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Sens influencés de l'anglais en français au Québec : utilisation, perception et intégration

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Sens influencés de l’anglais en français au Québec :

utilisation, perception et intégration

Mémoire

Myriam Paquet-Gauthier

Maîtrise en linguistique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii

Résumé

Cette recherche porte sur le phénomène de l'influence sémantique de l'anglais sur le français au Québec. Nous nous intéressons en particulier à la relation entre la perception qu'ont les locuteurs québécois de sens influencés de l'anglais et les conditions d'utilisation et d'intégration de ces sens à la signification lexicale en français. Cette question est abordée à travers l'étude de 19 unités lexicales traditionnellement considérées comme des emprunts sémantiques à l'anglais. Suivant une double analyse menée sur un corpus lexicographique composé de 61 ouvrages et sur un corpus de productions authentiques appartenant à différents types de discours d'un volume total de 427,5 millions d'occurrences-mots, il apparaît que le facteur principal permettant à un sens « étranger » d'être utilisé en français n'est pas lié exclusivement à la ressemblance formelle entre les unités lexicales en français et en anglais, mais est plutôt d'ordre sémantique. Le degré d'intégration de ce sens « étranger » à la signification lexicale dépend de la perception, par les locuteurs, d'une communauté de sens entre celui-ci et les autres acceptions de l'unité lexicale.

(4)
(5)

v

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... ix

Table des abréviations et des sigles utilisés ... xii

Termes ... xii

Ouvrages lexicographiques ... xii

Remerciements ... xv

Introduction ... 1

Problématique ... 2

Objectifs de l'étude ... 3

1. Revue de la littérature ... 6

1.1. Les termes anglicisme et anglicisme sémantique ... 7

1.1.1. Emprunt ou anglicisme? ... 7

1.1.2. Anglicisme sémantique ... 9

1.2. Études sur les emprunts à l’anglais ... 10

1.2.1. Avatars du purisme au Québec : proscription et aménagement linguistique ... 10

1.2.2. L’emprunt de sens : une caractéristique de l’usage québécois ... 17

1.2.3. Point de vue du locuteur : perception du caractère étranger des sens influencés de l’anglais ... 19

1.2.4. Changements sémantiques et « faux-amis » ... 20

1.3. Emprunts à l'anglais et lexicographie québécoise ... 23

1.4. Récapitulatif du chapitre 1 ... 26

2. Point de vue théorique ... 29

2.1. Orientation théorique ... 29

(6)

vi

2.1.2. Signification : historicité collective et individuelle ... 30

2.1.3. Signification, usage sémantique et sens lexical : approche intégrationniste et théorie continuiste 31 2.1.4. Manifestation épilinguistique : connotation autonymique et mise en relief... 33

2.1.5. Implications de l'orientation théorique pour l’étude en cours ... 35

2.1.6. Récapitulatif de la section 2.1. ... 36

2.2. Pour une approche sémantique dans l’étude de l’« emprunt sémantique » ... 37

2.2.1. Contenant et contenu : qu'est-ce qu'un « emprunt de sens »? ... 37

2.2.2. L’emprunt de sens peut-il être un évènement ponctuel? ... 38

2.2.3. Faux-amis sémantiques et sens sous influence sont-ils identiques? ... 39

2.2.4. Emprunt : approche diachronique et approche synchronique... 40

2.2.5. Récapitulatif de la section 2.2. ... 43

3. Corpus exploités ... 45

3.1. Corpus lexicographiques ... 45

3.2. Choix des corpus de productions authentiques ... 49

3.2.1. Corpus de productions journalistiques ... 50

3.2.2. Corpus de textes publiés sur les médias sociaux ... 52

3.2.3. Corpus de productions orales ... 52

3.2.4. Corpus de textes traduits de l’anglais vers le français ... 53

3.3. Récapitulatif des corpus exploités ... 53

4. Méthode d’analyse des données ... 55

4.1. Sélection des unités lexicales et descriptions lexicographiques ... 55

4.1.1. Sélection des unités lexicales ... 55

4.1.2. Étude du traitement lexicographique diachronique des unités lexicales ... 57

4.1.3. Inventaires des équivalents proposés ... 59

4.1.5. Étude lexicographique des unités lexicales en anglais ... 59

(7)

vii

4.3. Analyse des unités lexicales en contexte... 61

4.3.1. Emploi des unités lexicales ... 61

4.3.2. Perception du caractère étranger des sens critiqués ... 63

4.3.3. Intégration du sens influencé de l’anglais en français au Québec ... 64

5. Traitement lexicographique des unités lexicales ... 65

5.1. Ouvrages exploités et titres abrégés ... 65

5.2. Premières attestations des sens critiqués... 66

5.3. Résultats de l'examen du traitement lexicographique des unités lexicales ... 68

5.3.1. Alternat- ... 68 5.3.2. Applic/qu- ... 76 5.3.3. Audience... 84 5.3.4. Éventuel- ... 89 5.3.5. Opportun- ... 95 5.3.6. Perform- ... 104 5.3.7. Support- ... 112 5.3.8. Versatil- ... 120 5.4. Bilan du chapitre 5 ... 125

6. Analyse des unités lexicales en contexte ... 129

6.1. Fréquence relative des unités lexicales dans les corpus ... 129

6.2. Analyse de l'utilisation des unités lexicales dans les corpus de productions authentiques ... 130

6.2.1. Alternat- ... 133 6.2.2. Applic-/qu- ... 143 6.2.3. Audience... 148 6.2.4. Éventuel- ... 151 6.2.5. Opportun- ... 160 6.2.6. Perform- ... 169

(8)

viii

6.2.7. Support- ... 176

6.2.8. Versatil- ... 185

6.3. Bilan du chapitre 6. ... 192

7. Interprétation des résultats ... 195

7.1. Possibilités et limites des corpus de productions authentiques exploités ... 195

7.2. Effets des proscriptions lexicographiques sur l'utilisation effective de sens influencés de l'anglais ... 198

7.3. Potentiel sémantique et intégration syntagmatique : le cas des sens influencés de l'anglais ... 204

Conclusion ... 211

Bibliographie ... 219

Études et ouvrages de référence ... 219

Ouvrages exploités dans les corpus ... 230

Corpus de lexicographie normative française (LN-Fr) ... 230

Corpus de lexicographie normative québécoise (LN-Qc) ... 230

Corpus de lexicographie proscriptive québécoise (LP-Qc) ... 230

Corpus de lexicographie anglaise (LAn) ... 231

Ressources lexicographiques supplémentaires ... 232

Sources des corpus de productions authentiques ... 232

(9)

ix

Liste des tableaux

Tableau 1 Sources exploitées par sous-corpus périodisé ... 51

Tableau 2 Volume global d’occurrences-mots par sous-corpus périodisé ... 51

Tableau 3 Corpus lexicographiques exploités ... 54

Tableau 4 Corpus de productions authentiques : volume d'occurrences-mots ... 54

Tableau 5 Première mention d'un sens critiqué dans la lexicographie québécoise pour les UL principales et secondaires ... 67

Tableau 6 Unités lexicales formées sur la base alternat- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 68

Tableau 7 Équivalents proposés pour l'UL alternative ... 72

Tableau 8 Sens critiqués pour l'unité lexicale alternative ... 72

Tableau 9 Unités lexicales formées sur la base applic/qu- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 76

Tableau 10 Équivalents pour l'UL application ... 78

Tableau 11 Sens critiqués pour l'unité lexicale application ... 79

Tableau 12 Unité lexicale audience : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques... 84

Tableau 13 Équivalents proposés pour l'UL audience ... 86

Tableau 14 Unités lexicales formées sur la base éventuel- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 89

Tableau 15 Équivalents proposés pour l'UL éventuellement... 91

Tableau 16 Sens critiqués pour l'unité lexicale éventuellement ... 92

Tableau 17 Unités lexicales formées sur la base opportun- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 95

Tableau 18 Équivalents proposés pour remplacer l'UL opportunité utilisée dans un SC ... 98

Tableau 19 Sens critiqués pour l'unité lexicale opportunité ... 99

Tableau 20 Unités lexicales formées sur la base perform- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 104

Tableau 21 . Équivalents proposés pour remplacer l'UL performer utilisée dans un SC... 106

Tableau 22 Sens critiqués pour l'unité lexicale performer ... 107

Tableau 23 Unités lexicales formées sur la base support- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 112

