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Portée de l'archéoentomologie dans l'étude des maisons hivernales inuites (période de contact à Dog Island, Labrador, 17e et 18e siècles)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Olivier Lalonde, 2020

Portée de l'archéoentomologie dans l'étude des

maisons hivernales inuites (période de contact à Dog

Island, Labrador, 17e et 18e siècles)

Mémoire

Olivier Lalonde

Maîtrise en archéologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

Portée de l’archéoentomologie dans l’étude des

maisons hivernales inuites (période de contact à

Dog Island, Labrador, 17

e

et 18

e

siècles)

Mémoire

Olivier Lalonde

Sous la direction de :

Allison Bain

James Woollett (codirecteur)

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iii

RÉSUMÉ

Cette recherche consiste en une analyse archéoentomologique portant sur des échantillons prélevés dans trois maisons hivernales inuites d’Oakes Bay 1, dans la région de Nain, au Labrador. L’analyse a deux objectifs : contribuer à la recherche sur la période transitoire critique que traversent les Inuits du Labrador entre le 17e et le 18e siècle, qu’on observe principalement dans un changement structural des maisons hivernales et explorer le potentiel de l’archéoentomologie dans les régions arctiques et subarctiques pour combler les lacunes dans nos interprétations. Une analyse approfondie de l’écologie des insectes indique que les assemblages archéoentomologiques provenant de contextes inuits ne sont pas les plus aptes à étudier les conditions de vie à l’intérieur des maisons. En revanche, ils servent à mieux comprendre l’utilisation de matériaux divers lors de l’occupation hivernale, à discuter du processus de formation du site et à éclairer le processus d’abandon temporaire et permanent de l’habitation hivernale, un aspect critique de l’histoire de l’occupation des sites archéologiques qu’il est difficile d’observer avec les méthodes de terrain conventionnelles.

An archaeoentomological analysis was conducted on sediment samples collected from three Inuit winter houses located at Oakes Bay 1, in the Nain region, Labrador. The analysis’ primary goal is to contribute new perspectives to research concerning the reorganization of Labrador Inuit winter houses and winter households during the 17th and 18th centuries, a significant period of transition in their history. Secondly, the project seeks to explore the potential of archaeoentomology to contribute to archaeology in the Arctic and Subarctic regions. Following an in depth analysis of the ecology of insects collected from Oakes Bay 1, we conclude that archaeoentomological assemblages from Inuit contexts are not well suited for the study of domestic living conditions. Instead, archaeoentomological assemblages were more productively employed to document the use of a variety of food and raw materials in the house, to document site formation and to shed light on temporary and permanent abandonment of winter houses, a critical aspect of the occupation history of all archaeological sites that is difficult to observe through conventional archaeological field methods.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures ... vii

Liste des tableaux ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Changements dans la structure des maisons hivernales des Inuits du Labrador ... 2

Sous-discipline de l’archéoentomologie ... 7

Utilité des insectes en archéologie ... 7

Brève histoire de la sous-discipline et des développements méthodologiques ... 9

Archéoentomologie des peuples paléoesquimaux et néoesquimaux dans l’Arctique nord-américain ... 11

Démarche théorique : écologie historique ... 13

Problématique ... 14

Plan du mémoire ... 15

Chapitre 1 – Contexte géographique et culturel : le Labrador et les Inuits ... 16

1.1. Contexte géographique de la région de Nain ... 16

1.1.1. Géographie physique de la côte du Labrador ... 16

1.1.2. Climat ... 16

1.1.3. Biogéographie de la région de Nain ... 17

1.2. Historique de l’occupation inuite du Labrador ... 18

1.2.1. Thuléens au Labrador (fin du 13e siècle au 15e siècle) ... 18

1.2.2. Période de transition : Les Inuits du 16e siècle au 17e siècle ... 21

1.2.3. Inuits aux 18e et 19e siècles ... 23

Chapitre 2 – Méthodologie ... 28

2.1. Oakes Bay 1, site à l’étude ... 28

2.1.1. Description physique du site ... 28

2.1.2. Brève histoire des interventions archéologiques ... 29

2.2. Interventions sur le terrain ... 30

2.2.1. Fouille des contextes à l’étude ... 30

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v

2.3. Traitement des échantillons ... 35

2.3.1. Choix des échantillons et limites de la méthode ... 35

2.3.2. Lavage et flottation au kérosène ... 35

2.3.3. Tri, identification des insectes et ouvrages de référence ... 36

2.4. Montage d’une collection de référence ... 38

2.5. Méthodologie analytique ... 39

2.5.1. Assemblage archéoentomologique... 39

2.5.2. Calcul du nombre minimal d’individus ... 39

Chapitre 3 – Résultats ... 41

3.1. Résultats de l’analyse archéoentomologique ... 41

3.1.1. Maison 3 ... 41

3.1.2. Maison 5 ... 49

3.1.3. Maison 4 ... 53

3.1.4. Échantillons hors site ... 57

Chapitre 4 – Interprétations ... 60

4.1. Traitement des données ... 60

4.1.1. Groupes indicateurs et groupes écologiques ... 60

4.1.2. Préférences écologiques ... 61

4.1.3. Groupes écologiques ... 63

4.1.4. Aleocharinae, Acidota quadrata et Eucnecosum brunnescens : Faune eurytope et faune d’arrière-plan ... 65

4.2. Nature de la faune et formation des assemblages archéoentomologiques ... 68

4.2.1. Présence de traces anthropiques dans un environnement naturel ... 68

4.2.2. Écologie du Labrador et documentation entomologique ... 72

4.2.3. Maison de tourbe comme biotope durant l’hiver au Labrador ... 73

4.3. Environnement extérieur ... 75

4.3.1. Échantillon hors site à 0 m ... 75

4.3.2. Échantillon hors site à 45 m ... 77

4.3.3. Échantillon à 135 m ... 78

4.4. Environnement intérieur des maisons inuites ... 79

4.4.1. Réflexion sur l’analyse comparative des maisons hivernales ... 79

4.4.2. Maison 5 ... 80

4.4.3. Maison 3 ... 85

(6)

vi

4.5. Retour sur l’analyse ... 93

Conclusion ... 96

Ce qui a été fait et ce qui est à faire ... 97

Bibliographie ... 100

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vii

Liste des figures

Figure 1. À gauche : Maison typique unifamiliale avec une plateforme de couchage au fond. À droite :

Maison typique multifamiliale avec une plateforme de couchage longeant tout les murs. . ... 3

Figure 2. Site d’Oakes Bay 1 et interventions archéologiques effectuées entre les années 2002 et 2007. 15 Figure 3. Maison 1 de type multifamiliale, Double Mer Point, Rigolet. Emplacement du coupe-froid, du tunnel d’entrée et de la plateforme de couchage.. ... 21

Figure 4. Sites hivernaux inuits dans la région de Nain.. ... 28

Figure 5. Contextes sélectionnés pour l’étude. ... 29

Figure 6. Tranchée de la maison 3, Oakes Bay 1. ... 32

Figure 7. Tranchée de la maison 5, Oakes Bay 1.. ... 32

Figure 8. Photo prise devant le premier échantillon hors site, orientée dans la même direction que la rangée d’échantillons prise hors site. Oakes Bay 1.. ... 34

Figure 9. Parties identifiables de l’insecte. ... 37

Figure 10. Élytre gauche d’Elaphrus lapponicus. ... 53

Figure 11. À Gauche : Acidota quadrata. Au centre : Eucnecosum brunnescens. À droite : Têtes d’Aleocharinae. ... 67

Figure 12. NMI de chaque taxon pour l’échantillon hors site Q10. ... 67

Figure 13. À gauche : Helophorus arcticus. Au centre : Tête et Élytre droit de Notaris aethiops. À droite : Cryphalus ruficollis ruficollis. ... 70

Figure 14. Pourcentages pour chaque groupe écologique excluant A. quadrata, ... 76

Figure 15. Tête d’Agoliinus sp. ... 77

Figure 16. Pourcentages pour chaque groupe écologique excluant A. quadrata, E. brunnescens et les Aleocharinae, échantillon hors site, 45 m. ... 78

