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De la prévention à la postvention : étude exploratoire sur les suicides survenus entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 dans les prisons provinciales du Québec

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Texte intégral

(1)

CAROLINE PELLETIER

DE LA PRÉVENTION À LA POSTVENTION :

ÉTUDE EXPLORATOIRE SUR LES SUICIDES SURVENUS

ENTRE LE 1ER JANVIER 2000 ET LE 31 DÉCEMBRE 2006

DANS LES PRISONS PROVINCIALES DU QUÉBEC

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sociologie

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2012

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RÉSUMÉ

Tous ne survivent pas à la prison. On s’y suicide davantage que l’on y meurt de cause naturelle. Malgré l’existence et l’application de mesures préventives dans les établissements, notre recension des écrits met en lumière le fait que tant dans les pénitenciers que dans les prisons du Canada, la structure et le déploiement des services correctionnels témoignent de difficultés de nature systémique et organisationnelle, notamment lors de suicides. S’inspirant des théories sociocriminologiques en prévention situationnelle et en matière d’aménagement environnemental, nous émettons l’hypothèse selon laquelle la prison serait un milieu suicidogène, c’est-à-dire une institution dont diverses composantes institutionnelles/organisationnelles ne répondent pas aux enseignements constitutifs des approches théoriques et pratiques en matière de prévention.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons analysé 65 enquêtes administratives internes conduites lors des suicides survenus entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 dans les établissements de détention provinciaux du Québec. Au cours de notre étude, nous avons mis de l’avant les ressources dont dispose le personnel des établissements afin de prévenir efficacement le suicide des prisonniers et documenté les actions du personnel étant intervenu lors de la découverte d’un prisonnier inerte. Nos analyses suggèrent que le manque de formation du personnel, la consultation rarissime – voire nulle – du dossier

social des prisonniers par les membres du personnel, les écarts dans le processus

d’admission, les irrégularités quant à la fréquence des activités de surveillance et de sécurité ainsi que la sous-culture des agents correctionnels et celle des prisonniers contribuent principalement au caractère suicidogène de la prison. Nos analyses jettent également une lumière sur le rôle que peuvent jouer le délai encouru entre la découverte du détenu inanimé et l’appel fait au 9-1-1, l’omission de désigner préalablement des agents prêts à répondre à la découverte d’un prisonnier inerte et la non-exécution des recommandations des coroners et de celles issues des rapports d’enquête dans la pérennité du caractère suicidogène de la prison.

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REMERCIEMENTS

Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Nicolas Boileau, l’Art poétique, chant premier

Ce travail de recherche n’aurait pu arriver à terme sans le soutien inconditionnel de ma directrice, Mme Joane Martel. Je lui serai toujours reconnaissante de l’écoute attentive, de l’humanité et de la générosité qu’elle a su me témoigner. Merci de m’avoir laissé partager mes joies, mes peines, mes angoisses et mes nombreuses questions. De plus, son perfectionnisme et sa fortitude m’ont incitée à vouloir me dépasser, à pousser ma réflexion et à préserver mes ambitions. Ces derniers atouts me seront très précieux.

Ce mémoire n’aurait pu se concrétiser sans la précieuse contribution du ministère de la Sécurité publique du Québec. De par sa collaboration, j’ai été gracieusement autorisée à consulter les enquêtes administratives internes menées lors de suicides en établissement. Je profite de l’occasion pour remercier certains employés de la Direction générale des services correctionnels, qui m’ont offert leur aide et leur soutien au début de ma recherche : Mme Solange Bastille, directrice intérimaire du Développement et du conseil en services correctionnels, Mme Johanne Lévesque, responsable de l’unité de recherche de la Direction générale des services correctionnels, M. Jean-François Couture-Poulin, agent de recherche et notre répondant au Ministère, M. Guy Giguère, expert en mesure et analyste en développement organisationnel, M. Jean Drolet, agent de recherche, et M. Éric Michaud, conseiller-spécialiste sur le suicide en établissement.

Quelques lecteurs trouveront certainement ce dernier remerciement inusité, mais je voudrais prendre le temps de me remercier ; c’est une chose que nous oublions malheureusement très souvent de faire par rapport à nous-mêmes. Ce mémoire a été pour moi un travail tant intellectuel que psychologique. J’ai appris à mieux me connaître et me comprendre. Merci, Caroline, de n’avoir jamais renoncé.

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AVANT-PROPOS

Les opinions et les conclusions présentées dans ce mémoire ne constituent pas nécessairement celles du ministère de la Sécurité publique du Québec.

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À mes parents et mes sœurs

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TABLE DES MATIÈRES

Page RÉSUMÉ ... I REMERCIEMENTS ... II AVANT-PROPOS ... III TABLE DES MATIÈRES... V LISTE DES TABLEAUX ... VIII LISTE DES FIGURES ... IX LISTE DES ABRÉVIATIONS ... X

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I – CONTEXTE CARCÉRAL ... 5

1.1–LA SOCIALISATION CARCÉRALE ... 9

1.1.1 – La socialisation chez les agents correctionnels ... 9

1.1.2 – La socialisation chez les prisonniers... 10

1.2–OMBUDSMEN CORRECTIONNELS ... 13

CHAPITRE II – RECENSION DES ÉCRITS ... 18

2.1–RECHERCHE SUR LE SUICIDE ET LA SANTÉ MENTALE EN PRISON... 18

2.2–RECHERCHE SUR LA SURSUICIDITÉ EN PRISON ... 21

CHAPITRE III – PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE ... 34

3.1.PERTINENCE DE L’ÉTUDE ... 43

3.1.1 Pertinence scientifique ... 43

3.1.2 Pertinence sociale ... 44

CHAPITRE IV – MÉTHODOLOGIE ET SOURCE DE DONNÉES ... 47

4.1.SOURCES DE DONNÉES DOCUMENTAIRES ... 47

4.2.PÉRIODE À L’ÉTUDE... 48

4.3.ACCÈS AUX DONNÉES DU MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ... 49

4.4.MODE DE COLLECTE DES DONNÉES ... 51

4.5.MÉTHODE D’ANALYSE ... 52

4.6.ANALYSE DES DONNÉES ... 53

4.7.PRINCIPALES LIMITES DE L’ÉTUDE ... 53

CHAPITRE V – CONTEXTUALISATION DE LA PRÉVENTION DU SUICIDE DANS LES PRISONS QUÉBÉCOISES ... 56

5.1–LA PRÉVENTION DU SUICIDE EN MILIEU CARCÉRAL ... 56

5.2–L’INTERVENTION AUPRÈS D’UN PRISONNIER TROUVÉ SUSPENDU ... 62

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CHAPITRE VI – PRÉSENTATION DES ENQUÊTES ADMINISTRATIVES

INTERNES ET PORTRAIT DES SUICIDÉS EN PRISON ... 71

6.1INTRODUCTION DU RAPPORT D’ENQUÊTE ... 71

6.2ENQUÊTE ... 81

6.3.PORTRAIT DES SUICIDÉS EN PRISON ... 86

CHAPITRE VII – PRÉVENTION DU SUICIDE EN PRISON : MOYENS ET APPLICATION ... 96

7.1PRÉVENTION DU SUICIDE EN MILIEU CARCÉRAL ... 96

7.1.1 Formation du personnel ... 96

7.1.1.1 Formation initiale des nouveaux agents ... 97

7.1.1.2 Formation en prévention du suicide ... 100

7.1.1.3 Formation en réanimation cardiorespiratoire ... 102

7.1.2 Aménagement des cellules... 104

7.1.3 Mécanismes de dépistage ... 109

7.1.3.1 Procédures des services correctionnels associées au dépistage du risque de suicide ... 109

7.1.3.2 Informations contenues dans le dossier social... 118

7.2INTERVENTIONS PRÉVENTIVES AUPRÈS DES PRISONNIERS SUICIDAIRES ... 124

7.2.1 Mesure d’attention spéciale ... 124

CHAPITRE VIII – MESURES À PRENDRE LORSQU’UN PRISONNIER EST TROUVÉ INANIMÉ ... 128

8.1BUTS ET OBJECTIFS DE LA PROCÉDURE... 128

8.2PROCÉDURE ... 130

8.2.1 Découverte du détenu inanimé et demande d’assistance ... 130

8.2.2 Organisation de l’intervention ... 135

8.2.3 Décrochage du détenu inanimé ... 137

8.2.4 Application des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire ... 140

8.2.5 Dénouement de l’intervention ... 142

8.2.6 Activités de postvention ... 143

8.2.6.1 Postvention auprès du personnel ... 143

8.2.6.2 Postvention auprès des prisonniers ... 146

CONCLUSION ... 148

BIBLIOGRAPHIE ... 152

CHARTES, LOIS ET RÈGLEMENTS... 161

SITES INTERNET ... 162

INSTRUCTIONS, POLITIQUES ET PROCÉDURES ADMINISTRATIVES DES SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC ... 163

