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Le village comme espace romanesque; suivi de Smorzando et Le récital

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Academic year: 2021

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·e

Le village comme espace romanesque suivi de Smorzando et Le récital

par

Nathalie Gratton

Mémoire de maitrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de ('obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl

Montréal, Québec

Août 1994

..,

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~emerciements

je tiens à rem(~rcierdu fond du coeur Yvon Rivard pour ses préciet:x conseils, sa gentillesse, et pour m'avoir fait découvrir et ai~erla création littéraire.

je voudrais aussi remercier les membres de ma merveilleuse famille pour m'avoir si bien entourée toutes ces années.J~ tiens à leur dire qu'ils constituent ma plus grande richesse.

je remercie finalement Martin, sans qui je pense ce mémoire n'aurait pu étre écrit, pour croire en moi plus que moi-même, et pour avoir toujours su trouver les mots, dans mes moments de découragement, qui me red;)nnaient aussitôt le désir d'écrire.

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Résumé

Ce mémoire de maitrise en création littéraire comporte deux parties. La première partie traite du village comme espace romanesque, tel que dégagé d'un corpus de sept romans, de Madame Bovary à Cl1ronique d'une

mort annoncée. Nous essaierons de montrer que les principales

caractéristiques de l'espace physique et de l'espace humain du village ne varient guère d'un roman à l'autre et constituent une sorte d'archétype qui détermine le projet esthétique de chaque auteur. La deuxième partie est constituée de deux nouvelles, intitulées respectivementSmorzando et Le récital. Ces nouvelles traitent de deux trahisons, l'une exécutée dans la plus froide lucidité, l'autre inconsciemment. Les deux nouvelles ont pour toile de fond le monde de la musique.

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Abstract

This Master's thesis in Iiterary creation comprises two parts. The first part is an analysis of the village as a setting in novels and draws upon a corpus of seven novels, from Madame Bovary to Chronique d'une mort annoncée. It will be shown that the main characteristics of the physical space and human space of the village scarcely vary from one novel to another, and constitute a sort of archetype which determines the esthetical purpose of each author. The second part is comprised of two short stories, respectively titled Smorzando and Le récital. These short stories deal with two betrayals, one carried out in cold lucidity and the other unconsciously. The world of music is the background of both these short stories.

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Première_partie: Le village comme espace romanesque Introduction ; , .

L

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espace p YSlque

h .

.

. .

; ; . 2 L'espace humain 1S Le village enchanteur 1S Le village mort 21 Le village tragique 26 La rumeur 29 Conclusion 33 Bibliographie 34 Smorzanéo 37 Le récital 8S

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La place que le village occupe dans l'histoire 1ittcr~lire est lice ;t l'évolution de l'influence du décor dans l'espace romanesque. C'est gràce au romantisme, et par la suite au réalisme, que le décor est devenu un élément essentiel du roman. En effet, le romantisme, en cherchant «dans les spectacles du monde extérieur de quoi satisfaire son insatiable curiosité, de quoi aussi nourrir un besoin d'évasion aiguisé par la mélancolie et l'angoisse intérieure.»l, a conçu la description de paysages (naturels ou construits). li nous a permis de voir ce qui entourait le héros. Quant au réalisme, assignant à l'écrivain le devoir de «traduire en mots, en personnages, en actions, une image fidèle de la société pour pouvoir en dénoncer objectivement les faiblesses, les défauts, les insuffisances, les injustices,,2, il a créé ces personnages romanesques que constituent les éléments décoratifs, c'est-à-dire des person:nages «inutiles à l'action ou ne possédant aucune signification particulière»3 autre que rendre une réalité. Le village s'est ainsi doué d'un corps et d'une âme. Et c'est fort de ses nouvelles ressources, et avec elles seulement, que le village a pleinement habité le roman.

Cette place que le village réel s'est appropriée dans le roman tiendrait en bonne partie à l'Histoire. Rose-Marie Lagrave, dans un ouvrage intitulé Le village romanesque, affirme par exemple que c'est par nostalgie du village que les romanciers l'ont idéalisé et ont provoqué sa multiplication comme lieu de l'action romanesque dans l'espace littéraire des années mille neuf cent cinquante à mille neuf cent

soixante,c'est-à-t Lemaitre, Henri,Du RomantismeauSymbolisme (1790-1914), Paris, édition Bordas et fils, 1982, «Col1ection üttérature», p.6S.

2 Lemaitre, Henri, op. cit., p.3S9.

3 Bourneur, R., Ouel1et, R., L'Universduroman, Paris, pur, 1989, «[jttératures modernes», p.iS9.

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3

• dire alors que l'industrialisation s'imposait brutalementl . Pamela Sing, dans sa thèse de doctorat sur le thème du village à trois moments de l'histoire littéraire québécoise, relie l'exploitation du thème du village dans la littérature canadienne-française à la menace culturelle et sociale des anglophones suite à la conquêtel. Enfin Placide Rambaud, dans Villages en développement. Contribution à une sociologie villageoise, souligne qu'«Un rapide coup d'oeil sur la littérature montre que le thème émerge principalement dans les moments de crise et de mutations rapides.,,3. Le village s'est donc installé confortablement dans l'espace littéraire du XlXe et: du XXe siècle et par conséquent dans l'univers romanesque en tant que

tel.

Or le village en tant qu'espace romanesque, le vi1lage imaginé donc, impose certaines règles aux autres éléments (personnages, temps, intrigue... ) du roman. Des règles qui découlent des caractéristiques qui lui sont propres dans la réalité. Car si «Bachelard soutient que, loin de «former» les images, l'imagination est plutôt «faculté de déformer les images fournies par la perception.»»-+l'écrivain a besoin de ces images qui

1«Si «J'histoire apparait bien comme un mouvement de navette entre le point où la nature, en se corrigeant, rend possible l'éclosion de la culture et le point où la culture cherche à retrouver la nature, c'est-à-dire à se corriger à l'aide de celle-ci», il semble que le village romanesque soit un des exemples par lesquels la société

française des années 1950-1960 - où le maitre mot était la productivité, la croissanceà

tout prix, sans se préoccuper de la dégradation de la nature - manifeste un besoin de trouver à nouveau une relation qualitative à la nature.». Lagrave, Rose-Marie, Le

village romanesque, Maussane, Acte sud, 1980, «collection espace-temps», p.219. 2 «Dès la conquéte, en 1763, les francophones se sont sentis menacésà cause de leur mise en minorité par la culture, la langue, les institutions, la puissance

socio-économique assimilatrice des anglophones. Le souci de préserverleur identité ethnique, sinon leur dignité, poussait les Canadiens français à former une société solidaire et d'autant plus fermée que la sun'Îvance de la collectivité exigeait qu'ils fissent bloc contre l'agresseur. [...] Le fait de vivre collectivement cette situation, toutefois, leur offrait la possibilité d'un réconfort et d'un soutien mutuels, d'où la valorisation de la vie en communauté comme une expérience chaleureuse. d'entraide et de compréhension réciproque.». Sing, Pamela, Le village québécois: idéologie et

imaginaire,thèse de doctorat, Université de Montréal, 1993, p.s.

3 H. Desroche, P. Rambaud, Villages en développement. Contributionli une sociologie

villageoise,Paris,La Haye, Mouton, 1971, p.13.

fi

-+Sing, Pamela, op. cit., p.24.

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romanesque, constitue un espace physique et SOLi'll réel. et surtout immuable, car tous les villages se ressemblent, ce qu'on ne peut dire des villes.

Parce que nous ne voulions pas empiéter sur le territoire t.mt étudié du roman du terroir, nous avons choisi notre corpus en fonction de l'absence des thèmes de la terre ou de l'agriculture. C'est pourquoi le hameau (qui consiste en une fâible aggomération de fermes dispersées sur une vaste aire), de même que les fermes isolées (qui appartiennent souventà de riches familles laissant le soin d'entretenir leurs bâtiments et leurs cultures à des locataires)l, sont pratiquement absents des oeuvres romanesque choisies pour notre analyse. Le village que nous étudierons est un village surtout limité à son centre dans lequel se trouvent les différents services et commerces essentiels à toute la commune (qui elle, comprend le bourg «nucleus of the commune»2, le hameau et les fermes isolées). Ce village, qui implique un autre train de vie que le hameau, a été négligé par la critique. Or le roman villageois au même titre que le roman du terroir, avec tout ce qu'il recèle de particularités, constitue presque un genre à lui seul.

