HAL Id: hal-02282244
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alimentaires ?
D. Vermersch, . Eursafe,european Society For Agricultural European Society
For Agricultural And Food Ethics,utrecht (nld)
To cite this version:
D. Vermersch, . Eursafe,european Society For Agricultural European Society For Agricultural And Food Ethics,utrecht (nld). Quels enjeux éthiques aux politiques agricoles et alimentaires ?. 4. EurSafe Congress, Mar 2003, Toulouse, France. 10 p. �hal-02282244�
I
4th
Congress
of
the
european society
for agricultural
and food
ethics
Toulouse
France
March
20
ZZ,
2003
Quels eqieux
éthiques
aux
politiques
agricoles et
alimentaires
?Opening Session
Dominique
Vermerschl
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,":::ffi:;*ffo,m--d#o?*ïSË'"."
--'on'o30t
E N SA
Es
R R E N D V 7I
I
rNne and ENSAR Rennes, France dominique.vermersch@agrorennes.educagri.fr Je remercie trèsvivement Linda Fulponi et Piene Le Neindre pour avoir assuré la traduction anglaise de ce texte.
oocuNrttilttot't Écoil0ttl[ ruMLE REl,lt'tEs
I
illlil
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llll
1.
INrnooucrroN
L'agriculture, I'alimentation
et l'environnement cristallisent une part importante du questionnement éthique contemporain. Les possibilités biotechnologiques inéditeset
leurapplicabilité
à
I'homme,
la
sécurité sanitairedes aliments,
la
gestion conflictuelle
desnuisances environnementales, mais également la mondialisation des échanges économiques cornme la quête d'une souveraineté alimentaire pour de nombreux pays, tout cela renvoie à
des interrogations face auxquelles
le
discernement éthique ne s'impose pas d'emblée :ni
àl'intuition,
ni
aux
grandestraditions
philosophiqueset
religieuses.
Dans
un
universfortement
concurrentiel,
la
seule
validation
scientifique
voire I'intérêt
économique sesubstituent
alors
à la
légitimation
éthique. L'espacedes
possiblesouvert
par
le
savoirscientifique tend à restreindre I'agir humain en un pouvoir technique sur la nature, délaissant
par
là
même
la
nécessaireorientation éthique
de nos
actions. C'est
en
ce
sens queI'amplification
des préoccupations éthiques constitue uneforme
de réactionà
I'ambiguïté contemporaine du rapport entre savoir et pouvoir humains.Nous
nous intéressonsici
plus
précisémentà la
dimension éthique des politiquesagricoles et alimentaires.
A
cettefin,
il
convient dans un premier temps de distinguer ce qui est deI'ordre
éthiqueet
cequi
est deI'ordre politique. En effet,
il
apparaît une erreur deperspective à supposer ex ante une sorte de synergie naturelle entre éthique et politique. On
ne peut
biffer
d'un coup de
baguette magiqueune
rivalité
pluriséculaire entreimpératif
éthique et agir politique. I1 apparaît une légitime suspicion à
vouloir
les marier à toutprix,
aur"guid
notamment des enjeux économiques sous-jacents. Dansun
deuxième temps, nouspréciserons
les
enjeux
éthiques actuels propresà
I'agriculture
et
à
I'alimentation.
Nous analyserons ensuite comment ces enjeux sont portés etl ou réfutés par une économie agricole et agro-alimentaire de plus en plus mondialisée.2.