FORMULAIRES ... 164

RAPPORTS D’INVESTIGATION DU CORONER ... 164

ANNEXE 1 ... 165

(8)

ANNEXE 3 ... 167 ANNEXE 4 ... 168 ANNEXE 5 ... 171

(9)

LISTE DES TABLEAUX

Page TABLEAU 1 : TABLEAU COMPARATIF DES DÉCÈS DE CONTREVENANTS PROVINCIAUX/TERRITORIAUX, ... 25 TABLEAU 2: COMPTE MOYEN DES CONTREVENANTS EN DÉTENTION POUR L’ENSEMBLE DES PRISONS PROVINCIALES/TERRITORIALES DU CANADA ... 27 TABLEAU 3 : COMPTE MOYEN DES CONTREVENANTS EN DÉTENTION POUR LES PRISONS PROVINCIALES DU QUÉBEC... 29 TABLEAU 4 : REPRODUCTION DE LA GRILLE D’ÉVALUATION DU RISQUE SUICIDAIRE EN MILIEU CARCÉRAL ... 61 TABLEAU 5 : COMPARAISON ENTRE LES MANQUEMENTS RELEVÉS PAR LES COMITÉS D’ENQUÊTE ET LES CORONERS DANS LES CAS DE DÉCÈS AYANT EU LIEU EN 2004-2005 ET LES CAS AYANT EU LIEU AU COURS DE L’ENSEMBLE DE LA PÉRIODE ÉTUDIÉE [DANS LES PÉNITENCIERS FÉDÉRAUX DU CANADA] ... 65 TABLEAU 6 : RÉPARTITION DES SUICIDES, SELON LES ANNÉES À L’ÉTUDE ... 86 TABLEAU 7 : RÉPARTITION DES SUICIDES SELON LES ÉTABLISSEMENTS À L’ÉTUDE... 87 TABLEAU 8 : LES ANTÉCÉDENTS CARCÉRAUX DES DÉTENUS SUICIDÉS ... 90

(10)

LISTE DES FIGURES

Page FIGURE 1 : TAUX DE SUICIDE EN MILIEU LIBRE ET EN MILIEU CARCÉRAL AU QUÉBEC DE 1995 À 2008 ... 23 FIGURE 2 : NOMBRE DE SUICIDES EN MILIEU LIBRE ET EN MILIEU CARCÉRAL AU QUÉBEC DE 1995 À 2008 ... 24 FIGURE 3 : ÉTAPES ET DÉLAIS RELATIFS À L’ENQUÊTE ... 74 FIGURE 4 : PRÉPARATION ET CIRCULATION DES DIVERS RAPPORTS... 79

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ASC – Agent des services correctionnels

ASM – Agent des soins médicaux

CDPS – Critères de filtrage pour le dépistage et la prévention du suicide en milieu carcéral CPS – Comité de prévention du suicide

CU – Chef d’unité

DAP – Direction de l’administration et des programmes

DDCSC – Direction du développement et du conseil en services correctionnels, Normalisation – Standardisation

DCO – Direction du conseil à l’organisation, Normalisation – Standardisation DGSC – Direction générale des services correctionnels

EIS – Équipe d’intervention spécialisée

EERS – Échelle d’évaluation du risque suicidaire MSP – Ministère de la Sécurité publique

RCR – Réanimation cardiorespiratoire

SAPSCQ – Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec SCC – Service correctionnel du Canada

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INTRODUCTION

Tous ne survivent pas à la prison. On s’y suicide davantage que l’on y meurt de cause naturelle. Incarcérés dans l’attente de leur procès respectif, Paul Laplante1, Kathrine Dufresne2 et Jeffrey Albert Lynds3 se sont tous suicidés au cours du mois de janvier 2012 dans un établissement de détention provincial du Québec. Certes, l’acte suicidaire témoigne du désespoir et de la souffrance vécus chez ces personnes, mais qu’est-ce que ces suicides nous apprennent sur le système carcéral ?

En réaction au suicide de Paul Laplante, Stéphane Lemaire, président du Syndicat

des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ), estime que les

établissements de détention ne sont pas adaptés pour prévenir efficacement le suicide des prisonniers. Le sous-financement des prisons ne permet pas de combler le manque de personnel (par exemple, de psychologues et d’agents des services correctionnels) et de ressources matérielles (par exemple, de caméras de surveillance). La surpopulation carcérale complexifie la surveillance des prisonniers par les agents des services correctionnels (SAPSCQ, 2012a). Jean Claude Bernheim, président de l’Office des droits

des détenus, dénonce le manque de formation des agents pour identifier adéquatement les

détenus suicidaires. D’ailleurs, les évaluations de dépistage du risque de suicide réalisées par le personnel carcéral n’ont jamais permis d’identifier le risque de suicide de Paul Laplante. Quant à Kathrine Dufresne, deux jours avant son suicide, la Cour du Québec avait statué que cette dernière devait être mise en observation dès son retour à l’établissement de détention puisqu'elle présentait un risque de suicide. Le procureur de la Couronne avait précisé qu’advenant un risque de suicide imminent, Kathrine Dufresne devrait être dirigée vers une ressource appropriée afin que lui soient prodigués les soins __________

1 Paul Laplante était accusé du meurtre prémédité de sa femme, Diane Grégoire. Le 9 janvier 2012, il s’est suicidé à la prison de Rivière-des-Prairies après 27 jours d’incarcération.

2 Kathrine Dufresne était accusée du meurtre prémédité de sa fille adoptive de 7 ans, Sophie Fitzpatrick. Après avoir apparemment étranglé sa fille, elle a fait une première tentative de suicide. Le 11 janvier 2012, elle a tenté de se suicider une seconde fois – deux mois et demi plus tard – au centre de détention de Hull. Elle est décédée quelques heures plus tard au centre hospitalier.

3 Jeffrey Albert Lynds subissait une enquête préliminaire pour les meurtres de Kirk Murray, d’Antonio Onesi et de Mark Stewart. Arrêté au mois de mai 2010, il s’est suicidé – le 27 janvier 2012 – à l’établissement de Rivière-des-Prairies après 25 mois de détention provisoire.

(13)

requis. Les agents des services correctionnels n’ont apparemment pas été en mesure de déceler l’imminence de sa tentative de suicide (SAPSCQ, 2012c).

Les décès de Paul Laplante et de Kathrine Dufresne soulèvent également d’autres interrogations. Les suicides de ces deux prisonniers sont survenus à deux jours d’intervalle. Jean Claude Bernheim déplore le manque d’attention portée à l’endroit de Kathrine Dufresne à la suite du suicide de Paul Laplante. En effet, le suicide d’un individu, qu’il soit incarcéré ou non, peut entraîner un effet de contagion. Autrement dit, ce phénomène suggère que Kathrine Dufresne, suicidaire, a pu reproduire le geste de Paul Laplante puisqu’elle s’identifiait à ce dernier. Nous supposons que cette identification a pu se consolider, entre autres, du fait que tous les deux étaient détenus provisoirement et étaient accusés d’avoir commis un crime violent envers un membre de leur famille. Pour sa part, Stéphane Lemaire rappelle la pénurie de ressources humaines et matérielles dans les prisons du Québec. Il montre également du doigt la présence accrue de prisonniers ayant des problèmes de santé mentale, pour lesquels les agents ne disposent pas des ressources essentielles permettant de les encadrer adéquatement en tenant compte de leurs besoins (SAPSCQ, 2012d). Concernant Jeffrey Albert Lynds, son suicide semble avoir fait l’objet d’une attention médiatique moindre, notamment dans les médias francophones4. D’une part, nous supposons que le fait qu’il soit un Canadien anglais résidant hors du Québec5 soulève moins l’émoi des journalistes québécois francophones. D’autre part, nous estimons que l’attention médiatique accordée simultanément au procès de trois membres de la famille Shafia6 a été d’une ampleur suffisamment soutenue7 pour que le suicide de Jeffrey Albert Lynds n’attire pas l’attention des reporters.

