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De l'orature ancestrale à la littérature contemporaine des Dakotapi et des Paiwan : histoire(s) de résilience trans-autochtone

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE

École doctorale 354 : Langues, Lettres et Arts

Institut de recherche asiatiques (UMR 7306)

Thèse présentée pour obtenir le grade universitaire de docteur

Discipline : Langues et littératures d’Asie

Fanny CARON-SCARULLI

De l'orature ancestrale à la littérature

contemporaine des Dakotapi et des Paiwan :

histoire(s) de résilience trans-autochtone

From ancestral Orature to contemporary Literature of the

Dakotapi and the Paiwan:

(hi)stories of trans-indigenous resilience

Sous la direction de : Noël DUTRAIT, Professeur émérite

Soutenue le 10/01/2020 devant le jury composé de :

Monsieur Noël DUTRAIT, Professeur émérite, Université d’Aix-Marseille Madame Sandrine MARCHAND, MCF-HDR, Université d’Artois

Monsieur Grégory LEE, Professeur des Universités, Université Lyon III-Jean Moulin Monsieur Alexis NUSELOVICI, Professeur des Universités, Université d’Aix-Marseille Monsieur Gwennaël GAFFRIC, MCF, Université Lyon III-Jean Moulin

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Résumé

Les sociétés dominantes, du dix-neuvième au vingtième siècle, ont eu tendance à enfermer dans un système muséologique de protection et d’archivage, les arts et les oratures des peuples autochtones. En tentant de s’imposer comme les conservatrices légitimes des langues et des littératures des cultures minoritaires, elles ont faussé un peu plus des rapports déjà difficiles et complexes avec les peuples premiers.

Pourtant, ces peuples ont su eux-mêmes préserver les récits issus de leur tradition orale, et dans un deuxième temps ont réutilisé des éléments culturels de leur orature en les réinjectant dans une littérature moderne. Il est donc nécessaire de s’intéresser à la façon dont certaines sociétés autochtones ont su transmettre leurs récits oraux de génération en génération, et ce malgré l’impact de la colonisation, pour les maintenir en vie dans notre monde « moderne ».

Aussi, cette thèse propose une étude trans-autochtones des oratures ancestrales et des littératures contemporaines des Dakotapi d’Amérique du Nord, peuple connu et popularisé par les sociétés dominantes, et des Paiwan de Taïwan, qui font partie des populations autochtones méconnues, et dont la littérature demeure en marge des études scientifiques actuelles.

Les histoires coloniales des Dakotapi et des Paiwan présentent des similarités (colonisation, assimilation et reconquête identitaire et littéraire). Cependant, en ce qui concerne les Paiwan, ce contexte historique implique l’influence de deux blocs impérialistes qui ont chacun imposé leur propre système de valeurs. Ainsi, cette approche méthodique, mettant en parallèle un cas ancien et emblématique, les Dakotapi, avec les Paiwan, en pleine effervescence créatrice, présente un défi original. Cela permettra de construire des modes d’analyse et d’établir une forme de dialogue littéraire entre eux, afin de faire ressortir les similarités et les différences de ces productions orales et écrites considérées dans leur propre situation continentale.

Les processus différenciés d’acculturation ciblant les Dakotapi et les Paiwan, avec la puissance coloniale américaine d’un côté, et celles japonaise et chinoise de l’autre (mais inspirés des politiques assimilationnistes américaines), ont tous eu un impact violent sur la culture et sur l’identité de ces peuples autochtones. Toutefois, comme les héros et les héroïnes de leurs oratures respectives, les jeunes adultes autochtones ayant assimilé l’écriture au sortir des écoles gouvernementales américaines et taïwanaises, ont détourné la technique graphique et le pouvoir symbolique du colonisateur pour écrire leur(s) propre(s) histoire(s).

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La capacité, inhérente à chaque peuple, à créer une littérature autochtone, fondée sur le modèle organique de la société tribale, ancré dans un espace naturel et dans un idéal d'harmonie dénué de domination technique et d'exploitation économique, pousse à aborder le concept de résilience au travers de ces nouvelles œuvres. Celles-ci sont par nature engagées, car déjà dans les récits ancestraux, sources d’inspiration de ces œuvres, les êtres atypiques, les êtres les plus vulnérables, et les valeurs de partage et d’harmonie communautaires ou encore la complémentarité des sexes étaient défendus.

Cette recherche met également en avant la place cruciale que les littératures des peuples autochtones commencent à occuper sur la scène littéraire mondiale contemporaine, au moyen de genres et de thèmes auto-centrés, et de critiques et de théories auto-référentielles. Ce sont des littératures qui puisent leurs références, leurs thèmes, et leurs paradigmes dans leurs propres cultures autochtones, qu’elles se sont réappropriées en entreprenant une reconquête de leur identité et de leur souveraineté tribales.

Mots clés : Dakotapi (États-Unis) ; Paiwan (Taïwan) ; Orature ; Littérature autochtone ; Résilience ; Études Trans-autochtones

Abstract

Dominant societies, from the nineteenth to the twentieth century, tended to confine the arts and oratures of Indigenous Peoples in a museological system of protection. They aimed to establish themselves as the legitimate guardians of the languages and literatures of cultural minorities, further skewing already difficult relationships with Native Peoples.

However, these Peoples themselves knew how to preserve the stories originating from their oral tradition, and they have subsequently reused cultural elements of their orature by reinjecting them in a modern literature. It is therefore necessary to take an interest in how some indigenous societies were able pass on their oral stories from generation to generation, despite the impact of colonization, to keep them alive in our “modern” world.

Hence, this dissertation provides a trans-indigenous study of North America’s Dakotapi and Taiwan’s Paiwan’s ancestral oratures and contemporary literatures. The Dakotapi are a well-known People popularized by dominant societies in literary, cinematographic, commercial and musical works, whereas the Paiwan are amongst the most unknown indigenous populations, and their literature remains in the margins of current scholarly studies.

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The Dakotapi and Paiwan’s colonial histories bear similarities (colonization, assimilation, or identity and literary recovery). Yet, with regard to the Paiwan, thishistorical context entails the influence of two imperialist blocs, each of which imposed its own value system. Thus, this literary approach, of an older and emblematic case study, the Dakotapi, viewed in parallel with the Paiwan, in full creative literary effervescence, represents a unique challenge. It will allow the creation of methods of analysis and the establishment of some form of literary dialogue between them, in order to highlight the similarities and the differences of the oral and written productions considered within their own continental situation.

The differentiated acculturation processes targeting the Dakotapi and the Paiwan, of the American colonial power on one hand, and on the other hand of the Japanese and Chinese colonial powers (yet modeled after American assimilation policies), all had a violent impact on the culture and identity of these Indigenous Peoples. However, just as the heroes and heroines from their respective oratures, the young literate indigenous adults, who graduated from American and Taiwanese governmental schools, diverted the graphic skills and the symbolic power of the colonizer to write down their own (hi)stories.

The ability inherent to each People to create an Indigenous literature, founded on the organic model of the tribal society, rooted in a natural space and an ideal of harmony devoid of technical dominance and economical exploitation, leads us to address the concept of resilience through these new works. These are, by nature, committed to a cause, since in the ancestral stories, which inspired these works, atypical beings, the most vulnerable people, values of sharing and communal harmony, or even complementarity of the sexes, were defended.

This research also stresses the crucial place that Indigenous literatures occupy on the contemporary global literary scene, by means of Indigenous-centered genres and themes, and self-referential critique and theories. These are literatures that draw their references, themes, and paradigms in their own Indigenous cultures, that were reclaimed by engaging in a reconquest of their tribal identity and sovereignty.

Key words: Dakotapi (United States); Paiwan (Taiwan); Orature; Indigenous Literature; Resilience; Trans-indigenous Studies

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Remerciements

Je souhaite exprimer toute ma reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagnée tout au long de ce long parcours initiatique entamé dans ma pré-adolescence sur la Réserve Oglala de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, prolongé à Taïwan à la découverte des Paiwan et poursuivi dans un contexte plus formaliste à l’Université d’Aix-Marseille. Tel un des personnages de ces récits autochtones que j’affectionne, j’ai été aidée par des bienfaiteurs, mise à l’épreuve par des agresseurs, mais toujours habitée par cette force intérieure ambivalente, aux énergies créatrices mais aussi destructrices, peut-être née dans les racines de mon atypisme, nommé autisme.

