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L'oeuvre romanesque de Robert Charbonneau.

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Academic year: 2021

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Yolanda Cadieux

ABS TRA CT Degree: Master of Art Robert Charbonneau fut un écrivain, un homme de

lettres qui jouit d'une grande influence durant les années 40. D'abord journaliste, il:accéda à la littérature à

travers "le grouillant" de l'existence.

Il concrétisa la pensée, le climat intellectuel de sa génération dans une revue qu'il fonda, La Relève. Il publia en plus trois rouans: "Ils posséderont la terre", "Fontile", et "Les Désirs et les Jours", qui appartiennent aux années 40 et deux autres plus contemporains: "Aucune Créature" et "Chronique de l'âge amer". Ces romans sont des plongées dans le monde de l'introspection. Ils font reVivre les prOblèmes d'une adolescence tourmentée par l'imposSibilité du choix. Il examine l'état d'esprit de l'homme devant les problèmes de la Vie, de l'amitié, de l'amour et du don de soi.

Robert Charbonneau créa un précédent dans la littérature canadienne française en publiant une étude sur le rouan et plus particulièrement sur le personnage. Dans son volume "Connaissance du personnage", il examine l'homme afin de pouvoir le traduire avec sensibilité, passion et liberté.

Robert Charbonneau a stimulé chez ses contemporains le goût du roman psychologique. Il a ouvert la voie aux talents de nos meilleurs romanciers.

(2)

L'OEUVRE ROMANESQUE DE ROBERT CHARBONNEAU

by

Yolanda CADIFlJX

A Thesis submitted to the Facu1ty of Graduate Studies and Research in partial fu1fi1ment of the requirements

for the degree of Master of Arts.

Department of French Language and Literature McGi11 University

Montreal 2

(3)

'.-

CHAPITRE 1: Le romancier: rapport de sa vie .&. ~ '-..a-"

eù uS sa pSrSOfuïa~1~e avec sôn

oeuvre. p.l

CHAPITRE II: Conception romanesque.

p.7

CHAPITRE III: Les romans des années 40.

p.13

CHAPITRE IV: Ses romans contemporains.

p.35

CHAPITRE V: Le style.

p.50

CHAPITRE VI: Conel usi on.

p.61

BIBLIOGRAPHIE: Oeuvres de Robert Charbonneau

p.67

Articles de Robert Charbonneau

p.6à

Histoires de la littérature et

ouvrages de critique.

p.71

Articles de journaux et de revues p.72

1

(4)

LE RûIvilU~CIER; RA.PpûRT DE SA VIE ET DE SA PERSONNALITE

AVEC' SON OEUVRE

Robert Charbonneau, romancier canadien fran~ais, a été une des figures les plus marquantes de notre litté-rature. Homme de lettres, il a exercé son influence comme

écrivain, fondateur et éditeur d'une revue, fondateur d'une maison d'édition, et comme directeur du service des textes à Radio-Canada, position qu'il occupait encore

à sa mort. Robert Charbonneau a consacré toute sa vie aux lettres et comme écrivain il décrit tous les mouvements des états de l'âme. Comme directeur littéraire il conserve son intérêt toujours présent pour le. jeunes talents

littéraires et il est satisfait de pouvoir les aider et de les conseiller. Il dit lui-même lors d'une entrevue:

"Mon étude, mon occupation, mon travail, c'est de comprendre et de rendre la vie":

Né à Montréal en 1911, Charbonneau a fait ses études au collège Sainte-Ivlari e et à l'Uni versi té de Montréal où il a obtenu un diplôme en journalisme. Durant l'été de 1934, il entre comme reporter au journal La Patrie. C'est

...

son premier emploi. Comme journaliste, il apprend a regardêr agir les hommes, à découvrir ce qui se cache sous leurs

gestes, sous leurs attitudes. Il apprend à reconnaitre la

1.

~UG.HARQ, Charlemagne: ftRobert Charbonneau dissèque l'âme

(5)

vérité. Dans son dernier roman, "Chronique de l'âge amer", Gharbo~~eau diB~ute du métier de journaliste qui donne prise sur le grouillant, sur "l'épaisseur de l'existence" et en même temps lui offre la liberté et la disponibilité. Il dit: "La Patrie, c'était ma jeunesse. Je la vivais

pleinement, en toute générosité, en toute

liberté~.l

En février de cette même année, Robert Charbonneau fonda avec Paul Beaulieu La Relève. Cette revue exerça

une profonde influence sur le mouvement littéraire jusqu'en

1949. Ce fut une revue qui stimula les talents de la

bourgeoisie, qui s'était proposé un idéal élevé. On

attribue son succès au fait qu'elle répondait au besoin qui se faisait sentir d'un mouvement de pensée. La Relève

cherchait la définition de notre type national selon la conception chrétienne de l'homme et appuyait ses décisions, ses règles sur des principes de théologie et de philosophie catholiques. Ce qui troublait les jeunes gens de cette revue c'était l'homme intérieur qui avait été appauvri au point . de vue stimulation intellectuelle.

Cette revue est devenue plus tard La Nouvelle Relève ~ü'il dirige avec Claude Hurtubise, jusqu'en 1948. Sa

collaboration à cette revue attira sur lui l'attention du dire~eur du Droit d'Ottawa, journal auquel il collabora pendant deux ans. Puis il revint à Montréal, au Canada où

-.

1. GHARBONNEA;U~, Ro b~rt: t~Qm;Q..IÛ.9.\1~._Q&.~.!,kEt~~~ ~ (Ottawa. 1967),

(6)

on lui confia le poste de directeur adjoint de l'information. Pendant ce temps il avait fondé avec Claude Hurtubise les Editions de l'Arbre. Il abandonna son poste au journal pour se consacrer entièrement à sa tâche d'éditeur.

Là,

,

il fit preuve de discernement et d'acuité et encour~gea les jeunes écrivains. Tous les ouvrages publiés doivent avoir une présentation parfaite, faisant preuve de travail, d'intérêt, de caractère, qualités que Charbonneau s'est toujours exercé à pratiquer fidèlement. A la demande du gouvernement il travaille auprès de ce dernier comme conseiller technique en matière d'édition. Il fut aussi président de la Société des Editeurs canadiens pendant trois années.

S'intéressant. toujours à la propagation des lettre" il contribue ~ la fondation de l'Académie canadienne franqaise dont il fut élu vice-président. Sa réputation dès lors

était solidement établie car il avait déjà fait paraltre ,

trois romans, "Ils possèderont la terre", 1941, "Fontile", 1945, "Les Désirs et les Jours", 1948, ainsi qu'un essai

sur l'art du roman, "Connaissance du personnage", qui crée un précédent dans l'~istoire de notre littérature en faisant une césure entre le roman canadien traditionnel et en

exposant la nouvelle théorie d'un roman psychologi~e centré sur le personnage.

Depuis 1950, Charbonneau travaille!. Radio-Canada, d'abord comme directeur adjoint puis directeur de la

(7)

"Semaine à Radio-Canada". Puis en

1955,

il devient directeur du service des textes de l'organisation de Radio-Canada • Dévoué à ce poste comme il l'était dans tout ce qu'il

entreprenait, Charbonneau fit des adaptations radiophoniques de ses romans, présenta une pièce dramatique, "PréCieuse Elizabeth" au Radio-Théâtre en juin

1949,

puis il dirigea une série de dix-huit conférences sur les romanciers

canadiens-frangais. Au service des textes il peut entretemir son intérêt pour les jeunes écrivains. Ainsi il pouvait

leur venir en aide, et souvent il se projetait en eux en essayant de revivre avec eux l'idéal qU'il s'était proposé, un peu comme le fait Georges Hautecroix.

Romancier d'abord, Robert Charbonneau fait aussi paraître un recueil de poèmes, "Petits Poèmes retrouvés" en

1945.

Ces petits poèmes révèlent la même précision que ses romans et nous laissent souvent dans un état ambigu. Les poèmes nous suggèrent un monde lointain presque féérique, une sorte d'enfance idéalisée détruite par l'avènement de la maturité.

