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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01202905

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Submitted on 21 Sep 2015

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Sculpter le son

Makis Solomos

To cite this version:

Makis Solomos. Sculpter le son. François-Bernard Mâche. Portrait(s) de Iannis Xenakis, Bibliothèque Nationale de France, p. 133-142, 2001. �hal-01202905�

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in Portrait(s) de Iannis Xenakis, sous la direction de François-Bernard Mâche, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2001, p. 133-142

Abstract

L’une des révolutions majeures, sinon la plus importante, du XXe

siècle musical aura été l’émergence du son. Des accords-timbres de Debussy à la musique contemporaine récente, du rock’n’roll à la techno, l’histoire des musiques savantes comme des musiques populaires s’est, dans une certaine mesure, progressivement centrée sur le fondement même de la

musique, le son. Xenakis occupe une place de choix dans cette histoire, où, pour simplifier, la composition du son tend à se substituer à la composition avec des sons. Dès les années 1950, avec des œuvres instrumentales comme Le Sacrifice (1953), Metastaseis (1953-1954) ou

Pithoprakta (1955-1956) et des pièces électroacoustiques telles que Diamorphoses (1957) ou Concret PH (1958), il s’est engagé dans une conception de la composition qui se focalise sur

le son à tel point que, si le terme n’était pas utilisé pour désigner une pratique artistique interdisciplinaire récente, il pourrait être qualifié de “ sculpteur sonore ”.

1. Le son comme fondement

Xenakis lui-même n’a pas théorisé cette nouvelle conception de la composition ou, du moins, il ne l’a pas traitée, dans ses écrits, d’une manière systématique et directe —on sait que l’essentiel de son discours théorique porte sur la question de la formalisation de la musique. Il existe cependant quelques passages importants de ses écrits qui se réfèrent à la focalisation sur le son. Un tel passage se rencontre dans un de ses tous premiers articles, “ Problèmes de composition musicale grecque ”1 qui est, à maints égards, fondateur. Xenakis l’écrit à une

époque de transition très importante : avec la composition du Sacrifice et de Metastaseis, il passe de ses œuvres de jeunesse, où domine une problématique de type bartókien2, aux

questionnements musicaux —notion de continuité (glissandos), de masse, etc.— qui lui apporteront la célébrité. Durant cette époque, il hésite entre plusieurs voies. Bien qu’installé en France depuis déjà plusieurs années, il est encore déchiré entre la tradition musicale

grecque (il se réfère principalement à la musique démotique, c’est-à-dire la tradition rurale) et la musique occidentale. Mais il doit aussi affronter le fossé qui sépare la musique occidentale du passé de celle avant-gardiste. En outre, l’avant-garde vient de se séparer en deux : au courant sériel (que Xenakis nomme encore “ dodécaphonique ”) s’oppose la musique concrète (“ l’électronique ”, dans ses termes), qui fait déjà beaucoup de bruit. Enfin, il semble fasciné par les qualités rythmiques du jazz. Dans un langage simple et direct, il pose la question du choix entre toutes ces voies : “ Quelle est alors la bonne voie ? Quelle est la vraie musique ?

1 “ Προβληµατα ελληνικης µουσικης συνθεσης ”, Επιθεωρηση τεχνης, n° 9, Athènes, 1955, p. 185-189.

Traduit en français dans Présences de Iannis Xenakis, Paris, CDMC, 2001, p. 11-14.

2 Cf. Mâche (François-Bernard), “ L’hellénisme de Xenakis ”, dans Un demi-siècle de musique … et toujours

contemporaine, Paris, l’Harmattan, 2000, p. 302-321 et Solomos (Makis), “ Du projet bartókien au son.

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2

La musique européenne traditionnelle, celle dodécaphonique, l’électronique, le jazz, la musique démotique ? ”3.

Pour un jeune compositeur autodidacte (ou presque) et exilé de surcroît, le choix est plus que difficile : impossible. En effet, il n’existe aucune raison qui pourrait lui faire préférer telle musique à telle autre, qui l’obligerait à s’inscrire dans une tradition plutôt que dans une autre. C’est pourquoi, tout naturellement, Xenakis, pour répondre à cette question, en formule une nouvelle : “ Existe-t-il un lien entre [ces musiques], ou bien, sont-elles incompatibles de sorte que certaines devraient être condamnées comme dépassées ou comme créations

monstrueuses d’époques anormales ? ”4. Cette question est fondamentale et sa réponse encore

plus :

“ Le lien existe. C’est le fond même, le contenu du son et de l’art musical qui l’utilise. La musique est constituée de messages sonores, de signaux sonores.

