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Actualité de la fresque de la Villa des Mystères

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Academic year: 2021

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Images, textes et sociétés

A ctualité de la fresque de la Villa des Mystères

Stéphanie Wyler (Université Paris X - UMR ArScAn - ESPRI & Université d’Oxford)

Peut-il y avoir encore une actualité sur la m égalographie dionysiaque de la Villa des Mystères ? Le d é b a t qui a opposé P. Veyne et G. Sauron en 1998' sur l'interprétation de la fresque pom péienne est tout à fait révélateur de la passion qu'elle suscite encore de nos jours alors qu'aucun élém ent nouveau ne vient éclairer tout ou partie de la composition - à l'instar de l'écrasante bibliographie qui a fleuri pendant près d'un siècle, depuis sa découverte en 1909. Outre la fascination pour les dimensions e t la qualité de la peinture, les projections personnelles et les fantasmes intellectuels ou religieux semblent avoir régi la majeure part des réflexions sur le sujet, embarrassant tout d é b a t de fond. Ainsi, les deux ouvrages présentés ici résultent d e deux professions de foi, l'une profondém ent démystifiée, l'autre résolument ésotérique. L'hypothèse d e P. Veyne a le mérite de proposer une nouvelle alternative à l'interprétation religieuse - quelle qu'elle soit - le plus souvent a d opté e, et de provoquer le d é b a t sur le degré de signification des images mythiques ou cultuelles sur les murs des maisons pompéiennes et romaines. L'ouvrage de G. Sauron, au contraire, qui semble une réaction a g a c é e à l'ouvrage de P. Veyne, reprend et prolonge l'interprétation présentée en 1984, avec une foi réaffirmée en l'univocité du langage pictural et en «l'obscurcissement» volontaire du message ainsi représenté2. Il ne s'agit pas ici de lever un pan du voile dudit mystère, mais de com prendre, par l'analyse de ces deux développem ents aussi significatifs qu'inconciliables les enjeux et les limites d e l'interprétation de ce docum ent, tant pour l'étude du dionysisme et de la religion romaine que pour la compréhension d'u n aspect fondam ental de l'art romain.

Faute de pouvoir instaurer un dialogue artificiel entre deux positions aussi éloignées, il paraît intéressant de suivre le parcours parallèle des deux interprétations pour mieux saisir les motivations de leurs divergences. Une question préliminaire qui les oppose mérite tout d 'a b o rd d'ê tre précisée : celle de l'existence d'un original grec que suppose P. Veyne, en pensant pouvoir préciser qu'il s'agissait d'un pastos hellénistique3 Si certains groupes de la m égalographie connaissent des parallèles évidents, notamment celui du couple divin central manifestement inspiré d'un m odèle qui a connu une diffusion large dès le lllème siècle, il semble aujourd'hui admis que le principe même de ce genre de décoration résulte d'une recomposition, et d o n c d'une resémantisation de l'ensemble de la fresque. Certes, le contexte dans lequel a été conçue et exécutée la m égalographie s'insère dans « l'histoire d'une acculturation réussie »4, mais il relève précisém ent d'une synthèse intellectuelle, religieuse et artistique entre une forme d'hellénisme a d o p té e par l'aristocratie cam panienne bien avant la romanisation de Pompéi, et les contacts plus assidus entre Pompéiens et Romains imposés après la déduction de la colonie syllanienne en 80. Ainsi, la fresque doit être considérée com m e la com m ande d'un riche Campanien déchu de ses pouvoirs politiques, ou celle d'un Romain m embre de l'élite coloniale ou de l'oligarchie sénatoriale - celle d'un propriétaire fortem ent hellénisé donc, vivant dans la Pompéi des années 70-50, aux préoccupations duquel la fresque se rapporte.

Le principe de composition est celui de la m égalographie a d opta nt la convention syntaxique de la narration continue. De ce tte manière, le couple divin au centre de la paroi du fond représente le point d e convergen ce de deux frises parallèles qui courent le long des quatre murs depuis la porte principale ; concurremment, le peintre a joué sur les correspondances sémantiques de groupes qui se font face d'un mur à l'autre, en se servant habilem ent de la configuration de la pièce. P. Veyne com m e G. Sauron a c c e p te n t

1 P. Veyne,

«

La fresque dite des Mystères à Pompéi ».

