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Les grands projets urbains à l'épreuve des territoires fragilisés : le cas du quartier créatif Manufacture-Plaine Achille à Saint-Étienne

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: dumas-02179652

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02179652

Submitted on 11 Jul 2019

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Les grands projets urbains à l’épreuve des territoires

fragilisés : le cas du quartier créatif Manufacture-Plaine

Achille à Saint-Étienne

Sylvain Crampe

To cite this version:

Sylvain Crampe. Les grands projets urbains à l’épreuve des territoires fragilisés : le cas du quartier créatif Manufacture-Plaine Achille à Saint-Étienne. Architecture, aménagement de l’espace. 2019. �dumas-02179652�

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Les grands projets urbains à l’épreuve

des territoires fragilisés

Le cas du quartier créatif

Manufacture-Plaine Achille à Saint-Etienne

Mémoire de Master 2 Urbanisme et Aménagement

Parcours : Urbanisme et Projet Urbain

Tuteur universitaire : Charles AMBROSINO

Tuteur d’entreprise : Stéphane QUADRIO

Année universitaire 2018-2019

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NOTICE ANALYTIQUE

Auteur Sylvain Crampe

Titre du mémoire Les grands projets urbains à l’épreuve des territoires fragilisés : Le cas du quartier créatif Manufacture-Plaine Achille à Saint-Etienne

Date de soutenance 03/07/2019

Cadre de

l'apprentissage Etablissement Public d'Aménagement de Saint-Etienne (EPASE) Cadre de l'étude Institut d'Urbanisme et de Géographie

Alpine de Grenoble (IUGA) Directeur du projet de fin d'études : Charles AMBROSINO

Collation 131 pages 67 références bibliographiques

Mots-clefs Grand projet urbain, urbanisme pratique

Termes

géographiques Saint-Etienne, Manufacture-Plaine Achille, Châteaucreux, Jacquard, Saint-Roch, Pont de l'Ane-Monthieu, Nantes, Genk (Belgique)

RESUME

Depuis l’avènement du néolibéralisme, les modalités de développement des villes sont perturbées. Devant faire face à une concurrence accrue, celles-ci doivent être en mesure d’activer et mettre en avant leurs ressources singulières pour attirer des capitaux plus volatiles. Pour cela, les villes s’emploient dans la construction de grands projets urbains, moteurs et vitrines de leur développement. De quelle manière s’organisent alors les territoires fragilisés aux ressources limitées pour s’insérer dans une telle dynamique ? La réponse apportée par l’étude du grand projet urbain de Saint-Etienne, le quartier créatif Manufacture-Plaine Achille, témoigne d’un processus de production urbaine changeant et met en évidence des enjeux pour la relance de ces territoires fragilisés.

Since the advent of neoliberalism, cities development process are disturbed. Facing an increased competition, they must be able to mobilize their own resources to attract human and economic volatile capitals. To do it, cities create « large scale urban projects » which are engines of local development and put the territory on display. Considering this, how weakened cities organize themselves with limited resources ? The answer given by the case of the « large scale urban project » Manufacture-Plaine Achille in Saint-Etienne, illustrate a changing way of urban production and raise issues for the revival of these weakened cities.

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DECLARATION ANTI-PLAGIAT

Je soussigné………... déclare sur l’honneur :

- être pleinement conscient(e) que le plagiat de documents ou d’une partie d’un document publiés sur toutes formes de support, y compris l’Internet, constitue une violation des droits d’auteur et un délit de contrefaçon, sanctionné, d’une part, par l’article L335-2 du Code de la Propriété intellectuelle et, d’autre part, par l’université ;

- que ce mémoire est inédit et de ma composition, hormis les éléments utilisés pour illustrer mon propos (courtes citations, photographies, illustrations, etc.) pour lesquels je m’engage à citer la source ;

- que mon texte ne viole aucun droit d’auteur, ni celui d’aucune personne et qu’il ne contient aucun propos diffamatoire ;

- que les analyses et les conclusions de ce mémoire n'engagent pas la responsabilité de mon université de soutenance ;

Fait à : Le :

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REMERCIEMENTS

Je remercie Stéphane Quadrio, pour m’avoir accueilli comme apprenti au sein de l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne et m’avoir permis de me forger une première expérience en Maitrise d’Ouvrage.

Je remercie Charles Ambrosino et Ines Ramirez-Cobo, pour m’avoir guidé durant ces années de Master au cours desquelles j’ai particulièrement appris à leurs côtés et notamment à travers les ateliers de projet urbain.

Je remercie toute l’équipe de l’EPASE dont le soutien et la bonne humeur m’ont permis de me former au métier d’aménageur avec beaucoup de plaisir et d’enthousiasme, et particulièrement Elise, ancienne de la maison IUGA, dont les conseils ont été très appréciés.

Je remercie enfin ma famille dont le soutien inconditionnel m’a encouragé à entreprendre ces nouvelles études avec détermination.

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TABLE DES SIGLES ET ABREVIATIONS

APU : Atelier Projet Urbain

CA : Communauté d’Agglomération CC : Communauté de Communes

CCI : Chambre de Commerce et d’Industrie CDN : Centre Dramatique National

CPER : Contrat de Plan Etat-Région CU : Communauté Urbaine

CUCS : Contrats Urbains de Cohésion Sociale CV : Contrat de Ville

DATAR : Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale

DDE : Direction Départementale de l’Equipement

DIACT : Délégation Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires

ENADSE : Ecole Nationale d’Art et de Design de Saint-Etienne

EPA : Etablissement Public d’Aménagement

EPASE : Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne

EPCC : Etablissement Public de Coopération Culturelle

EPORA : Etablissement Public Foncier de la région Rhône-Alpes

EPURES : Agence d’Urbanisme de la Région de Saint-Etienne

FAMAS : Fusil d’Assault de la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne

GPU : Grand Projet Urbain

IBA : Internationale Bauausstellung

LOADDT : Loi d’Orientation sur l’Aménagement et le Développement Durable

MAMC : Musée d’Art Moderne et

Contemporain de Saint-Etienne

MAPTAM : Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles

MAS : Manufacture d’Armes de Saint-Etienne MIPIM : Marché International des Professionnels de l’Immobilier

MOA : Maitrise d’Ouvrage MOE : Maitrise d’œuvre

MOEU : Maitrise d’œuvre Urbaine MPA : Manufacture-Plaine Achille OIN : Opération d’Intérêt National PME : Petites et Moyennes Entreprises POS : Plan d’Occupation des Sols R&D : Recherche & Développement

SAMOA : Société d’Aménagement de la Métropole Atlantique

SCOT : Schéma de Cohérence Territoriale SEM : Saint-Etienne Métropole

SNA : Schéma National d’Aménagement UNESCO : Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture UPU : Urbanisme et Projet Urbain VSE : Ville de Saint-Etienne

ZAC : Zone d’Aménagement Concerté ZUP : Zone Urbaine Prioritaire

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PREAMBULE

Le présent mémoire constitue le projet de fin d’études du Master 2 Urbanisme et Projet Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine de Grenoble. Il marque un moment important dans le processus de développement personnel et professionnel mené durant ces cinq années de licence et de master.

Le présent sujet de ce mémoire portant sur la construction du projet urbain est d’une certaine manière un (premier) aboutissement d’une réflexion continue alimentée par les connaissances acquises et les (courtes) expériences vécues au cours de notre parcours académique et préprofessionnel. Sujet central au sein du master bien nommé « Urbanisme et Projet Urbain » (UPU), il le fut pour nous dès le commencement du « parcours Géographie mention Urbanisme » de la Licence, notamment à travers les différents « Ateliers de Projet Urbain » menés. Du projet de licence 2 sur l’Esplanade de Grenoble au projet de Master 1 sur la résilience urbaine dans l’Est grenoblois, la construction du projet urbain, de son appréhension jusqu’à sa communication finale lors des présentations de rendus, fut un questionnement répété. S’intéresser à penser un projet pour un territoire dans le cadre de commandes nous a toujours amenés, de façon automatique, à questionner le processus de construction du projet.

