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Processus d'enseignement-apprentissage de raisonnements néodarwiniens en classe de sciences de la Vie et de la Terre

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01111514

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01111514

Submitted on 30 Jan 2015

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Processus d’enseignement-apprentissage de

raisonnements néodarwiniens en classe de sciences de la

Vie et de la Terre

Julie Gobert

To cite this version:

Julie Gobert. Processus d’enseignement-apprentissage de raisonnements néodarwiniens en classe de sciences de la Vie et de la Terre. Education. Université de Caen Basse-Normandie, 2014. Français. �tel-01111514�

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Université de Caen Basse-Normandie

Ecole doctorale « Homme, Sociétés, Risques, Territoires »-CERSE

Thèse de doctorat

présentée et soutenue le : 14/11/2014 par

Julie Gobert

pour obtenir le

Doctorat de l’Université de Caen Basse-Normandie

Spécialité : didactique des disciplines

Processus d’enseignement-apprentissage de raisonnements néodarwiniens

en classe de Sciences de la Vie et de la Terre

Directeur de thèse : Thierry Piot Co-encadrement : Yann Lhoste

Jury

Jean Gayon, Professeur, Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, examinateur

Yann Lhoste, maître de conférences, Université de Bordeaux, co-encadrement de la thèse Denise Orange-Ravachol, Professeur, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, rapporteur Thierry Piot, professeur, Université de Caen-Basse-Normandie, directeur de thèse Guy Rumelhard, HDR, Université Paris-Diderot-Paris 7, examinateur

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Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement Yann Lhoste et Guy Rumelhard pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans l’élaboration de cette thèse. Ce travail leur doit beaucoup. Ils ont su « m’outiller » pour cheminer dans mes questionnements, organiser ma pensée, écrire.

Je remercie également Thierry Piot pour avoir accepté de diriger cette thèse.

Je remercie tout particulièrement Claire Decussy avec qui travailler est un plaisir de tous les

instants. Notre collaboration a été enrichissante pour chacune d’entre nous et j’espère qu’elle pourra se poursuivre.

Merci également à Jean Gayon, Denise Orange, Patricia Schneeberger d’avoir accepté de lire mon travail.

Je remercie Maryse Rebière d’avoir pris le temps de lire certaines de mes analyses et d’en discuter. Je suis très heureuse des liens d’amitiés qui se sont tissés autour de ce travail et au sein de la communauté de recherche du réseau Probléma. Ils m’ont aidé à aller jusqu’au bout.

Un grand merci à mes parents, à Bruno et à Teïla, qui m’ont toujours soutenu dans mes efforts et pour qui je vais enfin pouvoir être un peu plus disponible !

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4

SOMMAIRE

Table des matières

SOMMAIRE ... 4

INTRODUCTION GENERALE ... 8

Chapitre 1. PROBLEMATISATION ET ACTIVITES LANGAGIERES ... 11

Introduction ... 11

1. Positionnement épistémologique ... 13

1.1. Ruptures et obstacles épistémologiques ... 13

1.2. Une épistémologie du problème ... 14

2. Problématiser en classe de SVT ... 20

2.1. Modélisation des processus d’apprentissage par problématisation... 20

2.2. Modélisation de la problématisation historique ... 26

3. Le changement de REX dans le cadre de la problématisation ... 29

3.1. L’idée de registre explicatif dans le cadre de la problématisation ... 29

3.2. Le problème des conditions de possibilité de changement de REX par les élèves lors d’une activité de problématisation : pistes envisagées... 31

4. Conclusions et premier état des questions de recherche ... 44

5. Articulation du cadre théorique de la problématisation avec la théorie historico-culturelle ... 48

5.1. Contexte socio-historique d’un concept, contexte de pertinence et communauté discursive scientifique scolaire... 49

5.2. Contexte de pertinence ou contexte interprétatif ... 52

5.3. Double contextualisation de la signification des savoirs en jeu par l’idée de communauté discursive scolaire. ... 53

5.4. Dialectique concepts quotidiens/concepts scientifiques : la construction de nouveaux mondes ... 56

6. Conclusions ... 60

Chapitre 2. ANALYSES EPISTEMOLOGIQUES POUR LA CONSTRUCTION D’UN MODELE DE CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE DU CONCEPT DE SELECTION NEODARWINIEN ... 63

Introduction ... 63

1. Savoirs et pratiques du monde de la pensée populationnelle probabiliste ... 65

1.1. Statut et rôle de l’aléa dans la construction d’explications en biologie ... 65

1.1.1. Mendel : théorie de l'hérédité et modélisation probabiliste ... 68

1.1.2. Fonction et valeur heuristique du principe mendélien, une rupture de paradigme pour les problèmes de l'évolution ... 74

1.1.3. Déterminisme probabiliste et déterminisme strict ... 76

1.2. Obstacles épistémologiques à une pensée probabiliste ... 85

1.2.1. Le déterminisme strict comme obstacle à une pensée probabiliste et statistique : exemple chez Claude Bernard ... 85

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5

1.3. Conclusions : savoirs et pratiques du monde populationnel probabiliste ... 93

2. Savoirs et pratiques du monde de la causalité darwinienne ... 95

2.2. La révolution paradigmatique de l’évolutionnisme darwinien ... 96

2.3. Conclusion : monde de la causalité darwinienne (en lien avec le néodarwinisme) ... 106

3. Savoirs et pratiques du monde de la génétique mendélienne... 108

3.1. Mendélisme et évolutionnisme : le néodarwinisme ... 108

3.2. Conclusion : le monde de la génétique mendélienne ... 120

Chapitre 3. ACTUALISATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE AU REGARD DES ANALYSES EPISTEMOLOGIQUES, HYPOTHESES DIDACTIQUES ET METHODOLOGIES D’ANALYSES ... 122

1. Proposition d’un modèle de contexte socio-historique du concept de sélection néodarwinien ... ... 124

2. Hypothèses didactiques sur l’incorporation d’outils à la situation-problème d’enseignement-apprentissage ... 131

3. Construction d’un outil méthodologie d’analyse des données permettant une interprétation en termes d’évolution du contexte interprétatif ... 136

3.1. Vers un nouveau modèle de processus d’apprentissage ... 136

3.2. Démarche méthodologique d’analyse des données ... 139

Les transformations des objets de discours ... 139

L’évolution du positionnement énonciatif ... 139

La nature des questionnements relatifs aux objets du discours ... 144

4. Synoptique de l’économie globale de l’étude empirique ... 146

Chapitre 4. ÉTUDE DE CAS : PROBLEMATISATION DE L'EVOLUTION ET CONSTRUCTION DU CONCEPT DE SELECTION EN CLASSE DE TROISIEME ... 148

Introduction ... 148

1. Analyses critiques des programmes officiels ... 149

1.1. Le programme de génétique en classe de 3e ... 149

1.2. Le programme lié à l’évolution biologique en classe de 3e ... 150

1.3. Croisement des deux thématiques dans le programme de la classe de 3e ... 151

1.4. Le programme lié à l’évolution biologique en classes de lycée ... 152

2. Dispositif expérimental en classe de troisième sur le croisement des thématiques de l'évolution et de la génétique et analyses didactiques ... 155

3. Travail du problème de l’hérédité des caractères acquis ... 157

3.1. Séance 1 : déconstruction du modèle lamarckien ... 157

3.2. Reconstruction/Déconstruction du modèle Lamarckien ... 165

3.2.1. Analyse de la mise en texte T1 du groupe 1 ... 165

3.2.2. Analyse de la mise en texte T1 du groupe 2 ... 170

3.2.3. Analyse de la mise en texte T1 du groupe 3 ... 175

3.2.4. Analyse de la mise en texte T1 du groupe 4 ... 180

(7)