Figure 17. Pourcentage pour chaque groupe écologique, maison 5. ... 81

Figure 18. Pourcentages des groupes écologiques pour les échantillons 586 (récent) et 589 (ancien), maison 5. ... 84

Figure 19. Pourcentage pour chaque groupe écologique, maison 3. ... 86

Figure 20. À gauche : Catops spp. À droite : Byrrhus kirbyi.. ... 87

Figure 21. Pourcentage des groupes écologiques pour les échantillons 566 (récent) et 570 (ancien), plancher, maison 3. ... 89

Figure 22. Pourcentage des groupes écologiques pour les échantillons 565 (récent) et 571 (ancien), plateforme de couchage, maison 3. ... 90

Figure 23. Pourcentage pour chaque groupe écologique, maison 4. ... 91

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viii

Figure 25. Dyschirius hiemalis. ... 115

Figure 26. Pterostichus brevicornis (tête et élytres). ... 116

Figure 27. Helophorus sempervarians. ... 117

Figure 28. Olophrum boreale. ... 118

Figure 29. Olophrum rotundicolle. ... 119

Figure 30. Euaesthetus cf. americanus (tête et pronotum). . ... 120

Figure 31. Holoboreaphilus nordenskioeldi. ... 121

Figure 32. Simplocaria metallica... 122

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ix

Liste des tableaux

Tableau 1. Liste des échantillons archéoentomologiques associés à chaque contexte et volume par

échantillon ... 34

Tableau 2. Provenance archéologique des échantillons sélectionnés, maison 3... 41

Tableau 3. Volume des échantillons traités à différentes étapes du processus, maison 3. ... 42

Tableau 4. Inclusions dans les échantillons, maison 3. ... 42

Tableau 5. Quantité moyenne de pupariums de mouches et d’acariens par pétri, maison 3. ... 43

Tableau 6. Identification des restes entomologiques, maison 3, par NMI. ... 43

Tableau 7. Provenance archéologique des échantillons sélectionnés, maison 5... 49

Tableau 8. Volume des échantillons traités à différentes étapes du processus, maison 5. ... 49

Tableau 9. Inclusions dans les échantillons, maison 5. ... 50

Tableau 10. Quantité moyenne de pupariums de mouches et d’acariens par pétri, maison 5... 50

Tableau 11. Identification des restes entomologiques, maison 5, par NMI. ... 51

Tableau 12. Inclusions dans les échantillons, maison 4. ... 54

Tableau 13. Quantité moyenne de pupariums de mouches et d’acariens par pétri, Maison 4. ... 54

Tableau 14. Identification des restes entomologiques, maison 4, par NMI. ... 55

Tableau 15. Inclusions dans les échantillons hors site. ... 58

Tableau 16. Quantité moyenne de pupariums de mouches et d’acariens par pétri, échantillons hors sites. ... 58

Tableau 17. NMI par taxon par échantillon, échantillons hors sites. ... 59

Tableau 18. Préférences écologiques de l’assemblage d’insectes. ... 61

Tableau 19. Groupes écologiques, Oakes Bay 1. ... 63

Tableau 20. NMI moyen par litre par échantillon, maison 5. ... 80

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x

Remerciements

Le premier remerciement revient à Allison Bain, directrice de recherche, qui m’a été de loin la ressource et le soutien le plus important lors des années qui ont mené à l’aboutissement de ce projet. Merci également à James Woollett, codirecteur, pour ses conseils et pour m’avoir donné l’occasion de visiter Dog Island. Ce fut d’une aide inestimable et une expérience que je n’oublierai pas de sitôt. Un merci à Nicole Castéran, traductrice, qui a accordé beaucoup de son temps à la révision de mon mémoire et qui m’a fourni un bagage linguistique inestimable à la poursuite de ma carrière ainsi qu’a Réginald Auger qui m’a donné cette opportunité.

Plusieurs entomologistes m’ont assisté dans l’identification de mes assemblages : Jan Klimaszewski et Caroline Bourdon de l’Insectarium René-Martineau du Centre de Foresterie des Laurentides, Patrice Bouchard, Adam Brunke, Douglas Hume, Yves Bousquet, Anthony Davies et Aleš Smetana de la Collection nationale canadienne d’insectes, d’arachnides et de nématodes d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ainsi que Paul Skelley, conservateur en chef du musée d’entomologie FSCA (Florida Department of Agriculture and Customer Services). Merci infiniment à Juliette Houde-Therrien pour le temps qu’elle a consacré au traitement des échantillons, à Jonathan Laroche qui m’a aidé en photographiant une grande partie de mon assemblage et à Frédéric Dussault pour ses connaissances dans le domaine de l’archéoentomologie qu’il a gracieusement partagées avec moi. Un merci spécial à mes proches : mes amis, ma famille et mes collègues qui m’ont soutenu et qui n’ont pas douté de moi.

J’aimerais finalement remercier et saluer mon ami Jérôme Paradis. Je sais que tu aurais été extrêmement fier de savoir que j’ai réussi. Te connaissant, tu aurais probablement voulu le lire même si tu ne connais rien aux insectes et aux Inuits parce que c’est le genre d’individu que tu as été. Merci d’avoir été là, je continue de penser à toi. Je suis fier d’avoir pu faire ta connaissance.

Ce projet a été rendu possible grâce au soutien financier et à l’encadrement du Groupe de recherche en archéométrie de l’Université Laval, de la Bourse St-Antoine et du Bureau des bourses et de l’aide financière.

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Introduction

Les Thuléens, ancêtres directs des Inuits, mettent leur adaptabilité et leur ingéniosité à profit lors de leurs déplacements dans l’Arctique canadien. Issus des cultures Punuk et Birnik établies en Alaska, ils vont migrer vers l’est et peupler rapidement les territoires qu’ils rencontrent entre le 10e et le 12e siècle (Fitzhugh 1977). Par la suite, certains Inuits gagnent le sud en passant par la côte du Labrador. Quant à la datation précise de ce déplacement, le débat est toujours ouvert. Que ce soit vers la fin du 13e siècle selon certains (Fitzhugh 1994; Kaplan 2012 : 16) ou vers la fin du 15e siècle selon d’autres (Rankin 2009; Rankin et Ramsden 2013), il n’en demeure pas moins que le peuplement du Labrador par les Inuits s’effectue rapidement.

La capacité d’adaptation des Inuits du Labrador s’observe ailleurs que dans leur schème d’établissement. Des industries sophistiquées, notamment de l’os, de l’andouiller, l’ivoire, du bois et de la pierre, (McGhee 2004) spécialisées dans l’exploitation maritime caractérisent cette culture. Des outils de chasse tels que le harpon, le dard et l’arc font partie de l’arsenal. Chasseurs-cueilleurs semi-sédentaires, les Inuits habitent des maisons semi-permanentes durant la saison hivernale. Les « villages d’hiver » (winter settlements) sont généralement localisés dans des lieux abrités dans les baies, sur les îles ou près des polynies, espaces libres de glaces sur la banquise (Kaplan 1980, 1983; Woollett 2003 : 47). Les Inuits choisissent ces endroits afin d’exploiter efficacement les ressources maritimes en fonction de la formation, dela distribution et du mouvement des glaces. En été, ils adoptent un mode de vie nomade, préférant la tente, et s’aventurent fréquemment loin des côtes pour exploiter les ressources terrestres. Compte tenu de leurs déplacements rapides dans l’Arctique canadien dans un premier temps et dans le Labrador dans un deuxième temps, il n’est pas surprenant d’assister à des transformations dans la culture inuite établie au Labrador. En considérant leur ingéniosité et la diversité de ressources matérielles à leur disposition, ils ont tout en main pour répondre aux changements s’opérant dans leur environnement naturel et culturel.

