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Entre mentalités et traditions à la cour de France : le pouvoir politique de Catherine de Médicis vu par ses opposants au temps des Guerres de religion

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Academic year: 2021

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Entre mentalités et traditions à la cour de France :

le pouvoir politique de Catherine de Médicis vu par ses

opposants au temps des Guerres de religion

Mémoire

Cynthia Marmen

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Entre mentalités et traditions à la cour de France :

le pouvoir politique de Catherine de Médicis vu par ses

opposants au temps des Guerres de religion

Mémoire

Cynthia Marmen

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Ce mémoire tourne autour de l’histoire de Catherine de Médicis : une femme, une reine, une épouse et une mère. Nous y analysons les perceptions du pouvoir politique féminin entre 1560 et 1589. Nous nous intéressons également à l’histoire de la monarchie française et de son organisation hiérarchique, alors que le royaume est empêtrée dans les Guerres de religion. Nous y étudions notamment l’organisation sociale et les traditions de la cour de France, ainsi que l’évolution des relations entre le pouvoir monarchique, les bourgeois et les membres de la noblesse. Plus particulièrement, on voit comment Catherine a su conserver pendant trente ans un pouvoir politique étendu et puissant, alors que les mentalités dictent plutôt son retrait des affaires du gouvernement. En effet, pour de multiples raisons, religieuses, économiques, politiques et sociales, ses opposants ne veulent pas qu’une femme ait autant d’autorité au sein du royaume. Par exemple, selon eux, les femmes ne peuvent pas être régentes parce qu’elles sont trop émotives et que leur présence, auprès du roi, est un danger pour le royaume. Catherine utilise donc l’art, sa correspondance et les fidèles de son réseau de clientèle pour prouver à ses détracteurs qu’elle est une véritable femme de pouvoir et rester au sommet de l’État.

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ABSTRACT

This thesis concerns the history of Catherine de Medici : a woman, a queen, a wife and a mother. In this study, we analyze the representations of the female political power between 1560 and 1589. Hence, it’s also focuses on the history of the monarchy during de French Wars of Religion and his organization. We look into the traditions and the organization of the French court, as well as the complex relations linking the crown, the bourgeois and members of the nobility during a dark part of French history. Through those thirty years, Catherine managed to retain a wide and strong power in spite of opposing mentalities. For various reasons stemming from political, social, religious and economic matters, her political opponents disapproved of a woman holding such authority. For instance, according to them, women were unfit for the regency because of their acute emotivity and the danger that might arise from their influence on the king. Therefore, Catherine used other means such as art, correspondence and social networks to assert her role as a powerful female figure.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... IV TABLE DES MATIÈRES... V ÉPIGRAPHE ... VII REMERCIEMENTS ... VIII

INTRODUCTION ... 1

BILAN HISTORIOGRAPHIQUE ... 4

La société de cour française : mentalités, traditions et relations ... 4

Le pouvoir féminin en France : Reine, régente et gouvernante... 9

Catherine de Médicis : une femme, une reine ... 12

CORPUS ... 16

Des « Mémoires », un journal et leurs auteurs ... 16

Lettres de Catherine de Médicis ... 19

Les pamphlets politiques ... 19

MÉTHODOLOGIE :L’ANALYSE DE CONTENU THÉMATIQUE ... 20

1. LA COUR DE FRANCE : TRADITIONS, MENTALITÉS ET REPRÉSENTATIONS DE LA VIE SOCIALE ET POLITIQUE ... 24

A. LA COUR DE FRANCE AU SEIZIÈME SIÈCLE : SOCIABILITÉS ET POUVOIR MONARCHIQUE ... 25

Composition et hiérarchie sociale ... 26

L’idéal nobiliaire : la dignité et l’honneur au service du roi ... 28

Faveurs et défaveurs royales ... 31

Le lieu de vie du roi et le lieu du pouvoir monarchique ... 33

Le pouvoir monarchique et les membres de la noblesse : « absolutisme » ou centralisation des pouvoirs et des décisions?... 38

En période de troubles civils : le « devoir de révolte » ... 40

B. LES RÔLES ET LA PLACE DES FEMMES À LA COUR DE FRANCE ... 43

La cour des dames : une tradition persistante ... 44

Jeunes filles, femmes mariées et veuves : leur rang, leur place et leurs rôles ... 46

La reine de France : symbolique de son rôle et de sa place ... 48

La loi salique : « l’exception française » ... 51

La régence féminine ... 53

Les représentations sociales de la femme à la cour de France : ordre naturel ou « misogynie »? ... 56

2. LES NOBLES ET LEURS PERCEPTIONS DU POUVOIR POLITIQUE DE CATHERINE DE MÉDICIS ... 60

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A. « AGGRANDIR LES PETITS ET LES GRANDS RUINER ;ET A UN DESESPOIR UN PAYS

REDUIRE […] » ... 62

La Saint-Barthélemy : exacerbation des esprits contre la reine mère ... 63

Contre le « gouvernement des femmes » ... 65

Contre son gouvernement : de mauvaises politiques et décisions ... 67

La xénophobie italienne : une Florentine au pouvoir... 71

Vices et dépravations à la cour de France ... 76

L’amie de Nostradamus : poisons, astrologie et magie ... 78

Catherine de Médicis, une manipulatrice : Se réjouir des malheurs du peuple français ... 81

B. UNE TRÈS « ILLUSTRE & VERTUEUSE » PRINCESSE ... 85

L’appui de Brantôme : un discours élogieux ... 85

La reine mère : une stratège politique ... 88

En accord avec ses décisions politiques ... 90

La meilleure personne pour aider son fils ... 94

Un pamphlet surprenant : appui et louanges... 97

3. UN ROI EN ROBE ET EN JUPONS : LES MÉCANISMES DU POUVOIR POLITIQUE DE CATHERINE DE MÉDICIS ... 101

A. UTILISER LES STRUCTURES DU POUVOIR MONARCHIQUE À SON AVANTAGE : MÉCANISMES DU POUVOIR POLITIQUE ... 103

Une correspondance impressionnante ... 103

Le nomadisme de la cour : le Grand Tour de France de Charles IX et de Catherine de Médicis ... 106

Mécénat et patronage : suivre l’exemple de François Ier ... 109

Construction de châteaux et de palais urbains ... 111

Tenir ses courtisans occupés... 114

Son réseau de clientèle : accorder et refuser ses faveurs ... 116

B. SAVOIR INNOVER ET PERPÉTUER DES TRADITIONSAFIN DE DÉMONTRER SON AUTORITÉ : MÉCANISMES DU POUVOIR POLITIQUE FÉMININ ... 119

La production picturale autour de son rôle de régente ... 120

Sa politique de paix ... 122

Gouverner pour et par ses fils... 124

L’éducation des princesses : un enjeu fondamental du pouvoir politique des femmes ... 126

Commanditer la littérature : écrire l’histoire de France et sa propre histoire ... 128

L’« escadron volant » de Catherine de Médicis : le mythe et le débat historiographique ... 130

CONCLUSION ... 133 BIBLIOGRAPHIE ... 138 SOURCES MANUSCRITES ... 138 SOURCES ÉDITÉES ... 138 HISTORIOGRAPHIE ... 141 ANNEXES ... 149

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ÉPIGRAPHE

Pour réussir, retenez bien ces trois maximes : voir c’est savoir, vouloir c’est pouvoir, oser c’est avoir.

- Alfred de Musset

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REMERCIEMENTS

Ce travail est la conclusion de deux ans de recherches et de persévérance. Deux années pendant lesquelles j’ai appris sur moi-même, dépassé mes limites et compris qu’avec de la persévérance, n’importe quel objectif peut être atteint. C’est avec le cœur rempli du bonheur et de la joie d’avoir accompli avec brio une autre étape de ma vie que j’écris ces quelques lignes. C’est également deux ans qui n’auraient pas été les mêmes sans l’appui inconditionnel de mon entourage. Je dois à tous et à toutes, vous dire « merci » pour vos encouragements, votre patience et votre amour. Cette centaine de pages et plus, je les ai peut-être écrites, mais elles n’auraient pas été les mêmes sans vous.

Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de recherche Michel De Waele qui m’a guidée pendant ces longs mois de recherche, d’analyse et de rédaction et qui a su me transmettre, dès le baccalauréat, sa passion pour cette époque magnifique. Merci tout particulièrement pour ta disponibilité, ton écoute, tes encouragements, ta patience et tes nombreux conseils. Sans eux, je n’aurais pu accomplir cet immense travail en seulement deux ans.

Ensuite, j’aimerais adresser de chaleureux remerciements à Dean et à Estelle qui m’ont accueillie à bras ouverts dans leur vie pendant près de deux mois et demi. En me permettant de faire partie intégrante de votre famille, vous m’avez permis de passer au travers la mélancolie de l’éloignement et d’ainsi, me concentrer sur mes recherches. Sincèrement, je ne crois pas qu’il existe les mots pour qualifier votre altruisme, votre gentillesse et votre générosité. Sachez seulement que vous serez toujours les bienvenus dans notre humble demeure à Simon et moi.

Je voudrais également remercier ma famille et mes amis. Tout d’abord, mon père Éric et ma mère Lucie qui m’ont transmis dès mon plus jeune âge leur engouement pour la lecture, sans lequel je ne me serais certainement pas rendue aussi loin. Vos encouragements et votre amour inconditionnel ont été pour moi des sources de réconfort quotidien. Merci aussi d’avoir été présents pour moi tout au long de mon parcours académique et dites-vous que chacun des diplômes que j’ai obtenus et dont je suis aujourd’hui fière sont également les

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vôtres. Plus particulièrement, j’aimerais dire merci à mon « papou », mon premier lecteur et j’ose dire mon plus grand admirateur. Ton œil critique et ta maîtrise parfaite de la langue de Molière ont été pour moi des appuis immenses dont je ne saurais me passer aujourd’hui. À mon frère Mathieu, à ma sœur Jessica et à mes belles-sœurs Caroline, Maryse et Camille, je vous dis merci pour vos encouragements et votre enthousiasme lorsque je vous parlais de mes recherches. À François, Renée, Alain et Diane, merci également de m’avoir écoutée pendant tous ces soupers de famille et d’être pour moi d’autres merveilleux parents. Puis, à mes meilleures amies, Stéphanie, Alice et Zoé, merci pour votre écoute à chaque fois que je croyais la fin inatteignable. Votre présence pendant ces deux dernières années a été pour moi un appui extraordinaire et m’a permis de tenir jusqu’au bout.

Finalement, sur une note plus personnelle, je tiens à remercier, l’amour de ma vie, Simon. Ces longues soirées pendant lesquelles tu m’as écouté te parler, encore et encore, de Catherine de Médicis resteront certainement parmi les plus beaux souvenirs de mon cheminement à la maîtrise. Je dois également louanger ta patience, ton assiduité et ton dévouement qui même à la troisième lecture ne s’amenuisaient pas et m’ont permis de faire de mon mémoire, un texte dont je peux être fière. J’espère seulement que je réussirai à t’aider à cheminer tout au long du Chemin du Roy autant que tu as su le faire pour moi.

Sincèrement, merci encore à vous tous pour votre présence dans ma vie. Vous êtes l’exemple même que lorsque nous sommes bien entourés, la vie est plus douce et plus facile.

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INTRODUCTION

Le 22 août 1572, à la sortie d’un Conseil qui se tient au Louvre, l’amiral Gaspard II de Coligny (1519-1572) est atteint par un tir d’arquebuse. Dès lors, les esprits, déjà échauffés par dix ans de conflits entre protestants et catholiques, s’enflamment. Les protestants, persuadés qu’il s’agit de l’aboutissement d’une affaire conclue sept ans plus tôt lors de l’entrevue de Bayonne, au cours de laquelle les royaumes de France et d’Espagne se seraient entendus pour éradiquer le protestantisme du continent1, s’inquiètent. Tentant d’apaiser les

soupçons qui pèsent sur ses épaules, le roi, Charles IX (1550-1574), se rend au logis du fervent amiral réformé et clame qu’il fera respecter sa justice. Cette tentative du roi d’apaiser les esprits n’apporte cependant pas les effets escomptés, puisqu’une petite délégation de protestants mécontents, menée par Armand de Clermont, baron de Piles, se rend rapidement auprès du souverain pour exposer ses griefs. Bien qu’aujourd’hui nous connaissions, selon toute vraisemblance l’identité de la personne ayant attenté à la vie de Coligny2,

l’historiographie n’a toujours pas été en mesure d’identifier le ou les commanditaires de cette agression qui marque le début du massacre de la Saint-Barthélemy, au cours duquel des milliers de protestants réunis à Paris à l’occasion du mariage d’un de leurs chefs, Henri de Navarre, avec la sœur du roi, Marguerite de Valois, sont tués en quelques jours3. Seraient-ce

les Espagnols qui redoutent l’influence de Coligny et de son gendre Charles Téligny sur le roi, comme le soutient Jean-Louis Bourgeon4? Les membres de la maison de Guise qui ne

voient pas d’un bon œil l’entrée, par son mariage récent, d’Henri de Navarre et des membres de son réseau de clientèle dans l’entourage rapproché du roi5? Ou encore, Catherine de

1 Cette entrevue s’est tenue à Bayonne, pendant le Grand Tour de France de Charles IX et de Catherine de Médicis. Il s’agissait officiellement d’une occasion pour la reine mère de revoir sa fille Élisabeth, la reine d’Espagne et officieusement un moyen d’apaiser les soupçons de Philippe II qui pesaient sur sa politique de concorde civile. La rumeur voudrait cependant que cette entrevue ait servi de prétexte à la reine mère pour organiser, conjointement avec le duc d’Albe, le massacre d’août 1572. Une théorie qui n’a pu être étayée par manque de preuves. Voir Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy : Les mystères d’un crime d’État, Paris, Gallimard, 2007, p. 107.

2 Il s’agirait de Charles de Louviers, sieur de Maurevert. À ce sujet, voir Arlette Jouanna et al., (dir.), Histoire

et dictionnaire des Guerres de religion, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 196.

3 Ibid., p. 196-197.

4 Jean-Louis Bourgeon, L’assassinat de Coligny, Genève, Droz, 1992, 134 p. 5 Jouanna, La Saint-Barthélemy, p. 108.

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Médicis et son fils le duc d’Anjou qui souhaitent éliminer le chef de la faction protestante au prétexte qu’il devient de plus en plus influent auprès de Charles IX6?

Cette dernière hypothèse a été considérée par les contemporains de l’événement comme la plus plausible. Au moment des faits, on voit des pamphlétaires protestants redoubler d’efforts pour discréditer largement les décisions politiques de la reine mère, en la traitant ni plus ni moins de « putain » au « sang infecte [sic] d’Italie »7. À vrai dire, bien avant

la date fatidique du 24 août 1572, certains protestants la considèrent coupable et responsable de la violence et des dissensions civiles qui foisonnent dans tout le royaume. Pourquoi certains de ses contemporains ont-ils dépeint un portrait aussi noir de Catherine de Médicis? Est-ce en raison de sa condition de femme? Parce qu’elle est catholique et donc l’ennemie naturelle des protestants? Ou simplement parce que ses politiques et ses décisions déplaisent aux réformés qui gravitent alors autour du gouvernement?

