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"L'INSHTUTION
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MARIAGE DANS Le., Lyll da.n4' l4 vaUl.e. ET Iru.LiAn4,
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PERITZ
A thesis submitted to the . Facul ty of Graduate Studies and Research in partial fu1fi11ment of the reqUire.s
for the degree of Master of Arts
Department of French Language and Li te rature
McGill Uni vers i ty, Hontrea 1
Harch 1983
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Nina Peritz, 1983-•
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L'INSTITUTION OU MARIAGE DANS L~ Ly6 ~ id valll~ ET Indiand
Dans Le Lys dans la vallêe et Indiana, Balzac et George Sand êtu-dient l'institution du mariage. Le traitement de ce sujet constitue la base m@me de notre mémoire et rêvêle le point de vue antithêtique des auteurs qui, sur la question du mariage, du bonheur et de la libertê fêminine, êmettent des jugements diffêrents.
" Nous presentons une vue d'ensemble socio-historique de l'institution du mariage au XIXe siècle. Une analyse gênêrale de l'expêrience personnelle de Balzac et Sand nous ~c1aire sur la manière dont ils ont intêgr~ ce sujet dans les deux romans.
Notre étude compar~tive thêmatique du Lys dans la vallêe et d'Indiana nous permet d'êtudier de près le vêcu quotidien des hêrofnes et leur rêaction face
a
leur milieu social. Ainsi nous serons en mesure de dêgager une image de la condition de la femme au XI~siêcle.D
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L'INSTITUTmN
ou
MARIAGE DANS Le. LyIJ r1tJn.6 lA. va.Ule. ET Ind.Uwt•
In Le Lys dans 1 a vallée and Indiana, Balzac and George Sand study the institution of marri age. This th~sis ;s concerned with the way in which
1
the authors explore this subject. as well as the clear and distin~t differ-ences in their v;ews on such related issues as a woman1s r1ght to freedom.
individuality and personal fulfi1lment.
We present the institution of marri age in the 19th century fram a soc1o-historical perspective. An analysis of the role marri age played in Balzac and Sand's personal life will enable us ta see haw this, theme has been integrated i nta the; r works.
Our comparative study of Le Lys dans la vallée and Indiana, in which we closely examine the day-to-day existence of the novels ' heroines
and the;r reaction to their social milieu, will enhance our understanding of wanan's place in 19th century society.
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XIXe. hdcte. on.t l.aJtge.me.nt .i.nbpm c.e.:tte. U:ude.i ha. duLe.CÜOn LJl1Ite, hU pJtf.de.ux. c,on.6u.U et hU nombJLwx enc.owr.a.gemett.t6 en ont glUVtd.e.me.nt 6a.cA..Ut€ la. Jr.€a...tUa.ti.on.
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TABLE DES MATIERES
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INTRODUCT ION
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1 CHAPITRE 1 - Etude socio-historique du mariage auXIXe siècle ...•....•...•...•....•••••...••.. 10
CHAP ITRE II - le ma riage : exp! r ; ellce personne 11 e
de Balzac et Sand •...••...••....••••...•.. 24
CHAPITRE III - Etude th!matique comparative entre
L~ Ly~ ~ ta valLlt et In~ •....•••.•••••• : .••••• 61
CONCLUS! ON .•••••••..•.•••••••••••••.••••••••••••.•••••••••••••••••••• 105 BIBL IOGRAPHIE .••...•••..•••••••.••••.••••••. Il • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 114 "
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.-Balzac et George Sand ont toujours été prêoccupês par les nombreux problèmes que1Pose l'institution du mariage. Lorsqu'ils se sont rencon-trés en 1830, leur attitude sur le sujet ne différai t pas: les deux au-teurs condamnent le mariage tel qu'il existait. Entre 1832 et 1835, Balzac compose toute une galerie de portraits féminins: son roman est alors pres-que exclusivement le rOOlan de la fernne. Durant ces ann~es, George Sand, quant ~ elle, est en train de conquérir son indépendance, de devenir cêlèbre par son m~tier d'artiste; et elle slappr~te
a
prendre en main le mouvement fémini ste.Pourtant, l'influence du milieu social reste tr~s forte chez ces êcri vai ns, ce qui les amènera
a
prendre des positions diffêrentes sur le! '
sujet du mariage dans les années qui suivent. En 1833, paraissent successi- , vement Indiana, Valentine, lêlia. La violente critique de Sand
a
l'égardde la société est poussée si loin que leur auteur trouve en Balzac d'amica- 1 les mais tenaces protestations. Sur la question du mariage et de la liberté
féminine, Balzac et Sand commencent dès lors
a
émettre des jugementsa
peu près oppos~s.les romanciers aimaient d se critiquer mutuellement. De Béatrix aux Mémoires de deux jeunes mariés, puis avec Honorine et La Cousine Bette le débat reprend, après leurs discussions passionnêes de février 1838 .
.
Nous ne savons pas quel ~tait l'objet des dialogues qui ont eu lieu entre
Balz~c et Sand, mais nous pouvons supposer qu'il s'agissait surtout de
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1
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2
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problêmes littéraires • Notre intention n'est pas d'examiner en d~tai1 les
liens entre les romanciers. Nous voudrions n~anmoins signaler que leurs
rap-ports, tout au long de pix-neuf années, ont êté d'une fécondité surprenante 2,
Puisque les romans de Balzac et Sand publiés entre 1830 et 1835 sont
assez nombreux, nous avons choisi pour notre étude deux romans
particuliêre-rœnt intéressants quant aux idées exprimées sur le mariage: Le LYs dans la
vall~e et Indiana.
Dans ces ouvrages, Balzac et Sand s'inspirent tous les deux de leur
uni vers affectif: nous y retrouvons de nombreux éléments autobiographiques
"
1- . Dan sune 1 ettre ~ Madame Hans ka, Balzac raconte une rencontre
impor-
2-tante avec George Sand en février 1838:
Je causais avec un camarade. Elle a de hautes vertus. de ces vertus que la société prend au rebours. Nous avons discu-té avec un séri eux, une bonne foi, une candeur, une consc; ence, di gnes des grands bergers qui mênent les troupeaux d' hOlTlTles, les grandes questions du mari age et de la liberté ( ... )
J'a; beaucoup gagné en faisant reconna1tre ~ Madame Dudevant la nécesslté du mariage; mais elle y croira j'en suis sOr, et je cro; s avo; r fa; t du bien en le lui prouvant ( ... ),
Honoré de Balzac. Lettres ~ Madarœ Hanska. Paris, Les Editions du Delta, 1967, Tome 1, pp.
585-586.
Nous pouvons retrouver George Sand dans plusleurs romans de Balzac. La vie de la romancière, son mari age avec un mi li ta; re brutal et borné qui ne sai t pas l'aimer, son amour platonique pour Aurélien de Sèze. Balzac les transpose dans La Ferrme de trente ans ~ l'hê-roTne fi gure une des premières lncarnations de Sand dans son
oeuvre. III us l ons perdues et La Muse du déaartement ont pour po; nt de départ liaventure de Sand avec Jules San eau. ~ans Béatrix, Balzac fait le portrait de la romancière dans le personnage de' Félicité des Touches. Et dans la dédicace des Mémoires de deux aeunes mariés, l'auteur exprime son admlratlOn pour La Bonne Dame
e Nohant:
( ... ) Je dêslre attester ainsi l'amitié vraie qUl s'est conti-nuée entre nous ct travers nos voyages et nos absences, malgré nos travaux et les mfchancetês du monde. Ce sentiment ne s'altérera sans doute Jdillil i 5 ( ••• )
Honoré de Balzac. Paris, Gallimar, p. 195.
