Tharaud Delphine et Caroline Boyer-Capelle (éds.). 2021. Dictionnaire juridique de l’égalité et de la non-discrimination, Paris, L’Harmattan.
I
NEGALITE DE FAITLa notion d’inégalité de fait renvoie à l’existence d’inégalités réelles et observables, entre individus et groupes sociaux, dans la possession de biens ou de statuts socialement valorisés. Ces inégalités de fait sont mesurées en rapportant une variable dépendante (patrimoine, revenu, emploi qualifié, espérance de vie, etc.) aux groupes qu’on compare (catégories socio-professionnelles, sexe, nationalité, etc.). On peut également avoir recours à différents indicateurs synthétiques plus ou moins complexes (indice de Gini, rapport interdécile, etc.), qui permettent de comparer ces inégalités dans le temps et l’espace.
L’inégalité de fait se distingue de celle d’inégalité de chance, qui porte non pas sur la réalité des inégalités mais sur des probabilités d’accès différenciés aux bien ou statuts socialement valorisés. Il existe des débats politiques séculaires sur le lien entre égalité des faits et des chances. En théorie, les deux notions sont disjointes : une société peut être très inégalitaire dans les faits, en présentant des grands écarts de revenus ou de richesse en son sein, sans que ces inégalités soient le produit de chances différentes des groupes sociaux d’accéder à telle profession ou tel statut. Mais on peut argumenter qu’une trop grande ampleur des inégalités de fait, en plus d’être potentiellement immorale ou dangereuse pour la cohésion sociale, peut faire obstacle à l’égalité des chances, dans la mesure où les inégalités s’héritent et conditionnent les opportunités de vie. De même, les discriminations participent à produire des inégalités de fait entre les groupes sociaux (en interaction avec d’autres facteurs comme les différences de dotation initiale ou de comportements). Les inégalités de fait peuvent être enfin le terreau des discriminations en créant des groupes fragilisés et moins aptes à participer à la compétition sociale pour les biens rares ou à faire valoir leurs droits.
Certaines voix pointent le risque de la focalisation politique actuelle sur l’égalité des chances au détriment de l’attention aux inégalités de fait, dans la mesure où seules les inégalités non justifiées seraient considérées comme problématiques. D’autres lectures philosophiques ou juridiques tentent au contraire d’articuler préoccupation pour l’égalité des chances et pour l’égalité de fait, comme le philosophe John Rawls autour du principe de maximin, ou les philosophes Amartya Sen et Martha Nussbaum autour des capabilités. Le droit de la non-discrimination lui-même entretient des rapports avec l’objectif d’égalité des faits au-delà d’une égalité de traitement purement formelle, que ce
Tharaud Delphine et Caroline Boyer-Capelle (éds.). 2021. Dictionnaire juridique de l’égalité et de la non-discrimination, Paris, L’Harmattan.
soit par exemple à travers la notion de discrimination indirecte ou celle d’action positive qui prennent en compte la réalité des inégalités de fait, leurs conséquences et les moyens nécessaires à leur dépassement.
Vincent-Arnaud CHAPPE PIKETTY (Thomas), Capital et idéologie, Seuil, 2019 - ROSANVALLON (Pierre), La société des égaux, Seuil, 2011 - SAVIDAN (Patrick), Repenser l’égalité des chances, Grasset, 2007.