Certains historiens, dont Arlette Jouanna et Denis Crouzet, ont cherché à déterminer si la reine mère est coupable d’avoir fomenté l’attentat du 22 août 1572 et plus largement, d’être responsable des troubles de religion qui voient les Français se combattre pendant trente-six ans. Dans notre cas, nous envisageons plus largement son rôle et sa place dans l’échiquier politique et dans la société de cour française entre 1560 et 15898. En fait, la

question de la responsabilisation politique de Catherine de Médicis pour cet événement ne représente qu’une part infime de son histoire et incite les historiens à oublier qu’elle a contribué, à sa manière, à façonner le paysage politique français des seizième et dix-septième siècles. D’ailleurs, Arlette Jouanna émet une mise en garde quant à la prompte accusation de

6 Cette hypothèse est soutenue par l’ambassadeur vénitien, Giovanni Michiel dans sa correspondance de mission où il stipule « Que Votre Sérénité apprenne donc que toute cette affaire, œuvre combinée, tramée et menée à bien par elle, avec la seule participation du duc d’Anjou, son fils. », Voir, La Saint-Barthélemy devant le Sénat

de Venise. Relations des ambassadeurs Giovanni Michiel et Sigismondo Cavalli, publié par William Martin,

Paris, Sandoz et Fischbacher, 1872, p. 34, cité par Ibid., p. 111.

7 Théodore De Bèze, Hugues Doneaus et Nicolas Barnaud, Le Réveille-matin des François et de leurs voisins,

composé par Eusèbe Philadelphe, cosmopolite en forme de dialogues, 1574, p. 30.

8 En 1560, François II meurt laissant le pouvoir à son frère, Charles IX, qui est encore mineur. Cette année marque le début de l’implication de Catherine de Médicis au sein du pouvoir monarchique en tant que régente, jusqu’à la majorité de Charles IX qui est proclamée en 1563. En 1574, Charles décède à son tour. Son frère Henri III, le troisième fils de Catherine de Médicis, lui succède donc. En attendant que ce dernier revienne du royaume de Pologne où il est depuis peu le roi, Catherine de Médicis obtient, pour une seconde fois, jusqu’à l’automne 1574 la régence du royaume. Puis, entre les deux périodes de régence, on retrouve des périodes de gouvernance pendant lesquelles Catherine de Médicis s’emploie à administrer le royaume conjointement avec ses fils. Pour en savoir plus, voir Simone Bertière, « Régence et pouvoir féminin », dans Kathleen Wilson-Chevalier et Éliane Viennot (dir.), Royaume de fémynie : Pouvoirs, contraintes, espaces de liberté

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la reine mère par les chercheurs, qualifiant l’hypothèse de l’ambassadeur vénitien, Giovanni Michiel, d’« improbable », puisque quatre jours auparavant, elle conclut le mariage de sa fille avec Henri de Navarre qui doit être une « œuvre de réconciliation »9. Alors, comment

expliquer les fortes accusations envers Catherine de Médicis? Jouanna propose que « l’événement est chargé de tant de passions, de soupçons et de peurs que les relations contemporaines, les correspondances et les mémoires qui le rapportent le déforment ou en occultent délibérément certains aspects »10.

Dans cette étude, nous nous concentrerons sur ces « passions », ces « soupçons » et ces « peurs », disséminés dans les récits du temps des Guerres de religion, afin de comprendre la place occupée par Catherine sur l’échiquier politique et au sein de la société de cour. Pour ce faire, nous proposons d’étudier les « perceptions »11 du « pouvoir féminin » exercé par

cette reine, entre 1560 à 1589 qui se retrouvent dans des pamphlets politiques, des Mémoires et des journaux. En raison de cet angle d’approche, nous proposons ici une double hypothèse. Nous croyons que non seulement les « mentalités »12 et les « représentations »13 patriarcales

de la société de cour et du pouvoir monarchique influencent les perceptions qu’ont ses opposants des périodes de régence et de gouvernance de Catherine de Médicis, mais aussi

9 Arlette Jouanna, « Saint-Barthélemy », dans Jouanna et al., Histoire et dictionnaire, p. 1263. 10Ibid., p. 1262.

11Nous entendons par perceptions les représentations abstraites, collectives ou individuelles d’un évènement, d’une personne ou d’un objet. Elles font référence à ce que Dominique Kalifa nomme la seconde strate des représentations « […] celle, plus immatérielle, des schèmes de perception, des catégories de saisie et d’appréhension du monde, que commandent en amont les systèmes sensoriels, et qui ouvrent en aval sur l’océan des sensations, des sentiments, des émotions, des désirs, des affects, en bref des appréciations […] ». Pour en savoir plus, voir Dominique Kalifa, « Représentations et pratiques », dans Christian Delacroix et al (dir.), Historiographie II : Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, p. 879.

12L’histoire des mentalités fait référence aux recherches entreprises par les membres de l’École des Annales dans les années 1970 et correspond à l’analyse des « habitudes du quotidien [et des] comportements » qui ne proviennent pas d’une action réfléchie, mais bien du subconscient individuel ou collectif. George Duby entend notamment par « mentalités », « des émotions d’un moment, d’une conjoncture, de la rumeur à la petite phrase dans ses échos momentanés, [de] l’évolution des comportements et croyances partagés par un groupe social déterminé [et de] cadres mentaux plus résistants aux changements ». Dans le cadre de notre recherche, on entend donc par « mentalités » de la cour de France, les schèmes inconscients de l’organisation sociale. Pour en savoir plus, voir François Dosse, « Histoire des mentalités », dans Christian Delacroix, et al (dir.),

Historiographies I : concepts et débats, Saint-Amand, Gallimard, 2010, p. 220-225.

13Le concept de « représentation » se décline en trois angles différents, dont celui des perceptions évoquées plus tôt. Le premier et le troisième angle correspondent quant à eux aux « représentations figurées, objets images, imprimés […] [et à celui] enfin des exhibitions ou des mises en scène de soi (ou de l’autre), par lesquelles les individus et les groupes se signifient socialement, politiquement, symboliquement ». Voir Kalifa, « Représentations et pratiques », p. 879.

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que ces mêmes perceptions déterminent quels « mécanismes »14 du pouvoir politique cette

reine utilise pour conserver son rôle central dans la gestion des affaires politiques du royaume.

Bilan historiographique

Notre étude se situe au croisement de trois axes historiographiques, soit les nombreuses recherches sur la société de cour française, les études plus générales sur le pouvoir féminin en France, ainsi que les biographies qui retracent le parcours social et politique de cette reine.

La société de cour française : mentalités, traditions et relations

Depuis le début du vingtième siècle, de nombreux chercheurs provenant de divers horizons académiques se sont intéressés aux pratiques et aux représentations de la noblesse d’Ancien Régime. De ces études, nous pouvons retracer deux grands angles d’approche principaux, soit, d’un côté, les études sur l’organisation de la société de cour française et, de l’autre, celles sur l’évolution des relations entre l’État monarchique et le peuple français. Certains chercheurs se sont également intéressés à ces deux aspects selon une perspective européenne15. Cependant, aux vues de notre objet d’étude, nous nous sommes concentrée sur

les recherches qui s’intéressent aux seizième et dix-septième siècles en France, plus

14Nous entendons par « mécanismes » les façons et les outils utilisés par les détenteurs du pouvoir politique pour assoir leur autorité sur les membres de la société de cour d’Ancien Régime. À titre d’exemple, nous pouvons prendre « l'élévation des favoris […] qui constitue l'outil [principal] du roi pour maîtriser les provinces par le contrôle des réseaux locaux de fidélité et de sociabilité », mentionné par Nicolas Le Roux dans son article sur les courtisans et les favoris. Pour de plus amples informations à ce sujet, voir Nicolas Le Roux « Courtisans et favoris : l'Entourage du prince et les mécanismes du pouvoir dans la France des Guerres de religion », Histoire, Économie et Société, 17 : 3 (1998), p. 380.

