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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'alphabétisation scientifique et technique du grand public

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Academic year: 2021

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VOUS A VEZ

DIT HUMANITÉS?

Yves JEANNE RET

École Nationale Supérieure des Télécommunications

MOTSCLÉS: HUMANITÉS SCIENCES RELATIONS ENTRE DISCIPLINES -LANGUE - LITTÉRATURE - CULTURE - HISTOIRE

RÉSUMÉ: Envisager une relation symétrique entre humanités et sciences demande d'abord qu'on explore l'espace incertain de ce qu'on nomme "humanités". Trois cercles, celui de la langue, celui de la littérature et celui de la culture peuvent aussi bien définir cette notion. D'où une relation ambigüeà la science, susceptible d'être féconde si l'on imagine un dialogue poétique entre les savoirs.

SUMMARY : In order ta figure out a symetrie relationship between humanities and sciences, we have first to explore the uncertain space covered by the ward:humanities. A space that can be defined by three different fields: language, literature or culture. Humanities are on ambiguous terms with science, but humanities and science can be fruitfully confronted if in a poetic perspective.

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Consacrer une séance plénière aux humanités lorsqu'on réfléchit sur les savoirs au carré, c'est sans doute un signe des temps. Je gage que naguère on n'aurait pas nécessairement penséà le faire. Soit qu'on n'ait pas songé aux humanités, soit qu'on les ait considérées comme formes d'illustration des sciences et non comme sources réelles de connaissance sur les savoirs.

Cela dit, notre titre, "les humanités face aux sciences et aux techniques" est en somme architectural : les deux piliers de la culture se font face, supportant le fronton de quelque temple du savoir. Ou encore, en caricaturant, au royaume de Sarastro, il n'y a finalement que deux temples, Wissenshaft et Humaniora. Pour donner à ce titre, en introduction aux communications, un contenu plus évocateur - et un peu moins pompier - , il est prudent de nous interroger sur deux points:

1 - les humanités existent-elles vraiment?

2 - font-elles vraiment face aux sciences et techniques?

Je crois que si nous posons ces deux questions, nous ne verrons pas notre objet nous échapper mais que nous aurons plutôt une meilleure chance d'avoir quelque prise sur lui.

1. VERTUS D'UNE AMBIGUïTÉ

Le terme humanités a eu son heure de gloire au XVIIe siècle. Il connaît aujourd'hui un regain de succès qu'éclaire bien ci-dessous l'analyse d'André Béraud, responsable d'un centre de formation aux humanités. Ce regain vient après une indiscutable disgrâce, dans laquelle les sciences de l'homme, comme on dit, ne sont pas pour rien. Mais la faveur actuelle des humanités doit sans doute beaucoup à leur ambiguïté, ambiguïté dont notre plénière va indiscutablement jouer. Coresponsable du titre, je suis de ceux qui pensent qu'une telle ambiguïté a au moins autant d'avantages que d'inconvénients.

Avant de confronter les humanités aux sciences, prenons un court instant la peine de considérer, dans son épaisseur historique, la pleine complexité du terme: "humanités". Si nous ouvrons de dictionnaire de Bescherelle du siècle dernier, nous trouvons que les humanités y désignent avant tout "ce qu'on apprend ordinairement dans les collèges jusqu'à la philosophie exclusivement". La définition la plus immédiate ne renvoie pas à un objet épistémique, mais à une pratique pédagogique. Et sur quoi porte un tel apprentissage? sur un espace, en quelque sorte, à géométrie variable. En un sens, la réponse est très simple en 1870 : les humanités, ce sont le latin et le grec, tels qu'on les enseigne au collège. Mais un latin et un grec dont la valeur formatrice va rayonnant à partir de son centre, l'étude de certains textes. Si bien qu'aujourd'hui, où il n'est plus guère question d'avoir fait ses humanités (étudié le latin et le grec), l'idée a survécu à sa forme et le programme à son déclin. Poursuivons la lecture de Bescherelle. Celui-ci décrit un premier cercle, très défini et très étroit: "chez les Romains eux-mêmes, tout ce que les humanités expriment pour nous était renfermé dans le modeste nom de grammaire". Voilà de quoi satisfaire les plus stricts: humanités, un nom ambitieux pour parer l'étude de la langue. L'affaire peut être dès lors réglée. Elle l'a été dans ce sens au temps du structuralisme radical.

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Mais voici un second cercle, apparemment plus concret, en réalité plus difficile à cerner: "plus particulièrement, la première année de littérature, qui précède immédiatement la rhétorique". Ici, il s'agit d'un parcours initiatique, consistant à lire les œuvres majeures d'une tradition, et plus seulement à décrire la langue dans laquelle elles sont écrites. Par le biais de la lecture, s'insinue un terme dont l'évidence cache la complexité: la littérature. En effet, une fois posée, la littérature restera simplement à définir. Qu'est-ce qu'apprendre la littérature? œuvres littéraires, esprit littéraire... ou capital lettres ?