In :

P. Veyne, F. Lissarrague, F. Frontisi-Ducroux,

Les mystères du gynécée,

Paris, Nrf Gallimard. « Le temps des images », 1998. 323 p.. p. 15-153; G. Sauron,

La grande fresque de la Villa des Mystères à Pompéi. Mémoires d'une

dévote de Dionysos,

Paris, Antiqua & Picard, 1998, 167 p.

2G. Sauron, op.

cit.,

p. 52-58, e t « Nature e t signification de la m égalographie dionysiaque de Pompéi ».

C.R.A.I.,

1984, p. 151-174. 3 P. Veyne.

op. cit.

, p. 17-22.

4

Ibid..

p. 17.

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Images, textes et sociétés

ce sens d e lecture qu'ils utilisent pour justifier la cohérence de leur hypothèse : d 'u n côté, « un matin de noces au g y n é c é e » glisse harmonieusement vers un« m onde à souhait», « celui de la féminité e t celui où la religion m et quelque poésie dans la vie quotidienne » tandis que Dionysos et Ariane symbolisent « l'idéal ou l'idé ologie d e l'am o ur conjugal »1 ; de l'autre, sont représentées « en parallèle trois histoires, d'une part, celle de Sémélé (à droite) e t celle de Dionysos (à gauche), e t d ’autre p a rt celle de la prêtresse qui revit ces deux histoires dans certains événements apparem m en t purem ent humains de sa vie mais aussi p a r sa participation aux initiations féminines (com m e initiée puis com m e initiante) e t masculine (com m e initiante seulement) aux mystères dionysiaques, e t la fusion en une seule narration picturale fait toute la matière de c e tte somptueuse illustration d'une femme qui a voulu s'identifier aux dieux»2.

De fait, le sens de la fresque progresse a vec fluidité de l'univers humain d'une m atrone vers un univers divin dont le paroxysme est incarné par le couple de Dionysos et de sa parèdre - selon un p ro cé d é d e contam ination par ailleurs très fréquent dans les images dionysiaques. Ainsi la partie ouest, scandée par les ouvertures sur l'extérieur et sur le cubiculum attenant égalem ent décoré de motifs dionysiaques, abrite-t-elle trois scènes empreintes de réalisme dom estique : la domina, personnage principal récurrent dans la fresque, trône dignem ent sur un fauteuil ou un lit (le lectus genialis 7) tandis qu'elle préside à la toilette d'une future mariée (elle-m êm e jeune ou sa fille) et à une leçon de lecture d'un petit garçon (son fils). Affirmation sociale selon P. Veyne qui y lit la revendication d'un idéal féminin selon lequel la maîtresse du g ynécée veille à bien marier sa fille et à éduquer bien son fils ; allégorie mythique selon G. Sauron assimilant le mariage d e la prêtresse à celui de Sémélé, é tape nécessaire pour devenir la m ater d'un fh/ase3, et l'éducation de l'enfant à l'initiation de Dionysos enfant par la lecture du hieros logos. Faute d'insigne cérém oniel substantiel4, seule l'interprétation de l'ensemble de la fresque est susceptible d'éclairer « c e tte scène app a re m m e n t banale d e la vie qui se déroulait dans l'ap partem ent des femmes de toute maison romaine ou pom péienne dans les dernières décennies d e la République »5.

La frise, interrompue au sud par une fenêtre, continue sur le mur nord avec une scène cultuelle qui assure la transition avec le monde divin de la partie est. Un groupe de quatre femmes s'affairent autour d'une corbeille, d'une vasque, de rameaux qu'elles arrosent et de gâteaux. Il est probable qu'il s'agisse d e la préparation de la ciste mystique couram m ent présente lors des initiations dionysiaques : sans nécessairement recourir à une exégèse étiologique orphique sur la signification de cette pratique qui évoquerait la « passion » e tla « résurrection » de Dionysos, com m e le fait G. Sauron d'une manière plus érudite que convaincante, la présence d'objets com m e le uolumen inséré dans le pli de l'himation d'une des officiantes rend difficile l'interprétation domestique de P. Veyne selon laquelle il s'agirait de la préparation du bain pré- ou post­ nuptial.