Le son en acoustique s’analyse en équations physico-mathématiques (il est une vibration élastique de la matière) qui se mesurent : intensité, couleur, temps. Dans la couleur entrent la hauteur, les

harmoniques, les sons additifs et soustractifs, les ondulations, etc. Par conséquent, le son est une grandeur quantitative.

Mais dès qu’il franchit le seuil de l’oreille, il devient impression, sens, grandeur qualitative par conséquent. La psychophysiologie de la musique n’est pas encore une science. Le bon compositeur pourra exprimer les sens qu’il désire ”5.

Si la référence à la “ psychophysiologie de la musique ” (la psychoacoustique, dirions-nous aujourd’hui) intéressera d’emblée le lecteur, car elle dément l’idée selon laquelle Xenakis ne se souciait pas de la perception6, le début de cette réponse pourrait lui sembler

relever d’un énoncé banal. Tel n’est pas le cas. Malgré ce que pourrait faire croire une lecture rapide, Xenakis ne propose pas ici la démarche habituelle qui, enracinée dans une conception linguistique de la musique, commence par définir le son pour passer ensuite à la musique, à “ l’art des sons ”. Son raisonnement ne tient pas de la définition de la musique comme langage, une définition qui oppose un premier niveau d’articulation (le son) à un second (la musique). A ce couple, il substitue la dichotomie quantitatif/qualitatif. L’aspect qualitatif reste quelque peu imprécis dans son propos —il inclut à la fois “ l’impression ” et le “ sens ”. Par contre, l’aspect quantitatif est très clairement délimité : c’est le son. Celui-ci n’est plus défini comme un simple niveau d’articulation, un matériau neutre. Posé comme le lien entre toutes les musiques, il constitue pour Xenakis le “ fond même ” de la musique : son fondement, pourrions-nous ajouter.

2. Composer le son

Poser le son comme “ fondement ” revient à renverser, en quelque sorte, le schéma traditionnel : le son n’est plus traité comme le point de départ de la composition musicale, mais comme son point d’aboutissement. Car on pourrait établir un parallèle entre le débat sur la “ crise des fondements ” qui a traversé les mathématiques au siècle dernier et les recherches musicales avant-gardistes de la même époque. A l’instar des mathématiciens et des

3 “ Προβληµατα ελληνικης µουσικης συνθεσης ”, op. cit., p. 186 (traduction française, op. cit., p. 12). 4 Idem.

5 Idem.

6 Cette idée a souvent été défendue. Récemment, elle a été reprise par François Delalande qui, dans ses

entretiens avec Xenakis, l’oppose à Schaeffer, via les propos de ce dernier : cf. Delalande (François), “ Il faut

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épistémologues qui tentèrent de “ fonder ” les mathématiques, les musiciens expérimentèrent plusieurs chemins pour mettre en évidence le son en tant que fondement de la musique. De la

Klangfarbenmelodie schönbergienne au mysticisme de Scelsi, nombreuses ont été les voies

qui, d’une manière plus ou moins explicite, se sont centrées sur le phénomène sonore même. Nous pouvons les regrouper en deux en reprenant la terminologie du débat des

épistémologues : la voie “ intuitionniste ” et celle “ axiomatique ” 7. Dans le premier cas, il

s’agit de “ laisser les sons être ”, selon la célèbre formule de Cage ; dans le second, de

composer le son.

Xenakis compte parmi les représentants les plus importants de la seconde voie. Une très grande partie de sa musique, tant instrumentale qu’électronique, peut être analysée et écoutée comme son composé, comme synthèse sonore transposée à l’échelle temporelle de l’œuvre. Quelques unes de ses pièces sont très explicites sur ce point. C’est le cas de ses deux dernières pièces électroniques, composées avec le programme GENDYN, Gendy3 (1991) et S.709 (1994)8. GENDYN, qui exploite la “ synthèse dynamique stochastique ”, parachève le projet

amorcé trente ans plus tôt avec Achorripsis 1957) et les pièces intitulées ST (1956-1962) : créer un mécanisme qui, après l’introduction de quelques données, produit une œuvre musicale dans sa totalité. Un algorithme synthétise le son en continu à partir de variations probabilistes de sa courbe de pression. Il n’y a donc pas de différence à proprement parler entre la synthèse (du son) et la composition (au sens traditionnel) : en théorie, la dernière est le résultat immédiat de la première —dans le langage conceptuel de Xenakis, la

