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Entre patrimonialisation et aménagement du territoire : une archéologie des représentations des communautés religieuses dans le développement et la mise en valeur des "grands domaines" de Sillery (Québec, Canada)

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Academic year: 2021

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(1)

Entre patrimonialisation et aménagement du territoire :

une archéologie des représentations des communautés

religieuses dans le développement et la mise en valeur

des "grands domaines" de Sillery (Québec, Canada)

Mémoire

Laurent Aubin

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire

Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

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Entre patrimonialisation et aménagement

du territoire : une archéologie des

représentations des communautés

religieuses dans le développement et la

mise en valeur des « grands domaines » de

Sillery (Québec, Canada)

Mémoire

Laurent Aubin

Sous la direction de :

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Résumé

Depuis quelques années, les communautés religieuses du Québec expérimentent des transformations considérables sous l’effet de la baisse et du vieillissement de leurs effectifs. Il en découle de multiples manifestations visant à protéger et mettre en valeur le patrimoine des congrégations.

Ce mémoire s’intéresse plus précisément au processus de requalification des propriétés conventuelles et la patrimonialisation qu’il suscite dans l’optique de l’aménagement du territoire, à travers une archéologie des représentations.

Le présent mémoire étudie la patrimonialisation et la planification du secteur des « grands domaines » du site patrimonial de Sillery, un quartier de la ville de Québec au Canada entre 1964 et 2016. Il retrace et analyse les interprétations associées à la représentation des communautés religieuses et leur usage dans les discours et les pratiques aménagistes.

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Abstract

In recent years, religious communities in Quebec have been experiencing changes as a result of the decline and aging of their members. As a result, there are attempts to protect and enhance the communities’ heritage.

This thesis focuses on the process of requalification of convent properties and their patrimonialization, in the perspective of urban planning, through an archeology of representations.

The thesis examines patrimonialization and planning processes that took place between 1964 and 2016 on the main estates of the Sillery Heritage Site, located in Quebec City, Canada. It traces and analyzes interpretations associated with representations of these communities and their use in discourses and planning practices.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières... iv

Liste des figures ... vi

Liste des abréviations ... vii

Introduction ... 1

Chapitre 1. L’aménagement du territoire et la patrimonialisation : pour un nouveau cadre d’étude du patrimoine des communautés religieuses ... 4

1.1. Précisions conceptuelles ... 6

1.1.1. Le patrimoine ... 6

1.1.2. La patrimonialisation ... 7

1.1.3. L’aménagement du territoire ... 8

1.1.4. Le patrimoine et l’aménagement ... 10

1.1.5. Le patrimoine des communautés religieuses... 11

1.2. Principales orientations méthodologiques ... 14

Chapitre 2. 1964-1988 - De l’histoire à la nature : l’émergence d’une représentation des communautés religieuses comme « gardiennes des lieux » aux prises avec les processus de patrimonialisation ... 19

2.1. L’amorce d’urbanisation des grands domaines ... 20

2.2. Vers la déclaration de l’arrondissement historique ... 21

2.2.1. La notion d’arrondissement historique ... 22

2.2.2. Caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery en 1963 ... 23

2.3. Les premières années de l’arrondissement (1963-1972) ... 25

2.3.1. Le cas de Cataraqui ... 26

2.3.2. Évolution du caractère de l’arrondissement historique ... 28

2.3.3. La Stratégie de préservation et de mise en valeur de la falaise et de ses abords ... 29

2.3.4. Le Vieux-Sillery – André Bernier ... 31

2.3.5. L'architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas ... 32

2.3.6. Le lotissement de Kilmarnock ... 34

2.4. Le plan d’urbanisme de 1981 ... 36

2.5. L’affaire Cataraqui en 1983 ... 39

2.5.1. Le projet de la Maison-Michel Sarrazin ... 40

2.5.2. Les auditions publiques d’août 1983 ... 42

2.5.3. Le bilan de la Commission des biens culturels du Québec ... 44

(6)

2.6.1. Un rôle politique... 49

2.6.2. Le rapport de 1982 ... 51

2.6.3. Le cas du Boisé des Augustines ... 52

Chapitre 3. 2005-2016 : Le nouveau millénaire ou la métamorphose d’un territoire : des discours et des outils d’aménagement et leurs nouvelles assises . 55 3.1. Un contexte urbanistique et immobilier particulier : le site patrimonial de Sillery au XXIe siècle ... 56

3.2. Des premières conversions qui sèment la controverse... 59

3.3. Des outils de planification en redéfinition ... 63

3.4. Un renouvellement des discours de conservation ... 68

3.5. De gardiennes à spéculatrices : une représentation paradoxale des communautés religieuses ... 69

4. Chapitre 4 : Le patrimoine des communautés religieuses : réflexion sur une empreinte sur le territoire ... 75

4.1. De la synthèse ... 76

4.2. Des limites ... 80

4.3. De la portée ... 82

Conclusion ... 86

Bibliographie ... 90

(7)

Liste des figures

Figure 1. La maison des Jésuites-de-Sillery ... 24

Figure 2. Vue aérienne du lotissement Kilmarnock ... 35

Figure 3. Détail, Plan d'affectation du sol et répartition des densités ... 38

Figure 4. Vue aérienne du Domaine Cataraqui ... 41

Figure 5. Lotissement des propriétés des Assomptionnistes et des Sœurs de Sainte-Jeanne d'Arc ... 48

Figure 6. Caricature du maire Charles-H. Blais ... 50

Figure 7. Extrait de la carte « Les pôles métropolitains et les axes structurants » du PMAD ... 57

Figure 8. Le Château de Bordeaux sur l'ancienne propriété des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux ... 60

Figure 9. La première phase de développement de la propriété des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique ... 61

Figure 10. Carte du projet Domaine Benmore et Sous-les-Bois ... 62

Figure 11. Détail de la carte « Arrondissement de Sainte-Foy-Sillery » dans le PDAD ... 64

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Liste des abréviations

AHS : Arrondissement historique de Sillery

CBCQ : Commission des biens culturels du Québec

CMH : Commission des monuments historiques CPCQ : Conseil du patrimoine culturel du Québec CSMQ : Conseil des monuments et sites du Québec LAU : Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

LBC : Loi sur les biens culturels LMH : Loi des monuments historiques LPC : Loi sur le patrimoine culturel MAC : Ministère des Affaires culturelles

PDAD : Plan directeur d'aménagement et de développement PMAD : Plan métropolitain d'aménagement et de développement PPU : Programme particulier d’urbanisme

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There is no logic that can be superimposed on the city; people make it, and it is to them, not buildings, that we must fit our plans. – Jane Jacobs

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent d’emblée à mon directeur de recherche Étienne Berthold. Dès le début de l’aventure de cette deuxième maîtrise, il a su par ses conseils judicieux et sa passion pour les études urbaines m’intéresser à un sujet qui ne m’était pas familier, le patrimoine des communautés religieuses. Son support tout au long de mon parcours cahoteux et son érudition font que je le considère comme un véritable mentor. Merci !

Je remercie tout autant mes deux examinateurs, Mélanie Lanouette et Marc Saint-Hilaire, pour leur temps et leurs commentaires toujours constructifs. Je souligne aussi le support du Département de géographie de l’Université Laval, un milieu qui favorise la multidisciplinarité et la pensée critique.

Merci à toute l’équipe du projet « Le patrimoine des communautés religieuses : empreintes et approches » de la Chaire Fernand-Dumont sur la culture de l'Institut national de la recherche scientifique (Centre Urbanisation Culture Société) à Québec. Autre qu’Étienne, je pense aux professeures Diane Saint-Pierre, Linda Beaurivage et Ariane Vignola, pour m’avoir donné ma première chance en tant que stagiaire de recherche, ce qui a mené ensuite à l’organisation d’un colloque international et à la publication d’un ouvrage collectif.