(10)

x

Tableau 25 Sens critiqués pour l'unité lexicale supporter... 115

Tableau 26 Unités lexicales formées sur la base versatil- : présence de proscriptions dans les corpus lexicographiques ... 120

Tableau 27 Équivalents proposés pour remplacer l'UL versatile utilisée dans un SC, en nombre de mentions ... 122

Tableau 28 Sens critiqués pour l'unité lexicale versatile ... 123

Tableau 29 Fréquence relative des unités lexicales principales, de leur équivalent et des unités lexicales secondaires dans les corpus journalistique, de médias sociaux, oral et traduit. ... 130

Tableau 30 Utilisation de l'unité lexicale principale alternative (N) dans les corpus ... 133

Tableau 31 Pourcentage d'occurrences du SC POSSIBILITÉ avec un adjectif mélioratif ... 136

Tableau 32 Pourcentage d'occurrences des SND CHOIX ÉQUIVALENT et MEILLEUR CHOIX ... 137

Tableau 33 Utilisation de l'unité lexicale secondaire alternatif / -ve dans les corpus... 140

Tableau 34 Nombre de mises en relief pour l'ULs alternatif / -ve dans les corpus ... 142

Tableau 35 Utilisation de l'unité lexicale principale application dans les corpus ... 143

Tableau 36 Utilisation des unités lexicales secondaires appliquer et applicant ... 146

Tableau 37 Utilisation de l'unité lexicale audience dans les corpus ... 148

Tableau 38 Utilisation de l'unité lexicale principale éventuellement dans les corpus ... 152

Tableau 39 Utilisation de l'unité lexicale secondaire éventuel dans les corpus ... 157

Tableau 40 Comparaison de la proportion de l'emploi en antéposition/postposition pour l'adjectif éventuel dans les sites web québécois et français ... 159

Tableau 41 Utilisation de l'unité lexicale principale opportunité dans les corpus... 160

Tableau 42 Pourcentage de cooccurrence d'un adjectif positif et de opportunité dans le SC OCCASION FAVORABLE ... 162

Tableau 43 Opportunité : Locutions associées au SC PERSPECTIVE ... 164

Tableau 44 Utilisation des unités lexicales secondaires opportunisme et opportuniste dans les corpus ... 167

Tableau 45 Utilisation de l'unité lexicale principale performer dans les corpus ... 170

Tableau 46 Utilisation des unités lexicales secondaires performance et performe[u]r dans les corpus ... 174

Tableau 47 Utilisation de mise en relief pour l'ULs performe[u]r dans le corpus journalistique en fonction de la graphie utilisée ... 176

Tableau 48 Utilisation de l'unité lexicale principale supporter dans les corpus ... 177

Tableau 49 Supporter : domaines d'emploi pour le SC ENCOURAGER ... 178

Tableau 50 Utilisation des unités lexicales secondaires support et supporte[u]r dans les corpus... 182

(11)

xi Tableau 52 Utilisation de l'unité lexicale secondaire versatilité dans les corpus ... 190

(12)

xii

Table des abréviations et des sigles utilisés

Termes

C-Jrn corpus de productions journalistiques

C-MédSo corpus de médias sociaux

C-Or corpus de productions orales

C-Trd corpus de textes traduits

LAn corpus de lexicographie anglaise

LN-Fr corpus de lexicographie normative française

LN-Qc corpus de lexicographie normative québécoise

LP-Qc corpus de lexicographie proscriptive québécoise

pmo par million d'occurrences

SA sens accepté

SC sens critiqué

SIA sens influencé de l'anglais

SND sens non décrit

UL unité lexicale

ULp unité lexicale principale

ULs unité lexicale secondaire

Ouvrages lexicographiques

Barbeau1970 Le français du Canada (Victor Barbeau)

BDL Banque de dépannage linguistique (en ligne, site considéré comme étant publié en 2012)

Bélanger2004 Petit guide du parler québécois (Mario Bélanger)

Bélisle1979 Dictionnaire nord-américain de la langue française (Louis-Alexandre Bélisle)

Blanchard Dictionnaire de bon langage (Étienne Blanchard), suivi du millésime utilisé, le cas échéant

(1915 ou 1940)

Cardinal2009 Le VocabulAIDE (Pierre Cardinal)

Chantal1956 Chroniques de français (René de Chantal)

Chouinard2003 1300 pièges du français parlé et écrit (Camil Chouinard)

(13)

xiii Clapin1913 Ne pas dire mais dire. Inventaire de nos fautes les plus usuelles contre le bon langage

(Sylva Clapin)

Colpron1970 Les anglicismes au Québec : répertoire classifié (Gilles Colpron)

Colpron1982 Dictionnaire des anglicismes (Gilles Colpron)

Colpron2007 Dictionnaire des anglicismes Le Colpron (Constance Forest et Denise Boudreau)

DAF Dictionnaire de l'Académie française, suivi du numéro d'édition, le cas échéant (1 = 1694;

4 = 1762; 5 = 1798; 6 = 1835; 8 = 1932-1935; 9 = 1992-)

Dagenais Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada (Gérard Dagenais), suivi du

millésime utilisé, le cas échéant (1967 ou 1990).

d'Apollonia2010 Le petit dictionnaire des québécismes: anglicismes, archaïsmes, dialectalismes et néologismes (François d'Apollonia)

Darbelnet1986 Dictionnaire des particularités de l'usage (Jean Darbelnet)

DFP1988 Dictionnaire du français plus (Claude Poirier, dir.)

DHLF Dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey, dir.)

Dionne1909 Le parler populaire des Canadiens français (Narcisse-Eutrope Dionne)

DLQ1980 Dictionnaire de la langue québécoise (Léandre Bergeron)

DQA1993 Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (Jean-Claude Boulanger, dir.)

Dulong1968 Dictionnaire correctif du français au Canada (Gaston Dulong)

Dulong Dictionnaire des canadianismes (Gaston Dulong), suivi du millésime utilisé, le cas échéant

(1989 ou 1999)

Dunn1880 Glossaire franco-canadien (Oscar Dunn)

FBu Le français au bureau (Noëlle Guilloton et Hélène Cajolet-Laganière), suivi du millésime

utilisé (1996 ou 2000).

Féraud1787 Dictionaire critique de la langue française (Jean-François Féraud, 1787-1788)

Forest2008 Le grand glossaire des anglicismes du Québec (Jean Forest)

GDT Grand dictionnaire terminologique (en ligne, mis à jour en continu)

Geoffrion1924 Zigs zags autour de nos parlers (Louis-Philippe Geoffrion)

GFSF2006 Guide du français sans fautes (Bernard Laygues et Christine Delangle)

GPFC1930 Glossaire du parler français au Canada (Société du parler français au Canada)

Hébert1983 Répertoire d'anglicismes (Pierre Hébert)

Laurin1974 Corrigeons nos anglicismes (Jacques Laurin)

Laurin2006 Nos anglicismes : 2300 mots et expressions à corriger (Jacques Laurin)

(14)

xiv

Mailhot1990 Dictionnaire des petites ignorances de la langue française au Canada (Camille H. Mailhot)

Meney2003 Dictionnaire québécois-français (Lionel Meney)

Multi Multidictionnaire [des difficultés] de la langue française (Marie-Éva de Villers), suivi du

millésime utilisé, le cas échéant (1992 ou 2009)

MW Merriam-Webster Online Dictionary (en ligne, édition mise à jour en continu)

NPR (Nouveau) Petit Robert, suivi de l’année d’édition utilisée, le cas échéant (1970, 1978, 1993, 2002, 2012)

OED Oxford English Dictionary Online (en ligne, édition mise à jour en continu)

Parmentier2006 Dictionnaire des expressions et tournures calquées sur l'anglais (Michel Parmentier)

PLI Petit Larousse illustré, suivi du millésime utilisé, le cas échéant (1908, 1947, 1959, 1983,

1993, 1998, 2002, 2007 ou 2012).