Merci aux membres de ma « parenté élargie », mes amis lakota, dont nombre d’entre vous êtes partis rejoindre le sentier rouge de vos ancêtres : Norma et Pete Cummings, Paha Ska, Juanita White Eyes, Lily Mae Red Eagle, Gerald Clifford, les « semelles perlées » de vos mocassins auront laissé leur trace sur le présent et dans ce travail. Merci à ceux qui poursuivent leur lutte sur ces terres toujours convoitées pour les richesses qu’elles renferment, Alex White Plume, Richard Red Owl, Marr Cummings, Karen Lone Hill et les très nombreux Oglala Lakota rencontrés dans les Pow Wow, à l’Oglala Lakota College, au Red Cloud Heritage Center, à Big Bats, et lors d’entretiens dont j’ai été témoin dès 1995. Philámayaye.

Merci à vous les écrivaines paiwan, qui avez partagé avec moi des morceaux édifiants de vos parcours complexes, particulièrement Liglav Awu 利格拉樂·(女阿)烏 et Yibau 伊苞. Merci à Djanav Zengror 丹耐夫·正若, et à sa famille de m’avoir reçu chez eux et de m’avoir fourni de précieux renseignements, et à Lin Yimiao 林阿妙 de la revue [La culture des montagnes et de la mer]《山海文化》, qui m’a aidée dans ma recherche et qui m’a mise en contact avec des auteurs et des artistes paiwan.

Sans oublier les étudiants paiwan qui ont pris le temps de me rencontrer et de répondre à mes questions : Pukiringan Paljivuljung (Tung Xinjie 童信智, le neveu du professeur Tung et de Djanav Zengror, rencontré en 2011, et qui a soutenu sa thèse de doctorat sur les récits oraux paiwan en 2015), et Eleng Kazangiljan (merci également à Annie Chu 朱延臻 qui nous a mises en relation en 2016). Masalu.

Merci au professeur Dutrait, mon directeur de thèse qui a toujours accompagné mes demandes de réinscription faisant suite à ces terribles « burn out » tellement imprévisibles, et qui pouvaient m’immobiliser pendant de longs mois. Merci d’avoir cru en moi et en mon travail.

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Merci à Geng-Jia 粘耿嘉, mon ami taïwanais, qui m’a aidéedans mon apprentissage de la langue chinoise et qui a participé à la retranscription de mes entretiens. Merci à Christophe Caudron pour sa promptitude à répondre à mes besoins en ouvrages et pour ses conseils judicieux, à Judith Hannoun qui a passé des heures à reconfigurer le style AMU dans Zotero afin que je puisse l’utiliser pour ma bibliographie et mes citations, et à Mathilde Lefebvre.

Merci à tous ceux qui ont lu avec attention mon travail, Gérard Leidet, Marie-Noëlle Hôpital, Micheline Abours et surtout M. Balastre qui m’a toujours fait part de ses réflexions constructives et qui m’a toujours soutenue. Merci à Mme Rinner, mon professeur de Littérature Comparée, qui a toujours cru en moi et qui aujourd’hui encore, des années après mon Master m’a apporté tout son soutien.

Merci au professeur Dolinski qui m’a guidée afin que je puisse participer au programme d’échange avec l’Université de Tamkang 淡江大學 à Taïwan en 2009-2010, et pour que j’obtienne une place dans le programme Érasmus Mundi à l’Université Nationale de Taïwan 國 立臺灣大學 en 2011-2012 ; au professeur Lochen qui m’a initiée au Chinois avec patience et efficacité, ainsi qu’aux professeurs Saumade, Kaser, De Grave, Pichard-Bertaux, Tung Chun-fa 童春發, Liu Pi-chen 劉璧榛, et Vallas.

Merci à tous ces bienfaiteurs qui de la France en passant par les États-Unis et par Taïwan m’ont encouragée : Susan Gardner, Professeur émérite, spécialiste de Littérature amérindienne qui se bat aujourd’hui contre un mal qui dévore sa mémoire ; le professeur Raleigh Ferrell pour ses précieux conseils ; le professeur Zeitoun qui m’a fait parvenir des ouvrages et m’a aidée à effectuer mon premier voyage dans des villages paiwan, à WeiChen 維 晨 qui m’y a accompagnée, et aux vuvu qui nous ont reçus. Merci également à l’Association Francophone d’Études Taiwanaises dont Gwennaël Gaffric et Wafa Ghermani ; aux étudiantes pour leur aide avec mes traductions : Xiao Wei 肖薇, Judy Tseng 曾婷瑄, Gan Lu 甘露 ; et à Lin GuoTing 林果葶.

Merci pour le soutien constant en particulier lors des graves zones de turbulences de ma meilleure amie Marina et de Nassera. Merci à Anna Leidet pour son hospitalité et sa capacité à ouvrir les portes d’un lieu paisible afin que je me ressource dans mon ancienne maison familiale. Merci à Maia Ducaroy, Alice Yamada, Vladimir Stolojan-Filipesco, Joelle Guyon-Vernier, Jeanne-Marie et Daniel Chaoul, Milvia et Pierre Blachère, Norma et Christian Brun, et Pierrette Boyer.

Merci au Docteur Berge, au Docteur Anne-Marie Foti, et à ma kinésithérapeute Marion qui m’accompagnent depuis des années avec bienveillance et attention.

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Enfin, je dédie cette thèse à ma mère, ma source constante d’encouragements, ma voix, ma confiance, ma force :

You read so many books—you are my encyclopedia. You recite the history of my ancestors without forgetting a single detail—you are my memory. You speak up when others are afraid to—you are my voice. You notice what so many people would like to ignore—you are my vision. You imagine that I can do anything I decide upon—you are my dreams. You’ve shown me where the spirits hide—you are my imagination. You’ve challenged me to change my corner of the world—you are my conscience. Susan Power

À la mémoire de ma grand-mère Flora qui m’encourageait au quotidien et qui espérait tant être présente à ma soutenance. Elle est partie brutalement au mois de février 2019. J’espère qu’elle est fière de sa petite-fille.

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Résumé ... 3 Abstract ... 4 Remerciements ... .... 6 ... ... ... 9 ... 1 ... 1 Introduction générale ... ... . 1 1. Terminologie et méthodologie ... .... . 2

1.1. « Autochtones », « aborigènes » ou « indigènes » ? ... . ... 1.2. Origines historiques de la “literacy” autochtone ... .. 2

1.3. Épistémologie de la recherche ... ... ... 2

2. Aspects et mise en œuvre de la recherche 2.1. Perspective d’étude ... 3

2.2. État de la recherche ... 3

2.3. Plan d’étude ... 4

Chapitre I. L’orature dakotapi : du « compte d’hiver » à une « image mouvante » ... 4

1. Les Dakotapi ... 52

1.1. L’utilisation du terme « Dakotapi » plutôt que celui de « Sioux » ... 52

1.2. Répartition géographique actuelle des groupes et bandes dakotapi ... 5

2. Origines historiques du phénomène observé ... 5

2.1. Destruction-Assimilation-Scolarisation ... 57

2.1.1. Avant la vie en réserve et les « guerres Indiennes » ... 58

2.1.2. Assimilation : Le rapt de leur identité culturelle et la vie en réserve ... 7

2.1.3. Scolarisation : une autre tentative d’assimilation ... 77

2.2. Trouver sa voix : Impact et influence de la société dominante sur l’orature dakotapi ... 84

2.2.1. Le passage de la forme orale à la forme écrite ... . 8

2.2.2. Une génération « assimilée » ... 9

2.3. Se faire entendre : par la sauvegarde des récits de tradition orale ... 10

2.3.1. Ella Cara Deloria : la préservation des récits et des traditions dakotapi, le travail de toute une vie ... 10

2.3.2. La démarche d’Ella Cara Deloria : un changement nécessaire ... 10

2.4. Conclusion : les Dakotapi, un peuple emblématique de la survivance et de la résilience ... 11

3. Analyse formelle et littéraire des récits dakotapi ... 11

3.1. Les origines des récits ... 11

3.1.1. Du récitant et son auditoire au rédacteur et son lectorat ... 11

3.1.2. Définitions possibles des genres littéraires des récits dakotapi ... 12

3.2. « Mythes » cosmogoniques et récits des origines ... 13

3.2.1. Les mythes de Walker : Un travail d’invention ? ... 13

3.2.2. « Mythes » des origines ... 14

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3.3. Analyse thématique et structurale des récits dakotapi ... .. 16