Ernreun
ETPoLITIeuE
: uNE coHABITATIoN coNFLICTUELLEZAu-delà peut-être des apparences, le recul de
I'histoire
témoigne quel'éthique
et lapolitique
entretiennent des rapports conflictuels.A
ce propos, Brugues (2001) emploie uneimage
suggestiveet
mythique, celle
qui définit
l'éthique
et
la
politique
comme
< deuxjumelles
issues d'un mêmeæuf
celui dela
destinée humaine, et nées du mariage du bien etde
la
nécesstté>. La
tension esten
fait
présente dèsI'origine où,
commepour tous
lesjumeaux, se pose
la
question dudroit
d'aînesse :l'éthique
ou la politique ? La première (et peut-être I'aînée) viendraitplutôt
du côté du père, toujours en quêted'un
signe duciel
qui convaincrait les hommes de s'engager sur la voie du bien ; ce bien qui ne serait endéfinitive
que
I'imitation
du
ciel
lui-même,c'est à dire
selon lescas:
Dieu,
la
nature,le
cosmos...L'éthique
serait alorsla
science du bien agir.Fille
de sa mère,la
nécessité,la politique
seJ
veut
plutôt
garder les pieds sur terre, se présentant alors commela
ménagère dela
Cité,
pragmatique et garante du vivre-ensemble.Loin
de défier leslois
de la génétique, nos deux sæursjumelles
tiennenten
fait
de
leurs deux
parents!
Ainsi, l'éthique part de
ce
qui s'observeen
pratique:
les
coutumeset
les
mæurs;
raisonpour
laquelle
elle
est encore appelée science dela
morale.D'un
autre côté,la politique
se prend aussi régulièrement àrêver
d'un
mondemeilleur...
pour
le
meilleur mais
aussi malheureusementpour
le
pirecomme nous l'enseigne
l'histoire
de l'humanité.Sæurs jumelles, l'éthique et la
politique
se partagent un même héritagefamilial
quiest I'agir des hommes. Passé le sevrage, survint I'adolescence où chacune se
mit
en quête denouvelles copines. La première se
fit
longuement et naturellement complice de lareligion
;puis,
avec
Kant,
elle choisit
son
autonomieen ne
s'appuyantque sur
elle-même. Lapolitique,
quant à elle,flirta
longtemps avec la philosophie et le monde des idées pures. Mais comme sa sæur l'éthique, elle décida rapidement de ne s'entenir
qu'à elle-même, s'estimantsuffisamment nourrie d'idéologies
qui
ne I'affermirent pas forcément dans I'exercice de laprudence.
Ainsi, voilà
nos deux sæurs, jeunes adultes livrées de nouveau à elles-mêmes, etplus que jamais rivales pour gérer I'espace étroit de I'agir humain.
Comme sæurs jumelles, affairées à orienter cet agir humain, éthique et politique vont entretenir une
rivalité
mimétique et source parfois des pires violences. Nous appliquonsici
I'analyse girardienne(Girard,
1972) concernant la violence mimétique de nos sociétés. PourGirard en effet, la nature mimétique des désirs humains engendre leur
rivalité
qui elle-même génèreun
cycle de
violencedont
le
paroxysme débouchesur une
unanimité contre unevictime
unique et non pertinente : c'estle
bouc émissaire dontl'exclusion
oul'élimination
réconcilie, pour un
temps,la
communauté humaine.Un tel
processus se retrouve dans la violence collective relatée dans de très nombreux mythes etrites... tel
celui qui consistait à sacrifier à la naissance I'un des (ou les) enfants jumeaux, justement poureffayer
à la base lecycle de
rivalité
mimétique.Comme le décrit finement Brugues (2001), l'éthique et la
politique
au cours des deuxsiècles
écoulés
vont
entretenir
une rivalité
mimétique
et
mortifère
où
chacune vasuccessivement
singer I'autre.
La
politique
tout
d'abord
qui,
avec
la
naissancede
la République moderne, va ériger en devise ce qui pouvait apparaître au premier abord commeun
hommageà
sa sæur l'éthique:
liberté,
égalité,fraternité. Mais
I'hommage s'est révélérapidement sous son vrai
jour,
à savoir une mise en congé voire une dénégation radicale del'éthique.
Avec
I'avènement des révolutions bourgeoises en Europe,la politique
occupa eneffet
tous les ressorts de I'agir humain, au nom même dela
"nécessité". C'est ainsi que laliberté
fut
traduite en libertés publiques, réglementéespff
un
Etat parfois peu soucieux deliberté... donc de
morale.