Rinfret1896 Dictionnaire de nos fautes contre la langue française (Raoul Rinfret)

Roux2004 Lexique des difficultés du français dans les médias (Paul Roux)

RQU1983 Régionalismes québécois usuels (Robert Dubuc et Jean-Claude Boulanger)

Usito Usito Dictionnaire (en ligne, édition mise à jour en continu, date d'édition comptée comme

(15)

xv

Remerciements

Un soir de début d'hiver 2011, j'ai demandé naïvement « Mais… d'où ça vient, le sens? »; mes remerciements les plus sincères à Bruno Courbon, qui allait devenir mon directeur de maîtrise en 2013, pour ne pas avoir ri de ma question et pour m'avoir poussée vers la recherche. Au cours de toutes ces années, il a su nourrir ma curiosité et trouver les bons mots pour me donner l'envie de me dépasser. J'espère avoir été à la hauteur de la confiance qu'il m'a accordée. J'ai le sentiment que la discussion entamée ce soir de début d'hiver n'est pas près de se terminer.

J'aimerais remercier Patrick Duffley et Wim Remysen pour leurs commentaires sur mon projet de recherche et sur la première version de ce mémoire. Les pistes de réflexion et les suggestions qu'ils m'ont présentées m'ont permis de préciser davantage ma pensée. Je tiens également à exprimer ma gratitude envers Marie-Hélène Côté, qui m'a donné libre accès à ses données PFC encore non publiées; sans elle, une partie de cette recherche n'aurait pas été possible. Mes remerciements aussi à Hugo Mailhot, qui a créé sur mesure le programme d'extraction de données pour la base Eureka.

Tout au long de mes études à l'Université Laval, j'ai eu la chance d'être entourée de collègues et ami(e)s dont j'ai régulièrement sollicité les connaissances et la générosité (et la patience aussi sans aucun doute). Je souhaite profiter de cette occasion pour leur témoigner toute ma reconnaissance. Au premier plan, Samuel Dion-Girardeau, génie de la lampe, à qui il suffit de demander pour que pouf! apparaisse un programme informatique pour les nuls ou un message hilarant sur le sujet le plus improbable. Kendall Vogh, force tranquille capable de déplacer des montagnes (particulièrement à 16h29 un 14 septembre), dont la générosité est sans limites et les ressources infinies. Caroline Sigouin, experte multidisciplinaire, disponible pratiquement 24/7... Geneviève Bernard-Barbeau, exemplaire en tout et en tout temps, qui a toujours su me donner de précieux conseils au bon moment. Nina Woll, sportive-autonome-déterminée, à qui je dois beaucoup plus que je ne peux l'écrire ici. Suzie Beaulieu, à l'enthousiasme contagieux et à la curiosité intellectuelle inspirante, qui m'a donné la chance d'élargir mon horizon académique.

De façon plus générale, j'aimerais aussi remercier les membres du club très sélect des Chevaliers de la langue qui n'ont pas été mentionnés ci-dessus (Hugo St-Amand Lamy, Aubrée Boissard, Véronique Bégin, Josiane Riverin…) : parce qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer… et parce qu'il faut quand même faire notre part pour que le public ait accès à une information de qualité, et pas seulement à celle véhiculée par une petite minorité d'excités.

(16)

xvi

Plusieurs personnes en dehors du milieu de la linguistique m'ont permis de garder un certain équilibre au cours des dernières années. La gang de l'Amundsen : Caroline Bouchard et Louis-Philippe Dion, Gérald Darnis, Catherine Lalande, Maxime Geoffroy, Keith Lévesque et Katie Blasco. Mes amies traductrices : Isabelle Fortin, Julie Masse et Eve Renaud. Les piliers de Cap-Chat : Nadia & François, Stéphanie & Maxime, Jacinthe & Martin, Marie-Ève et Jérôme, Catherine & Ugo ainsi que les lointains anne-montois Éric & Josée.

Je n'aurais sans doute pas eu le courage d'entrer à l'université à 32 ans si deux femmes exceptionnelles ne m'avaient pas montré la voie à suivre : ma marraine Solange, profondément originale et avant-gardiste, et ma mère Françoise, femme infatigable et déterminée qui n'a jamais hésité devant les nouveaux défis. Ma sœur Karine, ma mère et son conjoint Gaston ont toujours su me démontrer leur soutien indéfectible dans les moments où j'en avais le plus besoin.

Last but certainly not least, Sebastian Taborszky. Iți mulțumesc din suflet pentru tot.

* * * * * * * * * * * * * *

Cette recherche a bénéficié du soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture.

(17)

1

Introduction

S'il est un sujet qui a fait et continue à faire couler beaucoup d'encre au Québec, c'est celui de l'influence de l'anglais sur le français. La question est délicate car transparaissent, en filigrane des « traces » de cette influence que sont les emprunts linguistiques à l'anglais, d'autres questions qui touchent à la qualité et à la légitimité de la langue en usage au Québec. Il semble en effet assez difficile de traiter des emprunts à l'anglais sans toucher à des aspects identitaires sensibles : nous souhaitons pour notre part laisser de côté la question identitaire et postuler la même légitimité pour la langue française en usage au Québec que pour toutes les langues en usage ailleurs dans le monde. Ce postulat de légitimité implique qu'il n'y a pas de hiérarchie de valeur objective en ce qui a trait aux usages linguistiques, et que tous les usages de la langue française au Québec peuvent être étudiés en fonction de leur adéquation aux situations d’énonciation.

Le phénomène de l'emprunt linguistique est le sujet d'une très vaste littérature, au sein de laquelle l'emprunt à l'anglais tient une place importante. Le français n'est bien entendu pas la seule langue à accueillir des emprunts à l'anglais, mais les polémiques que ceux-ci soulèvent sont particulièrement frappantes dans les communautés francophones et plus encore au Québec; le moins que l'on puisse dire, c'est que l'« accueil » des emprunts est, officiellement du moins, plutôt glacial. Aux emprunts à l'anglais qui viennent spontanément à l'esprit, comme

lunch, jogging ou le verbe breaker, s'ajoute un type particulier d'emprunt, un emprunt moins manifeste parce

que la forme qu'il revêt relève du français, mais son sens influencé, de l'anglais : c'est un emprunt dit sémantique1. L'emploi du verbe supporter au sens de « soutenir » est considéré comme un emprunt

sémantique. S'il s'agit du type d'emprunt le plus fréquent au Québec (Mareschal 1994), c'est aussi le moins étudié, au Québec comme ailleurs. Bien que quelques études portent sur sa fréquence statistique dans certains types de discours (Mareschal 1989; Escayola 2000; Martel, Cajolet-Laganière & Langlois 2001), aucune à ce jour ne semble avoir traité des conditions d'intégration de l'emprunt sémantique à la signification lexicale. C'est donc à dire que le terrain à défricher est très vaste. La présente étude se veut exploratoire dans cette voie et constitue à notre connaissance la première proposition d'étude en sémantique lexicale traitant du cas des emprunts de sens.

1 Nous utilisons pour le moment emprunt sémantique et sens influencé de l'anglais de façon indifférenciée; cette terminologie fait l'objet

(18)

2

Problématique

Les emprunts sémantiques à l'anglais sont historiquement les emprunts les plus décriés au Québec et sont systématiquement considérés comme des fautes de langue dans la tradition normative. Le fait que les locuteurs ne les perçoivent pas en tant qu'emprunts est vupar certains comme le signe d'une assimilation intellectuelle, d'une colonisation qui ébranle le génie de la langue française (voir à ce sujet Bouchard 1989; Cellard & Larose 2010). Dans un effort pour tenter d'endiguer le flot perçu d'emprunts à l'anglais, de nombreux ouvrages à visée corrective ont été publiés au Québec; cependant, les descriptions et les prescriptions que l'on y trouve ne sont pas toujours pertinentes pour les usagers québécois. L'étude d'Escayola (2000) portant sur le traitement des emprunts de sens dans un ensemble d'ouvrages de référence québécois pointe de nombreuses faiblesses en ce qui concerne la clarté et la cohérence des prescriptions linguistiques au regard de l'usage effectif des emprunts de sens. Toutefois, à notre connaissance, aucune étude ne s'est intéressée à l'effet de ces prescriptions sur l'usage effectif d'emprunts de sens au Québec, et on ne sait pas dans quelle mesure la présence d'une description lexicographique servant à critiquer un emploi sémantique donné vient influencer les pratiques des locuteurs selon les types de discours.