6

3.2.6. Discussion ... 184

4. Travail du problème de l’évolution d’une population/ concept de sélection ... 190

4.1. Analyse à priori de la situation problème contextualisée à un exemple d’évolution d’une population de papillon ... 191

4.2. Analyses des supports écrits de la discussion introduisant le modèle de Hardy-Weinberg, l’urne des gamètes, un échiquier de croisement. ... 198

4.3. Introduction du modèle de Hardy-Weinberg et du modèle de l’urne des gamètes réalisée par l’enseignante ... 201

4.3.1. Une tentative de l’enseignante pour articuler les dimensions historique et fonctionnelle du problème... 204

4.3.2. Une concession de l’enseignante pour reprendre l’interaction ... 212

4.3.3. L’introduction de l’échiquier de croisement dans la situation : outil opérationnel pour les élèves pour déplacer le CI vers le monde de la pensée populationnelle à un niveau allélique? .. 215

4.3.4. Qu’en est-il des raisonnements des élèves au regard du problème de l’évolution des proportions alléliques dans la population ? ... 220

4.3.4.1. Un texte hétéroglossique entre une voix qui renvoie au monde génétique populationnel à un niveau allélique et une voix qui renvoie au monde populationnel à un niveau phénotypique. ... 222

4.3.4.2. Vers la construction d’idée de reproduction différentielle ? ... 223

4.3.4.3. Une opération de décontextualisation-recontextualisation réalisée par un élève de la simulation liée au modèle de Hardy-Weinberg vers le problème de l’évolution de la population de girafe abordée lors de la première séance. ... 226

4.4. Analyse épistémo-langagières d’un débat au sein d’une dyade d’élèves et évolution du contexte interprétatif ... 229

4.4.1. Les problèmes travaillés par les élèves ... 229

4.4.2. L’analyse en termes de contexte interprétatif et de problématisation du premier épisode du travail de la dyade ... 234

4.4.3. L’analyse en termes de contexte interprétatif du dernier épisode du travail de la dyade 239 4.4.4. Discussion ... 255

4.5. Analyses didactiques des mises en texte écrites collective T5 des différentes groupes à l’issu de l’activité portant sur la situation problème ... 257

4.5.1. Analyses des mises en texte collectives T5 du groupe 1 ... 257

4.5.2. Analyses de la mise en texte collective T5 du groupe 2 ... 266

4.5.3. Analyses de la mise en texte collective T5 du groupe 3 ... 275

4.5.4. Analyses de la mise en texte collective T5 du groupe 4 ... 286

5. Tableaux de synthèse des analyses interprétatives ... 292

CONCLUSION GENERALE ... 303

BIBLIOGRAPHIE ... 309

(8)
(9)

8

INTRODUCTION GENERALE

Les travaux de recherche menés portent sur la question des processus, des dynamiques et des conditions de possibilité de construction de savoirs problématisés en situation scolaire en sciences de

la vie et de la Terre. La thèse met au travail le problème didactique des conditions de possibilité d’un

changement du cadre épistémique dans et par lequel se développent les explications et les argumentations des élèves et ainsi donner des pistes pour penser les dispositifs d’enseignement– apprentissage. Elle porte spécifiquement sur les processus d’enseignements-apprentissages de savoirs scolaires relatifs au thème de l'évolution biologique et qui relèvent d’explications darwiniennes probabilistes.

Dans le chapitre 1, nous allons adopter deux points de vue théoriques, celui du cadre de la problématisation (Orange, 2000, 2002, 2005, 2006, 2012 ; Orange Ravachol, 2012 ; Beorchia & Lhoste, 2008 ; Lhoste, 2008) et le point de vue de la théorie historique et culturelle (Brossard, 1998, 2004 ; Bernié, Jaubert & Rebière, 2008). L’introduction de la notion de contexte de pertinence (Brossard, 2004, p. 31) va nous conduire à envisager la construction d’un nouveau cadre théorico-méthodologique pour suivre les transformations conceptuelles dans l’interaction en classe (Gobert et Lhoste, 2014) associées aux dynamiques de problématisation.

Dans le chapitre 2, une étude épistémologique nous permet de construire un modèle de contexte socio-historique du concept de sélection (Conry, 1987 ; Gayon, 1992 ; Rumelhard, 2009). Celui-ci viendra normer nos analyses didactiques.

Nous développons une nouvelle méthodologie d’analyse dans le chapitre 3, qui s’actualise à travers l’articulation que nous faisons des deux cadres théoriques et à travers l’analyse épistémologique menée. Cette méthodologie nous permet de mener des analyses épistémo-langagières qui permettent une interprétation en terme d’évolution du contexte interprétatif construit par les élèves. Notre étude interroge également la possibilité d’outiller les élèves pour qu’ils puissent construire un nouveau registre explicatif. L’analyse épistémologique permettra de faire des hypothèses didactiques sur des outils potentiels dont les caractéristiques permettraient aux élèves de produire des explications dans un registre néo-darwinien. Ces outils sont introduits dans une situation-problème co-construite avec une enseignante.

Le dispositif de corpus de données est une séquence mise en œuvre dans une classe de 3e du collège Hasting de Caen contextualisée à la construction du concept de sélection dans un registre

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néo-9 darwinien (et ancrée dans la partie évolution des êtres vivants et histoire de la Terre du programme de SVT). La séquence est mise en œuvre par l’enseignante Claire Decussy.

Dans le quatrième chapitre, nous présenterons et discuterons les analyses menées sur le corpus de données.

Nous espérons que cette recherche permettra d’apporter un nouvel éclairage sur les relations entre langage et processus d’apprentissage et plus particulièrement sur les dynamiques de problématisation, contextualisées à la construction du concept de sélection en classe de troisième en science de la Vie.

(11)
(12)

11

Chapitre 1

PROBLEMATISATION ET ACTIVITES

LANGAGIERES

Introduction

Le thème de l’évolution est particulièrement intéressant pour le problème qui nous occupe. De nombreux travaux didactiques ont montré les difficultés pour les élèves d'envisager l'évolution des espèces autrement que par le transformisme (Fortin, 1994, 2000). Plus particulièrement, des auteurs (Lhoste Y. et Gobert J., 2009 ; Lhoste Y., 2008, p.291-337) ont montré les difficultés pour les élèves à s'engager dans une problématisation de l'évolution. Une des raisons qui apparaît clairement est la difficulté pour les élèves de penser et de travailler au niveau des populations et des espèces. Les élèves s'attaquent à cette question à partir du niveau d'organisation de l'individu ou du type et construisent des explications dans un paradigme transformiste très souvent lamarckien. Or, dès la classe de troisième, les programmes officiels demandent d’articuler l’évolution et la génétique pour travailler sur les mécanismes de transformation des espèces, ce qui situe l’enseignement de l’évolution dans un cadre néodarwinien. Les problèmes didactiques de changements de cadres épistémiques s’actualisent dans la thèse sur les conditions de possibilité pour engager les élèves dans une problématisation de l'évolution des populations, dans un cadre néodarwinien de type probabiliste, nouveau et en rupture avec celui que les élèves mobilisent spontanément.