Merci à toute l’équipe de l’Atlas de la vulnérabilité, spécialement Nathalie Barette et Benoit Lalonde pour avoir élargi mes intérêts scientifiques au domaine riche de l’adaptation aux changements climatiques et à une nouvelle forme de méthode de recherche. À mes collègues auxiliaires du local 3179, Jean-Louis, Louis-Pierre, Jean-Simon, Xavier, Simon, Jean-Philippe et j’en passe, merci pour votre amitié et les fertiles discussions.

J’aimerais également adresser un merci particulièrement senti à ma famille, plus particulièrement à mon père et à ma mère, Jean-Claude et Catherine, qui ont dès mon plus jeune âge toujours su attiser ma curiosité et m’inculquer l’importance de l’éducation. Merci pour vos encouragements et votre soutien sans borne !

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Je ne pouvais terminer ces remerciements sans adresser quelques mots à la personne la plus importante pour moi, ma blonde, Gabrielle. Je tiens sincèrement à te témoigner toute la reconnaissance et l’affection que j’ai pour toi. Tu m’as accompagné et réconforté à chaque instant. Ton aide et ton soutien tout au long de mon cheminement, qui a été pour le moins turbulent, et ce malgré mes angoisses et mes atermoiements, m’ont permis de garder la tête haute et de continuer. Merci !

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Introduction

À partir de la Révolution tranquille, mais plus particulièrement depuis le tournant du millénaire, on constate un déclin marqué et inexorable des effectifs des communautés religieuses au Québec. Le recrutement est très faible et chaque année, des centaines de religieuses décèdent. Une étude réalisée par la firme Samson Bélair prévoit d’ailleurs « l’extinction complète des communautés en 2035, si la tendance démographique se maintient » (Laurin, 2002 : 8).

De plus en plus de congrégations sont dans l’obligation de vendre leurs propriétés immobilières, souvent trop vastes et dont l’entretien est coûteux. Depuis une quinzaine d’années, l’aliénation de multiples ensembles conventuels à la grandeur du territoire québécois, tant en milieu urbain que rural, illustre bien cet irrésistible mouvement.

La vente de ces couvents et autres monastères suscite un mécanisme de conversion, ou encore plus précisément de requalification, c’est-à-dire le processus d’attribuer à ces propriétés une nouvelle vocation, qui s’accompagne généralement de la consolidation du milieu, entre autres par la construction de nouveaux bâtiments.

On observe, aussi bien dans l’élaboration des politiques publiques d’aménagement du territoire que dans la littérature scientifique, que les impacts de ces changements d’usage sont sous-estimés sur l’aménagement des villes. Ces transformations immobilières posent de nombreuses questions, notamment sur la prise en compte de la protection et la mise en valeur du patrimoine architectural, mais aussi de l’héritage social des communautés religieuses dans leur communauté.

Le présent mémoire s’intéressera ainsi à cette problématique, dans l’optique des études patrimoniales et de la géographie urbaine, par l’entremise de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Notre principal objectif est donc

(14)

d’aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire.

Notre mémoire poursuit l’objectif principal d’étudier les rapports qui unissent le patrimoine et la patrimonialisation, d’un côté, et l’aménagement du territoire, de l’autre côté.

Plus précisément, le présent mémoire cherche à : 1- contribuer à l’étude du patrimoine sous l’angle des processus de patrimonialisation et des discours qui l’animent; 2- aborder l’aménagement du territoire sous l’angle des perceptions, des conceptions et des discours qui l’étayent; 3- aborder la requalification des propriétés conventuelles comme un phénomène qui relève à la fois de la patrimonialisation et de l’aménagement du territoire; 4- étudier les processus sous-tendant la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery en mettant en exergue leurs rapports à la patrimonialisation, à l’aménagement du territoire et au rôle des groupes d’intérêt.

Nos questions de recherche sont les suivantes : de quelle manière les nouvelles conceptions du patrimoine transforment-elles les pratiques aménagistes ? De quelle façon la patrimonialisation marque-t-elle la requalification des ensembles conventuels ?

Notre hypothèse est structurée en trois volets :

1. La patrimonialisation et l’aménagement du territoire constituent des champs d’action idéologiques soumis notamment aux discours des acteurs sociaux;

2. La patrimonialisation « entraîne » la requalification des propriétés conventuelles dans un processus de protection et de mise en valeur qui traduit une idéologie de la conservation;

3. Les processus de patrimonialisation des propriétés conventuelles peuvent être largement teintés par les préoccupations de différents acteurs (gouvernements, municipalités, communautés religieuses, promoteurs, citoyens) et l’évolution du cadre légal, comme l’exprime le cas des grands domaines de Sillery.

(15)

Le premier chapitre présentera notre cadre conceptuel, notamment les notions fondamentales de patrimoine, patrimonialisation et aménagement du territoire.

Les second et troisième chapitres présenteront quant à eux nos résultats : de 1964 au milieu des années 1990 pour le premier et de 2004 à 2016 pour le deuxième. Organisés sensiblement de la même manière, ces chapitres proposent une analyse du processus de patrimonialisation et de planification urbanistique du secteur de Sillery, en mettant en avant le rôle des représentations des communautés religieuses, lesquelles sont perceptibles à travers la construction des discours des acteurs institutionnels et citoyens.

Enfin, le quatrième chapitre clôt la présentation des résultats, revient sur nos objectifs de départs et propose une lecture nouvelle de nos conclusions.

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Chapitre 1. L’aménagement du territoire et la

patrimonialisation : pour un nouveau cadre

d’étude du patrimoine des communautés

religieuses

Le présent chapitre comprend une revue de la littérature des principaux éléments de notre cadre conceptuel : patrimoine, aménagement du territoire, patrimonialisation et patrimoine des communautés religieuses. De plus, elle situe notre cadre théorique, notamment l’archéologie des représentations. La revue de littérature nous permet de justifier nos divers questionnements et hypothèses. Seront également présentés nos objectifs et nos questions de recherche, ainsi que nos hypothèses.

Le territoire étudié correspond aux frontières du site patrimonial de Sillery, anciennement nommé arrondissement historique de Sillery. Ses limites sont décrites dans l’arrêté en conseil numéro 219 du 5 février 1964 et correspondent approximativement au quadrilatère suivant : au nord par le chemin Saint-Louis, à l’est par l’avenue De Laune, au sud par le fleuve Saint-Laurent et enfin, à l’ouest, par la côte à Gignac (voir Annexe A). Il est entièrement compris dans l’arrondissement de Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge de la ville de Québec et couvre près de 2,7 km2. Il englobe plus de 350 bâtiments, dont trois immeubles

patrimoniaux classés, incluant la maison des Jésuites-de-Sillery, classée en mars 1929, qui est l'un des trois premiers biens patrimoniaux ayant reçu un statut juridique du gouvernement du Québec1.

Le site patrimonial de Sillery, comme le décrit le ministère de la Culture dans son inscription au Registre du patrimoine culturel du Québec, « couvre un territoire à caractère résidentiel et institutionnel. Il se distingue, entre autres, par son patrimoine bâti et paysager représentatif de toutes les périodes de son développement depuis le Régime français ». Il comprend enfin huit sites inscrits à

1 Les deux autres immeubles patrimoniaux sont la Maison George-William-Usborne, classée en 1972

(17)

l'Inventaire des sites archéologiques du Québec. Il possède également un potentiel archéologique qui résulte de la présence amérindienne et euro-québécoise.

