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L'actualisation de la pensée amoureuse platonicienne dans les films d'animation de Disney

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Texte intégral

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L’ACTUALISATION DE LA PENSÉE

AMOUREUSE PLATONICIENNE DANS

LES FILMS D’ANIMATION DE DISNEY

Mémoire

Julie Lachance

Maîtrise en philosophie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce travail aborde les relations existant entre l‟amour platonicien et l‟amour présent dans les films d‟animation de Walt Disney. Disney étant l‟un des plus grands médias culturels occidentaux, si ce n‟est mondiaux, retrouver Platon chez Disney, c‟est voir l‟influence de la philosophie grecque sur l‟Occident actuel et son héritage. La comparaison sera déployée selon quatre grands thèmes : le rôle du beau dans l‟amour, ἔρως comme intermédiaire, l‟amour comme folie divine, l‟amour comme méthode éducative. Nous commencerons par exposer les mœurs en Grèce antique, pour présenter adéquatement la position de Platon. Nous nous demanderons ensuite les causes pouvant expliquer l‟apparition de la théorie platonicienne de l‟amour chez Disney. Nous présenterons par la même occasion les contes qui ont inspiré Disney et qui peuvent parfois avoir des racines platoniciennes. Finalement, nous comparerons les films de Disney avec la pensée de Platon au sujet de l‟amour.

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Abstract

This paper presents the existing correlations between the concept of platonic love and the love displayed in Walt Disney's animated movies. Disney being one of the biggest media in Occident, if not in the world, finding Plato's theory in Disney movies means seeing the traces of Greek philosophy in today‟s occidental world, and its heritage. We will ask ourselves why there is an existing relationship between Plato‟s theory and Disney. The comparison will be made around four themes: the role of beauty in love, ἔρως as intermediary, love as divine foolishness, love as educational method. We will first expose the customs of ancient Greece in order to present adequately Plato‟s position. We will present the fairy tales that inspired Disney, which sometimes find their origin in Platonism. Finally, we will compare Disney movies with Plato‟s reflections about love.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Avant-Propos ... xiii

Introduction ... 1

Chapitre I Théorie platonicienne de l‟amour ... 11

Mœurs amoureuses à l‟époque de Platon ... 11

Le rôle du beau dans l‟amour ... 23

ἔρως comme intermédiaire ... 37

L‟amour comme folie divine ... 48

L‟amour comme méthode éducative ... 55

Chapitre II Antécédents littéraires des films de Disney ... 61

Pourquoi les mythes, pourquoi les contes ? ... 61

Quelques auteurs repris par Disney, leur perception du conte de fées et la façon dont ils sont repris ... 65

L‟origine de La Belle et la Bête : conte repris par Disney ... 78

Chapitre III Présentation de l‟amour disneyen et comparaison avec l‟amour platonicien ... 93

Le rôle du beau dans l‟amour ... 94

ἔρως comme intermédiaire ... 112

L‟amour comme folie divine ... 128

L‟amour comme méthode éducative ... 139

Conclusion ... 155

Médiagraphie ... 161

Filmographie ... 161

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À ma mère, Lyne Parent, qui combat son troisième cancer. Pour qu‟elle sache que sa force est pour moi un exemple, que cette réussite soit aussi la sienne.

À mon directeur, Claude Lafleur, ainsi qu‟à sa collaboratrice Joanne Carrier, qui se sont dévoués au-delà de toute mesure pour m‟assister dans la rédaction de ce mémoire. À mon codirecteur, Jean-Marc Narbonne, dont l‟aide m‟a permis de belles prises de conscience.

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If you think philosophy is irrelevant to your daily life, think again (Robert Charles Sproul)1

1 Cette phrase est écrite à l‟endos du livre de Robert Charles SPROUL, The Consequences of Ideas : Understanding the Concepts that Shaped Our World, Wheaton, Good news publishers (coll. « Crossway Books »), 2000, 224 p.

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Avant-Propos

Pourquoi rédiger un tel mémoire ? Ne serait-ce que pour que l‟on se pose cette question. Maintenant, des études supérieures universitaires ont porté sur ce sujet et ce dernier a été accepté par l‟institution d‟enseignement. Il pourrait donc s‟agir de quelque chose de sérieux et non d‟une grande blague de 160 pages.

Par conséquent, ce mémoire remet en question ce que sont des études supérieures et ce qu‟est la philosophie. Ne vous inquiétez pas, cependant. Cette remise en question n‟est pas du tout une mise à zéro, un ébranlement de ce qui est déjà philosophique ou encore une quelconque forme de nihilisme ou de scepticisme face au savoir actuel.

En fait, ce n‟est qu‟une nouvelle positive. Comme le dit Le Roi Lion : « Tu auras tant de choses à voir pour franchir la frontière du savoir2 ». Le domaine du savoir est encore plus grand que celui que l‟on imagine et l‟interrogation s‟amorce à travers le quotidien, dès l‟enfance.

La vraie philosophie est d‟abord un questionnement sur l‟existence et l‟existence prend racine dans le quotidien, qui fleurit à son tour dans la vie intellectuelle. L‟exclusion de l‟une ou l‟autre part de cette réalité serait non seulement impertinente, mais aussi fort triste.

Le vrai philosophe est celui qui s‟émerveille et qui se pose simplement la question « Pourquoi ? ». L‟enfant est subséquemment le philosophe par excellence et ce qui le concerne ne doit surtout pas être exclu des considérations philosophiques du milieu universitaire.

Ce mémoire n‟étant évidemment pas si traditionnel, il ne s‟avère pas non plus être particulièrement innovateur. Il n‟est qu‟un pas de plus dans une direction déjà visitée. Disney lui-même cachait dans ses films bien plus d‟intelligence qu‟il n‟en paraît.

Ce qui est dit ici n‟est pas une autre forme de théorie du complot concernant le célèbre producteur de films. Il y en a bien assez sur le sujet et nous n‟avons pas souhaité

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passer des années de vie à démolir un auteur qui, par ailleurs, a travaillé durement et efficacement pour fonder quelque chose de très beau.

En fait, Disney cachait de l‟intelligence dans ses œuvres en faisant des recherches artistiques approfondies, en mettant une grande richesse intellectuelle au cœur de la simplicité des films pour enfants. Il voulait créer le meilleur de ce qui existe de la manière la plus humble et originale. Car, si Walt Disney était un homme de culture, assoiffé de connaissances, il était beaucoup plus réticent à l‟idée de l‟afficher ouvertement. Nous aborderons ce sujet plus amplement dans le chapitre II.

Vous remarquerez une assez importante disparité entre les sections. Il y a en effet un bon équilibre entre le nombre de pages du chapitre I et le nombre de pages du chapitre III, néanmoins le second chapitre est significativement plus court que les autres. Il ne s‟agit pas d‟un hasard.

Le titre de ce mémoire est L‟actualisation de la pensée amoureuse platonicienne

dans les films d‟animation de Disney. Dans un premier temps, il faut bien poser ce qu‟est la

pensée de Platon au sujet de l‟amour. C‟est le sujet du premier chapitre. L‟actualisation de cette pensée n‟est étudiée que dans le troisième chapitre. Ainsi, le travail central du mémoire, c‟est la pensée de Platon et son actualisation chez Disney.

Pourquoi donc avoir fait ce chapitre entre les deux autres ? La réponse est simple : pour ce qui concerne l‟entre-deux. Qu‟y a-t-il eu d‟intéressant entre Platon et Disney qu‟il soit pertinent d‟amener à notre attention ? Quels sont les liens, mais aussi les différences résidant entre les mythes et les contes ? Surtout, pourquoi percevons-nous un lien ou pourquoi existe-t-il un lien effectif entre la théorie amoureuse de Platon et les films de Disney ? Le lien existant entre Platon et Disney est-il évident ? Vous pourrez en juger par vous-mêmes, toutefois il est à tout le moins visible lorsqu‟on le met en évidence.

Nous nous concentrerons au cours de ce mémoire à montrer plus amplement ce qui motive une comparaison entre Disney et Platon, mais avant de commencer, glissons-en un mot malgré tout, question d‟introduire le sujet. L‟éloignement, la capacité de transmission et la grandeur de chacun constituent déjà de bons motifs. Parmi les hypothèses expliquant

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pourquoi nous voyons des liens entre les deux, il y a celle d‟une transmission graduelle par voie orale ou écrite.