La plupart des ouvrages correctifs publiés au Québec réservent une place importante, sinon la plus importante, à l'identification d'emprunts de sens et promeuvent leur remplacement par un « équivalent » intralingual. Ainsi, le fait d'utiliser le verbe assumer au sens de « présumer » dans la phrase « j'ai assumé qu'il serait là » est considéré comme un emprunt et est donc fautif; ce sont les équivalents intralinguaux présumer ou supposer qu'il conviendrait d'utiliser, selon des ouvrages de référence comme le Dictionnaire des anglicismes le Colpron (Forest & Boudreault 2007) et le site de la Banque de dépannage linguistique mis en ligne par l'Office québécois de la langue française2. Le remplacement de l'emprunt sémantique par un équivalent suppose qu'il y a parfaite

synonymie entre les deux et que l'emprunt est donc inutile parce que redondant au plan sémantique. Si cette redondance est posée a priori dans le cas des emprunts sémantiques lorsque l'on adopte un point de vue aménagiste, on sait grâce à des études détaillées (p. ex., Picoche 1986; Rémi-Giraud 1986, Baldinger 1997) que la synonymie intralinguale « parfaite » n'existe pas. On peut donc à juste titre se demander si les équivalents proposés pour remplacer les emprunts de sens à l'anglais peuvent de fait être « équivalents » lorsque l'on aborde la question sous l'angle de la sémantique lexicale : ce remplacement n'entraîne-t-il pas une certaine imprécision ou inadéquation au regard de la visée référentielle du locuteur?

2 Banque de dépannage linguistique, sous assumer: http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?T1=assumer&T3.x=0&T3.y=0. Les

(19)

3 Les travaux portant sur des « faux amis » diachroniques comme décevoir / deceive ou cave / cave (p. ex., Beeching 2010; Chamizo-Dominguez & Nerlich 2002) montrent qu'il subsiste, une fois l'emprunt initial effectué, une certaine proximité sémantique qui relie les unités lexicales dans les deux langues concernées. Toutefois, ces études diachroniques portent sur des emprunts lexicaux effectués il y a longtemps (« false friends », voir

infra 1.2.4.) et comparent leur signification dans des communautés linguistiques qui entrent peu en contact une

fois la période d'emprunt initial passée – par exemple finally en anglais et finalement en français européen (Beeching 2010). La situation linguistique est tout autre dans le cas du français au Québec, puisque les contacts avec la langue anglaise sont anciens et continus. C'est ainsi que les usages modernes du verbe en anglais to

support, qui a été emprunté au français supporter au XIVe siècle, exercent aujourd'hui une influence sémantique

sur supporter. De plus, la présence en français au Québec de plusieurs mots de même « famille » dont le sens est influencé de l'anglais, par exemple supporter « appuyer », support « appui » et supporteur « partisan », permet non seulement de supposer qu'existe une certaine productivité sémantique au sein de la langue d'accueil une fois le sens anglais pour supporter emprunté, mais également que cette productivité est articulée autour d'un certain « noyau de sens » qui fédère les différents sens des unités lexicales elles-mêmes. À notre connaissance, aucune étude n'a exploré cette voie jusqu'à présent, et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons l'explorer dans ce mémoire.

Enfin, le foisonnement de dénominations pour référer au phénomène de l'emprunt sémantique à l'anglais –

calque, anglicisme sémantique, anglicisme de signifié, mot-sosie, faux-ami, etc. – laisse transparaître le fait que

ce dernier est mal défini et également mal délimité.

Objectifs de l'étude

Notre étude s'inscrit dans le cadre de la sémantique lexicale et a un double objectif : présenter la manière dont sont utilisées dans différents types de discours 19 unités lexicales considérées comme étant employées dans des sens empruntés à l'anglais en français au Québec3, et déterminer l'importance du « potentiel sémantique »

(Courbon 2012a) de ces unités lexicales dans le développement et l'intégration de nouveaux sens dans la signification lexicale. Au regard des quelques éléments soulevés dans la section Problématique, les objectifs

3 Ces 19 unités lexicales sont : alternative (N), alternatif, application, appliquer, applicant, audience, éventuellement, éventuel,

opportunité, opportunisme, opportuniste, performer, performance, performe[u]r, supporter, support, supporte[u]r, versatile et versatilité. Elles ne correspondent pas toutes à la définition traditionnelle d'un « emprunt sémantique »; cette question sera abordée au chapitre 4. Comme le(s) sens imputé(s) à l'anglais pour chacune de ces unités lexicales change(nt) sur la période examinée, nous ne présentons ici que les unités lexicales dont il est question dans cette étude. La description lexicographique des sens « empruntés » à l'anglais fait l'objet du chapitre 5.

(20)

4

spécifiques que nous fixons pour ce mémoire se regroupent autour de deux grands axes. Le premier se situe dans le cadre de la sémantique et ses objectifs sont :

 de proposer une terminologie qui permette de mieux rendre compte des phénomènes impliqués dans ce que l'on appelle « emprunt sémantique »;

 d'établir l'importance du potentiel sémantique des unités lexicales dans le développement de nouveaux sens et le rôle que joue ce potentiel dans l'intégration de ces sens à la signification lexicale.

Le deuxième axe traite plus particulièrement des usages examinés en corpus, tout en étant d'orientation sémantique; ses objectifs spécifiques sont de déterminer :

 par une étude lexicographique diachronique couvrant un ensemble d'ouvrages de référence en français et en anglais, si les 19 « emprunts sémantiques » sélectionnés proviennent réellement de l'anglais;  par l'analyse de productions authentiques de locuteurs, la proportion d'utilisation des emprunts de sens

dans différents types de discours (soignés / spontanés, écrits / oraux);

 par la comparaison des résultats de l'étude lexicographique et des productions de locuteurs dans différents corpus de productions authentiques, dans quelle mesure les emplois critiqués dans les ouvrages de référence correspondent aux usages effectifs dans les différents types de discours;  par la présence plus ou moins importante des emplois critiqués dans les productions et la présence

associée de « mises en relief » (Wissner 2010), si les prescriptions présentées dans les ouvrages de référence ont un effet sur les usages des locuteurs et, le cas échéant, si ces effets se font davantage sentir dans un type de discours plutôt que dans un autre;

 par la présence plus ou moins importante dans le temps de mises en relief associées à un emploi critiqué, si les emplois critiqués sont en voie de s'intégrer à la signification lexicale en français au Québec;

 par la comparaison des différentes configurations lexicales dans lesquelles ils apparaissent, si les « équivalents » sont vraiment équivalents aux emprunts sémantiques qu'ils sont censés remplacer. Ce mémoire est divisé en 7 chapitres. Faisant suite à cette présentation de la problématique et des objectifs, le premier chapitre est consacré à la revue de la littérature et le deuxième, au point de vue théorique adopté. Le

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5 chapitre 3 détaille les différents corpus utilisés et le chapitre 4 présente la méthodologie. Les trois chapitres suivants portent sur l'analyse des résultats : le chapitre 5 examine le traitement des unités lexicales dans les ouvrages lexicographiques, le chapitre 6, l'utilisation des unités lexicales dans les différents corpus de productions authentiques, et le chapitre 7 présente une comparaison des données lexicographiques et des analyses de corpus dans une approche sémantique.

(22)

6

1. Revue de la littérature

Le sujet de l’emprunt suscite beaucoup d’intérêt en linguistique. Seulement depuis le début des années 2000, plusieurs ouvrages collectifs et monographies ont traité de l’emprunt en général (p. ex., Humbley & Sablayrolles 2008; Thibault 2009; Loubier 2011; Steuckardt 2011), et de l’emprunt à l’anglais en particulier (p. ex., Görlach 2002; Anderman & Rogers 2005; Walker 2013). C’est pourquoi il est d’autant plus étonnant de constater à quel point l’emprunt sémantique a jusqu’à présent été négligé en tant qu’objet de recherche4. Très

peu d’études portent sur la perception de son sémantisme étranger, et si les auteurs insistent généralement sur les points qui distinguent de façon synchronique les « faux-amis », presque aucun ne relève ce qui les rapproche. De plus, la difficulté d’analyse de ce type d’emprunt (volume de données nécessaire, coûts en termes de temps de traitement, etc.) fait d’une part que les études qui ont pour but de quantifier le phénomène sont encore rares, et d’autre part que les analyses sémantiques basées sur corpus sont quasi inexistantes. Dans cette revue de la littérature, nous retraçons d’abord l’historique du terme anglicisme et présenterons uns des essais typologiques en ce qui concerne les emprunts de sens (1.1.). Nous décrivons ensuite quelques-unes des publications les plus importantes sur les emprunts à l’anglais (1.2.)5, qui adoptent typiquement au

Québec une orientation proscriptive6 ou aménagiste (1.2.1.). Nous nous concentrons ensuite sur les études qui

traitent directement des sens influencés par l’anglais en français, que ce soit dans une perspective lexicostatistique (1.2.2.), sociologique (1.2.3.) ou sémantique (1.2.4.). Nous terminons ce chapitre par quelques études et extraits d'ouvrages qui traitent de la lexicographie au Québec dans son rapport aux emprunts à l'anglais (1.3.)7.