Pour les archéologues toutefois, ces changements dans la culture inuite ne sont pas toujours faciles à étudier. Une difficulté provient du peu de traces archéologiques observables laissées par les Inuits. Pour l’étude des peuples nomades et semi-sédentaires de la préhistoire nord-américaine, les archéologues profitent habituellement d’une industrie de la pierre taillée relativement bien développée qui laisse de nombreuses traces. Puisque les Inuits ne sont pas de grands utilisateurs de pierre taillée (ils sont plutôt associés à l’utilisation de la pierre polie, de la stéatite et des métaux martelés à froid), il arrive que de mauvaises conditions de préservations ne laissent que peu d’indices de leur passage. Par chance, un

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élément de taille marque le paysage : les sites d’occupation hivernaux, et plus particulièrement les maisons hivernales.

Changements dans la structure des maisons hivernales des Inuits du

Labrador

La maison d’hiver inuite traditionnelle qu’on trouve dans l’Arctique orientale permettait typiquement d’accueillir une seule famille (Kaplan 1983). C’est une maison semi-souterraine creusée dans la tourbe et couverte d’un toit fait de bois ou d’os de baleine, en fonction de la disponibilité de la ressource, de tourbe et de pierres (figure 1). Le plancher est pavé de pierres dans l’aire centrale et une plateforme de couchage se situe généralement au fond de la maison. La maison est habituellement petite et arrondie et ne contient qu’une seule plateforme de couchage et une surface pour poser une lampe de stéatite servant à diverses activités dont les principales sont le chauffage, l’éclairage et l’alimentation.

Au cours du 17e siècle, la maison devient plus grande et rectangulaire avec plusieurs plateformes de couchage et surfaces pour les lampes de stéatite. Elle est désormais assez grande pour accueillir jusqu’à quarante personnes, mais n’en abrite généralement qu’une vingtaine (Taylor 1974; Schledermann 1976b : 27). Les maisons sont habituellement occupées par deux familles nucléaires ou polygames ou plus, normalement de la même parenté et souvent composées de mariages polygynes (Taylor 1968). Vers la fin du 19e siècle, les Inuits abandonnent ce style de maison multifamiliale pour retourner à la maison unifamiliale (Kaplan 1983 : 244).

En considérant la complexité du contexte dans lequel les Inuits du Labrador évoluent, il n’est pas surprenant d’assister à des divergences dans les hypothèses des archéologues concernant les raisons derrière ces changements dans la structure des maisons hivernales. La contribution de quelques chercheurs dans les décennies précédentes a permis d’attester ce phénomène (Holtved 1944; Bird 1945). Cependant, c’est Peter Schledermann (1971) qui donne à cette phase l’appellation de communal

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Les fouilles de Schledermann à Saglek Bay en 1970 ont conduit à l’élaboration d’une hypothèse penchant fortement vers le déterminisme environnemental : la vie en communauté aurait été adoptée en réaction à des facteurs environnementaux changeants (Schledermann 1976a : 36). L’auteur affirme que les conditions climatiques se sont détériorées durant la période d’adoption des maisons multifamiliales, provoquant une augmentation de la quantité de glaces de mer, ce qui aurait en retour rendu la chasse à la baleine, proposée comme ressource alimentaire fondamentale, plus ardue pour les Inuits. L’adoption de maisons multifamiliales en hiver serait une réponse à ces conditions difficiles : les Inuits se groupent pour augmenter l’efficacité de la chasse (Schledermann 1976a : 45). De plus, les avantages socio-économiques de l’habitation multifamiliale seraient de permettre un meilleur partage de la nourriture (spécifiquement le phoque annelé).

Dans les mêmes années, Richard Jordan (1978) propose des hypothèses radicalement différentes de celles de Schledermann, écartant le facteur naturel au profit du facteur social. Il effectue des fouilles intensives dans Hamilton Inlet pour étudier la période de contact entre Inuits et Européens (Jordan 1978 : 175) et il se retrouve en désaccord avec l’hypothèse de Schledermann. Il soutient que la refonte de l’organisation sociale telle que son collègue la décrit est peu plausible puisque les produits de la chasse étaient déjà partagés au-delà de la cellule familiale avant la phase des maisons multifamiliales (Jordan 1978 : 184). Jordan défend plutôt la montée en puissance d’hommes au statut supérieur, appelés

Figure 1. À gauche : Maison typique unifamiliale avec une plateforme de couchage au fond. À droite : Maison typique multifamiliale avec une plateforme de couchage longeant tout les murs. Image modifiée de Bird (1945).

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les big men, dont Garth Taylor (1974) atteste l’existence au Labrador dans la deuxième moitié du 18e siècle. Leur présence au sein du noyau multifamilial permettrait un meilleur contrôle et un meilleur accès aux ressources européennes limitées.

Susan Kaplan (1983) soutient l’hypothèse sociale grâce à une synthèse des données archéologiques et ethnohistoriques exhaustive lui permettant de mieux définir le système d’échange chez les Inuits du Labrador. Selon elle, la période d’adoption des maisons hivernales multifamiliales se caractérise par une augmentation de la population, bien que la cause ne soit pas discutée en détail. Au lieu de provoquer une augmentation du nombre de villages, elle soutient que la croissance démographique aurait plutôt comme conséquence un agrandissement des noyaux familiaux (Kaplan 1983).

Devant ces deux hypothèses en apparence opposées concernant l’adoption des maisons multifamiliales, Barnett Richling (1993) emprunte un chemin médian. Il se détache du facteur climatique, l’hypothèse de Scheldermann ne permettant pas d’expliquer ce qui provoque le phénomène dans le sud du Labrador, et doute que l’existence d’une croissance démographique soit aussi simple à prouver que le propose Kaplan. Finalement, il conteste l’hypothèse selon laquelle les biens européens sont considérés comme une propriété privée et que la société inuite traversait une période de changements socioculturels. Selon lui, les Inuits se sont simplement adaptés à la faible quantité de biens d’échange et de matériaux de construction disponibles en adoptant une forme plus avancée de communalisme (Richling 1993).

Au début des années 2000, James Woollett (2003) révise les hypothèses présentées plus haut grâce aux apports de la zooarchéologie dans le cadre de son doctorat. Selon lui, ces hypothèses ont des implications économiques et écologiques inhérentes et elles peuvent être étudiées à l’aide d’études paléoenvironnementales. Il concentre ses efforts sur la zooarchéologie, l’étude des restes animaux sur les sites archéologiques, qui pourrait faire progresser quelques éléments du débat sur les maisons communautaires (Woollett 2003 : 7). Woollett propose que le modèle social de Jordan (1978) soit étudié plus en profondeur. L’adoption des maisons multifamiliales aurait été une excellente façon de faciliter la coopération lors de l’organisation de chasses en mer ouverte, principalement pour la chasse à la baleine (Taylor 1974 : 46). De plus, elle aurait facilité l’apparition d’une hiérarchie et d’une autorité économique patriarcale traditionnelle au sein de la culture inuite (Woollett 1999 : 383). Finalement, en opposition avec le scénario que propose Schledermann, Woollett démontre que la chasse connait une diversification des espèces chassées et que les saisons d’exploitation sont plus variées.

Par la suite, Kaplan et Woollett (2000) allient les études en zooarchéologie, une synthèse des travaux sur les Inuits ainsi que des données ethnohistoriques pour offrir une nouvelle hypothèse. Ils démontrent

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que le climat n’était pas plus rigoureux durant la période des maisons multifamiliales qu’il ne l’était avant, ce qui assurerait même une certaine stabilité économique aux Inuits. Selon les auteurs, les Inuits auraient pu sentir leur culture menacée par la présence grandissante des Européens dans la région, notamment à partir de 1771 avec l’intérêt nouveau des missionnaires moraves pour la conversion des Inuits au Christianisme (Taylor 1974). La proximité favorisée par la vie dans les maisons multifamiliales et une augmentation de l’importance du leadership auraient contribué à raffermir la solidarité au sein des collectivités inuites et à assurer un certain degré de sécurité (Kaplan et Woollett 2000 : 357).

