que soit révisés les aliénations, concessions, contrats, titres, démarches de délimitation et ventes [ ... ] Il se trouve que toutes ces opérations [ ... ] ont eu pour conséquences

l'accaparement de terres à la faveur d'un groupe réduit de personnes et sociétés,

impliquant des préjudices graves pour l'intérêt public [ ... ] Étant donné qu'avec ces actes ont été envahies ou occupées illégalement les terres de la Communauté Lacandona [ ... ] ces opérations doivent être déclarées nulles [ ... ](Considerando IV, 1972 cité dans de Vos 2002: 409).

Dans le dernier volume d'une série de trois dédiée à l'histoire de la forêt

Lacandona18, Jan de Vos fait état des nombreuses erreurs comprises dans le décret, dont

certaines n'ont été corrigées que plusieurs années plus tard19• L'une de celles-ci, sans

doute la plus importante, est toujours contentieuse aujourd'hui et continue d'alimenter les débats dans les milieux intellectuels et activistes. Elle questionne le fait que les

Lacand6ns aient effectivement occupé les dites terres depuis des temps immémoriaux. La thèse de Jan de Vos à cet effet, qu'il développe dans le premier volume (1980) et qui est partagée par d'autres chercheurs, est que les Lacand6ns viennent en fait du Petén au Guatemala et de Tabasco et Campeche au Mexique. TI base son argument sur le fait qu'ils parlent un dialecte du maya-yucateco et non le maya-chol que parlait un groupe qui vivait dans la forêt Lacandona au moment de la conquête espagnole2o• Selon de Vos donc, la

dénomination « Lacand6ns » en ce qui concerne ceux qui se trouvent au Chiapas

18 Le premier,« La paz de Dios y deI Rey» (1980), couvre la période allant de 1525 à 1821, soit de la

conquête par les Espagnols à l'Indépendance. Le second, «Oro verde» (1988), qui va de 1822 à 1949, est focalisé sur la conquête de la forêt par les compagnies forestières. Le troisième, «Une tierra para sembrar suefios » (2002), couvre l'histoire récente de la forêt Lacandona, soit de 1950 à 2000, ce qui comprend la majeure partie de la période de colonisation de la forêt par les campesinos.

19 Il démontre entre autres que le découpage de la zone a été une tâche particulièrement ardue. Plusieurs

Lacand6ns visés par le décret vivaient en fait en dehors des terres cédées. C'est le cas notamment de ceux qui vivent maintenant à Naha et Metzabok. Les corrections apportées ont fait en sorte que soient ajoutées à la zone déjà créée les terres où ces derniers vivaient, ce qui explique que Naha et Metzabok soient

géographiquement séparées du reste de la zone.

20 Il semble que les Espagnols aient tenté, en vain, de convertir ces autochtones pendant près de deux siècles

(27)

aujourd'hui est erronée puisqu'il ne s'agit pas du groupe qui était déjà dans la forêt Lacandona à l'arrivée des Espagnols mais bien d'un groupe y étant arrivé

vraisemblablement au cours du XVIIe siècle (les données manquent pour qu'une date plus précise soit établie avec certitude). Au Chiapas aujourd'hui, il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre les Lacandôns bénéficiaires du décret être appelés Caribes, ce qui est une

référence directe à leur lieu d'origine, et sans doute aussi, une contestation tacite de la validité même du décret.

Mais avec le décret et en réponse aux appels de la communauté internationale21 le gouvernement cherchait à freiner la colonisation et à protéger la forêt contre la

déforestation. En 1978, une partie de la Comunidad Lacandona, dont les limites ont été

révisées une fois de plus, a été convertie en aire protégée et est devenue la Réserve de la Biosphère Montes Azules (REBIMA)22. Dans les années suivantes, d'autres sections de la

Comunidad Lacandona ont également été transformées en diverses aires de protection.