4 Nous n’aborderons pas le sujet de cette recherche sous l’angle des études sur le multilinguisme, qui envisagent les emprunts de sens

en tant que phénomène cognitif de transfert (ou d’interférence) entre les différents systèmes linguistiques d’un même individu. Pour des exemples de ce point de vue, voir Jarvis & Pavlenko (2008); pour une discussion sur ce sujet, voir Paquet-Gauthier & Beaulieu (2015). Notre intérêt porte ici sur la langue dans sa dimension sociale plutôt qu'en tant que lexique individuel.

5 Ce sujet ayant historiquement été au centre de la question linguistique au Québec, notre revue de la littérature dans ce vaste domaine

ne saurait en aucun cas être exhaustive.

6 Nous donnons à proscriptif une définition très large : est proscriptif tout ouvrage ou discours qui, de façon générale, présente des

usages lexicaux comme n’appartenant pas à une certaine langue « standard » (que cette dernière soit spécifiée ou non) et qui en proscrit l’utilisation pour cette raison, par exemple par la présence de marques comme usage critiqué, forme fautive ou anglicisme. Nous avons préféré le terme proscriptif à prescriptif, parce qu’il permet de placer l’accent sur les usages à éviter plutôt que sur ceux à privilégier. Quemada (1967 : 235 et suiv.) proposait quand à lui dictionnaire de fautes comme sous-catégorie des dictionnaires correctifs – cette formulation nous a cependant semblé ne pas insister suffisamment sur l’intention performative exprimée à travers les ouvrages proscriptifs. La structure des ouvrages lexicographiques proscriptifs favorise d’ailleurs notre interprétation : c’est par la forme proscrite que se fait l’entrée à une recommandation d’usage, sur le modèle ne dites pas X dites Y. D'autres aspects de la question sont développés à la section 3.1.

7 De même, l'abondante production lexicographique et métalexicographique au Québec ne nous permet pas de couvrir l'ensemble des

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7 Le fait que peu d’études scientifiques portent spécifiquement sur les emprunts de sens ne signifie cependant pas que le phénomène n’ait pas été remarqué ou discuté par ailleurs. La linguistique étant une science relativement jeune, il va de soi que les premiers métadiscours sur les emprunts en général et les emprunts de sens en particulier précèdent largement leur « scientifisation » et leur théorisation. Si les jugements de valeur, ou discours épilinguistique, caractérisent les premiers écrits sur l’emprunt à l’anglais au Québec8, il serait

anachronique de les considérer comme ne relevant pas du discours « linguistique » au sens large − les savoirs scientifiques ne sont pas des vérités mais des étapes dans l'histoire des connaissances (Pastoureau 2011 : 12). De plus, certains de ces premiers écrits ont eu un impact considérable et continuent de marquer l'imagination; il s'agit d'une certaine forme de « mémoire de la norme » (Branca-Rosoff & Schneider 1994 : 50; Badiou-Monferran 2011: 273) qui peut persister longtemps après que la pertinence des remarques normatives en question a disparu9. Notons également que, même dans les études et ouvrages modernes, la distinction entre

ce qui relève de l’étymologie (plan diachronique) et ce qui relève de l’épilinguistique (plan synchronique) n’est pas toujours établie ni systématique (voir infra 1.2.4.). Pour ces raisons, nous avons inclus dans notre revue de la littérature un certain nombre d’ouvrages et de textes qui ne relèvent pas de la linguistique selon les critères actuels, mais qui ont marqué et continuent de marquer le métadiscours sur les emprunts à l’anglais au Québec.

1.1. Les termes anglicisme et anglicisme sémantique

1.1.1. Emprunt ou anglicisme?

Les termes emprunt et emprunter ont été utilisés en français pour la première fois dans un sens linguistique dans la deuxième moitié du XVIe siècle (Pétrequin 2011 : 47); cependant, leur emploi demeure très sporadique

jusqu’à la fin du XIXe siècle, et la dénomination générale du phénomène reste instable dans les dictionnaires

jusqu’au XXe siècle (voir p. ex. Thorel 2011; Jacquet-Pfau 2011). À l’opposé, l’emploi de termes en -isme pour

dénoter un mot exogène remonte à la Grèce antique : barbarismos servait alors à désigner tout ce qui ne faisait pas partie ou ne répondait pas aux critères du monde grec (Lambert 2009); chez les grammairiens latins, le

barbarismus était une faute de langue consistant à employer un mot qui ne correspondait pas aux exigences du

8 Bien que l’emploi du nom propre Québec, ainsi que de ses dérivés (un Québécois, le français québécois, etc.) soit anachronique en ce

qui a trait à la période précédant la Révolution tranquille (± de 1960 à 1970), où l’on utilisait plutôt Canadien français et français canadien, l’emploi de ces derniers pose également problème. Nous utiliserons Québec (et ses dérivés) d’abord par souci d’uniformité, mais également parce que l’expression français canadien pour désigner notre objet de recherche serait trompeuse. En effet, les situations de contacts entre les communautés des deux langues officielles ne sont pas homogènes dans l’ensemble du Canada (voir p. ex. Mougeon et al. 2005) où, en dehors du Québec, les francophones sont en situation minoritaire. Pour la signification au plan identitaire du passage de Canadien-français à Québécois, voir p. ex. Létourneau (1997).

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8

« bon » latin (Rochette 2009 : 35), sens que l’on retrouve aujourd’hui pour barbarisme en français. Le terme

idiotisme (1558)10 au sens de « forme ou locution propre à une langue » paraît n’avoir toujours eu qu’une valeur

neutre en français, mais dès qu’il s’agit d’un terme renvoyant à une langue en particulier, comme hellénisme (1580), latinisme (1583), et surtout anglicisme (1652), le -isme se teinte rapidement d’une valeur ambiguë11 et

désigne plutôt des usages lexicaux qui auraient subi l’influence de la langue en question – dans le cas de

anglicisme, la connotation négative plus marquée que l’on observe dès le début du XVIIIe siècle est sans doute

une réaction à l’anglomanie de l’époque (Courbon & Paquet-Gauthier 2014 : 146). Cette valeur dépréciative apparaît en filigrane entre autres chez Féraud, lorsque ce dernier concède tolérer le terme combustible « malgré » son origine probablement anglaise: « combustible […] est sans doute un anglicisme, mais j’avoue qu’il ne me déplaît pas » (Dictionnaire critique, 1787-1788, cité dans Humbley 1986 : 148).

Pour ce qui est du Québec, Lamontagne (1996 : 13) indique que la première mention de anglicisme remonte à 1826 (texte anonyme) et souligne que certains auteurs du XIXe siècle désignent sous ce nom l’emprunt de sens,

qu’ils considèrent comme le seul véritable anglicisme (p. 38-40). Cette interprétation est d’ailleurs plus près du sens qu’avait le terme en France au XVIIIe siècle, c’est-à-dire une « façon de parler adaptée au génie propre de

la langue anglaise12 ». Tardivel (1880 : 6), par exemple, définit l'anglicisme comme « une signification anglaise

donnée à un mot français ». Cependant, le terme a bien vite la même extension qu’en France et en vient à désigner toute forme d’expression d’origine anglaise. Pour Lamontagne (1996 : 14), anglicisme est porteur d’une valeur négative a priori dès le début de la lexicographie québécoise, son emploi étant « pour ainsi dire réservé aux emprunts critiqués ». Au Québec comme ailleurs, cette connotation négative est toujours largement répandue aujourd’hui et est manifeste entre autres dans les publications officielles de l’Office québécois de la langue française (OQLF) et dans des ouvrages lexicographiques tels le Nouveau Petit Robert et Usito, qui établissent habituellement une distinction entre anglicisme pour les emprunts critiqués et réservent mot anglais ou de l’anglais pour les emprunts acceptés (voir à ce sujet Höfler 1976; Maltais 1989, 1990; Humbley 2008). Lorsque la mention d’origine anglaise n’apparaît que dans la rubrique étymologique, on peut supposer que le lexicographe a considéré le mot comme étant parfaitement intégré (voir Wionet 2008 : 90 et suiv.)