L'immixtion dans l'espace humain du monde semi-divin de l'entourage de Dionysos peuplé de silènes, d e satyres et de ménades, est traditionnel sur les images bachiques. Les quatre scènes qui s'y rapportent présentent un univers très policé, bien loin de toute transe exstatique ou autre exaltation dionysiaque, évoquant au moins en partie un imaginaire de l'â g e d'o r sous-jacent quelques décennies plus tard dans la poésie et l'art augustéens. C'est le cas du silène citharède et des jeunes satyres allaitant des chevreaux, habitants du Parnasse dans l'attente de l'épiphanie dionysiaque pour G. Sauron, pour P. Veyne « contre- société rêvée » qui de sucroît assure les festivités du mariage par la musique, la danse et le chant. Le couple de ménades, difficilem ent assimilables à des technites malgré le vague parallèle avec la fresque des Noces Aldobrandines, ne se résout pas plus aisément en une allégorie de « l'enthousiasme » de Sémélé dû à sa grossesse. S'ensuit aux angles du mur est la frayeur de deux femmes par une subtile allusion symétrique : la première est effarouchée par le groupe constitué d'un silène et de deux jeunes satyres, occupés autour d'un récipient et d 'u n masque de théâtre - farce puérile ou peur de l'introduction du dionysisme dans la c ité ; la seconde, agenouillée et torse nu, se réfugie dans le giron de sa nourrice, effrayée par le dévoilem ent du phallus auquel procède une prêtresse munie d'une torche - c'est-à-dire l'initiation sexuelle de la nuit de noces selon P. Veyne, ou l'initiation mystérique de la dom ina avant la révélation symbolique de l'acco uchem ent et du foudroiem ent de Sémélé selon G. Sauron. C oncordant curieusement a vec ces deux dernières interprétations, la dém one ailée munie d'une badine interposée entre la fem m e effrayée et le liknon phallique a été comprise com m e Némésis défend ant le secret des mystères des initiations.

1

Ibid..

p. 17-22.

2G. Sauron, op.

cit.,

p. 81.

3 Cortège dionysiaque constitué de satyres, silènes, ménades et bacchantes mythiques ou humains.

4 L'interprétation d e la ta b le tte à gauche de la

domina,

coffret mystérique ou contrat de mariage, n'est pas claire e t ne saurait constituer un argum ent en lui-même. De même, la nudité « héroïque » de l'enfant peut être comprise dans un sens co m m e dans l'autre, mais ne saurait signifier sa divinité.

5G. Sauron, op.

cit..

p. 115.

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Images, textes et sociétés

La lacune qui intervient au centre du mur du fond au détriment de deux personnages féminins et surtout de la parèdre de Dionysos laisse libre cours à l'identification de cette dernière, bien qu'elle s'insère dans une série bien docum entée. Or il s'agit de la clé de voûte de la composition : s'il s'agit de Sémélé, rarement représentée a ve c son fils dans l'iconographie romaine mais dont le culte conjoint connaît des attestations en Grèce, elle garantit la cohérence - sinon la pertinence - de la thèse de G. Sauron. S'il s'agit au contraire d'Ariane, la lecture érotique de P. Veyne gagne en crédibilité, même si certaines de ses intuitions mériteraient un exam en plus approfondi, et si les scènes ostensiblement cultuelles ne peuvent être toujours réduites à une parodie triviale et quelque peu misogyne.

Car le dionysisme mis en scène dans cette fresque, com m e sur bien d'autres documents pom péiens contemporains o u postérieurs de quelques années, est celui d'un univers séduisant et inquiétant, associant un idéal mythique à la réalité humaine, quotidienne et cultuelle, établissant un lien harmonieux dans la vie d'une m atrone entre ses valeurs aristocratiques de vertu et de culture et ses croyances en une religion dionysiaque pratiquée et vécue, sur lesquelles se fonde le foedus amoris qui unit Ariane et Dionysos. Si le mystère de la fresque ne contrevient pas au goût hellénistique pour le paradoxe, le m ontré-caché et le détournem ent d e sens qui ponctuent bien des détails de la composition, l'énigme de son interprétation est surtout le fruit d e chaque interprète, « croyant, indifférent ou inquiet » selon une « radiographie de la religiosité » proposée par P. Veyne.

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Fig. 1. Fresque de la V illa des Mystères.

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Fig.  1.  Fresque de  la V illa des  Mystères.

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