Deux aspects du village romanesque seront ici étudiés. Le premier, l'espace physique, concerne «l'ensemble des notations, descriptions ou évocations qui produisent autour de l'action et des personnages du roman l'image d'un monde physique composé de couleurs, formes, sons, odeurs, etc.»3, ou en d'autres mots, le paysage villageois. L'espace humain constitue le deuxième aspect. Plus complexe, il sera divisé en quatre

1 VoirChanzeaux. Avillage in Anjou,de Laurence Wylie, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1966, pp. 144à ISO.

2Ibid, p.7.

3 C'est en ces termes que François Ricard définit ledécorromanesque dans «Le décor romanesque»,inJJwdes fronçaises, Montréal, nov. 1972, vol. 8, no. 4, p.343.

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• parties intitulées: le village enchanteur, le village mort, le vHlage tragique, ct la rumeur. Pour bien montrer l'universalité du village romanesque nous avons choisi d'étudier des romans d'époque et de pays différents. Ces villages sont donc français, québécc'., suisse, et sud-américain, et ces oeuvres datent toutes, à l'exception de Madame Bovary, du XX e siècle puisque c'est dans la première partie de ce siècle que le village a vraiment envahi le roman. Ces oeuvres sont: Madame Bovary de Gustave Flaubert (MB, 1857), L'Ane Culotte d'Henri Bosco (AC, 1937), Sile soleil ne revenait pas de Charles-Ferdinand Ramuz (SS, 1937), Monsieur Ouine de Georges Bernanos (MO, 1946), Jean de Florette de Marcel Pagnol UF, 1963), Le Saint-Élias de Jacques Ferron (SE, 1972), et Chronique d'une mort émnoncéede Gabriel Garcia Marquez (CM, 1981).

(, 1.

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Officiellement constitué de moins de deux mille personnesl , le village

réel est pelit (n'utilisons-nous pas souvent el spontanément l'expression «petit viIIage» 7), de sorte qu'il a pu se loger à peu près partout (nous le voyons autant dans les steppes que dans les montagnes), selon le seul désir des individus. Le village imaginé possède la même liberté à la différence que le désir de l'auteur n'est pas guidé par des conditions

géographiques et climatiques mais par un projet esthétique romanesque: «Tout comme le poète, le romancier «construit»; les

matériaux certes diffèrent, de même que les modes et les contraintes, mais l'art romanesque, à l'instar du poétique, veut «substituer un ordre à un autre qui est initial» et s'écarte ainsi de la vie en la soumettant à un projet esthétique qui lui donne forme et abolit sa contingence. «Le roman, dit Georges Blin, ne mentionne que l'essentiel.>>>>2.

À cause de ce projet esthétique qui touche à tout ce qui fait le roman, le viIlage imaginé est doté d'un espace physique qui se doit d'être signifiant. L'espace physique crée une atmosphère de même qu'il appelle certains comportements chez les personnages qui l'habitent. Son influence sur les différentes composantes de l'intrigue du roman est si considérable qu'il nous amène à le voir comme un personnage. En effet, le décor romanesque, lorsqu'il «remplit entièrement le texte: sujets, objets, circonstanciels, verbes» est plus qu'un modeste repère dans l'intrigue du roman, «il vit et il dure.»3. Il devient alors un être à part entière qui

1 Du moins les villages français et québécois. Voir le RéperlOirc des municipalités du

Québecet l'ouvrage de Desroche et Rambaud mentionné ci-haut. 2 Ricard, François, op. cit., p.345.

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7

• révèle, au même titre qu'un personnage, les autres personnages du

romani. L.orsque M. Quine regarde le village de Fenouille nous apprenons du même coup le dégoût que le village lui inspire, mais aussi le dégoût que Quine éprouve pour lui-même, et celui qu'il inspire aux autres:

«Le village demeure tout entier visible, coiffé du haut clocher d'ardoises, et ses maisons tapies comme des bêtes. À cette distance le regard trop faible de M. Ouine ne les distingue pas les unes des autres et ce n'est qu'un tas uniforme, une seule masse que ses yeux caressent avec dégoût.» (MO p.152).

En revanche, le même acte de Vandomme nous le présente comme un personnage qui camoufle sa propre honte sous le mépris, et qui connaît le village plus intimement:

«Le village est là quelque part, enfoui dans ses tilleuls et ses marronniers, avec ses-bicoques de briques ou de torchis jetées au hasard, si tristes sous la pluie de décembre. Et derrière chacune de ces portes basses, soigneusement closes, un de ces hommes qu'il méprise -ces bâtards d'Espagnols, noirs comme des mouches, et qui suent le café par tous les pores.» (MO p.106-107).

Dans un cas comme dans l'autre, l'espace physique nous dévoile quelque chose des personnages, mais il peut aussi révéler la nature propre au village. C'est pourquoi les romanciers dépeignent à peu près de la même manière un vilJage ou un visage humain. Au village de Fenouille «enfoui dans ses tilleuls et ses marronniers» répond le visage de Hugolin Soubeyran:

«Sous une tignasse rousse et frisée, il n'avait qu'un sourcil en deux ondulations au-dessus d'un nez

\" I...lles persC'nnages de roman aglssent!les uns sur les autres et se révèlent les uns

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heureusement raccourci par une moustache épointée qui cachait sa lèvre; enfin ses yeux jaunes, bordes de cils rouges, n'avaient pas un instant de repos, et ils

regardaient sans cesse de tous càtés, comme ceux d'une bête qui craint une surprise. De temps à autre, un tic

faisait brusquement remonter ses pommettes, ct ses yeux clignaient trois fois de suite [...

l

» (JF p.18).

«L'architecte du village, c'est la nature»t, et si le village parait petit, c'est qu'il est entouré de collines, de forêts, <.le fleuves ou de rivières. Qu'il soit situé au pied ou au sommet d'une montagne, le village semble toujours écrasé par la nature: «[...

l

ce petit village dont on dirait qu'on l'a serré entre ses mains pour en réduire le volume, avant de le poser là-haut dans la montagne, hors du monde.» (SS p.20). En fait, la nature fait tellement partie de lui que les deux se confondent. Un village, c'est quelque chose qu'on ne distingue pas au premier coup d'oeil:

«Quelquefois, dans un écartement des nuées, sous un rayon de soleil, on apercevait au loin les toits d'Yonville, avec les jardins au bord de l'eau, les cours, les murs et le clocher de l'église.» (MB p.187),

'<Alors on finit par apercevoir, entre les pointes de sapins qui font comme les dents d'une scie, une petite tache grise qui se confond presque tout d·'abord avec la terre et les prés d'alentour; c'est les toits couverts de bardeaux qui empruntent à la roche sa couleur.» (SS p.IS).

Ailleurs, la nature se manifeste subtilement par les arbres qui parsèment le récit; bananiers, amandiers, manguiers figuiers chez Marquez; amandiers, figuiers, cerisiers, cyprès chez Bosco; trembles, ifs, peupliers chez Flaubert; oliviers, amandiers, figuiers, pêchers, abricotiers chez Pagnol. Mais les arbres peuvent aussi envelopper le village jusqu'à le

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9 • cacher: «Le village est là quelque part, enfoui dans ses tilleuls et ses

marronniers [...] » (MO p.1 06); ou jusqu'à former des forêts menaçantes

qui punissent ceux qui s'en éloignent (AC pp.8S à 87). Si les arbres isolent le village en l'enfermant, la montagne l'isole, elle, en l'élevant:

«Ils écoutent encore, il n'y a rien que ce bruit au dedans de vous qui va mourant et laisse venir à sa suite l'immense silence qui est sur le monde comme si le monde n'était plus; comme si on n'était plus au monde, comme si on était suspendu bien au-dessus de la terre dans le grand désert où les astres en tournant sont silencieux.» (SS p.62).