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.. 3
-et une analyse de la vie sentimentale des auteurs fOUS pennettra de mieux
comprendre notre sujet. Nous nous devons de dételminer les rapports entre /
l' hi stoi re des deux h~roTne~ et place importante dans la vie de
les
~vénements ~rsonne1s qui ont tenu une
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Ballzac et Sand avant la publication du ~
dans , a va 11 ée et d' lndi ana.
Pourquoi Balzac a-t-il c~mpos~ le Lys dans la val1~e? Tout d'abord,
il exis'tait une grande rivalitê entre le romancier et Beuve;
Sainte-Beuve avait critiqué Balzac
a
propos de la Recherche de l'absolu, èt ce der-nier voulait se venger. Deuxi~mement. l'écrivain ressentait le besoind'of-frir è't son public un tableau opposé A la Physiologie du mariage, qui dénonce
le mythe de la fidélité conjugale. Finalement. Balzac désirait offrir l
'hom-mage du ~ A son amie, Laure de Berny. qui était mourante.
Pendant la période du Lys dans la vallée, l'auteur vivait dans le souvenir - et dans la présence encore de Ma dame de Berny. C êta i t auss i \
l'époque de grandes rencontres: l a duchesse d' Abrantês a été sa ma1tresse. il devenait de plus en plus intime avec la marquise de Castries; enfin la
longue correspondance avec Madame Hanska a dêbuté en 1832 3.
Pour Balzac, Madame de Berny représentait non seulement le souveni r
d' un amour, ma i s l' image d'un bonheur qu' il deva i t refuser. c' es t-a-di re d'un bonheur impossible 4 L'écrivain exprime cet amour déchiré, absolument
3- Cette période cofncide égâlement avec l'expansion du féminisme
ro-
4-mantique, et Balzac est lié d'amitié
a
George Sand. Ce sujet sera trai té dans le chapitre 1 I. \\ \ •
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-pur, dans Le Lys dans la vallêe. Madame de Mortsauf cherche
a
se convaincre qu'elle portea
F~l;x de Vandenesse la tendresse maternelle que Madame de Berny portait ~ Balzac. Il faut se rappeler que le romancier avait vingt-deux ans lorsqu'il a rencontrê Madame de Berny qui, elle, n1êtait pas loin d'en avoir le double.Dans sa correspondance, Balzac revêle l';nflue9ce de Madame de Berny: J'ai perdu pendant mon voyage une personne qui êtait la
moiti~ de ma vie ( ... ). La personne que j'ai perdue êta1t plus qulune mère, plus qulune amie, plus que toute autre crêature peut être pour une' autre ( ... ). ,Elle m'avait soutenu de parole, d'action, de dévouement, pendant les grands orages. Si je vis, clest pour elle, elle êtait tout pour moi ( ... ). Madame de Mortsauf, du ~, est une pale expression dés moindres qualitês de cette personne; il y a un lointain reflet d ' e11e ( ••. ). 5
Comne le confinne Henri Guillemin dans Préci sions: "Les ci rconstances étant propi ces., Madame ~e Be rny aura it pu être Madame de Mortsauf; aux yeux de Balzac, elle est Madame de Mortsauf~ dans la substance de sa personne, dans la
vê
ri tê de son 3me. Il 6Avant de composer Le Lys dans la vallêe, il est évident que Balzac avait 1 1 intention de traiter de la vertu conjugale. Nous avons dêj! v,u'ce
thême dans Eugénie Grandet (1833). Nous 1 lavons retrouvé dans La Duchesse de Langeais (1834). où 1 1 auteur dêcrit une fernne plus coquette que vertueuse.
Et clest d~s 11achêvement du Pêre Goriot (mars 1835) que Balzac siest mis
a
êcr; re Le Lys dans 1 a va 11 ée.\
5- . Honore de Balzac. Correspondanée. Paris, Garnier Frères, 1960,
volume 1, pp.
371-j72.
6-, "
Henri Guillemin. Precjsjons. Paris, Gallimard, 1973, ilLe Lys dans 1 a va 11 êe ", p. 170.
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-Dans une lettre! Madame Hanska datêe du 11 mars 1835, Balzac êcrit: "Puis, je prêpare une grande et belle oeuvre, intitulêe Le Lys dans la vallêe, une figure de femme charmante, pleine de coeur, àyant un mari maussade, et vertueuse. Il 7
"Une très grande par~ie du ~ est apparue dans la Revue de Paris, en
~trois articles, les 22 et 29 novembre et le 27 décembre 1835.
Comme pour Balzac, nous retrouvons de nombreux êlêments autobiogra-phiques dans Indiana. Les aspirations de George Sand! cette êpoque de sa vie s'expriment dans son oeuvre
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Tout d'abord, nous pou~ns attribuer l'indignation d'Indiana au ma-riage de Sand avec Casimir Dudevant. Casimir n'était qu'un tyran pour la ro-mancière, et elle est devenue, par la suite, très dêÇue par le mariage en gé~
,
nêral. A travers Indiana, Sand traduit son propre dilemme de femme incompri-se: Jflle veut étaler ses griefs contre son mari et exposer son esclavage auprrs de lui 8. Dans sa préface de 1842, l'auteur explique:
"
( ... ) j'ai ~crit Indiana avec le sentiment non raisonné,
il est vrai, mai s profond
et
l égi time, de l' i nj usti ce et de la barbarie des lois qui réagissent encore l'existence de la femme dans le mariage, dans la famille et la société. 9Sand y transpose aussi son aventure avec Aurélien de Sèze. Leur pas-sion platonique a êté entretenue pendant plusieurs années par une abondante
7-
8-
9-Honorê de Balzac. Lettres A Madame Hanska. Paris, Les Editions du Delta, 1967, p.
310.
,
Ce sujet sera tra; tê dans le chapitre II.
,;
\)George Sand. Prêface
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Indiana. Paris, ê ditions d'Aujourd'hui, Collection "Les Introuvables", 1979, pp. xv-xvi.; • ~
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correspondance et·d~.,rares et rapides rencontf.es. Pourtant, Aurélien Hait un don Juan, et la romancière voit danS ce donjuanisme la plaie des rapports amoureux au XIXe siècle.
Finalement, la liaison avec Jules Sandeau s'est mal terminée: Sand
ét~it très malheureuse et s'est trouvée dans un état d'esprit qui allait l'inciter ~ révéler ses pensées les plus tristes., Dans Indiana, elle raconte
ê
ses déceptions, ses rêves avortés, ses révoltes contre une vie difficile, ses rancunes, ses désirs, ses passions. Nous y retrouvons les illusions perdues, les agitations morales et sentimentales de l'auteur.
Indiana procède d'un fond commun d'émotion et de douleurs personnel-les, sans ~tre pourtant la confidence et le récit de la vie de l'écrivain; et d'ailleurs Sand a toujours protesté contre les applications trop stricte-ment biographiques qui ont été faites de ce roman.
10-1
Sur ce point, Emil Caro souligne:
C'était du moins l'expression de ses réflexions habi-tuelles, de ses agitations morales, d'une partie de ses souffrances réelles ou factices; ce n'était pas sa vie, soit, c'était le roman ou le drame de sa vie~ tel qu'elle l'avait conçu sous les ombrages de Nohant . • 0
A propos de son roman Indiana, Sand déclare dans Histoire de ma vie:
-Je n'avais pas la moindre théorie quand je commençai
a
écrire ( ... ). Cela n'empêche que mes instincts ne m'aient fait,a
mon insu, la théorie que je vais établir ( ... ).Il faudrait des situations vraies et des car.actêres vrais, réels meme, se groupant autour d'un type destiné ~
résumer le sentiment ou l'idée pr~ncipale du livre. Ce
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- 7 -
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type représente gén~ralement la passion de l'amour ( •.• ). Selon la théorie annoncée, il faut idéaliser cet amour, ce type, par conséquent, et ne pas crain-dre de lui donner toutes les puissances dont on a
l'aspiration en soi-même, ou tO~fes les douleurs dont on a vu ou senti la blessure.