Finalement, avec son approche post-colonialiste, Peter Whitridge (2008) cherche à remettre les changements culturels inuits dans le contexte de leur histoire depuis leur départ de l’Alaska. Pour ce dernier, la période de contact prend plus de place dans le discours des archéologues qu’elle ne le devrait. Whitridge voit une tendance chez ces derniers à décrire l’influence européenne avec plus d’importance qu’elle en aurait pour les Inuits (Whitridge 2008 : 291). Pour lui, les habitations hivernales n’ont jamais vraiment cessé de changer au cours des siècles et la période de contact n’est qu’une étape de plus dans l’histoire des Inuits. Les généralisations proposées ne seraient pas applicables à l’étendue du territoire occupé par les Inuits tant la situation change selon la région étudiée. Pour le Labrador, la présence européenne serait probablement en partie responsable.Ainsi, le départ et la perte de plusieurs hommes, à cause d’affrontements avec les Européens ou de déplacements pour le sud par exemple, auraient pu entraîner un déséquilibre dans la structure sociale inuite. L’adoption des maisons multifamiliales serait un exemple d’adaptation à ce phénomène (Whitridge 2008).

Cette brève synthèse sur les maisons hivernales inuites sert avant tout à illustrer la pluridisciplinarité et la complexité caractérisant ce débat. Depuis le début du 21e siècle, les chercheurs s’intéressant à ce sujet se sont multipliés, mais les efforts prennent une direction un peu différente. Le tournant du siècle voit une propension des archéologues à repousser les modèles généralistes en faveur des analyses spécialisées et des études dont le sujet est plus précis (Praetzellis 2015 : 174). Cette tendance est observable dans le cadre du débat sur l’adoption des maisons multifamiliales. Woollett et Kaplan sont en quelque sorte les pionniers de ce mouvement en entreprenant plusieurs projets en archéologie environnementale. Woollett ouvrira lui-même la porte avec l’application de l’approche zooarchéologique et sera suivi par ses étudiants en zooarchéologie notamment Lindsay Swinarton et Martin Fields (Swinarton 2008; Fields 2016). S’y ajoutent des études archéobotaniques avec Ashlee-Ann Pigford et Cynthia Zutter (Zutter 2009, 2012; Pigford et Zutter 2014) et géoarchéologiques avec Andréanne Couture et Natasha Roy (Roy 2010; Roy et al. 2012; Couture 2014; Couture et al. 2016a, 2016b). Yann Foury allie même la zooarchéologie et la géoarchéologie dans le cadre de sa maîtrise (Foury 2017). Tous ces travaux sont encouragés par Woollett et Kaplan et portent donc sur des régions

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particulières. Le site d’Oakes Bay 1 sur Dog Island est le plus étudié avec l’île de Koliktalik, située à proximité. Le site de Uivak 1, dans le nord du Labrador, est également souvent représenté dans ces travaux.

Les contributions de l’archéologie environnementale à l’étude des maisons hivernales inuites sont aussi nombreuses que variées. Les travaux de Zutter ont servi à analyser la diversité alimentaire des Inuits et à appuyer l’hypothèse de Kaplan et Woollett (2000) selon laquelle l’existence de surplus alimentaires durant le Petit Âge glaciaire était plausible (Zutter 2009, 2012). L’analyse de Pigford et Zutter sur des phytolithes prélevés dans des lampes de stéatite du 18e siècle sur le site d’Oakes Bay 1 a démontré que les plantes ont joué un rôle plus important que soupçonné jusqu’alors dans la vie des Inuits (Pigford et Zutter 2014). En effet, on s’en sert pour le chauffage, pour l’alimentation et comme matériaux de construction en plus d’exploiter certaines plantes ayant des propriétés médicinales.

Couture (2014) applique les sous-disciplines géoarchéologiques de la sédimentologie, de la micromorphologie et de la géochimie au contexte de la maison multifamiliale pour tenter d’identifier des traces anthropiques dans les dépôts sédimentaires étudiés par les archéologues. Elle atteint ses objectifs dans l’ensemble, ce qui s’avère crucial pour le développement des disciplines énumérées ci-dessus. Bien qu’elle n’ait que partiellement atteint l’objectif secondaire de chercher à mieux comprendre les aires d’activités durant la période de contact, l’application de ces analyses à un contexte nouveau aura permis de dévoiler son potentiel (Couture 2014; Couture et al. 2016a, 2016b).

Dans les mêmes années, Roy (2010) applique elle aussi la géoarchéologie à cette question de recherche en s’intéressant à une dimension différente. Elle entreprend de reconstituer l’histoire naturelle des sites d’Oakes Bay 1 et de Koliktalik 6 à l’aide de la géomorphologie et d’une multitude d’analyses en laboratoire. Ultimement, sa recherche lui permet d’affirmer que les variations climatiques ont eu des répercussions sur l’occupation du territoire par les Thuléens et les Inuits, réintroduisant de ce fait la variable environnementale dans ce débat (Roy 2010; Roy et al. 2012). Elle observe que les Inuits de la région ont choisi des endroits plus protégés des intempéries pour s’installer en hiver et ont eu recours aux ressources disponibles à proximité pour s’adapter aux conditions froides du Petit Âge glaciaire (Roy 2010 : 66).

Finalement, on retrouve deux essais sur les assemblages zooarchéologiques de la région de Nain. Fields (2016) présente un mémoire sur l’assemblage faunique du site d’Ikkeghasarsuk, sur l’île de Koliktalik. Ses résultats permettent de reconstituer les stratégies d’occupation du territoire par les occupants de ce site avec une grande précision. Foury (2017) allie micromorphologie et zooarchéologie afin de proposer

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une chronologie d’occupation précise de deux maisons du site d’Oakes Bay 1. Ses résultats démontrent que les Inuits ont occupé les maisons hivernales régulièrement et il arrive même à valider son hypothèse de recherche selon laquelle on peut observer une réponse adaptative des Inuits par rapport aux variations climatiques. Concrètement, il remarque que durant les périodes d’instabilité climatique, les maisons d’Oakes Bay 1 étaient moins fréquentées. S’il était plus difficile de prévoir où se trouvaient les phoques durant ces périodes, les Inuits ont peut-être simplement préféré des endroits plus sûrs (Foury 2017 : 132).

L’adoption des maisons multifamiliales est aujourd’hui beaucoup mieux comprise grâce aux sous-disciplines de l’archéologie environnementale présentées ci-dessus. Chacune approche le sujet d’un angle différent tout en gardant une ligne directrice : la problématique de l’adoption des maisons multifamiliales. Il en résulte des travaux se complémentant mutuellement, s’appuyant l’un sur l’autre pour faire avancer leur sous-discipline respective. Par exemple, Foury et Roy arrivent à une conclusion similaire selon laquelle les Inuits ont adapté leur schème d’établissement en fonction du climat devenu plus difficile. Ce paradigme archéologique est donc idéal pour l’application de la sous-discipline choisie pour ce projet : l’archéoentomologie.

L’approche archéoentomologique

Rôle des insectes en archéologie

L’archéologie environnementale, discipline incluant l’archéoentomologie, est l’étude des sédiments provenant des sites archéologiques et du matériel d’origine naturelle qu’ils contiennent. Elle s’intéresse particulièrement à l’interaction entre les environnements biotiques et abiotiques et les populations humaines qui ont vécu dans ces milieux (O’Connor et Evans 2005 : 1; Reitz et al. 2012 : 1). L’archéologie environnementale fait appel à la géologie, la géographie, la biologie, l’histoire, l’anthropologie et même la sociologie (Kenward 2009 : 5).

L’archéoentomologie est l’étude des restes d’insectes présents dans les sédiments archéologiques. Grâce à leurs niches écologiques diversifiées et parfois très spécifiques, les insectes nous renseignent sur l’écologie, le climat, l’état de salubrité des habitats humains, les pratiques hygiéniques et les activités comme le commerce, l’alimentation et l’entreposage des biens de consommation. Au sein du phyllum des arthropodes, diverses espèces d’insectes sont hautement dépendantes de l’humain (espèces anthropophiles et synanthropes), certaines comme parasites ou espèces nuisibles vivant directement sur leur hôte. Il est donc fréquent de les trouver dans les sols archéologiques. Harry Kenward remarque

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que la présence des insectes dans l’environnement est souvent négligée par l’humain tant qu’elle n’est pas incommodante, ce qui fait de ces créatures des « observateurs objectifs » discrets de l’environnement dans lequel on les observe (Kenward 2009 : 6). De plus, l’alimentation du Phyllum des insectes est très variée et ils occupent pratiquement tous les environnements imaginables. Il n’est donc pas surprenant de retrouver des insectes dans des échantillons collectés en milieu anthropisé, même si les conditions semblent défavorables.