Ou
encore, sous prétextede
faire
régner l'égalité entre
lesindividus,
c'estla
loi
d'airain du marchéqui
laisséeà
elle-même conduisittrop
souvent à faire régner laloi
du plusfort.
Quant à la fraternité, les conflits guerriers du siècle passé ont témoigné dela difficulté
de I'exercice dèslors
que I'ona voulu
ériger une fraternité sans père...De
fait
et
jusqu'au début
des
annéessoixante-dix,
l'éthique avait
perdu
touteconsidération sociale. Préparant patiemment sa revanche, elle singea à son
tour
le politiqueen
substituant progressivement autriptyque "liberté,
égalité,fraternité" un
autre triptyque, éminemmentpolitique celui-là
:
"démocratie, responsabilité,droits
de I'homme". Cefut
ensoutenant
I'aspiration
démocratiqueà
son
achèvementuniversel, l'éthique contribuait
à montrer qu'à cette apparentefin del'histoire3
n'ont succédé qu'un vaste désenchantement etun
surcroît de
violence internationale...
à
faire
désespérerla
politique
elle-même. La responsabilité,via
notammentle principe
éthique du mêmenom
formulé par Hans Jonas,prit
une dimension démesurée dans I'espace et dansle
temps, anesthésiant du même coupI'agir politique.
Quant auxDroits
de I'homme, l'éthique enfit
non pas un principe mais unpréalable
politique
qui .oîditiortte-rr;o*d'hui
I'aide financière
comme
les
échangescommerciaux. Certes,
il
ne s'agit évidemment pas de réfuterla
démocratie, la responsabilitéou
encore
les droits de
I'homme,
mais de
dénoncerune
récupérationidéologique
quiconduirait
àcroire
que "Tout est éthique" à I'instar du slogan parisien demai
68
"Tout estpolitique"
(Brugues200I,
p.
D\.
Cette confusion desgeffes ne
fait
que
:
décrédibiliserI'action et I'engagement politiques ; de même qu'accroître consécutivement I'absentionnisme
et
laisser
le
champ
libre aux
extrêmismes,comme
en
témoignent
les
récents srutinspolitiques
européens. L'engagementpolitique
ne pourrajamais
se réduire au respect d'une charte éthique.Ce détour historique nous
invite
à bien distinguer éthique etpolitique afin
de mieuxles
arliculer.
Bon gré, mal gré, nos deux sæurs jumelles sont amenées à faire alliance. Cefut
I'un
des soucis majeursde
I'ceuvrede
John Rawlsqui
nous
a
quittés récemment4;
sonprincipal
message étantde
nous
dire
qu'on
ne
peut
sépareragir politique et
principeséthiques. Voyons-en maintenant une
illustration
dansla
sphère agricoleet
alimentaire qui nous préoccupe.3.
La
euBsrroN
ETHIOUE DANS L'AGRTcULTURE ET L'ALTMENTATIONAfin
d'encourager un débat international, et en vue d'approfondir la connaissance desgrandes questions éthiques liées à I'agriculture et à I'alimentation, la
FAO
a lancé récemmentune
collection
d'ouvrages sur ce sujet.Le
premier dela collection (FAO,
2001) recense et analyse les valeurs ou plutôt les fins éthiques qui constituent enfait
le cæur de la vocation deI'institution
des Nations Unies : I'autosuffisance alimentaire, I'amélioration du bien-être despopulations et de la santé publique, la préservation des ressources naturelles et I'intégrité de
la nature.