Mais la montagne ne fait pas qu'isoler le village, elle révèle aussi le caractère des villageois. La montagne sur laquelle est perché le village des Bastides Blanches souligne le caractère dominateur et guerrier de ses habitants (comme les Dieux de l'Olympe); Pique-Bouffigue tue le braconnier qui s'est attaqué à lui et les Bastidiens applaudiront son geste; lors d'une noce l'on se battra, pour une innocente insulte lancée à voix haute, avec les habitants du village voisin; César et Hugolin Soubeyran entrainent la mort de Pique-Bouffigue et de Jean de Florette qui, respectivement, ont possédé la source. Au pied des collînes, c'est-à-dire au même niveau que le reste du monde et donc physiquement plus ouvert sur l'autre, le vîllage parait tout aussi autonome et clos. L'on règle ses comptes seuls (le meurtre de Santiago Nasar) et l'on ignore les autres (les habitants de Peïrouré choisissent d'ignorer Monsieur Cyprien). Lorsqu'il est au fond d'une vallée, le village semble se reposer (<<On l'aperçoit de loin, tout couché en long sur la rive, comme un gardeur de vaches qui fait la sieste au bord de l'eau.» (MB p.106», ou s'y cacher, comme par une certaine honte (le vîllage de BeIT\anos, «enfoui dans ses tîlleuls et ses maronniers», est laid et malin). )

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Le paysage villageois est aussi fait de cours d'eau; rivières chez Flaubert, Bernanos, Ferron; fleuve chez f\'larquez; torrent chez Bosco; source chez Pagnol. Des eaux toujours calmes et inoffensives qui ont pour effet de tempérer le décor en apportant au village un sentiment de paix el en lui insufflant un peu de vie. Elles peuvent être un moyen de communiquer avec l'extérieur (le village de Marquez possède un port) ou même de se libérer (le départ du voilier vers les grandes eaux chez Ferron), symboliser le passage d'un monde à un autre (Constantin Gloriot doit traverser un pont sous lequel s'écoule un torrent pour se rendre au paradis de monsieur Cyprien), ou encore être le trésor que l'on désire trop avidement (les Soubeyran provoqueront la mort de deux personnes pour posséder une source). Comme ce sont des eaux qui voyagent, elles atténuent le sentiment d'espace clos créé par les arbres, les montagnes et les collines.

La nature enveloppante n'empêche toutefois pas d'apercevoir le clocher du village qui domine le ciel comme un drapeau:

«Son étendue, humaine et prudente, s'arrêtait en deçà de la petite rivière et tout ce qui s'en élevait donnait des conseils de sagesse: les arbres bien plantés, les carrés de légumes, le groupement amical des toits et même le clocher trapu dans lequel, il est vrai, tintait un peu follement la cloche majeure.» (AC pAl),

«La brume monte peu à peu au flanc des pâturages jusqu'à ce que la lente oscillation de l'air le repousse à mi-côte. Le village demeure tout entier visible, coiffé du haut clocher d'ardoises, et ses maisons tapies comme des bêtes.» (MO p.IS2).

Le clocher semble se dresser non pas pour guider les voyageurs mais plutôt pour représenter le village, servant ni plus ni moins d'emblème:

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«Lien entre le ciel et la terre, témoin de ses origines, gardien du village, le clocher est enfin un centre spatio-temporel avec son horloge. rI manifeste la pérennité du village, son unité et symbolise l'identité entre village et paroisse; en lui les habitants se reconnaissent d'une même communauté. L'église et son clocher font partie des institutions vitales, avec l'école et la mairie.»1.

À travers cette nature souvent jolie mais toujours hostile aux étrangers, des routes ont été construites pour conduire au village. Or ces routes sont difficiles:

«Une route de terre y conduisait par une montée si abrupte que de loin elle paraissait verticale: mais du côté des collines, il n'en sortait qu'un chemin muletier, d'où partaient quelques sentiers qui menaient au ciel.»

(JFp.7),

«La route tournait encore une fois, et la vue, en temps ordinaire, change du même coup tout entière parce que tantôt on va vers le nord, tantôt vers l'est, tantôt vers l'ouest. Tantôt on va dans la direction des montagnes qui se dressent de l'autre côté de la gorge à deux mille mètres au-dessus de vous, tantôt du côté de la plaine qui est à mille mètres plus bas et on plane au-dessus comme dans un avion; - ce jour-là, on ne voyait rien qu'un bout de chemin devant soi, un bout de pente d'un côté, le trou de l'autre.» (SS p.76).

Ou encore ,elles sont petites: «On quitte la grande route à la Boissière et l'on continue à plat jusqu'au haut de la côte des Leux, d'où l'on découvre la vallée.» (MB p.IOS); voire menaçantes: «Au-delà, lé' village minuscule, et la mince route blonde, enroulée sur elle-même comme une vipère, et qui

,

ne mène nùl1e part.» (MO p.13).

Pour iaccéder au village, on doit traverser un pont péager (SE p.30), naviguer (CM p.29), traverser une forêt (AC p.85 à 87). Bref, le village est un lieu presque secret et impénétrable, de sorte que ceux qui n'y habitent

1Lagrave, Rose-Maric, op. CÎt., pp.2ü-2i.

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• pas ne le fréquentent guère. Les routes qui y conduisent et méme les rues qui le traversent sont souvent désertes et silencieuses. Elles font du village un lieu de désolation et de pauvreté (les villages de Yom'iIIe, des Bastides Blanches et de Saint-Martin d'En Haut n'ont qu'une seule rue (MB p.lOS), (JF p.9), (SS p.7); à Fenouille «Le sentier débouche sur la route, la route est vide.» et elle «fuyait en tournoyant vers la vallée [...] » (MO p.165 et p.202); à Yonville «Au milieu du silence qui emplissait le village, un cri déchirant traversa l'air.» (MB p.213). Et lorsqu'aucun cri traverse l'air, c'est pire:

«Qu'est-ce qu'on entend? rien du tout. Même pas le bruit des pas à cause de la neige, même pas le bruit du vent, parce qu'il n'y a toujours point de vent. De temps en temps une voix, quelquefois un enfant qui pleure, pas un oiseau, pas même la fontaine [..:] » (SS p.70).

Mais les rues peuvent aussi être animées. Dans les Bastides Blanches, les vieillards conversent sur une esplanade, les femmes vont à la fontaine, et les hommes jouent aux boules. Dans le village de Marquez, les habitants se croisent constamment, tous occupés à chercher soit les jumeaux soit Santiago Nasar (pour arrêter les premiers et avertir le deuxième du danger qu'il court), ce qui en fait d'ailleurs un village presque labyrinthique.

À l'intérieur du village règne la place, qui en est en quelque sorte le coeur et qui lui donne vie: «Au milieu du Boulevard, un très large escalier d'une dizaine de marches montait à la Placette entourée de façades autour, d'une fontaine qui portaIt une conque de pierre accrochéeà sa taille [...] » (JF p.7). Avec sa fontaine «<S'il osait, il irait s'asseoir sur la petite place déserte au plus épais de la nuit, près de la fontaine.» (MO p.107», la place

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provoque les rencontres, les discussions, elle est le lieu idéal pour

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13 organiser des assemblées et des noces: «La place, dès le matin, était encombrée par une file de charrettes qui, toutes à cul et les brancards en l'air, s'étendaient le long des maisons depuis l'église jusqu'à l'auberge.» (lors des comices agricoles, MB p.158), «On a commencé un grand banquet sur la place, aux frais de Camoins le Gros, le père de la mariée.»

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p.72). Aussi constitue-t-elle une scène de théâtre idéale pour une tragédie comme le meurtre de Santiago Nasar, par exemple:

«Santiago Nasar s'en alla. Les gens avaient envahi la place, comme les jours de défilé. Tout le monde le vit sortir et tout le monde comprit qu'il savait maintenant qu'on allait le tuer, mais il était si effrayé qu'il ne trouvait plus le chemin de sa maison.» (CM p.lll).

Enveloppante, la nature est donc l'amie du village, qui s'y installe comme dans un nid protecteur. Et avec ces paysages de forteresse et ces routes qui peuvent décourager les visiteurs, l'espace physique du village révèle un milieu refenné sur lui-même, méfiant. Mais cet espace familier et sécurisant «<Je me contentais de tourner autour du village, toujours en vue de ses maisons robustes, qui me rassuraient.» (AC p.142», peut devenir ennuyeux et étouffant:

«C'est alors que je sentis vraiment la tentation. À mesure que montait le printemps, une inquiétude se levait en moi. Je ne tenais plus en place. Une sourde envie me prenait de quitter les lieux que j'habitais avec les miens, ce petit village de Peïrouré .encadré de platanes et de peuliers d'Italie, qui livraient déjà aux brises tièdes les premières pointes de leur feuillage; et d'aller ailleurs, plus loin que les haies connues, dans les chemins inexplorés, et singulièrement dans ce sentier de la Gayolle qui, depuis quelques mois, avait orienté mes rêves.» (AC p.33), " 1 \1" l , \ 1 111, " .' .\ Il '\ \1

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«Tu vois comment on est, nous autres. Pas commodes, pas tant polis. C'est qu'on vit trop haut et trop à l'ombre, nous autres, parce qu'il y a trop de montagnes et qu'elles sont trop près de nous; ça nous donne mauv'lise mine, on est comme des pommes de terre qui sont restées trop longtemps en cave; ça nous donne aussi l'humeur triste [...]» (SS p.IGS).