“ macrocomposition ” résulte de la “ microcomposition ”9. La conception granulaire du son

que, en se référant à Gabor, Xenakis développa dès la fin des années 1950, est elle aussi très révélatrice10. Car, à défaut de pouvoir mettre en œuvre à l’époque la synthèse granulaire, il

émit l’hypothèse d’une “ sonorité de second ordre ”11 et composa Analogique A et B

(1958-1959) pour la tester : les neuf cordes (Analogique A) ne jouent que des sons ponctuels (arcos brefs, pizzicatos ou battutos col lego) et la bande (Analogique B) est fabriquée avec des nuages de sinus très brefs ; ces sons ponctuels instrumentaux et ces sinus représentent les “ grains sonores ” et Xenakis espère que l’oreille les fusionnera pour entendre un son global12.

Cette hypothèse implique que la composition (de l’œuvre entière) est une synthèse (du son) à une échelle supérieure.

Les compositions qui viennent d’être commentées constituent des exceptions chez Xenakis. Le cas général n’est pas celui d’une macrocomposition déduite sans médiations de la microcomposition, d’une composition qui ne serait qu’une synthèse transposée, ne serait-ce

7 L’idée du parallèle entre le débat épistémologique et les recherches musicales quant à la question du fondement

ainsi que la transposition de l’opposition “ intuitionnisme / axiomatisme ” dans le champ de la musique sont empruntées à Lyotard (Jean-François), “ L’obédience ”, InHarmoniques n°1, 1986, p. 112-115.

8 Pour une analyse du programme GENDYN et de la pièce Gendy3, cf. Hoffmann (Peter), “ Analysis through

Resynthesis. Gendy3 by Iannis Xenakis ”, dans Présences de Iannis Xenakis, op. cit., p. 185-194.

9 Cette terminologie revient dans plusieurs écrits de Xenakis, mais sans être développée ; cf. notamment “ Les

chemins de la composition musicale ” (1981), repris dans Kéleütha, Paris, l’Arche, 1994, p. 21.

10 Cf. Musiques formelles = Revue Musicale n°253-254, 1963, réédition : Paris, Stock, 1981, p. 61. 11 L’expression est employée dans ibid., p. 122.

12 Pour une analyse de cette œuvre, de l’hypothèse de sonorité de second ordre ainsi que des problèmes qu’elle

pose, cf. Di Scipio (Agostino), “ The problem of 2nd-order sonorities in Xenakis' electroacoustic music ”,

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4

que parce que le corpus principal (au niveau quantitatif) de sa production est instrumental et ne fait donc pas appel à la synthèse, à la microcomposition13. On peut cependant montrer

qu’une grande partie de sa musique s’analyse aisément comme son composé. Pour ce faire, il convient de remplacer le mot “ son ” par “ sonorité ”, afin d’indiquer que l’objet composé dont il est question n’est pas le son au sens physique du terme, mais une entité plus complexe, par exemple la section entière d’une œuvre orchestrale.

Prenons comme exemple le début de Jonchaies (1977), à partir de la mesure 10 et jusqu’à la mesure 62, qui met en scène les cordes (ainsi que quelques percussions). Il constitue une très longue section, quasi monolithique, avec une évolution intérieure

progressive très claire, à l’image de l’évolution d’un son unique. Les cordes sont divisées en dix huit parties qui se doublent ou s’individualisent. La section démarre avec une ligne à l’unisson dans l’aigu qui, suivant un parcours sinueux, descend d’une manière irrégulière vers le grave. Progressivement entrent d’autres lignes qui épousent le même parcours selon une technique qui évoque un canon ou, plus exactement, un discours hétérophonique. Aux mesures 24-29, l’ensemble atteint le registre grave, puis commence une ascension selon la même logique sinueuse et hétérophonique. A la mesure 43, l’une des lignes atteint la note la plus aiguë, suivie progressivement par les autres. Le trajet mélodique piétine ensuite dans l’aigu et enfin, quelques lignes descendent à nouveau vers le grave. Malgré son important étalement dans le temps, le trajet, très continu, est suffisamment schématique pour que

l’oreille le suive d’un bout à l’autre, comme le ferait l’œil avec un schéma14. Par ailleurs, tout

ce passage se fonde sur un crible (échelle) unique que donne l’exemple 1 (un crible qui, selon Xenakis, serait proche de l’échelle du pelog15). Mais le propos n’est pas le crible lui-même,

en tant que succession de hauteurs. La hauteur n’est pas ici une caractéristique principale : du fait qu’il s’étale sur une durée aussi longue, qu’il est exploré patiemment sur toute son

étendue d’une manière aussi linéaire et qu’il est traité dans le gigantesque halo sonore que provoque la technique de l’hétérophonie, on dira que ce crible est utilisé pour sa couleur. En somme, on peut percevoir ce passage comme un seul son qui se déploie progressivement et dont on explore, comme au microscope et avec un effet de ralenti, la composition interne ainsi que l’évolution temporelle.