Dans la perspective de la requalification de propriétés conventuelles, le site patrimonial de Sillery constitue un cas singulier. En effet, avec une présence historique de six communautés religieuses catholiques sur son territoire, il représente la plus grande concentration d’ensembles conventuels de la région de Québec à l’hectare, voire du Québec tout entier. On retrouve également d’autres propriétés ayant appartenu à des communautés ailleurs à Sillery2, mais celles-ci

ont déjà un nouvel usage.

De plus, le statut de protection gouvernementale dont dispose le site patrimonial de Sillery depuis plus de cinquante ans encadre et conditionne grandement son développement autour de pratiques de conservation et de mise en valeur du patrimoine. Une telle dynamique fait du lieu un véritable laboratoire de l’évolution des pratiques urbanistiques et patrimoniales du Québec. De surcroît, on y retrouve une multitude d’acteurs (gouvernements, municipalités, communautés religieuses, institutions, gens d’affaires, groupes citoyens, etc.) qui s’intéressent de près au devenir du lieu.

La période qui sera étudiée s’étend de 1964 à 2016, soit de la création de l’arrondissement historique de Sillery jusqu’à l’entrée en vigueur du plan particulier d’urbanisme du site patrimonial de Sillery et ses environs3. Sur cette

période d’un peu plus de 50 ans, quatre des six communautés présentes sur le site ont vendu la totalité ou une partie de leurs propriétés silleroises. Cette période consacre donc un mouvement immobilier propice à l’étude de la requalification des propriétés conventuelles dans le site patrimonial de Sillery.

2 La Ville de Sillery, fusionnée à Québec en 2002, a compté jusqu’à 11 communautés religieuses sur

un territoire de 6,7 km2.

3 La deuxième version du programme particulier d’urbanisme a été dévoilée et adoptée aussitôt par

le Conseil municipal le lundi 21 décembre 2015. Néanmoins, en raison d’une demande de groupes citoyens à la Commission municipale du Québec de donner leur avis sur la conformité de celui-ci au schéma d’aménagement, il est entré en vigueur le 30 mai 2016.

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1.1. Précisions conceptuelles

1.1.1. Le patrimoine

La notion de patrimoine a fortement évolué lors de son passage du droit aux sciences sociales. Rappelons d’entrée de jeu l’étymologie du mot, qui vient du latin

patrimonium qui signifie littéralement « l’héritage du père ». À l’origine, il désigne

l’héritage que l’on tient de son père et que l’on transmet à ses enfants. Il a alors un sens de bien individuel. La sémantique du terme s’élargit après la Révolution française dans sa signification de « bien collectif ».

Néanmoins, le sens premier du terme est encore utilisé aujourd’hui, notamment dans le droit notarial. Il prend alors la signification suivante, soit l’« [e]nsemble des biens et des obligations d'une personne qui sont appréciables en argent. Il forme un tout constitué de l'actif et du passif d'une personne » (Reid, 2010).

Dans son aspect collectif, il est intéressant de rappeler la définition du concept dans la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel

et naturel de 1972 de l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science

et la culture (UNESCO) : « Le patrimoine est l'héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir » (UNESCO, 1972).

La définition du patrimoine dans la Loi sur le patrimoine culturel du Québec montre à quel point la notion s’est considérablement élargie dans les quarante dernières années. On lit dans le préambule de ce texte juridique que « le patrimoine culturel, reflet de l'identité d'une société, est constitué de personnages historiques décédés, de lieux et d'événements historiques, de documents, d'immeubles, d'objets et de sites patrimoniaux, de paysages culturels patrimoniaux et de patrimoine immatériel » (chapitre P-9.002).

Dans les années qui ont précédé l’adoption de cette loi en octobre 2012, un nombre important de rapports et d’études gouvernementales ont été rédigés sur la

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notion de patrimoine, notamment par le ministère de la Culture et la Commission des biens culturels du Québec. Selon nous, la plus pertinente est celle du Groupe-conseil sur la politique du patrimoine, ou rapport Arpin : « peut être considéré comme patrimoine tout objet ou ensemble, matériel ou immatériel, reconnu et approprié collectivement pour sa valeur de témoignage et de mémoire historique et méritant d’être protégé, conservé et mis en valeur » (Arpin, 2000 : 33).

Berthold reprend en partie cette définition dans une publication de 2012, en la simplifiant pour l’opérationnaliser : « Un bien, un ensemble de biens ou un héritage immatériel qu’une collectivité donnée entreprend de conserver par l’entremise de pratiques de restauration » (Berthold, 2012 : 12).

1.1.2. La patrimonialisation

En règle générale, la communauté scientifique aborde, de plus en plus, le patrimoine comme le résultat d’un processus de construction sociale, la patrimonialisation. La patrimonialisation est une approche théorique qui voit la constitution du patrimoine d’une collectivité donnée comme une démarche sociétale. On l’appelle aussi « mise en patrimoine » ou encore « construction patrimoniale ».

Dans cette perspective, les manifestations à caractère patrimonial font l’objet d’un processus de sélection investi, de part en part, de préoccupations présentistes (Hartog, 2012). Ainsi, le patrimoine n’existe pas a priori, il est construit socialement et les sociétés cherchent à répondre à leurs préoccupations actuelles à travers lui (Sol, 2007; Di Méo, 2008). Ce processus de sélection prend forme autour de pratiques discursives et il reflète plusieurs influences (Berthold, 2012), parmi lesquelles figurent les contextes socioéconomiques (Greffe, 2014), les idéologies politiques (Hobsbawm et Ranger, 1994) et les spécialisations disciplinaires provenant de l’univers de la culture savante (Davallon, 2006).

Le travail de patrimonialisation croise inévitablement un « entrelacs de sensibilités » qui lui donnent une impulsion ou contre lesquelles il se heurte (Auzas

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et Tran, 2010). L’inscription dans l’espace-temps du patrimoine est également fondamentale pour de nombreux auteurs. Pensons ici à Michel Lacroix (1997) qui le considère comme une construction du présent nourrie par l’idéologie de la conservation ou encore à Henri-Pierre Jeudy (2001) qui le voit quant à lui comme une logique d’action ayant pour matière le passé mais résolument inscrite dans les intentions et dans le « jeu » des acteurs du présent.

Une autre dimension incontournable de la patrimonialisation influence ses effets à l'échelle urbaine. En effet, les processus de patrimonialisation sont très influencés par les jeux d’acteurs qui s’expriment à travers elle et tout particulièrement, par les groupes d’intérêt qui l’ont investie très fortement afin de soutenir leurs conceptions et leurs discours. Martin Drouin aborde cette logique dans son ouvrage Le combat du patrimoine à Montréal (1973-2003) : « […] le patrimoine est avant tout une idée qui prend forme dans les discours. […] Afin d’ériger le bâtiment architectural en patrimoine, un discours doit donc proposer un argumentaire de légitimation qui, en l’absence de réalité objective du patrimoine, articulera son identification et sa sauvegarde » (Drouin, 2005 : 21).

En définitive, nous aborderons ainsi le patrimoine comme un « véhicule » de discours par l’entremise duquel les acteurs sociaux cherchent à exprimer des intérêts et à légitimer des positions.

1.1.3. L’aménagement du territoire

En tant que pratique professionnelle et domaine d’étude, l’aménagement du territoire suscite un intérêt grandissant, notamment au Québec. Ce phénomène assez récent peut s’expliquer par plusieurs facteurs concomitants. D’une part, le cadre légal et réglementaire en matière d’aménagement et d'urbanisme connaît un développement soutenu depuis quelques années dans des secteurs aussi variés que la protection du territoire et des activités agricoles, la qualité de l’environnement ou encore le patrimoine.