15Nous pouvons nommer l’ouvrage collectif dirigé par Philippe Contamine qui retrace l’horizon politique, historique et social de trois cours européennes, soit la France, l’Angleterre et l’Écosse, la synthèse de Jonathan Dewald sur l’évolution de la noblesse européenne entre le quatorzième et le dix-huitième siècle, ainsi que l’ouvrage collectif présenté en deux tomes et édité par Hamish M. Scott, dont chacun des chapitres est réservé à l’étude d’un territoire européen en particulier et de sa noblesse. À ce sujet, voir Philippe Contamine (dir.),

L’État et les aristocraties : XIIe-XVIIe siècle (France, Angleterre, Écosse), Paris, Presses de l’École Normale

Supérieure, 1989, 396 p. ; Jonathan Dewald, The European Nobility, 1400-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, 210 p., ainsi que Hamish M. Scott (éd.), The European Nobilities in the Seventeenth

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particulièrement sur celles prenant en compte le contexte d’évolution d’une monarchie au pouvoir politique de plus en plus centralisé16.

Dans son ouvrage sur la société de cour paru pour la première fois en français en 1969, Norbert Elias met de l’avant la notion d’« interdépendance » qui existe entre les membres de la noblesse et le roi à la cour de Louis XIV (1638-1715). Il y démontre que le roi, seul détenteur de la puissance politique, doit, par la remise de charges de la cour et de privilèges, transférer une partie de cette puissance aux membres de la noblesse qu’il choisit. En échange, ces privilégiés du système lui doivent obéissance et fidélité. Cette double dépendance entre les souverains et les membres de la noblesse se retrouve au cœur de notre propre recherche puisqu’en tant que régente de France, Catherine de Médicis doit se soumettre aux mêmes obligations que les rois en contrôlant de manières diverses son réseau de clientèle17.

Cette thèse sur l’organisation de la société de cour est également soutenue par Ellery Schalk18, Jean-Marie Constant19 et Jacqueline Boucher20 dans leurs études respectives.

Complétant la thèse d’Elias, ils ajoutent à leur étude les valeurs d’« honneur » et de « vertu » en tant qu’éléments régissant le cadre particulier d’existence des membres de la noblesse. Schalk s’intéresse au concept de « noblesse », plus particulièrement à l’évolution des prérogatives et des valeurs nobiliaires de la fin du Moyen Âge jusqu’à la Révolution française. Il en ressort que la noblesse « est bien plus qu’une fonction ou une profession », mais également la conception d’un idéal social axé sur la vertu et l’honneur21. Suivant une

16Nous entendons par « pouvoir de plus en plus centralisé », les différentes modifications qui s’effectuent dans les relations entre la noblesse et l’État monarchique français du début du seizième siècle, sous François Ier, jusqu’à l’avènement de Louis XIV en 1643. Certains chercheurs, dont Norbert Élias, choisissent l’utilisation du terme « absolutisme » pour qualifier ces changements organisationnels, cependant nous préférons employer les conclusions de James B. Collins pour qualifier ces évolutions. Nous n’entrerons pas plus dans les détails de ces conclusions qui se retrouvent dans notre premier chapitre. Pour en savoir plus, voir James B. Collins, « L'“absolutisme” : la critique anglophone ». dans James B Collins (dir.), La monarchie

républicaine : État et société dans la France moderne, Paris, Odile Jacob, 2016, p. 127-157.

17Nous ne nous étendrons pas plus sur les spécificités de ce qu’est un réseau de clientèle. Des sections sont réservées à l’étude de ce sujet dans le premier et le troisième chapitre, suivant l’évolution de nos démarches. Voir Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985 (1969), 330 p.

18Ellery Schalk, From Valor to Pedigree : Ideas of Nobility in France in the Sixteenth and Seventeenth

Centuries, Princeton, Princeton University Press, 1986, 242 p.

19Jean-Marie Constant (dir.), La noblesse en liberté : XVIe-XVIIe siècles, Rennes, Presses Universitaires de

Rennes, 2004, 295 p.

20Jacqueline Boucher, La cour de Henri III, Rennes, Ouest-France, 1986, 213 p. 21Schalk, From Valor to Pedigree, p. xiv-xv.

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orientation à la fois anthropologique et sociopolitique22, les chercheurs réunis sous la

direction de Jean-Marie Constant s’intéressent de leur côté à la noblesse dans sa globalité, soit à l’anoblissement, aux fonctions de la noblesse ou encore à ce que Constant définit lui-même comme l’émergence de la « noblesse seconde », parallèlement à la « haute noblesse » issue des grands lignages ancestraux23. Cette thèse est également soutenue par

Boucher qui utilise la cour d’Henri III (1551-1589) afin de démontrer que la société curiale a subi les répercussions des Guerres de religion principalement en ce qui concerne la façon dont les nobles se définissent par rapport aux autres ordres sociaux24. Elle mentionne

notamment que les frontières entre la noblesse et les autres membres de la société, principalement les bourgeois, qui étaient auparavant délimités par l’écart de richesse entre les membres des deux ordres, s’amenuisent et créent des ambiguïtés. En effet, alors qu’entrer à la cour était autrefois l’apanage de la noblesse, les bourgeois, suivant l’obtention d’une office ou d’une charge auprès du roi, y ont de plus en plus accès. La vertu et l’honneur, rattachés au rang de noble, deviennent alors les remparts principaux contre l’envahissement de la haute bourgeoisie marchande et de la noblesse de robe à la cour de France.

Boucher mentionne également qu’en plus de faire face à la présence de plus en plus pesante des membres de la bourgeoisie à la cour, les nobles voient leurs précieuses offices convoitées par des étrangers. Elle stipule notamment que l’obtention par des Italiens de charges de la cour, qui doivent normalement revenir à des nobles français, aurait attisé des mouvements xénophobes à Paris à la fin du seizième siècle25. D’ailleurs, selon Boucher,

Catherine de Médicis étant elle-même Florentine, elle est perçue par ses contemporains, comme la grande responsable de la présence prédominante des Italiens à la cour. Une

22Constant, Noblesse en liberté, p. 8.

23Ce concept de « noblesse seconde » a par ailleurs été précisé par Laurent Bourquin dans son ouvrage sur la noblesse de champagne aux seizième et dix-septième siècles. Il correspond aux petits nobles qui, en accumulant des charges de la cour, des responsabilités provinciales, des emplois militaires et des distinctions honorifiques, permettent aux rois d’asseoir leur autorité sur les provinces éloignées du lieu de séjour de la cour. Pour de plus amples informations sur ce concept, vous pouvez consulter l’ouvrage de Constant cité plus haut, ainsi que Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris,

Publications de la Sorbonne, 1994, p. 9.

24Pour voir un exemple de la remise en cause de la noblesse par un bourgeois de l’époque, vous pouvez consulter François Cromé, Dialogue d’entre le maheustre et le manant, texte établit et annoté par Peter M. Ascoli, Genève, Genève, Droz, 1977, 232 p.

25La présence de nombreux Italiens à la cour, dont la fortune provient du commence, contrevient à la définition du parfait noble qui ne doit devoir sa fortune qu’à ces rentes terrières. Pour de plus amples informations à ce sujet, voir Boucher, Cour de Henri III, p. 146.

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hypothèse soutenue par Henry Heller26 qui consacre une étude entière à l’analyse des discours

anti-italiens à la cour de France au seizième siècle. À la lecture de cet ouvrage, on peut voir que deux types de discours sont véhiculés contre les Italiens et Catherine de Médicis. Le premier concerne la production de discours par des membres du parti huguenots qui sont principalement orientés sur les mésententes religieuses entre les protestants français et les catholiques italiens, alors que le second type de discours est produit par des Français, toutes confessions confondues, et vise à dénoncer la mainmise des Italiens sur les offices de la cour. D’ailleurs, selon l’auteur, le fait que de nombreux Italiens périssent lors des massacres de la Saint-Barthélemy démontre que, loin de n’être qu’une question de religieux, la prédominance des amis de Catherine à la cour exaspère les bourgeois et les nobles qui n’acceptent pas leur présence en France27.