Il entretient aussi une polémique engagée avec des écrivains frangais. Ces lettres, il les recueille dans un volume intitulé "La Fr~ce et Nous" où il attaque l'ignorance des Frangais vis-à-vis des Canadiens. Cette querelle litté-raire a son importance parce qu'elle révèle un état d'esprit révolutionnaire mais bien pesé. Cette brochure est "la

(8)

répu-diation de toute conception coloniale de la culture ••• ~

, 1

c'est "le premier pas d'une littérature vers l'autonomie". Mais je crois qu'il faut se garder de donner à cette

corres-pondance une trop grande importance, puisque au fait le

problème d'une littérature canadienne est assez bien accepté par les critiques non seulement canadiens mais du monde

entier. Par contre, en 1946, le problème demeurait très réel et très immédiat. Charbonneau définit le problème lui-même quand il dit:

"Le défaut des Canadiens a peut-être 'été jusqu'ici qu'ils n'ont voulu avoir qu'un seul parent, ou qu'ils les ont choisis du même sang jusqu'à l'épuisement de ce sang". (2)

Ainsi on peut dire que ces querelles de plume nous ont fait bénéficier d'un regprd-sur nous~mêmes et nous ont

, ...

encourages a nous universaliser en recherchant la valeur de l'expérimentation chez les Américains et en nous ouvrant d'autres chemins qui pouvaient nous profiter au point de vue culture. Peut-être que ces querelles ont contribué à la

création d'un milieu intellectuel plus propice à la création littéraire.

Je suis d'avis aussi que l'appui de M. Gilson à cette querelle vient encore souligner son importance. Il explique ainsi la situation du phénomène "littérature canadienne-franqaise" :

1. 3~9&REJ Romain: "La France et nous", Culture, t.IX, no.l (mars 1948)

p.95.

'

2. Q.H4JŒO.NN6AU., Robert: '~a }i'r.~,c:~-' ~t,~9.~ê."(lV1ontréal, 1947) ,p.3l 'Ed. de l'Arbre.

(9)

"Le Canada se souvient de bien des choses car non seulement il a une mémoire, il en est une. Il se souvient d'abord d'avoir été une branche de l'arbre français, mais aussi d'en avoir été coupé, d'avoir vécu sans nous, grandi sans nous, conquis par son seul courage, par sa seule perspicacité et par une continuité de vues qui ne nous doit rien le droit

à sa propre langue, à ses propres méthodes d'éduca-tion et a sa propre culture. Si nous sommes l'arbre, jamais arbre ne s'est moins soucié de sa branche. Qu'il s'en soucie aujo~d'hui, rien de mieux, mais

ce qu'il retrouve, après l'avoir si longtemps négligé, ce n'est plus une branche, c'est un arbre: un arbre de même espèce que lui mais un autre arbre qui est un arbre comme lui". (1)

Ainsi nous avons choisi de continuer à développer notre culture fr.a.nçaise pour les Canadiens français et pC1ur le monde et nous devons beaucoup dans cette façon de penser et d'interpréter à Charbonneau. Ainsi cette querelle a une importance historique mais son importance littéraire a décru depuis.

Mais la chose dont nous allons discuter dans cette thèse ce n'est pas du mérite de Robert Charbonneau de s'être donné constamment au monde des lettres bien qu'il y en ait, mais d'examiner l'état d'esprit qui prévalai t chez Charbonneau au sujet de l'homme - de la vie, de l'amitié et de l'amour

et cela il nous l'a fait connaître dans ses romans. Nous nous intéressons à sa conception de la vie, à cette connaissance de soi, à l'engagement de ce "moi" dans l'action. Ainsi avec

cet écrivain nous voyons une nouvelle impulsion àonnée au rOlllan psychologique dans notre littérature.

(10)

CONCEPTION ROMANESQUE

Pour Robert Charbonneau, l'homme était d'une impor-tance extrême. L'homme est pour l'écrivain une série d'actes extérieurs dont il ne connaît nullement la motivation.

Aussi l'écrivain se voit-il à un désavantage pour créer des personnages. Il ne peut être leur Dieu puisque ces protagonistes ne deviendraient que des marionettes dont il

üre les ficelles. Il ne peut être leur juge puisque ces personnages doivent vivre leur propre vie. Ainsi l'aute\œ doit créer un être dont nous sentons vibrer tous les moments de son existence.

Jusqu'à l'époque de Charbonneau, le roman a peint fidèlement notre société et ses individus. Mais avec

Charbonneau le souci du roman comme oeuvre d'art prend de l'ascendant:

"Plus que tout autre, il (le roman) permet l'expression de toute la vie, de tout l'homme, avec ses contradic-tions intimes, ses individualités, sa richesse infinie de créature de Dieu. Il est l'art de l'homme". (1) Robert Charbonneau a codifié sa doctrine sur le roman dans "Connaissance du personnage". Ce volume a le mérite d'être le premier essai sur le roman au Canada français. Réjean Robidoux nous dit que Charbonneau est "le premier à

dépasser le stade du pur instinct, par une réflexion systé-mati~e sur les questions formelles particulières à ce genre romanesque, afin de donner à une matière si subtile toute son efficacité artistique ••• Originale et artistique sa démarche

1. CHARBONNEAU, Robert: "Le romancier canadien", La Nouvelle RelèvE II, no.3 (janvier 1943), p.167

(11)

e

esthétique cherche à tenir compte du contexte canadien-fran~ais,

car l'oeuvre romanesque doit témoigner de la réalité et de 1 i homme d: ie in. l

Selon Charbonneau, le romancier doit oonnaitre et observer l'homme afin que cette créature n'ait aucun secret pour lui. Tous les gestes des hommes sont "des actes peureux" c'est-à-dire que les a~ions souvent n'engagent pas l'homme

. 2

ent1er. Elles sont faites par souci de plaire, par souci de se prouver aux autres, dans l'incompréhension qui souvent est sous-jacente dans l'esprit de la créature. Charbonneau nous dit alors "qu'il faudra alors chercher dans l'enfance la source de pureté et de vérité de l'action". On verra en effet que l'auteur attache dans ses romans une importance considérable à l'enfance. Tous ses héros feront exprès de

retourner en arrière pour faire revivre ce monde de l'enfance. Par contre, l'enfance chez les personnages de Charbonneau ne sera pas toujours source de pureté et de vérité. Elle le sera en termes d'amitié entre jeunes gar~ons, c'est-à-dire que l'enfance ainsi que l'adolescence seules permettront une amitié honnête et véritable.

Chez l'auteur le souci de l'adolescence se fait bien sentir. Il semble approprié de dire que cette période dans la vie d'un personnage se prête très bien à l'interrogation et à l'analyse. C'est une période très importante dans la vie d'un homme parce que c'e.~t une période de décisions, unë 1. BDBIDOUX, Réjean et Renaud, André: Le Roman canadien-francais

du vingtième siècle. (Ottawa, 1966), p.ll5.

2. :CHARBONNEAU, Robert: ".c..Q.q.Jlft.-=i,":?-~_~IlÇ.~ .. g!L12~r..~Jmnag~.~' (Montréal,

(12)

esthétique cherche à tenir compte du contexte canadien-français, car l'oeuvre romanesque doit témoigner de la réalité et de

- - - ,. i il' 1

.L 'nomme Q ' C ' .

Selon Charbonneau, le romancier doit o:mnaitre et observer l'homme afin que cette créature n'ait aucun secret pour lui. Tous les gestes des hommes sont "des actes peureux" c'est-à-dire que les a~ions souvent n'engagent pas l'homme entier.2 Elles sont faites par souci de plaire, par souci de se prouver aux autres, dans l'incompréhension qui souvent est sous-jacente dans l'esprit de la créature. Charbonneau nous dit al or s "qu'il fau dra alors cher cher dans l' enfan ce la source de pureté et de vérité de l'action". On verra en effet que l'auteur attache dans ses romans une importance considérable à l'enfance. Tous ses héros feront exprès de

retourner en arrière pour faire revivre ce monde de l'enfance. Par contre, l'enfance chez les personnages de Charbonneau ne sera pas toujours source de pureté et de vérité. Elle le sera en termes d'amitié entre jeunes garçons, c'est-à-dire que l'enfance ainsi que l'adolescence seules permettront une amitié honnête et véri ta hle.