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Dans ce domaine précis, l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le

patrimoine culturel (chapitre P-9.002), en octobre 2012, a permis de renouveler une

partie de l’approche de conservation des manifestations et des objets dits patrimoniaux. D’autre part, l’intérêt du domaine de l’aménagement du territoire s’explique également par l’intensification des débats sociaux qu’il entraîne et devant laquelle les autorités politiques doivent prendre position, souvent dans la controverse (Ibanez, 2013).

Le plus souvent, l’aménagement du territoire est présenté comme un domaine au caractère relativement objectif qui a pour but d’établir la localisation la plus optimale des infrastructures et des grands équipements collectifs, encadré par un cadre législatif et règlementaire exhaustif. On peut définir l’aménagement comme un « ensemble d’actions concertées visant à disposer avec ordre les habitants, les activités, les constructions, les équipements et les moyens de communication sur l’étendue du territoire » (Merlin et Choay, 2015).

De plus, Pierre Merlin précise que cette « action volontaire, concertée [est] impulsée par les pouvoirs publics qui suppose une planification spatiale (aspect volontaire) et une mobilisation des acteurs concernés : population, entreprises, élus locaux, services publics, etc. (aspect concerté) » (Merlin, 1988 : 11).

Au Québec, l’aménagement du territoire est régi par une loi-cadre depuis 1979 : la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1). Elle contient de nombreux éléments normatifs et oblige, notamment, les municipalités régionales de comté à se doter de schémas d’aménagement et de développement et les municipalités locales de plans et de règlements d’urbanisme harmonisés à ce schéma (zonage, lotissement, construction).

L'aménagement du territoire correspond aussi, et peut-être même de manière encore plus fondamentale, à un acte politique par la dimension de planification qu’il comporte ainsi que par le contrôle de l’usage du sol qu’il souhaite établir. Dans son ouvrage Géopolitique de l’aménagement du territoire, le géographe Philippe Subra (2007) explique que l’aménagement est un champ d’action

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éminemment idéologique dans la mesure où il est alimenté par un ensemble de perceptions et de conceptions du bien commun : toute action aménagiste recèle des choix politiques, une concurrence des discours et des conflits de représentations (Breux, 2007).

Par ailleurs, s’il est affaire de discussions et de débats, l’aménagement du territoire touche de près les populations locales. En effet, la participation publique est l’un des fondements du cadre aménagiste québécois instauré par la Loi sur

l’aménagement et l’urbanisme en 1979 (chapitre A-19).

Dans la logique de la démocratie participative, les citoyens cherchent à alimenter et à diriger l’aménagement sur la base de leurs préoccupations (Bherer, 2006). C’est ainsi qu’une problématique aménagiste peut rapidement acquérir une portée locale, régionale et nationale tout à la fois. Pour s’en convaincre rapidement, il suffit de regarder les controverses auxquelles ont donné lieu des projets marquants comme la construction de l’aéroport de Mirabel, pendant les années 1970, ou encore la question très actuelle de la construction d’un troisième lien entre Québec et Lévis (Côté, 2015). Pour résumer, l’aménagement du territoire est donc marqué de discours sociaux, qui l’influencent et le modèlent.

1.1.4. Le patrimoine et l’aménagement

Il existe plusieurs façons d’aborder le patrimoine culturel sous l’angle de l’aménagement du territoire, mais deux approches se détachent dans la pratique urbanistique. La première, pragmatique, consiste à considérer l’objet patrimonial comme un « équipement » collectif qu’il s’agit de localiser de la façon la plus optimale possible afin de contribuer au développement culturel ainsi qu’au bien-être des populations locales. C’est dans cette perspective, par exemple, que la Loi

sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A.19-1) confie aux municipalités

régionales de comté la responsabilité de « déterminer les parties de leur territoire qui présentent un intérêt d'ordre historique, culturel, patrimonial, esthétique ou écologique » (article 5, paragraphe 6) dans leur schéma d’aménagement et de développement. Les urbanistes qui ont recours à cette approche sont

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particulièrement ceux qui exercent leur profession dans les municipalités régionales de comté et les municipalités.

Une deuxième approche, plus critique, aborde pour sa part le patrimoine sous l’angle des relations qu’il entretient avec le tissu urbain, défini comme un « concept synthétique de tous les aspects qui concernent l’assemblage des voies, des parcelles et des édifices dans la trame urbaine » (Larochelle, Gauthier, 2005 dans Patri-Arch, 2006a : 11). Elle prend, en quelque sorte, la contrepartie de la première qui conçoit le patrimoine comme un équipement collectif dépourvu d’ancrage historique qui peut être implanté à peu près indistinctement sur le territoire.

Elle postule plutôt que le fait d'instituer et d’encadrer un patrimoine par une série de mesures légales parfois très contraignantes mène à la « mise en réserve » de pans entiers de villes et de territoires (Guertin, 2015). Il s’ensuit le déploiement d’une idéologie de la conservation qui aurait pour effet d’altérer l’évolution naturelle et normale d’un « tissu urbain » portant, de façon innée, le sens de la ville et du territoire (Payette-Hamelin, 2007; Brochu, 2011).

Cette approche a le mérite d’être moins pragmatique que la première dont il a été fait mention plus haut. Néanmoins, elle paraît surdéterminée par une conception typo-morphologique de la réalité urbaine qui l’amène à sous-estimer une composante essentielle du patrimoine culturel et des idéologies qu’il véhicule, c’est-à-dire sa fonction de production du sens (Berthold et Aubin, 2016).

1.1.5. Le patrimoine des communautés religieuses

D’entrée de jeu, les communautés religieuses (en droit canonique, institut de vie consacrée), sont des « sociétés dans [les]quelles les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux publics perpétuels, ou temporaires à renouveler à leur échéance, et mènent en commun la vie fraternelle » (can. 607 § 2 dans Libreria Editrice Vaticana, 2019).

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Le patrimoine des communautés religieuses s’inscrit dans le sillage du patrimoine religieux. Les études sur ce patrimoine portent en très forte majorité sur le patrimoine diocésain, soit les églises, les évêchés et les presbytères, mais assez peu sur celui des communautés religieuses (Martin, 2004). Néanmoins, l’étude du patrimoine des congrégations est fortement investie par des disciplines comme l’architecture et l’ethnologie. Leur patrimoine comprend à la fois des manifestations matérielles (ensembles conventuels, mobiliers, archives, etc.) et immatérielles (pratiques, mœurs). Un pan de la littérature s’intéresse au patrimoine archivistique religieux, à sa valeur de témoignage et aux enjeux entourant sa préservation. Cette littérature aborde par ailleurs largement le patrimoine archivistique des congrégations religieuses, particulièrement riche, mais aussi menacé compte tenu de la décroissance des effectifs (et du sous-financement).

On compte deux grandes approches pour étudier le patrimoine des communautés religieuses dans ses multiples dimensions au Québec. La première, qui relève des sciences de l’architecture, s’attarde aux composantes bâties des sites des ensembles conventuels, soit les différents éléments composant l’édifice principal et les bâtiments secondaires d’intérêt. Elle traite essentiellement de l’extérieur des édifices, mais également de l’intérieur si des éléments d’intérêt s’y retrouvent, tels des chapelles ou autres lieux significatifs pour leur décor et leurs finis architecturaux (Patri-Arch, 2006; Noppen et Morisset, 1994).

Cette évaluation par valeurs d’intérêt, en terme urbanistique (âge, usage, authenticité, art et architecture, paysage, position urbaine) amène souvent à une classification des propriétés dans le but d’en connaître les potentiels de conservation, de mise en valeur ou encore de développement.