Les problèmes didactiques que posent ces changements de cadres épistémiques en situations scolaires nous ont amenés à produire un travail théorico-empirique qui articule deux cadres théoriques qui s’inscrivent dans le champ de la didactique : celui de la problématisation développé au laboratoire du CREN de l’université de Nantes (Orange, 2000, 2002, 2005, 2006, 2012 ; Orange Ravachol, 2012 ; Beorchia & Lhoste, 2008 ; Lhoste, 2008)) et celui de la théorie historico-culturelle (Brossard, 1998, 2004 ; Bernié, Jaubert & Rebière, 2008). L’Etude se réfère également aux travaux sur le repérage des obstacles (Astolfi & Peterfalvi, 1997 ; Fabre & Orange, 1997 ; Peterfalvi, 2006 ; Rumelhard, 1997) au sens de Bachelard (1938), aux travaux sur l’argumentation en classe de sciences (Buty & Plantin, 2009a ; Rebière, Schneeberger & Jaubert, 2009 ; Fillon & Peterfalvi, 2009 ; Buty & Plantin, 2009b ; Aleixandre & Díaz de Bustamante, 2009 ; Orange, Lhoste & Orange-Ravachol, 2009) et aux travaux portant sur la compréhension des processus langagiers à l’œuvre dans la construction de savoirs

(13)

12

scientifiques (Jaubert, 2007, Rebière, 2001, Lhoste, 2008) développés au sein de l’équipe Epistémologie et Didactique des Disciplines du LACES de l’université de Bordeaux.

L’explicitation des deux cadres théoriques en relation avec les questions de recherche et les raisons de leur articulation sera l’objet de ce premier chapitre.

(14)

13

1 Positionnement épistémologique

Notre positionnement épistémologique s’inscrit dans le cadre de l’épistémologie historique développée par Bachelard puis Canguilhem (et d’autres après eux, notamment F. Dagognet), ce qui implique un certain point de vue sur les relations entre savoirs scientifiques et opinions d’une part et entre problèmes et savoirs scientifiques d’autre part. Trois concepts majeurs organisent cette épistémologie : le concept de rupture épistémologique, d’obstacle épistémologique et de problème.

1.1.

Ruptures et obstacles épistémologiques

Bachelard s’oppose à une représentation continuiste de l’histoire des sciences et à une conception unitaire de la connaissance. L’opinion chez Bachelard est « idée première », « intuition », « interprétation spontanée », « connaissance commune » (Bachelard, 1938) et il n’y a pas « continuité

des démarches intellectuelles du sens commun et de la raison scientifique » (Canguilhem, 1968, p.

179). Le concept de rupture insiste sur la différence entre connaissances communes et connaissances scientifiques : « Le progrès scientifique manifeste toujours une rupture, de perpétuelles ruptures entre

connaissance commune et connaissance scientifiques » (Bachelard, 1953/2000, p.207). Différences

de nature et de construction : « là où la connaissance commune isole et naturalise des choses, des

objets, la connaissance scientifique est un processus qui permet la construction d’un système au sein duquel les concepts scientifiques sont en liens les uns avec les autres » (Lhoste, 2010, p.32). Nous

considérons les concepts scientifiques organisés en système. Leur construction est un processus de reprises, de modifications, de rectifications et de réorganisations qui leur confère leur caractère nécessaire. Dans le rationalisme Bachelardien, « on n’organise rationnellement que ce que l’on

réorganise » (Bachelard, 1971, p.50), ce qui implique deux choses : le statut épistémologique de

l’erreur comme « primat théorique » (Canguilhem, 1957) et l’impossibilité de vérité première. Bachelard articule la rupture entre connaissances communes et savoirs scientifiques et le statut de l’erreur dans le processus de construction des savoirs scientifique à travers le concept d’obstacle épistémologique : « Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on

arrive bientôt à cette conviction que c’est en terme d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique » (Bachelard, 1938/1980, p.16). L’obstacle désigne une certaine résistance

intellectuelle, cause des lenteurs et des troubles, cause des stagnations, des régressions de l’acte même de connaître. La recherche des causes de nos échecs ne se situe pas dans ce que nous ignorons, car ce qui fait obstacle n’est pas le fait d’une absence de connaissance, mais bien d’une connaissance déjà

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14

là, « une culture empirique déjà constituée sur la base d’intuitions et d’expériences familières » (Fabre, 2001, p.35). L’obstacle est épistémologique au sens où il constitue un passage obligé dans la construction d’un savoir scientifique. Il désigne « une erreur commune et normale » (Fabre, 1995, p.84) chez le chercheur comme chez l’élève et renvoie au mode de pensée du sens commun. D’où l’importance de prendre en compte dans les enseignements les conceptions des apprenants, il s’agit bien de changer de conceptions, de changer de culture.

Par ailleurs, comme nous le dit Gaston Bachelard au sujet des connaissances scientifiques : « Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question abstraite

et franche s’use : la réponse concrète reste. Un obstacle épistémologique s’incruste sur la connaissance non questionnée. » (Bachelard, 1938/1980, p.17). Il ne s’agit pas, dans l’acte

d’apprendre, d’ajouter les couches successives, mais bien de questionner un savoir déjà là. Et c’est une nécessité, car « on en a jamais fini avec les obstacles. Les signes psychologiques de l’obstacle

sont la résistance et la récurrence. Autrement dit, même le savoir acquis vieillit. L’erreur première revient même sous le concept péniblement construit. » (Fabre, 2001, p.38).

L’idée d’obstacle ne se cantonne pas à la connaissance préscientifique, elle est relative : « l’obstacle peut surgir au moment de la constitution de la connaissance, ou à un stade ultérieur de

son développement, une fois qu’elle est déjà constituée comme connaissance scientifique. Dans le premier cas, on dira qu’il s’agit d’une contre-pensée, dans le deuxième cas d’un arrêt de pensée ».

Une même idée a pu constituer un outil à un moment donné ou dans un contexte donné et prendre le statut d’obstacle dans d’autres conditions.

Pour Bachelard, la connaissance commune est un obstacle à l’acquisition des connaissances scientifiques. Un travail est à faire contre la pensée (Peterfalvi, 2006, p.93) : « la représentation est

tout entière à détruire » (Fabre, 1995, p.82) ; « Les intuitions sont très utiles, elles servent à être détruites. » (Bachelard, 1940/1983, p.139). Cependant l’obstacle n’est jamais aboli et ne peut être

totalement dépassé.

1.2.

Une épistémologie du problème

John Dewey et Gaston Bachelard définissent une épistémologie de la construction du problème (Fabre, 2005). L’idée de résolution de problème n’est pas centrale chez ces auteurs. Si penser, c’est traiter des problèmes, il s’agit alors plus pour Dewey d’émettre des hypothèses répondant à un savoir-question et non à un savoir- réponse. Pour Bachelard le problème part toujours d’un défaut de savoir : énigme, controverse, échec. Aussi poser des problèmes devient l’enjeu de la vie scientifique Le savoir scientifique est là aussi un savoir de problème qui « surplombe l’expérience »

(16)

15 (ibid., p.54). La construction de la science se fait par des échanges incessants entre théoriciens et expérimentateurs : « Ne faut-il pas que l’expérimentateur se renseigne sur l’aspect théorique des

données que le mathématicien estime fortement coordonnées…Ne faut-il pas aussi que le théoricien se renseigne sur toutes les circonstances de l’expérimentation, faute de quoi ses synthèses peuvent demeurer partielles ou simplement abstraites » (Bachelard, 1949, p.1).

Bachelard insiste sur l’idée qu’un véritable esprit scientifique doit avant tout savoir poser des problèmes, « qui ne se posent jamais d’eux-même » (Bachelard, 1938/2004, p.16). Ces problèmes se caractérisent par des recherches d’explications et de modélisation. Ils sont centraux dans le champ disciplinaire des sciences de la vie qui est celui dans lequel s’inscrit notre recherche. Les sciences de la vie sont des sciences expérimentales qui mettent en relation des faits empiriques et des modèles pour en rendre compte. Une diversité de type de problèmes est constamment travaillée par les scientifiques, les plus fréquents et les plus heuristiques sont les problèmes explicatifs qui sont construits. De nombreuses études épistémologiques montrent que l’activité scientifique « vise avant

tout la recherche d’explications » ou à « rendre raison de phénomènes précis » (Orange, 2002, p.30).