À moins qu'il ne s'agisse des valeurs humaines, troisième cercle clairement plus étendu. On s'y affranchit du pédagogique pour revendiquer l'identité scientifique, là où nous l'attendrions aujourd'hui le moins. Reprenons en effet le Dictionnaire national, devenu pour l'occasion cosmopolite. "Les Allemands donnent ce nom au développement harmonieux de toutes les facultés humaines, l'éducation morale, intellectuelle et esthétique de l'homme". "Employé dans cette acception scientifique, ajoute Bescherelle, le mothumanités a en vue tout ce qui est humain, tout ce qui forme le caractère fondamental, l'essence de l'homme digne de ce nom, tout ce qui est opposé à l'animalité". Nous avons donc bien trois cercles, dont nous pouvons définir la spécificité en termes plus modernes. Celui de la langue, où se déploient les disciplines du symbolique; celui de la littérature, où s'affirme la valeur des œuvres; celui de l'humanisme, qui exprime une préoccupation, un esprit, éventuellement une idéologie. Les jésuites du XVIIe siècle assimilaient spontanément les trois niveaux, et les pédagogues de la Troisième République les associèrent délibérément, ces derniers quittant seulement peu à peu le discours latin pour l'étude des classiques français - notion d'ailleurs graduellement élargie aux grands textes puis aux textes tout court. Je ne crois pas à la coïncidence naturelle des trois cercles: l'adhérence des études littéraires à une certaine idéologie a été àjuste titre dénoncée il y a quelques décennies, si bien que celles-là se sont employées à se déprendre de celle-ci. Il n'est pas question de revenir en arrière sur ce point. Mais le fait qu'il soit peut-être difficile de parler de langue sans évoquer des œuvres, de définir la littérature sans faire référence plus généralement à toute une culture historique, artistique et philosophique, mérite d'être souligné. L'ambiguïté n'est donc pas d'occasion, ou d'approximation. Elle n'est pas de celles qu'un travail sérieux permet de lever. Elle est d'essence: l'ambiguïté des définitions possibles de ces disciplines a quelque chose à voir avec le caractère définitivement ouvert des procédures de l'interprétation et de la création. La frustration que nous ressentons devant ce terme, que nous choisissons comme le moins mauvais, faute d'y souscrire totalement, est constituante de sens. Sans doute est-ce d'ailleurs ce qui questionne tant la pratique scientifique dans le thème des humanités, et ce qui effraie ou fascine souvent dans les institutions scientifiques: moins l'étrangeté d'un objet différent que la difficulté même de définir un objet, la propension de celui-ci à s'échapper toujours de lui-même. Aussi la présence des humanités dans les formations scientifiques inscrit-elle, plus qu'un ajout ponctuel à un cursus qui demeure strictement aussi lacunaire avec elles qu'il l'était sans elles, la nécessité du manque lui-même.

Bien sûr, aujourd'hui, la question se pose dans de tout autres termes, mais les trois cercles méritent encore d'être décrits. Et il est nécessaire pour le comprendre, au-delà des généralités qui ont fait la faiblesse des humanistes, de regarder la diversité des pratiques concrètes. Que peuvent réellement

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dire les humaintés de la pratique scientifique et technique? Les communications qui suivent abordent - peut-être contestent - la notion d'humanités à partir de points de vue très différents. Anne-Marie Laurian nous parle de la façon dont la démarche linguistique interprète les textes scientifiques. André Béraud se demande comment une formation aux humanités peut faire sens pour des scientifiques. Ces interventions témoignent, me semble-t-il, de la penmanence des ambiguïtés de l'ensemble humanités, ou des divers espaces dans lesquels celles-ci peuvent être définies: il s'agit de façon dont une étude linguistique structurée (cercle 1), et plus largement les procédures d'un récit (cercle 2) ou la conduite d'un projet de formation culturelle (cercle 3) rencontrent et éclairent les pratiques scientifiques dans leur espace propre. Je n'en dirai pas plus, il appartient aux auteurs de communications de préciser leur cercle, ou, comme on dit, de sortir du cercle.

2. DIFFICULTÉS D'UNE TOPOLOGIE

Je dessinerai seulement les contours provisoires de notre question transverse. Ces disciplines font-elles face au projet scientifique? Plus exactement, comment les humanités regardent-font-elles les sciences et quel dialogue pouvons-nous envisager entre les unes et les autres? Il me semble avant tout qu'une préoccupation commune unit les disciplines des trois cercles: faire une place centrale dans l'aventure humaine au symbolique et à l'histoire. C'est ainsi qu'un groupe de responsables pédagogiques d'écoles d'ingénieurs formule la spécificité d'un domaine des humanités dans un cursus scientifique, dans la perspective d'un prochain colloque. Si la censure de ces dimensions-histoire, et non seulement progrès, langage, et non seulement tenminologie - a quelque chose d'essentiel dans les formes les plus légitimes et établies de la communication scientifique, cela peut éclairer le refoulement des questions liées aux humanités dans la société moderne.