À l’instar de Schalk, Constant et Boucher, nous avons porté une attention particulière à l’organisation de la société curiale au seizième siècle, soit de François Ier (1494-1547) à

Henri IV (1553-1610). En analysant les concepts d’honneur et de vertu, mais également en procédant à l’étude de la hiérarchie sociale inhérente à la société curiale, nous avons pu contextualiser notre objet d’étude au sein de son milieu de vie. Les difficultés éprouvées par les membres de la noblesse pour se définir par rapport aux autres ordres sociaux ont également été abordées afin d’en faire ressortir les points de mécontentements exprimés par certains nobles au pouvoir monarchique, à l’égard des bourgeois de plus en plus entreprenants. Pour ce faire, les doléances associées à la perméabilité croissante de la société de cour au seizième siècle ont été juxtaposées aux discours contre les étrangers et amis de Catherine venus d’Italie. Suivant les conclusions de Boucher et de Heller, on voit qu’en plus des représentations misogynes et patriarcales qui influencent les perceptions des opposants de la reine mère, la xénophobie française envers les Italiens figure parmi les arguments les plus utilisés pour tenter de la discréditer.

Des nombreuses thèses qui concernent l’organisation sociale de la société française, on peut également faire ressortir celles qui permettent de lever le voile sur l’évolution de la structure des relations entre l’État monarchique et ses sujets. Parmi ces études, on peut

26Henry Heller, Anti-Italianism in Sixteenth-Century France, Toronto, Toronto University Press, 2003, 320 p. 27Ibid., p. 80-82.

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notamment nommer celles de James Russel Major28 et William Beik29qui ont grandement

contribuée au courant historiographique qui étudie les liens entre la monarchie, le peuple français et les institutions représentatives d’Ancien Régime. Ce sont d’ailleurs les thèmes centraux de l’ouvrage de Major, dans lequel il analyse ces trois composantes du pouvoir politique au seizième siècle, alors que l’autorité royale est empêtrée dans des troubles religieux. Il conclut notamment sur la lente modification des structures de l’autorité politique, c’est-à-dire, qu’entre la fin de la guerre de Cent Ans (1337-1453) et les Guerres de religion, l’habituelle collaboration entre l’État et la noblesse s’amenuise au profit d’un État beaucoup plus centralisé, dont le roi serait la figure d’autorité absolue. De son côté Beik mentionne plutôt que la centralisation de l’État n’est pas responsable de l’amenuisement des relations d’interdépendance entre la noblesse et l’État monarchique. Basant sa démonstration sur les échanges entre Louis XIV et les membres de sa noblesse provinciale en Languedoc, l’auteur démontre que, loin de diminuer au profit de la centralisation étatique, ses relations avec les agents provinciaux et régionaux de son gouvernement tendent plutôt à croître. Cette thèse est notamment soutenue par James B. Collins30 et Ariane Boltanski31 dans leurs ouvrages

respectifs. Il en ressort que, que ce soit dans les différents ordres en Bretagne ou pour les ducs de Nevers, les compromis faits et les relations nouées entre l’État monarchique et le peuple français ne s’amenuisent pas pendant les Guerres de religion. Boltanski démontre d’ailleurs que la prédominance des relations d’interdépendances entre les deux parties permet, autant aux ducs de Nevers qu’au roi, de promouvoir leurs aspirations politiques et religieuses32.

Les thèses avancées par Beik et Collins font partie intégrante de notre propre réflexion. En effet, contrairement à Major, nous considérons que les relations entre l’État monarchique et la noblesse ne s’amenuisent pas avec la centralisation des pouvoirs. Au contraire, l’instabilité occasionnée par les troubles religieux oblige plutôt les gouvernements

28James Russel Major, From Renaissance Monarchy to Absolute Monarchy : French Kings, Nobles & Estates, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1994, 444 p.

29William Beik, Absolutism and Society in Seventeenth-century France : State Power and Provincial

Aristocracy in Languedoc, Cambdrige, Cambdrige University Press, 1985, 375 p.

30James B. Collins, Classes, Estates, and Order in Early Modern Brittany, Cambdrige, Cambdrige University Press, 1994, 312 p.

31Ariane Boltanski, Les ducs de Nevers et l’État royal : Genèse d’un compromis (ca 1500-ca 1600), Genève, Droz, 2006, 580 p.

32William Beik, « The Absolutisme of Louis XIV as Social Collaboration », Past and Present, 188 (2005), p. 197-198.

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à travailler de concert avec les différents membres de la société française afin de stabiliser le royaume. L’absolutisme français est donc beaucoup plus une théorie qu’une pratique effective puisque Catherine doit, tout comme ses fils et leurs prédécesseurs, veiller au maintien de la collaboration entre l’État monarchique et les agents du gouvernement. Nous voyons d’ailleurs que cette collaboration obligatoire se répercute dans l’utilisation des mécanismes du pouvoir politique par Catherine, par exemple, par l’octroi de faveurs à certains bourgeois ou nobles français afin qu’en retour ils lui soient fidèles.

Le pouvoir féminin en France : Reine, régente et gouvernante

Plusieurs études parues sous le sceau de la SIEFAR33 dans les dernières années

témoignent de l’intérêt de plus en plus marqué des historiens pour l’histoire des femmes qui participent à l’exercice du pouvoir politique. Notre objet d’étude étant Catherine de Médicis, nous nous concentrerons, dans cette seconde partie du bilan historiographique, sur les recherches produites sur le pouvoir féminin en France. Deux axes de recherche nous intéressent plus particulièrement, soit celui sur la loi salique en tant que spécificité du pouvoir féminin français par rapport à celui des autres régions d’Europe, et celui orienté sur l’étude de la conception des régences féminines en France.

Que ce soit en tant que sujet central de l’ouvrage ou comme outil de contextualisation, Thierry Wenegffelen34, Éliane Viennot35 et Fanny Cosandey36 s’intéressent aux

répercussions de la loi salique sur la constitution et l’exercice du pouvoir politique féminin. Dans son ouvrage sur la « reine de France », Cosandey étudie l’influence de cette loi sur la constitution de la monarchie française entre les quinzième et dix-huitième siècles, plus précisément sur la place accordée à la reine au sein de l’appareil gouvernemental. Il en ressort que loin d’être la pierre angulaire de la monarchie française, la loi salique serait plutôt héritée de la conception patriarcale du système monarchique qu’on observe bien avant le quinzième

33Société Internationale pour l’Étude des Femmes d’Ancien Régime.

34Thierry Wanegffelen, Le pouvoir contesté : Souveraines d’Europe à la Renaissance, Paris, Payot, 2008, 492 p. 35Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, Tome I : L’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle),

Paris, Perrin, 2006, 765 p.

36Fanny Cosandey, La reine de France. Symbole et pouvoir, Paris, Gallimard, 2000, 414 p., ainsi que Fanny Cosandey, « “La blancheur de nos lys” : La reine de France au cœur de l’État royal », Revue d’histoire

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siècle. Cette conception se répercute notamment dans la mise en scène des divers rituels monarchiques tels que le mariage, le sacre, ainsi que les entrées et les funérailles royales. Elle stipule que ces rituels, qui sont censés permettre à la reine de recevoir une part symbolique de la souveraineté du roi, n’ont en fait pas d’autre but que de placer la reine en état de soumission face à son époux, faisant d’elle à la fois sa femme, la reine du royaume et sa sujette. De son côté, Viennot cherche à démystifier cette « spécificité française » qu’elle qualifie davantage de « mythe national » que de loi fondamentale. Selon l’auteure, cette loi, considérée par les contemporains de Catherine de Médicis comme la preuve indéniable que les femmes ne sont pas admises sur le trône de France depuis les Francs saliens, n’est en fait qu’une supercherie mise en place par des juristes et penseurs de la dynastie des Valois pour justifier la présence sur le trône des enfants mâles de la lignée37. Sous la forme d’une étude

comparative, Wenegffelen s’intéresse, de son côté, à la constitution du pouvoir féminin sous l’angle des résistances sociales en France, en Angleterre, en Espagne et aux Pays-Bas. Abondant dans le même sens que Viennot et Cosandey, Wenegffelen conclut que l’évolution des mentalités françaises, qui débute bien avant l’instauration de la loi salique en France, contribue à la diffusion de discours patriarcaux et misogynes qui influencent les réticences des Français face à l’exercice du pouvoir féminin.