__________

4 Une courte recherche sur Internet nous a permis de repérer cinq articles de journaux dont l’objet était le suicide de Jeffrey Albert Lynds. Un seul de ces articles est rédigé en français.

5 Après la dissolution du chapitre des Hells Angels d’Halifax (Nouvelle-Écosse) – regroupement dont il était membre –, Jeffrey Albert Lynds s’est joint aux Hells Angels Nomad de l’Ontario. Cela dit, les crimes pour lesquels il était incarcéré se sont produits dans la région de Montréal. Il devait donc subir son procès dans cette région.

6 Mohamed, Tooba et Hamed Shafia ont été accusés des meurtres de Zainab, de Sahar et de Geeti (filles de

Mohamed et de Tooba et sœurs de Hamed) et de Rona Amir Mohamed (première épouse de Mohamed). Le procès a débuté le 20 octobre 2011. La période des délibérations s’est amorcée le 27 janvier 2012. Le 29 janvier 2012, le verdict de culpabilité a été prononcé.

(14)

À la lumière des propos tenus par Jean Claude Bernheim et Stéphane Lemaire, il nous semble que les Services correctionnels du Québec ont éprouvé certaines difficultés à prévenir efficacement les suicides de Paul Laplante et de Kathrine Dufresne. Nous croyons qu’il en a été de même pour Jeffrey Albert Lynds. Ce constat est d’autant plus troublant que les services correctionnels québécois sont légalement responsables des personnes incarcérées dans les établissements de détention du Québec. D’ailleurs, plutôt que d’expliquer les suicides de ces prisonniers par des motivations intrinsèques (par exemple, le décès d’un proche, la perte d’un emploi, la présence d’idées suicidaires), Jean Claude Bernheim et Stéphane Lemaire s’appuient sur des facteurs extrinsèques à l’individu, soit les éléments qui ont des répercussions sur l’expérience carcérale du prisonnier (par exemple, la surpopulation carcérale, le manque de ressources financières, humaines et matérielles, la présence accrue de personnes incarcérées ayant des troubles mentaux, le manque de connaissances pour dépister efficacement les prisonniers suicidaires). De notre point de vue, ces facteurs reflètent le manque de ressources mises à la disposition du personnel correctionnel afin d’intervenir efficacement avec les prisonniers à risque de suicide. La nature même de l’institution carcérale pourrait être mise en cause. Néanmoins, il serait inapproprié de généraliser les cas de Paul Laplante et de Kathrine Dufresne à l’ensemble des suicides qui surviennent dans les établissements de détention du Québec.

Dans le cadre de notre projet de maîtrise en sociologie, nous avons étudié le suicide en prison. Par contre, contrairement à ce qui se fait souvent, il ne sera pas ici question d’aborder des aspects concernant l’individu lui-même. Ce à quoi nous nous intéresserons, ce sont les facteurs institutionnels/organisationnels qui sous-tendent le fonctionnement de la prison.

Afin de bien comprendre l’objet de notre étude, nous décrirons l’univers de la prison et la manière dont les détenus et les agents correctionnels s’adaptent à ce milieu particulier car il s’agit du cadre institutionnel dans lequel surviennent les suicides. Ensuite, __________

7 Ce procès a eu la particularité de soulever la polémique relativement à certaines pratiques « culturelles », particulièrement en ce qui a trait à la protection de « l’honneur de la famille », le rapport à la femme (par exemple, la violence dont sont victimes les femmes, les mariages forcés, etc.) et la notion de « crime d’honneur ». Ces mœurs ne sont pas approuvées par la société canadienne.

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nous dresserons un bref portrait des écrits portant sur le suicide en prison ainsi que sur la santé mentale des reclus puisque ces deux thématiques sont régulièrement traitées conjointement dans les écrits. Par la suite, nous problématiserons la prévention du suicide en milieu carcéral et énoncerons nos objectifs de recherche. Nous discuterons aussi de la méthodologie de notre recherche et des sources de données que nous avons utilisées. Après, nous poursuivrons sur la manière dont les autorités correctionnelles régulent les prisonniers suicidaires. Les chapitres suivants seront consacrés à l’analyse de nos données. Nous exposerons alors la nature de l’information contenue dans les enquêtes administratives internes que nous avons analysées. Ces précisions permettront au lecteur de mieux comprendre le processus d’enquête. Nous brosserons un portrait des prisonniers qui se sont suicidés entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 dans les établissements de détention du Québec. Cette information nous fournira les caractéristiques singulières des personnes composant notre corpus. Ensuite, nous aborderons les moyens dont le personnel dispose pour prévenir les suicides et intervenir efficacement auprès des prisonniers suicidaires. Enfin, nous traiterons des mesures prises par le personnel afin d’intervenir auprès d’un prisonnier qui a tenté de se suicider.

(16)

CHAPITRE I – CONTEXTE CARCÉRAL

Afin de mieux comprendre le suicide en prison, il est de mise de prendre connaissance d’un certain nombre de composantes propres aux systèmes carcéraux canadien et québécois. Cette première mise en contexte ouvrira sur une description du milieu carcéral afin de mieux connaître l’environnement général dans lequel se trouvent les détenus.

Au Canada, en vertu de la Loi constitutionnelle de 18678, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux/territoriaux partagent la gestion des services correctionnels, c’est-à-dire tout ce qui a trait à la détention (détention provisoire9, détention temporaire10 ou détention après condamnation11) et la surveillance communautaire – qu’elle soit sous forme de peine12 ou de libération progressive13. Les contrevenants adultes qui doivent purger une peine d’emprisonnement de plus de deux ans sont sous la responsabilité des services correctionnels fédéraux, assurés par le Service correctionnel du Canada qui, lui, relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. Les peines de deux ans moins un jour, les peines dans la communauté (probation et __________

8 Loi constitutionnelle de 1867, (R-U), 30 & 31 Victoria, chapitre 3.

9 La détention provisoire concerne les personnes incarcérées en attente de leur procès, du prononcé de leur peine ou d’un appel au tribunal (Beattie, 2006).

10 La détention temporaire vise les personnes incarcérées qui ne sont ni prévenues, ni condamnées. Elles sont enfermées notamment pour des motifs liés à l’immigration ou à la suspension de leur libération conditionnelle (Beattie, 2006).

11 La détention après condamnation vise les personnes reconnues coupables d’un crime et condamnées à l’emprisonnement, soit dans un pénitencier fédéral (peine de deux ans et plus) ou dans une prison provinciale (moins de deux ans) (Beattie, 2006).

12 La surveillance communautaire (ou dans la collectivité) consiste en la surveillance d’un contrevenant condamné à l’emprisonnement avec sursis ou en probation. Celui-ci habituellement surveillé par un agent de probation (Beattie, 2006).

13 Sous l’autorité des commissions des libérations conditionnelles, la libération conditionnelle est un programme de mise en liberté sous condition dans la société. Pour les peines purgées dans des établissements provinciaux/territoriaux, chacune des provinces du Québec et de l’Ontario possède son propre programme de libération conditionnelle, qui est géré par les tribunaux administratifs. Ces provinces ont le pouvoir d’accorder, de refuser, de terminer et de révoquer la libération conditionnelle dans leur secteur de compétence. Pour les autres provinces, c’est la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui détient ce pouvoir. La libération d’office, quant à elle, ne vise que les contrevenants sous responsabilité fédérale. Elle consiste en une mise en liberté dans la collectivité pour les détenus qui ont purgé les deux tiers de leur peine, hormis ceux qui sont maintenus exceptionnellement sous garde par la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou bien qui ont renoncé à la libération d’office (Beattie, 2006).