En
soi, chacune de ces valeurs n'est pas nouvelle mais elles subissent aujourd'huiet simultanément des bouleversements nouveaux voire inédits et dont les effets sur les fins
éthiques sont largement ambivalents. Des bouleversements inédits
Parmi
ceux-ci
demeuretout
d'abord I'accroissementde
la
population
qui
devraitatteindre
9 milliards
en 2050bien
quela
plupart des pays soient entrés dansla
phase de3 S"lon I'expression de I'américain Fukuyama
suite à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989
5
transition démographique (baisse du taux de fécondité). Plus que cet accroissement, ce sont les mouvements migratoires souvent contraints
(le
monde compterabientôt plus
d'urbainsque
de ruraux)
qui
sont
inquiétants: ils
occasionnent des pressions différenciées sur les ressourcesnaturelles (sols,
eaux,forêts,
ressources génétiques...) hypothéquant parfois gravementle
développement durable de I'agriculture, tant auNord
qu'au Sud de la planète.Au
banc des
accusés,un
autre bouleversement totalementinédit
:
I'industrialisation
deI'agriculture. Celle-ci a certes permis d'accroître considérablement les approvisionnements et de diminuer les
prix
agricoles à la production via notamment la libéralisation de marchés deplus
enplus
vastes. L'industrialisationprivilégie
les économies d'échelle au détriment deséconomies
de
gamme (economiesof
scope), ces dernières étantliées
à
I'association desproductions et fréquemment co-productrices d'externalités environnementales positives.
Il
en a résulté une spécialisation productive souventjointe
à des externalités environnementales négatives et une dépendance accrue du secteur agricole tant vis à vis de I'amont que de I'aval, au détriment de I'utilisation du facteur travail. Cette industrialisation rend en outredifficile
la co-existencede
modes de productionet
d'alimentationplus
traditionnelsmais
aussi plusmarqués
culturellement.
Elle a
accruenfin
la
concentrationfoncière
et
des moyens deproduction, ce
qui
peut nuire à terme à I'efficacité économique (Hayami et Ruttan, 1985)5.L'industrialisation
de I'agriculture s'est doublée d'uneartificialisation
opéréeà
l'échelle dumilieu
naturel. D'une
certaine manière,
c'est
désormaisla
nature
elle-même
qui
estartificialisée, devenant alors selon les termes de Roqueplo (1997) une "Technonature" dont
il
nous faut assurer désormais la maintenance. Cet autre bouleversement
inédit
s'illustre à titred'exemple
par
la
nécessité d'unebiovigilance,
dispositif de
surveillancebiologique
descultures de végétaux issus d'Organismes Génétiquement Modifiés
(OGM)
qui sont mis sur le marché.L'ethos
agricole malmenëCes divers
bouleversementsont
contribué
largementà
donner une
dimensioninternationale aux enjeux éthiques
liés
à I'agriculture et à I'alimentation.Ils
ont
égalementprofondément déstabilisé ce que nous pourrions appeler "l'ethos
agricole"
traditionnel, c'est à dire l'ensemble des habitudes morales et des normesqui
structuraient,jusqu'il y
a peu detemps encore, nos sociétés rurales européennes. Cet ethos a été façonné au cours des siècles, par l'entremise notamment d'une connivence multiséculaire avec la nature elle-même. L'élan productiviste agricole
initié
àla fin
des années cinquantefut
d'ailleurs porté par ce mêmeethos,
plus
précisémentpar
une authentique < charité sociale> :
la
formation d'une
éliteprofessionnelle se devait d'honorer le service du prochain ; I'autosuffisance alimentaire était
d'intérêt
national
et
se
devait
de
répondre efficacementà la
question mondiale
de
lamalnutrition. Néanmoins,
cette
caution morale
du
productivisme
agricole
s'est5
"La logique économique, combinéeà
l'histoire économique de l'après-guerre, produisit uneremarquable unitë doctrinale concernqnt
l'ffit
suivant:
un secteur agricole au sein duquel prédomine un système d'agriculteurs propriétaires, conduità
une allocation des ressources plus fficace et produit uneprogressivement
vidée de son
sens,à la
mesuresurtout
de
la
montée des
nuisances environnementales et d'une incapacité à contenir le coût social de la modernisation agricole. Dans le môme temps, l'agriculture sevoit
sollicitée pour la fourniture de biens à connotationéthique
voire
esthétique;
les demandes dites < nouvelles > des consommateurs en appelantparfois de
manièreparfois
nostalgiqueà
l'éthos originel de
I'agriculture,
au
mythique <jardin
d'Eden > dont elle serait issue : nostalgie des goûts alimentaires d'antan, du marchédu village et
des échanges marchandsde
proximité...