À l’instar de ces chercheurs, nous croyons que l’étude du pouvoir féminin en France ne peut se faire sans accorder une place à l’analyse du contexte de mise en place de la loi salique et des mentalités patriarcales qui en découlent. Sans avoir la prétention de refaire l’histoire de cette loi, nous utilisons plutôt les conclusions de ces auteurs pour comprendre comment une femme a pu occuper un rôle normalement dévolu aux hommes. En effet, bien que la loi salique empêche les femmes d’hériter du trône de France, certaines dispositions héritées de la coutume et de la législation française38 leur permettent tout de même d’occuper

37Éliane Viennot, « Les Politiques et la loi salique », dans Thierry Wanegffelen (dir.), De Michel de L'Hospital

à l'Édite de Nantes : politique et religion face aux Églises, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires de

Blaise-Pascal, 2002, p. 511-524, ainsi qu’ Éliane Viennot, « Les historiens du XVIe siècle, la loi salique et les reines de la dynastie mérovingienne », dans Marie Viallon-Schoneveld (dir.), L’Histoire et les historiens au

XVIe siècle : actes du VIIe colloque de Puy-en-Velay, Saint-Étienne, Publications de l'Université de

Saint-Etienne, 2001, p. 143-156, ainsi que Éliane Viennot « Échos de la propagande en faveur de la loi salique dans les textes favorables aux femmes des dernières décennies du XVIe siècle », dans Pascal Mounier et Colette Nativel (dir.), Copier et contrefaire à la Renaissance. Faux et usage de faux, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 89-104.

38L’ordonnance promulguée par Charles VI en 1407 leur permet de devenir régentes du royaume en cas d’absence, de minorité ou d’incapacité à gouverner telle que la folie. De cette façon, le pouvoir demeure entre les mains d’une personne qui, puisqu’elle ne peut avoir de prétention au trône, gouverne au nom du roi et non

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un rôle secondaire d’importance sur l’échiquier politique. C’est notamment le cas lors des périodes de régence.

Dans un article dédié à l’étude des régences comme manifestations du pouvoir féminin, Simone Bertière cherche à démontrer dans quelles mesures les femmes peuvent aspirer à un exercice partiel du pouvoir politique. Elle fait état de trois types de régences, soit d’absence, de minorité et de folie. Elle mentionne que chacune d’entre elles s’accompagne d’obligations pour la régente, dont celle de gouverner en collégialité avec le conseil établi à cette fin. Bertière démontre également que la plupart du temps, la régente fait davantage office de couverture officielle pour permettre à l’un des favoris du roi de régner en son absence que de véritable prise de pouvoir par une femme39. De son côté, dans un ouvrage

intitulé Perilous Performances : Gender and Regency in Early Modern France, Catherine Crawford soutient que les reines de France peuvent, en se servant des rapports complexes entre les genres, s’établir en tant que régentes au nom d’un homme. Elle ajoute qu’en tant que produit de la domination masculine, les régences féminines sont soumises aux mêmes représentations et pratiques que l’exercice du pouvoir politique masculin. À titre d’exemple, elle nomme le devoir d’octroyer ou de retirer certaines responsabilités à des membres de la cour40. Puis, dans un article sur les régences des reines mères, Cosandey replace les femmes

dans le contexte de la famille patriarcale d’Ancien Régime. Elle conclut qu’en plus d’être l’une des formes que prend l’exercice du pouvoir féminin « la régence est aussi le triomphe de la maternité »41 sur le pouvoir masculin. Le rapprochement entre le concept de famille et

d’État est également fait par Sarah Hanley dans son article Engendering the State : Family Formation and State Building in Early Modern France. Elle y démontre notamment comment les femmes ont pu détourner les coutumes et les lois à leur avantage afin de se placer au centre des structures du pouvoir politique. La régence, en tant qu’institution étatique, est donc perçue par l’auteur comme une structure fortement influencée par

en son propre nom. Cette ordonnance spécifie également l’obligation pour la régente d’œuvrer en collégialité avec les princes du sang et les conseillers du roi. Pour aller plus loin, Cosandey, La reine de France, p. 388-389.

39Bertière, « Régence et pouvoir féminin », p. 63-70.

40Catherine Crawford, Perilous Performances : Gender and Regency in Early Modern France. Cambridge M. A., Harvard University Press, 2004, 297 p.

41Cosandey, « Puissance maternelle et pouvoir politique. La régence des reines mères », Clio : Femmes, Genre,

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l’organisation familiale, puisqu’elle offre la possibilité, aux mères et parfois aux sœurs de rois, de contrôler en partie les affaires monarchiques42.

À l’instar de ces quatre auteures, nous croyons que les régences féminines représentent une possibilité pour les femmes d’aspirer à la gestion des affaires politiques du royaume et de se placer en opposition au pouvoir masculin prédominant. Les périodes de régence de Catherine de Médicis représentent d’ailleurs un excellent cadre d’analyse nous permettant d’étudier les deux premiers types de régences mentionnés par Bertière, soit celle d’absence et celle de minorité royale, parce que contrairement aux conclusions de Bertière, Catherine n’est pas soumise à l’obligation de travailler avec un Conseil de régence et détient par conséquent, les pleins pouvoirs. Nous utilisons également les conclusions apportées par Wanegffelen pour déterminer comment Catherine de Médicis a pu occuper le rôle de régente, malgré les fortes résistances de certains nobles protestants. Nous avons notamment recherché dans ces résistances les discours sous-jacents de la conception patriarcale de la cour et de la monarchie, voulant que la place des femmes soit à l’arrière de leur époux, dont elles sont sujettes. Les conclusions de Crawford représentent quant à elles la pierre angulaire de notre troisième chapitre. En effet, nous considérons que l’opposition de Catherine aux rapports de dominations entre les sexes se manifeste principalement par son utilisation de mécanismes tantôt spécifiques aux femmes, tantôt utilisés par tous les détenteurs du pouvoir politique.

Catherine de Médicis : une femme, une reine

Que ce soit sous forme de biographie ou d’essai historique, la vie de Catherine de Médicis a, depuis le début du vingtième siècle, suscité la curiosité d’un grand nombre de chercheurs, notamment par rapport à son implication dans l’organisation de la Saint-Barthélemy. Tel que nous l’avons spécifié plus tôt, nous n’avons pas la prétention de démentir ou d’appuyer les thèses des auteurs voulant que Catherine soit l’instigatrice du massacre d’août 1572. Nous nous sommes plutôt concentrée sur les études faites sur l’application des mécanismes du pouvoir politique par Catherine de Médicis, celles menées sur l’interaction entre sa vie et sa gestion du royaume et finalement, celles où les auteurs se sont intéressés à la réputation de la reine mère.

42Sarah Hanley, « Engendering the State : Family Formation and State Building in Early Modern France »,

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L’étude des mécanismes du pouvoir politique de Catherine de Médicis fait suite aux courants de recherches historiques brièvement énoncés dans la seconde partie du bilan. Nous retraçons ici diverses recherches consacrées à l’analyse des autres outils et méthodes employées par Catherine lors de ses périodes de régence et de gouvernance pour se placer au centre de l’échiquier politique.