Le travail mené sur le quartier de l’Esplanade de Grenoble fut à ce sujet très enrichissant. Notre commande (fictive) se plaçait à la suite d’un projet (réel) ambitieux mené par Christian de Portzamparc, pour le compte de la ville, vivement contesté par un grand nombre d’habitants. Le projet prévoyait dans son programme 1 100 nouveaux logements et 100 000m² de surfaces de plancher supplémentaires1. Aux élections municipales suivantes, le candidat Eric Piolle, qui promit notamment l’arrêt du projet, dénonçant « la frénésie de construction » du maire sortant2, fut élu et procéda rapidement à son annulation. Ce constat nous a permis de comprendre plusieurs choses : Le projet urbain est structurant dans la vie des villes. Il transforme l’organisation spatiale de la ville, en la modifiant, (parfois de façon spectaculaire comme il était prévu dans le projet avorté) et influence l’organisation de la ville en mobilisant un large panel d’acteurs, qu’ils soient

1 www.christiandeportzamparc.com/fr/projects/grenoble-esplanade

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concernés au titre de leur profession (élus, aménageurs, architectes-urbanistes) ou de leur position (habitants, commerçants). Le projet urbain est sensible car vecteur potentiel d’opposition, de revendication et détenant un pouvoir de déstabilisation et discréditation politique. Il semble aussi fragile car bien que pouvant être colossale par les moyens qu’il mobilise, sa concrétisation n’est pas assurée. Dès lors, notre intégration en alternance au sein de l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne (EPASE) a été une opportunité de poursuivre cette réflexion sur le projet urbain, au cœur d’un territoire singulier et d’un dispositif unique. La présente étude sera organisée de la façon suivante :

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ... 11

PARTIE 1 : MOBILISATION DES CONCEPTS ... 19

CHAPITRE 1 : LA CONSTITUTION PROGRESSIVE D’UN TERREAU FERTILE AU PROJET URBAIN ...20

1. Le retour de la ville comme espace central stratégique ...20

2. Une société de crise marquée par l’incertitude ...26

3. Les villes et l’injonction à l’innovation ...30

4. Perturbations autour des dispositifs de production urbaine ...33

CHAPITRE 2 : L’ERE DU PROJET URBAIN OU LA VILLE MANAGEE ...37

1. Définir un cap au projet ...37

2. Diffuser le cap ...45

3. Maintenir le cap ? ...48

PARTIE 2 : ETUDE DE CAS, LE QUARTIER CREATIF MANUFACTURE-PLAINE ACHILLE ... 55

CHAPITRE 1 : CONSTITUER L’AMBITION DU PROJET MPA : ENTRE HERITAGE DU LOCAL ET REFERENCES EXTERNES ? ...56

1. De l’essor au déclin industriel, la Manufacture comme symbole de l’histoire stéphanoise ...56

2. Rassembler les pièces et relancer la machine ...64

3. L’EPASE et l’émergence du « quartier créatif » Manufacture-Plaine Achille : Entre volontarisme et effets d’opportunités ...69

CHAPITRE 2 : LE DEVELOPPEMENT DU PROJET MANUFACTURE-PLAINE ACHILLE ...75

1. La constitution du cap du « quartier créatif » ...75

2. Quartier créatif et « ville-parc » : Le projet MPA phase 1 (2009-2017) ...78

3. MPA phase 2 (2018-…) : Entre continuité et renouvellement, « real urbanism » et pragmatisme ...84

4. La réactivation du Palais des Spectacles et l’extension de la Comédie : Une expérience vécue du projet négocié et itératif ...86

PARTIE 3 : ANALYSE CRITIQUE ET RETOURS THEORIQUES ... 97

CHAPITRE 1 : RETOUR ANALYTIQUE SUR LE GRAND PROJET URBAIN STEPHANOIS ...98

1. Saint-Etienne, un territoire singulier d’expérimentation du projet urbain ? ...98

2. L’avènement de l’urbanisme pratique dans la production urbaine ... 107

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CHAPITRE CONCLUSIF : LES ENJEUX DES GRANDS PROJETS URBAINS POUR RELANCER LES TERRITOIRES FRAGILISES ... 117 1. Favoriser le consensus dans la gouvernance des projets. ... 118 2. Mettre en place une pratique d’aménagement souple, articulant définition d’un cap et adaptabilité face aux opportunités. ... 120 3. Développer des projets vitrines et moteurs du territoire, ancrés localement ... 121

CONCLUSION ...123 BIBLIOGRAPHIE ...124 TABLE DES ILLUSTRATIONS...130

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INTRODUCTION

Le projet dans le champ de l’urbanisme, appréhension d’un concept flou et polysémique, objet central de la recherche

Le projet est une notion complexe. De quel projet parle-t-on ? L’emploi du terme « projet » est courant dans de nombreux secteurs très diversifiés. Les expressions de « projet de société », « projet individuel », « projet d’entreprise », etc. nous sont familières. L’urbanisme n’échappe pas à cette tendance à travers notamment les expressions de « projet de ville », « grands projets » et « projet urbain ». Cette notion fait toutefois preuve d’une grande ambiguïté (Arab, 2004). En effet, bien que son usage au sein du milieu de l’urbanisme et de l’aménagement urbain soit aujourd’hui récurrent, aussi bien par les praticiens que par les élus, l’emploi du terme selon les personnes ou groupes qui le mobilisent, n’a pas la même signification et ne recouvre pas les mêmes échelles. Aucune définition ne semble ainsi cristalliser la notion dans une version stable (Arab, 2004).

Dans le domaine de la production urbaine, le terme projet fut historiquement associé à l’architecture et au secteur du bâtiment à travers l’image du projet immobilier et aux travaux publics à travers le projet d’infrastructure. Il prit toutefois un sens nouveau à partir des années 1970, une signification plus large que celle attributaire des architectes, à travers la notion du projet urbain. A la fin des années 1980, le terme se propage. Son utilisation se démocratise au cours des années 1990 avec, par exemple, la participation de l’Etat à la diffusion de la notion, à travers la réalisation d’un « atelier projet urbain » (Arab, 2004). L’emploi du concept sort du seul cadre technique pour prendre place dans les discours politiques des élus locaux, sans consensus toutefois sur le sens donné au terme et se systématise dans les processus de production de la ville, donnant la sensation que « toute intervention sur la ville est aujourd’hui qualifiée de projet urbain » (Rey, 1998 in Arab 2004). Les « grands projets » ou « projets de ville » fleurissent sur les sites internet et brochures des collectivités qui rivalisent d’esthétisme et de communication forte, mettant en lumière des projets scénarisés avec professionnalisme (Matthey, 2011). On se trouve donc paradoxalement face à une notion semblant être incontournable dans les discours et pratiques urbaines mais comprise et employée dans des sens différents, sans définition unanime.

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Tenter de clarifier la définition du projet en urbanisme semble délicat. Nadia Arab proposa par exemple une catégorisation des différents projets selon trois types qu’elle décomposa de la sorte : Type A : le projet « de territoire », « de ville », « d’agglomération », « de développement ». Type B : le projet immobilier, « de bâtiment », aussi appelé le « projet architectural » et Type C : le projet d’aménagement urbain. Ces trois types de projets sont catégorisés selon différents critères, notamment les échelles d’intervention, les temporalités et le degré de complexité des projets.

Le projet de territoire catégorisé en type A, comme son nom l’indique, s’applique à l’échelle du territoire communal voire intercommunal (agglomération, métropole) et a pour objet de définir une ambition à long terme pour la ville. Pour ce faire, il développe des orientations stratégiques à moyen et long terme sur les thématiques économiques, sociales, culturelles et spatiales. Il n’est pas borné par des délais et se caractérise par une grande souplesse assumant les incertitudes afin de garantir une plus grande réactivité et s’adapter aux changements contextuels.

Le projet immobilier de type B est caractérisé par l’auteur comme le plus traditionnel. Il concerne une opération dont les limites spatiales d’intervention sont clairement identifiées, à l’échelle micro-locale, avec une temporalité d’intervention également connue, courte (environ 5 ans) et une complexité « limitée » par une connaissance accrue de tels projets.