Une seconde approche fait plutôt une analyse ethnologique, c’est-à-dire une étude de l’ensemble des caractères de chaque communauté, afin d’établir les lignes générales de structure et d’évolution de celles-ci. Par exemple, on compte de plus en plus d’inventaires des mœurs et des coutumes, dont l'art de la dorure ou de la broderie pratiqué par les Ursulines, ou encore les gestes quotidiens (repas, pratique

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religieuse) qui ont marqué les établissements des communautés religieuses (Simard, 1999).

Ces deux approches présentent de nombreux avantages, entre autres celui d’offrir une grille d’analyse fort utile aux intervenants chargés de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine à caractère religieux. Elles connaissent néanmoins des lacunes, la première ne s’intéressant qu’à la matérialité du patrimoine des communautés religieuses et la seconde se déployant à une échelle empirique parfois très éloignée des réelles préoccupations socioéconomiques et politiques de conservation.

Une troisième approche, émergente dans la littérature, propose un angle d’analyse nouveau. Elle est centrée avant toute chose sur l’action sociale des communautés religieuses4 et sur les traces que celle-ci a laissées dans les sociétés

contemporaines, mais aussi sur sa mise en patrimoine (Berthold, 2015). Cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle suggère une continuité dans les usages des bâtiments en fonction de l’histoire de ceux-ci et des usages historiques, sociaux et environnementaux qui s’en dégagent (Dubois, 2002; Velthuis et Spenneman, 2007). Ce postulat fait recours au concept, dérivé du développement durable, de « adaptive reuse », que l’on peut définir comme un processus au terme duquel un élément matériel frappé de désuétude acquiert de nouveaux usages (Bullen et Love, 2011)

Enfin, la conception du patrimoine social des communautés religieuses, appliqué au patrimoine bâti, postule d’emblée « qu’une adaptation réussie doit s’appuyer sur une correspondance étroite entre le sens historique que possède un bâtiment et le/les usage(s) social(aux) dont il a fait l’objet et le/les usage(s) futur(s) au(x)quel(s) il est destiné » (Bluestone, 2012; Yung et Chan, 2012; Berthold, 2017 : 11).

4 Une action qui, par-delà l’organisation et les cadres immédiats des congrégations, a été

conçue pour être déployée auprès d’individus et de groupes sociaux de différentes taille et nature (des groupes d’appartenance immédiate, comme la famille, jusqu’aux plus grands groupes référentiels au sein desquels les individus ne sont pas en interaction directe). Une partie de cette action est, pour ainsi dire, « formatée » par les règles constitutives des communautés religieuses (Berthold, 2017).

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1.2. Principales orientations méthodologiques

Pour répondre à ces questions, nous allons utiliser, comme méthode de traitement de l’information, une analyse de type qualitatif, c’est-à-dire qui concerne la qualité, la nature des choses, et non la quantité, l'aspect mesurable (lire statistique). La présente recherche va donc adopter comme méthode l’analyse de contenu. Laurence Badrin l’a définie comme « un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des énoncés, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l'inférence de connaissances relatives aux conditions de production/réception (variables inférées) de ces énoncés » (Badrin, 1977 : 43).

Plus précisément, nous allons utiliser l’analyse de discours pour comprendre les processus de patrimonialisation et dégager les grands enjeux de l’argumentaire des différents acteurs. Comme le mentionnent Gumuchian et Marois, parmi tous les matériaux susceptibles d’être retenus lors d’une réflexion sur l’espace, « le discours est certainement l’un des plus riches. En matière d’aménagement du territoire, le discours est même primordial puisqu’il participe directement au processus de production d’espaces » (Gumuchian et Marois, 1999 : 335).

Le concept de discours, qui connaît une évolution et un intérêt de plus en marqués dans la recherche en sciences humaines et sociales, sera analysé dans le sens utilisé par Michel Foucault et Amélie Seignour. Dans L’Archéologie du savoir, Foucault explique qu’un discours « est constitué d’un nombre limité d’énoncés pour lesquels on peut définir un ensemble de conditions d’existences » (Foucault, 1969 : 161). Autrement dit, les énoncés formant les discours doivent appartenir à la même formation discursive, provenir du même contexte et permettre de révéler les intérêts des acteurs.

Quant à Seignour (2011 : 32), dans Méthode d'analyse des discours, elle conçoit le discours comme un acte d’influence qui dépend d’un contexte donné.

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Ainsi, un discours ne reflète pas la réalité objective et factuelle, mais bien les représentations subjectives que les acteurs se font de cette même réalité. De surcroît, à travers l’énonciation même de ces discours, les acteurs souhaitent inculquer ces représentations à leurs interlocuteurs.

Ces définitions introduisent donc que dans l’analyse des discours, certains éléments devront nécessairement être identifiés : les acteurs les ayant énoncés, les relations entre ces mêmes acteurs, leurs représentations du réel, leurs intérêts communs ou divergents, les contextes dans lesquels s’ancrent leurs discours et les arguments y étant inscrits.

Il est à préciser que l’analyse de discours a comme objectif d’étudier la manière dont les discours sont énoncés et non la manière dont ils sont reçus auprès du public. Cette méthode possède certains points communs avec l’analyse de contenu, mais propose un examen plus approfondi; plutôt que décrire les discours en ne se concentrant que sur leur contenu, elle permet de les interpréter en étudiant la manière dont ils sont exprimés. Il est à noter que cette interprétation des discours est seulement possible avec la prise en compte des intérêts présents des acteurs (Paillé et Mucchielli, 2009; Seignour, 2011; Pawliw, 2019).

L’analyse discursive va nous permettre, d’une part, d’aborder l’aménagement du territoire et la conversion des propriétés conventuelles sous l’angle des processus de valorisation du patrimoine qui s’y rattachent (discours et leurs déterminants) et, d’autre part, d’identifier et d’analyser les interprétations qui, au sein de ces processus de valorisation du patrimoine, consacrent une conception du patrimoine social des communautés religieuses.

La chaine des opérations méthodologiques comprendra deux étapes majeures : 1- notre première démarche consistera à retracer le déroulement des processus de conversion des propriétés conventuelles à l’étude sur une base chronologique. Pour ce faire, nous nous appuierons surtout sur des sources premières (notamment les analyses scientifiques, lorsqu’elles existent, et les articles de quotidiens, qui sont nombreux); 2- notre deuxième démarche consistera

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à documenter les processus de valorisation du patrimoine à l’œuvre derrière la conversion des propriétés conventuelles.

Tout d’abord, selon nos orientations théoriques, nous retracerons et analyserons les discours qui véhiculent des interprétations mettant de l’avant le caractère matériel du patrimoine des communautés religieuses. Sur cette base, nous retracerons et analyserons, ensuite, les interprétations que couronne plutôt une préoccupation pour le volet social de ce même patrimoine. Notre démarche d’analyse des discours reposera sur une approche qualitative considérant l’univers textuel comme un foyer d’idées, d’arguments et de débats qui n’est pas refermé sur lui-même (Chartier, 1998). Les discours à l’étude seront ceux des « acteurs » (individus, tout comme des regroupements associatifs, des organisations et des institutions) qui ont pris part aux processus de conversion des propriétés conventuelles ou, encore, qui ont pu énoncer une conception du patrimoine au cours ou au terme de ceux-ci sans y avoir pris part formellement.

Les textes (articles de quotidiens, prises de position publiques, mémoires, etc.) constitueront notre principale source pour l’analyse des discours : dans le cas qui nous concerne, ces sources sont très nombreuses et sont de nature variée (gouvernementale, médiatique, scientifique, etc.).

Pour la période d’étude antérieure aux années 2000, nous étudierons principalement des sources de nature gouvernementales. Ces sources proviennent notamment des dossiers du Fonds Conseil du patrimoine culturel du Québec, conservé au centre d’archives de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Elles comprennent des rapports, des études, des procès-verbaux de rencontres ou d’exercices de consultation, des coupures de journaux et des notes personnelles. Une revue exhaustive de la littérature portant sur l’arrondissement historique de Sillery complète et approfondit certains éléments précis de la recherche, tout comme l’étude des documents de planification et de réglementation en matière d’urbanisme.