Faits et modèles se construisent en relation avec des principes d’explication propres à un cadre de pensée. L’activité scientifique de modélisation, telle que la propose C. Orange consisterait alors dans l’articulation de manière raisonnée entre un registre empirique et un registre des modèles. Le registre empirique est le monde du vécu, de l’observation, de l’expérimentation. Le registre des modèles est le monde des idées explicatives et des modèles.

Ainsi, dans cette schématisation, nous considérons que le savoir scientifique intègre à la fois les modèles explicatifs, les controverses, les argumentations et donc toutes les raisons qui ont conduit historiquement à l’acceptation par la communauté scientifique de ce savoir construit. Les savoirs scientifiques portent l’empreinte du vécu explicatif. Ils ne sont pas de simples connaissances factuelles, de simples résultats, mais possèdent un caractère de nécessité. Savoir en science « n’est

pas simplement savoir que, mais savoir que cela ne peut pas être autrement » (Reboul, 1992). Le

caractère apodictique du savoir est mis en avant par G. Canguilhem (1965, p.58) qui écrit : « connaître, c’est moins buter sur le réel que valider un possible en le rendant nécessaire. Dès lors,

la genèse du possible importe autant que la démonstration du nécessaire ». Le cadre théorique de la

problématisation s’inscrit dans une épistémologie bachelardienne du problème et par conséquent se réfère également à l’épistémologie de Canguilhem. Elle implique une définition des savoirs scientifiques qui prend en compte la relation problème-solution « en les impliquant dans un réseau

de raisons » (Orange, 2002, p.30) qui leur confère leur apodicticité. Cette apodicticité d’un savoir

scientifique s’inscrit toujours dans une problématisation particulière en référence à un cadre de pensée. Le savoir scientifique reste un savoir provisoire, en cela que la problématisation qui lui

(17)

16

confère momentanément son caractère apodictique, peut être réinterrogée à tout moment. Ainsi les savoirs scientifiques ne sont pas des savoirs vrais mais des savoirs raisonnés ou encore des savoirs apodictiques. Les savoirs acquièrent cette apodicticité par un travail de « construction du problème

qui les organise en articulant des principes explicatifs (le registre explicatif) avec des faits d’observation ou expérimentaux (le registre empirique). Ce caractère de nécessité n’est pas absolu et définitif mais lié aux faits et au registre explicatif convoqué pour le problème » (Orange, 2012,

p.44).

Figure 0-1. Schéma de l'activité scientifique comme travail de problèmes explicatifs (Orange, 2012).

L'exploration du champ des possibles, la construction critique de modèles explicatifs dans un cadre donné, permet aux savoirs de gagner leur caractère de nécessité : ils deviennent des savoirs apodictiques. La problématisation permet de construire et d'instituer le ou les concepts en jeu. « Avec

ce caractère de nécessité, on est au cœur de la conceptualisation scientifique : celle-ci ne se réduit pas à la construction de concepts catégoriels ou bien de concepts en actes, mais à des constructions théoriques explicites dont la nécessité s'impose » (Orange, 2005, p.78).

En prenant l'exemple de la construction du concept de milieu intérieur par Claude Bernard, C. Orange montre que le processus de problématisation qui en a été faîte, a enrichi son caractère apodictique et a permis d'unifier plusieurs problèmes biologiques (Orange, 2005, p 78). Il y a une correspondance entre les nécessités construites (par mise en tension du registre empirique et du registre des modèles)

Monde des faits observés et de

l’expérience (Registre empirique) Monde des idées

explicatives imaginées (Registre des modèles) Communauté scientifique critique Registre explicatif ou paradigme

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17 et les concepts associés. Ainsi, le travail des problèmes théoriques conduit à des concepts scientifiques. Les problèmes théoriques sont à distinguer des problèmes techniques pour lesquels seule importe la solution, ou des problèmes explicatifs « qui seront explicitement construits à

posteriori » (Orange, 2005, p.81).

D’un point de vue épistémologique, C. Orange réfère les cadres de pensée qui organisent les problématisations scientifiques au concept de paradigme développé par Thomas Kuhn (1983). Ce dernier emploie le terme paradigme dans deux sens différents : « d’une part il représente tout

l’ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné. D’autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions concrètes d’énigmes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale » (Kuhn, 1983,

p.238). L’idée de paradigme est intimement liée à celle de discipline scientifique. Aussi, T. Kuhn emploie également le terme de matrice disciplinaire : « disciplinaire, parce que cela implique une

possession commune de la part des spécialistes d’une discipline particulière ; matrice, parce que cet ensemble se compose d’éléments ordonnés de diverses sortes, dont chacun demande une étude détaillée. La totalité ou la plupart des éléments faisant l’objet de l’adhésion du groupe et que mon texte original désigne sous le nom de paradigme, parties de paradigmes ou paradigmatique, sont les éléments constituants de cette matrice disciplinaires ; en tant que tels, ils forment un tout et fonctionnent ensemble. Cependant ils ne doivent pas être étudiés comme s’ils étaient d’un seul tenant » (Kuhn, 1983, p.248). Les divers éléments constitutifs d’une matrice disciplinaire sont pour

cet auteur :

 les généralisations symboliques, c’est-à-dire les expressions employées sans questions ou dissensions par les membres du groupe et qui peuvent revêtir une forme logique. Ce sont les éléments formels ou facilement formalisables de la matrice disciplinaire. Ceux-ci peuvent parfois être sous forme symbolique (formules) ou s’exprimant sous une forme verbale. Ce sont des points de départ pour les techniques de manipulation logique et mathématique pour les activités de résolution de problème. Ces généralisations symboliques peuvent remplir plusieurs fonctions comme celle de lois et « comme définition de certains symboles qu’elles

contiennent » (Kuhn, 1983, p.249). Ces fonctions varient au cours du temps. Les révolutions

paradigmatiques impliqueraient l’abandon de généralisations dont la force avait été en partie celle de tautologies (Kuhn, 1983, p.249).

 les parties métaphysiques des paradigmes : c’est le fait que les membres de la communauté scientifique adhèrent collectivement à certaines croyances ou le fait « de croire à certains

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18

varier avec le temps, de fournir aux groupes des métaphores et des analogies préférées ou permises « ils contribuent à ce qui sera accepté comme une explication et comme une solution

d’énigme et réciproquement, à déterminer l’ensemble des énigmes non résolues et l’importance de chacune » (Kuhn, 1983, p.251) ;

 des valeurs partagées : par exemples les valeurs sur les prédictions, ou pour juger des théories, de leur cohérence interne et externe ; des valeurs sur l’utilité sociale de la science, les jugements d’exactitude, de simplicité de cohérence, d’exactitude, de plausibilité ;

les exemples qui sont « les solutions concrètes de problèmes que les étudiants rencontrent » ; les solutions techniques exposées dans les publications périodiques qui montrent comment faire le travail. Ce sont ces exemples communs que Kuhn souhaite nommer paradigme. Notre positionnement épistémologique tente d’articuler cette approche continuiste de la science « en train de se faire », à la discontinuité bachelardienne du temps de la science marqué de ruptures de sauts et de mutations.

Dans la formation de l’esprit scientifique Bachelard envisage trois types de rupture (Fabre M., 2001, p.34) :

- celle qui sanctionne le devenir scientifique d’une discipline,

- celle qui signale le changement de théorie explicative dans une science déjà constituée, - celle qui marque un changement de concept à l’intérieur d’une même théorie.

