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CHAPITRE 2 : LE DEVELOPPEMENT DU PROJET MANUFACTURE-PLAINE ACHILLE

1. La constitution du cap du « quartier créatif »

Saisir le levier culturel pour enclencher une dynamique

Depuis les années 1990, la culture se mue en levier de réactivation de l’agglomération stéphanoise. Le succès des différentes biennales qui ont lieu sur le territoire tous les deux ans (20 000 visiteurs en 1998 ; 100 000 visiteurs en 2013) entraine progressivement une concentration de l’attention des grands acteurs urbains sur le volet culturel comme vecteur de revalorisation de l’image de la ville mais également comme vecteur de développement économique. Au début des années 2000, la ville de Saint-Etienne constitue progressivement la mise en récit de sa riche histoire industrielle. Les différents corps de métier présents dans la région autrefois (passementiers, armuriers, fabricants de cycles) sont élevés au rang de « pionniers du design industriel » (Zanetti, 2010). Le design ferait ainsi partie intégrante de l’histoire stéphanoise puisque la ville aurait toujours, par ses diverses activités industrielles passées, instigué un rapport intime entre art et industrie. L’ambition est ici de donner de l’épaisseur au récit constitué autour du design et la présence de deux édifices à haute valeur culturelle le renforce : La Manufacture d’Armes, témoin visible de l’héritage industriel et le Musée d’Art et d’Industrie, bâti au milieu du XIXe siècle, lieu où se serait construite la notion même de design (Zanetti, 2010). Par le recours à l’histoire industrielle stéphanoise, modelée par les acteurs de la ville, mettant en visibilité certains aspects technicistes de la mémoire, Saint-Etienne se constitue progressivement un socle de réactivation territoriale permettant une justification du projet d’avenir qui « ne sortirait donc pas de nulle part, mais serait le continuum d’une tradition séculaire de savoir-faire, de qualification, d’esprit de créativité et d’inventivité » (Zanetti, 2010).

En 2007, dans sa campagne d’affirmation du vecteur culturel comme moteur de dynamisme, la Ville de Saint-Etienne commande une étude sur ladite « classe créative stéphanoise » auprès de Max Rousseau, chercheur à l’Université Jean Monnet, et ses étudiants, après une conférence donnée sur les thèses de Richard Florida et de la « classe créative » à laquelle ont assisté certains représentants de la ville. L’enquête fut menée par

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le biais de 53 entretiens réalisés auprès d’individus travaillant dans les secteurs créatifs. Les résultats furent peu concluants en ce qui concerne Saint-Etienne. Il fut en effet impossible d’identifier clairement des individus composants cette dite classe créative dans la ville aux vues de la définition floue donnée par le chercheur américain et des résultats obtenus sur le territoire. L’échantillon d’individus retenu par l’équipe comme constituant potentiellement la classe créative stéphanoise pour cette étude, est présentée comme une population « peu susceptible d’apparaitre comme une ressource » (Rousseau, 2008). En effet, celle-ci témoigne d’une très grande hétérogénéité, contrairement à ce qu’avançait Florida. Alors que la classe créative serait en théorie plus attirée par le centre-ville, la « classe stéphanoise » serait partagée entre des personnes privilégiant l’urbain et d’autres le rural. Enfin, la proximité de l’agglomération lyonnaise entrainerait une fuite des pratiques de consommation, voire de résidence, s’opposant à la logique de Florida voyant dans la population créative, un fort ancrage local (Rousseau, 2008). La démarche de cette étude commandée par la ville a néanmoins d’intéressant qu’elle illustre le poids des références externes dans les politiques locales mises en place. Saint-Etienne, en menant cette enquête a suivi, avec un temps de retard, les démarches opérées par d’autres villes postindustrielles comme Lille, Glasgow, etc. avec des résultats mitigés mais une volonté affirmée d’enclencher une dynamique territoriale par le levier culturel.