Nostalgie
éthiqueen définitive:
l'homme
en effet continue à pressentir que la nature dans son intégritélui
est donnée comme instance morale, c'est à dire à même de pouvoir éclairer sans I'entraver son agir personnel et social.Une no s talg ie co ntes tatair e
L'autre
versant de cette nostalgie estla
contestation;
celle
de l'industrialisation àgrande échelle
de
I'agriculture
qui
hypothèquele
devenir
de
I'agriculture
paysanne ;contestation de la consommation alimentaire de masse, de la désertification des campagnes
et d'une mondialisation incontrôlée. De bouc émissaire retardant une salutaire libéralisation des échanges,
voilà
désormais quel'agriculture
paysanne,celle
desterroirs
(terroirs despays développés, entendons-nous
bien...)
et de la multifonctionnalité revendiquée, celle quiprétend
cultiver
et garder I'environnement,voilà
que celle-ci s'érige en"clôture"
et fedèreles
résistances culturellesà
la
tutelle
seigneuriale dela
globalisation des marchés. Cettejacquerie post
moderne, présente dansles
mouvements anti-mondialisation, emprunte àI'occasion
des
arguments
à
des
travaux
académiquesqui
proposent
le
maintiend'agricultures plurielles à l'échelle de la planète comme objectif d'une
politique
globale deréorganisation des échanges agricoles internationaux (Mazoyer et Roudart,1997).
En
arrière-plan de cette contestation, nous devinonsbien
le jugement ambivalentporté à l'économie : d'un côté, la
loi
du marché est diabolisée ; de I'autre part, elle n'est endéfinitive
que la dynamique d'un consensus social entre producteurs et consommateurs. La nouvelle militance plurielle entre paysans, consommateurs et écologistes contribue en fait àl'évolution
de ce consensus, sous I'expression par exemple de nouvelles formes d'échangesmarchands, réputés plus équitables
(cf
commerce équitable). Ceci nous conduit à aborder lanécessaire et à la fois
difficile
articulation de l'éthique et de l'économie.4.
ENrnp
ETHIOUE ETpor,rrrouE
: LA MEDTATToN DE L'ECoNoMrEReprenons I'image des deux sæurs jumelles que seraient l'éthique et la politique. Las des querelles de leurs aînées, les parents
(le
bienet la
nécessité) décidèrent d'un troisièmeenfant, d'une
petite
sæur cadettequi
serait...
l'économie. Destinée égalementà
influencerI'agir
des
hommes, sæur économieallait
s'avérer rapidement surdouée,d'une
efficacité étonnanteet
redoutable auxyeux
de ses sæurs aînées médusées, prêtesà
céder à tous lescaprices de leur petite sæur. Sûre d'elle-même, l'économie
invita
l'éthiqueet la
politique à7
" tout est économique"6 .
..
Pour preuve de ce caractère universel de I'impératif économique :la
mondialisation
et la
financiarisation accélérées des échanges, auxquellesrien ne
doit
échapper, pas même I'agriculture et I'alimentation.
Univers alisme économique, univers alisme éthique
Certes et à court terme, la
politique
peut se laisser museler par l'économie. Tel est le cas, par exemple, d'une concurrence économiquequi
suggère son propre cadrejuridique
enI'assimilant
aux
lois
positivesdu
marché;
c'est d'ailleurs
le
principal
reproche adressé àI'OMC
par
les mouvements anti-mondialisation. L'éthique, quantà elle,
se laissera moinsfacilement leurrer par l'économie. Entre ces deux impératifs que
l'homme
se donne àlui-même,
il
apparût en effet une
tension historique
du
fait
que l'éthique
et
l'économieprétendent tous deux à I'universalisme et à la normativité. En amont, la prétention normative de la science économique devient envahissante et tente de fonder théoriquement I'autonomie
observable
de
I'ordre
économique.L'impératif
éthique, dans
sa
prétention
d'ordre,
aégalement une visée universelle mais
il
ne peuty
prétendre d'emblée. La conscience morale nécessiteen effet
des médiationsqui
lui
permettent d'exister dans une éthique incamée, appelée à prendre progressivement une épaisseur universelle (Ladrière 1997, p.222).L'ordre
économiquepeut
constituer unede
ces médiations.En effet,
l'universalisme économiquefranchit actuellement une nouvelle étape de maturité, marquée par l'émergence croissante du phénomène de
la
mondialisation.Mais
cet universalisme est comme myope ou inconscientpar rapport à son propre sens et sa
finalité.