Balzac lui-meme a commenté cette théorie de l'idéalisation du sentiment. et
f
Sand a remarqué: "Balzac résumait complètement ceci quand il me disaitdans la suite: 'Vous cherchez l'homme tel qu'il devait être; moi, je le prends tel qu ' i1 est.'" 12
Clest en février et mars 1832, pendant un court Séjour
a
Nohant)que Sand a composé Indiana. Elle a rapporté son manuscrita
Paris lorsqu'elle y est revenue le 1er avril, et c'est dans un petit appartement du quai Mala-quais qu'elle a terminé~oman.
Le 18 mai 1832, le Journal des Débats annonçait la mise en -vente d'Indiana.L'auteur n'a pas osé signer son roman du nom d'Aurore Dupin, et Jules Sandeau, avec qui elle avait déjA collaboré, ne pouvait pas signer son nom cette fois. Donc elle a gardé le nom de Sand et, dans sa méfiance
a
l'égard des réactions de l'autre sexe envers toute production féminine, elle a choisi un prénom masculin. C'est ainsi que George Sand est née.Diverses raisons nous ont incité ~ étudier Le'Lys dans la vallée et Indiana. Tout d'abord, nous savons que Balzac et Sand éprouvaient beaucoup de respect l'un powr l'autre. Deuxi~mement, dans les oeuvres mentionnées
(
11- George Sand. < Histoire de ma vie. Paris, Ca lmann -Lévy, . 1925, tome
IV, p. 135. 12- Ibid. , p. 136. \ j 1
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8
-ci-haut, nous avons pu observer l'importance du rOle de la femme dans la société et les notions d'émancipation, plus généralement d'individualisme féminin, qui sont mises en question.
Or, ces thèmes sont présentés par l'un-et l'autre des écrivains de façon différente. André Maurois a souligné cette différence:
George [sand] avait prêché l'émancipation de la ferrme, le mariage d'amour; Balzac avait défendu le mariage de raison et redouté, pour la ,femme mariée, l'excès de li-berté. 13
Ce mémoire se propose d'exposer et de préciser la signification de cette opposition. Dans notre analyse, nous remarquerons que Le Lys dans la vallée
p~sente l'univers moral d'un homme traditionaliste, tandis qu'Indiana
présente l'un; vers mora 1 d'une femme. émanci pée.
Notre étude sur le mariage nous conduira ~ définir un ensemble cohé-rent de problèmes qui s'inscrivent dans le cadre de la société du XIXe siècle. Balzac et Sand présentent toujours le mariage dans ses rapports avec les lois et les moeurs de l'époque. Ainsi les problèmes de la vie conjugale sont
so-lidement ancrés dans une société bien déflnie. De ce fait, les conflits ma-trimoniaux que nous décrivent les auteurs n'intéressent pas uniquement le domaine de la vie privée: ils mettent en cause la société toute entière. En d'autres mots, les romanciers n'envisagent pas seulement le mariage du point de vue de l'individu, mais aussi du point de vue de la sociêt~.
13- Andr~ Maurois. Lêlia ou la vie de George Sand. Paris, Librairie
9
-(~
Aussi l'étude d'un tel sujet ne peut ~tre envisagée sans pr~sentert
en premier lieu, une vue d'ensemble socio-historique de l'institution du mariage au XIXe siècle. A notre avis. pour comprendre les problèmes aux-( quels font face les héroTnes de l'oeuvre balzacienne et sandienne. nous nous
devons de faire entrer en ligne de compte le concept du vécu matrimonial en France ~ l'époque qui nous concerne. Le facteur qui a le plus d'importance pour nous, c'est la différence radicale qui existait entre la situation de la femme et celle du mari.
Cette analyse nous mènera 3 examiner dans le deuxième chapitre l'ex-périence personnelle de Balzac et Sand vis-~-vis du mariage. Dans chaque cas. la vie de l'écrivain a fortement influencé son ouvrage, et il serait impossible de ne pas la considérer. Ceci nous éclairera sur la manière dont Balzac et Sand ont intégré le sujet du mariage dans leur oeuvre. Nous pour-rons ainsi comprendre certains thèmes fondamentaux tels que les conditions
propr~au bonheur conjugal et les problèmes que pose l'adultère. Nous nous interrogerons aussi sur les rOles respectifs que les romanciers assignent 3 l'homme et ct la femne. l'importance de l'amour dans le mariage. et le genre d!amour permis dans un rapport conjugal.
Dans le troisième chapitre de notre mémoire. nous aborderons l'étude comparative thématique du Lys dans la vallée et d'Indiana. Nous mettrons l'accent sur la condition sociale et la situation conjugale d'Henriette de Mortsauf et d'Indiana Delmare. pour révéler les points de vues distincts de chaque auteur envers la femme mari~e.
Enfin. notre concluslon montrera que la société du XIXe siècle rend
(
CHAPITRE
..
----.,.Etude socio-historique du mariage au XIXe siècle
.,
Il est incontestable que les hérofnes féminines du Lys dans la vallée et d'Indiana sont soliden~nt installées dans la réalité sociale de la première moitié du XIXe si~cle. Pour bien comprendre les probl~mes qui se posent ~
Henriette de Mortsauf et ~ Indiana Delmare, nous nous devons d'avoir une idée précise de ce que représente l'lnstitution du mariage a cette époque. A cette fin, il nous paratt uti le de commencer cette étude par une esquisse
des loi s et des moeurs au temps de Balzac et Sand. Nous nous limite-rons toutefois ~ l'étude de trois facteurs qui semblent déterminer la vie du couple marlé ~ l'époque qui nous intéresse: la dlfférence entre l'éducation de! garçons et celle des filles, la façon dont se font les mariages, et fina-lement le statut accordé au mari et d la fptrnllP pdt' le') lOIS miltrimoniales (le
Code Napoélon). Nous ne trllltcrons ici que du Illclrldge tel qu'il se prati~ue
dans la classe bourgeoise, puisque c'est ce milleu qUl nous concerne pour l'étude de nos deux romans.
Au XIXe si~cle, la bourgeoisie est une classe tr~s puissante qui s'af-firme avec autorité et s'efforce de défendre et de maintenir l 'lnstitutlon du mariage. Il s'en':,ult qu'elle exerce son pouvolr ')ur la fpllltllP dV(~C fermeté.
Des penseurs comme Joseph df' Mal<,trp pt LOU1', d(~ B(Hldld pxiejf!nt une
société rigoureusement hiéraY'C_his(>c. Ld fdrnllle, cellulp socidl(~, est un
micro-(
cosme de 1d société, dans laquelle le mari gouvprne, la femme administre et les
10
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( ... 11 -'. " .enfants obêissent; le divorce est bien entendu interdit \1. La plupart des femmes bourgeoises acceptent volontiers ce pOint de v~ et se conforment aisément
a
leur rOle de femme au foyer. Simone de Beauvoir explique ainsi leur attitude:Comme leur êducation et leur situation parasitaire les mettent sous la dêpendance de l'homme, elles n'o-sent pas m~me présenter de revendications ( ... ) La femme bourgeoise tient ~ ses privilèges de classe ( ... ), et elle sait que l'émancipation des femmes serait un affaiblissement de la sociêtê bourgeoise. 2
Dês le debut du XIXe si~cle l'Etat s'occupe de "êducation des gar-' çons, mais il faut attendre la SeCO\de moitié du XIXe siècle pour que les au-tor; tés conmencent A mont rer de
~éret pou~
l' êd:ia t; on de 1 a fe!",,". Tan-dis que l'êducation des garçons est garantie et subventionnée par l'Etat, celle des jeunes filles est presque entièrement privée, et donc principalement
1-
2-\
Simone de Beauvoir. Le Deuxième sexe. Paris, Gallimard, 1949, vol ume l, pp. 135-'
36.