Chez l'auteur le souci de l'adolescence se fait bien sentir. Il semble approprié de dire que cette période dans la vie d'un personnage se prête très bien à l'interrogation et à l'analyse. C'est une période très importante dans la vie d'un homme parce que c'est une période de décisions, urie

1. ~eBIOOUX, Réjean et Renaud, André: Le Roman canadien-français du vingtième siècle. (Ottawa, 1966), p.ll5.

2. :CHARBON-NEAU , Robert: n.c..Q~.p.p-.:i_::.?_~~Il~~9~ _A~r.~,o.p.na~~.!' (Montréal, 1944), p.12. Bd. Ge l'Arbre.

(13)

1 période où plus tard on se demandera: "Qu'as-tu fait de ta vie?".

Dans ce drame complexe qu'est la vie, l'homme est un 2

individu "qui reconnaît qU'il est unique et commun". Il est différent d'un autre mais semblable peut-être au point de vue éducation, classe sociale, mais le résultat final est diffé-rent, l'assimilation est différente. L'homme conscient de cette différence ne doit pas s'y complaire. Il sent en lui la

nécessité d'être honnête avec lui-même, puis la nécessité de se conformer à la société dont il fait partie. C'est à ce moment que l'homme s'individualise, d'après le choix qu'il fait entre ses convictions et ses actions. Or, il existe souvent un écart entre les exigences d'une société qui dicte un mode d'action, et les convictions personnelles d'un individu vis-à-vis de cette société. Il en résulte un être tourmenté par le choix.

Cette contemplation de soi doit être dirigée vers un absolu. Chez Charbonneau, cet absolu c'est le don de soi, Dieu, la charité. La société qui représente pour lui l'action prend le plus souvent la forme d'action politique. Ce drame humain, bien qu'il revête ces deux aspec'ts chez Charbonneau, existe chez tous les autres romanciers d'une fagon plus ou moins modifiée, c'est-à-dire ayant peut-être des absolus différents.

La matière de ce drame vient de la.vie de liauteur lui-même, mais une vie transposee, recréée, où les

person-1. CHARBONNEAU, Robert. "All~n..~;.._C_:r_éat~.:r!'! (~lontréal, 1961), p.28. Ed. Beauchemin.

2. .ld:.<,., "9_9.J;}.Pa~§-§.(jlJl!;!it_..Q.!l'p~_~§Q~1~ ~ (Montréal, 1944), p .13

(14)

nages vivent librement. Voilà l'instrument essentiel à la création littéraire, la liberté! Ceci veut dire que le récit est, soit à la première ou à la troisième personne, l'auteur n'est que l'instrument. Les personnages doivent décider leur mode de vie. S'ils sont dans l'incertitude, le doute ou l'embarras, l'auteur doit les y laisser, ou leur laisser la liberté d'en sortir eux-mêmes. L'auteur omniscient ne doit donc plus exister.

Quelles sont alors les qualités que l'auteur doit pO,sséder? Il y a selon Charbonneau trois grandes sources auxquelles le roman peut puiser. Il y a l'apport de la

technique. Nous verrons que Charbonneau est l'un des pionniers de la nouvelle technique. Il emploie la régression du temps par le souvenir, c'est-à-dire la transformation du réel par le temps dans la mémoire, ou les rêves pour expliquer et révéler la vie de ses personnages. Ses romans par contre ne manifestent pas un souci inhérent de technique car depuis "Ils posséderont la terre" jusqu' à "Chronique de l'âge amer"

il ne change guère de technique. Il n'avait pas comme les romanciers nouvelle vague le désir de créer son "Incubation". Aujourd'hui la technique du roman est de plus en plus impor-tante. Ceci parce que la recherche d'une technique nouvelle rend les personnages romanesques plus vrais, plus vivants, plus immédiats.

Mais cette nouvelle technique, en créant la nouveauté, n'assure pas nécessairement le succès du roman. Elle ne peut remplacer la substance du roman qui en est souvent absente.

(15)

Le deuxième apport dont le roman tire sa substance, est la personnalité de l'auteur. Le personnage doit vivre indépendamment de la vie de l'auteur. Le personnage doit imposer sa vigueur et son âme. Chaque romancier puise dans sa sensibilité propre et plus la vie de l'auteur est riche "plus les images vi vantes sorties de lui sont denses,

distinctes et généreuses".l Ces êtres créés sont réussis lorsqu'ils transcendent le roman. Ce qui contribue le plus

\

à_leur création ce n'est pas l'analyse ou la dissection, mais' une sorte d'intuition créatrice qui nous révèle peu à peu un geste, une intention. Le tout doit nous toucher et nous devons accueillir cette personnalité créée comme un ami, un être

pour lequel nous éprouvons quelque sentiment. Ce personnage sera l'objet primordial des romans de Charbonneau:

"Il faut voir les êtres sous l'angle de l'action. Un roman se crée non-à partir d'un personnage statique, mais de l'action d'un personnage dynamique. D'agi, il faut que le personnage devienne agissant. Que ses pensées soient motrices. Ce qui est difficile, ce n'est pas de placer des personnages dans le champ de l'action, mais de les retenir, le temps de leur donner une personnalité". (2)

La troisième grande source, c'est selon Charbonneau "un élément de mystère que l'on peut appeler le don, le génie, la puissance

créatrice"~

Mystère qui ne peut s'expliquer, mais que l'auteur doit posséder.

1.

o

aARBONNEAU., Robert: tPJ~.P...!@:M!.~a.nç"e .d~.J~~rJ~9_nl1a&Et1t (Montréal, 1944), p.33, Ed. de l'Arbre.

2. Idem_, "Aspects du Roman"] La Nouvelle Relève, IV, no.9

(fuars 1946), pp.765-760. .

(16)

Ainsi l'objet du roman, je crois, sera de combiner la connaissance de lihomme à l'art de raconter.

dans l'agencement de ces deux réalités que l'on créera la

v~.

Robert Charbonneau a fait un exposé objectif et juste de ce qu'il pense être le centre du roman.Ce~te étude est valable par son originalité et sa profondeur.

(17)

LES ROl'-iANS DES ANNEES 40

Dans ce chapitre nous allons d'abord faire la critique individuelle des trois premiers romans. Puis nous relèverons les traits communs de ces trois premiers romans en soulignant les thèmes communs.

Le premier roman de Charbonneau, "'!ls.po.~sè.çle;r().~~

l,.~jje.r;r.~' parait en 1941 et pose le problème de la destinée de l'homme. Il se divise en deux parties, le prologue, qui est "comme le journal d'un adolescent, et la deuxième partie qui est le roman proprement dit, où "1' homme ne se

1

raconte pas, il fait sa vie". Ses créatures sont chargées d'inquiétude. psychologique et ainsi ce premier roman est une oeuvre typique de chez nous à cette époque. Elle marque aussi le début de la philosophie de Uharbonneau, qu'il

modifiera quelque peu dans ses autres romans mais qu'il n'abandonnera jamais. Cette philosophie n'est pas facile à

déterminer. Elle parle d'un monde flou et instable, de

gens qui cherchent à le définir et qui souvent nous échappe et c'est pourquoi nous ne pouvons pas le définir à la

première lecture. C'est un monde dans lequel il faut se submerger pour le comprendre. Ceci est en fait le but que s'était proposé Charbonneau: "Il tenait pour plus conforIlle

à son projet d'etre relu d'un petit nombre que d'être

2

parcouru par tout le monde".