Enfin, le projet d’aménagement urbain de type C, aussi appelé « projet urbain complexe » ou « grande opération d’urbanisme » est présenté comme le plus complexe. Situé entre les deux types précédents, il s’en distingue de façon assez radicale. Il est considéré comme borné dans le temps, bien qu’à travers une amplitude importante (entre 10 et 25ans) et correspond à une transformation concrète de l’espace. Ainsi, le projet d’aménagement urbain se distingue du projet de territoire. Il se distingue également des projets immobiliers en ne portant pas tant sur la conception et la construction d’un bâtiment que sur les choix d’urbanisation ou de transformation des usages, autrement dit, le programme du projet d’aménagement. La réflexion de ce programme « consiste à définir la nature des équipements publics et privés qui vont être construits sur le site, le type d’activités qui vont y être implantées et finalement la nature du quartier ou du morceau de ville qu’il s’agit de construire ou, situation la plus courante aujourd’hui, qu’il s’agit de renouveler »

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(Arab, 2004). Le projet d’aménagement se situe donc finalement dans une position intermédiaire floue entre le projet de territoire et le projet immobilier, entre contenu opérationnel des ambitions stratégiques à moyen et long terme du grand territoire et contenant programmatique des multiples projets immobiliers qu’il structure et qui le définissent en retour. Par cette position intermédiaire complexe et intéressante, c’est bien le projet d’aménagement urbain, appelé « projet urbain » par les acteurs de l’EPASE, qui sera au centre de la présente étude.

Toutefois, cette compréhension des différents types de projets en urbanisme nous permet d’assimiler, dans le cadre de cette étude, que le projet urbain dit « complexe » ne doit pas être compris comme objet autonome mais bien comme un constituant du projet de ville et constitué de projets

immobiliers. Ce décentrement peut se poursuivre à l’infini vers le « projet d’agglomération », puis le « projet de territoire », à l’échelle du SCOT par exemple, etc. Cette étape de clarification des termes employés et échelles concernées est nécessaire dans la poursuite de cette étude. En effet, à travers la lecture du travail de Séverine Chemin Le Piolet sur la cohérence du projet urbain stéphanois, l’on constate que le projet urbain évoqué porte à l’échelle de la ville et non du quartier, comme c’est le cas de l’EPASE. Ces décalages mettent en lumière le flou qui règne autour du terme de « projet » et nous invite à cette clarification.

Bien que les projets urbains possèdent des caractéristiques communes, ils témoignent surtout d’une grande hétérogénéité, rendant ténue la mise en comparaison. Ces

Figure 1 Quel type de projet pour quelle échelle ? Réalisation personnelle.

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projets ont en commun d’être des activités collectives tournées vers l’action et inscrits dans un « espace-temps paradoxal », où l’action « ici et maintenant » s’exécute de façon bornée dans une longue transformation des villes (Arab, 2004). Cependant, ces projets se distinguent fortement entre eux, notamment par les contextes socio-urbains dans lesquels ils naissent, car le projet, bien que borné dans le temps et l’espace, se développe à partir d’un ancrage local historique (Arab, 2004). C’est pourquoi l’étude sur le projet urbain sera avant tout une étude du projet urbain analysé au cours de l’expérience de l’étudiant à Saint-Etienne.

Saint-Etienne, une « métropole moyenne » comme territoire singulier d’expérimentation et d’étude du projet urbain ?

« Saint-Etienne est ce que j’aimerais appeler une métropole moyenne ». Ces mots employés par le Directeur de l’Aménagement de l’EPASE, Stéphane Quadrio lors d’un entretien passé avec des candidats à la maitrise d’œuvre du centre-ville nous ont particulièrement interpellé. Ce terme fort, assumé par la Direction de l’EPASE semblait partagé par les représentantes de la Direction Territoriale de la Ville, présentes également ce jour-là, dont l’une ajoutait d’ailleurs que l’ambition recherchée à cet instant pour Saint-Etienne n’est pas « de gravir une montagne mais que passer la colline serait déjà bien ». Il semblerait que les équipes techniques de l’aménagement du territoire stéphanois assument ce statut modeste. Le terme de métropole, complété par le qualificatif « moyenne » rappelant l’expression des « villes moyennes », appuie le paradoxe du cas stéphanois. Communauté de communes (CC) en 1995, puis Communauté d’Agglomération (CA) en 2001, Communauté Urbaine (CU) en 2016, Saint-Etienne est devenu depuis le 1er Janvier 2018, une des 22 métropoles françaises. Ce statut fait écho à l’imaginaire d’un grand territoire dynamique. Par ses 53 communes pour un total de 404 859 habitants3, la Métropole de Saint-Etienne est de taille relativement importante, proche de la Métropole grenobloise (49 communes pour 440 000 habitants environ). La Métropole stéphanoise développe également, comme ses sœurs, un levier particulier de mise en valeur du territoire à l’échelle nationale et supranationale par le biais du Design à Saint-Etienne, seule ville française

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intégrée au réseau des « villes créatives design » du monde labélisées par l’UNESCO. Ce point sera développé plus en détail au cours de la seconde partie.

Qualifiée de « moyenne », Saint-Etienne Métropole est effectivement nettement inférieure aux grandes métropoles françaises d’Aix-Marseille-Provence (92 communes pour 1 800 000 habitants environ), de Lyon (59 communes pour 1 300 000 habitants environ) ou Lille (90 communes pour 1 140 000 habitants environ). Le qualificatif « moyenne » employé renvoi aussi aux villes ayant pour caractéristiques d’être de taille intermédiaire (entre 20 000 et 200 000 habitants), d’avoir un rôle de desserte d’un espace infrarégional et d’avoir été particulièrement marquées par les crises industrielles successives depuis les années 1970 (SANTAMARIA, 2012). Cette proposition de définition des villes moyennes fait écho au cas de Saint-Etienne. En effet, la ville a connu son essor du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, notamment en devenant l’arsenal de la France dans ses nombreux conflits à travers le temps (Guerres de l’Empire, Première Guerre Mondiale, Conflits coloniaux) par les productions des industries minières, métallurgiques, mécaniques et d’armurerie, et également par les productions textiles et de cycles. Elle connue son apogée démographique en 1968 avec 220 000 habitants puis une profonde crise industrielle avec la concurrence du pétrole et du gaz au détriment du charbon stéphanois dont les mines fermèrent au cours des années 1970, la concurrence de l’Asie pour l’industrie textile. Symbole de ce déclin, Manufrance, vaste pôle industriel du nord de la ville, producteur d’armes puis de cycles, ferma ses portes en 19804. La ville connue par la suite une phase de décroissance caractérisée par la multiplication de friches industrielles accompagnée par une vacance élevée des logements et rez-de-chaussée commerciaux (MOREL-JOURNEL, SALA PALA, 2018) ainsi qu’un solde migratoire négatif qui s’étend depuis les années 1970 jusqu’en 2015, première année sans perte démographique (de 173 504 habitants en 2014 à 173 662 en 2015)5.

La ville de Saint-Etienne semble finalement exposer une singularité intéressante. En tenant compte des différents éléments exposés plus tôt, elle serait aujourd’hui entre la dynamique métropolitaine fraichement enclenchée et l’ancienne ville moyenne encore fragile d’un récent passé de décroissance. Cette singularité mise en avant a eu pour effet de

4 Archives municipales de Saint-Etienne 5 Données INSEE sur les populations légales

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renforcer l’intérêt particulier d’une étude du phénomène urbain ici. Puisque le projet urbain est défini comme fortement endogène, en quoi la singularité du cas stéphanois influence-t-elle de façon particulière le sujet du projet urbain ? A l’heure où les métropoles prennent part à une compétition territoriale d’attractivité et de rayonnement à l’échelle nationale et internationale (BARDET, HEALY, 2015), comment Saint-Etienne mobilise-t-elle l’outil du projet urbain pour redévelopper et mettre en valeur son territoire ?