Mais au sein de cet espace du symbolique-historique, la relation que les disciplines contemporaines entretiennent avec la science est variable. Certaines d'entre elles revendiquent une scientificité, prennent modèle sur les sciences exactes, voire militent pour être reconnues à égalité avec elles. Grammaire, puis linguistique, utilisées par l'infonnatique. Au-delà, sciences humaines et sociales, plus contestées. D'autres disciplines et les oeuvres qui leur donnent sens se situent bien autrement vis-à-vis des modèles scientifiques. Elles se nourrissent de ce que la science dite "positive" proscrit: le particulier, l'ambigu, l'affectif, le subjectif, l'historique. Enfin, ce champ disciplinaire peut se poser et s'est posé parfois dans l'histoire en opposition voire en polémique avec la science et la technique. Brunetière, l'un des papes de l'histoire littéraire, avait cru pouvoir proclamer ilya tout juste un siècle une faillite de la science, campé face au scientisme de Berthelot. Ferdinand Brunetière, Marcelin Berthelot : deux atlantes qui feraient assez bien dans notre entrée monumentale et symétrique. Plus près de nous, Georges Devereux (qui ne revendiquerait peut-être pas le terme d'humanités) propose, dans un tout autre esprit, une loi, non de concurrence ou de juxtaposition, mais de complémentarité: "L'ordre dans lequel les idées humaines sur divers segments de la réalité ont accédé à un niveau scientifique a été largement détenminé par la plus ou moins grande implication de l'homme dans divers ensembles de phénomènes. Plus l'angoisse provoquée par un phénomène est

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grande, moins l'homme semble capable de l'observer correctement, de le penser objectivement et d'élaborer des méthodes adéquates pour le décrire, le comprendre, le contrôler et le prévoir"(De l'angoisse à la méthode, Flammarion, 1980).

Ainsi, la frontière entre la science-technique et les humanités ne passerait pas seulement - comme le laisse croire la distinction fallacieuse entre sciences dures et sciences molles - entre ce qu'on explique exactement et ce qu'on interprète à peu près, mais plutôt entre ce qu'on pense maîtriser et ce qu'on hésite à appréhender (à tous les sens du mot). Ou plus exactement encore, on retrouverait, dans l'un et l'autre champ disciplinaire, qui à ce niveau profond s'opposent moins qu'ils ne se ressemblent, la même confrontation d'un désir de connaître(libido sciendi, comme on disait à l'âge d'or des humanités) et d'une angoisse de savoir.

D'où la nécessité d'aborder de façon particulière notre face-à-face, si face-à-face il y a.Àpropos de cette différence entre humanités et sciences, qui, on vient de le voir, est plutôt un ensemble divers de différences multiples, la thématique souvent proposée est celle des deux cultures.Àgauche, les littéraires, passionnés, nostalgiques, critiques; à droite, les scientifiques, rigoureux, modernes, bornés. On peut inverser, si l'on veut, la latéralité, mais on conserve l'idée du partage. En général, la tradition reproduit d'ailleurs la position de Charles Snow, celle d'une sorte de néocolonialisme épistémologique: réconcilions-nous, amis et vous, littéraires, convertissez-vous au modernisme technoscientifique (N'oublions pas que des deux cultures, il y a une culture dominante, ceUe domination ayant d'ailleurs donné lieu à quelques péripéties historiques).

Nous pouvons ici aborder les choses d'une façon quelque peu différente.D'abord en ne prenant pas pour argenl comptant l'existence des deux cultures ou en nous employant à en mesurer la réalité. C'est le système éducatif - celui qui a remplacé les humanités par les mathématiques comme voie royale - qui institue un clivage entre des élèves baptisés "littéraires" et "scientifiques" et, par là même, entre un prétendu esprit littéraire et une supposée intelligence scientifique.À partir de là,ilne fait pas de doute que les formations forment (ou déforment) autrement et que les pratiques s'opposent. Ce n'est pas pour autant que du point de vue épistémologique l'opposition est valide et que le mouvement de savoir ne rencontre pas, ici et là, les mêmes exigences et les mêmes apories. Ensuite, en cherchant à conjuguer plutôt qu'à opposer, quitte à fissurer et même voir s'effondrer le majestueux ponique symétrique que nous avions édifié pour cette plénière. Je suggère une conception poétique de la rencontre, celle qui mettrait l'accent sur ce que les démarches de pensée peuvent s'apporter mutuellement de connaissances. Il s'agit aujourd'hui de savoirs sur les savoirs. Humanités et sciences sont convoquées les unes et les autres aux deux places, dans les deux occurrences du mot savoir. Comprendre quelque chose des sciences grâce aux humanités, interroger les humanités par les sciences. La rencontre permet un regard symétrique des unes sur les autres et entraîne le risque que ni les unes ni les autres n'en sortent indemnes.

C'est une preuve tangible de l'intérêt de la rencontre que donnent, me semble-t-il, les deux communications qui suivent, consacrées à des exemples circonscrits et tangibles. Fondées sur une démarche empruntée à des champs disciplinaires et plus largement intellectuels divers, elles indiquent ce qu'humanités et sciences peuvent créer en se rencontrant, au-delà de ce que les uns et les autres savent ou croient savoir. Même cumulé.

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