3.3.1. : le des ... ... 16

3.3.2. L’implication du principe de la parenté autour de thèmes universels ... 1

3.3.3. Analyse morphologique d’un récit dakotapi au moyen des fonctions de Propp ... ... 1

3.4. Étude des personnages dakotapi ... 18

3.4.1. Les agresseurs et les faux héros ... 1

3.4.2. Les héros et les bienfaiteurs ... 19

3.5. Conclusion : l’orature dakotapi et la transmission des règles de la parenté ... 20

4. Fonction des récits : le respect de la parenté héritée des ... . 20

4.1. Leçons de vie et mises en garde : préserver l’harmonie sociale dakotapi ... 20

4.1.1. Éduquer les enfants et leurs parents ... 20

4.1.2. Des rappels pour les grands-parents et les beaux-parents ... 2

4.1.3. Instruire les jeunes gens et les couples ... 21

4.2. Transmission d’un héritage culturel ... 22

4.2.1. Explication du monde : objets symboliques et géographie sacrée ... 22

4.2.2. Garder les cérémonies vivantes ... 2

4.3. Pouvoir d’adaptation et valeur des récits ... 2

4.3.1. Lutter contre les politiques assimilationnistes ... 2

4.3.2. Préserver “a scheme of life that worked” ... 24

5. Conclusion : « Marcher sur la route de Grand-mère » en gardant les récits en vie... 2

Chapitre II. L’orature paiwan : les descendants de Vulung se battent « dos à la montagne » ... 25

1. Les Paiwan ... . 2

1.1. Origines du terme « Paiwan » ... 2

1.2. Questions de classification ethnolinguistique des Paiwan ... 2

1.3. Répartition géographique et distinctions linguistiques des Paiwan ... 26

1.4. La langue paiwan ... 2

2. La Destinée Manifeste appliquée au cas de Taïwan ... .... . 2

2.1. Une colonisation en trois temps et un triple processus : « Pacification » —Assimilation — Scolarisation ... 2

2.1.1. Les invasions étrangères néerlandaises et chinoises ... 2

2.1.2. L’occupation japonaise et le début du « contrôle des barbares » ... 2

2.1.3. Le Kuomintang : de nouvelles politiques nationalistes et la « croyance mythique » .. 2.2. Un long processus pour se rendre visible ... 3

2.2.1. L’image de l’autochtone dans les écoles ... 3

2.2.2. Les premières générations d’auteurs issus des écoles du Kuomintang et leur dénonciation d’une « colonisation mentale » des Paiwan ... 3

2.2.3. Luttes autochtones et émergence d’une littérature qui gagne en visibilité ... 3

2.2.4. Conclusion : conséquences de la colonisation et de ses politiques, dénoncées par les premières générations d’auteurs ... 32

3. Analyses formelle et littéraire des récits ... .. . 32

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3.1.1. Du récitant et son auditoire au rédacteur et son lectorat ... 3

3.1.2. Définitions possibles des genres littéraires des récits paiwan ... 33

3.1.3. Oralité et performance orale des récits paiwan ... 3

3.2. cosmogoniques et des origines ... 3

3.2.1. cosmogoniques des Paiwan : l’origine du soleil, de la lune et de l’élévation du ciel ... 3

3.2.2. sur les origines des Paiwan : Par une divinité qui chante, de pierres du soleil, et des œufs de bambou ... 3.2.3. sacrés des origines du peuple : Vulung, la vipère des cent pas ... 3

3.3. Thèmes, personnages et structure des récits paiwan ... 3

3.3.1. Thèmes « universels » et (tabous) paiwan ... 3

3.3.2. Les personnages ... 38

3.3.3. Analyse morphologique d’un récit ... 3.3.4. Conclusion : l’orature paiwan, centrée sur les récits des origines et sur l’histoire du peuple ….. ... 40

4 e respect de Vulung et de la parenté ... . 40

4.1. Fonction sociale et éducative ... 40

4.1.1. Les héros : gardiens de l’harmonie tribale ... 4

4.1.2. Les antagonistes : agents du chaos ... 41

4.1.3. Les « monstres » : pour reconnaître les véritables ennemis ... 4

4.2. Valeur des récits : par le passé et pour l’avenir ... 4

4.2.1. Rétablir la vérité sur le système de valeurs paiwan ... 4

4.2.2. Transmission d’un héritage culturel ... 4

4.2.3. Survie et renouveau identitaire ... 4

5. Conclusion : de « barbares » à « civiliser » aux auteurs de leur(s) propre(s) histoire(s) ... . 4

Chapitre III. Des mots anciens pour soigner les maux modernes ... . 44

1. Se décoloniser par la littérature : sauvegarde et renouveau ... 4

1.1. Des auteurs qui reprennent le rôle d’historiens tribaux ... 4

1.1.1. : un roman qui s’inscrit dans le prolongement de la tradition orale ... 45

1.1.2. : un compte d’hiver dépositaire de la mémoire historique dakotapi ... 4

1.1.3. [Chef Typhon] : acte de passation et devoir de mémoire ... 46

1.2. Une dénonciation des maux de la colonisation ... 4

1.2.1. : le manifeste autochtone de Chief Eagle ... 4

1.2.2. L’envahisseur Japonais dans lesnouvelles de Talall ... 4

1.2.3. La parole libérée des poèmes de Monaneng ... 4

1.3. La mère chez Power et Awu : sentiments d’aliénation et quête identitaire ... 4

1.3.1. “Stories” et “Histories” de Power ... 49

1.3.2. Awu : du village de garnison au village des montagnes ... 50

1.3.3. Conclusion : « Seulement sur la toile et sur le papier il vit son héritage » ? ... 5

2. Revitalisation d’une identité tribale stigmatisée et fracturée ... 5

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2.1.1. Le mariage des cultures chez Awu et Power ... 5

2.1.2. Rétablir la vérité tout en luttant contre les stéréotypes ... . 5

2.2. Auteurs littéraires et activistes politiques : être la voix de son peuple ... 5

2.2.1. Monaneng : la voix de ceux à qui on ne donne pas la parole ... 5

2.2.2. Cook-Lynn : des mots qui s’élèvent contre l’oppresseur ... 5

2.3. Des auteurs qui plaident en faveur des valeurs ancestrales ... 55

2.3.1. En gardant en mémoire les cérémonies du passé ... 5

2.3.2. Sakinu : des récits qui mettent en avant un mode de vie tribal... 5

2.3.3. Conclusion : Des auteurs qui remplissent leur « tâche » d’écrivains autochtones ... 5

3. Émergence d’une alliance trans-autochtones ... 5

3.1. Du renouveau artistique aux nouvelles générations d’auteurs autochtones ... 57

3.1.1. John Trudell : une expression de l’orature par un retour aux arts premiers ... 5

3.1.2. Une nouvelle génération d’auteurs urbains ... 5

3.2. Des luttes communes et des valeurs partagées ... 5

3.2.1. Être autochtone, êtres-humains : se rencontrer pour échanger ... 59

3.2.2. Des questions de souveraineté et d’identité tribale ... 3.3. Une force commune et une place littéraire mondiale ... 6

3.3.1. Des réponses aux préoccupations globales actuelles ... 6

3.3.2. Des citoyens du monde ... 6

Conclusion : De peuples « conquis » à une réinvention de l’identité tribale à une échelle globale …. ... 6

4. Conclusion : La (re)conquête d’une identité ethno-culturelle par le biais d’une littérature autochtone engagée et militante ... 6

Conclusion générale ... 6

1. Bilan, limites, et perspectives... 6

1.1. « Une source d’inspiration intarissable pour notre mémoire éternelle » ... 6

1.2. « Comparaison entre pommes et pamplemousses » ... 6

1.3. Perspectives d’avenir de la littérature autochtone et des études trans-autochtones ... 6

Bibliographie ... 6

Annexes ... 6

1. Les 31 Fonctions des personnages de Propp ... 6

2. Les réserves dakotapi actuelles ... 6

3. Traduction de “Boy-Beloved’s blanket” ... 6

4. Carte du territoire paiwan et des villages paiwan principaux ... 6

5. Les villages des groupes et sous-groupes paiwan ... 6

6. Liste des questions pour les entretiens à Taïwan (été 2016) ... 69

7. Entretien avec Liglav Awu, Tapei, 27 juin 2016 (transcription en chinois) ... 8. Traduction de l’entretien avec Awu ... 70

9. Entretien avec Djanav Zengror, Taipei, 30 juin 2016 (transcription en chinois) ... 7

10. Entretien avec Yibau , Taipei, 1er juillet 2016 ( ranscription en chinois) ... 72

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Remarques préliminaires

Dans cette étude, les caractères chinois utilisés sont ceux du Chinois traditionnel ( 繁體中文), en usage à Taïwan, et les transcriptions phonétiques de certaines notions en chinois suivent le système de romanisation du Hanyu pinyin ( 漢語拼音).