Le « grand projet urbain » Manufacture-Plaine Achille comme cas d’étude

Au cours de notre année d’alternance, nous avons travaillé sur différents projets urbains portés par l’EPASE dont un nous a particulièrement mobilisé dans notre interrogation sur le sujet de la construction et de l’évolution du projet urbain à Saint-Etienne : Le projet Manufacture Plaine Achille (MPA), quartier créatif emblématique de la ville, nous a conduit dans l’analyse de l’évolution du projet urbain depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Ce quartier vitrine, support rattaché à l’image design stéphanoise que la ville porte sur l’échelle internationale est de ce fait particulièrement intéressant, mettant en visibilité les efforts d’aménagement et de redynamisation de Saint-Etienne.

. L’appréhension de ce concept complexe témoigne ici d’un second niveau de distinction qu’il est important de clarifier à cet instant. Certains projets urbains peuvent être de nature particulière, considérés comme espaces clés dans le développement des territoires. Ils sont désignés comme des « large scale urban projects » (Brenner in Pinson, 2009) ou « grands projets urbains » (GPU) et peuvent être définis comme suit :

« Le grand projet urbain vise […] à transformer, de manière accélérée et plus ou moins radicale, la vocation et l’aspect de certaines zones, tout en statuant sur ce que ces zones devraient être en termes d’activités, de rayonnement et de cadre physique au sein de l’entité urbaine visée. Certains, dont Manzagol et Sénécal (2002), affirment même que le grand projet urbain est un outil essentiel du marketing urbain sinon du branding territory et qu’il a pour objectif d’incarner la ville et au besoin de la doter de qualités spécifiques : le grand projet urbain serait ainsi un symbole grâce auquel la ville se met en scène et choisit son milieu comme son devenir. La politique volontariste et globale qui sous-tend sa

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construction repose sur un pilotage institutionnel et une stratégie économique forts » (Bédard, Breux, 2011).

Ainsi, le quartier créatif MPA, projet innovant de Saint-Etienne lui conférant une visibilité internationale, répond à cette définition et peut, de ce fait, être considéré comme un GPU. Par son statut de projet stratégique clé construit dans un territoire en cours de redynamisation, MPA témoigne d’un intérêt tout particulier. Comment s’est construit ce grand projet urbain Manufacture-Plaine Achille et de quelle manière permet-il la « mise en scène » de Saint-Etienne ?

Explicitation de la problématique et cadre méthodologique

Le projet urbain est un concept aussi incontournable que complexe à appréhender. Semblant prendre une place imposante dans le champ de la production urbaine, il est mobilisé par toutes les métropoles en quête de croissance qui font toutes référence à leurs « grands projets ». Saint-Etienne, territoire en convalescence posttraumatique s’emploie aujourd’hui à réactiver une dynamique urbaine en berne et rattraper son retard dans la course à la croissance par la création de son grand projet urbain, le quartier créatif Manufacture-Plaine Achille. Nous tenterons ici de comprendre de quelle manière se construit un grand projet urbain au cœur d’un territoire fragile et ce que cela nous dit sur la production urbaine actuelle.

Pour tenter de répondre à cette problématique et aux différentes questions évoquées plus tôt, l’analyse a été conduite en s’appuyant sur une méthodologie croisant recherche théorique et recherche empirique, plus précisément, l’observation participante. Le projet urbain, au cœur de ce travail, est un concept complexe étudié par un grand nombre de chercheurs. Ainsi, notre première partie portant sur son apparition progressive et ses caractéristiques spécifiques a été développée en appui sur ces multiples sources scientifiques, permettant une appréhension assez large du concept. A cet effet, les travaux de Gilles Pinson ont été particulièrement mobilisés dans ce mémoire, tant dans l’appréhension théorique du projet urbain que dans l’approche de l’histoire stéphanoise abordée en seconde partie, que l’auteur a finement explorée.

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Cette seconde séquence du mémoire, une fois le concept du projet appréhendé dans sa portée théorique, vise à l’aborder par le biais d’un cas pratique particulièrement intéressant, Manufacture-Plaine Achille. C’est à travers notre participation directe à la construction de ce projet phare de l’EPASE, et plus précisément, à partir de l’opération du Palais des Spectacles en tant que responsable, que nous avons construit progressivement notre réflexion portant sur la construction d’un grand projet urbain au cœur d’un territoire en mal d’attractivité et des phénomènes qu’elle engendre. L’observation participante est définie comme une « technique de recherche dans laquelle le sociologue observe une collectivité sociale dont il est lui-même membre » (Soulé in Tribout, 2015). Ce travail, influencé par notre immersion durant cette année d’alternance, entraine une orientation du propos qu’il faudra garder à l’esprit. Le fait d’évoluer au sein de l’établissement qui pilote le projet étudié et d’en être un acteur à part entière, permet de rendre compte de phénomènes particuliers directement constatés, mais implique une subjectivité à l’analyse menée du projet. Cette observation participante a été ponctuée d’échanges informels que nous avons pu mener tout au long de notre année d’alternance avec les acteurs de l’EPASE. Le recours à des entretiens plus cadrés, reposant sur des grilles préalablement établies, a été envisagé, mais les résultats obtenus n’auraient pas nécessairement apporté plus d’informations. De plus, le recours à des formes d’entretiens ne permet pas une totale objectivité car témoigne également de certains biais, notamment à travers l’angle des questions formulées privilégié par le chercheur puis sa restitution des échanges menés. Aussi, les entretiens formels suivent une certaine démarche protocolaire qui peut placer la personne interviewée dans une position inhabituelle, influençant son discours et ainsi, les résultats obtenus. Nous avons fait le choix de nous baser sur une méthode empirique qui s’appuie sur notre propre expérience professionnelle et sur notre observation des phénomènes et complétée par des données récoltées portant sur le projet urbain Manufacture-Plaine Achille.

Enfin, la troisième et dernière partie opère un retour analytique à partir de la compréhension des modalités d’émergence et de succès du projet urbain, et de la forme de sa construction sur le territoire stéphanois. L’objectif est alors de mettre en lumière les modalités de construction d’un grand projet urbain sur un territoire fragile comme Saint-Etienne. Cette analyse met ainsi en avant, le recours à une forme de production urbaine particulière dont le travail d’Yves Chalas permet une lecture facilitée.

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L’objectif de cette première partie est de mener un travail de compréhension théorique de l’émergence du concept de projet urbain et de comprendre, à travers une approche historique, quels ont été les facteurs déterminants à l’origine de son émergence ? Quels sont les grandes conséquences de l’avènement de ce nouveau dispositif dominant sur la manière de penser et produire la ville aujourd’hui ?

CHAPITRE 1 : LA CONSTITUTION PROGRESSIVE D’UN

TERREAU FERTILE AU PROJET URBAIN

1.

Le retour de la ville comme espace central stratégique

Comprendre les mutations qui ont marqué les stratégies productives urbaines et qui ont conduit à l’émergence du projet urbain, c’est comprendre, dans un premier temps, l’influence des mutations du système économique mondial et l’évolution du capitalisme sur ce processus changeant ayant conduit à un glissement progressif des enjeux de développement de l’échelle étatique aux échelles métropolitaines. Cette partie de l’étude s’est fortement appuyée sur le travail particulièrement éclairant à ce sujet de Gilles Pinson.

Etat central et territoires nationaux contraints

Jusque dans les années 1980, la tâche de la mise en place et de la gestion des stratégies productives incombe à l’Etat central. Entre le 17e siècle et la première moitié du 19e siècle, l’Etat organise le système productif autour des ressources qu’il contrôle, dont les principales sont agricoles et celles issues des colonies, permettant des premières formes d’accumulation de capital. Il est alors la seule autorité, par sa position centrale de contrôle, à pouvoir sécuriser l’organisation des systèmes productifs en son sein, en garantissant les conditions de modernisation de l’agriculture et en gérant l’entreprise coloniale.