Considérant cette hypothèse, établir une relation entre Disney et un philosophe moderne ne nous permettrait pas d‟étudier l‟hypothèse d‟un long voyage d‟idées, de réflexions. Si nous avions choisi, par exemple, le philosophe Jean-Jacques Rousseau pour le comparer à Disney, puisque seulement quelques siècles nous éloignent de lui, nous ne pourrions pas savoir s‟il est possible de remonter davantage dans le temps pour voir la corrélation avec des pensées plus anciennes. Il est plus facile cependant de croire qu‟il y aurait un lien entre Disney et Rousseau qu‟entre Disney et Platon en raison de la plus grande proximité temporelle existant dans le premier cas.

L‟important éloignement temporel est un critère déterminant. Avec Platon, nous faisons une grande confiance au temps, nous laissons la possibilité d‟usure à son paroxysme. La comparaison entre Disney et Platon et l‟éventualité d‟un tel type de transmission nous font imaginer un voyage de plus de deux millénaires et ouvrent les portes de la transmission à tout ce qui se situe entre les deux en termes temporels.

Pour ce qui est de la transmission et de la grandeur, la réputation de Platon n‟est plus à faire et nous l‟aborderons ultérieurement, pourtant en quoi Disney possède-t-il une quelconque forme de grandeur ? En quoi serait-il un outil pertinent de transmission philosophique ?

C‟est vrai, après tout. N‟est-ce pas ridicule de croire que la télévision nous transmet des idées et que nous y sommes particulièrement perméables durant l‟enfance ? Complètement incongru ! Cependant, si une telle hypothèse osait nous traverser l‟esprit, quelle cible serait meilleure, pour étudier la question, que Walt Disney ?

Présent depuis près d‟un siècle dans une industrie qui est à peine plus ancienne, internationalement reconnu, particulièrement en Occident, il n‟y a pas de plus grand nom que Walt Disney dans le domaine du cinéma pour enfants, voire dans celui du cinéma dans son ensemble.

Selon quel courant de pensée travaillerons-nous ? Ce mémoire s‟inspire de plusieurs perspectives philosophiques, cependant il le fait librement et ne s‟attache pas

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particulièrement à l‟une d‟entre elles comme point de référence pour la totalité du travail de rédaction.

À qui s‟adresse ce mémoire ? D‟abord, il s‟agit d‟un travail universitaire et il s‟adresse surtout aux intellectuels du milieu, par contre son langage est, dans la majorité des cas, accessible et l‟œuvre pourrait généralement être lue sans trop de difficulté par toute personne intéressée.

Ce mémoire commencera alors avec un chapitre présentant la théorie platonicienne de l‟amour. Pour ce faire, il y aura une petite introduction annexée au chapitre concernant les mœurs amoureuses à l‟époque de la Grèce antique.

Nous sommes très loin de Platon, autant dans l‟espace que dans le temps. Nous situer un peu sur ce qui se passait autour de cet auteur concernant le sujet qu‟il aborde, surtout pour ce qui a trait à un sujet aussi pratique, visible dans la vie de tous les jours, est une étape fondamentale pour bien comprendre la théorie de Platon lui-même.

La théorie platonicienne de l‟amour sera présentée dans le cadre de quatre volets qui la circonscrivent bien : le rôle du beau dans l‟amour ; ἔρως comme intermédiaire ; l‟amour comme folie divine ; et finalement l‟amour comme méthode éducative. Chacune de ces sections abordera plusieurs points différents en lien avec le thème principal.

La seconde section, comme nous l‟avons dit un peu plus tôt, touchera à ce qu‟il y a entre Platon et Disney, principalement en termes bibliographiques. Elle abordera les antécédents littéraires des films de Disney, se questionnera sur le pourquoi des mythes et des contes et en dernier lieu parlera de quelques auteurs repris par Disney, de leur perception du conte de fées et de la façon dont ils sont repris par celui-ci.

Le dernier chapitre fera le parallèle entre la théorie platonicienne de l‟amour et les films de Disney et, pour ce faire, il emploiera une division quadripartite identique à celle du premier chapitre. Il abordera un par un les mêmes thèmes et sous-thèmes dans le but d‟établir une relation entre eux.

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Introduction

L‟intérêt d‟une comparaison telle que celle que nous vous proposons dans ce mémoire n‟est pas essentiellement dans l‟observation des similitudes existant entre Platon et Disney, mais surtout dans les questionnements qu‟un tel rapprochement soulève, dans la question : Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi arrivons-nous si facilement à voir autant d‟éléments de réflexion datant de 2500 ans dans un produit artistique contemporain ?

Tout le sens de ce mémoire, tout ce qui le rend intrigant réside dans cette unique question : Pourquoi ? Nous ne pourrons malheureusement pas trancher scientifiquement sur ce point, toutefois, en raison de son importance, il est impératif d‟en observer les réponses potentielles.

Tout d‟abord, peut-être que toutes ces similitudes ne sont que le fruit du hasard, un hasard qui tombe bien, comme c‟est parfois le cas des gagnants de loterie. Oui, la théorie de Platon et les films de Disney ont plusieurs points communs. Pourtant il se peut qu‟il n‟y ait aucune raison qui justifie ce rapprochement.

Le postulat le plus faible (que nous devons envisager au même titre que les autres) serait que l‟auteure de ce mémoire et ceux qui abonderont en son sens soient portés à faire des liens là où il n‟y en a pas spécialement et que les relations que nous voyons n‟aient rien de surprenant, voire que Disney et Platon n‟aient en réalité pas de similitudes significatives.

Il n‟y aurait, dans ce cas, pas plus de relation entre Platon et Disney qu‟il n‟y en a entre deux éléments totalement disparates. La seule raison de l‟existence d‟un mémoire qui traite d‟une corrélation entre la philosophie de Platon et la réflexion présente dans les films de Disney serait, le cas échéant, le produit de notre trop vive imagination.

Nous pourrions aussi émettre l‟hypothèse que Disney connaissait Platon. D‟ailleurs, s‟il ne s‟agit pas de Disney personnellement, il suffirait que un ou plusieurs de ses employés permanents l‟ait connu.

Il se peut que les théories de ce grand philosophe leur aient plu et qu‟ils aient pour cette raison décidé d‟inclure des réflexions platoniciennes au sein de leur production

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cinématographique. Disney est d‟ailleurs reconnu pour transmettre la culture savante au peuple.

On peut aisément constater cette réputation disneyenne dans le film Fantasia, où le dessin animé joue sur l‟air des plus grandes musiques classiques : « Composé de plusieurs séquences illustrant et tentant chacune de populariser une œuvre de la musique classique ou contemporaine, Fantasia est l‟une des rares occasions de faire apparaître Mickey dans un long métrage3 ». Cependant, si ce trait est plus facilement remarquable dans Fantasia, l‟ensemble de l‟œuvre disneyenne passe par ce processus artistique caractéristique :

La réussite exceptionnelle de Walt Disney et son souci de plaire au plus grand nombre l‟ont rapidement classé parmi les représentants de la culture de masse, faisant presque complètement disparaître la passionnante genèse artistique de son œuvre. Or les films de Walt Disney illustrent à merveille un processus de création populaire alimenté pour une bonne part par une culture plus savante. Ce mélange de sources en apparence contradictoires, mené sans complexe et avec une désinvolture proprement américaine par Disney, devient grâce à lui une forme d‟expression unique, étonnant recyclage d‟images qui acquièrent ainsi une audience universelle4.

Les films de Disney, que l‟on prend parfois à tort pour d‟anodines histoires d‟enfant sans intérêt, sont non seulement des œuvres d‟art, elles proviennent au surplus de grandes études qui s‟inspirent volontairement de courants artistiques qui l‟ont précédé. Certains de ces dessins animés, comme la Belle au bois dormant ou Bambi, sont une série de peintures magnifiques :

Plus de cent ans après sa naissance en 1901, Walt Disney mérite largement de figurer au panthéon des grands artistes du XXe siècle. Car il faut bien parler d‟art à propos de Walt Disney. Que dire d‟autre d‟un homme dont la curiosité sans borne le fait puiser ses sources aussi bien dans le cinéma expressionniste allemand que dans la peinture romantique ou préraphaélite, pour en tirer une forme d‟expression inédite, universelle, éminemment populaire et pourtant nourrie de culture raffinée5.