Aujourd'hui, plusieurs sont d'avis que le gouvernement a manipulé les Lacandôns dans le but de consolider son contrôle sur les abondantes ressources naturelles dont regorge le Chiapas (en plus des terres et des ressources forestières, on y retrouve du pétrole et un important potentiel hydroélectrique avec les rivières du bassin de l'Usumacinta). Deux ans après la signature du décret, le gouvernement créait la

Compafiia Forestal de la Lacandona, S.A. (COFOLASA) et signait un accord avec les

Lacandôns permettant l'extraction de bois sur les terres visées par le décret.

d'avis que seuls quelques individus auraient survécu et se seraient intégrés à d'autres groupes, perdant ainsi l'identité ethnique qui leur était propre à ce moment.

21 D'un point du vue global, la nécessité de protéger la forêt Lacandona est notamment liée à la gradue]]e

prise de conscience de l'importance des forêts tropicales pour l'équilibre des écosystèmes et au fait que la majorité des aires riches en biodiversité est située dans les pays du Sud. Au Chiapas, on réfère souvent à la forêt Lacandona comme étant la « dernière grande forêt tropicale en Amérique du Nord ». Neil Harvey souligne qu'au Mexique, bien que la forêt Lacandona ne représente que 0,16% des terres, elle n'en possède

~as moins 20% de la biodiversité du pays (2001 : 1051).

(28)

Tabasco

GUATEMALA

o

Carte 4 : Naha, Metzabok et la REBIMA.

Km

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50

Source: Ignacio J. March Mifsut, ECOSUR - El Colegio de la Frontera Sur

Le décret stipule par ailleurs que dans la Comunidad Lacandona, seuls les

Lacand6ns, qui représentaient alors un groupe d'environ 300 personnes, pouvaient demeurer légalement. Le gouvernement considérait donc les Lacand6ns comme les seuls habitants de cette portion de la forêt, ignorant du coup le fait que plus de 600023 Tzeltals et ChoIs vivaient également dans cette zone, dont certains avaient des titres légaux depuis les années 193024 (O'Brien 1998: 77 et de Vos 2002: 112-114). Le décret repose

d'ailleurs précisément sur le fait que cette portion de la forêt ne faisait l'objet d'aucune dispute et que les Lacand6ns y vivaient de manière « tranquille et pacifique, sans conflit quant aux limites» (de Vos 2002 : 106). Or, de Vos explique que les Lacand6ns de Naha, Metzabok et Lacanja Chansayab avaient placé une requête auprès du gouvernement

23 Le nombre exact de personnes vivant dans la forêt à ce moment fait l'objet de diverses évaluations. Harvey suggère qu'il y avait 3 000 familles (1995), alors que de Vos (2002) parle de 2 400 families.

24 Après des années de contestation, deux communautés ayant accepté d'être relocalisées en dehors de la

zone ont été intégrées administrativement à la Comunidad Lacandona. Il s'agit des Tzeltals qui vivent maintenant à Nueva Palestina et des ChoIs qui vivent à Frontera Corozal. Voir carte 3.

(29)

précisément à cause de l'invasion des terres qu'ils occupaient par les membres des ejidos

voisins. C'est une situation que le gouvernement de Echeverrfa a choisi d'ignorer. Considérant que le gouvernement déclarait vouloir aussi aider les autres groupes autochtones de la région à trouver des terres, la position qu'il a prise avec le décret représentait un volte-face. Du jour au lendemain, des groupes s'étant installés dans la forêt, notamment sous l'impulsion des réformes gouvernementales, étaient considérés comme des squatters illégaux.