A partir de la seconde moitié du 19e siècle, la centralité étatique sur les systèmes productifs perdure et se renforce même, cette fois portée sur le développement des activités menées par les industries minières et sidérurgiques. Les besoins en financement, la nécessité de garantir les investissements, l’importance croissante des commandes d’armes

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de l’Etat engagé dans de nombreux conflits contribuent à renforcer son caractère indispensable à la pérennité de ce développement économique.

Au cours de ces deux périodes, le rôle des villes se résume surtout dans une conception territoriale de ressource et de lieu de commerce au sein de cette dynamique supra-locale. Les autorités locales perdent peu à peu leur rôle d’acteur central politique et économique sur leurs territoires. Toutefois, l’Etat, encore incapable d’organiser de façon centralisée le développement de l’économie nationale, les villes demeurent constituées d’une importante élite économique, la bourgeoisie locale, organisant des systèmes productifs locaux. Ces élites conservent leurs capacités de définition et d’orientation de leurs développements économiques.

A partir des années 1930, l’influence de l’Etat sur les systèmes productifs grandit encore après le choc de la Première Guerre Mondiale et la première crise économique de grande ampleur de 1929. Un consensus se développe sur la nécessité pour l’Etat d’intervenir très fortement dans l’organisation des systèmes productifs, de conduire l’économie du pays de façon ambitieuse, de maitriser les sursauts de l’économie capitaliste et de protéger le territoire de nouvelles crises violentes. C’est à cette époque l’avènement de l’Etat-providence et des politiques dites « keynésiennes-fordistes ». Fordiste, le système productif étatique en place l’est dans son soutien à la productivité en masse de produits standardisés satisfaisant des besoins de base et dans la vision circulaire qui consiste à définir que les ouvriers, par un pouvoir d’achat augmenté, garantiront l’écoulement des produits qu’ils confectionnent. Le régime est aussi keynésien car l’intervention de l’Etat, par d’importants investissements publics et de redistribution de la richesse, soutient la demande, notamment à travers les plans sociaux dédiés à la population comme les systèmes de protection sociale ou le salaire social. Il protège également l’économie nationale des sursauts conjoncturels. Avec l’avènement de l’Etat-providence, les villes sont impactées de deux manières contradictoires. D’un côté, l’Etat régulateur permet aux villes françaises d’être protégées d’éventuels revers économiques, à l’inverse, par exemple, des villes américaines. De l’autre, l’intervention de l’Etat dans le système productif se traduit par des nationalisations, constitutions de regroupements d’industries en « champions nationaux » et la montée en puissance d’élites managériales déconcentrées qui vont progressivement entrer en conflit avec les bourgeoisies locales pour le contrôle des systèmes productifs locaux. Les villes vont alors perdre leurs statuts de décisionnaires en matière de production

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économique locale. Ainsi, durant la période des Trente Glorieuses, les villes entrent dans un processus centralisé fordiste où les territoires sont avant tout des ressources nationales composantes de systèmes productifs nationaux.

Dans le même mouvement que les systèmes productifs locaux, les agendas urbains s’uniformisent sur le modèle de l’agenda national. Les intérêts publics locaux se définissent exclusivement à travers les intérêts publics nationaux. Les stratégies urbaines sont définies par les élites centrales et non plus entre élites économiques et élites politiques locales (Pinson, 2009).

Tournant néolibéral et mutations progressives des politiques publiques

A partir du milieu des années 1970, l’essoufflement progressif du système productif fordiste provoque la remise en cause du rôle central qu’il octroyait à l’Etat et au système de régulations publiques. Cet essoufflement se caractérise par une montée en puissance de la concurrence des pays « émergents » et de leurs systèmes productifs à faible coût (coûts limités de la main d’œuvre et des ressources). Cela engendre un changement de conception de l’industrie en France (et en Occident de façon générale), portée non plus sur la capacité des entreprises à produire en masse et de façon standardisée mais à produire à moindre coût et de façon diversifiée, à innover en permanence au sein de marchés changeants. Dans ce contexte de compétition accrue, l’Etat leader du système productif, contrôlant le marché et soutenant la demande plutôt que l’offre, devient un obstacle au processus engagé. Une pression s’exerce alors sur l’Etat pour qu’il passe d’une conception du « Keynesian Welfare State » au « Schumpeterian Workfare State », autrement dit, de passer d’un Etat au premier plan, actif dans la gestion du système productif et vigilant sur les déséquilibres nationaux (écarts sociaux, économiques, territoriaux), à un Etat moins investi, laissant place à la « destruction créatrice », concept amené par Schumpeter. Dans cette démarche, l’Etat doit déréguler ses marchés, garantir l’offre plutôt que la demande, créer les conditions favorables de compétitivité entre firmes, d’adaptation permanente de leur appareil productif.

Ce passage progressif d’un « Welfare State » à un « Workfare State » s’illustre dans les villes par la fin du keynésianisme spatial, c’est-à-dire, la fin de la politique de l’aménagement centralisé du territoire marquée par le rôle important de la DATAR, ainsi que de la production intensive de grands équipements et de logements sociaux, A la place de

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cet interventionnisme étatique, se substitue une injonction de l’Etat faite aux villes à mettre en place une offre territoriale attractive afin d’attirer les investissements et de permettre aux entreprises locales de se développer dans un processus compétitif.

Ce nouveau système productif basé sur le modèle néolibéral témoigne de dynamiques contradictoires. D’une part, il se caractérise par une déterritorialisation des capitaux, un détachement des entreprises de leurs ancrages nationaux, organisées selon une logique globalisée extra-étatique. Ces dernières délocalisent notamment les systèmes productifs au sein de nouveaux marchés ouverts, attractifs par les économies de production et marges de profit importantes qu’ils leur garantissent. Toutefois, la flexibilisation des entreprises ayant de plus en plus recours à une externalisation d’activités multiples, que ce soit pour la Recherche & Développement, ou divers services, aurait tendance à rendre cruciale pour ces entreprises la constitution d’un réseau de proximité. Ainsi, bien que l’avènement du courant néolibéral se caractérise par une volatilité accrue du capital, il témoigne également d’une perspective contradictoire. Les villes deviennent des actrices primordiales dans la captation de ce capital par leur responsabilisation dans la constitution d’une situation territoriale attractive aux réseaux d’entreprises qu’elles sont en mesure de créer (Pinson, 2009).

Vers une réorganisation progressive des structures publiques

Le tournant du néolibéralisme et les perturbations engendrées sur les systèmes productifs entrainent une injonction à la réorganisation des territoires. L’Etat s’engage progressivement dans une campagne de soutien à ces derniers dans l’attractivité des entreprises et actifs producteurs de capitaux. Il organise la passation de pouvoir à travers diverses lois qui ont pour finalité d’octroyer progressivement aux niveaux locaux, les compétences pour être en mesure d’attirer ces capitaux. Le processus de décentralisation démarre à travers les premières lois de 1982-1983, les « lois Deferre » formant l’Acte 1 du processus, Elles seront suivies d’un Acte 2 engagé par une révision constitutionnelle entérinant le principe de décentralisation en 2003 et définissant les libertés et responsabilités locales en 2004. La loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM) de 2010, remaniée en 2014 fut le troisième acte fort d’un processus de transfert des responsabilités (Faburel, 2018) qui vise à mettre fin aux politiques de planification centralisée au profit de stratégies localisées laissant les