Disney, qui ne laissait jamais rien au hasard, n‟engageait que les meilleurs artistes pour exécuter de grands projets effectués avec minutie, allant jusqu‟à engager Salvador Dali dans un projet, Destino, qui a finalement avorté. Ces deux géants se vouaient mutuellement un très grand respect, toutefois leurs styles respectifs s‟avéraient difficilement compatibles. Ainsi, nous voyons que Disney, loin d‟être un banal raconteur d‟histoires, était un artiste solidement ancré d‟un point de vue culturel.

3 WALT DISNEY COMPANY, Il était une fois Walt Disney : aux sources de l‟art des studios Disney, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 2006, p. 15.

4 Ibid., p. 4-5.

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Si nous retournons à nos hypothèses, il se peut aussi que Walt Disney ou ses collaborateurs aient connu Platon, qu‟ils n‟aient eu aucune intention d‟inclure la pensée de cet auteur dans leur œuvre, mais qu‟ils l‟aient malgré tout fait inconsciemment. Nous transmettons ce que nous apprenons, et même lorsque nous croyons avoir une idée originale, elle est souvent teintée d‟influences et d‟apprentissages que d‟autres nous ont fournis.

Il ne semble pas y avoir dans la littérature disneyenne de mention d‟un intérêt particulier de Walt Disney pour Platon, ni de spécialistes qu‟il ait engagés et qui s‟y intéressaient particulièrement (et qui auraient œuvré à la réalisation de nombreux films).

Il faut cependant admettre qu‟il s‟agit d‟un large champ d‟investigation. Effectivement, nous avons en principe la possibilité d‟être informés de l‟intérêt de Disney et de ses collaborateurs pour Platon si un tel intérêt a existé, par contre il est beaucoup plus difficile, voire impossible, de s‟assurer qu‟aucun des employés ayant eu un impact significatif sur les films de Disney ne s‟est intéressé à Platon.

Il serait d‟ailleurs très téméraire d‟affirmer qu‟aucun des artistes (souvent très cultivés) qu‟a engagés Disney n‟a lu Platon. Cette situation serait bien peu probable, considérant l‟importance du rôle de ce philosophe au niveau culturel.

Nous devons envisager l‟éventualité que la similitude entre ces deux pensées soit le fruit d‟une expression de la vérité. En effet, si, par exemple, plusieurs chercheurs en chimie arrivent à des résultats identiques dans une expérience en laboratoire, il est probable que cette réponse soit la bonne. Peut-on prétendre en dire autant en philosophie ?

Dans une perspective plus psychanalytique, nous pouvons faire l‟hypothèse que, sans être nécessairement l‟expression de la vérité pure et idéelle, cette communauté réflexive entre Platon et Disney est la démonstration d‟un schème de pensées commun à tout être humain indépendamment de sa culture.

Ce phénomène, Jung l‟a appelé l‟inconscient collectif. L‟humanité a en commun, en dehors d‟une culture et d‟un temps déterminés, un schème inconscient, des idées, ainsi que des images poétiques qui sont communes à tous, qui sont collectives. Les coïncidences entre Platon et Disney s‟expliqueraient ainsi par le fait que les hommes pensent et ont un

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vécu imaginatif partagé, qui leur permet d‟arriver naturellement à ces conclusions par rapport à l‟amour.

Dans son livre L‟interprétation des contes de fées, qui est en fait la version écrite d‟une série de cours donnés à l‟Institut C.G. Jung de Zurich, Marie-Louise Von Franz affirme ceci :

Les contes de fées expriment de façon extrêmement sobre et directe les processus psychiques de l‟inconscient collectif. C‟est pourquoi leur valeur est supérieure à celle d‟autres matériaux pour ce qui est de son investigation scientifique6.

Pourquoi avoir choisi le cinéma de Disney pour ce mémoire ? Pourquoi ne pas avoir comparé de la philosophie avec de la philosophie ? Pourquoi pas avec un autre médium de transmission ? Selon ce que nous dit Von Franz dans la citation ci-haut, simplement parce qu‟aucun autre médium que le conte ne l‟aurait égalé.

La réputation de Von Franz n‟est plus à faire. Elle a travaillé en collaboration avec Jung pendant près de trois décennies et est considérée comme l‟une des plus grandes spécialistes des contes de fées à travers le monde.

Cette théorie psychanalytique jungienne se rapproche énormément de l‟analyse plus phénoménologique que fait Kant dans la section de sa Critique de la faculté de juger réservée à la dialectique de la faculté de juger téléologique. Selon cet écrit, le principe de finalité (Dieu), ainsi que tout ce qui est transcendant, suprasensible, bien que nécessaire à la réflexion humaine, n‟a aucun statut objectif. Les pensées métaphysiques, dépassant le cadre de l‟expérience, sont subjectives, c‟est-à-dire qu‟elles sont des constituants de la pensée humaine en général, du sujet.

Or, je dis que la théologie physique, si loin qu‟elle puisse être poussée, ne peut pourtant rien nous révéler quant à une fin finale de la création ; car elle n‟accède même pas à la question qui porte sur une telle fin. Ainsi peut-elle certes justifier le concept d‟une cause intelligente du monde en tant que concept, qui, subjectivement, est seul approprié à la constitution de notre pouvoir de connaître quand il s‟agit de la possibilité des choses que nous pouvons nous rendre compréhensibles selon des fins, mais elle ne peut davantage déterminer ce concept, ni du point de vue théorique ni du point de vue pratique7.

6 Marie-Louise VON FRANZ, L‟interprétation des contes de fées, texte traduit par François TAILLANDIER, Paris, Fontaine de Pierre, 1980, p. 9.

7 Emmanuel KANT, Critique de la faculté de juger, texte traduit par Alain RENAULT, Paris, GF Flammarion, 1995, p. 435.

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L‟homme a besoin de penser Dieu et la finalité, néanmoins la finalité n‟est pas forcément dans le monde de manière objective. Dieu pourrait ne pas exister, comme il pourrait exister, nous ne pouvons pas selon Kant nous en assurer rationnellement, toutefois nous savons qu‟il existe en tant que concept dans l‟esprit humain.

Peut-être en est-il de même pour la relation existant entre Platon et Disney. Elle existe à cause de la façon dont procède l‟esprit humain et en raison de son existence subjective. Ce qui fait l‟essentiel de la différence entre l‟approche jungienne et l‟approche kantienne dans le cas qui nous occupe est l‟ouverture à l‟objectivité. Bien sûr, à l‟instar de Jung, il s‟agit de quelque chose de subjectif. Toutefois, cela pourrait aussi être objectif (sauf que nous n‟avons aucun moyen de le savoir).

Une autre possibilité serait que nous héritions, en tant que société, de réflexions provenant du passé. De génération en génération, les conceptions des anciens se sont partiellement transmises en se modifiant. Les grands penseurs ont influencé des masses de gens, qui ont eu à leur tour une grande influence sur les idées de leurs successeurs. Ce qu‟a dit un philosophe il y a de cela des siècles a influencé l‟opinion de son temps et s‟est transformé pour être toujours présent aujourd‟hui dans nos propres affirmations.

Alexis de Tocqueville illustre très bien ce concept lorsque, dans le deuxième tome de son célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique, il dit des Américains qu‟ils sont tous cartésiens sans jamais avoir lu Descartes, qu‟ils appliquent les principes et adhèrent aux idées cartésiennes sans les avoir étudiées :

L‟Amérique est donc l‟un des pays du monde où l‟on étudie le moins et où l‟on suit le mieux les préceptes de Descartes. Cela ne doit pas surprendre. Les Américains ne lisent point les ouvrages de Descartes, parce que leur état social les détourne des études spéculatives, et ils suivent ses maximes parce que ce même état social dispose naturellement leur esprit à les adopter8.

D‟ailleurs, Tocqueville a fait un portrait de société et a prévu avec une exactitude surprenante ce que l‟Amérique deviendrait, ce qui, sans admettre qu‟une culture se base sur son passé pour forger son avenir (autant au niveau réflexif qu‟au niveau physique), s‟avérerait logiquement impossible.