10 Cette date, ainsi que les suivantes pour les -ismes, sont celles données comme première attestation dans le Dictionnaire historique

de la langue française (2012).

11 Voir par exemple les traitements différents que reçoivent ces termes dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (1751-1772) et

l’effort de désambiguïsation que tente Beauzée et Douchet, l’auteur des entrées hellénisme et gallicisme.

12 Par exemple, dans la 4ème édition du Dictionnaire de l'Académie française (1762) et dans le Dictionnaire critique de Féraud

(25)

9

1.1.2. Anglicisme sémantique

Les auteurs distinguent généralement deux sous-catégories d’emprunts sémantiques, soit l’emprunt de sens et le calque13. Alors que le calque concerne véritablement le « sens » puisqu’il est défini comme une « traduction

littérale d’un mot ou d’un groupe de mots qui conserve(nt) le sens de l’unité anglaise qu’il(s) ser(ven)t à rendre en français » (Lamontagne 1996 : 7), les définitions de l’emprunt de sens sont essentiellement basées sur une ressemblance morphologique qui, selon de Villers (2005 : 218) « trompe les locuteurs qui attribuent les mêmes significations à ces mots de forme identique ou voisine ». Ainsi, la forme est au cœur de la définition que propose Guiraud (1965 : 112) et reprise par Bernard (2006 : 183) : « le procès par lequel le sens d’un mot étranger déteint sur un mot indigène de forme identique ou voisine », ou encore de celle de Mareschal (1989 : 111) : « l’attribution d’un signifié de la langue donneuse à une unité lexicale de la langue emprunteuse, unité dont la forme ressemble à celle de la langue donneuse ». Colpron (1982 : XVIII) est encore plus explicite : « [il s’agit] d’un sosie de forme, c’est-à-dire d’un mot anglais dont la plupart des lettres sont identiques à celles du mot français en question », ajoutant que « c’est à cause de cette ressemblance formelle […] qu’on traduit automatiquement un mot par l’autre et qu’on commet ainsi des anglicismes de sens, car les champs de signification des deux mots ne se recouvrent pas complètement, sinon pas du tout […] ». D’autres définitions sont plus générales et permettent de recouvrir les calques, comme celle de Darbelnet (1976 : 87), pour qui l’emprunt sémantique est « le phénomène par lequel un mot parfaitement français acquiert un sens anglais ». Les termes utilisés pour désigner l’emprunt de sens sont nombreux, et l’on trouve entre autres : faux-amis (p. ex., Kœssler & Derocquigny 1931; Vinay & Darbelnet 1977; de Villers 2005; Bouchard 1999), anglicisme

sémantique ou anglicisme de sens (p. ex, Colpron 1970a; Lamontagne 1996; Caron-Leclerc 1998), anglicisme de signifié (p. ex., Bernard 2006) interférence (Darbelnet 1970; de Villers 2005; Humbley 2010), mots-sosie

(p. ex., Van Roey 1984), emprunt sémantique ou emprunt de sens (p. ex., Klein et al. 1997; Martel et al. 2001; Loubier 2011). Du côté anglophone, on retrouve à l’occasion loanshift (p. ex., Haugen 1950), borrowed meaning (p. ex., Breu 2003) ou semantic shift (p. ex., Fee 2008), mais la plupart des auteurs semblent utiliser indistinctement semantic loan ou semantic borrowing (p. ex., Eringa 1977; Winter-Froemel 2009). Le terme false

friends (parfois utilisé en français, faux-amis) désigne des mots de langues différentes qui ont soit un étymon

commun ou qui présentent une ressemblance formelle fortuite (p. ex., Rothwell 1993, 1998; Broz 2008; Beeching 2010; Peeters 2011), très rarement l’influence sémantique d’un mot d’une langue X sur les usages

13 Mais Loubier (2011 : 12-13) fait du calque une catégorie générale, dont le calque morphologique, le calque sémantique (i.e. l’emprunt

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10

d’un mot d’une langue Y14. Chamizo Domínguez & Nerlich (2002) introduisent quant à eux une distinction entre

les faux-amis sémantiques (« semantic false friends », de même étymon) et les faux-amis fortuits (« chance false friends », dont la ressemblance est accidentelle), notant que les uns comme les autres peuvent entraîner des erreurs d’interprétation.

L’abondance de termes pour désigner l’emprunt de sens laisse entrevoir des conflits au plan typologique. Au Québec seulement, si quelques auteurs comme Lamontagne (1996), Caron-Leclerc (1998) et de Villers (2005) utilisent une typologie tripartite (anglicisme lexématique ou lexical, anglicisme sémantique et calque ou emprunt

syntaxique) qui sépare les emprunts de sens des « traductions » que sont les calques, d’autres comme

Loubier (2003) regroupent l’emprunt sémantique et le calque dans la même catégorie, et distinguent plutôt les emprunts morphosémantiques (intégral avec ou sans adaptation, hybride) et les « faux-emprunts ». Mareschal (1989) rassemble elle aussi l’emprunt de sens et le calque, mais effectue un découpage différent pour les autres catégories (emprunt de forme et de sens, emprunt de forme, emprunt de modèle et ex-emprunt). La typologie de Poirier (1995) présente cinq catégories (anglicisme lexématique, sémantique, grammatical,

phraséologique et de statut) dont seule la dernière n’implique pas directement de phénomènes sémantiques

selon l'auteur. Enfin, Colpron (1970b), propose une typologie qui comprend 9 catégories différentes d’emprunt à l’anglais (phonétique, graphique, morphologique, de modalité grammaticale, sémantique, lexical, locutionnel,

syntaxique et structural) et subdivise celle des emprunts de sens – qui comprend aussi les calques, dits…

« anglicismes sémantiques de sens » – en pas moins de 25 sous-catégories15. Cette classification, jugée sans

doute trop complexe pour un ouvrage d’usage populaire et didactique, a néanmoins été considérablement simplifiée dans les versions ultérieures du Dictionnaire des anglicismes (Colpron 1982; Forest & Boudreau 1998).

1.2. Études sur les emprunts à l’anglais

1.2.1. Avatars du purisme au Québec : proscription et aménagement linguistique

Depuis le début du XIXe siècle, la question de la (mauvaise) influence de la langue anglaise est une

préoccupation constante au Québec. De nombreuses études (p. ex., Bouchard 1989, 1999; Lamontagne 1996;

14 Fee (2008) est la seule étude que nous ayons trouvé qui aborde – partiellement − le sujet de l'influence sémantique pour l'anglais. 15 Il s’agit de l’anglicisme de sens étendu de forme (linguistique et métalinguistique) et de sens, de sens plus précis de forme et de sens,

de sens plus général de forme, de sens non appliqué de forme et de sens, de sens imagé de forme et de sens, de sens abstrait de forme et de sens, de sens concrétisé de forme, de sens diminué de forme et de sens, de sens augmenté de forme, de sens antonymique de forme, de sens activé de forme, de sens passivé de sens, de sens transitivé de sens, de sens intransitivé de forme, de sens inversé de forme et de sens, et enfin de style de forme et de sens.

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11 Poirier & St-Yves 2002, Remysen 2003, 2004a, 2010, 2012; St-Yves 2006) font ressortir le fait que cette préoccupation envers l’anglais, révélatrice d’un sentiment d’insécurité linguistique ou d’inadéquation entre une norme perçue et le français utilisé au Québec, se manifeste entre autres par la publication de chroniques de langue dans les journaux et d’un nombre important de recueils de « fautes » et de « difficultés », de la première moitié du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. S’il est vrai que ces ouvrages ne visent pas exclusivement les

emprunts à l’anglais et s’attaquent aussi à toutes les « expressions vicieuses » (p. ex., Gingras 1860; Manseau 1881), les « barbarismes » (p. ex., Boucher-Belleville 1855), les « fautes » (p. ex., Rinfret 1896; Laurin 2006) et les « difficultés » (p. ex., Dagenais 1967 et suiv.; de Villers 1988 et suiv.; Roux 2004; Chouinard 2007), exhortant les Québécois à utiliser un « bon » langage (p. ex., Blanchard 1914 et suiv.; Dulong 1968), la cible de choix reste cependant l’« anglicisme », comme le mentionnent explicitement plusieurs titres (p. ex., Tardivel 1880; Colpron 1970b et suiv.; Parmentier 2006; Forest 2006, 2008; Cardinal 2009; D'Apollonia 2010).