En ce qui concerne la période postérieure aux années 2000, nous avons mené une revue de presse des articles traitant à la fois du patrimoine et du site de

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Sillery, en mettant l’accent sur la mention des communautés religieuses. Une centaine d’articles des quotidiens Le Soleil, Le Journal de Québec et Le Devoir ont été étudiés, principalement sur la période 2005 à 2014. Enfin, une analyse approfondie des minutes de la consultation publique tenue par le Conseil du patrimoine culturel du Québec du 20 février au 3 avril 2013 sur le projet de plan de conservation du site patrimonial de Sillery a été menée.

Nous aborderons nos sources de deux façons principales : i- sur une base individuelle pour en décoder les logiques et les contenus propres; ii- sur une base collective pour identifier les « régularités » qui consacrent la construction des discours patrimoniaux. Cette analyse des sources nous invitera ensuite à situer les processus de valorisation du patrimoine et les discours qui s’y rattachent dans le cercle des contextes et des facteurs socioéconomiques et normatifs qui les encadrent.

Notre démarche méthodologique sera fondée sur l’objectif de retracer et d’analyser les jalons de la requalification des propriétés conventuelles des grands domaines de Sillery en mettant l’accent sur les processus qui ont mené à leur patrimonialisation. Les propriétés étudiées seront celles des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, des Religieuses de Jésus-Marie, des Sœurs de Sainte-Jeanne d’Arc ainsi que des Augustines de la Miséricorde de Jésus. Nous nous attacherons, tout particulièrement, à retracer la patrimonialisation des grands domaines en décortiquant les argumentaires des divers acteurs en présence, notamment par une vaste revue de presse.

Le présent mémoire déconstruira le processus de conservation et de mise en valeur des ensembles conventuels du site patrimonial de Sillery. À travers une archéologie des représentations et une analyse historique, il retracera les grandes étapes du développement des orientations prises par les autorités publiques en matière de conservation du patrimoine et de planification du territoire. Sous ce rapport, nous démontrerons qu’il se forme des représentations des congrégations qui alimentent directement les processus de patrimonialisation et qui sont susceptibles d’influencer directement les pratiques aménagistes tout comme les processus de conversion des propriétés conventuelles elles-mêmes. Ce faisant le

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texte met en relief les tensions susceptibles d’être observées entre différentes interprétations de l’héritage des communautés religieuses.

Un tel travail d’interprétation nécessite, croyons-nous, un croisement avec une archéologie des représentations, à la manière dont l’a esquissée Foucault (1969), dans la mesure où celle-ci permet de retracer la construction des représentations couronnant les pratiques sociales. Elle amène à déconstruire un objet construit au fil d’une série de représentations qui prennent la forme de couches. C’est également le recours à la perspective archéologique qui permet le mieux, pensons-nous, de retracer les processus de formation du patrimoine social des communautés religieuses, c’est-à-dire les processus au fil desquels l’œuvre (religieuse), qui s’incarne dans une action sociale, se donne comme patrimoine dont la société contemporaine conserve les traces.

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Chapitre 2. 1964-1988 - De l’histoire à la

nature : l’émergence d’une représentation des

communautés religieuses comme « gardiennes

des lieux » aux prises avec les processus de

patrimonialisation

Ce chapitre consiste principalement en une étude « historienne » et urbanistique des trois premières décennies d’existence de l’arrondissement historique de Sillery, c’est-à-dire entre 1963 et 1988.

L’étude de la création de cet arrondissement historique illustre les préoccupations nationalistes de l’époque. Ensuite, l’analyse du changement de caractère de l’arrondissement montre l’évolution des sensibilités patrimoniales du site, d’un cachet lié au Régime français à la mise en valeur des espaces verts. Elle se fait à travers notamment un examen de documents historiques, de procès-verbaux de la Commission des biens culturels et des mémoires des auditions quant à l’avenir du domaine Cataraqui. Enfin, l’analyse du rôle des communautés religieuses montre l’apparition de leur représentation de gardiennes des grands domaines.

Au tournant des années 1960, l’agglomération urbaine de Québec, à l’instar de nombreuses autres aires métropolitaines nord-américaines, connait une expansion suburbaine importante. Les municipalités voisines de la capitale voient leur population augmenter de manière considérable dans un contexte d’urbanisation rapide de leur territoire (Mercier et Côté, 2012). Le phénomène est particulièrement fort dans la partie ouest de la colline de Québec, dans les villes de Sainte-Foy et de Sillery5. De surcroît, certains quartiers centraux de Québec

subissent d’importants bouleversements dans le contexte de la rénovation urbaine (urban renewal, urban regeneration) et de l’urbanisme fonctionnaliste (Berthold, 2012 : 119). Dans le sillage de la sortie du Rapport sur l’aménagement de Québec

5 La population de la cité de Sillery passe en effet de quelque 4200 habitants à plus de

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et de sa région de Jacques Gréber (1956) et du rapport de la Commission d’enquête

sur le logement de la Cité de Québec, communément nommé rapport Martin (1961), la région métropolitaine de Québec voit son réseau autoroutier se développer et certains logements insalubres taudis du centre-ville être démolis.

À l’instar de Sainte-Foy, Beauport ou encore Charlesbourg, une partie des terres agricoles de Sillery sont loties en ensembles d’habitations de faible densité particulièrement dans les zones limitrophes de Québec. Même si la municipalité se donne une vocation résidentielle, un petit secteur commercial est concentré sur l’avenue Maguire et les industries, dominées par les activités portuaires, sont repoussées au pied de la falaise (Urbanex, 1976). En 1980, une portion importante de l’assiette foncière de Sillery est occupée par des acteurs publics et parapublics (près de 45% du territoire de la municipalité), dont 80% par des communautés religieuses et l’Université Laval (Ville de Sillery, 1981 : 13). Enfin, on trouve à Sillery trois cimetières et le Bois-de-Coulonge (anciennement Spencer Wood), résidence officielle des lieutenants-gouverneurs du Québec de 1870 à 1964.

Fait à noter, Sillery accueille l’un des trois premiers monuments historiques protégés par le gouvernement de la Province de Québec en vertu de la Loi relative

à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique de 1922. Il s’agit de la maison des Jésuites-de-Sillery, sur le chemin du

Foulon, classée en mars 1929 en même temps que l’église Notre-Dame-des-Victoires à Québec et le château De Ramezay à Montréal.

2.1. L’amorce d’urbanisation des grands domaines

De manière singulière, la cité de Sillery ne connaît pas, jusqu’à la fin des années 1950, une urbanisation massive de son territoire par l’existence des « grands domaines », un ensemble de propriétés foncières pourvues de vastes terrains qui sont situées de part et d’autre du chemin Saint-Louis. Or, au tournant des années 1960, ces derniers sont de plus en plus menacés de disparaître par leur lotissement en raison des pressions de la densification résidentielle des banlieues de Québec et de l’arrivée de grandes compagnies d’assurances génératrice

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d’emplois au nord de la municipalité. Deux domaines font l’objet de telles opérations cadastrales : Spencer Grange devient le « Parc Lemoine », nommé en l’honneur de l’ancien propriétaire du domaine et historien James MacPherson Lemoine et Wolfesfield, qui appartenait à la famille Price, le Mont-Saint-Denis. Ces deux ensembles entraînent la construction d’environ 150 résidences unifamiliales entre 1947 et 1962.