Maistre et Bonald ne sont pas les seuls d exprimer ces idêes, mais ce • n'est pas notre propos de les discuter longuement. Nous pouvons
toutefois citer d'autres noms représentatifs de la pensée réaction-naire de l'époque.
Auguste Comte demande aUSSl la hiérarchie des sexes. Selon lui, le rOle de la femme est celui d'êpouse et de ménagère; sa fonction est de moraliser 1 'homme. Elle n'a aucun droit ~conomique ni politique, et toutes les fonctions sociales lui sont interdites. Ibid., p. 136. Proudhon estime que la femme doit demeurer dans la totale ~dance
de l'homme; lui seul compte en tant qu'individu social. La femme lui est intellectuellement et moralement inférieure. Ibid., p. 141. Michelet veut aussi limiter les droits de la femme. Il proclame que
la femme est productive unlquement par son influence sur l'homme; elle est peu cr~atrice par elle-même. Jean Rabaut. Histoire des feminismes françairs. Paris, éditions Stock, 1968, p.
144.
Nous parlerons des penseurs libéraux dans notre prochain chapitre. Simone de Beauvoir. op. cit., volume J, p. 138.
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-rêserv~e aux jeunes filles des classes aisêes.
On pourrait alnsi conclure que l'éducation de la femme au début du XIXe siècle fait presque entièrement abstraction de son individualité, pour ne considérer que sa future vocatlon soclale. Cette éducation a pour but unique de préparer la Jeune fille; blen tenlr son rôle d'épouse et de mère. La jeune fille doit ~tre vierge dans le sens le plus large du mot: vierge de corps, de coeur et d'esprit. Sa pureté doit ignorer les réalités de la vie, les passions, les intér~ts. En d'autres mots, on tient
a
l'absolue lnnocence de la jeune fille avant le mariage.Dans la première moitié du XIXe siècle, l'éducation se fait dans un pensionnat, un. couvent, ou bien dans la famille 3 Il s'ensuit que l'éducation dispensée par ces institutions est souvent incomplète et de ce fait s'avère
.
~tre restreinte. De toute façon, on estime que si la' femme s'intéresse trop aux études, cela peut lui éveiller l'esprit et l'emp~cher d'accepter son sort 4
Le rôle de la femme est donc clairement défini: 11 est absolument né-cessaire pour elle de se marier puisque hors du mariage, la femme n'assume, pour ainsi dire, aucune identité sociale. Le mariage est son seul gagne-pain
3-
4-Au début du XIXe siècle, 622,000 filles sont élevées par des reli-gieuses sous la direction des prêtres.
Jean Rabaut, op. cit., p. 91.
Ce qui n'est pas nouveau. Il n'est qu'A se rappeler les propos cé-lèbres d'Arnolphe dans L'Ecole des femmes de Molière:
Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut; Et femme qui compose en sait plus qu'il ne faut ( ... ) Et c'est assez pour elle, ~ vous en bien parler, De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre et filer ( ... ) Tant, que j'almerais mieux une laide bien sotte, Qu'une femme fort belle avec beaucoup d'esprit.
(
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13
-et la seule justification de son existence. La situation de cêlibataire appor-te des difficultés de touappor-tes sorappor-tes -- financières, morales, sociales. etc. ilLe modèle en vogue est ( ... ) celui de la bourgeoisie,
a
qui le mariage seul confère une position sociale, cl qui le veuvage seul rend la liberté." 5 Aussi les préoccupations d'alliance sont prédominantes Slnon exclusives.Pour les contemporalns de Balzac et Sand, le mariage n'est pas tant une union entre deux individus qu'une association entre deux maisons. On s'efforce de marier ses filles le plus tCt possible pour obtenir une alliance avantageuse; le mariage est pour l 'homme le moyen d'augmenter son crédit et sa fortune et d'assurer son succès dans le monde. Pendant longtemps, les contrats sont signés entre le père et le futur gendre, et non entre femme et mari. Il
s'ensuit que des considérations d'ordre matériel ont beaucoup plus d'importance que la personnalité respective des futurs époux: le mariage satisfait
a
que1-que calcul d'intéret ou de fortune entre les familles.( ... ) le mariage est une institution familiale joue au profit de la famille ~ eo~po~e et non au fit des individus qui la composent
6
Les mariagesmour sont jugés sévèrement ( ... ).
qui pro-
d'a-La dot, une institution reconnue par le Code civil, a la faveur et l'appui de la bourgeoisie. Ce Code fait de la dot une nécessité économique.
un bien que la femme apporte au marl pour l'aider d assumer la direction finan-cière de lp famille. Or, en réalité, on n'admet pas qu'un homme puisse épouser
5-
6-Jean Rabaut, op. ci t.. p. 91.
\
Gêrard Duplessis. Les Marià~es en France. Paris. librairie Armand Co 1 in, 1954, p.
21.
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-une fille sans fort-une; plus le chiffre de la dot est ~lev~, plus la jeune fille est attirante. Il en résulte que les seules femmes qui peuvent
pr~ten-dre
a
un bien-etre matériel dans la sociétê sont celles qui sont dotées. Les p~res se font un devoir de bien doter leurs filles, puisque c'est un moyen de sêdulre les candidats intêressês et de s'assurer ainsi un gendre. Marie-Henriette Faillie êmet l'opinion suivante:En effet, S1 ( . . . ) la fille ne peut exiger de dot,
a
l'encontre du droit r~naln oû les filles avaient une ~ action pour obllger le pêre ~ les doter, leur pêre ne ~esent pas justifiable de se targuer des pouvoirs que lui accorde le Code pour lnciter sa fille ~ accepter le mari proposé par la famille. 7
Une fois mariée, on reconnatt de nouveau la puissance du mari, parce que seul celui-ci a l'administration des blens dotaux pendant le mariage 8. La dot semble ainsi sanctlonner l'état d'infériorité dans lequel se trouve la femme.
Pour la Jeune fllle bourgeoise du XIXe slècle, le marlage est le seul moyen d'être lntégrée ~ la collectivité. ('est ~ peine si on la consulte avant son mariage: on l'offre plutOt aux prétendants éventuels au cours d'entrevues arrangées Il l'avance, et on lui laisse croire qu'elle peut "choisir" son époux; mais il est éVldevt que sa liberté de choix est très restreinte. L'homme, au contralre, ne se trouve pas dans la m~me sltuation. Comme dans le cas de la jeune fille, son mariage peut ~tre aussi arrangé ~ l'avance par la famille; pourtant, l'homme est souvent beaucoup plus ~gé que son épouse, et c'est lui
7- Marie-Henriette Faillie. La Femme et le code civil dans "La Comédie
8-humaine" d'Honoré de Balzac. Pans, Didier, 1968, p. 54.
Nous aurons l'occasion de considérer plus en détail le Code civil dans la deuxième section de ce chapitre.
(
15
-qui arrange son propre mariage 9
Ainsi le jour de ses noces, le jeune fille promet amour et obêissance
~ un étranger qu'elle a peut ~tre vu pour la premi~re fois quelques semaines auparavant. Par la suite, la société impose ~ la jeune épouse une double tache: elle doit donner des enfants ~ la communauté et offrir en tout temps un appui dont son nldri aurait besoin. De cette façon, l'horrane et la ferrme sont jetés bien souvent dans les bras l'un de l'autre, sans se connattre, sans s'aimer, par la volonté absolue des parents. Au début de leur union, il existe donc une grande distance entre le mari et la ferrrne. Nous verrons que les lois qui régissent le mariage ne font rien pour combler cette distance.