8 Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, tome II, texte établi par Eduardo NOLLA, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1990, p. 14.

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L‟allégorie de la caverne de Platon est aussi une image de ces influences. Cette histoire, comme son nom l‟indique, se déroule dans une « sorte d‟habitation souterraine en forme de caverne9 ». Au fond de celle-ci, des gens enchaînés depuis leur enfance ne peuvent même pas tourner la tête pour voir derrière eux. Tout ce qu‟ils voient, c‟est le mur de la caverne, en face d‟eux.

Un peu plus loin et plus haut derrière eux, il y a un muret. Des gens derrière le muret agitent des figurines au-dessus de celui-ci. Un peu plus loin encore derrière le muret, il y a un feu. En raison de ce feu qui éclaire les figurines que montrent les personnes derrière le muret, les individus qui sont enchaînés voient l‟ombre des figurines au mur. Ces gens croient qu‟il s‟agit là de la réalité, puisqu‟il s‟agit de la seule chose qu‟ils ont connue :

Le citoyen assis au fond de la caverne reçoit par son éducation civique toute sa conception de la réalité à la lumière de ce feu, sans jamais en soupçonner l‟existence : il a le dos au feu depuis son enfance et ne voit que les ombres qu‟il projette. Cet homme est né dans le monde, mais sans vraiment le connaître, car il est vite soumis aux interprétations qu‟en font ses aînés : il s‟éduque, mais au moyen de l‟opinion commune qui le rend prisonnier des ombres au fond de la caverne10.

Platon émet l‟hypothèse que l‟on détache un prisonnier et qu‟on le force à se retourner. Il souffrira de la lumière du feu et ne verra pas clair. Non seulement il ne pourra pas voir les ombres qu‟il percevait clairement auparavant, il ne verra pas davantage le feu ou les marionnettistes.

On lui fera continuer son ascension jusqu‟à ce qu‟il sorte de la caverne. Il sera indigné de se faire tirer à l‟extérieur de la sorte et plus il s‟approchera du soleil et du monde extérieur, plus il souffrira et plus sa vision sera brouillée. « Et lorsqu‟il arriverait à la lumière, les yeux éblouis par l‟éclat du jour, serait-il capable de voir ne fût-ce qu‟une seule des choses qu‟à présent on lui dirait être vraies ?11 ».

Platon présente alors, sous cette image sensorielle qu‟est l‟allégorie de la caverne, un cheminement semblable à celui présent dans le Banquet12 (que nous étudierons

9 PLATON, République, livre VII, 514a, trad. George LEROUX, dans PLATON, Œuvres complètes, sous la direction de Luc BRISSON, Paris, Flammarion, 2008, p. 1679.

10 Edmond GENDRON, « “L‟allégorie de la caverne” : République en petit », Laval théologique et philosophique, volume 41, numéro 3, octobre 1985, p. 329-343, p. 336.

11 PLATON, République, livre VII, 516a, trad. LEROUX, dans op. cit., p. 1680.

12 PLATON, Banquet, 210b-c, trad. Luc BRISSON, dans PLATON, Œuvres complètes, sous la direction de Luc BRISSON, Paris, Flammarion, 2008, p. 144.

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ultérieurement), celui de l‟amant qui part de la beauté chez un jeune homme dont il est amoureux pour monter jusqu‟au beau en soi :

Je crois bien qu‟il aurait besoin de s‟habituer, s‟il doit en venir à voir les choses d‟en haut. Il distinguerait d‟abord plus aisément les ombres, et après cela, sur les eaux, les images des hommes et des autres êtres qui s‟y reflètent, et plus tard encore ces êtres eux-mêmes. À la suite de quoi, il pourrait contempler plus facilement, de nuit, ce qui se trouve dans le ciel, et le ciel lui-même, en dirigeant son regard vers la lumière des astres et de la lune, qu‟il ne contemplerait de jour le soleil et sa lumière13.

Après tout ce travail d‟ajustement de la vue, celui qui était prisonnier sera enfin libéré, parce qu‟il était captif de sa vision étroite et il n‟est plus condamné à ne distinguer que les choses obscures. Il peut désormais voir les plus claires :

Alors, je pense que c‟est seulement au terme de cela qu‟il serait enfin capable de discerner le soleil, non pas dans ses manifestations sur les eaux, ou dans un lieu qui lui est étranger, mais lui-même et en lui-même, dans son espace propre et de le contempler tel qu‟il est14.

Pour clore l‟allégorie, Platon dit que le prisonnier libéré, pensant à ses anciens compagnons, serait triste pour eux et qu‟il retournerait pour les délivrer. Cependant, n‟étant plus habitué à la lumière, il ne distinguerait plus les ombres et ses amis croiraient qu‟il a eu les yeux gâtés par son aventure. S‟il essayait de les libérer, ceux-ci iraient jusqu‟à le tuer pour l‟en empêcher. Cette situation n‟est pas sans rappeler la mort de Socrate, qui essayait lui aussi, par ses questions, de libérer ses compatriotes de leur prison spirituelle.

Revenons à l‟intérieur de la caverne pour terminer notre analyse d‟un point de vue symbolique. Entre le muret et le feu, de grands penseurs (ceux qui tiennent de petites figurines) communiquent leur vision de la réalité au peuple. Pour ce faire, l‟ombre des marionnettes qu‟ils tiennent est projetée sur le mur au fond de la grotte.

Collectivement, les gens ne voient dans leur vie que les ombres d‟une certaine perception de la réalité, transmises par quelques figures éminentes et croient qu‟il s‟agit là de la réalité : « Finalement, l‟ombre n‟est pas tant l‟ombre d‟un objet que l‟ombre d‟une connaissance15 ».

13 PLATON, République, livre VII, 516a-b, trad. LEROUX, dans op. cit., p. 1680-1681. 14 Ibid., livre VII, 516b, p. 1681.

15 Franck FISCHER, « La nature formelle du symbolisme dans la caverne : (République VII) », Laval théologique et philosophique, volume 59, numéro 1, février 2003, p. 35-67, p. 49.

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La réalité n‟est pas dans la grotte, puisque même les figurines que tiennent ceux qui influencent la société sont des images d‟une réalité extérieure, et ce que voient les gens au fond de la grotte est une pâle image de l‟imitation de la réalité.

Si l‟on partait de cette hypothèse, nous dirions que la pensée de Platon a voyagé et s‟est transformée à travers l‟histoire. Ces transformations et les traces de son influence sont particulièrement visibles en art, dont le contenu moins raisonné pourrait être plus facilement influençable par les tendances : « Un autre individu est impliqué dans ce tableau : Platon tire les ficelles de toutes ces marionnettes. Socrate est redescendu dans la caverne projeter des ombres pour les prisonniers16 ».

Ce serait en raison de ce périple des Idées de Platon que la pensée amoureuse platonicienne serait visible aujourd‟hui dans les films d‟animation de Disney. Platon serait, dans ce scénario, le marionnettiste :

Le marionnettiste est celui qui influence un homme à dire « je crois » en insistant sur le « je ». Autrement dit, c‟est parce qu‟il y a des hommes qui ont réfléchi pour dire que tout n‟est qu‟opinion que d‟autres, les prisonniers, peuvent le penser sans y avoir réfléchi17.

Dans l‟exemple qui précède, le « je crois » est l‟idée du relativisme. Les marionnettistes sont ensuite les philosophes fondateurs du relativisme, ceux qui y ont réfléchi rationnellement alors qu‟il n‟était pas encore un phénomène de société, ceux qui font que les gens pensent dans une dynamique relativiste aujourd‟hui sans avoir préalablement besoin de réfléchir.

Sous ce regard, Platon serait un marionnettiste, car il serait un grand penseur à l‟origine de bien des opinions du monde occidental, et son influence se ferait sentir aussi à l‟heure actuelle. On pourrait donc voir ses idées passer sous la forme doxique dans les dessins animés de Disney.

Si la pensée de Platon est présente chez Disney, alors elle est présente chez toutes les générations, sinon du monde entier, du moins de la culture occidentale : « Nous avons

16 GENDRON, « “L‟allégorie de la caverne” : République en petit », p. 335.

17 Paul-Émile BOULET et Nicolas MATTE, « L'Allégorie de la Caverne : L'origine de la faiblesse de notre savoir », Phares, vol 2, automne 2001, p. 73-89, p. 82.