Exemple 1. Jonchaies : crible des mesures 10-62

La majeure partie des œuvres de Xenakis peuvent être analysées comme successions de sonorités, c’est-à-dire de sections que l’on écouterait métaphoriquement comme des sons composés. Il est impossible, dans les cadres de cet article, de proposer d’autres exemples et de développer davantage ce type d’analyse et d’écoute —nous ne pouvons que renvoyer à des

13 Il y a cependant parfois un rapport entre la musique instrumentale et des modèles électroniques. Ainsi, les

figures sonores instrumentales particulières que Xenakis nomme “ mouvements browniens ” et qui abondent dans sa production instrumentale des années 1970, sont des transcriptions à l’échelle instrumentale de courbes de pression aléatoires du son.

14 Pour une transcription graphique qui illustre l’évolution globale de ce passage, cf. Harley (James), “ Formal

Analysis of the Music of Iannis Xenakis by Means of Sonic Events : Recent Orchestral Works ”, dans Présences

de Iannis Xenakis, op. cit., p. 41.

(6)

travaux plus développés16. Ajoutons seulement qu’une telle méthode d’analyse n’est pas —

cela va de soi— exclusive. Ecouter une œuvre de Xenakis comme succession de sons composés, de sonorités, n’empêche pas d’y entendre ses qualités dramatiques, par exemple.

3. Sculpter le son

Dans la tradition “ axiomatique ” qui conduit à concevoir l’œuvre comme son composé, Xenakis occupe une place non seulement capitale, mais, également, particulière. Chez lui, composer le son c’est le travailler à la manière d’un sculpteur. Examinons le graphique avec lequel il composa les mesures 52-59 de Pithoprakta17 (exemple 2). Pour ces quelques

mesures, il a calculé à l’aide d’une distribution gaussienne plus d’un millier de “ vitesses ” 18,

c’est-à-dire de glissandos. Cependant, ces derniers sont répartis dans le temps grâce au

graphique. Aussi, le résultat global —la sonorité— est, selon les propos de Xenakis lui-même, “ une modulation plastique de la matière sonore ”, ajoutons : une modulation résultant

directement du geste graphique19. Observons à présent de près ce dernier. On constate des

“ trous ”, des vides dans des régions (registres) entières, dans le grave, dans l’aigu ou au centre. On pourrait comparer le travail effectué à un filtrage. Mais on pourrait aussi évoquer l’action du sculpteur qui taille son bloc de pierre. Le bloc de pierre serait le type de sonorité que met en œuvre ce passage : une masse très dense de pizzicatos-glissandos. Le graphique, avec le geste volontaire qui lui donne ses contours nets, serait alors l’équivalent du travail sur ce bloc.

Exemple 2. Pithoprakta : graphique de Xenakis pour les mesures 52-59. Archives Xenakis (Bibliothèque nationale de France)

Xenakis a souvent composé avec des graphiques, du moins jusqu’à la fin des années 1970. De nombreuses sonorités qu’il est le premier à expérimenter et qui lui accordent une si franche originalité, ont été imaginées grâce à des schémas tracés sur du papier millimétré. On pensera bien entendu au glissando, signature xenakienne par excellence. Xenakis le théorise en le posant comme cas général : les “ sons ponctuels, granulaires […] sont en réalité un cas

16 Cf. Solomos (Makis), Iannis Xenakis, Mercuès, PO Editions, 1996, chapitre 5 et A propos des premières

œuvres (1953-1969) de I. Xenakis. Pour une approche historique du phénomène de l’émergence du son, thèse de

doctorat, Université Paris 4, 1993. Ces travaux fondent la notion de “ sonorité ” et établissent une typologie des sonorités xenakiennes en trois catégories : “ sons glissés ”, “ sons statiques ” et “ sons ponctuels ”.