De fait, au tournant du XIXe siècle, certains auteurs n’hésitent pas à comparer l’emprunt à l’anglais à un

adversaire, comme en fait foi le fameux L’anglicisme, voilà l’ennemi (Tardivel 1880). Blanchard (1912) lance un

En garde!, tandis que Lorrain (1920 : 53) prévient que l’influence anglaise « attaque en même temps les mots

français, la construction et la pensée françaises ». Même si un tel vocabulaire belliqueux est beaucoup plus rare après 1950, il se trouve quelques auteurs pour poursuivre le « combat », tel Forest (2006 : 12) qui se dit prêt à « déterr[er] la hache de guerre contre la peste qui nous ronge », assimilant son effort à un combat contre une épidémie. Les appels à la « mère patrie » (la France) sont nombreux, et c'est son patrimoine, la langue de France, qu'il faut défendre. L'auteur de Notre beau parler de France n'hésite pas, quant à lui, à comparer l'emprunt à un poison lorsqu'il publie son ouvrage « avec l’espoir d’apporter un antidote de plus contre l’anglicisme » (DeCelles 1929 : 4). Les métaphores employées pour décrire les emprunts à l’anglais ne manquent pas : invasion, infiltration, guerre, chasse, maladie, contagion16… Charbonneau (1991 : 84) réunit

tant la maladie que l'invasion barbare lorsqu'elle déclare que « lorsque "les déficits champignonnent", c'est moins à la prolifération de la dette qu'on pense, qu'à celle du barbarisme ».

Les emprunts de sens – ces « faux-amis » – sont jugés encore plus insidieux, dangereux et pernicieux que les autres emprunts à l’anglais, parce que leur origine étrangère n’est pas aisément détectable. Pour la période de 1800 à 1930, Lamontagne (1996) remarque que l’emprunt sémantique est perçu comme plus nuisible à la

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12

structure et au « génie » de la langue que l’emprunt dit formel17. Au premier rang des responsables, on pointe

les mauvaises traductions, mais surtout les traducteurs amateurs (Maurais 1999 : 8-9; Larrivée 2009 : 150). Ce sont eux que veut mettre en garde le spécialiste de la linguistique différentielle Darbelnet (1963 : 33) lorsqu’il affirme qu’« il n’y a rien de plus insidieux que les contaminations de sens, parce qu’elles laissent intacte la forme des mots », ajoutant que « l’inconvénient de ces invasions sémantiques, c’est que le mot contaminé garde aussi son sens français » (p. 29). Delisle (1988 : 148) désigne également les traducteurs amateurs comme responsables et prévient que « les mots les plus "trompeurs" [sont] ceux qui n’ont pas la même extension sémantique dans les deux langues ». Auteure d’une thèse sur les effets du non-professionnalisme dans la traduction, Drozdale (1988 : 138) est catégorique dans son évaluation de l’emprunt de sens : « toutes ces "surcharges sémantiques" sont à condamner ».

Mais peu importe qu’ils soient ou non le fait de mauvaises traductions, les emprunts sémantiques à l’anglais restent les plus dangereux. Bouchard (1989 : 72) souligne dans son étude que la menace que représente l’emprunt de sens est souvent représentée par la métaphore d’« un ennemi infiltré dans la place sous un déguisement qui trompe la vigilance des sentinelles ». De telles métaphores (ennemi, invasion, infiltration…), pour référer aux emprunts en général, et aux emprunts sémantiques en particulier, ne doivent pas surprendre : elles sont typiques du discours puriste, qui se complaît selon Delveroudi (2008 : 34) dans « le culte et la nostalgie du passé, la déploration de l’état actuel, la prévision d’un avenir encore plus néfaste, la précellence attribuée à l’écrit, la conception unifiée de la langue, la xénophobie ». Cellard & Larose (2010 : 32) notaient, parlant de l’attitude de l’élite québécoise de la première moitié du XIXe siècle, que l’« on se félicitera longtemps

d’avoir conservé la langue de Louis XIV au faîte de sa gloire ».

Si notre recherche ne porte pas directement sur le purisme, il faut reconnaître que ce sujet est incontournable dès qu’il s’agit des emprunts à l’anglais et que l’attitude puriste – telle que décrite ci-dessus – est loin d'avoir disparue après la Révolution tranquille18. La vaste majorité des recueils mentionnés précédemment utilise le

modèle rhétorique ne dites pas X dites Y, que Paveau & Rosier (2008), à la suite de Berrendonner (1982), associent directement au discours puriste. Ces ouvrages emploient typiquement le terme anglicisme plutôt que

emprunt; Courbon & Paquet-Gauthier (2014 : 148) notent d’ailleurs que l’utilisation du terme emprunt est rare

17 Nous reviendrons dans la section 2.2.1. sur quelques-uns des problèmes que soulèvent les typologies présentant le sens sous une

forme exclusivement lexicale.

18 Pour des exemples de la fin du XXe siècle, voir l'essai de Laforest (1997) et son analyse du phénomène puriste autour de la parution

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13 au Québec avant 1950, sans doute parce que son axiologie neutre voire positive rend difficile son association à une « invasion » linguistique.

Longtemps, la défense de la langue française au Québec a été étroitement associée à la survivance de la morale catholique face aux anglophones à majorité protestante19 (Cellard & Larose 2010 : 23; Remysen 2003 : 29). À

l’occasion du premier congrès de la langue française, organisé par la Société du Parler français en 1912, on entend cette exhortation : « Canadien français, contre qui voudrait te la ravir, défends ta langue; contre qui voudrait l’asservir, libère ton âme catholique et française, et l’avenir t’appartient! » (cité par Bossé-Andrieu & Cardinal 1988 : 81). L’emploi de sens influencés de l’anglais est donc une faute tant lexicale que morale : se laisser « contaminer » est un signe de relâchement, d’insouciance et d’irresponsabilité dans le devoir collectif de préservation d’une « bonne » langue française, mais constitue surtout une trahison envers la nation20. Les

responsables sont tout désignés : « Les cibles les plus fréquemment visées sont des institutions (l’école en particulier), mais aussi des professions libérales liées à l’exercice de la parole, comme celles de député ou de journaliste. La victime par excellence reste néanmoins l’ennemi de l’intérieur dont le type même (parce que plus honteux) est le Canadien français coupable d’apostasie identitaire (par goût des affaires, par anglomanie ou, pire, par pur snobisme) » (Cellard & Larose 2010 : 34).

L’association entre identité nationale, religion et pureté de la langue n’est ni fortuite ni spécifique au Québec. L’historien Peter Burke remarque à propos de l’ardent défenseur de la langue française (et calviniste) Henri Estienne (1528-1598), que sa dénonciation des italianismes21 était tout autant liée à ses tentatives de

standardisation de la langue qu’à sa haine de l’italienne (et catholique) Catherine de Médicis. Il ajoute que « certains défenseurs de la pureté de la langue [sont] également […] des puristes religieux, [et que] l’intérêt pour la pureté linguistique en Allemagne [a] été le plus intense au moment même des poussées d’antisémitisme » (Burke 1998 : par. 25). S’il serait plus que douteux de comparer l’antisémitisme allemand à la lutte contre les emprunts à l’anglais au Québec, il n’en demeure pas moins possible d’inscrire le purisme québécois dans le vaste mouvement de purification linguistique qui a aussi cours en Europe aux XIXe et XXe siècles et qui va de

pair avec l’émergence des revendications nationales (Burke 1998; Delveroudi 2008). À ce titre, le purisme n’est

19 Pensons au prolifique abbé Blanchard (1883-1952), ainsi qu’au frère Jean-Ferdinand et son Refrancisons-nous (1951). La publication

en 1960 des Insolences du Frère Untel par le frère mariste Jean-Paul Desbiens, qui décrivait le français au Québec comme une « langue désossée parlée par une race servile », marque cependant un tournant dans cette lutte sur des bases religieuses et annonce les revendications identitaires – laïques – de la Révolution tranquille. Selon Larrivée (2009 : 53), « la foi se trouvera ainsi remplacée par la langue comme facteur d’une identité désormais résolument québécoise ».