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acteurs territoriaux s’organiser en fonction des contextes dans lesquels ils s’inscrivent. Durant cette période, des dispositifs contractuels sont mis en place entre l’Etat et les territoires de manière à planifier les investissements publics en fonction de nouvelles stratégies élaborées localement par un réseau d’acteurs locaux qui doit se mobiliser. Ces contrats sont par exemple les Contrats de Plans Etat-Régions devenus « contrats de projet » ou les Contrats de Ville devenus Contrats Urbains de Cohésion Sociale. Ces contrats ont pour objectif de faire plus de place aux acteurs locaux dans la définition de la stratégie de développement du pays. Bien que l’Etat reste alors au cœur du dispositif, en étant la ressource financière principale, ces outils contractuels ont eu pour résultat de diffuser progressivement une culture du projet aux acteurs locaux. La DATAR, modèle keynésien par excellence, historiquement fondée pour organiser le territoire national et redistribuer la richesse par la décentralisation industrielle et la création des métropoles d’équilibres, devient la Délégation Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires (DIACT) en 2006 puis de nouveau la DATAR en 2009 mais avec un nouvel intitulé « Direction Interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale, et dont la mission est désormais la mise en place de politiques constitutives visant à la structuration de coalitions d’acteurs locaux. La loi d’orientation sur l’aménagement et le développement durable de 1999 (LOADDT) dite Loi Voynet marque un tournant dans le transfert progressif des compétences de l’Etat vers ses territoires en remplaçant le Schéma National d’Aménagement (SNA) par des schémas de service collectif fondés de façon incrémentale au fil de la confrontation des intérêts locaux et nationaux. A ce sujet, Dominique Voynet défend l’idée que :

« La politique d’aménagement du territoire doit favoriser l’émergence et la concrétisation de projets fondés sur la valorisation des ressources, plutôt que la compensation de handicaps et la réparation des dégâts » ; « Le premier objectif de la LOADDT est de favoriser l’émergence d’espaces de projet, dotés de la capacité de dire ‘nous’ » (Dominique Voynet in. Pinson, 2009).

Ainsi, par le biais de la décentralisation progressive, les métropoles constituées « métropoles d’équilibre » par le processus de régulation de l’Etat durant les années 1970, vont poursuivre leur développement dans une logique désormais néolibérale basée sur une recherche de croissance économique, non plus par l’attente des ressources redistribuées par l’Etat planificateur, mais par une activation du local devenue primordiale à l’aide de

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nouveaux moyens et de nouvelles compétences obtenus. Pour ce faire, les métropoles entrent dans un rapport entre elles ambivalent, à la fois associées et rivales, elles doivent en effet être attractives aux yeux des capitaux humains et économiques (Arnould, 2017).

Pour autant, on constate donc progressivement non pas un abandon de l’Etat laissant totalement la main aux territoires pour se développer dans un système économique dérégulé et compétitif, mais une mise en place, par ce dernier, d’une série de dispositifs visant à accompagner ses territoires dans la transition vers un système devenu particulièrement intense et complexe. L’Etat prend conscience des limites de l’organisation planificatrice centralisée à pouvoir contrôler la mobilité accélérée des capitaux (économiques, humains) qui se répand sur l’ensemble des territoires, surpassant les logiques frontalières. La société post-fordiste présente d’importantes mutations qui poussent donc les autorités publiques à répondre rapidement par une réorganisation de fond, acceptant le déplacement du centre névralgique des enjeux principaux vers les villes.

A partir des années 1980 donc, les villes bénéficient de capacités importantes en matière de gestion des systèmes productifs locaux. Jusque-là déresponsabilisées, elles vont progressivement entrer dans une logique d’organisation locale, devant activer leurs territoires pour bénéficier de deux profits : D’abord, l’Etat laissant les territoires s’organiser, il passe d’un statut de régulateur à celui d’un promoteur qui appuie les territoires dynamiques déjà privilégiés pour intensifier l’accumulation de capital par le biais de politiques publiques, Ces « locational policies » comme les désignent Brenner, s’illustrent territorialement par un appui renforcé aux « large scale urban projects », des projets de grande envergure capables de rayonner à l’échelle supranationale et attirer un maximum de capitaux. Ensuite, fortes de leurs nouvelles compétences, ces villes doivent être en mesure, par l’activation et l’agitation d’un réseau local, de promouvoir leurs territoires pour attirer entreprises et populations productrices de capitaux. Les villes entrent donc à partir des années 1980 dans une logique similaire aux entreprises. Elles évoluent désormais dans un système extrêmement concurrentiel, à la fois sur l’échelle internationale mais également sur l’échelle nationale par un système étatique valorisant désormais les métropoles puissantes capables de s’inscrire justement dans la compétition extranationale. Cette nouvelle perspective entraine les acteurs concernés par la production urbaine à s’orienter progressivement vers une culture du projet à la manière des entreprises. Le passage de l’Etat d’une logique régulatrice à une logique

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promotrice concoure néanmoins à une croissance accrue des inégalités territoriales entre métropoles inscrites dans la course internationale et le reste du territoire (Pinson, 2009).

2.

Une société de crise marquée par l’incertitude

Nombre de chercheurs s’entendent sur un constat : La société contemporaine est marquée par un nombre croissant de crises qui ont pour conséquence une intégration accrue de l’incertitude comme contrainte transversale, mettant en évidence les limites d’une considération d’un environnement pouvant être maitrisé (Soubeyran, 2014). La société contemporaine est ainsi largement présentée comme témoignant d’une grande complexité. Nous présenterons ici les multiples crises que traverse la société contemporaine et en quoi la nécessité de composer avec les nombreuses formes d’incertitude qu’elles génèrent impacte profondément le processus de production de l’urbain.

Crises des ressources et vulnérabilité accrue de la société

Les grandes crises économiques jalonnent l’histoire de notre civilisation depuis la grande dépression de 1929, la première profonde crise financière aux répercussions internationales. Comme il a été présenté plus tôt, depuis les années 1980, les logiques de marché l’ont emporté sur la structure étatique régulatrice et protectrice des aléas économiques. Ce recul de l’Etat expose plus frontalement son territoire aux nouvelles règles du marché. C’est ainsi que depuis les années 1980, les crises économiques ont été multipliées et intensifiées. Ce nouveau système témoigne surtout de distorsions plus importantes et imprévisibles basées sur des cycles d’effondrements brutaux puis de croissances nouvelles, suivant la logique des destructions créatrices. Au sein de ce processus instable, une prudence accrue émerge au sein de la population.

La profonde crise de 2008 est l’exemple le plus récent de cette forme cyclique de croissance/effondrement ayant eu des répercussions importantes directes sur les systèmes productifs urbains. Cette crise financière, née aux Etats-Unis, est le résultat de millions de prêts hypothécaires accordés à des consommateurs américains malgré un risque élevé dû à l’incapacité des contractants à pouvoir financer les cotisations, entrainant par répercutions, l’affaiblissement du système financier global (Jamet in. Ramirez-Cobo, 2016). Le résultat

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fut une baisse considérable des investissements, des consommations et demandes de biens et de services, impactant également les finances publiques. Les collectivités ont ainsi hérité d’une contraction de leurs budgets, rendant difficile l’atteinte de certains objectifs de politiques publiques fixés dans leur mandat (Ramirez-Cobo, 2016) et les poussant à repenser l’envergure des interventions (Petitjean in Diaz, Champenois, 2016).

En parallèle d’une crise des ressources économiques, la considération d’une crise environnementale traversée par la civilisation prend de plus en plus de force. La première crise pétrolière de 1971 présente aux yeux du monde la compréhension d’un monde aux ressources finies fragilisé par une production perçue et ventée comme infinie (Latouche, 1997). Le développement durable a fait son chemin, entrainant une certaine démocratisation des processus plus économes en ressources et se voulant moins impactant sur l’environnement.

Que ce soit à travers l’économie ou l’écologie, la vertu des démarches économes fait du chemin au sein des systèmes productifs et devient progressivement une qualité recherchée. L’idée de « faire avec », de « faire petit à petit » et de ne pas entrer dans des perspectives irréalistes et/ou dangereuses se développe au sein des systèmes productifs urbains.