Les noms chinois et japonais des personnes suivent l’ordre d’usage à Taïwan et au Japon, en commençant par le nom de famille suivi du prénom ; et le nom d’usage romanisé a été conservé (en hanyu pinyin ou selon la romanisation Wade-Giles). Par exemple : Tu Kuo-ch'ing 杜國清 ; Sun Ta-chuan 孫大川 ; Tung Chun-fa 童春發.

Concernant les noms des autochtones de Taïwan, il s’agit pour la plupart de transcriptions chinoises de leur nom autochtone, et l’ordre d’usage est identique à celui des autochtones d’Amérique du Nord, en commençant par le prénom suivi du nom de famille. Le nom romanisé a également été conservé. Par exemple : Ahronglong Sakinu 亞榮隆·撒可努 . Dans certains cas, les autochtones de Taiwan utilisent leur nom autochtone et leur nom chinois, les deux noms (la forme romanisée et la forme en caractères chinois) seront donnés, en suivant l’ordre d’usage. Par exemple : « Pasuya Poiconu 巴蘇亞·浦伊哲努, connu en outre sous le nom chinois de Pu Zhongcheng 浦忠成 ».

La majorité des œuvres et des articles de cette étude n’ayant pas été traduits en français, je propose une traduction entre crochets [ ], qui précède le titre en chinois, et qui suit le titre en anglais. Par exemple : [Guwana, Chamane Paiwan] ( 《排灣祭師 谷娃 娜》 ; “Reunion” [Retrouvailles].

J’ai également effectué la plupart des traductions d’extraits d’ouvrages (notamment toutes les traductions des œuvres littéraires), comme l’indique la mention « Tdl. » (« traduction de l’auteur »). Pour ce qui est des quelques textes et ouvrages ayant été traduits en français, la référence est indiquée en note de bas de page. Pour des raisons de lisibilité, les notes de bas de page recommencent à « 1 » à chaque nouveau chapitre.

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Genèse

Dès la petite enfance les contes ont occupé une place privilégiée dans mes activités de prédilection. Je dévorais très tôt les contes du patrimoine français avec la même gourmandise que les chantefables de Desnos et les contes des Frères Grimm. Qualifiée d’enfant « différente », ce monde enchanteur et terrifiant m’offrait un espace de liberté loin des remarques souvent déstabilisantes des adultes, dont celles de mes instituteurs. C’est tout naturellement que je me suis intéressée plus tard, dans le cadre universitaire, aux contes provençaux qui me permirent de réaliser un mémoire de Master 1 en Littérature Comparée, examinant les similitudes et les différences entre les contes provençaux et les contes dakotapi.

Il faut dire qu’à cette époque, j’avais acquis une grande expérience des voyages en terre autochtone dans le Dakota du Sud. En effet dès l’été 1995, ma mère entreprit la découverte des territoires Dakotapi de Pine Ridge et de Rosebud, m’entraînant tous les étés au cœur de la réserve de Pine Ridge, à Porcupine, dans cette belle et grande famille hospitalière qui devait devenir au fil des années notre famille de cœur.

J’appris la technique dakotapi du perlage, je montais à cheval à cru, j’assistais aux Pow Wow, j’accompagnais ma mère pour rendre visite aux bisons de Joe Poker Merrival. Ce dernier nous fit pénétrer dans son ranch afin de faire la connaissance de Rainbow, le bébé bison blanc, animal sacré et puissant, qui n’avait pas survécu mais qui avait gardé son pouvoir et qui était naturalisé, solennellement installé sur une sorte d’autel. Et puis, j’ai régulièrement accompagné ma mère dans tous les entretiens qu’elle effectuait sur la réserve et nous nous joignions régulièrement à Norma, la grand-mère de Casey, Amber et Dany, dans tous ses déplacements, y compris à la banque alimentaire.

La pauvreté endémique des lieux s’effaçait devant la générosité des habitants et la beauté sauvage de l’environnement des Bad Lands et des Black Hills. Sur les terres de Red Cloud, je connus la joie d’être incluse dans un monde où la différence était souvent vécue comme , sacrée. C’est ainsi que lors d’un entretien, la fille autiste d’une femme médecine, nous fut présentée non pas comme « handicapée » mais comme . De nombreuses années plus tard, enfin diagnostiquée autiste « verbale », je me suis sentie bien loin du regard bienveillant de ma famille et de mes amis Oglala.

C’est ma curiosité pour les langues qui m’a tout naturellement portée vers l’apprentissage du chinois. Mon premier séjour de dix mois à Taïwan, au sein de l’Université de Tamkang 淡 江大學en 2009-2010 fut malheureusement contrarié par un qui se prolongea lors de mon retour en France. Toutefois, dans une boutique de musée à Taipei, j’avais repéré des perles

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traditionnelles réalisées par des Paiwan. Aussi, j’ai recherché les artistes qui fabriquaient ces perles colorées et c’est ainsi que j’ai rencontré les autochtones de Taïwan. Lors de mon second séjour d’un an en 2011-2012 en tant que doctorante du programme Érasmus Mundis à l’Université Nationale de Taïwan 國立臺灣大學 grâce à l’aide du Professeur Zeitoun, je pus me rendre dans des villages paiwan, afin d’entreprendre une sorte de voyage de découverte, en toute humilité.

Alors que j’avais commencé une thèse en Littérature Comparée sur les Dakotapi, j’eus un véritable coup de cœur pour la langue chinoise et pour les autochtones de Taïwan. J’ai donc procédé à un changement de département, et de sujet de thèse, après m’être tout particulièrement intéressée à la présence des paiwan dans les montagnes de Taïwan, tout en notant avec grand intérêt la beauté de leurs créations artistiques, leur volonté de revivification de leurs traditions et leur engagement dans les luttes pour une reconnaissance de leur peuple.

C’est ainsi que j’entamai un troisième séjour, plus court, en 2016, mais beaucoup plus structuré, où je fus introduite par Lin Yimiao 林阿妙, que j’avais déjà rencontrée lors de mon second séjour, auprès d’artistes et d’auteures paiwan : Liglav Awu 利格拉樂·阿(女烏 , Yibau 伊苞et Djanav Zengror 丹耐夫·正若. Je me sentis prête à poursuivre ma recherche littéraire, culturelle et historique afin de proposer une approche originale pour présenter deux oratures dans leurs contextes socio-culturels et historiques, dans le but d’en extraire l’essence vivifiante des histoires qui m’avaient nourrie dès mon plus jeune âge.

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Introduction générale

He toi whakairo Là où il y a l’excellence artistique

He mana tangata Il y a la dignité humaine1

Proverbe Māori

1 Cité dans : ALLEN Chadwick, Trans-Indigenous: Methodologies for Global Native Literary Studies,

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Les sociétés savantes dominantes du dix-neuvième au vingtième siècle, hantées par la peur de la perte et de la mort des cultures autochtones, ont enfermé dans un système muséologique de protection et d’archivage, les arts, les oratures et les littératures des peuples autochtones. Ces sociétés dominantes s’imposaient comme les conservatrices légitimes des langues et des oratures des cultures minoritaires, faussant un peu plus des rapports déjà difficiles avec les peuples premiers.

Cette démarche d’un folklorisme muséographique, et liée au sentiment que la culture, les langues et les oratures ancestrales de nombreux peuples premiers allaient disparaître, au lieu de faire vivre et évoluer la littérature des autochtones, ne s’attachait qu’à la conserver, en la détournant souvent de sa fonction tribale, dans des ouvrages linguistiques et ethnographiques. Ces peuples, au contraire, ont préservé les récits issus de leurs oratures, et dans un deuxième temps ont réutilisé des éléments culturels de leur culture en les réinjectant dans une littérature moderne. Il est donc nécessaire de s’intéresser à la façon dont certaines sociétés autochtones ont su transmettre leurs récits oraux de génération en génération, et ce malgré l’impact de la colonisation, pour les préserver et les faire vivre dans notre monde « moderne ». La question de la mise par écrit des oratures à partir du contact que les sociétés dominantes ont imposé à travers le monde a fait l’objet d’analyses classiques en anthropologie et en littérature, non exemptes de controverse2. Qu’il s’agisse de l’entreprise de l’ethnographie,

qui consiste à consigner par écrit un matériau oral, ou de la conversion à l’écriture d’individus appartenant à une société de l’oralité en vue de devenir les écrivains de leur propre culture, chercheurs allochtones et autochtones ont généralement reconnu que le pouvoir de l’écrit était un puissant moyen de re-« colonisation de l’imaginaire » – pour reprendre la formule de Serge Gruzinski.