Notre positionnement épistémologique soutient effectivement l’idée qu’il n’existe pas une seule méthode ou une seule démarche scientifique de référence en sciences, mais une diversité d’objets liés spécifiquement à des pratiques et des techniques (Canguilhem, 1981), ce qui nous lie également à l’idée de rationalisme régionaux chez Bachelard (1949). « Dans les trente dernières années, les études

sur les pratiques scientifiques ont mis en lumière leur variété et leur contingence locale, éloignant encore un peu plus de l’idée d’une approche ou méthode scientifique générale » (Orange et Albe,

2010, p.21). La science est dorénavant vue « comme pratiques diversifiées, situées dans des activités

et relations sociales plurielles, répondant à des finalités variées » (Ibid.).

Un autre postulat nous vient de la sociologie des sciences (Latour, 1989 ; Pickering, 1984 ; Pinch 1985) : « il n’est plus possible de considérer le sujet connaissant et son objet de connaissance comme

indépendant l’un de l’autre … Il s’agit au contraire de saisir les agencements indissociablement sociaux et cognitifs élaborés, traduits, adaptés, et transformés par les acteurs » (Orange et Albe,

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19 Le cadre théorique de la problématisation au regard de ces postures épistémologiques, développe une modélisation des processus d’apprentissage par problématisation en classe de SVT que nous proposons de présenter maintenant.

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20

2 Problématiser en classe de SVT

2.1 Modélisation des processus d’apprentissage par problématisation

Les séquences d’enseignement–apprentissage, en Sciences de la vie et de la Terre, mettent en œuvre des pratiques expérimentales, des démarches d’investigation, des technologies, des pratiques langagières dont les pratiques argumentatives, qui constituent les activités scientifiques scolaires et permettent la construction de savoirs par les élèves. En SVT, il existe une très forte proximité entre explication et modélisation. Le processus de problématisation peut être décrit, à la suite de C. Orange, comme la construction des conditions de possibilité des solutions explicatives d’un problème. Elle peut se réaliser « à partir d’un problème explicatif perçu, par exploration critique des solutions

possibles » (Orange, 2005). La problématisation est une construction qui articule un registre

empirique (RE) et un registre des modèles (RM), domaine où s’élabore le modèle permettant de penser le ou les phénomènes à étudier. L’organisation des mises en tension du RE et du RM fait intervenir un troisième registre : le registre explicatif (REX). Le REX « est ce qui structure les

explications des élèves et donc leur façon de travailler les problèmes scientifiques » (Orange, 2012,

p.26). Il est ce qui donne sens à leurs explications et est fait de présupposés qui ne sont pas remis en cause pour travailler le problème. Cette description s’appuie sur les caractéristiques épistémologiques des savoirs en SVT que nous avons discutées plus haut. Les recherches en didactique des sciences ont montré que les moments de débats scientifiques en classe sont des moments privilégiés pour la construction de problèmes et de savoirs par les élèves. Par ailleurs, ces moments conditionnent l’engagement des élèves dans les autres phases du travail en classe de SVT et donc les apprentissages. Lors d’une activité de construction de problème, les propositions des élèves peuvent être interprétées comme relevant, d’une part, du registre empirique - elles font alors référence à des faits empiriquement constatables – et, d’autres parts, au registre des modèles. Les nécessités sur les modèles sont les conditions de possibilité des modèles explicatifs relevant de la problématisation en jeu. Les élèves construisent ou mobilisent dans ce même registre des modèles des contraintes théoriques. Celles-ci sont des idées qui servent d’appui voire de point de départ au problème et qui ne seront pas à priori discutées lors d’un moment de controverse en classe. Les contraintes empiriques sont issues du registre empirique et viennent également contraindre les possibles. Les propositions des élèves prennent le statut de contraintes empiriques ou de nécessités sur les modèles si elles résultent de l’articulation d’éléments de ces deux registres et sont inscrites dans un raisonnement explicite ou implicite. Les travaux sur l’argumentation en classe (Buty & Plantin, éd., 2008) donnent des outils pour identifier, pour caractériser ces raisonnements. Une schématisation du produit de la

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21 problématisation est proposée par Christian Orange (2000) et nommée « espaces de contraintes ». Ces espaces de contraintes permettent de rendre compte du produit de la construction de problèmes explicatifs en classe sur différents thèmes des sciences de la vie.

Dans le contexte scolaire, le savoir à construire est indissociable du concept de problème. Nous ne considérons pas seulement qu’il soit un mobile pour motiver les élèves et les aider à entrer dans les activités d’apprentissage, cela conduirait à le considérer également uniquement comme un moyen pour l’enseignant pour motiver ses élèves à s’engager dans une recherche de solutions. Or, d’après notre positionnement épistémologique les problèmes sont bien plus que cela. C’est en référence à Popper qu’on peut notamment expliciter sa dimension première : « ceux-ci surgissent

avant tout lorsque nos attentes se trouvent déçues ou que nos théories nous conduisent à des difficultés, à des contradictions. Celles-ci peuvent apparaitre au sein d’une même théorie, résulter de la mise en relation de deux théories différentes ou provenir d’un conflit entre nos théories et nos observations » (Popper, 1994, p.15). L’émergence d’un problème scientifique ne peut se faire que si

lui préexistent des idées ou des théories et qu’un conflit se fait jour au sein d’une communauté scientifique dans un champ disciplinaire. Il est donc indissociable de la construction de savoirs scientifiques. Dans les situations d’apprentissage en classe, il sera donc nécessaire, si l’on souhaite la construction du problème par les élèves, que ceux–ci puissent exprimer leurs idées, leurs explications. Le groupe classe devient alors une communauté de recherche scolaire dont la réflexion est centrée sur l’importance de construire le problème. Il faut pour cela que l’enseignant lui-même soit dans une représentation de l’enseignement des sciences et de la construction des sciences où la construction des problèmes est centrale. Il faut savoir suspendre dans ce travail l’idée de recherche de vérités, de solutions vraies, pour permettre aux élèves de s’engager dans la recherche de raisons, de questionner le possible et le nécessaire (Orange, 2000).

La formulation du problème ne se réduit pas à une question. Le problème ne se perçoit pas de lui-même. Les difficultés qu’il pose ne sont pas directement accessibles. Il faut tout d’abord, pour les identifier, envisager des solutions explicatives. Leur impossibilité ou leur inefficacité dans un cadre de pensée, peuvent se dévoiler au cours de raisonnements et de critiques argumentées lors de discussion ou de débats en classe, pour amener les élèves à la compréhension du problème. C’est en cela que le problème est un processus de construction. « La compréhension du problème ou sa

construction n’est pas simplement l’identification de la difficulté et de son origine. Cela concerne aussi le processus, cela passe par la critique et le raisonnement qui permet de savoir pourquoi les solutions adoptées ne sont pas efficaces » (Beorchia, 2003).

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linéaire mais dans une relation dynamique entre savoirs et problèmes, en ce sens que les savoirs nouveaux ou modifiés permettent de formuler de nouveaux problèmes, de les percevoir, de les construire (Orange, 2000). Cette dimension n’est pas forcément présente dans une démarche de résolution de problème.

Les chercheurs, ou les élèves en situation scolaire, sont amenés à élaborer des solutions explicatives lors de la construction d’un problème. Celles-ci ne peuvent être adoptées que si l’on comprend quelles sont les conditions de possibilité qui permettent de les retenir. Or, comprendre quelles conditions devront remplir les solutions explicatives pour être retenues, c’est avoir construit les contraintes et nécessités du problème auquel elles répondent. Une contrainte empirique (CE) relève d’un fait empiriquement constatable, qui n’est pas remis en cause dans la problématisation en cours et qui est identifiée par les chercheurs ou les élèves comme incontournable pour penser l’acceptabilité d’une solution. Il faut absolument en tenir compte pour envisager des solutions valables, en cela elle contraint les solutions explicatives qui s’élaborent. Elle n’est pas donnée au départ, elle se construit comme contrainte dans le processus même de la problématisation par une mise en relation des idées et des faits. Le processus de résolution de problème ne saurait se détacher de cette construction des contraintes empiriques dans le processus de problématisation.