Le Code civil de 1804 (le Code Napoléon), reprend les termes essentiels de la loi matrimoniale en vigueur sous l'Ancien Régime, et apporte d'assez sê-rieuses restrictions ~ la liberté de la femme mariée. Nous savons que la femme, mariée ou non, n~ peut ni voter ni exercer de fonction publique. Ce-pendant. la célibataire jouit, théoriquement du moins, de la liberté de sa personne et d~ la libre administrdtlon de ses biens.
La situdtion de la ferrrne mariée n'est pas pareille. Disons tout de suite que le prin~ipe de la suprématie du mari est
a
la base de tous les arti-cles du Code Napol~on qui concernent le mariage. Nous allons considérer cette suprématie sous quatre aspects pertinents à notre sujet:
9-A- Le pouvoir du mari sur la personne de sa femne B- Le pouvoir du mari sur les biens de sa femme
Gérard Duplessis fait le commentaire suivant: "( ... ) les mariages conclus rapidement étaient fréquents sous l'Ancien Régime, ( ... ) les grosses différences d'âge étaient fréquentes aussi dans la . bourgeoisie." op. cit., pp. 36-37.
(
c-Le pouvoir du mari sur les enfants nês du mariage 0- La diffêrence avec laquelle la loi juge l 'adult~re
du mari et celui de la femme
A- Le pouvoir du mari sur la personne de sa femme
16
Selon le Code civil de 1804, le premier devoir d'une femme mariée est dlobêir
a
son mari. L'article 213 du Code stipule:Le mari doit protection
a
sa femme, la femme obéis-sancea
son mari. 10Selon l'article 214 du Code:
La femme est obligée d'habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge
a
propos de résider: le mari est obligé de la recevoir, et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facu 1 tés et son état. 11Conséquence logique de l'article 213, l'article 215 défend
a
la femme mariée de se présenter devant un trib~ dans les causes civiles sans la permission de son mari:La femme ne peut tes ter en jugement sans l' autori té
de son mari, quand meme elle serait ma~çhande publique ou non commune, ou séparée de biens. 2
Il est évident que le devoir d'obéissance de la femme est 1 lune des règles les plus importantes de la vie matrimoniale. L'institution du mariage
1
(
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•
ne pourrait subsister si l'un des époux n'êtait subordonnê ~ l'autre; en
17
-d'autres mots, cette institution a besoin d'un chef unique. D'autre part, la femme qui se marie perd la faculté d'exercer la plupart de ses droits civils.
La déférence que l'épouse doit ~ son époux l'oblige
a
ne jamais faire d'actes importants sans son autorisation.La suppression des ordres d'Ancien Régime, la révolu-tion industrielle ont renforcé le rôle de la famille en face de la société ( ... ). La prétention de cette société
~ ~tre rationnelle a pour conséquence une division des rôles dans le m~nage, qu'on justifie par l'existence d'une nature féminine en aucune façon comparable
a
celle du male chef de la famille. 13Ainsi en se mariant. la jeune fi lle ne s'affranchit de l'autorité
pa-ternelle que pour tomber sous le coup de l'autorité maritale. Elle devient la vassale de l'holTllle: elle prend son nom. elle appartient ~ sa famille. elle est intégrée
a
sa ~1as5'f! eta
son milieu. Autrement dit. lorsque la fetTlTlE! s'annexe a l'univers de son époux, elle devient sa "moitié".De plus, la femme mari~e doit satisfaire 3 certaines conditions que Simone de Beauvoir r~sume ainsi:
Mais celle-ci n'a pas d'autre tache que de maintenir et entretenir la vie dans la pure et identique gên~ral;
té; elle perp~tue l'espèce immuable, elle assure le rythme égal des journées et la permanence du foyer dont elle gar-de les portes fermées ( ... ). 14
Pour la bourgeoisle, les valeurs domestiques triomphent sur tout, et c'est le rOle de la felTl11e de garantir le bonheur de sa famille COIlTJle "ma 'ttresse de mai-son". Le foyer devient, pour la ferrrne du XIXe siêcle, le centre de son monde
13-
14-Jean Rabaut. op. cit., p. 89.
Simone de Beauvoir, op. cit., volume II, p. 16.
1
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et m~me son unique vêrit~. De l'administration de sa demeure, elle tire sa justification sociale. Comme le souligne Beauvoir, sa tache est de veiller d'une maniêre g~nérale sur llentretien de la société familiale.
Sr Le pouvoi r du mari sur les bi ens de sa ferrrne
Le Code Napolêon prévoit trois différentes sortes de rêgimes matrimo-'niaux: la cOO1munauté des biens, le régime dotal et la séparation des biens.
la grande majorité des mari ages se font sous le régime de la corrmunauté des biens; c'est-A-dire, celui des trois régimes qui donne au mari les pouvoirs les plus ~tendus sur les ressources financiêres de sa famille 15
o
En effet, le ,pouvoir du mari est quasi absolu sous ce régime:
Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le
re-cours de la femme. 16
-la fenne nia aucun droit de contrôle sur -la fa~ dont le mari gère leur for-tune commune. Une autre conséquence de cet---afticle, clest que la femme mariée sous le~e de l a communauté des biens doit demander
a
son mari 11 argent qu'il ~Ui faut pour ses dépenses personnelles. De cette façon. les droits du mari sur la communauté sont ceux dlun véritable propriétaire.Ni la corrrnunauté des biens, ni le rêgime dotal ne permettent
a
la femme mariée de· disposer librement de sa propre fortune. Ce nlest que\.
t
15- Dans les milieux de la bourgeoisie, le régime de la conmunauté rêduite aux acquêts emporte lladhêsion de la grande majorité des conjoints: 90% environ. Parmi les autres contrats, 8% sont conclus sous le régime de la séparation des biens, 2% sous le régime dotal. Gérard Duplessis, op. cit., p. 24.1 J
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lorsqu'elle se marie sous le rêgime de la séparation des biens que la femme a la libre administration de ce qui lui appartient. Même dans ce dernieR cas, elle n'est pas tout 3 fait affranchie
a
l'égard de son mari, car elle n'a pas le droit de vendre ses propriétés immobili~res sans son autorisation 17.Nous venons de voir que, sauf sous le régime de la sêparation des biens, tout ce qui concerne la fortune du ménage est confié au mari. La femme ne peut rien faire dans le domaine économique sans son autorisation. D'autre part, la loi ne donne pas
a
la femme de tr~s grands moyens pour se protéger contre les spéculations d'un mari imprudent. La femme peut s'opposer ~ la perte totale de sa propre fortune, mais il faut qu'il y ait eu auparavant un commencement d'exécution; c'est-!-dire, que le mari soit en voie de dissiper une portion de la dot de sa femme 18, Nous concluons donc que la gestion et la jouissance des biens sont entiêrement le fait du mari.c-
Le pouvoir du mari sur les enfants nés du mariagePour la femme bourgeoise du XIXe si~cle, le mariage implique la pro-création afin d'assurer la continuation de la famine. Jusqu'a présent, nous avons mon~ré comment 'Iinfêriorité de la fenme se manifeste dans sa condition d'êpouse et de mattresse de maison. La maternité ne fait que perpétuer cette situation; car, la IIvocationll de mère et d'épouse requiert de la fe/1l11e le don total de sa personne. Bien que la fenne s'occupe davantage des enfants, c'est en fait le père qui reste le chef économique de la fami 11e: les enfants
dé-17- Code civil de 1804, articles 1536 et 1538. 18- Ibid., article 1443.
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" 20-dêpendent beaucoup plus de lui que de leur mêre.