Celui-ci décrit les élites « indigènes » qui, au sortir du collège franciscain de Santa Cruz à Tlatelolco3 au seizième siècle, purent écrire eux-mêmes sur l’histoire de leur pays et sur leurs

coutumes ancestrales, et par conséquent se « désoccidentaliser ». Malgré une éducation prétendument humaniste, mais en réalité occidentale, le paradigme intellectuel de ces élites autochtones était encore marqué par leur identité autochtone.

Cette occidentalisation de l’imaginaire autochtone était la cause du syncrétisme religieux et de l’hybridation d’éléments hétérogènes dans leur nouveau mode de vie. À l’instar des autochtones d’Amérique latine, les autochtones d’Amérique du Nord et de Taïwan ont subi

2 Voir par exemple : GOODY Jack, The Domestication of the Savage Mind, Éd. originale 1977, Cambridge ;

London ; New York ; New Rochelle ; Melbourne ; Sidney, Cambridge University Press, coll. « Themes in the Social Siences », 1986.

3 Ce collège a été fondé en 1536 sur le site d’une école aztèque, à Tlatelolco, près de la ville de Mexico, au Mexique.

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cette « colonisation de l’imaginaire », tout en réussissant leur transition littéraire d’une culture orale à une littérature autochtone contemporaine.

Pourtant, si de nombreux essais ont été consacrés aux rapports de domination que les sociétés coloniales occidentales ont imposé par l’écriture, notamment en Afrique et en Amérique, peu de travaux se sont attelés à établir une perspective d’étude trans-autochtones entre le Nouveau Monde et l’Extrême Orient. Il s’agit donc d’exposer d’une part la diffusion de l’écriture et de la « civilisation » européennes, et d’autre part celle de l’écriture et des « civilisations » chinoises et japonaises (à travers également leur rivalité millénaire), par leurs empires coloniaux et leurs zones d’influences respectives.

Cette thèse propose par conséquent une étude trans-autochtones des oratures ancestrales aux littératures contemporaines des Dakotapi d’Amérique du Nord et des Paiwan de Taïwan. Dans cette île colonisée par la Chine, la langue et l’écriture chinoises ont été diffusées parmi les populations autochtones, mais on observe aussi une importante influence de la culture japonaise, même si celle-ci ne passe pas directement par l’écriture.

Les Dakotapi, peuple connu et popularisé par les sociétés dominantes dans des œuvres littéraires, cinématographiques, commerciales et musicales, mais sous des formes majoritairement stéréotypées, représentent la figure emblématique de l’autochtone sur la scène mondiale. Les autochtones de Taïwan, bien au contraire, font partie des populations méconnues du grand public, et leur littérature demeure en marge des études scientifiques actuelles.

Les Dakotapi et les Paiwan possèdent toutefois une histoire coloniale aux méthodes communes, ayant eu des répercussions semblables sur leurs cultures, leurs modes de vie et leurs oratures séculaires, ainsi que sur leur littérature contemporaine (d’une époque couvrant environ ces quatre-vingts dernières années4). Cette étude analogique n’est néanmoins pas uniquement

fondée sur ces effets de la colonisation, mais sur le fait que ces deux peuples ont sauvegardé la majorité des éléments de leur culture ancestrale, dont leurs oratures, par le biais des générations montantes d’auteurs contemporains prolifiques et militants.

Hu Taili 胡台麗, docteur en anthropologie, professeur à l’Université Nationale de Tsing Hua 國立清華大學 à Taïwan, réputée dans les milieux scientifiques comme une spécialiste des Paiwan, a dirigé et produit six documentaires ethnographiques sur les autochtones de Taïwan. Elle affirme que le peuple Paiwan est celui qui a préservé le plus d’éléments symboliques de sa

4 Voir : BRIVATI Brian, « Introduction » in BRIVATI Brian, BUXTON Julia et SELDON Anthony (éd.), The

Contemporary History Handbook, Manchester ; New York, Manchester University Press, 1996, p. xv‑xxv (p.

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culture et de son orature traditionnelles, y compris les représentations figuratives de leur animal totémique, vulung (la vipère des cent pas).

Ces éléments des récits de tradition orale, et les motifs représentant vulung, les vetsik, sont d’ailleurs présents sur de nombreux objets de la vie quotidienne :

Among Taiwan's indigenous societies, the Paiwan people are considered to have preserved more traditional elements than other Taiwan aboriginal peoples and they still insist on putting the designs and symbols described in the origin legends on modern costumes and decorations. Even for those who converted to Christianity and gave up their belief in the sacred hundred-pace snake, they still wear the most important symbols and designs on their costumes and decorations. 5

Parmi les sociétés autochtones de Taïwan, le peuple paiwan est considéré comme ayant préservé plus d’éléments traditionnels que tous les autres peuples autochtones de Taïwan, et il insiste toujours pour porter les motifs et les symboles décrits dans les légendes des origines, sur des costumes et sur des ornements modernes. Même ceux qui se sont convertis au christianisme et ont abandonné leur croyance en la vipère des cent pas portent toujours les motifs et les symboles les plus importants sur leurs costumes et sur leurs ornements. (Tdl)

À Taiwan, le premier auteur autochtone à avoir été publié est un Paiwan, Kowan Talall 谷灣·打鹿勒 (1941-), connu sous son nom mandarin de Chen Ying-hsiung 陳英雄, dont la carrière littéraire fut lancée au début des années 1960, ce qui constitue un corpus beaucoup plus récent que celui des Dakotapi, qui lui remonte au tout début des années 1900.

Notre réflexion portera dans un premier temps sur les processus différenciés d’acculturation coloniale, entre autres par l’écriture, entre les puissances américaine, japonaise et chinoise, et surtout, sur les capacités des autochtones ayant assimilé l’écriture de détourner la technique graphique et le pouvoir symbolique du colonisateur pour exprimer une identité propre avec des moyens rénovés.

Cette capacité à créer une littérature autochtone spécifique à chaque peuple permettra d’aborder le concept de résilience au travers de cette littérature, qui est par nature engagée, en défendant déjà dans les récits ancestraux les êtres atypiques, les personnes vulnérables, et les valeurs de partage et d’harmonie communautaire ou encore la complémentarité des sexes. Cette étude propose ainsi une exploration des dénominateurs communs entre ces peuples et leur littérature, en construisant des modes d’analyse qui permettent d’établir une forme de dialogue littéraire entre eux, et en se basant sur leurs propres interprétations de la modernité.

Cette étude met également en avant la place cruciale que les littératures des peuples autochtones commencent à occuper sur la scène littéraire mondiale contemporaine, au moyen

5 HU Tai-Li , « The Camera is Working: Paiwan Aesthetics and Performances in Taïwan » in STEWART

Pamela J. et STRATHERN Andrew (éd.), Expressive Genres and Historical Change: Indonesia, Papua New

Guinea and Taiwan, Éd. originale 2005, London ; New York, Routledge, coll. « Anthropology and Cultural

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de genres et de thèmes auto-centrés, et de critiques et de théories auto-référentielles. Ce sont des littératures qui puisent leurs références, leurs thèmes, et leurs paradigmes dans les cultures autochtones, qu’elles se sont réappropriées en entreprenant une reconquête de leurs identités et de leurs souverainetés tribales.

1. Terminologie et méthodologie

1.1. « Autochtones », « aborigènes » ou « indigènes » ?

Le terme « aborigène », bien que n’étant plus utilisé exclusivement pour les aborigènes d’Australie, n’a pas été retenu en raison de sa dimension bureaucratique, qui a conservé au travers de l’histoire, en tant que catégorie, « une même fonction : les « Aborigènes » représentent la nature sauvage voire la barbarie contre laquelle s’établit la civilisation » 6. Quant au terme « indigène », utilisé en anglais (“indigenous”) pour s’en référer aux peuples premiers, il reste marqué en langue française par l’époque coloniale de la France durant laquelle il servait, à l’instar du terme australien « aborigène », de catégorie bureaucratique.