La construction des faits empiriques et la construction des contraintes empiriques dans le travail scientifique, s’articulent avec la construction des idées. Les modèles explicatifs ne sont pas seulement contraints par des faits empiriques, mais également par des idées. C’est en construisant les nécessités sur les modèles (CN) que ceux-ci peuvent se modifier, se repenser et ainsi réorganiser les savoirs. Et c’est en imaginant des modèles que se construisent les nécessités qui les contraignent. Il faut pour cela interroger dans une discussion critique ce qui est absolument nécessaire aux modèles pour qu’ils accèdent à un véritable pouvoir explicatif pour le problème en construction.

Par ailleurs, ces modèles sont également contraints par des principes théoriques qui les soutiennent et relèvent du registre explicatif. Ces principes théoriques structures les modèles proposés et peuvent alors se poser comme contraintes dans le cadre d’une problématisation. Nous parlerons alors de contraintes théoriques (CT). Le registre empirique et le registre des modèles d’une problématisation s’articulent au registre explicatif. Celui-ci donne aux modèles leur valeur heuristique et leur intelligibilité (Orange, 2000, p.25).

Le cadre théorique didactique dans lequel s'inscrit ce travail de thèse, présuppose les savoirs scientifiques et les connaissances communes comme fondamentalement différents, ceci en référence aux épistémologies de Popper (épistémologie de la démarcation) et de Bachelard (épistémologie de la rupture). Cette différence se traduit par la relation dynamique entre savoirs et problèmes (Orange,

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23 2005). Un savoir permet de résoudre un problème et également d'en formuler de nouveaux, ceux-là même qui en retour feront progresser ce savoir. Cette caractéristique serait à mettre en relation avec l'idée de connaissance questionnée et questionnante de Bachelard (1972, p. 27). Cette idée d'enchaînement de problème se retrouve chez Popper (1985, pp. 329 -330,). Cette relation dynamique entre savoirs et problèmes est « valable pour tout projet de construction théorique » (Orange, 2005, p. 76). Dans ce cadre, une des caractéristiques importante de l'activité scientifique se situe dans sa capacité à générer des problèmes.

L’aspect dynamique du processus de problématisation est au cœur de nos questionnements didactiques puisque nous cherchons à comprendre les conditions nécessaires à la construction d’un nouveau cadre d’intelligibilité. Notre ancrage épistémologique, référé à Bachelard et à Dewey permet de penser la dynamique du processus de problématisation comme un double dédoublement « Le

premier dédoublement (dimension horizontale) correspond au champ de l’assertorique : c’est la pensée consciente de penser (il n’y a pas de pensée dans un synchrétisme faits/idée intégral). Le second dédoublement, qui mobilise la pensée de conscience de la normativité de penser dans le plan vertical, peut permettre de fonder le caractère nécessaire des idées » (Lhoste, 2008, p.63) (voir figure

2). La pensée commune confond ou englobe les faits et les idées dans une « phénoménologie de

première prise » dont « les visées sont affectées d’un subjectivisme implicite » (Bachelard, 1949,

p.122). Passer de la connaissance commune à une connaissance scientifique par une construction de problème nécessite un premier dédoublement de la pensée. Bachelard le décrit comme un dédoublement des faits et des idées ou des faits et de la théorie. La construction du problème s’ancre dans la dynamique qui lie la construction des faits et des théories, dans une pensée dite assertorique. Mais un autre dédoublement s’opère : « Toute pensée scientifique se dédouble en pensée assertorique

et pensée apodictique» (Ibid., p.25). La pensée apodictique exprime les nécessités rationnelles : les

raisons et les normes qui font qu’il ne peut pas en être autrement, les raisons et les normes qui conditionnent les relations entre faits et idées. Il y a une surveillance intellectuelle du sujet en train de penser : la pensée qui agit et qui se juge elle-même en train d’agir (Lhoste, 2008, p.63), « dans

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Figure 0-2. Les deux dédoublements de la problématisation (Lhoste, 2008, p.64).

Ceci donne des pistes didactiques pour penser les dispositifs d’enseignement-apprentissage. Pour que les deux dédoublements puissent avoir lieu dans ces dispositifs, une critique des explications spontanées doit de faire. Il est donc nécessaire préalablement d’engager les élèves dans une situation qui par la tâche qu’elle propose et par la mobilisation de l’expérience quotidienne des élèves va permettre la construction d’une explication spontanée. Dans leur travail critique, doit se réaliser une désynchrétisation des faits et des idées et un accès à des principes de nécessité qui donnent aux savoirs acquis leur valeur d’apodicticité. Le statut épistémologique des idées et données construites par les élèves peuvent varier selon la problématisation en jeu. Aussi, une schématisation de la problématisation est également possible sous forme « d’espaces de contraintes et nécessités » (Lhoste, 2008 ; Lhoste & Peterfalvi, 2009). Les espaces de contraintes et nécessités s'associent de manière complémentaire aux espaces de contraintes proposés par Orange (2000), pour faire apparaître le statut épistémologique des contraintes empiriques et nécessités sur les modèles construites et situer les obstacles en jeu par rapport à ce processus de problématisation (figure 3).

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Figure 0-3. Schématisation de la problématisation sous forme d'espace de contraintes et nécessités.

Les empiriques nécessaires résultent d'une construction apodictique. Yann Lhoste et Brigitte Peterfalvi les assimilent « aux êtres de raison » de Jacob (1995). Les êtres de raison deviennent empiriques seulement une fois retrouvés dans le réel. Ces empiriques « réels » ont d'abord été imaginés et rendus nécessaires par la mise en relation d'observations et de connaissances théoriques, donc dans un mouvement apodictique. C'est le cas pour le concept de gène. Ils citent Jacob : « Des

structures imaginaires requises pour rendre compte des faits connus. Personne n'en avait jamais vu. On ne pouvait ni les purifier, ni les mettre en bouteille » (Jacob, 1995).

Les empiriques nécessaires nous invitent à repenser l'articulation entre problématisation et investigation empiriques, dans les dimensions de construction et de résolution de problèmes. Nous questionnerons notamment, dans notre étude de cas, la fonction que peut jouer la dimension prédictive du modèle de Hardy-Weinberg dans le processus de problématisation.

Les problèmes évolutionnistes ont une dimension à la fois fonctionnelle et historique. Par conséquent la modélisation du processus d’apprentissage par problématisation, que nous mobilisons, doit également s’appuyer sur une modélisation de problématisation historique. Celle-ci se distingue de la problématisation fonctionnaliste par certaines spécificités. Les recherches de Denise Orange Ravachol l’ont conduit à penser que « c’est fondamentalement par la construction d’événements et

par les prise en compte de la contingence que se singularise la problématisation historique »

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2.2 Modélisation de la problématisation historique

Denise Orange-Ravachol (2010, 2012) propose un cadre épistémologique et didactique pour penser le fonctionnement des élèves dans le cadre de problématisations historiques. Elle articule dans ses recherches la problématisation et la reconstitution historique dans différents domaines des sciences de la vie et de la Terre. Ce cadre relativement récent nous intéresse puisque, comme nous l’avons dit, l’évolutionnisme est une science historique.