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emprisonnement avec sursis), la détention provisoire et la détention temporaire sont sous la responsabilité des gouvernements provinciaux/territoriaux (Beattie, 2006).

Les institutions correctionnelles se voient expressément confier la tâche de garder les contrevenants afin d’assurer la protection du public et de faire en sorte que, dans un objectif de réinsertion sociale, ces contrevenants deviennent des citoyens respectueux des lois. Chacune des lois concernant les services correctionnels canadiens et québécois en fait foi. En effet, selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition14,

[l]e système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers15 ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois. (Loi sur le système correctionnel et la mise en

liberté sous condition, 1992, chapitre 20, article 3).

De la même façon, la Loi sur le système correctionnel du Québec16 stipule que [l]es Services correctionnels du ministère de la Sécurité publique, la Commission québécoise des libérations conditionnelles ainsi que leurs partenaires des organismes communautaires et tous les intervenants de la société intéressés au système correctionnel favorisent la réinsertion sociale des personnes contrevenantes. Dans le respect des droits fondamentaux de ces personnes, ils contribuent à la protection de la société en les aidant à devenir des citoyens respectueux des lois tout en exerçant sur elles un contrôle raisonnable, sécuritaire et humain, en reconnaissant leur capacité à évoluer positivement et en tenant compte de leur motivation à s'impliquer dans une démarche de réinsertion sociale. (Loi sur le système correctionnel du Québec, 2007, L.R.Q., chapitre S-40.1, article 1).

Or, le but de l’incarcération consistait traditionnellement à punir ou à dissuader une personne reconnue coupable d’un crime. D’un point de vue juridique, la peine correspond à la privation de la liberté individuelle par l’emprisonnement. Selon Foucault (1975), la liberté est jugée à la fois comme un droit et un bien. Ainsi, la prison ne devrait pas infliger d’autres sanctions aux détenus que celle de la privation de liberté (Albanese, __________

14 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, chapitre 20.

15 Au Canada, le terme « pénitencier » est généralement utilisé pour désigner un établissement de détention où sont détenues les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de deux ans et plus.

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2005). Cependant, en prison, le détenu « est pris dans un système de contrainte et de privation, d’obligations et d’interdits » (Foucault, 1975 : 18). La peine est déterminée selon la répétition possible du méfait par le contrevenant, afin que celui-ci n’ait pas l’intention de récidiver et qu’elle soit dissuasive auprès de la population en général. Elle doit agir « en profondeur sur le cœur, la pensée, la volonté [et] les dispositions » du coupable (Foucault, 1975 : 24).

En outre, pour Erving Goffman (1968), la prison est une institution totale, c’est-à-dire « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (Goffman, 1968 : 41). Sa fonction principale est l’organisation rationnelle de la vie du détenu – variant selon le règlement interne de l’institution – et parmi ses objectifs principaux, retenons la rééducation des reclus conformément à certaines normes idéales (Goffman, 1968) ainsi que la neutralisation (incapacitation), le châtiment et l’exclusion (Garland, 1991).

La prison se distingue donc par son caractère enveloppant ; tous les aspects et moments de la vie de celui qui est soumis à l’institution sont pris en charge. Elle prend sous son aile l’ensemble de la vie des détenus (Goffman, 1968), surveille leurs comportements, leurs activités, leurs identités, leurs gestes apparemment anodins (Foucault, 1975) et les soumet à un traitement collectif, à un rapport de pouvoir unique, théoriquement absolu, et toujours orienté dans la même direction. Selon Goffman, « le caractère essentiel des institutions [totales] est qu’elles appliquent à l’homme [sic] un traitement collectif conforme à un système d’organisation bureaucratique qui prend en charge tous ses besoins, quelles que soient en l’occurrence la nécessité ou l’efficacité de ce système » (Goffman, 1968 : 48). De là découlent des conséquences importantes. Entre autres, lorsque les prisonniers sont gérés en groupe, ils sont souvent placés sous la responsabilité d’un personnel dont la tâche principale a été traditionnellement de surveiller. Ces surveillants voient ainsi à ce que tous les surveillés exécutent la tâche qui leur a été impartie dans des

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contextes où toute mauvaise action faite par l’un d’eux est toujours mise en opposition avec les bons comportements des autres (Goffman, 1968).

Même si la description goffmanienne de la prison peut sembler dépassée du point de vue de l’analyse, plusieurs éléments ont persisté malgré les réformes et les années. La peine d’incarcération, entendue dans la présente étude comme une privation de la liberté, mise encore aujourd’hui sur l’exclusion du contrevenant de la communauté. Le mode de gestion bureaucratique persiste aussi à configurer l’institution carcérale contemporaine (Vacheret et Lemire, 2007). Un ensemble de règles et de responsabilités auxquelles les fonctionnaires doivent se soumettre caractérise ce modèle de gestion. La gestion du respect des droits des prisonniers ainsi que la gestion du déroulement de leur peine – qui se veut désormais structurée, rationnelle, transparente, responsable et équitable – ont accru les tâches administratives des surveillants depuis les balbutiements de la bureaucratisation de la prison. « Obligation de conformité, rédaction de documents pour toute intervention ou déplacement, le texte écrit est devenu la norme dans un univers qui relevait jusque-là d’une tradition orale. » (Vacheret et Lemire, 2007 : 69). Par le fait même, les possibilités de surveillance du travail des agents, notamment par la direction de l’établissement, ont augmenté. Le travail du surveillant ne se limite plus au contrôle et à la sécurité (par exemple, assurer et maintenir l’ordre dans la prison, verrouiller et déverrouiller les portes). En plus des tâches traditionnelles, les agents correctionnels doivent désormais endosser le rôle d’intervenant (par exemple, la relation d’aide). En effet, l’adoption de la Loi de la

probation et des établissements de détention17 en 1969 a intégré la notion de réinsertion sociale des contrevenants adultes au sein de la philosophie des services correctionnels québécois.

Toutefois, les rôles de surveillant et d’intervenant sont contradictoires ; le contrôle des prisonniers, par exemple au moyen de l’usage de la force, est largement incompatible avec la relation d’aide, par exemple par le soutien moral des prisonniers. L’accroissement de la fréquence des interactions entre les agents et les prisonniers, engendré par cette __________

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nouvelle responsabilité, a semé l’ambiguïté dans la définition des tâches de ces fonctionnaires. De surcroît, la reconnaissance légale des droits des prisonniers structure les assises des mesures de détention et de mise en liberté. Pour accomplir leurs différentes tâches, les agents doivent posséder les connaissances adéquates afin d’être impliqués, comme il se doit, dans la réhabilitation des détenus. Pour ce faire, il faut notamment insister sur la formation du personnel (El Faf, 1997).

1.1 – LA SOCIALISATION CARCÉRALE

Les prisonniers et les agents correctionnels sont présents en permanence dans les établissements de détention. Ils en constituent les fondements. Chaque groupe a de l’autre une image négative, voire hostile et stéréotypée. Les agents peuvent considérer les prisonniers comme des personnes manipulatrices, dangereuses et imprévisibles, tandis que les détenus peuvent percevoir les agents comme des individus insensibles, abrutis et tyranniques. Ainsi, toute interaction sociale est teintée de méfiance. Pour Goffman (1968), ces conceptions négatives proviennent de la bureaucratisation des institutions totales. Afin de réduire les affres de la vie en milieu carcéral, les agents correctionnels et les prisonniers développent des mécanismes d’adaptation « pour survivre dans ce milieu » (Vacheret et Lemire, 2007 : 9).

1.1.1–LA SOCIALISATION CHEZ LES AGENTS CORRECTIONNELS

Pour Vacheret et Lemire (2007), l’assimilation des agents correctionnels par le milieu carcéral est perceptible par l’adhésion à un code de valeurs, un langage distinctif ainsi que la construction d’une solidarité de groupe. L’esprit de cohésion régnant entre les surveillants est motivé, entre autres, par la nature intrusive des tâches qu’ils ont à effectuer (par exemple, fouille corporelle, fouille des cellules, lecture du courrier, intervention d’urgence), la position subalterne occupée dans l’organigramme de l’institution carcérale (par exemple, effectuer des tâches sans prestige, être de « simples exécutants » et ne bénéficier d’aucune latitude décisionnelle) et l’opposition entre les agents et les prisonniers.