1. DAGENAIS, Gérard: "Premier roman d'un jeune écrivain", Revue moderne, 23e an., no.9, (janv. 1942), p.ll 2. CHARBONNEAU, Robert: "Aucune çr.é.~tR:r.€l~J' Montréal, Ed.

(18)

Dans son premier roman et comme on verra plus tard dans les autres, les évinements romanesques - ou l'étoffe du roman - sont réduits à de simples faits desquels il fait ressortir la révélation d'un caractère. Le récit tourne autour de deux personnages, André Laroudan et Edward Wilding. Ces personnages, il les situe dans la ville de Fontile. C'est un endroit imaginaire qui a peu d'importance pour l'auteur car le monde physique lui est secondaire. Fontile est typique des petites villes, elle est limitée dans ses apports et c'est ceci qu'on sentira

plus que les details physiques.

André est le personnage principal. Il s'analyse au moye n de souven irs parce qu'il se vo i t au seuil de la maturité. Il fait revivre sa jeunesse et son adolescence pour comprendre et évaluer ce qu'il est maintenant. Son analyse est riche parce qu'elle est à la fois subjective,

. .

-relative et basée sur d'autres personnages qui ont peuplé sa vie. Sa jeunesse a été tiraillée entre deux présences, Fernand et Jérôme. Fernand qui a accompli le sacrif~ce ultime du don de soi, et qui représente alors une

connais-sance profonde de soi, oublieuse de soi et tournée vers un absolu, la charité, l'amour. Jérôme représente l'ambition, mais centrée autour du moi, et comme André, il aime se montrer supérieur aux autres. Plus tard ce sera Dorothée et Ly qui jouerunt ëëS rÔlës, pUisqu'après 17adolescence,

(19)

fille qui fait r~ssortir le meilleur qui se trouve chez les autres. Comme Fernand elle représente les valeurs

du don de soi, de charité, d'amour créateur et désincarné. Ly, au nom énigmatique, représente l'attachement aux

choses terrestr~d, l'ambition, l'égoisme et ainsi elle est comparable à Jérôme au point de vue personnalité. Avec la progression du roman, nous voyons André se

complaire dans son orgueil. Tantôt avec ses connaissances livresques, son savoir, plus tard par la richesse qu'il veut acquérir. Ce prologue est un bilan que fait André

des événements qui ont peuplé sa jeunesse et son adolescence. L'auteur mêle les regards de ce personnage vers le passé

ainsi que des faits et notations du présent, le tout ayant toujours l'avenir en perspective.

Edward est un peu comme André mais aussi très

différent de lui. Comme André, il se complaît dans l'analyse de son moi. Il cherche lui aussi à changer le monde dans

lequel il vit, mais non pas comme le fait André par l'action, mais par la destruction. En épousant Ly il détruit toutes

les valeurs représentées par sa mère, la religion et la peur du péché.

Selon Renaud et Robidoux le succès du roman est assuré, dû au fait que Charbonneau s'adresse -à;.: nous dans un langage psychologique. Il fait preuve de distanciation et de dislocation. La distanciation désigne "le recul du

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fille qui fait r~ssortir le meilleur qui se trouve chez les autres. Cûmme Fernand elle représente les valeurs

du don de soi, de charité, d'amour créateur et désincarné. Ly, au nom énigmatique, représente l'attachement aux

choses terrestres, l'ambition, l'égoisme et ainsi elle est comparable à Jérôme au point de vue personnalité. Avec la progression du roman, nous voyons André se

complaire dans son orgueil. Tantôt avec ses connaissances livresques, son savoir, plus tard par la richesse qu'il veut acquérir. Ce prologue est un bilan que fait André

des événements qui ont peuplé sa jeunesse et son adolescence. L'auteur mêle les regards de ce personnage vers le passé

ainsi que des faits et notations du présent, le tout ayant toujours l'avenir en perspective.

Edward est un peu comme André mais aussi très

différent de lui. Comme André, il se complaît dans l'analyse de son moi. Il cherche lui aussi à changer le monde dans

lequel il vit, mais non pas comme le fait André par l'action, mais par la destruction. En épousant Ly il détruit toutes les valeurs représentées par sa mère, la religion et la peur du péché.

Selon Renaud et Robidoux le succès du roman est assuré, dû au fait que Charbonneau s'adresse

à:

nous dans un langage psychologique. Il fait preuve de distanciation et de dislocation. La distanciation désigne "le recul du

(21)

personnage vis-à-vis de son existence passée", ainsi que de nécessité à cette première entité "le dégagement du

l romancier par rapport à l'expérience que vit le personnage". Ainsi la technique qui assure la liberté aux personnages

doit exister. Le romancier connait le sort de ses personnages mais le lecteur doit le découvrir lui-même, l'auteur ne

doit jamais nous le révéler. L'autre phénomène dont parle ces critiques, c'est celui de la dislocation, c'est-à-dire "l'immobilisation provisoire et spontanée du présent en marche vers l'avenir, au profit de retours soudains en

.. 2

arriere" • Cette technique peut bien nous livrer tous les mouvements de l'âme et ainsi est plus propice au roman d'analyse. Par contre si Charbonneau fait preuve de ces techniques dans le Prolo~e et dans le premier chapitre, il les oublie bien vite pour pratiquer son rôle de

psycholo~e, de juge, en s'interposant entre les raisonne-ments de ses personnages et leurs actes. Génier apparaît au lecteur comme un personnage intéressant qui n'a pas la

chance de se révéler lui-même, on sait tout de lui ~près

que Charbonneau en fai t une description humoristique mais trop révélatrice.

C'est l'idée de l'amitié, de l'amour, qui prédomine, mais un amour mal sain ou faux parce qu'il est sans le don

ï . l1.~e'J·ean ~v"".D~.L"'lJ~V"'TUTA'V ~ AI. nU"' . . ;:' 'D1?""A TrT\. T - '0 _____ ... ,,-.,.~~ ... _-P ... Y \ r . . . or ...

.. .... g" &A,.,... .l\r.Dl'CAUU. ~g ~IItUIllQ,U ""Q..u.Q.u. ... ~-~.L~"'"""~g

du vingtième siècle, (Ottawa, Ed. de l'Univ. d'Ottawa) 1966, pp. 118-119.

(22)

de soi. Charbonneau a peint des êtres qui souffrent puisqu'ils sont incapables de réaliser le but de leur création, de leur formation religieuse, de 1.eurs rêves d'enfante.

Ce sont des personnages tourmentés qu'il peint

et ainsi la fin du roman ne répond à aucune solution, mais doit seulement servir à montrer aux lecteurs qu'il existe chez d'autres cette angoisse de l'amour.

"fqnti.l~;~ le secon.d roman de Charbonneau, parait en 1945 et reprend les mêmes thèmes, fait revivre le même endroit que dans son premier roman.

La ville de Fontile dont il fait la description avant même de nous présenter les personnages, n'a pas

la même primauté qu'a Macklin dans "Poussière sur la ville". Elle est typique de la petite ville rurale, avec "ses idées

1 primitives sur la démocratie et le despotisme du clergé". Une ville engagée dans la politique de village, une politique remplie de crainte et de favoritisme.

"Fontile pourrait être n'importe quelle 'ville moderne, un milieu matérialiste ·~ans lequel se montrent

~"

la cupidité et l'ambition politique, déréglée des

2

hommes" 0

1. CHARBONNEAU, Robert: "r:o.~t...i~~V (Montréal, Ed. de l'Arbre), 1945, p.14

2. ELLIS, Madeleine: Robert Charbonneau et la création

romanesque. (Montréal et Ottawa, Ed. du Lévrier), 1948, p.40

(23)

Il n'y a que deux classes sociales, les riches et les pauvres, ces derniers se nourrissant de la faiblesse des pauvres et de l'inégalité de leur situation. Lë sOrt de notre héros, Julien, est lié à cette ville de Fontile • Julien dit:

.