Au même moment, les citoyens du secteur du chemin des Foulons voient les compagnies pétrolières construire un nombre imposant de réservoirs et perdent leur accès au fleuve avec la réalisation du boulevard Champlain (Bernier, 1977). De surcroit, un article sur les fouilles archéologiques poursuivies sur le site de la mission des Jésuites (Gaumond, 1960) et la parution d’un livre de Paul-André Lamontagne (1952) L'histoire de Sillery, 1630-1950, rappellent aux citoyens de la ville l’importance historique de Sillery dans l’histoire québécoise. Une partie importante de ces documents rappelle deux éléments liés à la période française : l’installation des Jésuites en 1637 dans l’anse Saint-Joseph, espérant ainsi évangéliser et sédentariser les Amérindiens, ainsi que l’établissement d’un hôpital à proximité de l'anse en 1640 par les Augustines de la Miséricorde de Jésus (Lamontagne, 1952).

2.2. Vers la déclaration de l’arrondissement

historique

Dans ce contexte, le 2 décembre 1963, le conseil municipal de la cité de Sillery adopte à l’unanimité une résolution visant à demander au gouvernement de la Province de Québec de déclarer « arrondissement historique » une partie de la municipalité, en vertu de la Loi des monuments historiques (ci-après la « LMH »). La LHM permet au Conseil exécutif, sur recommandation de la Commission des monuments historiques, de déclarer arrondissement historique « une municipalité ou une partie d'une municipalité où se présente une concentration d'immeubles présentant [sic] un intérêt historique ou artistique » (LMH, art. 20). La Cité de Sillery, qui prend l’initiative de cette demande, est appuyée dans sa démarche par la Société Saint-Jean-Baptiste et la Compagnie de Jésus, qui possède la maison des Jésuites-de-Sillery (CBCQ, 2004 : 18).

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Les motifs de la Cité de Sillery sont retenus par la Commission des monuments historiques du Québec qui adopte, le 10 décembre 1963, une résolution qui recommande au lieutenant-gouverneur en Conseil de déclarer arrondissement historique le territoire décrit dans la résolution du Conseil municipal, sans ajouts, dont les limites sont, à l’est, l’avenue De Laune, au nord, le chemin Saint-Louis, à l’ouest, la côte à Gignac et, au sud, le fleuve Saint-Laurent (voir Annexe A).

L’arrondissement historique de Sillery (ci-après l’« AHS »), qui occupe près de 50% du territoire de la municipalité, est officiellement décrété le 5 février 1964 par l’arrêté en conseil numéro 219. À partir de ce moment, en vertu de la LMH : « Aucune construction, réparation, transformation ou démolition d'immeubles ne peut être faite qu'en vertu d'un permis approuvé par la commission ou délivré par elle » (art. 21).

En cas de violation de cette disposition, le ministre peut, sur la recommandation de la commission, faire exécuter aux frais du propriétaire, tous travaux susceptibles de remettre les lieux dans leur ancien état (art. 21).

2.2.1. La notion d’arrondissement historique

Si Sillery est le troisième arrondissement historique, les deux premiers étant ceux du Vieux-Québec et du Vieux-Montréal, déclaré par le gouvernement du Québec, il est constitué dans le sillage de la création de cinq arrondissements historiques en six mois, de novembre 1963 à mai 19646. En effet, c’est en juin 1963

que le titulaire du nouveau ministère des Affaires culturelles, Georges-Émile Lapalme, dépose à l’Assemblée législative le projet de loi 57, qui remplace la Loi

relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques (adoptée en 1952),

et dont la pièce maitresse est la notion d’arrondissement historique.

6 En ordre chronologique, il s’agit des arrondissements historiques du Vieux-Québec, du

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L’idée d’étendre la protection accordée à un immeuble ou à un ensemble urbain percole dans l’esprit de la Commission des monuments historiques au début des années 1960 dans le contexte des menaces (démolitions, incendies) qui pèsent sur le Vieux-Québec (Roy, 1995). De plus, la rénovation urbaine est « aux portes de la basse-ville », augmentant l’intérêt que les urbanistes et architectes portent sur les ensembles urbains historiques comme le Vieux-Québec. Comme l’écrit Berthold : « [À] un niveau général, la rénovation urbaine fait du passé et de l’histoire une fonction de premier plan que doit remplir l’organisme urbain » (Berthold, 2012 : 122). La Commission des monuments historiques s’inscrit dans ce courant et croit que « de nouveaux outils étaient devenus nécessaires pour protéger le cachet du Vieux-Québec en s’assurant que les projets immobiliers s’insèrent harmonieusement dans la trame urbaine ancienne » (Gelly, 1995 : 125).

La Loi des monuments historiques est adoptée à l’unanimité en juillet 1963 et les seules questions du chef de l’opposition de l’époque, Daniel Johnson, portent sur les autres secteurs qui pourraient être protégés par de telles dispositions, questions auxquelles le ministre Lapalme répond en mentionnant seulement le Vieux-Montréal (Journal des débats de l’Assemblée législative, 1963). Selon Alain Gelly, « cette assertion confirme le fait que la loi […] veut avant toute autre chose règlementer le cas du Vieux Québec » (Gelly, 1995 : 127).

2.2.2. Caractérisation de l’arrondissement historique de

Sillery en 1963

Les caractéristiques associées à l’AHS au moment de sa création reflètent l’état des connaissances historiques et archéologiques sur le secteur au début des années 1960. Selon les termes de la résolution de la Cité de Sillery du 2 décembre 1963, deux périodes ont marqué l’histoire de Sillery : l’établissement des premiers Européens en 1637 ainsi que l’occupation des grands domaines par les commerçants de bois et propriétaires des chantiers navals au XIXe siècle (CBCQ,

2004 : 21-22). La majorité des éléments spécifiquement identifiés par le conseil municipal se rattachent à la période française (1534-1763).

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Figure 1. La maison des Jésuites-de-Sillery

Source : Laurent Aubin, 2015

Les éléments identifiés au futur arrondissement historique sont très diversifiés dans ladite résolution : « un quadrilatère qui a tout un passé remarquable et où on y voit encore des lieux, des bâtisses, des vestiges et ruines de constructions auxquelles sont attaché l’histoire de Québec et de Sillery ». Mis en parallèle avec l’imprécision de certaines localisations et l’absence de hiérarchisation de ces éléments, cela laisse supposer qu’aucune étude particulière n’a été menée pour définir plus précisément le caractère ou vérifier la pertinence du périmètre du futur arrondissement (CBCQ, 2004). L’étude de caractérisation de l’arrondissement historique de Sillery rédigée par Légaré en 2004 explique cet état de fait : « Tout se passe comme si le fait généralement admis qu’il s’y trouvait "une concentration d’immeubles ayant un intérêt historique et artistique" aurait été suffisant pour présenter une requête de classement » (CBCQ, 2004 : 22).

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Enfin, le dernier paragraphe du préambule de la résolution du conseil municipal souligne par ailleurs l’objectif principal des élus pour vouloir la création de l’arrondissement historique : conserver le cachet historique et artistique de cette région.

2.3. Les premières années de l’arrondissement

(1963-1972)

Entre les années financières 1963-1964 et 1966-1967, 55 demandes de permis ont été analysées par la Commission des monuments historiques pour l’AHS7. Elle n’en a refusé qu’une seule. Sillery est le troisième territoire

d’intervention en matière d’émission de permis de la Commission pendant cette période8. Alain Gelly écrit que cela s’explique « notamment par la grande superficie

de cet arrondissement et par la présence de grands domaines perçus comme autant de territoires disponibles pour des constructions nouvelles [mais] également par la proximité de la ville de Québec » (Gelly, 2001 : 141).