Viennot dédie de nombreux articles et ouvrages à l’étude du pouvoir féminin en France notamment à Marguerite de Valois (1552-1615), Anne de France (1461-1522) et Catherine de Médicis. Elle y retrace les nombreux mécanismes qu’utilisent ces femmes pour mener à bien leurs affaires. Parmi ceux-ci, on retrouve la commande de livres d’histoire sur les femmes illustres de la royauté française et leur tendance à s’appuyer, à l’instar de leurs homologues masculins, sur un fidèle serviteur de leur réseau de clientèle43. Cette dernière

méthode est également avancée par Jean-Pierre Poirier, dans sa biographie sur Catherine de Médicis où il stipule qu’elle est pleinement consciente du « jeu complexe des influences » qu’entretiennent les clans nobiliaires et mentionne qu’elle l’utilise à bon escient44. De son

côté Thierry Wanegffelen démontre qu’en se servant de sa place en tant que reine de France et des mentalités qui la relèguent au rôle de génitrice royale, Catherine de Médicis passe du rôle d’« objet de pouvoir », à celui de « femme au pouvoir »45. Se servant tous de la

correspondance de Catherine de Médicis et des Mémoires des nobles des Guerres de religion, les auteurs retracent, chacun à leur tour, le parcours de cette reine de France. La méthode comparative préconisée par Viennot est également utilisée par Catherine Crawford46,

Kathleen Wellman47 et Mark Strange48 qui étudient les mécanismes du pouvoir féminin

d’Agnès Sorel à Gabrielle d’Estrée, en passant par Anne de Bretagne, Louise de Savoie et,

43Éliane Viennot, « Anne de France (1461-1522), dame de Beaujeu, duchesse de Bourbon, régente de France : un cas école pour la recherche sur les femmes et le pouvoir », Cahiers du CELEC, vol. 3, (2012), p. 12, ainsi queÉliane Viennot, « La transmission du savoir-faire politique entre femmes, d’Anne de France à Marguerite de Valois », dans Marie Roig Miranda (dir.), La transmission du savoir dans l’Europe des XVIe et XVIIe

siècles, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 87-98.

44La société de Cour française était régie par des réseaux de fidélité et de clientèle qui permettaient aux uns et aux autres, grâce à la conclusion d’alliances matrimoniales et à l’obtention de charges politiques, d’asseoir leur influence sur les réseaux de leurs confrères nobles. Voir, Ibid., p. 11-12, ainsi que Jean-Pierre Poirier,

Catherine de Médicis, épouse d’Henri II, Paris, Pygmalion, 2009, 452 p.

45Thierry Wanegffelen, Catherine de Médicis : Le pouvoir au féminin, Paris, Payot, 2005, 444 p. 46Crawford, Perilous Performances, 297 p.

47Kathleen Wellman, Queens and Mistresses of Renaissance France, London, Yale University Press, 2013, 433 p.

48Mark Strage, Women of Power : the Life and the Times of Catherine de Medici, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1976, 368 p.

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bien sûr, Catherine de Médicis. Il en ressort que malgré leurs différentes positions au sein de la société de cour, que ce soit comme favorite, mère ou femme d’un roi, c’est leur lien de proximité avec un homme souverain qui leur confère leur légitimité, leur influence et leur pouvoir.

Étudier les mécanismes du pouvoir politique employés par Catherine de Médicis nous permet notamment d’observer qu’elle ne dispose pas du même type d’autorité que ses fils ou leurs prédécesseurs masculins. On voit qu’elle doit constamment transiter entre la mise de l’avant de sa personne et son effacement temporaire de l’avant de la scène. Néanmoins, l’analyse des mécanismes du pouvoir politique ayant déjà été utilisée pour démontrer l’implication en politique de Catherine de Médicis, nous démontrons plutôt comment l’utilisation de ces méthodes et de ces outils, à des moments particuliers de sa vie, est influencée par les perceptions de ses contemporains de ses périodes de régence et de gouvernance. Pour ce faire, nous avons d’abord relevé les perceptions qu’ont certains individus de son ingérence dans la politique du royaume. Par la suite, nous retraçons les divers procédés et outils utilisés, tels que son implication en tant que mécène à la cour de France, la recherche d’appuis masculins ou encore les nombreuses publications sur l’histoire des anciennes reines de France qu’elle aurait commanditées. La dernière étape consiste finalement en la juxtaposition de ces perceptions et mécanismes pour déterminer l’influence des premières sur les seconds.

La seconde branche de chercheurs qui s’intéressent à Catherine de Médicis a produit des ouvrages sur sa vie, ses sentiments et ses pensées, afin de déterminer leurs influences sur ses décisions politiques. Denis Crouzet49 et Ivan Cloulas50 analysent les décisions politiques

et les raisons personnelles qui poussent Catherine de Médicis à entreprendre une politique de concorde civile. Ils retracent dans leur biographie la vie d’une reine et d’une conciliatrice dévouée au royaume de France et à ses enfants. Ce schéma d’analyse est également repris par Jean-François Solnon51 dans sa biographie de la reine mère. Il y retrace les différentes

étapes de sa vie, de son arrivée à la cour de France, jusqu’à son décès en 1589 et tente de la

49Denis Crouzet, Le haut cœur de Catherine de Médicis : une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy, Paris, A. Michel, 2005, 636 p.

50Ivan Cloulas, Catherine de Médicis : le destin d’une reine, Paris, Tallandier, 2007, 159 p. 51Jean-François Solnon, Catherine de Médicis, Paris, Perrin, 2003, 442 p.

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réhabiliter auprès de l’opinion des lecteurs d’aujourd’hui. Selon lui, c’est au bilan de ces dizaines d’années de conflits civils qu’il faut imputer la mauvaise réputation de la reine mère, stipulant que les Guerres de religion et les dissidences politiques, sociales, religieuses et économiques qui en découlent ont contribué à miner sa réputation, alors qu’elle a toujours recherché à instaurer la concorde entre les Français. Il ajoute néanmoins qu’elle était pleinement consciente de ces scissions et que c’est pour cette raison qu’elle a voué sa vie à instaurer la paix.

À l’instar des conclusions amenées par Crouzet, Solnon et Cloulas, nous étudions la politique de paix prônée tout au long de la présence de Catherine au pouvoir. Nous croyons que ces politiques et décisions destinées à promouvoir la paix et la concorde dans le royaume de France doivent être considérées comme un mécanisme du pouvoir politique féminin à part entière. Afin de le prouver, nous analysons sa correspondance et le Grand Tour de France afin de les positionner en tant que mécanismes du pouvoir politique qui lui permettent de promouvoir sa politique de concorde. Puis, nous retraçons les raisons qui poussent Catherine à vouloir à tout prix la paix pour le royaume de France. On voit ainsi que loin de n’être qu’un reflet de ses pensées humanistes, il s’agit d’un outil qui lui permet d’assurer la pérennité du royaume de ses enfants et d’affronter ses détracteurs politiques qui la voient comme une Florentine prête à tout pour réduire le royaume à néant.

Tout comme nous, plusieurs auteurs se sont intéressés aux représentations sociales du pouvoir politique de cette femme. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment le biographe Jean Orieux52 et l’historienne Una Mcllvena53. Avec son ouvrage paru en 1998, Orieux fait partie

de cette vague d’écrivains qui tentent, depuis le début des années 1970, de redorer le blason de Catherine de Médicis. Son œuvre monumentale nous permet de voyager dans la vie de la reine mère, au travers des épreuves, en compagnie de ses détracteurs qui tentent de la diaboliser. De ses conclusions, on retient principalement l’influence des dissensions religieuses, politiques et sociales entre protestants et catholiques sur leurs perceptions de la reine mère. Ses contemporains catholiques la détestent parce qu’ils la considèrent comme trop prévenante envers ceux qu’ils qualifient d’hérétiques et les protestants n’apprécient pas

52Jean Orieux, Catherine de Médicis ou La reine noire, Flammarion, Paris, 1998, 826 p.

53Una Mcllvenna, Scandal and Reputation at the court of Catherine de Medici, Londres, Routledge, 2016, 224 p.