Kauffman (1988) a démontré qu’il existe un « code de valeurs » – relativement à la façon d’exécuter certaines tâches – partagé entre les surveillants de prison. Les règles

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composant ce code sont réparties en quatre groupes : « se protéger mutuellement, ne pas frayer avec les détenus, faire front commun, et faire preuve de solidarité devant tout groupe extérieur » (Vacheret et Lemire, 2007 : 62-63). Dans cet esprit, peu importe la situation nécessitant l’intervention des agents des services correctionnels, chaque membre du groupe doit se sentir en confiance et être solidaire. La violation de ces règles par un agent engendrerait inévitablement le ressentiment chez ses pairs : rejet, ostracisme, exhortation à travailler dans un autre établissement ou à changer d’emploi, etc. Quant au partage d’un langage commun entre les agents correctionnels,

[…] il s'agit d'une parenté de propos, valorisant la virilité et le sexisme, dans le cadre duquel l'humour devient une forme de reconnaissance. Indispensable pour permettre aux gardiens d'effectuer les tâches les plus dégradantes et portant le plus atteinte à la liberté et à l'intimité des personnes qui en font l'objet, ce langage négatif commun – bandits, bagnards, pingouins – constitue un outil de travail qui aide le surveillant à bien définir la nature de sa tâche et la qualité de sa relation avec le détenu, et donne finalement un sens à ce qu'il fait. (Vacheret et Lemire, 2007 : 62)

1.1.2–LA SOCIALISATION CHEZ LES PRISONNIERS

Dès son entrée en prison, le nouveau détenu doit, lui aussi, s’adapter au milieu de vie qui lui est imposé. Cette adaptation sera déterminante dans son intégration parmi les autres détenus. Il est fréquent de retrouver le détenu nouvellement admis dans un état d’anomie (Goffman, 1968). Du monde libre à celui de l’institution totale, le reclus devra s’adapter à la privation de sa liberté et il sera graduellement influencé par le milieu : « que l’on justifie l’incarcération par la nécessité de punir, de dissuader, de rééduquer ou de neutraliser, ou que l’on prône son abolition, c’est toujours en présupposant que le milieu carcéral influe sur le détenu » (Vacheret et Lemire, 2007 : 15).

L’une des premières études importantes sur la prison s’est consacrée justement à l’influence que peut exercer le milieu carcéral sur le détenu. L’étude de Clemmer (1940) a, en effet, porté sur la manière dont le temps passé en détention peut transformer les attitudes des prisonniers. De là, il a développé le concept de « prisonniérisation » (prisonization), c’est-à-dire « l’assimilation du détenu par le milieu carcéral » (Vacheret et Lemire, 2007 : 16). Cependant, depuis cette étude originale, le milieu carcéral a bien changé. La « prisonniérisation » est un phénomène encore présent chez le détenu, mais d’une manière

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différente, car, aujourd’hui, le temps, le rôle du détenu et son rapport à la prison sont reconnus comme étant des facteurs influençant l’adaptation au milieu carcéral.

Le temps en prison a une signification particulière pour le détenu. Toute sa vie en détention s’organise autour du temps à purger. S’adapter à ce nouveau milieu, c’est apprendre à « faire son temps ». Cohen et Taylor (1972) ont montré que, pour une personne dans un milieu libre, le temps est une denrée insuffisante alors que, pour un individu incarcéré, le temps est plutôt une ressource abondante. Ainsi, d’un milieu à l’autre, la notion de temps diverge. Martel (2006b) affirme que les unités traditionnellement utilisées pour mesurer le temps (operators of time) (par exemple, heure, jour, mois, saison) deviennent rapidement désuètes pour le nouveau prisonnier. Dès son incarcération, il fera le compte des jours écoulés, des mois, puis des années. Or, la monotonie aliénante de la vie carcérale générera la désuétude de ces unités temporelles et le prisonnier abandonnera le dénombrement du temps passé. Le temps – dans le sens traditionnel du terme – s’arrêtera momentanément jusqu’au jour où sa libération pointera. Ainsi, la notion de temps reprend son sens et le compte à rebours est entamé. En ce sens, Otero, Poupart et Spielvogel (2004) remarquent que « l’incarcération est vécue par les détenus comme du temps perdu, comme un temps d’attente, un temps à travers lequel il faut passer avant d’atteindre la sortie : la libération est le but ultime, le point de lumière dans un horizon fermé » (Vacheret et Lemire, 2007 : 22). Outre les unités traditionnellement utilisées pour mesurer le temps, Martel (2006b) soutient que l’organisation de la routine quotidienne des prisonniers joue un rôle capital concernant la représentation du temps au sein de l’institution carcérale. Dans les faits, en organisant scrupuleusement le quotidien des détenus, la prison impose ses propres unités de mesure temporelle : les heures de repas, les dénombrements, les moments prévus pour la distribution du courrier ou de la cantine18, etc. Chacun de ces éléments compose la routine stricte de la vie carcérale et devient une unité de mesure significative permettant aux prisonniers de se situer dans le temps. Ainsi, malgré la nature aliénante du temps en milieu carcéral, les prisonniers tentent de préserver un certain pouvoir sur l’emploi qu’ils en __________

18 En milieu carcéral, la cantine fournit aux prisonniers de « petits luxes » que l’établissement ne leur fournit pas : barre de chocolat, steak, saumon en conserve, préparation pour gâteau, produit d’hygiène personnelle « de marque » (par exemple, savon Dove), etc. Ces produits sont déduits de l’argent disponible au compte nominatif du prisonnier ouvert dans l’établissement.

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font : accepter ou refuser leur courrier, la sortie dans la cour, leur rencontre prévue avec le médecin, etc. Cependant, ces références temporelles deviennent indispensables, voire vitales, pour les prisonniers. Un changement occasionnel dans la routine carcérale (par exemple, l’annulation d’une activité, le retard de la distribution du courrier) ébranle leurs repères temporels et peut engendrer un sentiment de colère ou d’anxiété.

L’adaptation de l’individu à la vie en prison est influencée également par son rôle en tant que détenu. Dans le monde de la prison, il s’organise une hiérarchie où les rapports de force dominent. Chantraine (2004) a énoncé trois rôles différents du détenu : le stratège, le tacticien et le soumis. Le premier, le détenu stratégique, participe à la vie en prison ainsi qu’au contrôle de la population carcérale. Il est influent, participe à la régulation sociale, c'est-à-dire aux rapports sociaux centrés sur la négociation et les règles de l’établissement. En retour, il bénéficie de certaines faveurs, obtient des loisirs recherchés et a un travail privilégié. Le second, le détenu tacticien, essaie de tirer le plus d’avantages possible dans ses relations, tant avec les autres détenus qu’avec les surveillants. Sa ruse est la clé de son adaptation. Enfin, le détenu soumis est, pour sa part, dominé par les autres détenus et s’incline devant le personnel de la prison. Il sera exclu par ses pairs, constamment opprimé et dominé, puis écarté de certaines activités, ne bénéficiant plus des privilèges que les autres détenus acquièrent sans mal (Vacheret et Lemire, 2007). Comme l’ont décrit Blaauw, Winkel et Kerkhof (2001), les détenus vulnérables sont des victimes potentielles d’intimidation et peuvent avoir un risque de suicide plus important. De par sa vulnérabilité, le détenu soumis s’adaptera plus difficilement à la prison.

Bref, la survie des prisonniers et des agents des services correctionnels à l’intérieur des murs de la prison est facilitée par divers mécanismes d’adaptation. Néanmoins, la transition d’un milieu de vie à un autre nécessite un temps d’adaptation tant pour le prisonnier que pour l’agent correctionnel. De la vie libre à la vie recluse, on assiste au passage d’un type d’organisation sociale à un autre. Plusieurs éléments diffèrent entre le milieu libre et le milieu carcéral : la notion de temps, le rôle acquis, la composition de la population, le port de l’uniforme, etc. L’ensemble de ces particularités de l’enfermement

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pénal fait en sorte que certains phénomènes se manifesteront autrement en milieu fermé, comparativement au milieu ouvert.