Le défi pour le romancier c'est de faire en sorte que le village qui lasse ses habitants fasse rêver le lecteur. «Le village fait rêver.» l, et c'est

parce qu'il fait rêver que même lorsqu'il est vu comme une prison par Emma Bovary (<<-Emmène-moi! s'écria-t-elle. Enlève-moi!... Oh! je t'en supplie!» (MB p.ZZI)) il en arrive à être un espace physique d'une certaine beauté:

«La prairie s'allonge sous un bourrelet de collines basses pour se rattacher par derrière aux pâturages du pays de Bray, tandis que, du côté de l'est, la plaine, montant doucement, va s'élargissant et étale à perte de vue ses blondes pièces de blé. L'eau qui court au bord de l'herbe sépare d'une raie blanche la couleur des prés et celle des sillons, et la campagne ainsi ressemble à un grand manteau déplié qui a un collet de velours bordé d'un galon d'argent.» (MB p.IOS).

1 Sing, Pamela, op. cit., p.3. Le village fait aussi rêver les personnages qualifiés d'étrangers par les villageois, les Jean de Horette et Bayardo San Roman (dans ce cas-ci, il ne nous est pas dit explicitement que ce personnage rêve au village, mais n'y vient-il pas chercher une épouse? (Ma. p.30». Nous reviendrons sur cc point plus loin.

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L'ESPACE HUMAIN 15 Par espace humain nous entendons tout ce qui touche les personnages qui habitent le village romanesque (les relations qu'ils entretiennent entre eux et avec les «autres», leurs valeurs, leurs croyances, etc.) et qui nous fait reconnaitre dans ce village fictif, nous lecteurs, l'idée du village ou le village réel que nous connaissons, et cela, même si les deux villages (le fictif et le réel) diffèrent l'un de l'autre. De la même manière que le paysage villageois des romanciers change tout en évoquant la même méfiance du village à ce qui lui est extérieur, l'espace humain, malgré des variations d'un romancier à l'autre, comporte de nombreuses similitudes qui constituent ce qu'on pourrait appele'r un archétype du village romanesque.

Trois figures du village se dégagent des oeuvres étudiées: le village enchanteur, le village mort, le village tragique. Ces figures ne forment

,

toutefois pas des catégories distinctes et absolues, mais plutôt des visions différentes du village qui peuvent d'ailleurs s'entrecroiser dans un seul et même village. Enfin nous traiterons brièvement de la rumeur et de sa fonction dans le roman.

Le....v.illage_enchante.uI:

Le village enchanteur est un village où règnent le bonheur et l'harmonie, et où le Mal est absent même s'il peut cependant vivre en dehors du village, comme le maléfique Cyprien dans L'Ane Culotte. Son paysage est riche et grandiose comme la société qu'il abrite est calme et charmante. C'est à la fois le village célébré des contes fantaisistes de

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Jacques Ferron et le village idyllique des contes pastoraux d'Alphonse Daudet. Asile de paix, il est conçu par ses habitants comme un petit paradis:

«Seulemeht, son paradis, ce n'était pas un paradis de cathédrale, c'était un paradis pour petite paroisse. Un joli paradis humain, tiède, bien clos, un de ces paradis de campagne qui groupent trois cyprès autour d'un puits. Tendrement il nous le montrait, de loin, derrière une masse de platanes avec ses àix maisons et le bout d'un clocher trapu; et l'on se disait qu'il y ferait bon vivre.»

(AC p.lS).

Ceux qui l'habitent y sont heureux et ne souhaitent donc pas le quitter, même lorsqu'il est plongé dans l'ombre six mois par année, comme celui de Saint-Martin d'En Haut: «il y avait déjà plus de quinze jours que le soleil était disparu àerrière les montagnes pour ne reparaitre que six mois plus tard:» (SS p.7). Cette fidélité au village ressemble à celle qu'on a dans une relation amoureuse. En effet, la tentation de l'autre, dans ce cas-ci l'autre ville ou village, n'existe pas, car celui ou celle que l'on aime est toujours le plus beau, la plus belle:

«La seconde règle, c'était qu'il fallait considérer les Bastides comme le plus beau village de Provence, infiniment plus important que le bourg des Ombrées, ou celui de Ruissatel, qui comptaient plus de cinq cents habitants.» (JF p.9).

L'amour inconditionnel de son village se nourrit, bien sûr, de la rivalité avec le village voisin, d'où l'expression «rivalité de c1ocher»:

«II y avait une liste interminable de griefs réels mais grossis et complétés par des racontais transmis de père en fils. «Ceux de Crespin» avaient aussi leur liste, et disaient couramment que «ceux des Bastides»

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appartenaient à une race quasi préhistorique, composée 17 en majorité d'idiots, d'aliénés et d'assassins.» (JF p.70),

«-Je ne vois ici personne de Champlain ni de La Pérade, dit le chanoine Tourigny; on y célébrerait, paraît-il, la Fête-Dieu une semaine en avance sur le calendrier. On y est pressé, tant mieux! Pourvu que dans leur hâte les marguiIliers ne «s'enfargent» pas en portant le dais. Cela fit rire, puis tout le monde tourna le regard vers Mgr Charles-Olivier; il riait lui-même de bon coeur et tout le monde fut rassuré.» (SE p.14-15).

Une concurrence d'autant plus féroce qu'à cette fidélité que le viIlageois voue à son village s'ajoute un sentiment d'appartenance:

«Par une logique d'inclusion-exclusion de certains phénomènes sociaux, l'espace joue un rôle protecteur et assure au village une cohésion interne en développant un sentiment d'appartenance que traduit l'expression (,être d'un pays».»!.

Or le viIlageois, comme le paysan, n'est pas solidaire uniquement de son espace. Le paysan, c'est-à-dire celui qui vit des produits de sa terre, habite un territoire qui le fait vivre et l'idée de frontières est profondément enracinée dans sa pensée. Il connaît l'importance de la terre, de la sienne et de celle de son voisin, il partage avec ce dernier le même sol ainsi que les mêmes conditions climatiques, et cela crée des liens étroits entre eux. Ce principe s'applique également au villageois, celui qui réside dans le bourg ou centre du village, qui souvent est commerçant et habite derrière ou au-dessus de son commerce et qui partage avec ses voisins, commerçants eux aussi, le même petit bassin d'acheteurs et par conséquent la même valorisation du client. Ce qui engendre un esprit de solidarité entre viIlageois d'un même village.

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Les habitants du village romanesque sont donc solid'lires, et en particulier lorsqu'ils doivent faire face à l'ennemi:

« [•••] mais devant une attaque venue du dehors, comme

l'intrusion d'un braconnier des Ombrées. ou d'un rammasseur de champignons de Crespin. tous les Bastidiens ne formaient qu'un bloc, prêts à la bag.lrre générale ou au faux témoignage collectif [...] » (JF p.l 0),

ou tout simplement lorsqu'un des leurs a besoin d'aide. Ainsi dans Le

Saint-Élias, quand le curé Tourigny demande l'aide de Philippe Cossette et de ses hommes afin de gêner le passage de Monseigneur Laflèche sur le pont péager, ceux-ci s'exécuteront avec zèle; et le vil\age de Saint-Martin d'En Haut se rassemble rapidement pour retrouver l'un des leurs perdu dans les montagnes.

Mais c'est aussi parce qu'ils se connaissent tous que les vil\ageois font preuve de solidarité. On connaît le nom, le métier, les occupations, la résidence de tout le monde au village: «li rougit à ce compliment de son propriétaire, qui déjà s'était tourné vers le médecin et lui énumérait les uns après les autres les principaux habitants d'Yonville.» (MB p.117). Vincent Descombes, dans un chapitre consacré à la philosophie de Combray, remarque:

«Les moyens intellectuels de Combray, supérieurement représentés dans la tante Léonie, suffisent à rendre raison de tout ce qui arrive. Les gens de Combray savent toujours qui est qui. D'une part, il n'y a quasiment jamais d'inconnus, seulement des visiteurs, des hôtes. D'autre part, les habitants de Combray possèdent parfaitement leur système de parenté et savent déterminer l'exacte position de chacun dans les lignées de Combray.»l.

1 Descombes, Vincent, Proust: La philosophie du roman, Paris, les éditions de Minuit, 1987, «collection critique), p.183.