À la lecture des procès-verbaux de la Commission, on constate que celle-ci se montre favorable aux demandes de permis venant des zones excentrées de l’arrondissement. Elle autorise, par exemple, lors de la réunion du 26 juillet 1965, la démolition de 22 bâtiments sur le chemin du Foulon jugés « sans intérêt et d’apparence médiocre » (CMH, 1965 : 9), afin de permettre l’élargissement du boulevard Champlain au nom de l’urbanisme moderniste et de la rénovation urbaine.

Néanmoins, la destruction de voûtes construites en 1637 explicitement citées dans la résolution du conseil municipal de 1963 et un certain laxisme de la Cité de Sillery inquiète la CMH. Lors de la réunion du 18 juin 1969, la Commission reçoit Georges Gravel, ingénieur et greffier de Sillery. Guy Laroche, un des commissaires, lui demande de manière non équivoque si cela vaut la peine de

7 En vertu de l’article 21 de la Loi des monuments historiques.

8 Pour la même période, la Commission a reçu 705 demandes de permis pour le

Vieux-Québec, 139 pour le Vieux-Montréal, et 28 pour les autres arrondissements. Elle en a refusé 114.

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conserver l’arrondissement historique pour Sillery, la Ville n’ayant pas de plan d’urbanisme spécifique pour l’arrondissement. En déclinant les règlements de construction et de zonage en vigueur, la Commission fait remarquer sévèrement à M. Gravel que la Cité de Sillery n’a ni consulté, ni même fait approuver préalablement les modifications à ces règlements par celle-ci, contrairement à ce que LMH prévoit.

M. Gravel est d’avis que l’AHS doit le rester et rappelle les raisons qui ont incité la Cité de Sillery à demander sa protection. La Commission prend note que la ville est « intéressée à conserver son arrondissement historique, se déclare prête à travailler en collaboration étroite avec elle à l’avenir » (CMH, Procès-verbal de la réunion du 18 juin 1969).

En mai 1972, la maison George-William-Usborne (anciennement Julien-Dupont), voisine de la maison des Jésuites-de-Sillery, est classée en tant que monument historique. Considérée comme l’une des plus anciennes résidences de l’arrondissement et propriété de la famille Dobell, riches commerçants de bois de 1860 à 1946, cette maison rappelle « [l]es activités commerciales qui caractérisèrent l’anse de Sillery au XIXe siècle » (Reny, 1990 : 230).

2.3.1. Le cas de Cataraqui

En 1972, à la mort de Catherine Tudor-Hart, dernière héritière de la famille Rhodes qui en est propriétaire depuis 1905, le domaine Cataraqui est confié à la Trust Royal qui devra trouver un acheteur. La firme le propose au gouvernement du Québec, qui rejette l’offre, dans une certaine indifférence (Smith, 2001). Le ministère des Travaux publics estime que les frais d’entretien et d’exploitation seraient trop élevés et que cet achat serait « surtout en vue de la protection de l’environnement9 ». De surcroit, le budget d’acquisition du ministère des Affaires

culturelles est de 60 000$. Devant la difficulté de trouver un acheteur, Trust Royal met aux enchères la collection de 128 meubles et œuvres d’art de la succession

9 Lettre de la direction de l’Allocation de l’Espace et de l’Équipement au sous-ministre des

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Tudor-Hart. Un article du quotidien Le Soleil du 14 décembre 1972, titré « Rien de bien québécois, mais des valeurs artistiques indéniables », témoigne du peu d’intérêt qu’ont les autorités québécoises pour les biens mobiliers de Cataraqui. En effet, lors de la vente qui s’étale du 13 au 16 juin 1973, la majorité des articles est vendue à des acheteurs anglais et américains (Smith, 2001 : 124).

En janvier 1975, le domaine est vendu à « Les Immeubles Cataraqui » pour la somme de 453 000$10. Les promoteurs présentent au ministère des Affaires

culturelles (ci-après le « MAC ») un projet de 70 millions de dollars qui prévoit la destruction de la villa et de ses dépendances et le lotissement du terrain en 107 parcelles. Un autre projet avec des tours d’habitation est aussi présenté (La Société de conservation de Sillery, 1983).

Le MAC, dirigé par Jean-Paul L’Allier, refuse d’accorder le permis de lotissement et reconnait Cataraqui bien culturel en vertu de la Loi sur les biens

culturels de 197211. Dès lors,

[Nul] ne peut altérer, restaurer, réparer, modifier de quelque façon ou démolir en tout ou en partie un bien culturel reconnu et, s’il s’agit d’un immeuble, le déplacer ou l’utiliser comme adossement à une construction, sans donner au ministre un avis d’intention […]. Nul ne peut aliéner un bien culturel reconnu sans avoir donné au ministre un avis écrit préalable d’au moins 60 jours (art. 18 et 20).

Dans le sillage de cette reconnaissance, le gouvernement du Québec achète finalement Cataraqui en 1976 pour un million de dollars. Il assure ainsi la protection de la seule grande propriété de l’arrondissement historique de Sillery ayant conservé à la fois sa villa, ses dépendances et son parc aménagé. Néanmoins, la villa est vide, dépouillée de son impressionnante collection.

La même année, le gouvernement du Québec acquiert la maison des Jésuites-de-Sillery des Missionnaires de Notre-Dame S.J.

10 Registre foncier du Québec, inscription 799327.

11 Selon l’article 15 de la LBC, le ministre peut, sur avis de la Commission, reconnaître tout

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La Direction du patrimoine du ministère des Affaires culturelles dresse un bilan positif de ses opérations dans l’AHS. Elle constate par ailleurs que « cette zone située au milieu d’un territoire fortement urbanisé semble avoir été épargnée par les pressions de la croissance urbaine et du développement, de sorte qu’aujourd’hui elle constitue le plus important réservoir d’espaces verts d’échelle métropolitaine » (CBCQ, 2004 : 23).

2.3.2. Évolution du caractère de l’arrondissement historique

L’identité de l’arrondissement historique de Sillery s’est transformée entre 1963 et le milieu des années 1970 : d’une vision résolument historique et archéologique, la prise de conscience de la valeur du paysage, tant naturel que bâti, fait que celui-ci devient un caractère fondamental de l’AHS. De surcroît, le développement des connaissances sur l’histoire silleroise mène le ministère des Affaires culturelles à reconsidérer le périmètre initial de l’arrondissement historique.

Il est important de mentionner qu’en 1972, le gouvernement québécois adopte la Loi sur les biens culturels (ci-après la « LBC ») qui remplace la LMH. Sanctionnée le 8 juillet 1972, la LBC accorde au ministre des Affaires culturelles, et non plus au Conseil exécutif du gouvernement du Québec (comme c’était le cas depuis la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un

intérêt historique ou artistique de 1921), le pouvoir de classer ou de reconnaître un

bien, même contre la volonté de son propriétaire (art. 24; 35; 45). De plus, la Commission des monuments historiques devient la Commission des biens culturels (ci-après la « CBCQ ») et n’a plus qu’un mandat consultatif (art. 2).

Élément nouveau, le patrimoine naturel est intégré dans la LBC, avec la notion d’arrondissement naturel, défini comme un territoire avec des intérêts « esthétique, légendaire ou pittoresque que présente son harmonie naturelle » (art. 45), ce qui reflète l’évolution de la conception du patrimoine et des objets qui s’y rattachent.

Figure

Figure 1. La maison des Jésuites-de-Sillery  Source : Laurent Aubin, 2015
Figure 2. Vue aérienne du lotissement Kilmarnock
Figure 3. Détail, Plan d'affectation du sol et répartition des densités  Source : Ville de Sillery, 1981, p.i
Figure 4. Vue aérienne du Domaine Cataraqui  Source : Google Earth, 2017
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