. ,

"Mes sentiments à l'égard de Fontile sont complexes. Ces aspects de ma ville natale, cette succession de visages familiers, de souvenirs liés à des

maisons, à des bouts de rues, d'images enregistrées au cours de mon enfance et de mon adolescence sont inscri ts au fond de mon coeur". (1)

Le roman se présente comme le monologue du personnage narrateur, Julien Pollender. Les gens et la ville de Fontile

sont conçus et rappelés par la subjectivité de Julien.

L'auteur mêle les souvenirs, les mémoires, les associations de choses, d'objets, à des sentiments ou à des idées,

ainsi le récit qui avance tranquillement tient compte du passé en essayant d'éclaircir l'avenir. Julien, comme André et Edward, est tiraillé entre la contemplation de soi et l'action. Mais je trouve Julien plus dense que les deux héros d' "Ils possèderont la terre". Dans ce dernier roman il m'a semblé accéder à la révélation de caractères ou à l'analyse de personnages par des issues qui m'ont paru forcées et qui ne découlaient pas normalement. Elles

semblaient être imposées aux personnages. Tandis que dans "Fontile", l'histoire provient d'une petite ville dont la personnalité dépend de la Îallûlle

Pollender-1. CHARBONNEAU, Robert:"'f.onti"l~t! p.13

_.L. T ... '':"",_ I:::lJ U IA.L.l.W.U

(24)

appartenant à cette famille est incapable de se défaire des toiles qu'ils ont tissées. Ainsi intimement lié au sort de cette ville, il appartient à la

son grand-père; il dit:

...

maille race que

"Il.me fallait être affectueux tout en entretenant l'amitié que je ressentais pour mes camarades dans une inégalité flatteuse pour moi". (1)

Son sort lui sera presque inévitable à cause des personnages qui oomposent "Fontile". Julien arrive à l'âge adulte

avec une volonté paralysée. Il a le souci de s'engager, d'agir, mais il est encore pris par son "moi". Il recherche dans sa jeunesse les valeurs qu'il·a manquées pour expliquer son incapacité. Enfant chétif, isolé des autres, son enfance est caractérisée par l'angoisse et l'inquiétude et entourée d'une famille où l'affection n'est pas présente. L'adoles-cence est un âge moins angoissé que l'amitié vient calmer. Cette amitié qu'il ressent pour ,~,Georges vient du fait qu'ils se complaisent tous l~~deux dans un monde livresque. Et pour quelque temps l'écriture viendra apaiser ce souci d'agir et de se donner. Mais il est horriblement déçu car il est incapable de projeter autre chose que son propre moi, inaqcessible.. et surtout incompréhensible aux autres:

"L'habitude de synthétiser, de condenser, de symboliser mes impressions et mes sentiments, de les transformer en exercice de style,

paralysait tous mes élans. Je ne savais pas me démager d'une image du monde et de moi-même

que je recomposais sans cesse". (2)

1. CHARBONNEAU, R. "Eont;i.~~I'~ p.25 2. Id;..,. lbid. , p.45

(25)

Il s'agite plus qu'il n'agit et ses amis-de-c~rlège reconnaissent en lui le petit provincial qu'il était.

Enfin ne trouvant dans la création littéraire qu'w~

apaisement passager, il se lance dans l'action politique. Incapable de se donner complètement, il croit que cette forme de débordement offrira une solution à ses problèmes.

L'amitié qui existe entre jeunes hommes doit toujours le mettre en valeur, elle doit le favoriser. Ainsi on peut dire que l'amitié de Julien n'est jamais

caractérisée par le don de soi. Ceci peut expliquer son manque d'amis à son niveau social, intellectuel et spiri-tuel. Mais cela explique l'affinité qu'il ressent pour les pauvres qui le recherchent et l'aiment.

Ce qui doit.enfin le délivrer de son angoisse .~) .,

.

c'est l'amour de la femme qui va jusqu'au -don complet

d'elle-même, jusqu'au sacrifice suprême de sa vie. Armande est la femme idéalisée même au point d'être inhumaine. Par son acceptation de la mort, elle a fait réaliser à

Julien qu'il existait une réalité en dehors de lui-même. Par contre, cette guérison nous laisse un peu suspects, Julien a donné de son temps mais avec plusieurs arrière-pensées et pas seulement par amour. C'est seulement après avoir été rempli de succès politique et social qU'il a

pensé à la femme qui l'a aimé. Le succès littéraire ne le touche pas parce qu'il appartient à la vie spirituelle et

(26)

Armande qui était le symbole de cette vie vient de mourir. On ne peut vraiment pas(;dire ce qui adviendra de Julien, mais il devrait en être ainsi, parce que l'homme se découvre

--' ..

toujours différent aujourd'hui de ce qu'il était hier. La vie est une période de découverte personnelle. Ce qui adviendra de Julien, on ne peut que l'imaginer.

Les autres personnages du roman ne sont que des réfractions du mode de penser de Julien ou de ses besoins. Leur description est trop explicite et ils représentent des entités plus que des personnages. Comme le note

M. Garneau, nous voyons que

"L'art qm'il (Charbonneau) met à circonscrire son héros Pollender par des· prises de plus en plus resserrées jusqu'au moment où il l'étreint dans son angoisse de raté pour le placer sur les deux plans de l'amour et de l'action où il retrouvera son équilibre en même temps qu'il découvrira le sens qu'il cherchait

@

sa vie, est un beau travail psychologique". (1)

Quelques années plus tard appar~it le troisième roman de ·Charbonneau, "Les Désirs et les Jours" en 1948, et qui met fin à une sorte de trilogie romanesque.

Selon le titre, le roman pourrait se diviser en deux parties, les désirs qui sont les souvenirs d'enfance

et de jeunesse,et qui se rapproche des deux premiers romans par le procédé d'écriture; et les jours qui serait le roman

de la pre!!U.ere

.

..

part1.9

.

par son intrigue plus dense, par un tempo accéléré des événements, par un intérêt plus marqué pour la politique. 1. GARNEAU

Ô

René: "Fontile", Le Canada, XLIII, no.2ll, (1 décembre 1945), p.5

(27)

Ainsi cette deuxième partie crée un lien entre l'analyse psychologique poussée de "Ils posséderont la terreH et

"Fonti1e" et le souci de raconter que l'on trouve dans "Les jours", et que l'on retrouvera dans "Aucune Créature" et "Chronique de l'âge amer".

De nouveau c'est le roman de l'amitié, l'amitié de l'adolescent qui est presque invincible, indestructible.

Nous avons presque deux romans dans nos héros Auguste Prieur et Pierre Massenac. Ils nous font part d'abord de leurs souvenirs d'enfance et d'adolescence. Ils sont très différents et très semblables. Ils seront unis l'un à l'autre par l'amitié de l'adolescent, puis désunis

à

la maturité pour être de nouveau réunis

à

la fin du roman.

Auguste Prieur appartient à la bourgeoisie; c'est un enfant frêle et sensible, replié sur lui-même et dont l'enfance est angoissée par la domination du père. Pendant son adolescence il fait la connàissance de Pierre Massénac, dont il admire la bravoure et le courage. Ils se lieront d'amitié, mais Auguste se sentira toujours supérieur à Pierre dans tous les domaines. Ceci nous fait penser à Julien qui avait lui aussi le souci de dominer. Julien l'avait hérité de son grand-père et Auguste de son père. Auguste, comme son père, "ne sent pas les choses, il ne

l

peut que les comprendre" • Mais selon Pierre qui est un

...

1. CHARBONNEAU, Robert: "Les Désirs et les Jours", Ed. de l'Arbre, (Montréal 1948), p.36

(28)

' \

-'e

passionné, "il n'a pas de coeur, c'est le reproche que les gens sensibles font à ceux qui ont l'intelligence

,

vive".-Ce souci de dominer se révèle aussi dans

l'im-portance qu'il attache à l'éducation, mais elle ne réussit pas à lui faire engendrer sa classe sociale, il demeure le provincial qu'il est. Même son mariage avec Marguerite

,

peùt être considéré comme conventionnel, puisqu'il sert son ambi~icn. Sa femme est complètement absente de sa vie socia.le et politique. L'ambition est la règle de sa vie.