Comme nous avons pu le constater, le milieu carcéral est distinct de la société libre. En ce sens, Vacheret et Lemire (2007) affirment qu’il constitue une société à part entière. En raison de sa traditionnelle fermeture au monde extérieur, il importe de surveiller ces endroits où le risque d’abus est constamment présent. L’une des obligations de l’État est de respecter chacun des droits fondamentaux des individus, et ce, même dans un contexte d’enfermement, de promiscuité et de sécurité. Au Québec, le Protecteur du citoyen doit surveiller, de manière indépendante et impartiale, la façon dont les services correctionnels provinciaux s’acquittent de ce mandat. Telle est aussi la tâche de l’enquêteur correctionnel du Canada auprès des services correctionnels fédéraux.

1.2 – OMBUDSMEN CORRECTIONNELS

Les rapports annuels publiés tant par le Bureau de l’enquêteur correctionnel que par celui du Protecteur du citoyen offrent aux citoyens canadiens et québécois une vision unique des diverses réalités des services correctionnels au Canada, notamment en ce qui a trait à leur rendement. De plus, chacun élabore des recommandations touchant le service correctionnel auquel il est lié. En vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en

liberté sous condition (1992)19, l’enquêteur correctionnel agit en tant qu’ombudsman auprès des détenus sous responsabilité fédérale. La vocation première du Bureau de l’enquêteur correctionnel est d’enquêter et d’assurer le suivi des plaintes des prisonniers. De plus, il doit étudier les politiques et les pratiques du SCC qui sont à la source de leurs plaintes afin d’identifier les déficiences du système, de rapporter au SCC les observations notées et de formuler des recommandations en ce sens. D’ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 192 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous

condition20, l’enquêteur correctionnel doit présenter au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada un rapport annuel sur les activités de son bureau. Dans ce document, l’enquêteur correctionnel « expose un point de vue important et indépendant sur __________

19 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, chapitre 20.

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les activités du [Service correctionnel du Canada] et donne ainsi au [Service] une autre vision de son propre rendement » (L’enquêteur correctionnel, 2006 : 34). En prenant connaissance des rapports annuels de l’enquêteur correctionnel publiés entre 2000 et 2007, nous pouvons lire que les enquêtes menées après des blessures graves ou le décès d’un détenu – en vertu de l’article 19 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté

sous condition21 – « [posent] problème » (L’enquêteur correctionnel, 2004 : 19). À ce propos, l’enquêteur correctionnel recommande que « le [Service correctionnel du Canada se dote] d’une procédure rigoureuse visant à faire connaître et à mettre en œuvre les pratiques exemplaires » (L’enquêteur correctionnel, 2007 : 14). « [Ce] processus [permettrait] à son Comité de direction d’approuver rapidement l’élaboration de plans d’action pour donner suite aux rapports d’enquête portant sur les cas de décès ou de blessures majeures. Ce processus ne devrait, en aucun cas, durer plus de six mois à compter de la date de l’incident » (L’enquêteur correctionnel, 2007 : 47). D’ailleurs, dans son rapport annuel de 2005-2006, l’enquêteur correctionnel souligne que, « depuis le 31 mars 2006, le Service n’a pas répondu à onze rapports de coroners provinciaux sur le suicide de détenus, dont certains datent de 2001 » (L’enquêteur correctionnel, 2006 : 13). De tels laps de temps nuisent à une possible élaboration de stratégies préventives du suicide (L’enquêteur correctionnel, 2006). À son avis, une formation en prévention du suicide devrait, par ailleurs, faire partie intégrante de la formation donnée aux employés de première ligne du SCC travaillant auprès de détenus (L’enquêteur correctionnel, 2007).

Quant au système carcéral de la province de Québec, il ne possède pas son propre ombudsman correctionnel comme c’est le cas du gouvernement fédéral. Les plaintes issues de détenus sous la responsabilité de la province sont plutôt acheminées au Protecteur du citoyen. Son mandat consiste à « veiller au respect des droits des citoyens. […] Son intervention a pour but de remédier à une situation préjudiciable à une personne, physique ou morale, ou à un groupe de personnes » (Protecteur du citoyen, 2007 : 17). En plus de traiter les plaintes, il visite régulièrement les prisons et intervient de manière « tant [préventive] que [réparatrice] » (Protecteur du citoyen, 2007 : 83). Le Protecteur du __________

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citoyen, en vertu de l’article 28 de la Loi sur le Protecteur du citoyen22, doit remettre annuellement un rapport de ses activités au président de l’Assemblée nationale. En plus de ses rapports annuels, le Protecteur du citoyen a mené dans les 25 dernières années, deux études portant particulièrement sur les Services correctionnels du Québec. En 1985, le Protecteur du citoyen publie, en effet, Le respect des droits des personnes incarcérées, un rapport d’enquête concernant la situation générale des institutions carcérales. En 1999, il récidive, croyant nécessaire de faire un nouveau bilan et de proposer au ministère de la Sécurité publique du Québec quelques recommandations. Le Protecteur du citoyen a observé que la situation avait changé entre 1985 et 1999. Cependant, certains aspects se seraient pourtant détériorés. Entre autres, il appert que le nombre de plaintes adressées au Protecteur du citoyen a augmenté entre ces deux périodes, que les relations entre les membres du personnel et les détenus sont plus difficiles, particulièrement depuis le meurtre de deux membres du personnel correctionnel en 199723. De plus, le Protecteur remarque plusieurs prises d’otages, des règlements de compte plus violents et la fabrication accrue d’armes artisanales depuis 1985. Les prisons du Québec ont aussi un taux de suicide important : selon le rapport de la coroner Anne-Marie David (1997), au Québec, on se suicide 7,7 fois plus dans les prisons provinciales du Québec qu’en milieu libre. Autrement dit, le climat qui règne dans les établissements carcéraux semble s’être alourdi entre les premières constatations du Protecteur du citoyen, en 1985, et ses secondes, en 1999 (Protecteur du citoyen, 1999).

En 1999, dans son second bilan concernant les Services correctionnels du Québec, le Protecteur du citoyen a déploré les problèmes chroniques de surpopulation des prisons au Québec, problème qui persistait depuis quelques années déjà. La population carcérale provinciale ne cesse de croître ; même si le nombre total d’admissions annuelles diminue, la population moyenne quotidienne, elle, augmente (Tableau 3). Ceci est dû à l’augmentation du nombre de prévenus et à la diminution des détenus en absence __________

22 Loi sur le Protecteur du citoyen, 1968, L.R.Q., chapitre P-32.

23 En 1997, l’agente correctionnelle Diane Lavigne est assassinée peu de temps après avoir quitté son travail alors que son confrère, l’agent Pierre Rondeau, est tué dans une embuscade de l'autobus qu'il conduisait au

Palais de justice de Montréal (http://memoireduquebec.com/wiki/index.php?title=Bordeaux_%28prison%29,

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temporaire. Aux yeux du Protecteur du citoyen, cette situation rend la gestion des places dans les prisons plus « difficile et risquée » (Protecteur du citoyen, 2007 : 90). Elle complexifie également les mesures de sécurité et rend plus difficiles les tâches des agents des services correctionnels. Dans la majorité de ses rapports annuels, le Protecteur du citoyen fait mention, depuis 1997, du problème de la surpopulation carcérale. Non seulement celle-ci ne s’est-elle pas améliorée de façon notable, mais les diverses enquêtes et visites des prisons effectuées par le Protecteur du citoyen permettent de constater que les conditions de détention se seraient détériorées depuis 1999. Entre autres, il a été observé qu’il n’y a pas suffisamment d’espace ni de places disponibles dans les aires communes pour loger les contrevenants, et ce, dans plusieurs établissements carcéraux. Des personnes incarcérées se seraient alors vues dormir sur de minces matelas, à même le sol, dans des salles de classe ou dans des gymnases. D’autres prisons auraient même été forcées d’utiliser les cellules réservées habituellement à l’admission, sans installations sanitaires appropriées (Protecteur du citoyen, 2007).