Les insectes présentent un autre avantage : l’entomofaune a relativement peu évolué durant les périodes de l’histoire de l’humanité qu’on étudie : l’archéoentomologie se base sur le concept de constance des espèces (species constancy), c’est-à-dire que les insectes n’ont pratiquement pas changé de niches écologiques depuis la préhistoire (Kenward 1976 : 8; Coope 1978 : 185; Buckland 2000 : 6). La réponse adaptative de ces derniers favorise la migration plutôt que l’adaptation des mœurs aux facteurs de changements. En partant du postulat que les insectes actuels ont sensiblement les mêmes habitudes écologiques qu’il y a cent ans ou mille ans, on peut faire appel à la littérature entomologique moderne pour étudier les assemblages entomofauniques provenant de contextes archéologiques.

Les insectes les plus communément étudiés en contexte archéoentomologique sont les coléoptères. Une chitine particulièrement épaisse formant un exosquelette robuste les caractérise. Parmi les nombreux avantages qu’ils apportent à l’étude en contexte archéologique, un des plus importants est leur excellente résistance à la dégradation dans les sols archéologiques grâce à cet exosquelette épais. En plus d’occuper des niches écologiques souvent spécifiques, leur présence dans les assemblages archéoentomologiques est généralement indicatrice de l’environnement duquel ils proviennent puisqu’ils ont tendance à être peu mobiles.

Si les coléoptères dominent dans les assemblages archéoentomologiques, ce ne sont pas les seuls arthropodes (les insectes étant les principaux représentants de cet embranchement) présents. Plusieurs autres ordres ont été étudiés dans des contextes différents, ce qui ouvre de nouveaux horizons. Bien que la présence occasionnelle de certains ordres tels que les hémiptères (punaises, cigales et pucerons) et les orthoptères (sauterelles et criquets) ait servi à complémenter les analyses archéoentomologiques, on pense surtout aux diptères (mouches), aux acariens et aux ectoparasites. Les acariens et les mouches ont permis d’aborder des sujets aussi variés que la mort, les pratiques funéraires, la maladie, l’hygiène et la densité animale sur un site (par exemple : Skidmore 1996; Panagiotakopulu 2004; Chepstow-Lusty et

al. 2007; Huchet et al. 2013a, 2013 b). Ces arthropodes n’ont commencé à prendre de l’importance dans

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En archéoentomologie, les ectoparasites font référence à un groupe écologique plus qu’à une unité taxonomique. Ce sont des insectes qui vivent sur la peau d’un autre organisme, l’hôte, au détriment de celui-ci (Hopla et al. 1994). Les espèces les plus communément trouvées dans les sédiments archéologiques sont le pou et la puce chez l’humain et toutes deux ont été étudiées partout dans le monde (Forbes et al. 2013 : 1; Huchet 2015). D’autres espèces telles que le morpion et la punaise de lit peuvent aussi parasiter l’humain, mais elles sont moins fréquentes (Bain 2004; Dussault 2011; Forbes et

al. 2013). L’étude des ectoparasites contribue à la recherche sur les conditions de vie et les pratiques

hygiéniques (Bain 2004; Kenward 2009; Forbes et al. 2014). Elle sert aussi à discuter de la présence animale, parfois indiquée par la découverte d’ectoparasites d’animaux qui vivent avec l’humain (Kenward 2009, Forbes et al. 2010).

Brève histoire de l’archéoentomologie et de ses développements méthodologiques

L’archéoentomologie est une sous-discipline relativement jeune. La méthodologie qu’on utilise de nos jours a tout de même été testée à maintes reprises dans le passé afin de bien cerner ses forces et ses limites. L'archéoentomologie a fait ses preuves mais il n’en demeure pas moins important de se pencher sur son l’histoire afin de comprendre quels en sont les enjeux actuels, les limites et les forces.

L’archéoentomologie est issue de la paléoentomologie dont un des principaux intérêts est l’étude des insectes fossiles et subfossiles dans le but de reconstruire les environnements du Quaternaire (Lowe et

al. 1984 : 1). Les travaux de Russell Coope sur des insectes de cette période géologique, couvrant les

deux derniers millions d’années (Coope 1970), ont inspiré les futurs archéoentomologistes à s’intéresser aux insectes en contexte archéologique. La discipline existait cependant déjà dans une forme plus rudimentaire au début du 20e siècle. Une des premières études archéoentomologiques appliquées sur un site archéologique remonte à 1911, avec les fouilles des sites romano-britanniques de Caerwent et de Silchester, en Angleterre (Lyell 1911). Cette étude consiste en fait en un bref appendice sur les restes d’insectes trouvés sur les sites sans avancer d’interprétation. Il faut donc attendre les années 1970 pour voir réellement naître l’archéoentomologie en tant que sous-discipline à part entière.

Russell Coope et Peter Osborne (1968 : 84) décrivent pour la première fois la démarche utilisée pour le traitement des échantillons. L’article présente une énumération relativement détaillée des étapes suivies. Avec ce projet, ils jettent les bases de la méthodologie qui définira l’archéoentomologie. Durant les années suivant la parution de ce travail, les archéologues accueillent avec prudence la méthode d’analyse de Coope et Osborne (Kenward 1974 : 20; Speight 1974). On assiste donc, surtout durant les

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années 1970, à une exploration de la méthode par des chercheurs qui travaillent à définir les limites de l’archéoentomologie (Speight 1973; Kenward 1974, 1975, 1976, 1997; Buckland 1976; Morgan et Morgan 1980; Kenward et al. 1980; Kenward et Hall 1997; Kenward et Carrott 2006; Rousseau 2009). En 1980, Kenward et ses collaborateurs mettent au point une méthode d’analyse détaillée et universellement reconnue encore aujourd’hui (Kenward et al. 1980).

Kenward est certainement un des principaux instigateurs de cette poussée de la recherche sur l’archéoentomologie qu’il entame avec l’introduction des concepts de faune « d’arrière-plan » et de faune « indicatrice ». Dans les années 1970, il prélève des échantillons en milieux urbains contemporains et procède à une expérience ayant pour but de vérifier la pertinence de la sous-discipline. Son expérience lui permet de distinguer deux groupes d’insectes relevés dans les échantillons : les insectes présents dans les dépôts correspondant à leur habitat et les insectes dont la présence est accidentelle (Kenward 1975, 1976). Il signale l’importance de faire la différence entre la faune dite d’arrière-plan et la faune indicatrice de l’environnement naturel et du contexte anthropique du site. Cette réflexion sur l’importance interprétative accordée aux différents taxons est en quelque sorte à la base de la plupart des analyses faites en archéoentomologie aujourd’hui.

Plus tard, Kenward et Allan Hall (1997) poussent plus loin leur exploration des concepts de faune indicatrice et de faune d’arrière-plan. Ils soulignent la complexité de l’interprétation des résultats en raison de la présence de la faune d’arrière-plan et de groupes dont l’identification apporte peu à l’étude. Certaines espèces peuvent être associées à plusieurs niches écologiques distinctes, complexifiant encore plus le travail de reconstitution des environnements du passé. Ils proposent à cet effet une méthode consistant à faire des groupements fonctionnels d’insectes et non des groupements taxonomiques (Kenward et Hall 1997 : 665), ce qui met l’accent sur la capacité des insectes à servir de biomarqueurs. Les groupes indicateurs, en regroupant les insectes en fonction de leur écologie et de la valeur interprétative pour l’analyse, font le lien entre la signature naturelle des insectes et l’humain ou l’environnement humain à l’étude.