Crise de la démocratie représentative et gouvernance urbaine pluraliste

Le mouvement « Nuit Debout » de 2014 ou plus récemment celui des gilets jaunes, démarré fin 2018 témoignent de ce que Marcus Zepf nomme une « crise de la décision politique » importante (Zepf in Ramirez-Cobo, 2016). Bien que les contestations citoyennes ne soient pas une originalité récente et fassent même partie de l’expérience démocratique, celles-ci semblent se multiplier et témoigner de tensions de plus en plus vives, mettant en avant une difficulté à entrevoir une sortie concevable, notamment à travers le cas actuel des gilets jaunes. Les revendications portées par les manifestants se troublent, se diversifient et deviennent des manifestations multi-thématiques, avec pour conséquence, un décalage croissant avec un monde politique qui peine à proposer les contours d’un cadre de solutions adaptées. Désirant une participation plus importante au sein des processus de réflexion sur son cadre de vie, la population montre un certain scepticisme à l’égard des responsables

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politiques et des autres acteurs placés dans la hiérarchie de la décision, tels que les pouvoirs économiques ou les techniciens représentant des politiques (Moreau, 2017).

L’intégration de la population et de ses revendications au sein des processus de production de l’urbain s’est considérablement développée ces dernières décennies, bien que les modalités mises en place témoignent d’une concertation plus ou moins effective (Ramirez-Cobo, 2016). Cette dynamique d’ouverture actorielle progressive des processus de production de l’urbain est à associer à l’avènement de l’ère néolibérale présentée plus tôt. Avec l’essoufflement de la hiérarchie classique dominée par l’Etat, l’incitation d’une organisation locale des villes encourage les dynamiques collaboratives entre élus et acteurs locaux qui voient dans la plus grande proximité de l’espace de dialogue, une ouverture à l’écoute des revendications. Le nombre d’acteurs impliqués dans les processus décisionnels augmente en présentant toutefois des déséquilibres dans les relations de pouvoir notamment par les écarts de légitimation des personnes aux statuts différents ou par les écarts de niveau de compétence (Zepf in Ramirez-Cobo, 2016). Malgré tout, la gouvernance urbaine se pluralise faisant plus de place aux représentants de nouveaux groupes sociaux mobilisés (Pinson, 2009) et les processus de décision au sein des systèmes productifs urbains se complètent de « nouveaux compétents » (Europan 13) de la société civile, illustrant des formes de « présomptions de compétence » comme les défini Michel Serres, de tout un chacun sur le savoir de la ville et de l’architecture, rebattant ainsi les cartes de la fabrique urbaine (Europan 13).

Selon les chercheurs, cette nouvelle gouvernance urbaine pluraliste est perçue comme une contrainte ou une opportunité. Selon la théorie hyper-pluraliste, cette dernière instiguerait une forme d’évolution chaotique de la société, entrainant un blocage insurmontable dans les processus décisionnels, synonyme d’ingouvernabilité (Pinson, 2009). Pour d’autres, cette pluralisation n’est en rien incompatible avec une forme d’action collective. Au contraire, elle générerait « des incitations à la coopération et à l’invention de nouveaux mécanismes d’intégration des acteurs et d’articulation des ressources » (Pinson, 2009).

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Crise temporelle et désynchronisation des cadences

La société subit également une crise temporelle marquée par ce que qualifie Hertmut Rosa comme une « accélération sociale de la société » (Rosa, 2010). Cette crise n’est cependant pas un fait très récent. Il y a vingt ans, Luc Boltanski et Eve Chiapello notaient que :

« L’accélération des mobilités, des rythmes de vie, des communications, des activités sociales et économiques constituent les nouveaux fondements des sociétés actuelles » (Faburel, 2018).

Le rythme de nos vies évoluerait très rapidement. En moins d’un siècle, l’espérance de vie a augmenté de 60% et le temps de travail a lui été divisé par deux, multipliant le temps libre de l’homme par cinq. Les temps de sommeil se raccourcissent, la nuit se rentabilise (Faburel, 2018) au sein de la ville en continue, disponible 7 jours sur 7 (Gwiazdzinski, 2013). Cependant, comme le présente Hertmut Rosa, les populations, bien que réalisant moins d’heures de travail, disposeraient paradoxalement de moins en moins de temps libre, sans cesse entrainées dans des courses contre le temps. Ce constat s’appuie notamment sur la mise en évidence d’un recours croissant à un vocabulaire rattaché à l’organisation contrainte temporellement qui s’immisce dans tous les aspects de nos vies de façon normative (« il faut que je… », « je dois… »). Le rendement par unité de temps menée étant augmenté, grâce à une diminution du temps passé par action, cela permettrait une démultiplication des actions entreprises dans une « compression du présent » (Faburel, 2018).

Cette forme d’accélération sociétale aurait pour conséquence de créer une forme de désynchronisation entre le rythme soutenu de nos modes de vie d’un côté et la gestion politique et la conception de la ville dont nous héritons de l’autre (Rosa, 2010 ; Ramirez-Cobo, 2016), celles-ci obéissant à des temporalités plus longues.

Ce constat d’un décalage croissant entre des modes de vie accélérés et un développement urbain qui s’inscrit dans des échelles temporelles plus longues (De Gravelaine, 2010) témoigne donc d’une tension qui s’élève progressivement autour des processus de fabrique de la ville. Les horizons idéologiques, les grands récits sur la ville qui accompagnent ces lentes transformations urbaines perdent en crédibilité auprès d’une

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population ayant assimilée les changements plus rapides et imprévisibles de la société (Ascher, 1997).

3.

Les villes et l’injonction à l’innovation

Economie postfordiste et constitution d’écosystèmes innovants

Au cours des années 1980-1990, de façon corrélée aux crises économiques et temporelles évoquées plus tôt, avec le recul de l’industrie traditionnelle, les villes sont engagées progressivement dans un système d’accumulation postfordiste ou « postindustriel » (Sechi, 2016) nommé « de spécialisation flexible » par Alan Scott (Pinson, 2009). Ce dernier définit ces nouveaux systèmes comme :

« Des systèmes productifs apparus pour répondre à une demande de plus en plus diversifiée et changeante et à une accélération du changement technologique. Ce nouveau contexte exige des firmes une faculté d'ajustement rapide, une capacité à faire évoluer en permanence les produits et les procès productifs. Il tend dès lors à favoriser, les réseaux de PME, plus sensibles aux modifications de leur environnement et capables d'adapter rapidement leur production. La spécialisation flexible tend aussi à faire des contextes sociaux locaux et de la proximité géographique des facteurs essentiels de performance et de développement économique » (Scott, A. in. Pinson, 2009).

Les secteurs d’activité de cette nouvelle économie témoignent d’une forte valeur ajoutée et sont présentés comme moins sensibles aux fluctuations répétées du système économique néolibéral. En effet, lors de la crise de 2008, les métropoles ayant particulièrement développé cette économie flexible basée sur la multiplication de petites PME, intégrées dans des réseaux locaux structurés, ont témoigné de logiques inverses au reste du territoire en affichant des croissances d’emploi (Ploux-Chillès, 2014). Ces systèmes flexibles, définis par Alan Scott, traduisent des développements économiques caractérisés par la création intensive de connaissances, l’adaptation perpétuelle des entreprises, faisant de l’innovation l’activité économique dominante (Chantelot, 2009), tout cela de façon toujours plus rapide.

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Les villes sont ainsi confrontées à l’impératif de valorisation de leurs avantages compétitifs pour être capable de mettre en place les conditions favorables pour l’accueil de ces nouvelles structures, à la constitution d’un réseau local efficace au sein duquel pourront s’inscrire les entreprises et à la réalisation des processus d’adaptation rapide de ces PME engagées dans la compétition entrepreneuriale. De ce fait, les villes ne peuvent plus se permettre d’être de simples territoires neutres d’accueil d’activités. La mise en valeur d’un territoire et de ses ressources spécifiques devient un nouvel impératif. Pour ce faire, les différents leviers auxquels les villes ont désormais recours sont de types tangibles comme des équipements particuliers, des infrastructures, des campus, des espaces publics de qualité et intangibles comme la mise en avant de dispositifs locaux élaborés pour la bonne collaboration des entreprises (Pinson, 2009).

Surtout, cet impératif d’une mise en valeur dans un contexte de logique économique particulière entraine des conséquences importantes sur les processus de production urbaine et sur les nouveaux paysages des villes produits actuellement. Comment répondre territorialement à des logiques économiques dont la principale caractéristique est l’innovation répétée et accélérée ? Pour expliciter plus clairement la contradiction, comment produire la ville, impliquant nécessairement de réaliser des aménagements produisant des espaces figés impliquant des temporalités assez étendues tout en garantissant une offre territoriale flexible, ouverte à une réadaptation permanente, afin d’attirer les entreprises productrices de cette nouvelle économie dominante ?