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19

• L'ensemble des villageois forme donc une grande famille que chacun traine continuellement en lui. Si on utilise à profusion le pronom «on», c'est que le villageois, seul, n'existe pas, il ne pense ni n'agit seul, qu'il s'agisse de faire des confitures:

«Le village était silencieux comme d'habitude. Au coin des rues, il y avait de petits tas roses qui fumaient à

l'air, car c'était le moment des confitures, et tout le monde, à Vonville, confectionnait sa provision le même jour.» (MB p.271),

ou de pousser un cri:

(<Et peut-être aussi n'avaient-elles formé ensemble que des phrases maladroites et sans art, mais chacune n'en fut pas moins un appel irrésistible, un cri jeté ven, toutes ces faces, seules visibles dans les demi-ténèbres, ces faces nues si pressées qu'elles faisaient comme un seul corps nu, la dégoûtante nudité de tout le village maudit se tordant auprès du cercueil.» (MO p.168).

En fait, plus qu'une famille, c'est un seul être humain que forment tous les villageois, d'où la force indivisible, invincible du village:

«Mon pauvre ami, les Sioux n'étaient que des Magouas, des Bohémiens auprès de mes diocésains d'ici. (...] Ce n'est guère agréable pour un évêque, pour un évêque qu'on dit autoritaire, de sentir qu'il n'a plus d'autorité et qu'il s'est fourré dans un fameux guêpier:» (SE p.142).

Cet esprit de famille, de corps définit évidemment les rapports des villageois avec les étrangers. Est étranger celui qui est né ailleurs que dans le village et qui ne possède aucun lien de parenté avec un ou plusieurs villageois. César et Hugolin Soubeyran cachent aux Bastidiens que Jean de Florette est le

fils

d'une ancienne Bastidienne parce qu'ils savent que ceux-ci le traiteraient alors comme un étranger. Et Bayardo

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San Roman, dont on dit que «Les gens l'aiment beaucoup Glr il est honnête et a bon coeur, et puis dimanche dernier il a communié à genoux et a répondu la messe en latin.» (CM p.31), n'en demeure pas moins un étranger, même si pour ses qualités et sa pratique de la religion on lui donne la «bénédiction», ce qui n'est pas sans importance dans un lieu comme le village où l'ancienneté est le fondement de la stabilité:

«Par hypothèse le village est ancien, c'est qu'il se définit aussi par sa stabilité. Celle-ci tient à la permanence du site occupé, à l'ancienneté du noyau de peuplement, à

l'identité maintenue des rapports sociaux quand la société extérieure n'est pas trop contraignante. Elle est surtout dans une loi du changement selon laquelle le village de lui-même tend à évoluer à l'intérieur de son ordre propre sans modifier son système social.»1.

Le village affectionne la religion, et ce n'est pas par hasard que Bernanos utilise toujours le village comme lieu d'action pour ses drames spirituels. Il est normal qu'on se lève tôt pour simplement voir l'évêque passer en bateau:

« [00'] et les gens étaient trop excités par la visite de l'évêque pour prêter l'oreille à d'autres nouveautés. On avait exposé les malades sur le seuil des portes afin qu'il reçoivent la médecine de Dieu, et les femmes sortaient en courant des patios, les bras chargés de dindons, de cochons de lait et de toutes sortes de victuailles, tandis que de la berge opposée arrivaient des canots chamarrés de fleurs.» (CM po2S).

On nGmme un voilier en l'honneur de son curé (SE p.14) et on assiste fidèlement à la messe et aux fêtes religieuses (AC p.14). La religion, par sa valorisation de la famille, contribue à fortifier l'ordre familial du village, parce que le devoir d'enfanter est aussi en quelque sorte le devoir de

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• perpétuer la grande famille villageoise. Une femme ne doit pas perdre de temps:

«-Qu'est-ce que tu veux? c'est pas ma faute. C'est qu'il est paresseux, disait-elle, et pas adroit. Voilà déjà huit mois, hein? qu'est-ce qu'il faut faire? oui, huit mois qu'on est mariés.» (SS p.l 55),

si elle ne veut pas être vue d'un mauvais oeil:

«Elle avait le feu dans le regard, l'oeil un peu bridé, la chevelure lourde, noire, opulente, et restait sans enfant après trois ans de mariage.» (SE pAS).

Le culte porté à la famille est d'ailleurs l'une des valeurs principales véhiculées par les villageois. On pratique le même métier que son père, le respect qu'on porte à quelqu'un s'étend jusqu'à ses ancêtres, la volonté du plus vieux de la famille fait loi, et conserver les biens de sa famille est un devoir moral autant qu'un principe d'économie. Bref, le village est un lieu où vivent fièrement et librement les traditions puisqu'elles amènent l'ordre au même titre qu'un code civil et moral. Le village enchanteur, familial et ordonné, peut alors vivre dans toute sa sérénité.

LC-\dllage....mol1

À l'image d'un lieu fantôme, ce village-ei semble inhabité et triste. Ses rues, de même que les routes qui y mènent, sont vides. Son espace

humain est fermé à l'esprit, même celui de la tradition, et le voue à la stérilité. Ses habitants ignorent le progrès et la science; occupés à travailler pour vivre, du reste plutôt pauvrement, ils n'ont pas le temps de s'éduquer, ni de méditer en contemplant le paysage qui les entoure. À

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pragmatique, répond: «Ma foi, dit Ugolin, moi, les paysages, je m'y connais guère. Celui-là est bon, parce qu'il est grand, alors on peut voir venir le temps qu'il fera» (JF p.123). Et puisqu'ils vivent de leurs gestes plutôt que de leurs idées, la philosophie les indiffère:

«Combray ignore le monde extérieur [...]. Combray n'éprouve pas le besoin de se justifier d'être Combray. À Combray, on ne parle pas du dmità la différence ni de la crise d'identité. 1\ n'y a en ville ni parti avancé ni parti intégriste. L'air public n'est pas troublé par l'idéologie. Les besoins de Combray sont nuls en matière d'idées. La vie de l'esprit, à Combray, ne passe pas par les controverses, la dialectique ou les manifestations d'un art révolutionnaire. On s'y satisfait des cérémonies et de la liturgie: la grand-messe, les défilés militaires.»l.

Dans le village enchanteur, l'esprit de famille, les traditions, et même les dictons proverbiaux (comme la Péguinotte qui «illustrait toutes les saisons de petits dictons cueillis dans je ne sais quel jardin de populaire sagesse» (AC p.22» servaient en quelque sorte de philosophie (parce qu'ils se basaient sur les valeurs des villageois). Les dictons, d'autre part, montrent bien l'esprit de corps, ou de solidarité qui caractérisait ce village:

«Qui parle? En philosophie, toujours un penseur

individuel. 1\ n'y a pas de philosophie collective, même s'il peut arriver qu'un philosophe choisisse de se faire l'idéologue d'un groupe, c'est-à-dire d'utiliser les ressources conceptuelles d'une philosophie pour articuler une pensée collective. En revanche, lorsqu'un proverbe est cité, c'est toujours le groupe qui parle.»2.

Tout cela est absent du village mort. C'est pourquoi le personnage du pharmacien dans Madame Bovary, qui passe à Yonvillage pour un homme d'esprit, discourt en vain:

1 Descombes, Vincent, op. dt., p.176.

2 Descombes, Vincent, op. dt., p.178. C'est nous qui soulignons.

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«1\ se tut, cherchant des yeux un public autour de lui, 23 car, dans son effervescence, le pharmacien, un moment,

s'était cru cn plein conseil municipal. Mais la maitresse d'auberge ne l'écoutait plus: elle tendait son oreillle à un roulement éloigné.» (MB p.112-113).

Hugolin Soubeyran, à qui Jean de Florette dira qu'il «est venu ici pour cultiver l'AUTHENTIQUE», ira répéter à son oncle «qu'il va cultiver des lotantiques!». Et le bonhomme Bessette, écoutant le curé et le médecin discuter derrière lui, commenceà se sentir seul:

«II commençait à se sentir le derrière malheureux, seul sur la planche qui lui servait de banc, en avant du berlot derrière lequel les deux notables, non contents de se prélasser, se parlaient comme deux Anglais dans un français à n'y rien comprendre.» (SE p.60 et 93).

Car même si les villageois se sentent supérieurs à leurs voisins paysansl ,

ils projettent tout de même l'image de gens incultes: «Cependant, aux élections municipales, il obtenait toujours une majorité assez faible, mais suffisante, parce qu'on disait que c'était «une tête», comme si les autres n'en avaient pas.», tout ça «parce qu'il savait un peu les lois: il était capable de soutenir une conversation avec des gens de la ville, et il parlait au téléphone de son bar avec une aisance inégalée.» OF p.l2). Dans le village mort, il est difficile de faire pénétrer les nouvelles idées: «-Malgré les préjugés qui recouvrent encore une partie de la face de l'Europe comme un réseau, la lumière cependant commence à pénétrer dans nos campagnes.» (MB p.206). Cette image de gens. têtus et incultes est

entretenue par la tendance des villageois à croire en certaines

:!.!