Ainsi, « la gestion de la surpopulation accapare une partie importante du temps des gestionnaires. Actuellement, la multiplication des procédures diverses pour maintenir la sécurité dans les établissements et les transferts des personnes en surnombre vers d’autres centres de détention limitent très sérieusement le suivi et l’encadrement des personnes incarcérées » (Protecteur du citoyen, 2007 : 92). Dans cet esprit, des contrevenants « incarcérés depuis plusieurs semaines affirment n’avoir eu aucun contact avec leur agent titulaire ou se plaignent des délais pour recevoir une réponse à leur demande d’information » (Protecteur du citoyen, 2007 : 99). Par ailleurs, le Protecteur remarque une « coordination inadéquate des services au sein des établissements » (Protecteur du citoyen, 2007 : 99). La mauvaise communication entre les employés de la prison, et même entre les établissements eux-mêmes, ainsi que les incidents négatifs lors de transferts, auraient causé le mécontentement des détenus. Entre autres, mentionnons l’éloignement géographique des proches et, par ricochet, la compromission du processus de réinsertion sociale. En raison de la surpopulation carcérale, il arrive que des détenus soient transférés, laissant malencontreusement dans l’oubli les soins particuliers qu’ils peuvent nécessiter, comme la

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visite d’un médecin spécialisé ou la prescription d’un médicament (Protecteur du citoyen, 2007).

En bref, les ombudsmen correctionnels mettent en lumière, dans le cadre de leur mandat gouvernemental, un ensemble de conditions d’incarcération qui contreviennent aux obligations légales de la prison, soit celles d’assurer la surveillance, certes, mais aussi la sécurité des prisonniers ainsi que celle de l’établissement. Parmi les problématiques qui nuisent à la sécurité de la prison, certaines sont d’un intérêt particulier pour notre étude, soit le suicide et la santé mentale.

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CHAPITRE II – RECENSION DES ÉCRITS

2.1 – RECHERCHE SUR LE SUICIDE ET LA SANTÉ MENTALE EN PRISON Les personnes jugées le plus souvent à risque de suicide sont surreprésentées en milieu carcéral. En guise d’exemple, Daigle et Côté (2001) énumèrent, comme étant particulièrement à risque de se suicider, les victimes de violence physique ou sexuelle, les Autochtones, les itinérants, les gens moins scolarisés, les individus ayant été placés en centre d’accueil pendant leur jeunesse et les personnes ayant fait des tentatives de suicide dans le passé. Plusieurs d’entre elles auraient été diagnostiquées comme ayant des problèmes de lecture, d’écriture et de calcul mental ainsi qu’ayant un quotient intellectuel inférieur à la moyenne (Birmingham, 2003). Pour l’ensemble de la population carcérale, une majorité de détenus aurait de hauts niveaux de dépression, de somatisation24 et d’hostilité. Plusieurs auraient une faible estime de soi et ressentiraient déception, colère, mécontentement, angoisse, solitude ou culpabilité. De plus, la présence simultanée de désordres mentaux graves (la dépression majeure, la schizophrénie, la dépendance à une substance, la manie ou autres désordres) serait fréquente chez les détenus. Par ailleurs, les taux de consommation de drogues ou d’alcool et de désordre mental chez les détenus semblent plus élevés que ceux qui sont observés dans la population en général (Blaauw, Kerkhof et Vermunt, 1998).

Selon une étude de Birmingham (2003), les problèmes de santé mentale sont de loin la cause la plus importante de maladies dans les prisons. L’environnement carcéral et ses règles et dispositions juridiques organisant le quotidien peuvent sérieusement être dommageables pour la santé mentale. Birmingham a observé que les désordres psychologiques – incluant les diagnostics d’abus de substances – sont répertoriés en plus grand nombre chez les prévenus comparativement aux détenus condamnés. Ces réactions psychologiques seraient prédominantes chez les prévenus en raison du changement de vie radical, du haut niveau d’incertitude et des privations importantes qui frappent l’individu

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24 Il s’agit de la transformation inconsciente chez un individu d’un mal d’ordre psychologique en un mal d’ordre physique.

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dans les premiers temps de l’incarcération25. En plus, les niveaux d’incertitude sont habituellement plus élevés pendant les phases initiales de la procédure judiciaire (Blaauw, Schilder et van de Lande, 1998) puisque les nouveaux prévenus ne peuvent se projeter dans le futur ; leur avenir est incertain (Blaauw, Kerkhof et Vermunt, 1998).

Puisque les détenus reçoivent peu de soins médicaux, ils sont particulièrement vulnérables au développement ou à la détérioration de problèmes psychologiques (Birmingham, 2003). À ce propos, Daigle (2007) affirme qu’il y a une dissonance entre les objectifs et les services du système de justice en regard des besoins des détenus suicidaires ou ayant des problèmes de santé mentale. Le ministère de la Sécurité publique du Québec admet que la population carcérale s’est complexifiée au cours des dernières années ; 40 % des prisonniers auraient des troubles mentaux ou des antécédents en la matière, sans oublier les problèmes d’ordre physique, de toxicomanie ou d’alcoolisme. Conséquemment, « [l]es carences dans l’accessibilité, l’organisation ou la continuité des soins de santé [sic] accentuent l’état de détresse des personnes en cause. » (Protecteur du citoyen, 2005 : 44).

Cette pénurie affecte également le personnel correctionnel. Les employés ressentent de « l’épuisement […] face aux difficultés à traiter avec ces personnes [ayant des troubles mentaux], souvent plus dérangeantes que les autres, car elles comprennent mal ce qui est attendu d’elles, elles ont de la difficulté à respecter les conditions qui leur sont imposées, leur capacité de jugement est altérée et leur fragilité émotive les rend impulsives. » (Protecteur du citoyen, 2005 : 44). Le Protecteur du citoyen a observé que ces prisonniers font plus régulièrement l’objet de transferts d’établissement que les autres __________

25 Certaines études montrent que les personnes détenues dans les cellules des postes de police ont une plus grande dysfonction psychologique, dont des symptômes dépressifs et psychosomatiques, que celles qui sont détenues dans une institution carcérale. Blaauw, Kerkhof et Vermunt (1998) offrent trois explications à cette observation. De prime abord, les taux de suicide plus élevés chez les personnes détenues dans les cellules des postes de police témoignent de l’importante angoisse dont souffriraient ces personnes. Deuxièmement, certains symptômes psychopathologiques sont à leur apogée immédiatement à la suite de l’incarcération, diminuant au fur et à mesure que le temps passe. La personne qui fait l’objet d’une arrestation policière peut passer quelques heures dans une cellule d’un poste de police avant d’être convoquée devant un tribunal qui déterminera, notamment, si elle sera mutée dans une prison ou libérée en attendant la tenue d’une audience ultérieure. Enfin, les conditions de détention dans les postes de police sont habituellement de qualité moindre que celles des centres de détention provisoire, prisons et pénitenciers, les détenus s’y sentant davantage inquiets et alarmés (Blaauw, Kerkhof et Vermunt, 1998).

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personnes incarcérées. Il soutient que « les transferts à répétition de personnes malades physiquement ou mentalement ne contribuent pas à l’amélioration de l’état de santé de ces personnes et ne peuvent au contraire que l’aggraver. En outre, ils peuvent miner les résultats positifs d’une politique de prévention du suicide […] » (Protecteur du citoyen, 2005 : 45).

Plusieurs chercheurs partagent l’idée que les taux de suicide élevés en prison sont notamment le résultat de l’interaction entre le milieu carcéral contraignant et la vulnérabilité d’un grand nombre de détenus. Cette approche semble plausible en raison du stress engendré par l’incarcération et le nombre disproportionné de détenus possédant plusieurs des caractéristiques associées à un risque de suicide élevé dans la communauté, dont les désordres mentaux, les états d'humeur négatifs, la faible capacité d’adaptation (coping skills), la faible estime de soi, des antécédents de soins psychiatriques et des antécédents de comportements suicidaires (Blaauw, Winkel et Kerkhof, 2001).