Pierre Massénac est un personnage plus vibrant et plus complexe qu'Auguste. Peut-être parce que Pierre est plus mauvais, plus malheureux qu'Auguste et surtout parce qu'il est moins intellectualisé que ce dernier. En fait, il est un personnage plus intéressant. C'est un

passionné qui, ayant eu peur, peut tuer une chauve-souris, qui aya~t ha!, peut laisser mourir sa mère sans remords, qui ayant satisfait ses appétits, peut abandonner. Il défie toutes les institutions établies; pour lui un acte illégal n'est pas nécessairement immoral, il ne croit pas en Dieu. : C'est un jeune homme qtti- plaît aux femmes parce qu'il y a en lui '''quelque chose d'inhumain, de bête sauvage qu'elles vont essayer de dompter. La femme va jouer un rôle important dans la vie de Pierre, car il a la notion que c'est par la femme qu'on entre dans le plein de la vie.

(29)

Du moins, c'est par Louise qU'il regagnera l'amitié d'Auguste.

Il est,

"celui qui, en définitiveJ triomphe silencieusement dans une société soumise a l'anti-valeur du

prestige que confèrent le succès professionnel, la fortune et la puissance politique". (1)

Deux autres personnages méritent notre attention, ce sont Bernard Massénac qui a façonné Auguste et qui

peut le détruire, et Cyrille Lecerf qui essaie de détruire ce dernier. Bernard, le père adoptif de Pierre, est un homme vulgaire, sans éducatiûn, mais aimé du peuple

et qui possède alors au point de vue poli.tique une grande influence. "V~ssénac est un grossier personnage, mais

2

nous ne pouvons nous passer de lui". C'est un personnage médiocre dans ses actions, dans ses ambitions. Par lui on voit ce que la politique ~ de faux, d'injuste et de crasseux. Il subit une fin atroce aux mains du demi-fou Lancinet qui était venu le tuer.

Cyrille Lecerf est lui aussi un personnage médiocre dont la description qu'en fait Charbonneau est accompagnée d'un mauvais présage. Il était consumé par l'ambition. Il était de petite taille, mais rêvait à quelque chose qui le puisse mettre dans une position élevée. L'idée de l'Eglise qui tient les rênes politiques lui est

associée; on le décrit même en disant: "Il a le fanatisme 1. FALARDEAU, Jean-Charles. "Notre société et son roman".

Ed. HlfJl, (Montréal 1967), p.161.

(30)

Du moins, c'est par Louise qU'il regagnera l'amitié d'Auguste.

Il est,

"celui qui, en définitiveJ triomphe silencieusement dans une société soumdse a l'anti-valeur du

prestige que confèrent le succès professionnel, la fortune et la puissance politique". (1)

Deux autres personnages méritent notre attention, ce sont Bernard Massénac qui a façonné Auguste et ~i peut le détruire, et Cyrille Lecerf qui essaie de détruire ce dernier. Bernard, le père adoptif de Pierre, est un homme vulgaire, sans éducation, mais aimé du peuple

et qui possède alors au point de vue politique une grande influence. "Massénac est un grossier personnage, mais

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nous ne pouvons nous passer de lui". C'est un personnage médiocre dans ses actions, dans ses ambitions. Par lui

on voit ce que la politique a de faux, d'injuste et de crasseux. Il subit une fin atroce aux mains du demi-fou Lancinet qui était venu le tuer.

Cyrille Lecerf est lui aussi un personnage médiocre dont la description qu'en fait Charbonneau est accompagnée d'un mauvais présage. Il était consumé par l'ambition.-Il était de petite taille, mais rêvait à quelque chose qui le puisse mettre dans une position élevée. L'idée de l'Eglise qui tient les rênes politiqués lui est

associée; on le décrit même en disant: "Il a le fanatisme 1. FALARDEAU, Jean-Charles. "Notre société et son roman".

Ed. RMB, (Montréal 1967), p.161.

(31)

1 d'un croisé, égaré dans le monde moderne". La femme demeure représentative de certaines valeurs. Marguerite, la plus belle femme de Deuville, se trouve loin des projets qui touchent à l'existence de son mari. Lucienne, tendre, aimante, ne peut retenir l'homme qu'elle aime. Louise, c'est une amie. Il faut admettre que la femme joue un rôle plutôt secondaire et que sa féminité n'apporte aucun changement

à

la vie de ces hommes.

Outre le thème d'adolescence et le souci de

l'analyse et du don de soi, il y a dans ce roman d'autres thèmes qui méritent d'être soulignés. Nous avons vu

qu'au point de vue anecdotique ce roman se complaît dans l'action politique. Lorsque se termine "Fontile", Julien devient député. Lorsque "Les jours"commencent, nous avons le début de la vie politique d'Auguste.

De plus il .y a un accent très fort sur le thème de l'isolement, de la solitude. Ce thème s'applique

à

plusieurs niveaux. D'abord il se fait sentir au niveau québécois. Ici on parle de l'isolement intellectuel dans lequel se trouve le Québécois. A ce problème, il y a deux solutions, l'action ou l'inaction. L'action

c'est de s'allier aux Anglais, et l'inaction c'est se

(32)

construire une tour d'ivoire pour essayer de recréer

l~~',atmosphère d'une Europe intellectuelle et stimulante

et de rêver qu'un jour on ira s'établir à Paris. Charbonneau reprendra ceci dans ses deux prochains romans.

La solitude de l'individu se fait sentir chez plusieurs personnages. Pour Lucienne, elle éprouvera la solitude dans l'amour et dans le malheur. Pour

Marguerite, elle connaitra la solitude dans la douleur (lors de son accouchement). Eugénie Massénac éprouvera la solitude dans la mort. Pierre Massénac après son acquisition du journal, connaîtra la solitude dans le succès. "Dans la douleur, comme dans l'amour, ou la mort,

1

nous sommes seuls, irrémédiablement". Ainsi l'homme est en fait un être solitaire, dépendant des autres pour son développement, mais sevré d'eux quant à sa personnalité et son caractère autonome. C'est pourquoi il est si important de leur laisser la liberté. Enfin l'oeuvre de Charbonneau a de la valeur dans son intention puisqu'elle a pour effet de libérer l'homme de lui-même. Mais par contre, cette liberté n'est pas donnée à l'homme;

ce dernier doit la conquérir par lui-même. Il doit la

conquérir en s'affranchissant, en surmontant des obstacles, en transcendant les idéaux de sa classe sociale.

1. CHARBONNEAU, Robert: "Les Désirs et les Jours", p.12l

(33)

Ces personnages de Charbonneau sont pour la plupart des êtres médiocres et moyens, qui n'ont pu

,

au moyen de leur liberté se soulever plus haut sur l'échelon humain. Peut-être, est-ce une image réaliste de la capacité humaine mais dont, pour le lecteur

optimiste, la lecture et l'intérêt qU'il porte aux personnages deviennent de plus en plus pessimistes et déprimants.

Un autre thème qu'il nous présente et qu'on retrou-vera dans "Aucune Créature", c'est le thème du

recommen-cement. Les étapes d'une vie que nous avons su surmonter n'offrent aucun apaisement pour Pierre pUisqu'une autre époque offre les mêmes obstacles. Pour Georges Hautecroix le recommencement sera chance de renouvellement identifiée ··à la jeunesse. Dans "Ils possèderont la terre", Ly et

Edward partent pour l'ouest vers un recommencement. ~~is ce recommencement semble n'avoir rien de prometteur. Ce sont deux personnages médiocres et insatisfaits qui, même s'ils recommen~aient leur vie, ne sauraient se trouver mieux qU'ils ne l'ont jamais été.

Ce qui a triomphé à la fin c'est l'amitié et la sincérité. Cette amitié n'a pas dans ce dernier roman le caractère abstrait des premiers.