•
Le Code Napoléon 'donne au mari seu~ l'exercice du pouvoir. Les arti-cles 371 et 372 spêcifient:
L' enfan t. ~ tout age. doi t honneur- et respect
a
ses père et mêre ( ... ). Il reste sous leur autori-té jusqu' ~ sa maj ori té ou son êmanci pa t ion. 19Pourtant, l'article 273 souligne la domination exclusive du pêre sur ses en-fants:
Le père seul exerce cette autori té durant le
ma-ri
age. 20Ainsi, si les parents ne sont pas d'accord sur l'éducation ou le mariage de leurs enfants, c'est l'avis du père qui prévaut. Signalons aussi que la sou-veraineté paternelle donne au mari un moyen d'empl!cher sa femme de quitter le foyer conjugal: il peut lui défendre d'emmener ses enfants:
L'enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la penni ssion de son père', si ce n'est pour l'enrOlement volontaire, après l'3ge de dix-huit ans révolus. 21
Ces art; cles renforcent de nouveau le pouvoir du mari; c lest lui qui retient le c~ntrOle suprême dans la maison familiale. Le résultat est êvident~ la femme nia pas les moyens de s'affirmer en tant qu'individu.
D- La différence avec laquelle la loi juge l'adultère de la femme et celui du mari
Le Code péna l, en vigueur dans 1 a premi êre moi tiê du XIXe siêcle, fai t
19- Code civil de 1804, articles 371 et 372.
20- Ibid., arti cle 273. 21- Ibid., article 374.
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21,-une différence considérable entre ,l\infidélité de la remne et celle du mari. La loi est fort sêvêre pour la femme adultêre:
La femme convaincue d'adultêre subira la peine de l'emprjsonnement pendant trois mois au moins et deux ans
au
plus,Le mari restera le ma1tre d'arrêter l'effet de cette condamnation, en consentant
a
reprendre safenme. 22.. '
\
De plus, selon l'articl\ 336 du Code pénal, l'adultêre de la femme ne peut etre dénoncée que par le~ari. Ainsi, si la femme prend un amant, elle
ris-que la prison.
Le mari infidêle est raité avec plus d'indulgence. Un mari qui trompe sa femme
a
l'extêri~ur de la ma'son n'e~t pas coupable aux yeux de la 101.1 'ar-ticle ~O précise:La fenme pourra demander 1 di vorce pour cause d'a-dultêre de son mari, lors~u'il ,aura tenu sa concubine dans 1 a mai son conmune. 3 \ '
Le Code Napoléon considêre donc l'infidélité de la femne conme beaucoup plus grave que celle du mari. puisque seul, l'adult~re de la femne encourt des
péna-li tés.
Pendant tout le XIXe siêc1e, la jurisprudence ne fait que renforcer
les rigueurs du code: la fenme qui quitte le domicile conjugal se trouve dans ,1 une situation très difficile. En 1826, la Restauration abolit le divorce;
l'As~emblêe
constituante de 1848 refuse de le rétablir, et il ne réapparatt rqu
'~n
1884.,1 La femme peut obtenir le divorce dans certains cas. Lorsqu'il est
~
-22- Code pénal, article 337.
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23- Code ci vil de 1804, arti c1e 230.
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22
-a~solument impossible de maintenir les rapports conjugaux, le divorce est
ac-\
...
cordé au conjoint bafoué; le code spécifie, par contre, que si le mari tro~e
sa femme et en cas de dissolution du mariage, il ne peut meme pas épouser son complice 24 Dans les cas d'excès, sévices ou injures graves, avant de
pro-noncer un jugement de divorce, les tribunaux sont en droit de spécifier une
période d'attente qui peut durer une année 25. La femme est autorisée, dans
l'intervalle, A quitter la compagnie de son mari. Finalement, le divorce par
consentement mutuel (sans causes dramatiques), doit t:!tre préalablement auto-26 '
risé par le père et la mère des deux époux
Toutes les circonstances que nous venons d'évoquer dans ce premier
chapitre concourent ~ créer une certaine distanée morale et spirituelle entre
les époux. Du temps de Balzac et Sand, le mariage nlest pas considéré CORme
une association entre deux individus égaux en droit. On envisag~ plutOt le
.
mariage corrme une institution où, dans l'intérêt de la famille, le mari doit
commander et la femme obéir.
Le Code civil de 1804 consacre'la dominati.on du ma~i,et les moeurs et les lois ont pour but de lui faciliter l'exercice de la puissance maritale.
Aux yeux des contemporains de Balzac et Sand, le mariage est une affaire de
famille où des considérations économiques et pratiques ont beaucoup plus
d'im-portance que l'aspiration des individus ~ un bonheur personnel. Clest
pour-quoi on juge inutile pour des futurs époux de s'aimer et de bien se connaHre
24- Code civil de 1804, articles 229 ~ 233 et 298.
25- Ibid., articles 259 et 260.
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23
-avant le mariage. La femme, une fois mariée, reste une mineure"qui passe
de la tutelle du père ~ celle du mari.
Pour un couple marié, il y a bien des circonstances qui peuvent
emp~-cher des sentirœnts très forts. Premièrement, le mari est le plus souvent
beaucoup plus àgé que sa femrœ: ce fait lui donne déj~ une certaine supério-ri té sur elle. Deuxièmement, par son éducati on, la jeune fi lle apprend
a
se soumettre, tout en évitant de trop développer ses capacités intellectuelles.Cette circonstance augmente encore la distance entre les époux et facilite
a
l'horrrne son r~le de chef de famille. Finalement, la loi fait du mari lemat-tre presque absolu de sa ferrrne; il exerce un pouvoir illimité sur elle, ses
el)fants et tous ceux qui l'entourent.
La femme bourgeoise du XIXe siècle vise la conservation du "statu quo",
de l'ordre établi. Quand la femme se marie, elle s'attend
a
édifier une vie équilibrée pour elle-m~me, son mari et ses enfants'. A défaut de grande pas-sion, elle éprouve pour son mari un sentiment tendre et respectueux appelé"amour conjuga 111
• E11 e enfenne le monde dans l es murs du foyer qu' e lle est
chargée d'administrer; autrement dit, la femme remet son existence entre les
mains de son mari.
Ainsi, dans la sociHé où vivent Balzac et Sand. la femme bourgeoise
\-doit ~tre complèterœnt absorbée par son rOle social d'épouse et de mère et en
retirer le maximum possible de bonheur. Dans le chapitre qui suit, nous
serons en mesure d'éclairer ce ph~nomêne ~ travers des exemples précis, tirês
de l'oeuvre des deux auteurs.
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" (,
,-CHAPITRE IILe mariage: expérience personnelle de Balzac et Sand
Notre analyse de l'institution du mariage demanderait une étude
exhaus-ti ve de 1 a vi e de Balzac et Sand. Sans prétendre ~ une présentati on bi
ographi-que, nous croyons nécessai re de montrer que l 'oeuvre des auteurs ref1êtent tout
un vécu, et que leurs pensées et les ressources m~e de leur art sont tirées de certaines expériences vêcues.
La rêflexion balzacienne et sandienne sur le mariage se poursuit
a
tra-vers leur oeuvre entiêre. Dans li intéret de notre êtude, nous avons jugé né-
t
cessaire de ne choisir que quelques textes qui, ~ notre avis, illustrent lemieux l'évo1ution de chaque écrivain sur le sujet qui nous concerne.
De Balzac, nous examinerons La Femme de trente ans (1828), Physiologie
du mariage (1829). La FeTmle abandonnée (1832), Eugénie Grandet (1833), Béatrix
(1838), Mênoires de deux jeunes mariés (1840) et La Cousine Bette (1846). Avec
Sand, nous nous référerons ~ sa Correspondance (1812 - juin 1847) et ct Histoire de ma vie (1854-1855) ainsi qu'a ses romans Valentine (1832), Lélia (1833), Jacques (1834), Mauprat (1837), Le Compagnon du tour de France (1840) et
k
Meunier d'Angibault (1845).Afin de pouvoi r comprendre l' atti tude de Ba 1 zac et de Sand ~ li égard de
l'institution du mariage, nous analyserons certains tMmes fondamentaux. Un
des plus importants est celui de l'éducation des jeunes filles. Dans notre
premier chapitre. nous avons montré l'éducation que recevaient
ordinaire~ent
-
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25
\
1les jfunes filles au d~but du XIXe si~cle. Nous étudierons quelques idêes importantes de chaque auteur en ce domaine. Ensui te, nous verrons l a façon dont Balzac et Sand envi sagent l es rapports entre l'amour et le mari age. Dans, un troisième temps, nous traiterons de l'adultère: thème essentiel pour l'ê-tude de notre sujet.