1 «llle bourg dweller's exposure to the outside gives him a kind of socialleverage over the people of the country side, whom he usually regards asmoins évolué.», Wylie, Laurence, op. cit., p.l44.

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superstitions; environ la moitié du viIlage croit Anzévui, un mélange de druide, prêtre et sorcier!, lorsqu'il dit que le soleil ne reviendra plus; on a recours aux plantes pour guérir Jean de Florette, on interprète les rêves, et on est voyant. Mais les principaux obstacles à la diffusion de «lumière», ce sont les vieux préjugés et les vieilles coutumes:

«Ah! vous trouverez bien des préjugês à combattre, monsieur Bovary; bien des entêtements de routine, où se heurteront quotidiennement tous les efforts de votre science; car on a recours encore aux neuvaines, aux reliques, au curé, plutôt que de venir naturel1ement chez le médecin ou chez le pharmacien.» (MB p.ll 5).

Enlisé dans ses superstitions (qui ne sont en fait que les restes de traditions vidées de leur esprit et de leurs valeurs) et son ignorance, le village peut déplaire aux jeunes qui, face à cette stagnation de l'esprit, prennent conscience d'un certain décalage entre leur village et la ville:

«Car on les [Nomades] soupçonne aussi d'enlever les enfants. Mais ce sont là des contes qui n'obtiennent plus guère créance, sauf chez quelques vieilles gens, ou dans l'esprit de ces êtres sensibles et imaginatifs, comme la Péguinotte, qui peuplent leur vie domestique de petits démons attentifs à nous nuire et de sorcel1eries.» (AC p.133).

Le village mort se distingue alors de la ville par cette absence d'une quelconque modernité, une modernité qui arrive jusqu'à eux mais que les villageois refusent froidement:

1 «II avait une grande barbe blanche; il avait de longs cheveux blancs qui lui , tombaient sur les épaules.», ,Nous étiez en train d'étudier. Vous étes un savant; voüs lisez dans les livres. Qlt'est-ce que c'est? c'est-il la Bible7», Car, depuis la mort de son père, il ne pensait plus qu'à une chose qui était qu'Anzévui devait avoir jeté un son au vieux,» (Ra. p.9, 19, 123).

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«-/1 a dit: «II faut étre moderne!» 2S -Je parie dix francs qu'il t'a parlé de la «routine».

-Qu'est-ee que c'est?

-Un mot de la ville... La routine, ça veut dire ce que les vieux nous ont appris, et d'après eux, il faut tout foutre en l'air, parce que c'est pas moderne, et que maintenant on a inventé des miracles.» OF p.l19),

tandis que les plus jeunes sont attirés par ses différents produits, comme une simple lampe électrique:

«Heureusement qu'un des garçons a sorti de sa poche une lampe électrique. Ils sont modernes. Ils aiment les nouveautés.» (SS p.9l).

Ce n'est pas que le village est totalement dépouvu de tout savoir, idéologique ou technologique, mais ce savoir n'évolue pas au même rythme que celui de la ville, en grande partie parce qu'il est encore entravé par les superstitions.

Le village mort est finalement la face cachée du village enchanteur; un lieu spirituellement retardé et borné, où les valeurs collectives (la famille, la religion, etc.) sont détournées à des fins personnelles:

«De temps à autre, le Papet, qui voulait ressusciter la famille, lui proposait quelque fille du village qui n'eût pas été mécontente d'épouser les territoires des Soubeyran, en y ajoutant quelques parcelles.» OF

p.19-20).

Il est donc tout à fait inévitable qu'il soit appelé à disparaître, n'étant plus un village et n'étant pas une ville,

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Si l'espace physique du village, fortifié ou caché d'unt~ façon ou d'une autre, manifestait une peur de l'ailleurs, son espace humain peut à

l'occasion exprimer cette même peur: «Mais elles s'étaient dit: «Il ne faut pas leur en parler, à ceux d'en bas, ils se moqueraient de nous.»» (SS p.73). Une peur ou méfiance qui se retourne contre l'étranger qui vient s'installer au village:

«Il y a un défaut, dit-il. Cette source, elle est connue... lIs en ont parlé, au cercle...

-Oui, mais si des étrangers viennent visiter la ferme, personne ne leur dira rien.» OF p.78).

Le village tragique est ce village craintif et méfiant qui se replie sur lui-même. Mais c'est aussi et surtout un lieu où le Mal, et c'est ce qui en fait un lieu «tragique», flotte partout dans l'air:

«-Ce village, et beaucoup de villages qui lui ressemblent, reprit le curé de Fenouille toujours calme, lorsqu'ils commenceront à flamber - oui - vous en verrez sortir toutes sortes de bêtes dont les hommes ont depuis longtemps oublié le nom, à supposer qu'on leur en ait jamais donné un.» (MO p.l96).

Traqué par une force maléfique, difficile à identifier mais dont la présence semble indubitable, le village se replie donc sur lui-même comme pour mieux bondir sur sa proie. Et c'est pour se défendre qu'il attaque ce qu'il croit être la cause ou la personnification du Mal. Cette proie, il peut aller jusqu'à la choisirde façon fortuite:

«Elle avait à peine hésité à prononcer le nom. Elle le chercha dans les ténèbres, elle le trouva du premier coup d'oeil, parmi tous ces noms qu'on peut confondre,

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aussi bien dans ce monde que dans l'autre, et elle le 27 cloua au mur, avec son adresse de chasseresse comme

un papillon dont le! destin était écrit depuis toujours. » (CM. p.49).

Parce qu'il est clos et traqué par le Mal, le village devient alors le lieu tragique par excellence, comme un théâtre avec sa propre scène:

«Santiago Nasar s'en alla. Les gens avaient envahi la place, comme les jours de défilé. Tout le monde le vit sortir et tout le monde comprit qu'il savait maintenant qu'on allait le tuer, mais il était si effrayé qu'il ne trouvait plus le chemin de sa maison.» (CM. p.lll).

C'est comme si la fermeture physique et psychologique du village contribuait à décupler cette violence contenue pour la transformer en fureur. Le Mal se développe par conséquent si rapidement qu'il touche à tout ce qui fait du village ce qu'il est et atteint son point culminant dans le meurtre. Ainsi la religion, dans le village enchanteur, était bonne et harmonieuse, ici elle est meurtrière: c'est le prêtre qui attise la haine des villageois et qui les conduira au meurtre de Ginette de Néréis (MO p.l67-168). Le même phénomène transforme la solidarité et l'esprit de famille, qui faisaient du village enchanteur un lieu protecteur et paisible. Jean de Florette meurt en partie parce que les Bastidiens,se méfiant de lui en tant qu'étranger, ignorent qu'il était le fils de Florette Camoins. Cette solidarité dans leur défiance les empêche de fraterniser avec lui et par conséquent de lui indiquer l'emplacement de la source. Dans Chronique d'une mort annoncée, c'est parce que les villageois se connaissent trop que le meurtre a finalement lieu, parce que chacun croyait que l'autre arrêterait les jumeaux meurtriers. Le roman de Marquez montre bien, par ailleurs, la petitesse de l'espace humain du village qui est tellement connu et étroit que l'on peut reconstituer chaque moment, et dans ses moindres détails,

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• de la journée d'une personne par les témoignages des villageois. Ces témoignages ou souvenirs forment en fait tout le récit de ln chronique. Du narrateur, qui est aussi un personnage du récit, nous ne connaissons ni le nom ni l'occupation, comme s'il était la voix repentante du village, comme le choeur dans la tragédie, coupable d'avoir laissé se commettre le meurtre de Santiago Nasar: les jumeaux «étaient al1és [...] au-delà de l'imaginable pour que quelqu'un les empêche de tuer.» (CM. p.52).

Le village tragique, c'est l'autonomie du village poussée à sa limite. le village comme force du mal qui agit sans que personne ne puisse l'entraver. Une force qui a quelque chose d'extraordinaire, ce qui fait dire à Bernanos: «si le malheur de l'homme n'est pas surnaturel, n'a pas dans le surnaturel son principe, l'excès même de ce malheur le rend comique»1.