(34)

la terre", le jeu des destinées humaines se menait dans le cadre individuel. Dans "Fontile" il s'élargissait jusqu'à la vie communautaire d'une petite ville. Dans "Les Désirs et les JoursH c'est le drame de l'égoisme politique de l'homme moderne qui ne connait plus que la morale utili-taire en fonction du-parti politique". (1)

Ainsi dans ce livre Robert Charbonneau s'est

montré sensible aux travers de notre société, permettant à ses personnages de vivre, d'agir, de circuler dans

un milieu que nous reconnaissons comme réalité canadienne.

Dans le monde de Charbonneau, qu'il a créé une fois et qu'il ne recrée pas de toutes pièces dans ses autres romans, nous reconnaissons certaines entités dont il faut déterminer l'importance.

Nous avons vu dans ces trois romans le conflit intérieur de personnages égoistes qui cherchent la gloire de la perfection ou la domination. Dans ses deux premiers romans cette quête est plus négative; elle prend la forme de la crainte du don de soi et la délivrance de l'égoisme; dans le troisième roman on dirige ce souci vers une

entité plus pOSitive, l'ambition, le goût de l'action. Mais ces personnages n'ont aucune grandeur et ne sont

aucunement héroiques. Dans leur lutte, dans leur quête pour eux-mêmes, ils deviennent trop schématiques et

souvent réduits à des idées ou à un système philo~phique

arbitraire. Ils n'ont aucune densité.

1. LEGARE, Romain: "Les Désirs et les jours", Culture, IX (septembre 1948), p.345

(35)

Charbonneau a choisi pour ses personnages troublés une époque de la vie qui leur convient justement. La

période de l'adolescence qui questionne, qui doute, qui choisit, qui a peur d'agir ou de s'engager. Cette période semble apporter le plus grand soulagement aux personnages. L'enfance avait été pour les personnages de Charbonneau une expérience traumatisante "remplie de sauvagerie et

1

de manque d'affection". C'était une période où l'enfant se sentait souvent abandonné tel le sort qui a ·affligé Pierre Massénac et celui qui se dessine pour son fils. C'était une période où l'enfant soucieux, inquiet de ce qui se passait, trouvait refuge dans la jupe des femmes. Mais l'adolescence venait calmer les angoisses de

l'enfance. L'adolescence, c'est l'âge de la pureté et de la grandeur des sentiments, de l'amitié. L'amitié qui permet en fait aux adolescents de transcender ce monde,

de le dépasser en se créant une existence au-delà de la vie réelle. Tout prenait des proportions plus graves lorsqu'arrive l'âge adulte. C'est le temps où l'on remet tout son passé en question, où on se demande qui l'on est et ce que l'on veut. Cette période qui précède l'âge

adulte ne semble jamais trouver de solutions. L'âge adulte proprement dit semble être absent de la vie des personnages. Ils n'y accèdent pas. Ils franchissent l'âge de

l'ado-lescence pour entreprend~è une perpétuelle adolescence d'esprit. Les personnages ne mûrissent pas car Charbonneau 1. CHARBONNEAU, Robert: "Ils posséderont la terre", Ed. de

(36)

leur prête les mêmes pensées, les mêmes actions qu'à l'adolescent. Nous verrûns aussi que même Georges Hautecroix ne s'affranchira pas de ce déséquilibre.

Ces mêmes personnages qui reviennent dans ces romans favorisent une sorte d'unité d'atmosphère,mais par contre créent aussi un déterminisme des personnages duquel nous ne pouvons être inconscients.

La famille de ces héros tourmentés revêt certaines qualités communes. La structure familiale est souvent incomplète. Le père, la mère sont souvent absents, ce qui explique peut-être l'enfance tourmentée. La domina-tion de l'élément masculin se fait sentir dans les deux derniers romans. Le grand-père de Julien Pollender a un besoin presque maladif de se mesurer à plus rusé que lui,

1

il est "le chef de la tribu". Monsieur Prieur occupe une place si importante qu'il semble jouir d'une sorte

d'infaillibilité dans sa famille. Par contre dans le premier roman la domination masculine est absente.

La mère est le plus souvent sèche et autorttaire,~' Dans "Ils possèderont la terre" c'est elle qui représente l'élément de domination. Elles sont souvent insensibles, froides et n'engendrent aucune relation entre mère et

enfants. Pour Edward Wilding, le défi de sa mère deviendra le but de sa vie.

(37)

La femme ou la jeune fille qui peuple la vi e de nos jeunes héros peut se situer à l'un ou l'autre de deux pôles. Elle représente les attractions terrestres, l'égoisme, la sensualité ou le mal, ou elle est le don de soi, la charité ou le bien. Dans les deux cas, sa vie, son influence, a peu de prise sur les héros. Je crois qu'elle est simplement une suite nécessaire à l'amitié c'est-à-dire que l'amour est entraîné par la maturité.

Cette famille sa trouve circonscrite dans une petite ville, que ce soit Fontile ou Deuville, elle revêt les mêmes caractéristiques. Ainsi le héros appar-tenant à la petite ville revêt les caractéristiques du petit provincial. Il ne peut ~ten échapper, même il ne le désire vraiment pas. Il est intimement lié au sort de la ville et c'est là qu'il doit faire sa vie. Il y a la politique de petite ville, deux classes sociales,

la domination et la lutte de familles, l'éducation et l'Eglise.

Ce qui nous lie dans cette ville au reste du monde, c'est la rivière. Il est intéressant de noter l'importance que Charbonneau attache à la rivière de Fontile. Elle est source de bonheur et de liberté, un

(38)

présage qu'un jour il sera un grand homme.

La maison familiale est généralement énorme et impressionnante. C'est l'endroit où souvent on retourne pour évoquer des souvenirs de jeunesse. Dans son

immensité elle offre des endroits inoccupés pour rêver, songer et écrire. Il est assez intéressant de noter que dans ces familles il n'y a qu'une fois mention de frères ou soeurs. Ces héros dont nous parlons semblent être tous

,

des fils uniques. Ce fait n'a que peu di importance , puisque chacun des membres de la famille mène une vie complètement indépendante de celle des autres.

Le feu apparaît dans ces ro~ns comme élément purificateur, destructeur du bien ainsi que du mal. Le feu qui détruit Fernand est un sacrifice de purifi-cation au profit d'André. Le feu qui détruit Bernard Massénac est la destruction du mal.

Ces romans construits dans un style dépouillé d'artifices inutiles nous font voir une tranche de notre société. Ce qui est plus important, ils nous font

découvrir le problème de l'homme moderne aux prises avec un désir de spiritualité et de dépassement intense et une société matérialiste prise dans l'action souvent malhonnête, injuste et surtout insatisfaisante. Même dans l'action

(39)

les personnages de Charbonneau ne semblent pas être engagés, ils se débattent comme un papillon pris dans un piège. Ils agissent sans conviction, atant seulement le souci de faire quelque chose. Or, ces personnages demeurent statiques, médiocres, veules. Ceci explique peut-être le manque d'intérêt que nous leur prêtons. Ils deviennent presque des automates mus par un

déterminisme dont nous sommes conscients dès le début du roman. Mais nous pouvons voir jusqu'à un certain point que ce que nous ressentons un sentiment d'insatis-faction, est peut-être le but même de Charbonneau.

C'est l'insatisfaction de l'état de Canadien

f~an~ais. Celui qui se sent isolé et qui ne trouve satis-faction dans aucune des issuas de notre société. Il est un être limité dans le choix de sa profession, de la stimulation intellectuelle, des apports culturels de sa soci-été. y a-t-il une solution? Peut-être, mais pas dans le roman de Charbonneau, puisque ces âmes in~ertaines

qui vivent dans ce monde psychologique flou n'ont que le temps qui ,leur est certain.

R. Charbonneau nous le dit lui-même dans un article qu'il a écrit dans la Nouvelle Relève en 1941:

L'art n'a que faire de ce aui est transitoireo Tout ce dont le romancier Peut être sûr, quand,'

(40)

n'a rien a voir avec l'influence qu'il peut exercer par accident sur les événements.