On introduit le concept de biogéographie insulaire à l’archéoentomologie un peu avant les années 1990 (Buckland 1988; Sadler 1990). En écologie, on utilise le concept pour étudier les facteurs influençant la formation d’écosystèmes sur les îles et autres endroits isolés. En archéologie, on postule que les établissements humains peuvent être traités de façon similaire lorsqu’il est question de l’introduction d’espèces synanthropes (donc dépendantes de la présence humaine) à de nouveaux environnements. En 1997, Kenward s’intéresse à son tour au concept et formule quelques postulats applicables aux milieux urbains dont un en particulier est d’une importance capitale pour un contexte tel celui des maisons

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inuites : « La survie des communautés d’espèces synanthropes dépendrait de la taille des établissements et de la diversité écologique, mais aussi de la stabilité écologique et en particulier de la continuité de l’occupation humaine » (Kenward 1997 : 137). Ce postulat s’applique aux sites urbains pouvant offrir la stabilité écologique et la continuité d’occupation nécessaire à l’évolution des populations d’insectes synanthropes. En revanche, la maison hivernale abandonnée en été pourrait se révéler inadéquate. C’est principalement pour cette raison que l’archéoentomologie dans l’Arctique canadien se distingue de l’archéoentomologie plus traditionnelle en milieu urbain.

Archéoentomologie des peuples paléoesquimaux et néoesquimaux dans l’Arctique

nord-américain

Les premières études conduites en archéoentomologie dans l’Arctique nord-américain se focalisent sur l’aspect biogéographique. Le terrain d’étude est le Groenland avec Niels Haarlov (1967) qui, le premier, lie des restes d’insectes provenant de couches naturelles à un dépôt anthropique pour décrire l’environnement local. Il sera suivi par plusieurs chercheurs qui empruntent deux directions différentes : l’étude des établissements historiques permanents et les sites paléoesquimaux et néoesquimaux semi-permanents.

Peter Skidmore et Paul Buckland sont les premiers archéoentomologistes à étudier des établissements humains permanents dans l’Arctique et dans l’Atlantique. Ils s’intéressent aux sites norrois du Groenland et de l’Islande (Buckland et al. 1983, 1986a; Skidmore 1996; Forbes et al. 2014 : 3). Buckland a beaucoup travaillé sur les Norrois afin de reconstituer leurs activités à l’aide de l’archéoentomologie (Buckland et al. 1983, 1986b, 1995, 2009; Buckland et Sadler 1989). Ses recherches ont permis par exemple d’observer certaines pratiques qu’ils ont introduites au Groenland et en Islande comme le compostage et l’utilisation du compost dans les champs cultivés (Buckland et al. 2009). Dans les dernières années, la recherche sur les Norrois se poursuit dans la même direction avec Véronique Forbes (Forbes 2009, 2015; Forbes et Milek 2013; Forbes et al. 2010, Forbes et al. 2014), Eva Panagiotakopulu (Panagiotakopulu et al. 2007, 2012; Panagiotakopulu et Buckland 2013) et Kim Vickers (2006; Vickers et al. 2005).

Il faut attendre presque trente ans pour que des chercheurs s’intéressent au potentiel archéoentomologique des sites paléoesquimaux et néoesquimaux. Jens Böcher et Bent Fredskild (1993) observent la faune archéoentomologique du site de Qeqertassussuk, sur la côte ouest du Groenland. La fouille du site archéologique, appartenant à la culture Saqqaq (2400 à 800 av. J.-C.), a permis de récolter plus de 100 000 ossements et d’en déduire une économie diversifiée (Gronnow 1994 : 202). Les efforts

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de Böcher et Fredskild portent sur l’importance des ressources animales pour les cultures paléoesquimaudes et néoesquimaudes, sujet qu’ils étudient via le prisme de l’archéoentomologie (Forbes et al. 2014 : 13). Ils ont interprété la présence de puces d’oiseaux comme un indice de l’exploitation d’oiseaux marins par la culture Saqqaq de Qeqertassussuk (Böcher et Fredskild 1993). Allison Bain (2001) poursuit dans cette direction, cette fois avec des restes provenant d’un site archéologique inuit datant du 18e siècle, situé au Labrador et nommé Uivak Point. Intégrée à la thèse de Woollett (2003), son étude a servi à appuyer les hypothèses de fouille et les analyses zooarchéologiques sur l’occupation de la maison.

Dernièrement, des évaluations archéoentomologiques portant sur les sites inuits de Double Mer Point (GAIA 2015, 2016, 2017), de North Island et de Great Caribou Island (Dussault et Bain 2013) servent à décrire avec plus de précision comment était entretenue la maison et quels matériaux les Inuits utilisaient pour la literie et comme revêtement de plancher. On y décrit l’utilisation des branches et de mousse pour couvrir le plancher et la plateforme de couchage. On note également la présence d’espèces synanthropes originaires d’Europe dans les échantillons, ce qui indique que des échanges de produits alimentaires comme le blé ont eu lieu entre les deux peuples.

Finalement, l’archéoentomologie nous renseigne sur certaines pratiques hygiéniques des Inughuits (nom donné aux Inuits du Groenland) grâce à l’étude des ectoparasites comme les poux, les puces et les morpions. La découverte de huit momies au site de Qilikatsoq a été une excellente occasion pour les archéoentomologistes d’observer les pathologies affectant les Inughuits (Hansen et al. 1991). Après une analyse détaillée, la découverte de poux sur le cuir chevelu des habitants, mais surtout dans leur contenu intestinal laisse à penser que ces derniers tuaient les poux et les ingurgitaient (Hansen et al 1991). Frédéric Dussault (2011; Dussault et al. 2014) a mené le plus récent projet d’envergure en archéoentomologie dans l’Arctique sur les sites inughuits de Lita, du cap Grinnell et de Qaqaitsut, dans le nord-ouest du Groenland. La faible quantité de coléoptères contenue dans ses échantillons l’encourage à orienter sa recherche vers les seuls arthropodes qu’il y trouve en quantité suffisante, les ectoparasites. Il met en évidence la distribution de ces insectes dans la maison et confirme que l’archéoentomologie peut attester des pratiques hygiéniques décrites dans la tradition orale (Dussault 2011 : 92; Dussault et al. 2014). Cette recherche atteste par exemple de l’épouillage, pratique observée dans la tradition orale des Inughuits. La distribution des poux dans les maisons indique qu’on préférait procéder à l’épouillage dans le tunnel d’entrée (Dussault 2001 : 87).

Récemment, en 2014, Forbes et ses collaborateurs synthétisent l’ensemble des recherches comportant sur l’archéoentomologie de l’Atlantique Nord (Forbes et al. 2014). Cette synthèse démontre bien que

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l’accent a surtout été mis sur les fermes norroises de l’Islande, du Groenland et des Îles Féroé (incluses dans la région nord atlantique dans cette publication). La recherche sur les sites de chasseurs-cueilleurs est encore jeune et la portée de cette dimension de l’archéoentomologie de l’Atlantique nord encore peu connue.

Démarche théorique : écologie historique

Pour l’archéoentomologie comme pour les autres disciplines qui se sont penchées sur le problème des maisons multifamiliales, la relation culture-environnement fait figure de point central. Dans le cadre de son étude environnementale, Woollett (2003) adopte l’écologie historique puisqu’il la trouve peu restrictive. On préconise ici aussi l’utilisation de cette approche afin d’explorer la relation humain-environnement sans limitations liées au cadre théorique.

Le concept d’écologie historique est né d’une convergence d’écoles de pensées qui s’intéressent à la relation entre l’humain et l’environnement telles que le matérialisme historique, l’écologie culturelle et l’écologie évolutionnaire (Crumley 1994; Balée 1998 : 2). William Balée (1998 : 3) définit l’écologie historique de la façon suivante : « l’écologie historique implique l’étude empirique de la relation entre l’humain et la biosphère dans des contextes temporels, régionaux, culturels et biotiques spécifiques, peu importe leur relation aux nations état.» L’écologie historique doit beaucoup à l’écologie culturelle qui a fait avancer la recherche empirique sur la relation humain-nature (Steward 1955 : 322). Elle s’en distingue cependant par un rejet du déterminisme environnemental souvent adopté par l’écologie culturelle (Balée 1998 : 3).