Par ailleurs, si les Lacand6ns ont effectivement une histoire tout à fait distincte de celle des autres groupes autochtones habitant maintenant la région, il est par contre faux de croire qu'ils ont toujours vécu complètement isolés et qu'ils n'ont pas été affectés par la conquête espagnole. Celle-ci les a amenés à fuir leurs terres d'origine. Ce qui demeure toutefois indéniable est le fait que, à l'inverse de leurs voisins, les Lacand6ns n'ont jamais été employés dans les fermes et les ranchs et n'ont pas été convertis au christianisme par les missionnaires espagnols25•

Un autre fait qui demeure incontestable est que les Lacand6ns étaient, au moment de passer le décret, considérés par plusieurs comme étant le groupe le « moins

contaminé» de tous les groupes vivant au Chiapas. La façon dont ils étaient perçus est exemplifiée par les efforts d'anthropologues au milieu du xxe siècle pour établir une échelle mesurant le degré d'acculturation des groupes autochtones du Mexique et du Guatemala. Sur cette échelle, les Lacand6ns se sont vus attribuer le « degré zéro », constituant ainsi un point de référence, soit celui pour un groupe complètement non acculturé (Gollnick 1998 : 118-119).

Bien qu'en accord avec la façon dont les Lacand6ns étaient alors dépeints et perçus, le décret ne se serait toutefois peut-être pas concrétisé si ce n'avait été de l'implication de Gertrude Duby, ardente défenderesse de la forêt et des Lacand6ns, et dans une moindre mesure, de celle de son mari Frans Blom, lesquels ont activement participé à l'idéalisation des Lacand6ns.

25 La conversion des Lacand6ns au catholicisme et au protestantisme n'a débuté que dans la deuxième

(30)

Gertrude Duby et Frans Blom, témoins de grands bouleversements

Depuis que j'ai traversé l'Atlantique, en direction des nouvelles terres d'Amérique, je rêvais de visiter les Indiens Lacand6ns, perdus dans les forêts tropicales. Le livre de Jacques Soustelle, Mexique, terre indienne, a mis ce désir dans mon cœur. Allons-nous les rencontrer maintenant? Cela est mon inquiétude en ces moments [ ... ]. Nous

constituions la première expédition du Gouvernement de l'État du Chiapas pour établir le contact avec les Indiens Lacand6ns, un contact non pas pour les exploiter ou pour les étudier anthropologique ment. Les mules apportaient très peu de choses qui étaient à nous, la presque totalité de la charge était des cadeaux pour les Lacand6ns de la part du

Gouvernement. Notre but était d'aller faire des recherches sur les nécessités de ces Indiens éloignés, bâtir quelques maisons modèles et établir des relations entre eux et le Gouvernement (Duby citée dans de Vos 2002: 95).

Photographe et journaliste, Gertrude Duby arrive au Mexique en 194026 et se joint, à peine trois ans plus tard, à une expédition organisée par le gouvernement dans le but d'établir le contact avec les Lacand6ns. C'est lors de l'une de ces expéditions qu'elle rencontre Frans Blom, dont les premières expéditions dans la forêt du Chiapas remontaient aux années 1920 alors qu'il était employé comme explorateur pour les compagnies pétrolières27• Tous les deux ont, tout au long de leur vie, maintenu des liens étroits avec les Lacand6ns et c'est ensemble qu'ils ont fondé en 1951 Na Bolom, une organisation non gouvernementale qui travaille toujours aujourd'hui, malgré le décès de ses fondateurs, à divers projets auprès des groupes autochtones du Chiapas (l'un de ceux-ci étant le développement du tourisme à Nahâ)28.

26 Originaire des Alpes Suisses, engagée politiquement, dédiée à l'activisme socialiste et ayant activement

lutté contre la montée du nazisme en Allemagne, notamment en participant à la formation du parti des Travailleurs Socialistes, elle a été forcée de s'exiler lorsqu'elle s'est retrouvée inscrite sur la liste noire de Hitler.

27 Frans Blom a joué un rôle non négligeable dans la colonisation de la forêt du Chiapas puisqu'il a été le

premier à produire des cartes détaillées d'une région qui jusque-là était méconnue. C'est suivant

l'apparition de ces cartes, longtemps demeurées les meilleures, que la forêt s'est transformée en un territoire riche en ressources qui pouvait dès lors être exploité. C'est d'ailleurs peu après la publication des cartes, soit vers la fin des années 1950, que le gouvernement a commencé à acquérir les dernières concessions grivées d'exploitation de bois et qu'il a commencé à implanter une forme plus mécanisée d'extraction.