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presque tous découvert le cinéma lors de notre enfance, en assistant à la projection sur grand écran d‟un dessin animé de Walt Disney18 ».

La réponse que nous ne possédons pas actuellement, et que nous ne pourrons sans doute jamais posséder, est celle de savoir laquelle, ou lesquelles, de ces hypothèses permet(tent) de comprendre la similitude entre Platon et Disney. En fait, nous ne pouvons pas minimalement savoir si la réponse figure parmi ces possibilités ou s‟il s‟agit encore d‟une autre explication qui ne nous est pas venue à l‟esprit.

L‟essentiel dans ce mémoire est de saisir le poids de notre mystère. Quelle que soit la réponse, nous faisons face à quelque chose de très important pour l‟humanité. Si le lecteur ne fait que ressentir le vertige, la boule au ventre qui lui permet de saisir la nature fondamentale de ce mystère, il aura sans doute compris beaucoup plus que s‟il intellige les liens établis entre les doctrines dans cette étude, parce qu‟il s‟agit là de l‟objet du mémoire : montrer qu‟il y a entre Platon et Disney, entre hier et aujourd‟hui, entre ailleurs et ici, un lien secret, invisible et insaisissable.

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Chapitre I Théorie platonicienne de l’amour

Mœurs amoureuses à l‟époque de Platon

Les premières et les plus importantes barrières que l‟on rencontre lorsque l‟on aborde la pensée amoureuse de Platon sont en général le fruit d‟un manque de compréhension du contexte culturel de son époque.

Avec notre regard forcément moderne, on peut, en effet, ne pas savoir discerner ce qui tient de l‟innovation et ce qui tient de l‟héritage du philosophe, et conséquemment accorder une importance démesurée à un propos qui ne provient pas d‟une réflexion profonde de la part de l‟auteur, mais des pensées automatisées par le milieu de vie.

Inversement, il est facile de ne pas voir combien il a fallu de réflexion à un penseur pour dire une phrase qui nous paraîtrait banale en raison de notre culture. De la même façon, en n‟étant pas familier au contexte, le lecteur observera selon son propre regard, portera des jugements modernes sur l‟emploi de mots ou sur des conditions qui étaient vécues d‟une manière toute différente et il devient impossible pour lui de saisir ce que souhaite dire l‟auteur.

Finalement, il arrive aussi fréquemment que le lecteur ait entendu quelques rumeurs sur l‟époque et se base sur ces dernières pour faire ses lectures, cependant il manque ainsi de nombreuses nuances et mises en situation pour que les choses soient comprises telles que son écrivain souhaitait les exprimer. Pour toutes ces raisons, il est capital de présenter en quelques pages à la fois les pratiques amoureuses, mais surtout le vécu émotionnel dans lequel baignait Platon.

La plus commune des unions (dans la majorité des cultures et des époques, celle qui nous intéresse ne faisant pas exception) est le mariage. À Athènes, l‟amour et le mariage ne

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vont pratiquement jamais de pair19 : « La seule raison de se marier, c‟est le désir d‟avoir des enfants, ou plutôt […] un fils unique qui nourrira son père devenu vieux et recueillera son héritage20 ».

Le mari qui est infidèle à sa femme ne pose par cet acte aucun problème et entre dans la normalité. Par contre, la femme qui trompe son mari compromet la descendance de celui-ci et la pureté raciale de la cité.

La majorité des ouvrages traitant des mœurs amoureuses de cette époque décrivent l‟épouse comme n‟étant habituellement pas l‟amoureuse, ni celle qui suscite les passions, mais plutôt celle qui éduque les enfants, qui fait les tâches domestiques et qui dirige les esclaves. Elle est confinée dans le gynécée, une partie de la maison réservée aux femmes et aux enfants en bas âge. À cet endroit, elle a beaucoup de contrôle, cependant elle n‟a pas accès au monde extérieur.

Quillien et Flacelière attribuent cette citation à Ménandre, pour justifier la situation malheureuse de la femme mariée en Grèce antique : « Une honnête femme, dira Ménandre, doit rester chez elle ; la rue est pour la femme de rien21 » et Quillien surenchérit en exposant les causes de l‟absence d‟éducation de ces femmes : « Enseigner à une femme à lire et à écrire ? Quelle terrible erreur ! Autant nourrir d‟un nouveau venin un horrible serpent22 ».

Que cette citation provienne ou non véritablement de Ménandre, il n‟en reste pas moins que ceux qui l‟ont choisie pour représenter la perception de Ménandre n‟offrent pas un échantillon représentatif de ce que ce dernier dit de ces dames à travers ses pièces de théâtre. Ces dernières sont en réalité aussi et d‟abord empreintes de beaucoup de douceur pour la femme et pour l‟épouse :

J‟ai vu une jeune fille en ce lieu, j‟en suis amoureux […] Si je viens ici, ce n‟est pas pour la trouver : je veux voir son père. Car, libre de naissance, ayant assez de bien pour

19Cf.,Véronique LESUEUR et Dominique MARNY, Une histoire de l‟amour, Paris, Le Pré aux Clercs, 2001, p. 38.

20 Robert FLACELIERE, L‟amour en Grèce, Paris, Hachette, 1971, p. 102-103. 21 FLACELIÈRE, L‟amour en Grèce, p. 119.

22 Philippe-Jean QUILLIEN, Mœurs de la Grèce Antique : 1.5. La maman, [en ligne]. http://www.infologisme.com/fr/article.php ?AIndex=11#1.2, [site consulté le 7 novembre 2011].

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vivre, je suis prêt à la prendre sans dot, en m‟engageant en outre à la chérir toujours […] Voilà où j‟en suis : mourir sur l‟heure ou vivre avec la jeune fille23.

En tant qu‟observateurs modernes, nous serions tentés d‟attribuer, par exemple, une intention malveillante dans le fait de ne pas permettre à la femme de sortir seule hors de la maison. Toutefois, Ménandre le présente dans l‟une de ses pièces comme un acte de protection : « Quant à toi, Cnémon, puissent tous les dieux, misérable, te faire périr de male mort ! Une jeune fille innocente, tu la laisses seule à l‟abandon, sans veiller aucunement sur elle, comme il aurait convenu24 ». Ne pas laisser une femme sortir seule en Grèce antique ne serait donc pas un signe de mépris, mais une marque de respect et d‟attention à l‟endroit de celle-ci.

Plusieurs ouvrages consultés, qu‟il s‟agisse de celui de Marny et Lesueur, du texte de Quillien, du livre de Mazel et encore d‟autres publications sur le sujet, pointent ordinairement vers une certaine forme de mauvaise perception de la femme en Grèce antique. Cela va de l‟idée que l‟époque de Platon aurait été plus misogyne, avec malgré tout une belle période romantique pour ces dames dans les derniers siècles de l‟Antiquité, jusqu‟à une interprétation draconienne dépeignant une condition féminine exécrable et généralisée.

Visiblement, un consensus existe sur le fait qu‟il y avait quelque chose, au moins à l‟époque de Platon et pour un bon nombre de Grecs, qui fait que l‟on parle négativement aujourd‟hui de la situation de la femme à l‟époque. Le degré, ainsi que ce qui dépend simplement de notre interprétation culturelle des faits, reste beaucoup plus difficile à évaluer.

Lorsque nous dénombrons les formes de relations amoureuses existant en Grèce antique, nous ne devons surtout pas oublier la prostitution. Beaucoup répondront que la prostitution n‟est pas une relation amoureuse. Il faut effectivement accorder au terme un sens très large pour admettre la prostitution dans cette catégorie aujourd‟hui, mais à l‟époque, c‟est surtout par rapport au mariage que nous aurions besoin de cette largesse d‟esprit, la prostitution étant souvent bien plus « romantique » et emportée :

23 MÉNANDRE, Le Dyscolos, tome 1, texte établi et traduit par Jean-Marie JACQUES, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Des Universités de France »), 1963, p. 84-88.