Des facteurs exogènes – extérieurs à l’individu – peuvent aussi influencer l’expérience carcérale du détenu. Selon Gibbs (1987), aucun détenu n’est protégé des effets néfastes de l’incarcération. Dans son étude, les détenus nouvellement admis devaient évaluer le niveau de leurs symptômes au moment de leur incarcération et pendant la semaine précédant leur arrestation et leur détention. Entre autres, les symptômes de dépression, d’anxiété, d’obsession compulsive étaient notablement plus élevés au moment de leur incarcération, en comparaison avec la semaine qui précédait l’événement. Bien que les détenus ayant des antécédents de désordres psychiatriques obtiennent – comme on pouvait le supposer – un score plus élevé sur un plus grand nombre de dimensions symptomatiques, les détenus sans antécédents psychiatriques obtiennent des scores inquiétants pour certaines dimensions symptomatiques suggérant une augmentation plus brusque après l’incarcération, comparativement au premier groupe.

Par ailleurs, plusieurs auteurs avancent l’existence d’une relation entre l’intimidation et le comportement suicidaire. En règle générale, l’intimidation se manifeste par divers comportements agressifs persistants, délibérés, dommageables, stressants,

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causant intentionnellement la peur et impliquant une sorte de pouvoir déséquilibré. Plusieurs études effectuées dans des environnements moins stressants que les institutions carcérales ont, de manière convaincante, démontré que l’intimidation peut avoir des effets nuisibles sur les victimes, dont le stress, la diminution du bien-être émotionnel et la dépression. De ces études, on pourrait extrapoler que les conséquences de l’intimidation peuvent être plus nuisibles dans les institutions carcérales, milieux où des masses d’individus vivent souvent dans une extrême promiscuité, partageant de maigres ressources souvent distribuées de manière aléatoire. Le stress causé par l’intimidation, additionné à celui qui est occasionné par l’incarcération elle-même, peut aggraver les situations de crise dans le cadre desquelles les individus peuvent faire des gestes autodestructeurs. Quant à eux, les comportements suicidaires sont un symptôme de l’intimidation. En effet, les détenus qui en sont à leur première incarcération, les délinquants sexuels, les détenus ayant des antécédents d’hospitalisation dans une institution psychiatrique ou des tentatives de suicide antérieures, ainsi queles détenus perçus comme vulnérables, faibles, isolés, jeunes ou « étranges » peuvent être victimes d’intimidation. Sachant que les détenus suicidaires sont vulnérables et que les gestes suicidaires sont souvent perçus comme étant un signe de vulnérabilité, ceux-ci peuvent souvent être la cible de pratiques intimidantes (Blaauw, Winkel et Kerkhof, 2001).

2.2 – RECHERCHE SUR LA SURSUICIDITÉ EN PRISON

Deux faits peuvent retenir l’attention du chercheur qui s’intéresse au suicide en milieu carcéral. Tout d’abord, les comportements suicidaires sont plus fréquents en prison que dans la population en général (Daigle, 2007, 1999, 1998 ; Vacheret et Lemire, 2007 ; Papet et Lepinçon, 2005 ; Canadian Public Health Association, 2004 ; Organisation mondiale de la santé, 2002 ; Blaauw, Winkel et Kerkhof, 2001 ; John Howard Society of Alberta, 1999 ; Blaauw, Kerkhof et Vermunt, 1998 ; Blaauw, Schilder et van de Lande, 1998 ; Bernheim, 1987). Les chercheurs ayant étudié le sujet estiment que les taux de suicide en prison peuvent être de quatre à onze fois supérieurs à ceux du milieu libre, les taux variant selon le pays (Daigle, 1998). Le Canada ne fait pas exception à la règle. Selon une étude sur les décès de causes non naturelles (suicide, homicide et décès accidentel) ayant eu lieu entre 2001 et 2005 dans les pénitenciers fédéraux, on estime que les taux de

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suicide dans les établissements fédéraux sont approximativement sept26 fois supérieurs à ceux de la population canadienne en général (Gabor, 2007). L’enquêteur correctionnel, l’ombudsman des contrevenants sous responsabilité fédérale, ajoute que les taux de suicide sont plus élevés chez les prisonniers fédéraux que dans l’ensemble de la population canadienne, et ce, pour des groupes d’âge comparables. Par ailleurs, les taux de suicide dans les pénitenciers canadiens seraient plus élevés que ceux des pénitenciers de plusieurs pays (L’enquêteur correctionnel, 2004), dont les États-Unis ainsi que l’Angleterre et le pays de Galles (Canadian Public Health Association, 2004).

Dans les prisons provinciales québécoises, entre 1995 et 2008, nous observons que les taux de suicide (Figure 1) sont de 4,8 (2003) à 34,3 (2000) fois plus élevés que ceux calculés dans la population en général.

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26 Gabor n’avance pas explicitement ce chiffre. En fait, il fusionne les suicides et les homicides. Étant donné que nous nous limitons aux suicides, l’ajout des données sur les homicides n’est pas pertinent. Afin de justifier cette déduction, voici ce qui est écrit dans une note en bas de page. « Selon Statistique Canada, le taux de suicide à l’échelle nationale pour 2003 s’établissait à 11,9 % par 100 000 Canadiens. En 2003-2005, le taux d’homicide au Canada était de l’ordre de deux incidents par 100 000 habitants, donnant lieu à un taux combiné d’environ 14 incidents par 100 000 habitants. La présente étude révèle une moyenne annuelle de 13,6 homicides et suicides dans les établissements fédéraux entre 2001 et 2005. Selon la Direction de la recherche du [Service correctionnel du Canada], il y avait 12 561 hommes et femmes incarcérés dans les établissements fédéraux en tout temps en 2004-2005, ce qui donne lieu à un taux de 108 décès par suicide ou homicide par 100 000 détenus, soit près de huit fois le taux dans la population civile » (Gabor, 2007 : 5). Toujours selon cette étude, 61 % des décès sont des suicides et 20,7 % des homicides. En calculant le taux de suicide dans les établissements fédéraux selon ces proportions, nous obtenons un taux 6,8 fois plus élevé, donc environ 7.

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Figure 1 : Taux de suicide en milieu libre et en milieu carcéral au Québec de 1995 à 2008 20,2 20,4 19,2 22,2 19,2 18,1 18 18 16,8 15,6 16,7 15,5 14,2 14,9 154 111 113 119 330 300 226 620 480 180 423 321 576 80 0 5 10 15 20 25 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Tau x de su icid e en m ilieu lib re 0 200 400 600 800 1000 Tau x de su icid e en m ilieu ca rcé ral

suicides en milieu libre suicides en milieu carcéral

Figure créée à partir de : Statistique Canada, 2011, 2010 ; Gagné et St-Laurent, 2010 ; Lalande, 2009. Dans la Figure 1, pour des fins de comparaison, les taux de suicide en communauté et en milieu carcéral ont été portés sur 100 000 – même si on n’a pas 100 000 détenus au Québec. Par exemple, pour l’année 1999, nous comptabilisons 22,2 suicides pour 100 000 individus, mais en prison, ce taux s’élève à 480 suicides pour 100 000. D’une part, ce constat corrobore l’affirmation d’autres chercheurs voulant que les suicides chez les prisonniers soient plus nombreux que ceux ayant lieu dans la société libre. D’autre part, les écarts variables entre les taux de suicide en milieu libre et en milieu carcéral (de 4,8 à 34,3 fois supérieurs) témoignent de la prudence avec laquelle les données relatives aux suicides des prisonniers doivent être traitées. En effet, le nombre annuel de suicides (et non le taux de suicide) en prison est relativement bas et il fluctue d’une année à l’autre (Figure 2). Les données relatives au nombre de suicides (et au taux de suicide) dans les établissements de détention doivent donc être analysées précautionneusement.

Figure

Figure 1 : Taux de suicide en milieu libre et en milieu carcéral au Québec de 1995 à 2008  20,2 20,4 19,2 22,2 19,2 18,1 18 18 16,8 15,6 16,7 15,5 14,2 14,9 154 111 11311930033022662048018042332157680 05 10152025 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 200
Figure 2 : Nombre de suicides en milieu libre et en milieu carcéral au Québec de 1995 à 2008 1463 1442 1152 10881268119111771342125913341387132513821620 9 12 17 5 51366810 4 191714 0 200400600800100012001400160018002000 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2
Tableau 1 : Tableau comparatif des décès de contrevenants provinciaux/territoriaux,   de 1995-1996 à 2003-2004, selon la cause du décès
Tableau 2: Compte moyen des contrevenants en détention pour l’ensemble des prisons  provinciales/territoriales du Canada
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