L’écologie culturelle emprunte beaucoup au courant processuel dans sa façon de proposer une relation unidirectionnelle de l’environnement vers l’humain en observant la réponse des sociétés en réaction aux paramètres environnementaux. Le processualisme, comme l’écologie culturelle, cherche à créer des modèles généraux de société résultant de l’environnement et de son influence sur le développement de la société (Bettinger 1998). L’écologie historique ne dissocie pas les deux paramètres, mais donne plutôt une dimension temporelle à l’association nature-culture. Selon cette théorie, nature et culture, ou évolution et technologie, sont des forces devant être vues comme un dialogue et non une dichotomie (Balée 1998 : 3). Pour l’écologie historique, cette relation a un début, quelque part, et l’important n’est pas de le trouver, mais de tenir compte de l’histoire du paysage, concept central à l’approche théorique.

Le paysage, en biologie, est une zone hétérogène composée d’un ensemble d’écosystèmes similaires interagissant entre eux (Forman et Godron 1986 : 11). Il existe actuellement un débat au sein de

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l’écologie historique à savoir si l’humain est une entité historique ou écologique. Le problème est de savoir laquelle, entre l’évolution et la culture, figure à l’avant-plan ou en arrière-plan. Le concept de paysage permet de créer un pont entre les deux puisqu’on ne parle plus de paysage humain ou naturel, mais de paysage bioculturel (Balée 1998 : 6) : le processus de transformation du paysage est à la fois biologique et culturel. De la même façon que le castor peut créer un environnement (Sponsel 1998), qu’un arbre peut abriter des écosystèmes à lui seul ou que les termites peuvent affecter la formation des sédiments (Lee et Wood 1971; Graham 1998), l’humain peut modifier le paysage. Le processus peut être intentionnel ou non, direct ou indirect, à long terme ou sur une courte durée.

Problématique

L’adoption des maisons multifamiliales occupe aujourd’hui une place de premier plan dans la recherche archéologique sur les Inuits. L’archéologie environnementale a récemment démontré sa pertinence dans cette discussion grâce à la participation de plusieurs chercheurs, la plupart ayant porté leur attention sur la région de Nain, au Labrador. Dans cette région, les travaux sont aussi nombreux que variés : on fait appel à l’archéobotanique, la zooarchéologie, la géoarchéologie, la sédimentologie, la micromorphologie et la géochimie pour tenter de mieux comprendre comment vivaient les Inuits durant cette période particulière. L’archéoentomologie, une approche éprouvée dans l’archéologie de l’Arctique nord-américain, pourrait occuper un créneau du sujet des maisons multifamiliales inuites. Puisqu’on l’utilise traditionnellement afin d’étudier les conditions de vie, l’alimentation et les activités humaines, on peut se poser la question suivante concernant les maisons multifamiliales :

Est-il possible d’observer des différences dans les conditions de vie des Inuits et dans l’environnement intérieur des maisons hivernales en comparant le matériel archéoentomologique provenant d’une maison unifamiliale à celui d’une maison multifamiliale?

Pour répondre à cette question, on prévoit comparer les assemblages archéoentomologiques d’habitations provenant du village de Parngnertokh au Labrador. Situé à Dog Island et aujourd’hui connu comme site archéologique sous le nom d’Oakes Bay 1, il a été fouillé à plusieurs reprises dans le cadre de neuf projets de fouilles entre 2000 et 2015. Entre 2002 et 2007 (Woollett 2010 : 248) (figure 2), les chercheurs ont procédé à un échantillonnage en vue d’analyses archéoenvironnementales. À Oakes Bay 1, la plupart des maisons ont été associées à la deuxième moitié du 17e siècle jusqu’au début du 18e siècle. De nouvelles données associent les maisons 1 et 2 à cette période, malgré leur structure et leur taille rapellant les maisons multifamilales (Foury 2017). Les maisons 4, 5 et 6 de la figure 2 sont donc

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typiques de la période des maisons unifamiliales (et possiblement de transition), alors que les maisons 1, 2 et 3 de la figure 2, correspondent à la période des maisons multifamiliales (Woollett 2010 : 249).

Figure 2. Site d’Oakes Bay 1 et interventions archéologiques effectuées entre les années 2002 et 2007, plan traduit et modifié de Woollett 2005.

Plan du mémoire

Avant de pouvoir étudier le comportement et l’écologie des insectes présents dans les habitations hivernales, il est indispensable de connaître l’environnement dans lequel ils ont vécu. Le premier chapitre servira de synthèse où l'on décrira la géographie de la région ainsi que la culture des Inuits du Labrador à partir du moment de leur arrivée sur le territoire. Par la suite, le deuxième chapitre servira à décrire la méthode d’acquisition des échantillons et le traitement en laboratoire. Dans le troisième chapitre, on décrira le contenu archéologique et archéoentomologique des échantillons analysés. L’écologie des insectes présents dans les assemblages sera aussi abordée à ce chapitre. Finalement, le quatrième chapitre servira à mettre ces données en relation afin de proposer une réflexion portant sur la question de recherche.

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Chapitre 1 – Contexte géographique et culturel : le

Labrador et les Inuits

1.1. Contexte géographique de la région de Nain

1.1.1. Géographie physique de la côte du Labrador

Le Labrador se situe à l’extrémité est du Canada et fait partie de l’immense province canadienne de Terre-Neuve-et-Labrador qui couvre une superficie de 294 330 km2 (Gouvernement de Terre-Neuve-et-du-Labrador 2015). Le Labrador se trouve au point de rencontre de la toundra arctique et de la forêt boréale, ce qui en fait un écotone, une zone de transition. D’est en ouest, la région présente une côte riche en faune et l’arrière-pays est valloné et accidenté, parsemé de lacs, de rivières et de zones humides. Ces régions intérieures étaient importantes dans le cycle annuel des Inuits, surtout l'été lorsqu’on y chassait le caribou (Taylor 1974). Cependant, on insistera ici sur la zone côtière qui abrite les villages hivernaux à l’étude. Pour la description du climat et de la biogéographie, l’accent sera mis sur la région de Nain, compte tenu des différences importantes entre chaque région.

La côte au nord de Nain se caractérise par l’alternance de chaînes de montagnes et de fjords. À la pointe nord se trouvent les monts Torngat. Les berges y sont abruptes et les courants forts (Woodward-Clyde 1980). Dans ces monts, quelques glaciers ont autrefois érodé le paysage, formant des fjords. Les plus larges et les moins escarpés d’entre eux, les fjords de Hebron, Saglek et Nachvak, ont accueilli quelques communautés par le passé. Les montagnes de Kaumajet forment une barrière entre la région d’Hebron et le bassin érodé d’Okak alors que les montagnes Kiglapaits séparent la région d’Okak de celle de Nain, au sud. La côte du Labrador est parsemée d’îles et d’archipels, cela particulièrement dans les vallées d’Okak, de Nain et de Hopedale. D’impressionnants complexes de rivières et de lacs coulent vers ces fjords. En descendant vers le sud, le paysage devient progressivement moins escarpé, mais la succession de chaînes de montagnes et de fjords se poursuit. Les régions de Hopedale, de Makkovik et d’Hamilton sont les dernières avant d’atteindre le sud de la province composé de fjords plus petits et d’un paysage rocheux (Woodward-Clyde 1980).

1.1.2. Climat

Des courants marins actifs, causés par le détroit d’Hudson au ouest, du détroit de Davis au nord-est, de l’Océan Atlantique et de la mer du Labrador à l’est ainsi que du détroit de Belle-Isle au sud influent considérablement sur le climat du nord du Labrador. Ces courants marins arctiques

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interagissent entre eux pour créer le courant du Labrador, un courant très froid qui longe la côte du nord au sud. Ces courants marins font du Labrador la projection la plus au sud du climat arctique sur le continent américain (Wadhams 2000).