L'on
pressent bien queI'efficacité
économiqueest
appelée
à
servir
au-delà d'elle-même;
mais
I'autonomie
revendiquéedu
systèmeéconomique empêche
d'y
inscrire d'autresfinalités qui
seraient dictées par une conscienceéthique universelle.
Il
apparaît donc comme un passage àla
conscience de I'universalisme économiquequi
est fournie selon Ladrière par une
autremédiation,
celle justement dupolitique. Faire
se reconnaître mutuellement universalisme économiqueet
universalisme éthique devrait êtreI'objet
et la noblesse de la politique et ceci s'adresse en premier lieu auxpolitiques agricoles et alimentaires.
Maîtriser
la mondialisation
des échanges agricoles et alimentairesLa
libéralisation
progressive
des
échangesagricoles
et
alimentaires
se
fondeclassiquement
sur
la
théorie
économique
des
avantagescomparatifs, I'ouverture
desfrontières étant source de croissance du revenu pour chacun des partenaires de cet échange.
Cette
recommandationpeut
certes s'accommoderde
situations
de
rendements d'échelle croissants ou de concuffence imparfaite mais, cofilme le soulignent Mahé et Marette (2002),les
effetsde répartition,
lafragilité
despays
les plus pouvresou
lepouvoir
excessif des6 Pour illustration, cette citation de Coase
:
"The kind of situation which economists are prone to consider as requiring corrective Government action is, in fact, often the result of Government action. " (Coasemultinqtionales peuvent
limiter
les gains de l'ouverture oux échanges. L'analyse historiquede Bairoch montre même que
la
libéralisationdu
commerce n'a pas été forcément un bien selon les étapes de développement d'un pays.Il
n'empêche, I'utilitarisme demeure la doctrined'éthique
économique
de
référence
pour
asseoir I'option
de
libéralisation,
celle-ci apparaissant davantage parfois comme unefin
en soiplutôt
qu'un moyen.Or
I'utilitarisme,comme morale de I'efficacité, comporte toujours une dimension sacrificielle.
Le
lancement
fastidieux
du
nouveau
cycle
de
négociations
commercialesmultilatérales sous l'égide
de I'OMC
illustre
néanmoinsla
complexité
de
la
situation. Concernant la formalisation des positions, la théorie ricardienne des avantages comparatifs alaissé depuis bien longtemps la place à la théorie des
jeux
(game theory), à la constitution de coalitions transitoires autour notamment des deux grands meneurs dujeu
que sont LesEtats-Unis
etI'Union
européenne. Les pays les moins avancés(PMA)
etplus
largement les pays en voie de développement (PVD) constituent en quelque sorte le "terrain dejeu"
des grandespuissances agricoles
et
agro-alimentaires:
utilisation
abusivede
I'aide
alimentaire pour pénétrer de nouveaux marchés, incitationà
lesrallier
àla
cause deI'un
des"big
brothers"(EU ou UE) en les invitant à dénigrer les positions de I'autre.
Une première étape de cette maîtrise de la mondialisation des échanges pourrait être
de transposer
le
premier
principe rawlsien desindividus
aux nations. Autrementdit,
quetoutes les nations aient un égal accès à I'ensemble de biens premiers le plus étendu possible.