Ses analyses lui permettent d'une part de pointer la composante narrative des explications en science de la Terre (Gould, 1991) et d'autre part du côté de la classe, de montrer que face à des problèmes de géologie « les explications spontanées des élèves ont des caractères de petites histoires avec des

événements ad hoc ». Cela l'amène à re-questionner la géologie en tant que science des phénomènes

et science des événements et à réaliser une analyse didactique des explications des élèves au regard de ce couple.

La construction des événements en géologie interroge à la fois la contingence et le couple problématique événements/phénomènes et procède d'une logique qui permet de construire des événements solutions et des événements condition de possibilité (Orange-Ravachol, 2012, p.102-107), ce que nous allons expliciter plus loin.

Figure 0-4. La contingence et les possibles virtuels de l'histoire (Orange-Ravachol, 2003, p.78).

La construction d'événements historiques se caractérise par une logique à contre-courant de l'histoire qui oblige à une mise en jeu de la contingence et à penser ainsi, à cause de la contingence, à une infinité de parcours possibles. Cependant, tout n’est pas possible : il y a dans cette logique la mise en jeu d'ouverture/fermeture de l'histoire (Orange-Ravachol, 2003a, p.78).

La construction rétrospective des événements géologiques interroge les conditions de possibilité des événements et les fonctions jouées par la contingence. La logique rétrospective (Gould, 1991) vient

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27 en réponse à la nécessité de trouver une autre façon d'étudier les systèmes dont la nature même est contingente.

Denise Orange Ravachol fait fonctionner le schéma présenté figure 4 (nous la citons) (Orange Ravachol, 2012, p103) selon une logique retrospective :

« E= événement historique

D = événement dont le statut change selon que l'on descend ou que l'on remonte l'histoire :

Si on remonte l'histoire, D est un événement que la survenue de E rend nécessaire. D est une nécessité de l'histoire,

Si on descend l'histoire, le moment où D a eu lieu est un point critique parce qu'ouvrant sur plusieurs orientations possibles de l'histoire ; en ce sens le point D est seulement une condition de possibilité de E.

La construction d'un événement géologique historique renvoie donc à un double enjeu :

- en faire un événement, par nature singulier dans le temps et l'espace et non un phénomène derrière lequel on chercherait des régularités ;

- établir les conditions de sa survenue en intégrant la contingence, ce qui bouscule nos idées générales sur l'explication, en remontant des événements accomplis à leurs conditions de possibilité (ce qui, de proche en proche, oblige à construire la nécessité d'autres événements et nous contraint toujours d'avoir son improbabilité en pensée ».

L'événement revêt donc une double facette puisqu'il peut être à la fois produit de l'histoire et condition de possibilité de l'histoire. En se plaçant dans le cadre théorique de la problématisation, le couplage de cette double facette lie l'assertorique et l'apodictique (Orange-Ravachol, 2012, p.105). Cela permet de distinguer : «

-les événements du niveau assertorique, comme l'événement E. Ce sont les solutions vraisemblables

(événement solution). Ils sont tenus par des nécessités et falsifiables par l'empirie ;

-Les événements relevant du niveau apodictique, comme l'événement D. Ce sont les conditions de possibilité des événements du niveau assertorique » (figure 5).

Ces événements deviennent nécessaires lorsque les solutions se sont effectivement réalisées. La logique rétrospective permet de construire une nécessité chronologique : D est antérieur à E.

La construction des événements conditions de possibilités est liée à la mise en jeu de principes structurants (voir section 3.2.2) et résulte de la mise en tension de contraintes empiriques et théoriques.

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Les modèles d’apprentissage par problématisation portant sur des problèmes fonctionnels ou historico-fonctionnels sont encore peu articulés à la question des articulations possibles avec les obstacles et leurs fonctionnalités dans les processus d’apprentissage par problématisation. Nous allons donc présenter des éléments de discussion portant sur l’articulation problématisation-travail des obstacles.

Du point de vue du processus de problématisation, nos questions de recherche questionnent les conditions de possibilités didactiques pour que les élèves construisent des explications dans un registre explicatif différent de celui qu’ils mobilisent à priori. Cela signifie que nous supposons possible une transformation du REX au cours du processus d’enseignement-apprentissage. Nous allons soulever quelques points critiques sur la manière dont le cadre de la problématisation envisage le registre explicatif et ses possibilités de transformations et donner des pistes de réflexion qui permettront d’avancer sur les questions et les hypothèses de recherche.

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3 Le changement de REX dans le cadre de

la problématisation

Dans le cadre de la problématisation (Orange, 2000), le registre explicatif organise en permanence la mise en tension du registre empirique et du registre des modèles. Le pouvoir explicatif d’un modèle est lié à un registre explicatif à la fois rationnel mais aussi fait de considérations métaphysiques (ibid.). En effet, l’imagination et la construction d’explications pour rendre compte d’une phénoménologie s’appuie ou fait fonctionner des postulats épistémologiques, des croyances, des raisonnements habituels, des habitudes de pensée et de langage. En cela, l’idée de registre explicatif est proche de celle de cadre épistémique développé par Piaget et Garcia (1983). Nous allons réaliser quelques apports critiques concernant ce concept de REX au regard de notre problème de recherche.

3.1 L’idée de registre explicatif dans le cadre de la problématisation

Dans les différentes publications scientifiques d’auteurs issus de la communauté de recherche travaillant sur la problématisation, on distingue différents usages du terme de registre explicatif. Dans certain cas il s’agit d’une construction méthodologique qu'on infère à partir des modes de mises en relation effectuées par les élèves entre des contraintes empiriques et des contraintes sur les modèles. Dans d’autres cas, l’utilisation qui est faite est celle d’une caractérisation des modes d’explications en référence à ceux pointés par l’épistémologie des sciences (vitalisme, mécanisme). C’est alors un donné épistémologique qu'on utilise comme grille d'analyse des productions d’élèves. Le registre explicatif serait malgré lui bipolaire : se référant à des normes épistémologiques et ancré dans ce qui se construit en classe.

Les analyses épistémologiques lorsqu’elles sont réinvesties pour l’analyse des conceptions d’élèves, ne précisent pas du point de vue du cadre épistémique nommé les régimes de controverse en jeu, les pratiques scientifiques et leurs référents épistémologiques dans le domaine scientifique en jeu. Ces caractérisations des modes d’explication restent muettes quant aux objets de savoirs et aux pratiques sur ces savoirs. Or les paradigmes ont une dimension sociale, si nous souhaitons suivre les processus de changements REX dans le contexte scolaire, il nous semble que nous devons intégrer cette dimension.

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Le registre explicatif tel qu’il est mobilisé représente le produit de la problématisation, formalisé par les espaces de contraintes qui ne rendent pas comptent du processus de la problématisation. Or, nous pensons qu’au cours du processus de problématisation, le registre explicatif est amené à bouger, lorsqu’il y a une réorganisation des savoirs. Le REX ne donne pas à voir les évolutions ou modifications qui l’affectent au cours même du processus de problématisation et « cela rend difficile

l’utilisation de ce concept pour penser les apprentissages » (Lhoste, 2008). Dans le problème

didactique qui nous occupe, à savoir les conditions de possibilité de changement de REX chez les élèves, il nous faut donc chercher à modifier ce concept ou à l’associer à d’autres, dans une articulation théorico-méthodologique qui puisse rendre compte de ce processus. Il nous faut rechercher une caractérisation plus fine des REX mobilisés par les élèves et des cadres épistémiques visés par l’enseignement.