Nous voudrions tout de suite signaler qu'il existe certaines ambiguf-tés dans l'attitude balzacienne et sandienne vis-3-vis du mariage. Une analyse de ces ambiguftês pourrait etre un sujet de réflexion en soi ~ et demanderait une étude beaucoup pl us approfondi e que celle que nous proposons ici. Notre but dans ce chapitre est uniquement de nous concentrer sur les idées perti-nentes
a
notre étude, celles qui ressortent d'une manière constante tout au long de l'oeuvre de chaque auteur. De cette façon, nous serons en mesure de bien cerner notre sujet dans le troisième chapitre de notre mémoire.Dans Physiologie du mariage, Balzac critique l'éducation pUérile des jeunes filles et propose certaines rHormes. Les jeunes filles devraient, selon lui, avoir beaucoup plus de liberté, ~fin de savoir 3 quoi elles slenga-gent en se mariant. L 'écrivain préfêre que les .jeunes filles, et non les felllTles mariées, jouissent d'une certaine indépendance; ces dernières, au con-traire, doivent s'astreindre
a
une conduite absolument irréprochable:
1-L'éducation des filles devrait alors subir d'importan-tes modifications en France. Jusqu'ici les lois et les moeurs françaises, p1acêes entre un dêlit et un crime A parveni r, ont favori sê le crime ( ... ). NI Y a-t-i 1 donc pas incomparablement moins de danger A donner la liberté aux filles quia la laisser aux femnes? 1
.'
Honoré de Balzac. PhaS;OlOg;e du mariage. Par;s9 Gallimard, Biblio-thèque de la Plêia e, tome
Ii, 1976,
p. 971., .
(
26
-,
Balzac semble réclamer des réfomes dans l'intêrêt de l'individu. Il
demande des changements sociaux pour rendre le mariage plus favorable
a
l'a-mour et au bonheur personnel; en d'autres mots. c'est l'institution du mariagequi doi t s'adapter aux besoi ns de l' i ndi vi du. Le mei 11 eur moyen pour
atteindre au bonheur individuel est de remplacer les intérêts et les
conve-nances par l'amour.
Le jeune Balzac veut donner aux jeunes gens qui vont se marier le
temps de se conna'ître et de s'aimer avant le mariage, car il est persuadê que
l'amour est la meilleure base ,possible pour un mariage réussi. La passion
natt de la compréhension, et elle s'épanouit dans le respect de la personne.
L'auteur est convaincu que l'esclavage de la ferrme cessera lorsque le mariage
sera basé sur l'amour: "L'amour est l'accord du besoin et du sentiment, le
bonheur en mariage résulte d'une parfaite entente des 3mes entre les époux." 2
Si jusqu'a présent nous insistons sur l'attitude progressiste de Balzac,
c'est pour montrer combien nous sommes loin de la soumission sociale qu'il
prê-chera après 1832. Une lecture de la Physiologie du mariage nous persuade que
le"romancier prend la défense des feITllles; mais nous pouvons déjA déchiffrer un
sens caché à certai nes idées, idées qui ressorti ront davantage dans les
pro-chaines pages. Par exemple, lorsque Balzac requiert un changement dans les
moeurs et les institutions, n'est-ce pas, précisément. pour préparer la jeune
fille ~ entrer volontairement dans la vie conjugale? Est-ce qu'il ne s'agit
pas plutôt de cultiver son obéissance et d'entretenir son inexpérience pour
<-être certain de lui faire accepter les devoirs du mariage de bon coeur?
2- Honoré de Balzac. PhaSiolog;e du mariage. Paris, Gallimard, Biblio-thèque de la Pléia e, tome
II, 1976.
p. 957.(
... .
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, 27
-En rêali tê, 11 émane; pation que 11 auteur réclame est très restreinte. La felTlTle, qui se soumet
a
son mari et se plie biena
son r01e social t doitetre formée de façon
a
éviter un développement excessif de son indépendance dlesprit; autrement dit, si elle reçoit une éducation trop libre et étendue, elle risque fort de devenir incapable dlaccepter le rOle d'épouse et de mère qui sera le sien.Autour des années 1831-32, BalzélC abandonne ,totalement le libéralisme de sa jeunesse. Bernard Guyon explique dans La Pensée pOlitique et sociale de Balzac que "l'évolution politique, inaugurée par Balzac au lendemain de la Révolution de Juillet, s'ach~ve, ~ la fin de 1831, par son adhésion au légi. timisme." 3
Nous devons également signaler que l'évolution politique et sociale du romancier correspond au progrès naturel de l'évolution hll11aine. Il est tout
a
fait nonnal qu'au libéralisme de la jeunesse succède le conservatismeo de la maturité.
lBa1zac) se fait ( ..• ) le porte-parole de la bourgeoi-sie dont l'antiféminisme redouble en vigueur par rêaction cO,ntre la licence du XVIIlême et contre les idées
prQgres-sistes qui la menacent. 4 \
Désormais, l'écrivain affirme que l'individu doit se soumettre aux lois de la sociêté, et il considère donc l'obéissance come l'une des premières vertus sociales. Il nlest plus question chez lui de changer la sociHê pour la ren-dre plus favorable au bonheur de l'individu: le Balzac de la maturité
3-
4-Bernard Guyon. la Pensée politique et sociale de Balzac. Paris, librairie Armand Colin,
1947,
p.489 .
Simone de Beauvoir. Le Deuxième sexe. Paris, Gallimard, volume l, 1949, p. 13 7 •
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"sacrifie l'individu ~ la soci~tê.
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Le changement des idées socio-politiques de Balzac entralne tout natu-rellement un changement des idées sur le mariage, l'une des institutions es-sentielles de l'état social. Tandis que l'auteur de la Physiologie du ma-riage exigeait des réformes pour rendre les mama-riages plus heureux, le Balzac de la maturité pense que celui qui veut vivre dans la société doit obéir
a
ses lois. Il ne faut pas se révolter contre le mariage, mais l'accepter tel qu'il est.Dans Physiologie du mariage, Balzac défend le mariage d'amour, tout en précisant qu'il s'agit d'un amour lIéclairé". et non de passion aveugle. Plus t;ard, il rejette entièrement l'amour comme fondement du mariage: il semble en effet considérer l'amour comme un sentiment fragile et destructif en face des réalités de la vie matrimoniale.
Avant de continuer notre étude, nous devons rappeler que Balzac a connu le mariage en théorie, non en pratique; il s'ensuit que le romancier parle souvent du mariage comme le ferait un célibataire. Cependant, il a eu des liaisons intimes avec plusieurs femmes. Pour Juanita Helm Floyd:
Bal zac aimai t ~ chercher la sympathi e et 1 a con-fiance des gens dont l'esprit avait des loisirs, et qui
~taient susceptibles de s'intéresser
a
ses affaires. Avec son tempérament d'artiste, il soupirait après le raffinement, la société et les délicates attentions qu'il trouva dans l'amitié de diverses femmes. 5Madame de Berny, la marquise de Castries, la duchesse d'Abrantês, par exemple,
5- Juanita Helm Floyd. Les Femmes dans la vie de Balzac. Paris, Li-bra i ri e Plon, 1926, p. , 54.