Or le comique est absent du roman de Bernanos comme de celui de Marquez, parce que cette force du Mal a quelque chose qui dépasse l'entendement humain. Il y a bien dans Chronique d'une mort annoncée

un procès au bout duquel on déclarera les jumeaux coupables de meurtre, mais le juge et les avocats seront, tout au long du procès, perplexes et confus, comme incapables de comprendre la logique de ce village:

«Tant de coïncidences funestes demeuraient pour tous incompréhensibles. Le juge d'instruction venu de Riohacha s'était contenté de les subodorer sans se risquer à les admettre tant son rapport montrait une volonté évidente de donner à l'affaire une explication rationnelle.» (CM. p.17).

Bref, en face de cette force qui nous échappe, la seule défense c'est de lui donner une apparence de rationalité. Et l'un de ces systèmes de défense c'est d'occulter la vérité de l'ensemble pour ne s'attacher qu'au détail,

1 Cité par Gillespie, Jessie Lynn, in Le tragique dans l'oeuvre de Georges Bernanos,

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29 pour se replier dans ce que Gilles Marcotte appelle <<l'hermétisme du détail»:

«Mais c'est lui [Jacque Ferron], également, qui plonge souvent l'oeuvre dans l'hermétisme: non pas le grand mais le petit, l'hermétisme du particulier, de ce qui ne se trouve que dans un temps et dans un lieu, l'hermétisme du détail. Quoi de plus hermétique en ce sens que le village, quant il ne veut reconnaitre d'autre réalité que ces petites affaires, ses rumeurs, ses habitudes, ses

. l

fltes.» ,

et qui s'exprime, par exemple, à travers la méfiance toute bête des villageois envers l'étranger: «Non seulement n'allait-il jamais à la messe, mais encore il avait été du parti des Patriotes, ce qui ne plaisait guère dans le diocèse de Trois-Rivières.» (SE. p.28).

La..r.ume.ur

La rumeur hante le village, quel qu'il soit. Et comme celui-ci est un lieu où les gens vivent selon des traditions et un certain code moral, la rumeur, parce qu'elle s'attaque aux gens qui transgressent ces règles, est en quelque sorte la gardienne de la morale des villageois. Anonyme (on ne sait jamais exactement d'où elle vient), donc intouchable, elle peut régner en despote. Et de fait, elle n'épargne personne. Tout est prétexte à l'attiser.

À Yonville, lorsqu'arrive la diligence transportant les Bovary: «Quelques bourgeois d'Yonville arrivèrent sur la place; ils parlaient tous à la fois, demandant des nouvelles, des explications et des bourriches: Hivert ne savait auquel répondre.» (MB p.1l3). Habitués à vivre dans la répétition

l Marcotte, Gilles, «Jacques Ferron, côté village», dans Etudes frnnçaises, Montréal, octobre 1976, 12/3-4, p.234.

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des mêmes journées, le moindre bruit singulier entraine chez les villageois une grande effervescence:

«Tandis que Tissières avait ouvert la fenêtre et appelait par la fenêtre, puis est sorti en courant. Et alors le monde est venu. Et il est venu même plus de monde qu'on aurait voulu. Tout le village était arrivê [...] » (SS p.103).

Et comme l'on se connaît tous très bien et que l'on vit les uns à côté des autres, les commérages se tissent facilement: «-Dame, vous devez le savoir mieux que moi! Depuis la mort de Jambe-cle-Laine, vous ne quittez plus la maison, autant dire. Tout le pays en jase.» (MO p.226),

«Le village aussi, et tout de suite après la messe. Car si les bouches avaient dû se contraindre pendant l'office, dès que l'on fut hors de l'église, questions, réponses, suppositions, insinuations, commentaires partirent bon train. Les voilà serpentant à travers ruelIes et rues. Les uns pénètrent chez l'épicière, d'autres s'arrêtent chez le boulanger.» (AC p.60-6l).

La rumeur peut donc, dans cet espace étroit, voyager rapidement: «Grand-mère Saturnine comprit qu'Hyacinthe avait abandonné la maison. En un quart d'heure tout Péïrouré connut l'événement.» (AC p.140). Et malgré des rues désertes et silencieuses le chuchotement de la rumeur réussit à circuler et à se faire entendre:

«-C'est qu'il est fort probable, reprit Homais, en dressant ses sourcils et en prenant une figure des plus sérieuses, que les comices agricoles de la Seine-Inférieure se tiendront cette année à Yonville-l'Abbaye. Le bruit, du moins, en circule.»

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31

• Elle est d'ailleurs tellement puissante qu'elle traverse les remparts du village et se propage dans les environs: «Dès huit heures, les gens avaient commencé à arriver, venant de tous les rangs de la paroisse, du village et même de l'étranger [...] » (SE p.IIS). Tout comme la force impersonnelle du mal, elle ne peut être contrée. Ainsi même si les habitants «respectaient rigoureusement la première règle de la morale bastidienne. On ne s'occupe pas des affaires des autres.»» (JF p.9), Hugolin Soubeyran n'a qu'à mentionner, au café, la présence des étrangers pour déclencher une abondance de questions (JF pp. ISO à IS2). Le café d'ailleurs qui, comme la place, représentait dans l'espace physique la vie du village, sont des lieux parfaits pour abriter la rumeur; le premier endroit où se rend Denis Revaz après avoir appris d'Anzévui que le soleil ne reviendra pas est le café Pralong; les Bastidiennes en passant à la fontaine échangent «les nouvelles du joun>, on sait que c'est là qu'on pourra rejoindre le plus de gens:

«Mes secrets, j'en veux plus de mes secrets, ma fille! Note bien que leur mairie, au point où me v'là, je m'en fous. Tiens une idée que j'irais sur la Grande Place un dimanche? Je leur dirais: «Il n'y a plus de M. le maire, plus de magistrat municipal (...] » (MO p.IIS).

Caractéristique du village romanesque, la rumeur est à l'image du lieu où elle circule. Elle peut être inoffensive, délicieuse, et même unificatrice:

«Durant des années, nous fûmes incapables de parler

d'autre chose. Notre comportement quotidien,

jusqu'alors dominé par la routine la plus linéaire, s'était mis à tourner brusquement autour d'une même angoisse collective.» (CM. p.9S),

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puisqu'elle ne s'attaque pas qu'aux étrangers. Marquez montre bien sa gratuite malignité puisqu'elle ne parvient pas à sauver Santiago Nasar de la mort.

Parce qu'elle joue avec la vérité et le mensonge et qu'elle se développe à partir d'un simple fait, la rumeur s'apparente au roman. Les deux se disent des représentations de la réalité alors qu'une part de mensonge ou de fiction est toujours présente. Et lorsqu'on essaie de démêler cette combinaison de vérité et de mensonge, cela produit l'effet contraire; ça devient inextricable parce que la rumeur, tout en s'étendant, s'amplifie et se gorge de nouveaux éléments vraiment inventés. De plus, la rumeur et le roman ont pour origine un ou plusieurs événements, dramatiques ou non, autour desquels se tisse une parole (qu'elle soit écrite ou verbalisée) qui se développe dans l'espace, mais surtout dans le temps. Quand cette parole en vientà se substituerà l'événement dont elle croit rendre compte elle devient l'image même d'une fatalité à laquelle on ne peut plus se soustraire. Ainsi dans Chronique d'une mort annoncée,

c'est parce que la rumeur qui est véhiculée (que les frères Vicario désirent venger l'honneur de leur soeur en tuant Santiago Nasar) n'est jamais prise au sérieux par les viIlageois et qu'elle est anonyme qu'elle devient fatale. On la néglige, mais elle vit de sa vie propre, et c'est cela la tragédie: quelque chose qui se développe de façon autonome et qu'on ne peut plus arrêter.

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CONCLUSION

Qu'il soit enchanteur, mort, ou tragique, le village est un espace clos qui, à cause justement de cette fermeture au monde, occupe souvent une place importante dans le discours1d'un roman. D'abord le village interdit

la fuite des personnages vers l'ailleurs, mais surtout il détient sur eux un ascendant (c'està cause de lui que les personnages sont ce qu'ils sont) que la ville n'a pas sur ses habitànts ou que les habitants de la ville ressentent moins. Le village n'est donc pas qu'un lieu mais quelque chose qui dicte aux personnages leur façon de penser. et de vivre, presque un personnage puisqu'il possède sa propre psychologie.