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Ce mythe nous paraît devoir expliquer au mieux l‟expression française de « moitié » pour désigner une épouse, mais, comme il s‟agit d‟un amour ardent et irrésistible, Platon ne songe même pas à mentionner les époux et ne parle que des adultères !25

Il existe deux catégories de prostitution. Il y a la prostitution traditionnelle, simple, qui coûte environ le prix d‟une journée de travail d‟un bon artisan. Ces femmes, filles et garçons sont en quelque sorte de purs défoulements sexuels. Ils ne sont donc pas objet d‟amour :

N‟hésite pas à entrer, leur porte est grande ouverte, et leur prix dérisoire, une obole […] Tu obtiendras ce que tu désires et pourras la laisser une fois satisfait, tu peux lui dire d‟aller se faire pendre, elle n‟est rien pour toi26.

Ces personnes, le plus souvent des femmes ou des filles tout de même, n‟ont aucune citoyenneté. De ce fait, elles ont le statut d‟esclaves et sont de tous âges et de tous types.

Il existe aussi des prostituées « de luxe », si l‟on peut s‟exprimer ainsi. On nomme celles-ci des hétaïres ou encore des courtisanes (hétaïre étant un terme supérieur hiérarchiquement à celui de courtisane ou de concubine). Elles sont des esclaves ou des étrangères, toutefois ce sont ces femmes qui suscitent la passion et l‟amour des hommes. Ces messieurs se ruinent littéralement pour leur amour.

Elles occupent d‟ailleurs une place beaucoup plus significative dans la vie des hommes qui s‟y intéressent. Effectivement, elles les accompagnent dans les Banquets, dans les grandes soirées, sont des compagnes régulières qu‟ils entretiennent, auxquelles ils font des cadeaux et qu‟ils logent dans leur propre demeure.

Les hétaïres sont des personnes cultivées, intelligentes, qui ont appris l‟art du charme, du maquillage, de la séduction, de la musique, autant que les connaissances qui leur permettent de maintenir de bonnes conversations avec les hommes éduqués.

L‟amour de l‟hétaïre est néanmoins souvent à sens unique, un amour pour l‟homme et un commerce pour la femme. C‟est ce que nous explique ce passage :

Comme Philomène – une courtisane peut-être inventée – le précisait sans ambages dans une lettre à un amoureux : « Pourquoi m‟écrire de longues lettres ? Je veux cinquante

25 FLACELIÈRE, L‟amour en Grèce, p. 170.

26 Jacques MAZEL, Les métamorphoses d‟Éros : L‟amour dans la Grèce antique, Paris, Presses de la Renaissance (coll. « Histoire des hommes »), 1984, p. 36.

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pièces d‟or et non des lettres. Si tu m‟aimes, tu paies ; si tu aimes ton argent plus que moi, alors cesse de m‟importuner. Au revoir ! »27.

Si l‟hétaïre cherche à obtenir de l‟or contre ses services sexuels, l‟Éromène, lui, est en quête de connaissance. La pédérastie est sans doute la forme d‟union amoureuse la moins bien comprise à notre époque moderne. Pourtant, les textes de Platon concernant Éros ont souvent pour objet l‟amour des jeunes garçons. Bien que, quelques siècles plus tard, Plutarque s‟insurge contre cette pratique amoureuse, elle était prônée et bien acceptée au temps de Platon, malgré la surveillance qu‟exerçaient les pédagogues pour la tenir à sa forme la plus noble.

Athènes était une civilisation très guerrière et dont les rôles spécifiques de l‟homme et de la femme poussaient les hommes à passer le plus clair de leur temps ensemble et les femmes à se tenir loin de la vie sociale et des habitudes de vie des hommes.

En raison de ces valeurs sociales, la communauté des hommes était plus rapprochée. En effet, les hommes, du début de l‟âge adulte jusqu‟à ce qu‟ils commencent à décliner en force, s‟exerçaient tous ensemble nus dans les gymnases. Cela favorisait les contacts amoureux, comme en témoigne ce passage qui explique la survie de la pédérastie après la perte de l‟indépendance politique à Athènes, dont Platon ne fut, par ailleurs, pas le témoin :

Si l‟amour masculin ne disparut pas entièrement dans les siècles ultérieurs, - et la preuve qu‟il en subsista quelque chose nous est fournie par l‟Érotique de Plutarque, par les Amours de Lucien et par les Dissertations de Maxime de Tyr, ouvrages où est discutée encore la question de savoir s‟il convient en amour de préférer les garçons ou les femmes, - la cause de cette persistance fut le maintien des exercices gymnastiques et surtout l‟importance que les philosophes attribuaient à l‟érotique28.

Cette situation sociale, entre autres choses, favorisait l‟émergence de la pédérastie, qui faisait office de mentorat, d‟initiation à la vie d‟adulte.

Qu‟est-ce que la pédérastie ? Il faut d‟abord comprendre qu‟il réside une différence très importante chez les Grecs entre la pédérastie et l‟homosexualité. Si l‟une paraît à plusieurs comme le sommet de l‟amour et de la virilité, l‟autre ramollit les mœurs et témoigne de la faiblesse d‟un homme. La différence entre les deux est une question d‟âge et de maturation physiologique :

27 Reay TANNAHILL, Le sexe dans l‟histoire, Montbrison, Verviers (coll. « Marabout université »), 1983, p. 77-78.

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Désirable est la fraîcheur de l‟enfant de douze ans, mais celui de treize ans est beaucoup plus aimable. Plus douce encore est la fleur d‟amour qui s‟épanouit à quatorze ans, et de plus en plus charmante celle de la quinzième année. Seize ans, c‟est l‟âge divin. Dix-sept ans, je n‟oserais y prétendre : Zeus seul y a droit.29

On peut aussi comprendre par cela qu‟il s‟agit d‟un intérêt pour les adolescents (bien que le concept d‟adolescence soit moderne, il est évoqué ici pour situer en termes d‟âge), et non pour les enfants, contrairement à ce que laissent sous-entendre certaines croyances populaires. Pourquoi la relation se limite-t-elle à l‟âge de l‟adolescence et non à l‟âge adulte ? Quelle différence cela fait-il ?

La pédérastie est une forme d‟amour peu commune qui est difficile à comprendre et qui connaît un nombre limité de précédents dans l‟histoire humaine. D‟une part, il y a dans cette pratique l‟idée d‟une sorte de rite de passage, qui permet au jeune garçon de devenir pleinement un homme, par l‟instruction, la tutelle et l‟apprentissage de la vie sexuelle.

De plus, cette tendance semble naître en réaction face à une misogynie et une grande expression de la virilité. L‟homme, ayant par nature besoin de protéger et de prendre sous son aile un être plus délicat et ne pouvant trouver de sens dans la relation avec la femme en raison du peu d‟estime qu‟il ressent à son endroit, s‟est tourné vers l‟adolescent pour réaliser son idéal. On voit d‟ailleurs dans cette citation du Phèdre, que l‟amoureux de prédilection s‟approchait des caractéristiques de la féminité et de la fragilité :

On verra l‟amant poursuivre un garçon mou et sans muscle, qui a été élevé non pas en plein soleil, mais dans une ombre épaisse, qui est resté étranger aux fatigues viriles et aux sueurs de l‟effort, accoutumé plutôt qu‟il est à une vie délicate et efféminée30.

L‟amour ne pouvant pas être pleinement vécu dans la relation conjugale, le jeune garçon viendrait remédier à ce manque grâce à la faiblesse de son âge. On peut protéger un jeune garçon qui apprend la vie, pas un homme mature.

Aimer un homme mature témoignerait d‟une volonté d‟être protégé, donc d‟une faiblesse, alors que protéger un jeune est viril et fort. Là semble être la ligne de partage entre pédérastie et homosexualité. Probablement toujours pour ces mêmes raisons, « Il était de règle que l‟amant n‟eût pas plus de quarante ans, ou du moins qu‟il fût encore dans la

29 FLACELIÈRE, L‟amour en Grèce, p. 68.

30 PLATON, Phèdre, 239c, trad. Luc BRISSON, dans PLATON, Œuvres complètes, sous la direction de Luc BRISSON, Paris, Flammarion, 2008, p. 1254.

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force de l‟âge31 ». Le lien de protection entre garçon et homme étant moins naturel que celui existant entre homme et femme, la délicatesse du garçon étant plus précaire, ne tenant qu‟à un fil, ou plutôt qu‟à un poil, il fallait en contrepartie que la solidité de l‟homme soit presque caricaturale. Par contre, le nombre de cas d‟hommes âgés, accoutumés à aimer des beaux garçons, qui ne peuvent s‟en empêcher en vieillissant sont légions32.