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( j ! , 1 j 1 f fincarnent chacune un des types que l'écrivain a dêcrit, dans ses romans.
29
-Panni toutes ces femmes, ;P'influence de Madame de Berny a êté la plus
6
marquante . En 1822, Balzac dêcouvre l'amour et le bonheur auprès de cette femme qui, par son âge, pourrait etre sa mère 7. Madame de Berny est devenue, pour le romancier, l'amie et la compagne qui devait lui enseigner les secrets de la vie. Les premières lettres entre les deux amants nous font assister
a
cette cristallisation dans le cerveau de Balzac de l'image de la femme.La conception que se fit Balzac de la femme en géné-ral, provient en grande partie de ses relations avec Madame de Berny durant ses années de jeunesse, et on peut suivre le dêveloppement dans toutes ses oeuvres. 8
Pourtant, l'amour de l'auteur pour cette femme ne pouvait aboutir qu'a une dê-ception étant donné l 'énonne diffêrence d'age: en 1832, elle décide de mettre
9 fin à leur liaison
Nous savons qu'~ la fin de sa vie, Balzac désirait se marier; il se voyait vieillir et, très malade,:;l
a,v.ait
le sentiment qu'il ne vivrait pas longtemps. Il n'existe aucune preuve précise qui pennette de dire que la vie conjugale de l'écrivain a été heureuse ou non. Il faut prendre en considéra-tion le fait que ses jours étaient comptés lorsqu'il s'est marié avec Madame Hanska en 1850. Nous pouvons supposer qu'avec l'aide de cette femme, Balzac aurait appris ~ conna1tre tous les reves et les déceptions d'un mariage .•
6- Nous avons dêja vu cette influence dans notre introduction.
7- Madame de Berny représente également la mère que Balzac n'a jamais eue. Nous y reviendrons plus loin lorsque nous pa'rlerons du thême
de l'adultêre.
8-
9-Juanita Helm Floyd, op. cît., p. 160.
La famille de Balzac avait longtemps désapprouvé ses relations avec Madame de Berny, et ~ maintes reprises avait esseyê de le marier avec une héritiêre quelconque. '
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(
30
-Dans plusieurs de ses romans, Balzac dépeint l'amour conme un
phéno-'mêne qui Ote la puissance ~ l'homme; la passion est une force qui ravage et
tue. Celui qui aime trop est nécessairen~nt maltraité par l'objet de son amour,
et le bonheur que donne une grande passion est condamné d'avance. Pour le
ro-mancier, le but du mariage est la continuation de la famille et la transmission
de l a fortune.
Or, si on considère le mariage ainsi, l'amour est 3 la fois inutile et
impossible: inutile, puisqu'il ne s'agit pas de bonheur, mais de devoirs
so-ciaux; impossible, pq/ce que l'écrivain pense que l'amour ne peut servir comme
base 3 une institution sociale aussi importante que le manage. La leçon qui
se dégage de La Comédie humaine est donc tr~s nette: l'institution du
maria-ge, selon les lois et les moeurs du XIXe siècle, doit exclure l'amour.
De cette mani~re, le Balzac de la maturitê reflHe exactement la
pen-, sée courante de l'époque. Simone de Beauvoi r fait le corn:nentai re sui vant:
1
"Balzac exprime dans toutes leurs inconséquences les idées de la bourgeoisie
conservatrice. Il reconnaît que dans le principe mariage et amour n'ont rien
~ voir ensemble ( ... )." 10 L'auteur, come la société dans laquelle il vit, croit que dans les contraintes d'un "amour conjugal", la femme doit bien
rem-plir ses devoirs d'épouse et de mère. Si Balzac défend souvent la femme,
ç'est ~ condition qu'elle reste dans son Ireile de "ma'îtresse de malson". Le romancier voit dans le mariage un devoir social nécessaire où les
rOles sont et doivent etre strictement hlérarchisês. En accord avec la
pen-sée de Joseph de Maistre et de Louis de Bonald " , Balzac estime que le mari
10-
11-Simone de Beauvoir, op. cit., volume II, p. 30.
Voir la note 1, Chapitre l, p. 11.
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-do; t ~tre un ma'are absolu t et le premi er devoi r de la ferrme est de respecter
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son autorité. En vérité, il trouve difficile d'accepter la notion de liberté
et d'égalité pour la femme rnari~e, et repousse fermement son émancipation.
De plus, Balzac estlme que si 1<1 fenlne est mal mariée, ene ne doit surtout pas chercher CI surmonter sa candi tion. Les réformes sociales et les
révolu-tians morales sont inutiles, car le v~ritable bonheur réside dans lE' sacri-fi ce.
Dans La Comédie humaine, ce qui frappe surtout le lecteur, c'est une
lourde atmosph~re de déséquilibre qui existe entre les sexes. Ceci s'explique
principalement par la situatlOn légale et sociale de la femme et de l'horrme.
Pour l'écrivain, l'horl1T1e, fort de son pouvoir marital, joue le rOle d'un
ty-ran qui a tous les droi ts sur l a personne et 1 es biens de sa femme.
Il s'ensui t que l'oeuvre balzaci enfle s'inspire, pour une très large
part. du Code civi 1 de 1804. Dans Eugénie Grandet, nous trouvons un passage
qui exprime c1airernent les idt'!es de l'auteur sur la question du mariage.
Charles écrit èl sa cousine Eugénie:
L'amour dans le mari age es t une chi mère. Aujour-d'hui mon expérience me dit qu'il faut obéir à toutes
les lois sociales et réunir toutes les convenances vou- ,'\
1 ues par le monde en se mariant. 12
Comme le suggêre Charles, la plupart des hérofnes de La Comédie humaine
font un grand effort pour bien s'adapter aux lois de la société, et
obser-ver rigoureusement les condi tions de leur contrat de mariage. Balzac exige
que le r01e de la ferrme soi t conforme exactement aux règles du Code civi 1.
12- Honoré de Balzac. Eugénie Grandet. Paris, Gallimard et Librairie Générale Française, 1965, pp. 222-223.
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Dans Mémoires de deux jeunes mariês, par exemple. halzac montre paral-ltlement deux Umariages d'amour qui êchouent. et un mariage de raison qui rêus-sft parfa; tement.
Mémoires de deux jeunes mariés peut être considéré comme un traité sur le rOle du mariage dans la sociêté et sur le danger des passions. Louise de Chaulieu croit que le mariage est fondé sur l'amour. Elle est heureuse parce qu'elle se sent née pour la passion. L'amour est son absolu, son infi-ni. l'un)que -principe qui gouverne sa vie. Mais son bonheur sera dêtruit:
---lorsque son époux meurt, épuisé par l'intensité de son amour pour sa ferrme,
-.,..
l' hêrofne se sent coupable et mal he ureuse. E11 e se rend três bi en compte que •
c'est elle qui l'a tué par ses exigences et ses jalousies, et elle en
souffri-1
ra pendant toute sa vie. L'écrivain montre ainsi les conséquences malheureu-ses d'un tel mariage.
Dans ce même roman, R:enêet devenue Madame de l' Estorade, se transforme
~e.tI'e épouse sage et raisonnable. Cette sagesse consiste
a
appliquerstric-tement les tennes du Code civil. Elle écrit
a
Louise: liEn restant fidê,léa
mes devoi rs, aucun malheur n'es ta
redouter. Il 13Dans La Cousi ne Bette, nous observons le même thême. Hortense tombe amoureuse de Wenceslas et confie sa vie
a
un homme qu'elle ne connatt pas. Ce couple.ri'a aucune possibilité d'apprendrea
se connattre avant le mariage, aussi leur mariage est un échec, m!me si les époux finissent paC seréconci-"
lier.
13- Honoré de Balzac. Mêmoires de deux jeunes mariés. Paris, Galli-mard, Bib1iothêque de la pléiade, tôme