Théorie de la « classe créative » et influences sur l’orientation du développement urbain des villes ?

A cette nouvelle économie flexible dominante, régie par la quête perpétuelle d’innovation et de créativité, est associée durant les années 1990, sa catégorie de population active émergente : la « classe créative », selon la théorie portée par Florida (1995). Ce chercheur américain développe une vision du développement économique local dont cette population ciblée serait un important facteur de réussite. Dans sa théorie, les capacités intellectuelles et créatives des individus, désignés comme les « talents », sont génératrices d’idées et des sources d’innovation (Chantelot, 2009). Dans un contexte économique nouveau dominé par une compétitivité des territoires et la quête d’innovation, la capacité des villes à attirer et faire émerger ces populations créatives devient primordiale.

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Pour Florida, le succès économique se trouve dans les villes qui parviennent à attirer, retenir et organiser les meilleurs « talents ». Selon sa théorie, la qualité de vie des environnements urbains offerte affecterait la capacité des villes à stimuler cette dynamique. Les villes doivent donc être capables de créer un « people’s climate » favorable par la proposition croissante d’une gamme d’infrastructures facilitant le flux d’idées, de connaissances et également d’aménités environnementales, culturelles, récréationnelles (parcs, cinémas, théâtres, bars, restaurants, musées) permettant l’attraction et le foisonnement du « talent » (Chantelot, 2009).

Cette théorie se base donc sur deux postulats : l’existence d’une « classe créative » et le rôle majeur du « people’s climate » des villes pour attirer ces individus innovants permettant à la ville de prendre le chemin de la croissance économique. Depuis son émergence, elle fait l’objet de nombreux débats, repris comme modèle à suivre, notamment par certaines villes nord-américaines et vivement critiquée par d’autres. Ces critiques portent principalement sur deux points :

Tout d’abord, la créativité est perçue comme un concept trop flou par certains chercheurs pour examiner les professions dites « créatives » qui structurent la classe correspondante. Le nombre de professions retenues par Florida, présenté comme trop exhaustif par certains, ne permettrait pas de mesurer de façon précise la créativité (Chantelot, 2009).

La seconde critique principale porte sur la vision trop simplifiée des mécanismes de croissance économique présentés par Florida, pour qui le talent engendrerait de la croissance et non le contraire, à savoir, que la croissance attirerait le talent. Or, cette idée est fragilisée par un manque de démonstrations empiriques. Le lien de causalité entre ces deux éléments serait plutôt circulaire et cumulatif plutôt qu’unidirectionnel. Les « talents », plus éduqués et plus mobiles que la moyenne du capital humain sont attirés par les villes où les salaires proposés sont supérieurs à leurs villes d’origine (Darchen, Tremblay, 2008 ; Chantelot, 2009).

Le travail de Florida a néanmoins permis de mettre en lumière l’orientation de certaines politiques de développement économique de métropoles nord-américaines. Le lien

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que met en avant Florida entre un nouveau capital humain crucial dans un contexte économique privilégiant l’innovation et l’aménagement des villes qui doivent maximiser le potentiel créatif de leur territoire représente un apport important concernant le sujet de la compétitivité et de la mise en valeur des villes (Darchen, Tremblay, 2008 ; Chantelot, 2009), suivi comme modèle par de nombreuses agglomérations en quête de croissance économique et d’attractivité.

Ainsi, avec l’avènement du modèle économique flexible et d’un système extrêmement concurrentiel, se multiplient les petites structures spécialisées portées sur des objectifs d’innovation permanente. Pour cela, ces entreprises doivent s’intégrer dans un environnement local propice à l’évolution positive d’un réseau d’entreprises et de services permettant l’innovation (R&D) et à l’accueil du capital humain correspondant à cette production. Intégrées elles-aussi dans un rapport compétitif, les villes doivent donc mettre en place les conditions favorables à l’émergence et le développement d’un réseau local bénéfique à ces structures et à leur innovation permanente, ainsi que proposer un cadre de vie favorable à l’installation des actifs correspondants.

Que la théorie de Florida soit méticuleusement suivie ou non, on constate que les villes sont contraintes de recourir à une mise en avant prononcée de leurs atouts particuliers permettant ainsi de les distinguer. De façon contradictoire, les villes poursuivent donc un même objectif d’attractivité, mettant en avant la bonne application du « people’s climate », en tâchant en même temps de mettre en lumière ce qui les rend particulière, relevant une forme de « différenciation dans la coappartenance » (Faburel, 2018).

4.

Perturbations autour des dispositifs de production urbaine

L’évolution du contexte sociétal à travers le temps, déstabilisée par l’émergence d’incertitudes multiples et dont les enjeux économiques ont progressivement glissé de la scène étatique aux scènes métropolitaines, a profondément impacté les dispositifs de production urbaine. La planification et ses outils composants, à savoir, la programmation et la prospective urbaine, ont connu d’importantes perturbations au cours de ces soixante dernières années, suivant le rythme de mutation de la société.

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Prospective, programmation et planification

La planification est définie selon le Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement comme un « processus qui fixe (pour un individu, une entreprise, une institution, une collectivité territoriale, ou un Etat), après une phase d’étude et de réflexion prospective, des objectifs, les moyens nécessaires pour les atteindre, les étapes de réalisation et les méthodes de suivi » (Ramirez-Cobo, 2016). Selon Zetlaoui-Leger, la programmation, du grec « programma » signifiant « ce qui est écrit à l’avance », est définie comme sa déclinaison à l’échelle des agglomérations et des quartiers. Elle se base sur des études préalables menées dans une démarche de prévision et de prospective (Zetlaoui-Leger, 2009). Elle peut aussi se définir comme « une démarche qui consiste à se projeter dans l’avenir pour définir précisément l’objet futur, puis à procéder à un découpage séquentiel des étapes successives à réaliser, étapes dont les phases et les contenus sont définis à partir de cet état futur » (Arab, 2007). La prospective a pour but d’éclairer l’action, elle doit permettre, en même temps, de « savoir dans quelle direction l’on marche et s’assurer de l’endroit où l’on pose le pied pour le prochain pas » (Berger, 1960). Ainsi, on peut définir la planification comme le processus incluant prospective et programmation.

De la planification traditionnelle à la planification collaborative

Les procédures de planification ont émergé par le biais des masters plans durant la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, en réponse à l’importante croissance démographique que connaissent les villes durant la période industrielle (Ramirez-Cobo, 2016). L’organisation territoriale devient alors une nécessité pour limiter les implantations chaotiques. Au cours des années 1950, la planification à l’œuvre est dite « traditionnelle » (Douay, 2013). La France connait la période de la Reconstruction. Elle doit agir de façon conséquente et dans l’urgence pour faire renaitre des espaces urbains ravagés par la guerre (Zetlaoui-Leger, 2009). Cette planification se présente sous la forme d’un processus décisionnel vertical, piloté par les acteurs traditionnels de la production urbaine, à savoir, les élus et les techniciens, considérés alors comme experts de la planification, à travers leurs connaissances et compétences particulières (Douay, 2013). C’est au cours de cette même période que les outils de la prospective et de la programmation prennent leur essor. Certains spécialistes du territoire comme Berger constatent déjà qu’il devient impossible de prévoir l’avenir et donc de penser l’aménagement de façon linéaire et revendiquent l’intégration

Figure

Figure  1  Quel type de projet pour quelle échelle ? Réalisation  personnelle.
Figure 4 Dessin représentant la Manufacture au XIXe siècle – Source : T. Zanetti (2011)
Figure  5  Atelier des fraiseuses -  MAS (1910)  Source : Médiathèques municipales Saint-Etienne
Figure  8  Parc des Expositions de Saint-Etienne  (1968). Source : www.parc-expo42.com
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