Par contre, le terme « autochtone » ne revêt pas cette dimension bureaucratique. Il rend l’idée du terme anglais native, ou originaire du pays, et il est un équivalant français du terme chinois choisi par les peuples premiers de Taïwan : yuánzhùmín 原住民 (littéralement « peuples résidant à l’origine »). Les autochtones de Taïwan et des États-Unis se sont battus, et se battent encore, pour obtenir cette reconnaissance en tant que peuples premiers, afin d’affirmer leur souveraineté tribale et culturelle. Aussi, dans cette étude, le terme « autochtone » a été préféré à ceux d’indigène et d’aborigène.

1.2. Origines historiques de la “literacy”

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autochtone

Avant la colonisation, les autochtones dakotapi et paiwan vivaient dans des sociétés orales où l’histoire du peuple et les récits ancestraux étaient transmis au moyen de l’orature. Il faut entendre par orature, comme le veut le linguiste, ethnologue et écrivain français Rémy Dor,

6 PRÉAUD Martin, « Loi et Culture en Pays Aborigènes: Anthropologie des Réseaux Autochtones du Kimberley,

Nord-ouest de l’Australie », Thèse de Doctorat, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), JAMES

COOK UNIVERSITY School of Arts and Social Sciences, 2009, p. 62, 64.

7 Ce terme anglais désigne à la fois la capacité à lire et écrire, et une certaine culture littéraire. Il n’a pas

d’équivalent exact en langue française, sa traduction par « alphabétisation » est trop imprécise pour être utilisée ici.

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l’ensemble d’un patrimoine transmis à l’oral, conservé dans la mémoire des auditeurs, et distinct de la littérature (par essence écrite)8.

Cet amalgame lexical d’oral et de littérature, apparu dans les années 1970, est également attribué au linguiste et théoricien littéraire Ougandais Pio Zirimu. Il sert d’alternative au terme que Zirimu estimait trop oxymorique de littérature orale. Bien que désignant tout d’abord la tradition orale africaine, le terme d’orature s’applique parfaitement aux récits dakotapi et paiwan, qui rejoignent la définition donnée par le poète et professeur de l’Université d’État de l’Ohio, Lupenga Mphande, spécialiste des langues et littératures d’Afrique du Sud, dans son article sur la littérature et la performance orale :

Orature means something passed on through the spoken word, and because it is based on the spoken language it comes to life only in a living community. Where community life fades away, orality loses it function and dies. It needs people in a living social setting; it needs life itself. Thus orature grows out of tradition, and keeps tradition alive.9

L’orature signifie quelque chose de transmis au travers de la parole orale, et parce que cela se fonde sur la parole orale, elle ne prend vie qu’au sein d’une communauté vivante. Là où la vie communautaire disparait, l’oralité perd sa fonction et meurt. Elle a besoin de gens dans un contexte social vivant ; elle a besoin de la vie elle-même. Ainsi, l’orature provient de la tradition, et garde la tradition en vie. (Tdl.)

Les Paiwan et les Dakotapi ont en commun une orature transmise de génération en génération, avec des récits visant à expliquer le monde qui les entoure. Dans Le Mythe et la Plume : La littérature indienne contemporaine en Amérique du Nord, Bernadette Rigal-Cellard, professeur de littérature et civilisation nord-américaines, qualifie ces récits oraux des peuples autochtones d’orature, dont les fonctions variées se retrouvent dans de nombreuses sociétés premières. Elle définit ensuite leurs multiples fonctions dans ces « cultures tribales » :

Comme dans toutes les cultures, ces histoires avaient et ont toujours diverses fonctions: souder la communauté en lui faisant partager le même système symbolique; éclairer le mystère de la création du monde et des êtres animés et inanimés en fournissant une explication crédible de leur formation et de leur évolution; donner des repères en expliquant comment le groupe est apparu et s'est installé à tel endroit ; divertir par le récit des aventures comiques, humains, esprits ou animaux, tels que les tricksters, et démontrer par là l'interaction entre tous les êtres ; faire la morale en fournissant une explication pour le mal, les maladies, la mort et en même temps offrir des conseils pour éviter les accidents en restant sans cesse vigilant face aux esprits maléfiques qui peuplent les eaux, les canyons...10

Sans écriture alphabétique, les Dakotapi transcrivaient leur histoire au moyen de pictogrammes à la configuration circulaire, et peints sur des peaux de bisons, appelés waniyetu

8 Rémy Dor réutilise le terme de Moyen Français d’orature en le définissant et en le distinguant du terme de

littérature et de littérature orale dans : DOR Rémy, « Orature du Nord-Est afghan, I. Les Kirghiz du Pamir »,

Turcica 8-1, 1976, p. 87‑116.

9 MPHANDE Lupenga, « Oral literature and performance » in GIKANDI Simon (éd.), Encyclopedia of African

Literature, London ; New York, Routledge, 2003, p. 579‑586 (p. 579‑580).

10 RIGAL-CELLARD Bernadette, Le Mythe et la Plume : La littérature indienne contemporaine en Amérique du

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wowapi en lakota et en dakota, ou “winter counts” (littéralement « comptes d’hiver »). Chaque année était représentée par un pictogramme qui servait à activer le processus mémoriel de l’historien du peuple. Ce pictogramme correspondait toujours à l’évènement le plus marquant de l’année11.

Dans son étude sur la vie précoloniale des Dakotapi, “The Dakota Way of Life”, l’auteure, linguiste et ethnologue dakotapi Ella Cara Deloria (1889-1971), a décrit le winter count comme un « calendrier des années » (“calendar of years”), dans lequel les années n’étaient pas comptées au moyen de chiffres, mais selon l’évènement le plus important pour la tribu, et les années portaient un nom y faisant référence. Chaque tribu avait son winter count et son historien tribal, et il existait donc de nombreux winter counts aux noms d’années variables selon les tribus12.

Dans la première moitié du seizième siècle, des missionnaires envoyés en Amérique du Sud construisirent une première ethnographie des autochtones, dans le but de les convertir. Par la suite, et très rapidement, des lettrés autochtones mirent eux aussi par écrit leurs récits et leurs histoires. En Amérique du Nord, le premier auteur autochtone publié fut le Mohegan Samson Occom (1723-1792), qui publia en 1772 un sermon en anglais, tandis que la première autobiographie publiée d’un autochtone, celle de William Apes (1798-1839), un Pequot, datait de 1829. Apes était en outre un des « écrivains les plus énergiques de la protestation du début du dix-neuvième siècle »13.

Depuis l’ethnologie moderne, on retrouve sur tous les continents ce processus de mise par écrit des traditions orales (incluant non seulement des mythes et des récits ancestraux, mais également des rites et des coutumes, constituant « un héritage oral intégré »14), en particulier à

partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle dans les pays européens, où le folklore autochtone écrit par des allochtones devient une mode.

Les autochtones des Plaines d’Amérique du Nord, qui, en reprenant les termes de l’auteur, historien, théologien et activiste dakotapi Vine Deloria Jr. (1933-2005), se battaient « férocement » contre les Blancs, « devinrent les Indiens Archétypes dans l’esprit des

11 Dans le cadre du rapport annuel du Bureau d’Ethnologie du Smithsonian Institute de 1888-1889, le colonel

Garrick Mallery a consacré plus de 800 pages, dont 1290 illustrations, à l’étude de l’écriture pictographique des autochtones d’Amérique. Dans la publication intégrale de ce rapport, on retrouve une description détaillée des

winter counts dakotapi, et notamment des winter counts des historiens tribaux Lone Dog et Baptiste Good. Voir :

MALLERY Garrick, Picture Writing of the American Indians, Vol. 1, Éd. originale 1893, New York, Dover Publications, 1972, vol. 1, p. 266‑328.

12 DELORIA Ella Cara, « The Dakota Way of Life », Manuscrit non publié, Dakota Indian Foundation,

Chamberlain, Dakota du Sud (États-Unis), p. 69.

13 BROWN RUOFF A. Lavonne, American Indian Literatures: An Introduction, Bibliographic Review and

Selected Bibliography, New York, Modern Language Association of America, 1990, p. 53, 62, Tdl.

14 BOYER Pascal, « Orale, Tradition » in Encyclopædia Universalis [en ligne]

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Blancs »15. Cette image contribuait à la représentation de « l’Indien d’Amérique », diffusée

partout dans le monde, notamment à travers le genre cinématographique du western.