Pourquoi alors Platon, et tout particulièrement Socrate, ont-ils choisi la pédérastie pour parler de l‟amour et de l‟éducation ? Simplement parce qu‟il s‟agit de la façon d‟aimer et d‟enseigner qui se rapporte aux plus grands idéaux du moment :

Celle-ci est la seule capable d‟exprimer, à leurs “yeux”, les caractères irrésistibles et romanesques de l‟amour. Même dans l‟abstinence ou la retenue, l‟amour ne peut être que pédérastique dans son élan s‟il veut être porteur des valeurs d‟idéal, de dévouement et de partage33.

L‟innovation de Platon a été de parler d‟une relation pédérastique comme d‟un effort à rester ou devenir platonique. Bien sûr, il exprime personnellement que la chute au niveau de la sexualité n‟empêche pas la relation pédérastique d‟être belle, cependant il indique une préférence à se tourner entièrement vers la beauté de l‟esprit.

Décrire les pratiques amoureuses sans parler du vécu affectif qui coïncide avec elles serait comme décrire un objet qui nous est étranger sans parler de sa fonction. Nous risquerions de tirer des conclusions fausses qui se basent sur ce que l‟on croit et non sur la réalité de l‟époque.

Quand nous pensons aux Grecs de l‟Antiquité, nous imaginons des découvertes rationnelles, une pensée logique et il nous paraît sensé par ce fait, sinon d‟exclure leur dimension amoureuse, à tout le moins leurs sentiments, comme s‟il s‟agissait de machines à penser, néanmoins :

De même que les siècles ont effrité la peinture de la frise du Parthénon, de même des générations d‟érudits ont décapé l‟image athénienne de son aspect physique. Cependant, les Grecs n‟étaient pas totalement obsédés par la philosophie et le juste milieu. S‟ils l‟avaient été les dictionnaires du XXe siècle seraient privés de mots tels que : androgynie, aphrodisiaque, érotisme, hermaphrodite, homosexualité, narcissisme,

31 MEIER, Histoire de l‟amour grec dans l‟Antiquité, p. 16. 32 Ibid., p. 17.

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nymphomanie, pédérastie, satyriasis (priapisme) et zoophilie (bestialité) – tous dérivés du grec et pour la plupart relatifs à des actes qu‟on trouve dans les pages d‟Homère34.

Les Grecs parlent de cette composante physique qui est parfois occultée du discours philosophique par certains érudits. Ils parlent aussi d‟un vécu spirituel que leur offre l‟amour. Il y a quelques moments où l‟on sent se mélanger ces vécus dans un discours plus émotionnel, mais, dans l‟ensemble, les Athéniens ont une timidité première face à cette dimension de leur existence : « Sans aucune retenue, avec même un certain exhibitionnisme, les Grecs en expriment toutes les manifestations [de l‟amour], mais ils sont plus pudiques sur les sentiments amoureux eux-mêmes, plus délicats à comprendre35 ».

Il faut dire que ce peuple ne nous aide pas à le connaître mieux à ce niveau, toutefois même si quelqu‟un n‟exprime ou ne comprend pas bien ses émotions, cela ne signifie pas pour autant que cette dimension de son être est inexistante.

De plus, en raison de plusieurs propos de philosophes de cette époque, nous percevons les Grecs comme des individus préconisant l‟amour platonique et le mettant en pratique, ainsi que l‟a révélé leur savante suite de syllogismes, toutefois :

Il ne faudrait pas croire que, même sous ses formes les plus nobles, l‟amour que les Grecs portaient aux garçons fût quelque chose d‟exclusivement spirituel, une satisfaction tout esthétique en présence de la beauté, une simple communion d‟esprit et de cœur, un échange de sentiments tendres offerts et agréés. Les éléments spirituels de cette affection étaient toujours mêlés d‟un élément très sensuel, le plaisir qui avait pour cause la beauté physique de l‟aimé36.

Autant dans le peuple que chez les philosophes, l‟engouement pour la philosophie n‟a d‟égal que celui de la passion pour une courtisane. Néaira, l‟une des plus belles femmes de l‟époque et qui faisait commerce de ses charmes, a en effet reçu un montant identique pour ses atouts que le plus imposant penseur de l‟histoire pour ses réflexions : « Simultanément, le grand Platon est échangé à Egine le même prix, prouvant sinon la surcote de Néaira, au moins la faible valeur marchande d‟un philosophe en terre philosophale37 ».

Une question importante, bien que moins reliée à l‟amour, est celle de savoir s‟il existe véritablement une « terre philosophale ». L‟Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ

34 TANNAHILL, Le sexe dans l‟histoire, p. 63.

35 MAZEL, Les métamorphoses d‟Éros : L‟amour dans la Grèce antique, p. 16. 36 MEIER, Histoire de l‟amour grec dans l‟Antiquité, p. 18.

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est considérée par tous comme le lieu, le moment de la philosophie, mais c‟est aussi la même ville qui a assassiné Socrate.

Les philosophes rêvent toujours d‟idéaux et ont dressé Athènes comme le sommet de la vie philosophique. Le paroxysme de cette vie a toujours été et restera toujours néanmoins celui d‟un petit groupe de parias : « Athens was a society in which philosophers were often ignored and, when noticed, were easily represented not as authority figures but as cranks and buffoons38 ».

Ne nous enorgueillissons pas, ne nous prenons pas trop au sérieux, alors, car voici notre statut social : Platon est le roi des bouffons et nous sommes ses quelques sujets. Nous serions cependant similaires au bouffon qui fait la narration dans Le Bossu de Notre-Dame. Nous sommes marionnettistes. Platon est marionnettiste. Nous le sommes à l‟image de ceux qui tiennent les figurines dans l‟allégorie de la caverne. C‟est, d‟une certaine façon, ce spectacle que nous abordons dans ce mémoire, en étudiant l‟impact qu‟a Platon sur la société.

Comme cela a été mentionné ci-haut, la pédérastie découlerait sans doute de la grande misogynie de l‟époque, comme l‟illustrent d‟ailleurs les écrits de nombreux philosophes méprisant la femme. Cependant, d‟où provient cette sous-valorisation de la gent féminine, et les philosophes, volubiles dans leur dédain, l‟exprimaient-ils toujours autant face à la réalité ?

Un mythe qui circulait nous permet de bien comprendre l‟origine du dénigrement des hommes pour leur moitié. Ce mythe se réfère à la création même d‟Athènes. Il est donc à la base de la pensée et des émotions de ses concitoyens.

Il va comme suit39 : lorsque la ville a été fondée, hommes et femmes avaient le droit de vote. Ils devaient voter sur qui, entre le Dieu Poséidon et la déesse Athéna, se retrouverait protecteur ou protectrice officielle de l‟endroit. Toutefois, le nombre de femmes est supérieur par une voix. Pour se venger, les hommes suppriment le droit de vote

38 David M. HALPERIN et al., Before sexuality : the construction of erotic experience in the ancient greek philosophy, Princeton, Princeton University Press, 1990, p. 172.

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et la possibilité aux femmes de léguer leur nom à leurs enfants. Ainsi, les femmes ne sont plus citoyennes d‟Athènes, la ville dont elles ont choisi le nom.

Par ce mythe et par nombre d‟autres commentaires, nous pouvons comprendre que l‟origine de la misogynie en Grèce n‟est sans doute pas, comme on pourrait le croire par les discours de surface, un mépris de la faiblesse de la femme, mais bien une peur viscérale de sa force, force de caractère qui, comble du malheur, séduit l‟homme au plus haut degré. Il se retrouve ainsi devant ce problème : « il y a les femmes comme il faut et celles comme il en faut40 ».

La femme au foyer, docile et douce, ne constitue plus de menace ni de sujet de désir. La prostituée de haute voltige, libre, indépendante et intelligente rendra l‟homme fou d‟amour, servile, docile et prêt à tout donner ce qu‟il possède, ainsi qu‟à offrir ce qu‟il est sans que la demoiselle ne daigne minimalement être reconnaissante.