Pour le romancier qui vise à représenter la société humaine (pris dans son sens le plus large), le village, par son hermétisme, constitue un lieu privilégié, une sorte de microcosme:

« [...] E. Morin a raison de le considérer comme un

«universel-concret», de vouloir saisir dans les visages de Plodémet tous les grands problèmes des hommes contemporains et les siens propres. L'individualité du village, à condition de lui garder son caractère d'unité sociale structurée par un espace particulier, . renvoie toujours à l'E'nsemble de la société.»z.

C'est pourquoi le village nous donne toujours l'impression d'être connu, méme si nous n'y avons jamais vécu, et même si la ville l'a presque complètement éclipsé dans la réalité sociale et dans l'espace romanesque. En fait, le village est une représentation tellement fidèle de ce qui nous constitue (la peur, la haine, la solidarité, etc.) qu'il est très difficile d'en sortir, même par la musique.

1Tcl quc l'cntcnd Todorov dans «Les catégorics du récit Iittérairc», c'cst-à-dire la façon dont lc Iccteur a pris connaissance de ce qui s'est effectivement passé. «Les catégories du récit littéraire», Todorov, Tzvétan,Communications#8, 1966, p.126.

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BIBliOGRAPHIE:

1. OEUVRES ROMANESQUES:

-Bernanos, Georges, Monsieur Quine, Paris, Plon, 1963, «collection poche», 254 pages.

-Bosco, Henri, L'Ane Culotte, Paris, Gallimard, 1973, «collection Folio», 214 pages.

-Ferron, Jacques, Le Saint-Élias, Montréal, Éditions du jour, L972, 186 pages.

-Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 441 pages.

-Garcia Marquez, Gabriel, Chronique d'une mort annoncée, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 1988, 116 pages.

-Pagnol, Marcel, jean de Florette, Paris, Éditions de Fallois, 1988, 312 pages.

-Ramuz, Charles-Ferdinand, Si le soleil ne revenait pas, Pully, Éditions l'Age d'Homme, 1989, «collection poche/Suisse», 195 pages.

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• 2. ÉTUDES:

A. sur le village

-Desroche, H., Rambaud, P., Villages en développement. Contribution à une sociologie villageoise, Paris, Ul Haye, Mouton, 1971.

-Morin, Edgar, Commune en France. La métamorphose de Plodémet, Paris,

Fayard, 1967, «Le monde sans frontières», 287 pages.

-Weber, Eugen, La Fin des terroirs (La modernisation de la France rurale

1870-1914), Paris, Fayard, 1983, 839 pages.

-Wylie, Laurence (éd.), Chanzeaux. A village in Anjou, Cambridge,

Massachusetts, Harvard University Press, 1966, 383 pages.

B. sur l'univers romanesque

-Barthes, Roland, L'aventure sémiologique, Paris, Seuil, 1985, «collection

Points», 359 pages.

-Barthes, Roland, Leçon, Paris, Seuil, 1978, «collection Points», 46 pages.

-Bourneuf, Roland, «L'organisation de l'espace dans le roman», Études Littéraires, Québec, avril 1970, pp.77-94.

-Bourneuf, R., Ouellet, R., L'univers du roman, Paris, PUF, 1989,

«Littératures modernes», 254 pages.

-Ulgrave, Rose-Marie, Le village romanesque, Maussane, Acte sud, 1980,

«collection espace-temps», 234 pages.

-Marcotte, Gilles, «Jacques Ferron, côté village», Études fr;{nçaises,

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-Marcotte, Gilles, «La problématique du reClt», Revue des sciences

humaines, vol. XLV no. 173 (1979), pp.59-69.

-Ricard, François, «Le décor romanesque», Études françaises. Montréal, vol. 8 no. 4 (nov. 1972), pp.343-362.

-Sing, Pamela, Le village québécois: idéologie et imaginaire, thèse de doctorat, Université de Monréal, 1993, 294 pages.

-Todorov, Tzvétan, «Les catégories du récit littéraire», Communications #8,

1966.

3. DIVERS:

-Augé, Marc, Domaines et châteaux, Paris, Seuil, 1989, «La Librairie, du XXe siècle», 186 pages.

-Descombes, Vincent, Proust. Philosophie du roman, Paris, les éditions de Minuit, 1987, «collection critique», 338 pages.

-Garcia Marquez, Gabriel, Une odeur de goyave, entretiens avec Plinio Mendoza, Paris, Belfond, 1982,187 pages. .

-Gillespie, Jessie Lynn, Le tragique dans l'oeuvre de Georges Bernanos,

Genève, Paris, Librairie E. Droz, Librairie Minard, 1960, 169 pages.

-Lemaitre, Henri, Du Romantisme au Symbolisme (1790-1914), Paris, éditions Bordas et fils, 1982, «Collection Littérature», 719 pages.

-Matoré, Georges, L'espace humain, Paris, Librairie A.G. Nizet, 2e édition, 1976,299 pages.

-Répertoire des municipalités du Québec, Les publications du Québec,

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SMORZANDOI

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Le laitier, un sourcil levé, dépose lentement la pinte de lait au bas de la porte. Son attention est fixée sur la musique qui s'échappe de la maison. Même s'il ne lui parvient qu'un son étouffé, car toutes les fenêtres de la maison sont fermées, et cela malgré la douce chaleur de ce matin d'août, ce qu'il perçoit est tellement beau qu'il reste immobile sur le perron, les bras ballants. Ce n'est que lorsque la mélodie s'arrête quelques secondes et qu'il entend au loin la moissonneuse s'activer dans les champs de maïs qu'il se décide à retournerà son camion. Il sait que Frédérique Casavant, la jeune femme qui habite la maison, possède un piano, mais il abandonne rapidement l'idée qu'elle sache si bien jouer de l'instrument. Cela se saurait au village depuis longtemps. Il opte plutôt pour la radio. Une fois dans son camion, il allume alors la sienne et cherchera obstinément la station qui diffuse cette musique.

Frédérique regarde l'heure. Elle se lève d'un bond, laissant son dernier accord résonner dans le salon comme un coup de cymbales après un tour de magie. Elle prend en vitesse quelques affaires qu'elle met dans un petit sac à dos. Elle doit aller payer ses comptes à la CP et elle devrait être à la pharmacie depuis une heure. Ses gestes sont à la fois vifs et souples. Decette souplesse qui frôle l'indifférence et qui dérange tellement les habitants du village. Elle repasse dans le salon pour prendre son paquet de cigarettes oublié sur le piano, seul meuble étincelant dans une pièce où tous les autres sont couverts d'une mince couche de poussière.

***

Frédérique roule à bicyclette sur une petite rue parallèle à la rue principale, du côté éloigné du fleuve. En prenant cette rue, elle arrive à la caisse par derrière, à travers;:;on minuscule stationnement, sans avoir à

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passer par la rue principale et à supporter les regards inquisiteurs des villageois; sur cette portion de la rue, il n'y a que deux maisons et le cimetière. Elle siffle un air joyeux. Il sort laborieusement de ses lèvres, p.lr manque d'habitude. Lorsqu'elle passe devant le cimetière, elle s'arrète de siffler et dit mentalement boujour à son père et à sa mère, enterrés là depuis seize ans, morts dans un accident de voiture alors qu'elle n'en avait que onze.

Au comptoir, pendant que la caissière fait ses calculs, Frédérique promène furtivement son regard autour d'elle. Elle ne voit qu'une caissière qui la regarde avec un sourire méprisant. Parfois, très rarement, l'effet qu'elle produit sur les villageois lorsqu'elle entre quelque part lui donne envie de rire, rire qui se traduit alors par un haussement du roin droit de sa bouche.

Debout devant la grande fenêtre donnant sur la rue principale et sur le fleuve, Évelyne, son beau visage soucieux, observe à tour de rôle les deux carrefours visibles. Elle tape irrégulièrement du pied. Claire, son employée, derrière les boîtes de la nouvelle commande de médicaments, lui jette de brefs coups d'oeil. Évelyne lui demande si Fred a appelé pendant qu'elle était sortie acheter du café. Claire hoche la tête de droite à gauche, silencieusement, comme pour réduire l'effet de la réponse. Cela fait trois ans qu'elle travaille pour Évelyne et elle n'a jamais vu une amitié à la fois aussi étonnante et intense. Surtout intense. Comme si l'une était incomplète sans l'autre. Évelyne, sur un ton d'exaspération, se plaint à Claire de la tranquillité de la pharmacie. Une petite veine s'est gonflée dans son cou, comme un serpent qui sort doucement du sable. Elle replace machinalement quelques produits sur les étagères lorsque la porte s'ouvre sur Frédérique, longue forme gracile, qui lance un «bonjour!» plein d'entrain. Évelyne fronce les sourcils et la regarde lui tourner le dos et se

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