(1)

CHARBONNEAU, Robert: "Aspects du roman", La Nouvelle Relève',

V,

no.2 (j~fn

1946), p.l69

(41)

SES ROMANS CONTEMPORAINS

Après un silence de plus de dix ans, Charbonneau fait paraître son quatrième roman "Aucune Créature" en 1961.

"Aucune Créature" bien qU'il soit différent des autres romans de Charbonneau, demeure de veine psycholo-gique. Il expose les états d'âme de Georges Hautecroix,

.

homme d'un certain âge. Cet homme s' exam:J.ne à un moment crucial de sa vie. Il vieillit, alors il veut poursuivre ses rêves de jeunesse en se persuadant (ainsi que les autres) qu'il possède encore de la force, du pouvoir et de la vigueur.

C'est une oeuvre dense qui se déroule sur plusieurs plans, celui de l'amour et de l'amitié, celui de la

famille, celui de l'écrivain et celui de l'action politique. Ainsi cette oeuvre réunit tous les fragments des trois

premiers romans pour les amalgamer en un tout qui

constitue peut-être le meilleur roman de Robert Charbonneau. Ce roman a été écrit en 1961. L'époque dans

laquelle le roman s'écoule n'est pas définie explicite-ment; il s'agit certes des années assez récentes où il

(42)

on peut supposer qU'il stagit des années 50 à 60; or à cette époque, Georges a quarant~èr.q ans. Ainsi il

serait né entre 1910-1920 et ainsi aurait été un contem-porain de Julien, d'Auguste et d'André Laroudan.

Le roman lui-même se divise en trois parties. On n'a aucune idée du temps qui s'écoule dans cette première partie mais 'on peut estimer qu'il s'agit d'une période d'environ deux jours ou même d'un seul. Le temps tel

qu'on le conçoit (successions d'événements chronologiques) n'existe pas dans cette première partie. L'auteur mêle le présent et le passé, il incorpore dans une pensée plusieurs souvenirs. Par contre dans les deux autres parties du roman, l'action intérieure ralentit parce que l'intérêt progresse presque sans interruption vers le point culminant du roman, vers sa conclusion. Il y a alors moins de souvenirs, moins de retours vers le passé.

De nouveau le personnage masculin, l'homme domine. Nous faisons la connaissance de Georges Hautecroix qui semble être arrivé à un point crucial de sa vie. En fait le roman est presque un examen de conscience de Georges Haute croix , il se demande ce qu'il a fait de sa vie parce qU'il considère que sa vie jusqu'à maintenant semble ratées Il se voit devant un vide où il doit tout repeser, tout reconsidérer. La jeunesse le tente

(43)

pUisqu'elle est libre, gaie et remplie d'idéalisme politique. Ainsi la jeunesse et le thème du recommence-ment à tous les niveaux seront les éléments psychologiques dont se servira l'auteur.

Lucien qui incite cet examen de conscience, représente l~ don de soi tel qu'on le retrouve dans le titre et dans la prière, "je vous donne mon coeur afin que jamais aucune créature ne le puisse posséder". Ce don de soi dans tous les domaines ·de la vie c'est ce que Georges n'a pas réussi à accomplir. Il faut, lui dit Lucien, "dépasser les apparences et la technique et •••

1 accéder à la vie".

L'écrivain est comme l'homme lui-même. Tous les deux,ils se reflètent. Ses écrits ne sont que des

observations superposées, qui ne correspondent pas à la réalité intérieure de l'écrivain. Charbonneau en parlant de Georges ·(l'homme) nous dit:

"Ce qu'il voyait

f c'étaient des souvenirs de

son visage". (2)

Georges Hautecroix voit son fils qui s'engage sur le chemin de la vie, enflammé de l'idéal de la

jeunesse, ce que le père a perdu. Cet idéal de la

1. CHARBONNEAU, Robert: "Aucune Créature", Ed. Beauchemin, (Montréal 1961), pe19

(44)

jeunesse se retrouve dans l'action politique. Mais Georges Hautecroix a abandonné cet idéal, en écrivant il n'a jamais dû se compromettre. Or, peut-être

Charbonneau méprise-t-il l'action d'écrivain parce que c'est un terrain confortable et ambigu et prône-t-il l'action politique qui est caractéristique de cette époque et de notre société.

Cette jeunesse offre outre la chance de l'enga-gement, le d~oit à une amitié d'une très grande valeur.

-L'amitié entre jeunes hommes semble jouir d'un"'prestige absolu (ce que nous avons noté' dans les roman s précédents garde ici une importance c'onsidérable) mais c'est plus que cela. Elle fait réaliser à l'homme mûr que sa jeunesse est passée et a entraîné avec elle "ce désir frénétique

• : <\1.

d'embrasser l'univers de la penséë" et même la possibilité 1 d'entretenir une amitié qui semble réservée

à

la jeunesse. Georges arrive à la conclusion qu'il faudra changer

-s'identifier aux jeunes. Malheureusement, l'enmagement et le changement ne demeureront que superficiels et

l'auteur en sortira plus riche en expériences mais sans en avoir été transformé ou touché; comme par exemple dans sa vie de journaliste où il vivait dans la densité de l'existence sans en être affecté.

M. Hautecroix le père, est celui qui sert d'exemple à cette notion de changement. C'est lui qui peut changer 1. CHARBONNEAU, Robert: "Aucune Créature", p.20

(45)

et s'adapter à ce nouveau mode de vie. Il a trouvé de nouveau la vie en épousant sa seconde femme. Sa

première femme étant timorée inspirait la peur de vivre, mais il a changé, il s'est transformé, il a été ouvert

à la vie, il a aimé.

L'autre plan sur lequel se déroule le roman, c'est le plan de l'amour. Avec l'amour on a aussi le rôle de la femme. Je crois que ce roman est mieux réussi que les autres sur ce plan parce que la notion d'amour ne se rapporte pas seulement à un changement de vie,

c'est-à-dire non pas cette association qui se fait naturellement avec l'âge mûr (adolescence

=

amitié,

,

âge mûr

=

amour), mais l'amour dans ce roma.n se lie

,

intimement au thème du recommencement qui semble ébranler toute la vie de Georges Hautecroix.

Or la femme dans ce roman jouit de plus grands privilèges. Elle est dans la personne de Jeanne, la mère dorloteuse, protectrice, inconsciente de ce qui se passe chez l'homme qu'elle aime. Son mari va paître dans d'autres champs, mais elle n'essaie pas de ramener l'infidèle dans le droit chemin. Cette même notion s'applique à Béatrice Carrel qui a étudié la vie, et qui vit à l'écart, enfouie dans sa jeunesse. La mère de Georges était aussi de ce type de femme protectrice qui voile les atrocités de la vie à ses enfants.

(46)

Or le thème du recommencement se manifeste dans la personne de Sylvie, et c'est l'histoire d'amour. C'est aussi le plus près que l'auteur saura s'approcher d'un véritable engagement. En aimant une jeune femme, il sera rajeuni dans son corps et dans son imagination. Sylvie représente aussi la vie de l'action, c'est-à-dire le compromis de l'action politique.

Lorsqu'on analyse l'amour que l'auteur éprouve pour cette femme on voit que'c'est presque l'amour d'un adolescent. C'est celui de la passion incontrôlable qui empêche l~ fonctionnement de la raison. L'émancipation sexuelle de la femme de cette génération, dissipe l'idée de procréation de l'acte d'amour, or cet acte devient seulement Q~ objet de plaisir délivré de tout souci. Cette tr~nsformation sur l'idéologie de l'amour doit aussi causer un changement des valeurs pour Georges. L'amour infidèle entraine le remords; pour se défaire de ce remords il faudra tout repeser et rejeter Dieu. Sylvie qui représentait un recommencement pour l'auteur, est détruite par la violence. Après sa mort Georges l'aime sans retenue parce qu'elle n'est plus humaine, elle lui est facile à comprendre toute révélée et entièrement sienne.

"Après la mort de Sylvie commença pour Georges le véritable amour sans réticences, sans

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