20 Pour une analyse du lien entre trahison et purisme, voir Delveroudi (2008 : 28).

21 Bien avant les « anglicismes », ce sont les « italianismes » qui constituent une menace pour le « génie » et la « clarté » de la langue

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donc pas simplement linguistique, mais témoigne plutôt d’une « anxiété envers l’intrusion ou l’invasion culturelle » (Burke 1998 : par. 28).

Bien que le gros des écrits qui constituent le fonds documentaire sur la langue au Québec ait été produit par une certaine élite sociale, cela ne signifie pas pour autant que la population en général ne se préoccupe pas de la qualité de la langue et de la question des emprunts à l’anglais. Le fait que près de 20% des occurrences du mot anglicisme dans la presse (1992-2012) se trouvent dans le courrier des lecteurs (Courbon & Paquet-Gauthier 2014, données de corpus non publiées) indique clairement que le sujet intéresse – et inquiète. Il faut également noter avec Rosier (2008 : 56) que « l’ensemble des observations puristes sur la langue ne sont pas "fausses", à partir du moment où l’on considère qu’elles relèvent d’une linguistique populaire, qui possède une validité scientifique fondée non pas sur la logique analytique mais sur la perception ». De fait, « les puristes ne sont peut-être que des individus hypersensibles à des menaces ressenties par l’ensemble de la société » (Burke 1998 : par. 22). Au Québec, au plus fort de la période nationaliste, cette menace est sans contredit celle de l’assimilation linguistique et culturelle22 (Chanady 1994 : 172 et suiv.).

Cependant, comme le signalent Paveau & Rosier (2008 : 45), le purisme ne se réduit pas à une position de repli ou de défense et « n’emprunte pas nécessairement la forme d’une chasse aux sorcières conservatrice mais peut aboutir […] à la néologie23 ». Même si l’on peut considérer que certains auteurs de la période pré-Révolution

tranquille tentent d’aborder le phénomène de l’emprunt par une approche plus « glossairiste » que proscriptive (Poirier & St-Yves 2002), ce n’est véritablement qu’à partir du début des années 1960 que les travaux sur les spécificités du français québécois ne sont plus exclusivement orientés vers la dénonciation, mais s’intéressent aussi à la description, à la standardisation et à la régularisation des pratiques langagières (Heller 2008 : 223). Ces recherches s’inscrivent dans le développement de rapports complexes avec le reste du Canada, mais surtout avec la France, alors que le Québec est partagé entre le désir de reconnaissance et le besoin d’émancipation des normes langagières de Paris (Larrivée 2009 : 56). On assiste à l’émergence de ce que l’on pourrait appeler un mouvement de valorisation du français québécois : l’objectif principal de ce mouvement n’est plus de purger la langue des mots qui « ne sont pas français », mais plutôt de démontrer que ses particularismes s’expliquent par les conditions linguistiques des premiers temps de la Nouvelle-France. L’heure est aux revendications identitaires qui passent par la mise en valeur de cette variété de français et de ses québécismes

22 Voir également Dorais (2004 : 5), qui fonde l’identité culturelle sur la prise de conscience de l’existence d’un Autre qui pense, agit et

communique de façon différente de la sienne.

23 Ce point est également traité par Leclercq (2011), qui montre que la productivité au sein de la langue française est le principal critère

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15 « de bon aloi », qui témoignent de la créativité et de la capacité d’adaptation des Québécois (Remysen 2010). En particulier, on s'attache à démontrer que nombre de supposés anglicismes sont plutôt d’origine galloromane (p. ex., Juneau 1971; Juneau & Poirier 1977; Poirier 1978). Cependant, comme le souligne Larrivée (2009 : 148), « la libéralisation progressive des attitudes face aux canadianismes ne se reportera jamais aux formes d’origine présumée anglaise » : tandis que les « amérindianismes24 », les « archaïsmes25 »

et les néologismes du cru sont célébrés, les emprunts à l’anglais demeurent l’opprobre du français québécois26.

Dans cette nouvelle entreprise de valorisation qui naît de la Révolution tranquille, la nécessité de décrire, de standardiser et de régulariser les pratiques langagières favorise le développement des premiers programmes complets en traduction et des premières commissions chargées de la création terminologique (Maurais 1999 : 15). Selon Delisle (1998), un nouveau programme de traduction est mis sur pied chaque année au Québec entre 1968 et 1984. En 1961 naît l’Office de la langue française (Office québécois de la langue française [OQLF] depuis 2002); la Charte de la langue française (Loi 101) est adoptée en 1977 et l’année 1980 voit la publication de l’Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères27. L’objectif est d’assurer

l’utilisation du français comme langue de travail : il faut donc fournir des équivalents français aux termes anglais, dans un « processus de changement linguistique planifié » (Loubier 1995 : 10).

Au cœur de l’aménagement linguistique ainsi élaboré se trouve la distinction dichotomique entre emprunt « de nécessité » et emprunt « de luxe » (p. ex., de Villers 1994 : 256-257), que Deroy (1956) présentait comme relevant respectivement de la « nécessité pratique » et des « raisons de cœur ». Cette dichotomie, présente également dans les ouvrages lexicographiques (voir supra 2.1.), est intégrée à la Politique de l’emprunt

linguistique de l’OQLF (2007), qui fonde en grande partie les critères d’acceptabilité des emprunts sur le fait

24 Même si cette question déborde largement le cadre de ce mémoire de maîtrise, nous souhaitons nous distancier de cette terminologie,

non pour nier l'apport des langues amérindiennes dans le lexique du français au Québec, mais plutôt pour souligner le manque de reconnaissance et l'ethnocentrisme que le terme amérindianisme implique. En effet, des mots comme carcajou et atoca viennent de langues de familles différentes, soit le montagnais (famille algonquienne) pour le premier et le huron (famille iroquoienne) pour le deuxième (Lanthier 1999). Les regrouper sous le même vocable fourre-tout nous semble inconsidéré, surtout lorque l'on compare ces amalgames avec le soin pris à décrire les différentes souches dialectales françaises des québécismes.

25 Il faut ici souligner à quel point il nous semble contradictoire de vouloir d'un côté rejeter la vision monocentrée de la langue (norme

« de Paris ») en célébrant la diversité des usages du français dans le monde et en particulier au Québec, tout en continuant de l'autre côté à situer cette diversité par rapport à une chronologie monocentrée en perpétuant l'utilisation du terme archaïsme pour des usages qui, au Québec du moins, ne sont jamais sortis de l'usage.

26 Pour un exemple récent, voir de Villers(2005); pour une analyse de ce phénomène, voir Courbon & Paquet-Gauthier (2014 : 154-156). 27 Il est intéressant de constater que dans sa nouvelle mouture (Politique de l’emprunt linguistique 2007), l’OQLF a modifié le titre de

façon à faire disparaître l’adjectif étranger. Doit-on y voir ce que Boulanger (2000) appelle la « néobienséance langagière », ou une forme de diplomatie Québec-Canada? De plus, et bien que le titre n’annonce que des emprunts formellement apparents (« de formes linguistiques étrangères »), cet Énoncé accorde une place importante aux emprunts de sens et aux calques. On retrouve également cette ambiguïté dans De l’usage de l’emprunt linguistique (Loubier 2011 : 11, pour l’OQLF), qui ne présente comme catégories d’emprunts que l’emprunt lexical, l’emprunt syntaxique et l’emprunt phonétique. L’emprunt de sens, appelé du nom générique de calque (voir supra 2.1.) n’est qu’une sous-catégorie d’emprunt lexical.

Figure

Tableau 1 C-Jrn : Sources exploitées par sous-corpus périodisé
Tableau 3 Corpus lexicographiques exploités
Tableau 5   Première mention d'un sens critiqué dans la lexicographie québécoise pour les UL principales (gras + italiques) et  secondaires (italiques)
Tableau  6  Unités  lexicales  formées  sur  la  base  lexicale  construite  alternat- :  présence  de  proscriptions  dans  les  corpus  lexicographiques, en nombre de mentions
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