17 Xenakis dessina deux graphiques pour ce passage : cf. Gibson (Benoît), “ La théorie et l’œuvre chez Xenakis :

éléments pour une réflexion ”, Circuits vol. 5 n°2, 1994, p. 42-46. Celui reproduit dans cet article a été publié dans Musiques formelles (op. cit., p. 31) et correspond à la partition éditée.

18 1142 selon l’article historique des Gravesaner Blätter (“ Wahrscheinlichkeitstheorie und Musik ”,

Gravesaner Blätter n°6, 1956, p. 31), chiffre qui revient aussi dans Musique. Architecture, Tournai, Casterman,

p. 13 et dans Kéleütha, op. cit., p. 50 ; 1148 selon Musiques formelles, op. cit., p. 30 ; 1146 selon notre propre décompte.

19 Comme on a pu le constater dans la note précédente, il existe deux versions de l’article où Xenakis évoque ce

passage. Dans la plus ancienne, il affirme que “ la distribution [des vitesses : c’est-à-dire le calcul de leurs valeurs] est gaussienne mais la forme géométrique [c’est-à-dire leur répartition grâce au graphique] est une modulation plastique de la matière sonore ” (“ Wahrscheinlichkeitstheorie und Musik ”, op. cit., p. 31, Musique.

Architecture, op. cit., p. 13, Kéleütha, op. cit., p. 50) —c’est l’hypothèse qui est adoptée ici. Dans la seconde, il

écrit : “ la distribution étant gaussienne, la configuration macroscopique est une modulation plastique de la matière sonore ” (Musiques formelles, p. 30), ce qui laisserait supposer que le graphique est déduit du calcul.

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6

particulier des sons à variation continue ”20. Mais il est évident qu’il découle de la possibilité

de tracer une ligne droite transversale sur du papier millimétré, dont les deux coordonnées représentent le temps et la hauteur. Nous avons pour Syrmos (1959), qui constitue en quelque sorte une étude sur les glissandos, plusieurs schémas (exemple 3) ; ils témoignent de

l’imagination graphique (et donc sonore, pour ce cas précis !) de Xenakis, qui définit

plusieurs catégories de glissandos (ascendants, descendants, croisés, convergents, divergents, en surfaces gauches,) et les matérialise de manières diverses. Les “ arborescences ” et les “ mouvements browniens ”, qui dominent les œuvres des années 1970 découlent aussi de formes graphiques (exemple 4 : arborescences d’Erikhthon, 1974). Par ailleurs, on peut, en retour, schématiser visuellement les sonorités xenakiennes. Plusieurs commentateurs se sont servis du graphique comme outil d’analyse. On trouvera dans l’exemple 5 notre transcription des mesures 291-303 de Terretektorh (1965-1966), qui met en évidence les extraordinaires “ tresses ” qui caractérisent de nombreux passages de cette pièce.

Exemple 3. Syrmos : graphiques de Xenakis pour les mesures 255-259. Archives Xenakis (Bibliothèque nationale de France)

Exemple 4. Erikhthon : graphique de Xenakis pour les mesures 162-179. Archives Xenakis (Bibliothèque nationale de France)

Exemple 5. Terretektorh : transcription graphique des mesures 291-303 (Makis Solomos)

Composée avec ou sans graphique, la musique de Xenakis est aux antipodes de la tradition qui fait de la musique un art du temps. Avec lui, elle tend à devenir, en quelque sorte, art de l’espace21. Dans un très beau texte sur le temps, le philosophe Xenakis demande :

“ Le temps n’est-il pas simplement une notion-épiphénomène d’une réalité plus

profonde ? ”22 ; après avoir mentionné des théories et des expériences parfois paradoxales de

la physique moderne, il en vient à poser l’espace, “ affranchi de la tutelle du temps ”, comme phénomène plus substantiel23. Parce qu’elle se propose de sculpter le son plutôt que de

développer dans le temps quelque élément premier (thème, cellule, etc.), sa musique illustre peut-être cette hypothèse.

20 Musiques formelles, op. cit., p. 27.

21 “ Chez Xenakis le sonore, voire le musical, naît souvent d’une imagination spatiale, […] il est contenu dans

un espace, de la même manière que l’en-temps est contenu dans le hors-temps ”, écrit Iliescu (Mihu), Musical et

extramusical. Eléments de pensée spatiale dans l’œuvre de Iannis Xenakis, thèse de doctorat, Université Paris 1,

1996, p. 5.

22 “ Sur le temps ” (1988), repris dans Kéleütha, op. cit., p. 94. 23 Ibid., p. 96.

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