Lors du lancement de la préfiguration de l’EPASE, en 2007, le territoire stéphanois est donc engagé dans la constitution progressive du fil directeur qu’il suivra afin de relancer son attractivité et son rayonnement sur la scène des grandes métropoles françaises et internationales. Les acteurs du territoire organisent des visites à l’étranger, notamment à Helsinki et Barcelone pour trouver les ingrédients du projet de quartier créatif Manufacture- Plaine Achille que souhaite mettre en place l’EPASE. En parallèle, l’aménageur profite d’implantations successives de structures qui profitent de fonciers intéressants et qui servent la logique d’ensemble du quartier créatif par leur domaine d’appartenance, sans faire partie de sa programmation. Par exemple, en 2004, le laboratoire de recherche Hubert Curien s’installe au nord de la Manufacture dans un bâtiment neuf. Cet établissement important est rattaché à la fois à l’Université Jean Monnet et au CNRS. Bien que répondant pleinement à l’ambition de quartier créatif, l’implantation de cette structure de recherche est un agréable concours de circonstances qui alimentera a posteriori le projet mené par l’EPASE. Porté à l’origine par la Ville, est créé l’Etablissement Public de Coopération Culturelle (EPCC) regroupant la Cité du Design et l’Ecole Nationale d’Art et de Design de Saint-Etienne

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(ENADSE). Afin de réaliser l’établissement de la Cité du Design, devant devenir la vitrine culturelle de la métropole, sont démolis en 2005 plusieurs bâtiments à l’entrée du site de la Manufacture dont les locaux administratifs et de la direction (Mortelette, 2014). La création de cet établissement inauguré en 2009 est « une histoire parallèle » à celle du projet Manufacture-Plaine Achille, non portée par l’EPASE mais qui permit, elle aussi, de renforcer le récit du projet du quartier créatif17.

Diffuser largement et fédérer localement autour du design

Après avoir puisé dans son histoire pour en extraire la créativité locale à travers la rencontre entre art et industrie, Saint-Etienne s’emploie à étoffer et diffuser la dynamique constituée sur le thème de la culture et du design. A cet égard, il est nécessaire de communiquer fortement sur ce levier afin que l’ensemble des acteurs du territoire partagent et revendiquent le récit constitué autour du design. Il faut donc trouver des moyens d’échanger de façon transversale entre les différentes structures qui pilotent l’évolution urbaine (Ville, Métropole, EPASE) et d’activer un marketing territorial favorisant le rayonnement. C’est notamment le rôle que jouera Agnès Perez, aujourd’hui Directrice Marketing et Développement à l’EPASE. Durant la période de préfiguration de la structure étatique, Agnès Perez alternait ses missions entre l’EPASE et la Métropole stéphanoise afin de créer ce lien entre les structures et favoriser l’uniformisation du discours porté sur le design. La diffusion intervient également au sein du monde économique et des entreprises. De nombreuses conférences et séminaires vont être organisés à cet effet et auront pour objet d’échanger de façon collégiale sur le sujet de la créativité et du design comme nouveaux leviers de développement urbain et économique de l’agglomération stéphanoise.

Pour asseoir un peu plus son engagement et consolider l’idée du design comme singularité stéphanoise, la ville de Saint-Etienne ambitionne de candidater au titre de Capitale Européenne de la Culture, à nouveau dans les traces de Glasgow, elle-même labelisée en 1991 et qui lui avait alors permis d’enclencher une nouvelle dynamique importante. La candidature stéphanoise fut avortée mais la ville obtiendra en 2010, le label UNESCO Ville créative du design et sera à ce titre précisément, la première ville française18. Cette

17 Entretien avec le Directeur de l’Aménagement de l’EPASE, le 27 Mars 2019 18 Lyon a intégré le réseau Villes créatives Arts Numériques en 2008

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labellisation a notamment permis à l’agglomération de rayonner à l’échelle internationale aux côtés de grandes métropoles, notamment Barcelone, Bilbao, Glasgow et Helsinki, quatre références dont s’est longtemps inspiré Saint-Etienne dans la relance de son territoire.

L’amorce du projet du quartier créatif MPA se développe donc à partir de deux réalités complémentaires. Si la dynamique d’activation urbaine par le levier culturel du design est le résultat d’une forte volonté institutionnelle nourrie de références, on peut considérer que son éclosion ait été permise ou du moins facilitée par des impondérables positifs. L’implantation progressive, sur le site de la Manufacture, de la Cité du Design et de structures de pointe rattachées au monde de la recherche ont ainsi contribué à sédimenter l’environnement culturel du quartier et apporté plus d’épaisseur au quartier créatif. A travers une présentation du projet MPA de l’EPASE (phases 1 et 2) puis de l’opération du Palais des Spectacles, nous verrons comment cette ambivalence entre ambition projetée et influence des impondérables constitue l’illustration du processus de projet construit de façon itérative à travers le temps, dans un aller-retour permanent entre cap défini et évolution contextuelle.