En parallèle, aux États-Unis, se développa une forme de littérature s’intéressant à la vie et aux croyances des Dakotapi. Elle était d’abord écrite par des médecins, des hommes d’église, des anthropologues et des aventuriers blancs, qui anticipaient sans doute la disparition de ces peuples et recueillaient toutes sortes de données et de témoignages, de fragments de culture. Ces données étaient compilées par des cercles universitaires dans la mouvance des sociétés savantes occidentales des dix-huitième et dix-neuvième siècles, ou pour établir des collections privées16.

Ces membres de la société dominante n’avaient cependant pas les mêmes préoccupations concernant la préservation de l’orature des autochtones, qui de leur côté continuaient à la transmettre et la faire vivre oralement de génération en génération. À l’opposé de ces tentatives de conservation des traditions dakotapi, à la fin des guerres indiennes, le gouvernement lança une campagne d’assimilation fondée sur l’éducation des enfants qui étaient enlevés à leur famille et placés dans des pensionnats, de manière à éradiquer leur culture d’origine.

Ce processus de décimation des populations autochtones, d’ethnocide, puis d’assimilation à une culture dominante, conduisit par réaction à un mouvement de revendication identitaire, dans lequel les Dakotapi se posèrent une fois encore la question de la préservation et de la transmission de leur orature. Ce mouvement se retrouva ultérieurement chez les autochtones de Taïwan.

Par rapport aux États-Unis, Taïwan offre un cas particulier où l’on observe une double influence impérialiste, celle des Japonais et celle des Chinois. Les Paiwan avaient également, au fil des siècles, thésaurisé des connaissances scientifiques et historiques. Ces connaissances étaient retranscrites dans leurs récits ancestraux, transmis à l’oral par les membres tribaux de

15 DELORIA Vine Jr., « The Evolution of Federal Indian Policy Making » in DELORIA Vine Jr. (éd.), American

Indian Policy in the Twentieth Century, Éd. originale 1985, Norman, University of Oklahoma Press, 1992, p.

239‑255 (p. 246), Tdl.

16 Voir, entre autres : DENSMORE Frances, Teton Sioux Music & Culture, Éd. originale 1818, Lincoln ; London,

University of Nebraska Press, coll.« Bison Books », 1992 manuscrit rédigé en 1886-1887, conservé dans les archives du Smithsonian Institution, publié plus de cent ans après sa rédaction ; MEAD Margaret (éd.),

Cooperation and Competition Among Primitive Peoples, Éd. originale 1937, Révisée en 1961, Boston, Beacon

Press ; FLETCHER Alice C., Life among the Indians: First Fieldwork among the Sioux and Omahas, Lincoln ; London, University of Nebraska Press, coll.« Studies in the Anthropology of North American Indians », 2013 ; POND Samuel W., The Dakota or Sioux in Minnesota as They Were in 1834, Éd. originale 1908, St. Paul, Minnesota Historical Society Press, coll. « Borealis Books », 1986.

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génération en génération. Dans ces récits, ils « expliquaient, élargissaient et ajustaient constamment ces contenus et concepts culturels uniques sur la vie »17.

En outre, les Paiwan ont eux aussi été soumis à une politique d’assimilation à la « patrie » du colonisateur par la modernisation, par deux fois18. Or, la seconde vague de colonisation, plus

récente, s’opéra différemment. Celle-ci est née de l’idéologie chinoise de la suprématie culturelle des Han sur les minorités non-Han, considérées comme primitives et arriérées. Ce « sinocentrisme » culturel prenait racine dans la philosophie confucéenne, interprétée par les colonisateurs de façon impérialiste : « Lorsque les barbares [soit les non-Han] entrent en Chine [dans la civilisation chinoise], ils deviennent Chinois. »19.

Le but du gouvernement était de « ‘plainiser’ les peuples des montagnes » (shāndì píngdì huà, 山地平地化)20. « Plainiser »les autochtones des montagnes signifiait les « assimiler » à

la culture et au mode de vie des Chinois Han. Les méthodes employées, notamment en ce qui concernait les enfants, ressemblaient à moindre échelle à celles des missionnaires du continent américain. Sous le système éducatif centralisateur du Kuomintang (zhōngguó guómíndǎng 中 國國民黨), le parti politique au pouvoir à Taïwan après la défaite et le retrait du Japon en 1945, et qui jusqu’en 1986 était le seul parti autorisé de l’île, on apprenait aux élèves à s’identifier à la nation chinoise à travers l’apprentissage de son histoire, de sa géographie, de sa culture et de son système de valeur, et en ne parlant que le chinois mandarin, la langue nationale.

L’auteur Puyuma (Pēinán zú 卑南族) Paelabang Danapan (Sun Dachuan, 孫大川) décrit cette dissonance en expliquant comment « les symboles autochtones devinrent des tabous politiques. Et les « apports » de matériaux culturels […] au sein du système d’éducation formelle servaient d’outils de propagande aux idéaux politiques, qui, de plus, ne pouvaient coexister avec les connaissances autochtones car ils se contredisaient mutuellement. »21.

17 POICONU Pasuya 巴蘇亞·博伊哲努 (PU Chungchen 浦忠成), Literary History of Taiwanese Indigenous

Peoples (Volume 1), Taipei, National Academy fo Educational Research et ⾥仁書局 Le Jin Books Ltd., 2012, p. 361, Tdl.

18 Ces deux colonisations majeures n’ont pas été les seules à Taïwan, et déjà au dix-septième siècle, les Hollandais

contrôlaient des villages paiwan du sud et de l’ouest du territoire paiwan, aux pieds des montagnes, et le long de rivières. Puis les Zheng et les Qing avaient entrepris des campagnes d’expansion du territoire colonisé en pénétrant dans les territoires montagneux et dans les forêts sacrées des Paiwan pour en exploiter les ressources naturelles.

19 Extrait d’un des textes de Confucius (551-479 av. è. c.), cité dans : WANG Hui, China from Empire to

Nation-State, Traduit par GIBBS HILL Michael, Éd. originale en Chinois simplifié 2004, Cambridge ; London, Harvard

University Press, 2014, p. 121, Tdl.

20 HARRISON Henrietta, « Changing Nationalities, Changing Ethnicities: Taiwan Indigenous Villages in the

Years after 1946 » in In Search of the Hunters and Their Tribes: Studies in the History and Culture of the Taiwan

Indigenous People, Taipei, Shung Ye Museum of Formosan Aborigines, coll. « Shung Ye Museum of Formosan

Aborigines monograph », n˚ 4, 2001, p. 50‑78 (p. 61), Tdl.

21 SUN Ta-chuan 孫⼤川, Jiáfèngzhōng de zúqún jiàngòu: Táiwān yuánzhùmín de yǔyán, wénhuà yǔ zhèngzhì

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Néanmoins, le gouvernement n’avait pas anticipé l’effet boomerang. Cette éducation permit aux enfants de se familiariser avec les techniques de l’écriture et de se forger des outils qu’ils purent utiliser au sein de leur communauté, étant capables d’écrire eux-mêmes leurs récits autochtones personnels et historiques. Les autochtones, en faisant perdurer leurs oratures, en dépassant le simple fait de réagir aux épreuves, en refusant de rester dans une posture de victime, et en imposant leur présence sur la scène littéraire des sociétés dominantes, s’inscrivirent dès lors dans une démarche de survivance.

Ce terme utilisé dans le cadre des études des autochtones d’Amérique du Nord par l’auteur et théoricien culturel anishinaabe Gerald Vizenor, est considéré par d’autres auteurs autochtones tels que Jace Weaver et Daniel Heath Justice comme un mot-valise qui incorpore simultanément les notions de survie et de résistance. Selon Vizenor, la survivance dépasse donc le simple fait de survivre ou de réagir aux épreuves. Elle implique « la continuation des histoires autochtones », et des histoires de survivance qui sont « des renonciations à la domination, à la tragédie et à la victimisation »22.

Chez les Dakotapi, l’exemple de l’écrivaine et linguiste dakotapi Ella Cara Deloria, née en 1889 sur la réserve Yankton dans le Dakota du Sud, est une histoire de survivance, où les mesures éducatives gouvernementales pernicieuses furent mises à profit pour la perpétuation des histoire(s) du peuple. Éduquée dans une école de mission de sa réserve, puis à All Saints, le pensionnat de Sioux Falls, elle poursuivit des études à l’Université de Colombia, et collabora avec Franz Boas. Sa connaissance intime de la culture dakotapi et le fait qu’elle parlait couramment le Lakota et le Dakota, faisaient d’elle une auxiliaire précieuse pour Boas et pour ses étudiants (tels que Ruth Benedict et Margaret Mead).