8 En plus des projets réalisés dans les communautés autochtones, parmi lesquelles les Lacand6ns sont de

loin ceux ayant reçu le plus d'attention, on retrouve dans l'enceinte de Na Bolom à San Crist6bal de Las Casas une bibliothèque contenant une collection de livres, dont plusieurs sur les groupes autochtones du Chiapas, un musée, dont une salle est dédiée aux Lacand6ns, un centre d'hébergement pour touristes et une boutique de souvenirs. Des tours dans les communautés lacand6ns y sont aussi organisés pour les touristes, quoi que de façon sporadique. Pendant plusieurs années, Na Bolom était également un centre de recherche et pour ce, accueillait des chercheurs, dont de nombreux anthropologues, de divers pays. Na Bolom offre aussi gratuitement aux Lacand6ns l'hébergement et les repas lors de leur passage à San Crist6bal de Las Casas. Ils y sont reçus ainsi pendant trois jours, à moins que ce ne soit pour des raisons médicales, cas dans lequel ils peuvent demeurer plus longtemps.

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En 1967, l'anthropologue Alfonso Villa Rojas écrivait à propos de Duby: « Madame Duby est actuellement la personne qui est arrivée à avoir la meilleure familiarité avec le mode de vie lacand6n et à qui les Indiens vouent une confiance absolue, ainsi que une grande affection» (1967a : 28).

Témoins d'une période de bouleversements intenses, tant pour les Lacand6ns que pour la forêt, Duby et Blom en sont venus à considérer que ces derniers couraient de grands dangers si la déforestation se poursuivait. Cette vision a conduit Duby à mener une lutte acharnée pour la défense de la forêt et des Lacand6ns. Elle et son mari ont publié divers volumes dans lesquels transparaît leur position vis-à-vis des Lacand6ns et dont l'analyse se révèle utile pour mieux comprendre l'approche qu'a adopté le gouvernement dans ses relations avec les Lacand6ns.

Bien que ce soit depuis Tozzer que les Lacand6ns apparaissent privilégiés dans la littérature ethnographique sur les peuples autochtones du Mexique, Duby et Blom ont joué un rôle important dans la façon dont le discours a été construit à leur sujet et dans le fait qu'ils soient venus à être perçus comme le groupe autochtone le plus « pur» au Mexique. Dans son analyse du texte produit par Duby et Blom dans « La Selva Lacandona » (1955-1957), Gollnick soutient qu'ils ont jeté les bases d'un discours ethnographique privilégiant les Lacand6ns au détriment des autres groupes habitant la région. Il note que les Lacand6ns y apparaissent comme un groupe vivant en harmonie avec la nature, « enjoying a kind of spontaneity and honesty lost in the complexities of life outside the jungle» (1998 : 126).

De plus, lorsque les changements se produisant parmi les Lacand6ns apparaissent dans leur discours, ils prennent une allure presque dramatique. Les auteurs notent par exemple la disparition de certains éléments de la culture matérielle ou l'existence, « encore », d'autres éléments, comme le démontrent ces extraits: «Le 'loin cloth' ou pagne duquel parle Alfredo Tozzer n'existe plus. [ ... ] TI yen a encore quelques-unes qui utilisent, avec les colliers achetés, d'autres faits de graines provenant de leurs milpas [ ... ].

[TI Y a] le vieux Chank'in de Naha, qui connaît encore les cérémonies religieuses qu'ils n'ont plus coutume de suivre, ainsi que les constellations célestes [ ... ] » (Blom et Duby 1949 : 160, mon emphase). Le même ton se retrouve dans un article publié par Villa Rojas qui déclare que suivant l'entrée des compagnies forestières dans la région, le mode

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