Selon les auteurs (Rawls,
Dworkin,
Sen,Van Parijs...),
ces biens premiers recouvrent leslibertés réelles
et
fondamentales,Ia
capacité d'exercer ceslibertés (capabilities
selon laterminologie de Sen), un accès équitable aux ressources... Ces bien premiers s'attachent aux
individus
comme aux nations. Parmi ces bienset droits
fondamentauxqui
se rattachent à l'agriculture et I'alimentation,il
convient de reconnaître le droit des nations à se nourrireux-mêmes.
La
maîtrise de
la
mondialisationimpliquerait ainsi de
garderen premier
lieu
la maîtrise de leur alimentation. C'est ce que vise le concept de souveraineté alimentaire, né en1996
lors du
Sommetmondial de I'alimentation
organisépar les Nations Unies,
et
quiconstitue aujourd'hui
la
revendication
première des
mouvements
anti-mondialisation. Comme le précise Hervieu (1996,2002), cette souveraineté alimentaire suppose tout d'abordun
développementagricole
de
chaque
nation suffisant
pour
parvenir
à
I'autonomiealimentaire.
Il
s'agit enfait
d'un droit à senourrir
correctement, dès lors que les trois-quartsde I'humanité
"vivant"
sousle
seuil de pauvreté résident en zone rurale et dépendent doncétroitement
de
I'agriculture locale.
Plus
largement
et
sans impliquer
I'autarcie,
la souveraineté alimentaire impliqueraitle
droit
de chaque nation à déterminer librement sonmode
d'approvisionnement
alimentaire, faisant participer
ainsi
son
agriculture
audéveloppement économique
de
la
nation toute
entière.
Cet enjeu
de
la
souverainetéalimentaire
fut
le thème fédérateur de la troisième édition du Forum social mondial de PortoAlegre en
janvier
2003.Le
démantèlement de toutepolitique
de dumpingà l'exportation
est fréquemment présenté comme une première concrétisation des bonnes intentions précédentes.Il
s'agit parexemple des subventions
à
I'exportation principalement utiliséespar I'Union
Européenne(UE):
sur les 6,8 milliards
de dollars
de
subventions recensésen
1998par I'OMC,
6milliards
ont été octroyés par I'UE (Bureau et al., 2002) qui est donc particulièrement visée,tant par
ses
concurrents directs regroupésà
cette
occasiondans
le
groupe
de
Cairns(Australie,
Nouvelle
Zélande,
Argentine...),
que par des
Organisations
Non9
développement. Ceci étant, d'autres pays exportateurs
utilisent
des formesde
soutien auxexportations
moins
transparenteset
donc,
de ce
fait,
plus
efficaces
:
crédits longs
àI'exportation (Etats-Unis, Canada,
Australie) voire
I'aide alimentaire comme instrument degestion des surplus.
Un
rapport américain del'Institute for
Agriculture
and Trade Policy(IATP,
fevrier
2003) dénonce plus particulièrement la politique agricole américaine dans cedomaine.
A
partir
de données deI'USDA
et deI'OCDE, le
rapport établit des niveaux dedumping
qui
seraient proches de 40% pour le blé, entre 25 et30Yo pour le maïs, 30olo pour le soja, 20o pour leriz.
Quant au coton, le taux de dumping est montéjusqu'à
57Yo en 2001.Outre
I'effet
dévastateur surl'agriculture
des pays envoie
de développement, ce dumpingaccélère
la
concentration
foncière
et
l'éviction
progressive
des
structures
agricolesfamiliales. Le cercle vicieux des aides agricoles conduit à des coûts irréversibles (sunk costs)
Mettre
fin
au dumping nécessite un renoncement unilatéral de cette pratique ; et c'està ce niveau que les grands pays exportateurs protagonistes semblent enlisés dans le fameux
dilemme du prisonnier. En pérennisant sous des habillages de plus en plus subtils des aides
massives
à
l'exportations,
ils
se
condamnent"rationnellement"
à
une
situation
sous-optimale,
à
un
équilibre de
Nash;
alors qu'une
coopérationmutuelle pourrait
s'avérer Pareto-améliorante pour les pays exportateurs comme pour les pays en développement.RnrnnBxcns
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