L‟image de l‟homme violent qui utilise sa force physique pour dominer et soumettre la femme est contrebalancée même dans des cultures misogynes comme celle de la Grèce antique par celle de la femme dangereuse qui utilise sa délicatesse, sa psychologie et sa finesse à son unique avantage. Le danger de la femme n‟est pas dans sa force physique, mais dans son charme et une femme charmante est une femme qui a du tempérament, de la confiance en elle. La femme a l‟avantage de la faiblesse. Qui se mobilisera pour que cesse la tyrannie de la femme sur l‟homme ? Qui viendra enfin dire que le mépris des pauvres pour les riches dans un pays socialiste est de l‟intimidation gratuite et mesquine envers les riches ?

La faiblesse est un atout précieux, car elle laisse le champ libre. Qui soupçonnerait une souris d‟avoir tabassé un loup ? L‟histoire ne raconte que la grossière évidence. Elle se moque bien des détails, néanmoins la femme s‟impose souvent par le détail, subtilement et lorsque paraissent ces détails, il peut devenir difficile de dire qui domine vraiment.

Serait-ce là l‟origine de la misogynie ? L‟homme doit prendre le contrôle de la femme par la force physique et les insultes sans quoi la femme risque de posséder l‟homme et de détourner ses talents à son service par la ruse, le charme, la psychologie et

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l‟intelligence. La misogynie, sous ce regard, pourrait même susciter une certaine compassion pour ses auteurs.

Les hommes, après tout, n‟aiment pas, la plupart du temps, battre leur femme. En général, les hommes aiment séduire et être appréciés. Ils constituent leur estime de soi en bonne partie sur l‟appréciation qu‟autrui a d‟eux. Bien sûr, la pièce de théâtre Lysistrata d‟Aristophane est une comédie, mais une idée telle qu‟une grève sexuelle peut être expliquée par la volonté qu‟a l‟homme de faire aussi plaisir à la femme.

En effet, même si la femme se refuse sexuellement à l‟homme, l‟homme peut physiquement forcer la femme à l‟acte, mais, dans la majorité des cas, l‟homme préférera se sentir désiré pour désirer lui-même. Pour ce faire, il faut un respect minimal et l‟emploi de la force physique envers la femme nuit généralement à l‟estime que la femme a envers l‟homme.

Et qui sort gagnant de la guerre des sexes ? Est-ce l‟homme qui tue son désir, parce qu‟il veut posséder l‟objet de ce désir, puis qui se rabat sur lui-même par la pédérastie, ou la femme qui séduit pour avoir l‟homme dans le but d‟avoir plus d‟argent, qui lui servira à séduire les hommes ? Évidemment, c‟est une fausse question. Nous avons seulement tenté de nuancer les préjugés concernant la question : « Qui domine ? », puisque c‟est beaucoup moins manichéen qu‟il n‟y paraît.

Le seul but que l‟amour peut poursuivre en définitive est celui d‟aimer et si l‟amour est un moyen, il ne sera un bon moyen que s‟il finit par être son propre but. Ainsi une lutte de contrôle est vaine, parce qu‟elle ne permet pas l‟amour, ni rien d‟autre, d‟ailleurs, qui ne soit une impasse ou une vanité.

Bien sûr, l‟homme peut se servir de sa force physique dans le couple, si c‟est pour favoriser l‟harmonie véritable au sein de ce dernier (précisons que ceci n‟est pas une incitation à la violence, mais plutôt à l‟ouverture des pots de confiture), comme une femme peut user de sa compréhension naturelle de la psychologie humaine pour aider la relation à s‟épanouir.

Il faut simplement que l‟enjeu de l‟amour ne soit pas une lutte de pouvoir, sans quoi non seulement l‟amour s‟efface, mais on ne peut que s‟enliser dans l‟absurdité et la

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tautologie. La bataille du « qui gagnera ? » est donc vaine et c‟est une excellente nouvelle. Quand personne ne cherche à gagner, tout le monde y gagne.

Ce n‟est pas une utopie. Il existe des relations maritales vraies en Grèce antique. Dans la réalité, « Il arrive que certains couples dérogent à cet ordre des choses : Aristote, par exemple, qui, marié, goûte au calme d‟une affection conjugale fondée sur une bienveillance réciproque qu‟il nomme philia. Cependant, la société ne les comprend pas41 ».

Curieusement, c'est le même Aristote, réputé en tant que philosophe pour sa très grande misogynie, qui s‟avère être un modèle de respect de la femme d‟un point de vue pratique : « Son attachement apparaît avec profondeur […]. Son amour demeurera fidèle à sa femme : il hésite à appliquer dans l‟intimité de sa vie les résultats de ses spéculations42 ».

Ce philosophe qui disait de regarder davantage ce qu‟une personne fait que ce qu‟elle dit, notamment dans ses propos concernant le bonheur, et qui était bien assez brillant pour voir la différence importante entre ses réflexions et ses actions au sujet de la femme, peut nous pousser à nous questionner sur la complexité de la misogynie, dont la compréhension éclaire beaucoup les pensées qui ont été soulevées à Athènes concernant les relations humaines, surtout celles de nature amoureuse.

Il existe aussi une caractéristique, qui est évidemment présente au sujet de l‟amour dans chaque peuple du monde et qui n‟est toutefois probablement jamais mise à l‟avant-plan aussi fortement qu‟au temps de Platon. Il s‟agit de l‟importance accordée à l‟esthétique et au beau. Considérant que le peuple grec est un regroupement d‟esthètes qui n‟a pas son pareil dans l‟histoire de l‟humanité, un comportement comme celui de Socrate, qui ne prend pas en considération l‟apparence physique, est absolument renversant.

À titre d‟exemple, pour bien comprendre la place majeure de la beauté dans cette culture, nous pouvons nous rapporter au cas de Phryné43, une hétaïre très connue. Elle était accusée au tribunal d‟Athènes pour avoir été profane en raison de l‟ampleur de sa débauche. Elle risquait la peine capitale.

41 LESUEUR et MARNY, Une histoire de l‟amour, p. 43.

42 MAZEL, Les métamorphoses d‟Éros : L‟amour dans la Grèce antique, p. 56. 43 Ibid., p. 63.

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Cette courtisane avait, contrairement aux autres, l‟originalité de se couvrir entièrement pour attiser le désir des hommes par son mystère. À court d‟arguments pour sauver sa cause, l‟avocat chargé de la défendre dévêtit Phryné. Elle est alors acquittée, car « Comment peut-on faire périr “la prêtresse, l‟inspirée d‟Aphrodite”, sans ajouter un sacrilège supplémentaire, sans attenter à la Beauté incarnée, enfin dévoilée44 ».

Le rôle du beau dans l‟amour

La philosophie platonicienne rejoint un trait culturel de la Grèce antique en accordant une grande importance à la beauté. Elle le fait toutefois d‟une manière différente et innovatrice, qui se distingue de celle de ses contemporains. Cette particularité offre au lecteur avisé un riche contraste.

Socrate ose affirmer, après que les autres orateurs de la pièce eurent orné l‟amour des plus magnifiques couronnes imaginables, que l‟amour n‟est pas beau. « Pourquoi l‟amour ne serait-il pas beau ? » s‟interroge Agathon, son interlocuteur. Socrate lui demande si l‟amour est amour de rien ou s‟il aime quelque chose. La deuxième option semble être la plus probable aux yeux d‟Agathon. Puisque l‟amour porte sur un objet, les hommes conviennent entre eux que ce qui est l‟objet d‟amour d‟Éros est aussi un désir de cette chose.

Or, on ne peut désirer que ce que l‟on n‟a pas : « Est-ce qu‟un homme qui est grand souhaiterait être grand, est-ce qu‟un homme qui est fort souhaiterait être fort45 ? ». Il résulte de cela, sur la base du discours fait précédemment par Agathon, que l‟objet d‟amour d‟Éros est le beau. Par suite des derniers raisonnements, il est donc impératif de conclure qu‟« Éros manque de beauté et [qu‟] il n‟en a pas46 ».

L‟éloge d‟Éros que font les autres convives du Banquet est empreint d‟enthousiasme. Agathon prêtera à Éros des qualités merveilleuses, dont la beauté : « Je

44 Ibid., p. 63.

45 PLATON, Banquet, 200b, trad. BRISSON, dans op. cit., p. 133. 46 Ibid., 201b, trad. BRISSON, dans op. cit., p. 134.

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