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la régente parce qu’elle est catholique. L’auteur mentionne d’ailleurs que même après sa mort, des récriminations envers sa personne et ses politiques continuent d’être publiées et distribuées à Paris54. De son côté, Mcllvena nous offre, dans sa très récente recherche, les

prémices de notre propre questionnement. Elle démarre ses réflexions avec des sonnets tirés des manuscrits de Pierre de l’Estoile et empruntés à des écrivains protestants qui souhaitent que Catherine ne bénéficie pas d’autant de latitude au sein du gouvernement. Contrairement à Orieux qui s’intéresse principalement aux accusations concernant la religion et ses politiques, Mcllvena analyse les allégations qui portent sur les mœurs de la cour de Catherine. Elle conclut que les récriminations sont d’ordre beaucoup plus divers qu’on pourrait le croire aux premiers abords et que ses opposants ont usé d’imagination pour confronter cette femme de pouvoir.

Corpus

Suivant les réflexions d’Orieux et de Mcllvena, nous nous intéressons dans cette étude aux représentations sociales de son pouvoir politique en analysant les perceptions véhiculées par ses opposants. Pour ce faire, nous utilisons des journaux, des Mémoires et des pamphlets politiques qui nous permettent de constater l’organisation des argumentaires contre Catherine, mais également leurs diversités. Nous voyons ainsi que, loin d’être inspirées uniquement des représentations sociales du rôle et de la place des femmes dans la société d’Ancien Régime, les perceptions négatives proviennent aussi des discours xénophobes, des discours contre la dépravation de sa cour, ainsi que des oppositions politiques et religieuses.

Des « Mémoires », un journal et leurs auteurs

Tel que mentionné par Fédéric Briot l’utilisation du terme « Mémoires » pour qualifier ce type de source pose, dans l’historiographie récente, divers problèmes de définition. D’abord, parce qu’il s’agit d’un genre d’écriture très précis qui, en se rapprochant du journal, ne présente pas les mêmes caractéristiques. À l’époque des Guerres de religion, les Mémoires sont rédigés après la conclusion des événements mentionnés dans le récit et sont le témoignage des difficultés éprouvées par la noblesse pour se définir par rapport à un pouvoir monarchique qui contrôle de plus en plus le pouvoir politique. De plus, ces textes

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sont majoritairement destinés aux enfants des écrivains et sont utilisés pour justifier leurs entreprises passées et mettre en garde leur progéniture contre les conséquences éventuelles d’une mésentente avec le souverain55. De leur côté, les journaux représentent plutôt une

forme d’écriture systématique et journalière, entreprise par des bourgeois et dont les auteurs se plaisent autant à rapporter des éléments du déroulement de la vie quotidienne, que des opinions sur les grands et petits personnages politiques. D’ailleurs, bien que les journaux ne soient pas rédigés, tout comme les Mémoires, à des fins de publication, ils ne sont pas destinés à un lecteur en particulier et semblent plutôt être légués à la postérité ou écrits à des fins personnelles56. En fait, seule la subjectivité des faits rapportés par les écrivains ne fait pas

l’objet d’un débat au sein de la communauté historienne57. Il va sans dire que dans le cadre

d’une recherche axée sur l’analyse d’un événement en particulier, l’emploi de ces sources nécessiterait une analyse critique et systématique de chaque affirmation. Cependant, puisque nous souhaitons analyser des perceptions, nous recherchons précisément ce caractère hautement subjectif du récit des événements. Les Mémoires et les journaux représentent donc une source d’information précieuse pour les chercheurs qui tentent de comprendre et qualifier les opinions, sur les personnages politiques d’une époque donnée, présentes dans la population.

À l’aide des recherches de Bruno Tolaïni, nous avons retenu pour notre étude les écrits de cinq contemporains des événements, soit, Henry de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (1555-1623), Pierre Bourdeille, dit Brantôme (1540-1614), Blaise de Monluc (1502-1577), Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy (1543-1617), ainsi que d’un

55Plusieurs mémorialistes écrivent notamment lors de leur exil, en prison après leur arrestation ou encore, confortablement installés dans leur retraite campagnarde. Voir Nadine Kuperty-Tsur, Se dire à la

Renaissance : les mémoires au XVIe siècle, Paris, J. Vrin, 1997, p. 10, ainsi que Bruno Tolaïni, « Mémoires

et mémorialistes des Guerres de religion », OpenEdition, 2012, http://memoires16.hypotheses.org/, consulté le 20 janvier 2015.

56Madeleine Lazard mentionne notamment que l’écriture d’un journal provient d’une « mentalité, typique de la moyenne intellectuelle et morale du milieu [bourgeois] où ils vivent, qui en reflète les préjugés et les passions […] ». Voir Madeleine Lazard, « Les bourgeois juges de la cour », dans Noemi Hepp (dir.), La cour au miroir

des mémorialistes 1530-1682, Paris, Klinckieck, 1991, p. 44-47.

57Frédéric Briot démontre qu’une logique autobiographique est également perceptible dans les Mémoires. De son côté, Nadine Kuperty-Tsur parle des Mémoires comme d’une écriture à mi-chemin entre le discours personnel autobiographique et subjectif et un discours sur des évènements historiques et objectifs. Pour de plus amples informations à ce sujet, voir Frédéric Briot, Usage du monde, usage de soi : enquête sur les

mémorialistes d’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 28, ainsi que Kuperty-Tsur, Se dire à la Renaissance, p. 10-12.

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bourgeois tenant un journal, soit Pierre de l’Estoile (1546-1611)58. Ce choix a été fait selon

plusieurs variables. Nous avons d’abord sélectionné les écrivains en fonction de leur confession religieuse, soit un protestant, le duc de Bouillon, et quatre catholiques. D’ailleurs, bien que Pierre de l’Estoile soit de confession catholique, il faut noter qu’une grande partie de son journal est composée de libelles protestants contre Catherine de Médicis, qu’il a pris soin de retranscrire. Sachant cela, nous avons pu déterminer si les différences confessionnelles, entre les écrivains protestants et Catherine de Médicis, seraient l’une des influences des perceptions négatives véhiculées à son encontre. Puis, nous avons analysé le parcours à la cour de France de Brantôme, Monluc, Villeroy et du duc de Bouillon, afin de déterminer si leur présence dans l’un des réseaux de clientèle des membres de la famille royale ou de leur opposant influence leurs actions littéraires et politiques.

Puisque diverses versions et éditions des Mémoires et du journal existent, nous avons choisi d’utiliser, lorsque possible, les manuscrites. Ce choix a été fait en suivant les recommandations de Nadine Kuperty-Stur, selon laquelle les grandes collections de Mémoires éditées au dix-neuvième siècle manquent de rigueur59. Elle mentionne notamment

que les auteurs des grandes collections ont effectué des retranchements et des modifications de certains passages, puisqu’ils ne correspondaient pas à leur vision de l’histoire du seizième siècle, altérant ainsi les propos des auteurs60. À titre d’exemple, elle déplore l’occultation

complète des préfaces des Mémoires, mentionnant qu’il s’agit pourtant d’une source d’informations extrêmement riche pour les chercheurs qui s’intéressent aux raisons qui ont poussé les mémorialistes à écrire ces récits61. Par conséquent, afin de nous assurer d’utiliser

les versions originales, dans la mesure du possible, nous avons choisi d’analyser les versions manuscrites des Mémoires et du journal de Pierre de l’Estoile62. Néanmoins, lorsque celles-ci

58Tolaïni, « Mémoires et mémorialistes ».

59On parle ici des collections de Petitot et Monmerqué (1819-1829) et de Michaud et Poujoulat (1836-1839). 60Kuperty-Tsur, Se dire à la Renaissance, p. 15.

61Ibid.

62Les versions manuscrites de ces Mémoires se trouvent toutes à la Bibliothèque nationale de France, au Département des manuscrits : BnF, Ms., Fr. 5767 pour ceux d’Henry de La Tour d’Auvergne, Duc de Bouillon, BnF, Ms., Fr. Nouv. Acq. 20 474 pour ceux de Pierre Bourdeille, dit de Brantôme, BnF, Ms., Fr. 17 464, pour ceux de Nicolas de Neuville, seigneur de Villeroy et BnF, Ms., Fr. 6678 pour ceux de Pierre de l’Estoile.

Références

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