Deloria choisit de mettre les outils allochtones acquis au sein du système éducatif américain au service de la défense et de la réhabilitation de son héritage culturel, et cela de façon pluridisciplinaire, puisqu’elle était à la fois historienne, ethnologue, linguiste, romancière et enseignante. Pourtant, en dépit de son éducation et de son œuvre considérable, et d’une reconnaissance dans le milieu boasien en tant « qu’experte des Dakota », « son autorité en tant qu’ethnographe était également fréquemment discréditée » 23.

Deloria, considérée comme trop autochtone pour être objective par ces universitaires, était paradoxalement jugée trop « éduquée » par le gouvernement américain pour être crédible

l’interstice : langue, culture et politique des autochtones de Taïwan], 台北 Taipei, 聯合文學 Unitas Publishing, 2010, p. 39, Tdl.

22 VIZENOR Gerald Robert, Manifest manners: narratives on postindian survivance, Lincoln, University of

Nebraska Press, 1999, p. vii, Tdl.

23 COTERA María Eugenia, Native Speakers: Ella Deloria, Zora Neale Hurston, Jovita Gonzalez, and the Poetics

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en tant que « voix des autochtones »24. Cette marginalisation par la société dominante ne l’a

cependant pas empêchée d’œuvrer à la diffusion de l’orature de son peuple, et à un travail de défense de sa culture et de ses valeurs dakotapi. Même lorsqu’elle s’est retrouvée contrainte de vivre dans sa voiture faute de ressources, avec sa sœur handicapée (dont elle s’est occupée jusqu’au décès de cette dernière), Deloria a poursuivi ses recherches. Tout au long de sa vie et au travers de son œuvre, elle fut un exemple de résilience autochtone.

La résilience existe chez les Lakota (un groupe dakotapi), sous le nom de wacan tognaca (« forte volonté »). Elle est intrinsèque à la culture lakota, et « la traduction la plus proche de ‘résilience’ est un mot sacré qui signifie ‘résistance’ ». Lorsque les Lakota tentent « de traverser des périodes difficiles, des périodes stressantes, avec une bonne disposition de cœur », ils considèrent que « le don [d’adversité] est une leçon à tirer en la surpassant. »25.

Cette notion de résilience, qui désignait à l’origine, en physique, la capacité d’un corps à résister à un choc, est aujourd’hui appliquée en psychologie et en sociologie aux individus en tant que capacité à se remettre rapidement d’une épreuve traumatisante. Ce concept se retrouve chez les peuples autochtones dakotapi et paiwan depuis des siècles. Dans leurs oratures ancestrales, les héros apprennent au peuple à faire face aux diverses épreuves liées à la rudesse de leur environnement, aux conflits internes et externes pouvant survenir dans la tribu, aux périodes de famine, etc.

Mais il leur fut particulièrement utile lorsqu’ils durent affronter les tentatives d’ethnocide des colonisateurs, qui les chassèrent de leurs territoires ancestraux, et qui tentèrent de les dépouiller de leur passé (de leur mémoire historique : leurs oratures, leurs langues, leurs cérémonies, leurs modes des vies séculaires, etc.), et de leur avenir (leur enfants (par la séparation physique et par des programmes « éducatifs » assimilationnistes). C’est grâce à cette résilience que les auteurs dakotapi et paiwan de cette étude ont préservé et fait perdurer leurs cultures et leurs oratures dans des littératures faites de récits de survivance.

L’affirmation de leur identité autochtone passe également par une réappropriation du terme « tribal », utilisé par de nombreux auteurs, artistes et activistes dakotapi26, et défendu à

24 Ibid., Tdl.

25 LAFROMBOISE Teresa D., HOYT Dan R., OLIVIER Lisa et WHITBECK Les B., « Family, Community, and

School Influences on Resilience among American Indian Adolescents in the Upper Midwest », Journal of

Community Psychology 34-2, mars 2006, p. 193‑209 (p. 194), Tdl.

26 Voir, entre autres : COOK-LYNN Elizabeth, New Indians, Old Wars, Urbana ; Chicago, University of Illinois

Press, 2007, p. xi, 41, 43, 53, etc. (“tribal nations”, “tribal past”, “tribal voice”, “tribal sovereign communities”, “tribal literatures”, “tribal belief system”, etc.) ; GUNN ALLEN Paula, The Sacred Hoop: Recovering the

Feminine in American Indian Traditions, Éd. originale 1986, Boston, Beacon Press, 1992, p. 77‑80, etc. (“tribal

traditions”, “tribal culture”, “tribal rituals”, “tribal narratives”, “tribal world”, “tribal people”, “tribal person”, “tribal life”, etc.) ; DELORIA Vine Jr., God is Red: A Native View of Religion, Éd. du trentième anniversaire de l’Éd. originale de 1973, Fulcrum Publishing, 2003, p. 45, 97,194-195, etc. (“tribal people”, “tribal reality”, “tribal

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Taïwan, dès 1993, par l’anthropologue rukai (Lǔkǎi zú 魯凱族) Sasala Taiban (1965-) dans son article intitulé [La renaissance du village natal des ruines : du journal "Kao-Shan-Ching" au Tribalisme – observations et réflexions au sujet d'un mouvement autochtone] (Fèixū gùxiāng de chóngshēng: Cóng “gāoshān qīng” dào bùluò zhǔyì: Yīgè yuán zhùmín yùndòng zhě de guānchá hé fǎnxǐng 「廢墟故鄉的重生: 從《高山青》到部落主義 : 一個原住民運動者的 觀察和反省」). Taiban y met en avant la notion de tribalisme comme outil de « reconstruction de la culture traditionnelle » et du « système tribal », et l’utilise comme axiome fondamental du Mouvement Autochtone (yuánzhùmín yùndòng 原住民運動) de l’époque27.

Chez les Paiwan, le mode d’appropriation de l’écriture est globalement le même que chez les Dakotapi, si l’on fait abstraction des difficultés particulières de la graphie chinoise par rapport à l’alphabet romain. Mais en raison du délai de l’accès des autochtones de Taïwan à l’édition, qui date seulement des années 1960 et qui fut restreint à ses début à certains genres, à ce jour, les récits ancestraux paiwan n’ont pas encore fait l’objet de retranscriptions systématiques comparables à celle réalisées pour les récits Dakotapi.

Toutefois, on remarque la volonté d’auteurs contemporains autochtones, tels qu’Ahronglong Sakinu 亞榮隆·撒可努 et Yibau 伊苞, de transcrire par écrit les mythes collectifs. Ces auteurs ont aussi publié des récits de leur expérience personnelle qui s’inscrit entre deux mondes, celui de l’éducation chinoise et celui des traditions autochtones. Concernant ce terme « tradition » (“tradition” en anglais et chuántǒng 傳統 en chinois), est également très utilisé par les auteurs dakotapi et paiwan. La dimension et la fonction culturelle symbolique qu’elle revêt chez ces peuples traduit leur volonté de s’opposer à la « modernité » du discours colonisateur/dominant en se tournant vers les éléments hérités du passé et des ancêtres.

Bien que la tradition soit inscrite dans l’histoire, Dakotapi et Paiwan n’ignorent toutefois pas sa qualité dynamique et transformatrice, faite de permanence et de changement, de création et de recréation. Aussi, sans ignorer le concept de « tradition inventée »28, ce terme sera

life”, “tribal religion”, “tribal women”, “tribal decision making”, “tribal ways, etc.), pour ne citer que trois livre de trois auteurs dakotapi.

27 SASALA Taiban · , « Fèixū gùxiāng de chóngshēng: Cóng “gāoshān qīng” dào bùluò zhǔyì: Yīgè

yuán zhùmín yùndòng zhě de guānchá hé fǎnxǐng » :  :

[La renaissance du village natal des ruines : du journal « Kao-Shan-Ching » au Tribalisme – observations et réflexions au sujet d’un mouvement autochtone], Taiwan Historical Materials Studies 2, 1993, p. 28‑40 ; Sasala poursuit son utilisation du terme « tribal » dans sa thèse de doctorat, voir : SASALA Taiban · , « The Lost Lily: State, Sociocultural Change and the Decline of Hunting

Culture in Kaochapogan », Thèse de Doctorat, University of Washington, Seattle, 2006.

28 À ce sujet, voir : HOBSBAWN Eric et RANGER Terence (éd.), L’ Invention de la tradition, Traduit par VIVIER

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