La région de Nain est une zone de transition entre le climat arctique et le climat subarctique. La température moyenne annuelle, selon des données recueillies entre 1981 et 2010 par Environnement Canada (2016) à la station de Nain, est de -2,5 oC, avec un minimum de -6,6 oC et un maximum de 1,7 oC. Une moyenne de 925,4 mm de précipitation tombe par année, dont environ 450,2 mm sous forme de pluie et 475,3 cm sous forme de neige.

1.1.3. Biogéographie de la région de Nain

La région de Nain se situe à l’interface entre la toundra arctique arbustive au nord et la toundra forestière septentrionale au sud (Payette et Rochefort 2001). Elle se caractérise par une végétation arbustive d’épinette blanche (Picea glauca), d’épinette noire (Picea mariana Mill.), de bouleau (Betula

glandulosa Michx.) et de quelques arbustes. Les baies telles que le bleuet (Vacinium sp.), la chicoutai

(Rubus chamaemorus L.) et la camarine noire (Empetrum nigrum L.) poussent partout, en zone humide comme sèche, en altitude et dans les vallées. Les mousses, lichens et sphaignes ont une vaste distribution, mais les zones humides sont dominées par des herbacées, les Carex. En altitude, on rencontre quelques épinettes sous la forme krummholz (arbres rabougris et de forme irrégulière).

La faune dans la région de Nain est diversifiée. On y trouve de nombreuses espèces d’oiseaux, dont plusieurs Tetraoninae : le lagopède des saules, le tétras du Canada, le lagopède alpin et la gélinotte huppée (Godfrey 1989). Le grand corbeau est un résident du Labrador méridional, ce qui n’est pas le cas des espèces de Strigidae (le grand-duc d’Amérique, le harfang des neiges, la chouette épervière, le hibou des marais et la nyctale boréale) qui nichent dans le sud de la côte et ne fréquentent la région qu’à la recherche de nourriture (Godfrey 1989 : 343). Les mammifères terrestres tels que le renard, le caribou, le lièvre, l’ours noir et l’ours blanc ainsi qu’une multitude de rongeurs peuplent autant le continent que les îles. Le morse, le phoque du Groenland, le phoque à capuchon, le phoque annelé, le phoque commun, le phoque gris et le phoque barbu (Pêches et Océans Canada 2016) ainsi qu’une grande variété de baleines fréquentent la côte selon les fluctuations de la banquise et des glaces flottantes (Kaplan 1983; Woollett 2003).

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1.2. Historique de l’occupation inuite du Labrador

Ce sous-chapitre fera référence aux peuples thuléens et inuits à plusieurs reprises, ce qui peut porter à confusion puisqu’ils peuvent désigner le même groupe culturel dans certaines circonstances. Les Inuits habitant présentement le Labrador descendent directement des Thuléens, mais la transition culturelle ne s’est pas faite du jour au lendemain. Afin de simplifier la compréhension du texte, l’appellation Thuléen sera réservée à la culture en migration avant qu’elle n’occupe définitivement le territoire pour devenir ensuite la culture inuite. La période de migration dans le Labrador s’étend sur quelques siècles selon certains auteurs et l'on identifie donc quelques établissements thuléens sur le territoire. La séparation en deux périodes chronologiques distinctes (de la migration vers le Labrador suivi de la transformation culturelle graduelle des Thuléens établis dans cette région) est fortement inspirée de Friesen (2010 : 216). Cette représentation de la culture thuléenne/inuite implique que le phénomène est binaire, ce qui n’est pas le cas. On la juge cependant adéquate dans le cadre de cette description sommaire de l’histoire des Thuléens et Inuits au Labrador.

1.2.1. Thuléens au Labrador (fin du 13

e

siècle au 15

e

siècle)

1.2.1.1. Paysage culturel

Lorsque les Thuléens arrivent au Labrador, ils possèdent déjà un lot impressionnant de traits adaptatifs leur ayant permis de survivre dans l’Arctique canadien. Ils se servent de plusieurs outils associés à la chasse spécialisée tels que les harpons, l’arc et la flèche, les lances, les dards et le bola. Des objets domestiques tels que le ulu et la lampe en stéatite font partie de leurs objets usuels. Les Thuléens utilisaient aussi une multitude de moyens de déplacement tels que le traîneau à chiens et des embarcations de peaux et de bois qui rendaient les ressources locales plus accessibles.

C’est la chasse aux mammifères marins tels que les phoques, les morses et les baleines qui caractérise le mode de subsistance des Thuléens. L’importance de la chasse à la baleine est toujours débattue aujourd’hui. Pour Robert McGhee (1970) et Allen McCartney (1977), la chasse à la baleine aurait été à l’origine même de l’expansion thuléenne vers l’est de l’Arctique. Cette hypothèse est aujourd’hui contestée, parfois même par les anciens partisans de ce modèle (Morrison 1999; McCullough 1989; McGhee 1996 : 230). Milton Freeman (1978) suggère que son exploitation serait opportuniste et que les matériaux issus de la baleine seraient avant tout collectés sur les carcasses échouées sur la plage, ce qui minimise un peu l’importance de la chasse au profit du charognage. Dans les années 1990, les archéologues ont élaboré des moyens permettant de distinguer les os récupérés sur des baleines

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échouées de ceux provenant de baleines chassées (Savelle et McCartney 1994). On a ainsi pu démontrer que la chasse à la baleine a bien eu lieu, bien qu’elle ait été irrégulière et opportuniste (Savelle et McCartney 1994; Whitridge 1999).

La date d’arrivée des Thuléens au Labrador est encore sujette à discussion. William Fitzhugh (1994) et Kaplan (2012 : 16) placent la migration vers la fin du 13e siècle grâce notamment à des datations par le radiocarbone effectuées sur du bois de conifère carbonisé provenant d’un site thuléen de Staffe Island. Kaplan appuie l’hypothèse selon laquelle ils auraient été attirés vers le sud par des opportunités de chasse et par les ressources exotiques offertes par les Européens (Trudel 1980; Kaplan 2012 : 20). Pour Lisa Rankin et Peter Ramsden, ce serait une migration rapide vers la fin du 15e siècle qui expliquerait le peu de matériel thuléen récupéré datant d’avant cette période (Rankin 2009; Rankin et Ramsden 2013). Quant à la raison qui aurait poussé les Thuléens à se déplacer, ils invoquent la disparition des Norrois du Groenland vers la moitié du 15e siècle et de leur métal. Cela aurait incité les Thuléens à descendre la côte du Labrador afin d’y rencontrer les Européens qui commençaient à exploiter les zones de pêche autour du détroit de Belle-Isle (Rankin et Ramsden 2013 : 307).

Fitzhugh et Kaplan soulignent toutefois les difficultés rencontrées dans le processus de datation radiocarbone dans l’Arctique qui réduisent les chances d’obtenir des dates fiables (Arundale 1981; Morrison 1989; Park 1994). En effet, le bois et l’os sont les matériaux les plus communs dans les sites thuléens sur lesquels la datation radiocarbone est possible. Cependant, les os de mammifères marins sont sujets à l’effet réservoir marin (marine reservoir effect), ce qui signifie que les os des espèces marines peuvent contenir du carbone plus ancien à cause de leur alimentation (Ascough et al. 2005). Quant au bois qu’on retrouve sur les sites archéologiques dans l’Arctique, il s’agit souvent de bois flotté ayant passé beaucoup de temps sur les rives avant d’être utilisé. L’âge de sa mort ne correspond donc pas à celle de son utilisation. S’il en est ainsi pour le bois carbonisé de Staffe Island, le site pourrait être plus récent qu’on le croit. La question de la chronologie de l’expansion des Thuléens vers le Labrador est donc loin d’être résolue.

1.2.1.2. Habitation et subsistance

Les Thuléens sont connus pour la fabrication de maisons de tourbe semi-souterraines qu’ils habitent en hiver (figure 3). Les Dorsétiens qui les ont précédés sur le territoire érigeaient à l’occasion des habitations similaires, mais seuls les Thuléens creusent presque systématiquement la tourbe pour y bâtir leurs maisons sous le niveau du sol (McGhee 1996 : 206). Ces maisons laissent beaucoup de traces archéologiques et ont donc été abondamment étudiées (Maxwell 1985 : 288; McGhee 1976;

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