Revenons un instant sur un des aspects méthodologiques du cadre de la problématisation quant aux interprétations réalisées permettant d’inférer un registre explicatif relatif aux propositions des élèves dans les débats. Pour mieux comprendre les raisonnements des élèves, une recherche des principes sur lesquels ils s’appuient est nécessaire. Celle-ci utilise le schéma de l’argumentation de Toulmin (Toulmin 1993) : Les données et les conclusions sont reliées par une logique au vu d’une garantie elle-même basée sur un fondement plus général. Or les garanties et les fondements des argumentations des élèves sont rarement explicités, elles sont donc le fruit de l’interprétation du chercheur qui se réfère pour cela à ce qui précède ou succède dans les propositions avancées par les élèves lors du débat et à son cadre épistémologique de référence. On peut donc se questionner sur les limites de ces interprétations, ce qui crée une difficulté méthodologique. Comment pourrait-on se donner d’autres éléments de suivi et d’interprétation des principes et fondements des argumentations des élèves ? De plus ceux-ci ne sont pas figés mais peuvent évoluer au cours de la problématisation d’où le problème que pose la référence à un cadre d’analyse épistémologique qui ne permet pas le suivi des modifications des REX des élèves. L’articulation que nous allons faire dans les sections suivantes avec la théorie historico-culturelle permettra d’envisager des pistes au regard de ce problème d’ordre méthodologique, pistes dans lesquelles les références explicatives qui caractérisent la construction d’un problème pourront prendre à la fois une dimension épistémique, psychologique et culturelle.

Nous allons reprendre les pistes de réflexions sur ce problème présentes dans la littérature liée aux recherches didactiques sur la problématisation.

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3.2 Le problème des conditions de possibilité de changement de REX

par les élèves lors d’une activité de prob lématisation : pistes

envisagées

3.2.1 Premier point de vue : l’incommensurabilité des paradigmes.

En référence à Kuhn, on distingue dans l’histoire des sciences des périodes de science normale et des périodes de révolution (Kuhn, 1962/1983). L’activité scientifique en science normale développe le paradigme institué « en étendant autant que possible son pouvoir heuristique ». Fabre (1997) propose de concevoir symétriquement des apprentissages « normaux » et des apprentissages « révolutionnaires selon que le paradigme de la classe correspond ou non au paradigme à enseigner » (Orange et Fabre, 1993 ; Orange, 1997). Les situations-problèmes peuvent porter sur des problèmes normaux ou des problèmes de rupture. Fabre et Orange (1997), en référence à Kuhn (1962/1983), postulent les cadres explicatifs incommensurables. Les changements d’épistémé (Foucault M., 1966) ou de paradigme explicatif (Toulmin ,1993) ou de cadre épistémique (Piaget J., Garcia R., 1983) correspondent à des ruptures métaphysiques qui nécessitent la modification des « intelligibles

fondamentaux ». Ils mettent en avant une condition de possibilité pour problématiser lors d’un débat

scientifique en classe, à savoir la nécessité que tous les élèves impliqués mobilisent des registres explicatifs proches : « les débats ne sont possibles dans la classe que si les explications concurrentes

des élèves reposent sur des registres explicatifs proches » (Orange, 2012 ; 2002). Lorsque cette

condition n’est pas remplie, les débats en classe conduiraient à des « dialogues de sourds » car il serait impossible pour les élèves de « mettre en concurrence leurs points de vue divergents dans un

débat argumenté ». Ni « l’appel à la raison », ni « le recours à des résultats empiriques » ne leur

permettraient de « répondre à toutes les objections ». Le changement de cadre explicatif implique une rupture de raisonnement c'est-à-dire : que les élèves doivent « comprendre et accepter un autre

raisonnement, plus complexe (plusieurs variables) et moins commun que leur raisonnement spontanés, et construire pour cela de « nouvelles structures mentales » (Fabre & Orange, 1997). Il

s’agit alors « d’étendre l’espace problème initial en reconstruisant sa structure et en modifiant

certaines contraintes ». Les solutions alors envisagées par ces auteurs seraient « d’inviter à essayer autre chose » par de nouveaux apports par le maître et la situation problème qu’il propose,

« d’imposer une nouvelle culture scientifique », de travailler sur l’histoire des idées. En tout état de cause la rupture ne peut être immédiate et nécessite de faire travailler les élèves dans un « usage

répété du nouveau cadre explicatif ». Une première piste de réflexion porte donc sur les éléments

apportés par l’enseignant et ceux de la situation-problème pour pouvoir travailler sur ces « nouveaux

intelligibles fondamentaux ». On peut imaginer faire porter le travail sur les limites des explications

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32

condition suffisante pour qu’ils puissent envisager d’autres possibles ? Le « saut théorique » d’un changement de cadre explicatif étant important, il est peu probable qu’il en soit ainsi. Les apports de l’enseignant et les apports liés à la construction même de la situation-problème nous semblent indispensables pour l’élaboration d’autres possibles par les élèves. La question qui se pose alors porte sur les éléments de la situation problème à apporter par l’enseignant et susceptible de permettre un changement des intelligibles fondamentaux des élèves conjointement à une modification de « l’espace problème ». Notre recherche doit pouvoir développer une méthodologie qui propose la possibilité pour le chercheur et l’enseignant de repérer les éléments de la situation nécessaires au changement de REX.

Certains résultats des travaux de Françoise Beorchia (2003, 2005) questionnent cette incommensurabilité pour les élèves en classe de science. L’analyse d’un corpus sur la commande du mouvement en CM2, l’amène à penser la possibilité pour des élèves de rentrer dans des explications proposées par d’autres groupes dont les modèles sont organisés par des REX différents que le leur (Beorchia, F., 2005, p.142-143), notamment à travers l’interprétation qu’elle fait de propositions critiques pouvant être avancées par des élèves. Par ailleurs, alors que le REX mobilisé principalement par les élèves de CM2 centrés sur une problématique du mouvement est un mécanisme simple cartésien, elle montre dans son corpus « l’émergence d’une problématique systémique dans laquelle

l’idée de permanence d’activité nerveuse est présente ». Autrement dit, une idée relevant plus d’un

cadre systémique que mécaniste. Les modèles actuels en physiologie nerveuse s’inscrivent dans un cadre épistémique qui articule une vision physico-chimique et cybernétique (Beorchia, 2003) et « considèrent que l’ensemble des éléments nerveux est en activité permanente, ce qui rend nécessaire

les processus d’intégration (ou de traitement) dans les centres nerveux. » (Beorchia, 2005, p.146).

Elle fait alors l’hypothèse qu’« un questionnement de départ plus centré sur la posture du corps que

sur un mouvement particulier semble être un piste possible à envisager » pour faire problématiser les

élèves dans un registre explicatif systémique, dans lequel le concept de tonus musculaire joue un rôle directeur dans les points de vue et raisons à construire. Ainsi des pistes didactiques sont à chercher du côté de la situation proposée aux élèves, situation qui doit pouvoir orienter vers une problématique pertinente du point de vue du cadre explicatif que l’on souhaite voir construire par les élèves. Or certains concepts, comme ici celui de tonus musculaire lié au problème de la posture, sont potentiellement plus à même d’ouvrir vers des champs de possibles nouveaux pour les élèves et non accessibles ou peu accessibles par les REX qu’ils mobilisent à priori (ici un mécanisme cartésien).

Figure

Figure 0-1. Schéma de l'activité scientifique comme travail de problèmes explicatifs (Orange, 2012)
Figure 0-2. Les deux dédoublements de la problématisation (Lhoste, 2008, p.64).
Figure 0-4. La contingence et les possibles virtuels de l'histoire (Orange-Ravachol, 2003, p.78)
Tableau 1. Les fonctions du problème dans les situations d’apprentissage (d’après Fabre M., 1997)  Déploiement de la vigilance au sens dans trois dimensions
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Références

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