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Présentation de l‟amour disneyen et comparaison avec l‟amour platonicien

« Tu auras tant de choses à voir pour franchir la frontière du savoir, recueillir l‟héritage, qui vient du fond des âges dans l‟harmonie d‟une chaîne d‟amour221 ».

Le Roi Lion

Dans cette dernière section, nous donnerons des exemples de passages de films de Disney qui représentent bien la pensée de Platon au sujet de l‟amour. Pour ce faire, nous reprendrons une organisation identique à celle présente dans le premier chapitre.

Nous commencerons par aborder la relation de l‟amour avec le beau, pour ensuite parler de l‟amour en tant qu‟intermédiaire, en tant que folie divine et finalement en tant que méthode éducative. Nous chercherons à faire des rapprochements avec toutes les sous- catégories que ces sections comportent.

L‟éventail des films que nous allons utiliser dans notre analyse sera assez large, varié et étendu dans le temps. Un biais volontaire favorisera cependant les plus grands classiques, qui, connus de tous, sont aussi assez souvent les meilleurs films, les plus chargés de sens et conçus avec le plus grand souci du détail.

Certains d‟ailleurs seront employés très souvent, comme La Belle et la Bête, qui constitue un filon de ce mémoire, puisque nous en avons extrait les racines dans le chapitre précédent. D‟autres, comme Pocahontas ou Le Roi Lion, reviendront aussi assez fréquemment en raison de la qualité de la réflexion philosophique présente dans ces films. Nous n‟avons pas la prétention d‟affirmer ici que nous ferons le tour de l‟œuvre de Disney, par contre nous en tirerons de nombreux passages variés, intéressants et qui illustrent bien la pensée platonicienne.

Nous aurons à citer régulièrement des extraits de films. Dans la majorité des cas, nous présenterons ces extraits en anglais puisque l‟œuvre originale a d‟abord été produite dans cette langue et qu‟en général nous tirons le maximum du sens des histoires à partir de leur version originale. Dans bien des cas, de belles phrases anglophones réfléchies sont

transformées, dans la version française, en fioritures descriptives jolies, qui sont peu significatives.

Par exemple, ce touchant passage de Beauty and the Beast : « Just a little change, small to say the least, both a little scared, neither one prepared, Beauty and the Beast222 » devient en français : « Et soudain se pose, sur leurs cœurs en fête, un papillon rose, un rien, pas grand-chose, une fleur offerte223 ». C‟est compréhensible. Il faut établir une corrélation avec la mélodie déjà établie et le temps disponible pour créer des traductions ne peut pas être aussi grand que celui disponible pour une version originale.

Il arrive cependant, par je ne sais quel miracle, que certaines traductions françaises s‟avèrent être plus riches et plus belles encore que leur version originale. C‟est le cas de la chanson Ô nuits d‟Arabie, présente dans le film Aladin.

Comme il s‟agit, au même titre que le reste, de phrases appartenant au corpus disneyen, il serait fort dommage de se passer d‟aussi merveilleuses créations pour un souci d‟uniformité ou de structure. C‟est magnifique et cela appartient à Disney. Conséquemment, quelques citations seront en français.

Le rôle du beau dans l‟amour

Nous commençons avec un sujet qui semble au premier abord difficile à exposer. Comment pourrions-nous penser que, chez Disney, l‟amour n‟est pas beau ? En voyant de belles princesses, plusieurs princes magnifiques avec de grands chapeaux à plume et montés sur un cheval blanc ?

S‟il est vrai que bien des princes sont forts beaux, certains amants, quant à eux, sont aux prises avec une laideur terrifiante. Ces amants sont peut-être ceux qui sont les plus propres à représenter Éros.

222 Gary TROUSDALE et Kirk WISE, Beauty and the Beast, Disney, 1991, scène 6. 223 Ibid., scène 6.

Dans Le Bossu de Notre-Dame, Quasimodo est un digne représentant d‟Éros. Il est vraiment laid : « Frolo gave the child a cruel name, a name that means half-formed : Quasimodo224 ». Son nom rappelle assez bien le mythe de l‟androgyne, dont Aristophane nous fait part dans le Banquet. Quasimodo est en quelque sorte la moitié de lui-même et il est en quête de son autre moitié. Il veut la liberté de voir le monde, pourtant sa laideur l‟en empêche.

Il manque de beauté et aimerait en posséder pour pouvoir parcourir le monde. Lorsqu‟il voit Esméralda, elle qui est admirée de tous, courtisée par tous pour sa beauté et qui suscite les passions par ses gracieux mouvements de danse, il voit la beauté qu‟il n‟a jamais eue et il la désire. Il tombe amoureux.

Dumbo est un des meilleurs exemples au niveau symbolique d‟une figure susceptible de représenter Éros. Dumbo est livré par une cigogne à sa mère éléphant. Les dames éléphant qui sont avec sa mère dans le fourgon s‟impatientent tant elles ont hâte de voir le petit Jumbo junior (nom que sa mère souhaitait lui donner).

Quand elle ouvre le sac, toutes sont en pâmoison devant l‟adorable petit aux yeux bleus. Toutefois, ses oreilles étant rétractées, lorsqu‟il les sort, les femmes, d‟abord horrifiées, se mettent à se moquer de lui et finalement le rejettent. Ces éléphants sont, sous un certain regard, des membres de la masse, des représentantes de l‟opinion.

Comme dans la caverne l‟on se moque de celui qui en redescend les yeux « gâtés », l‟on se moque de Dumbo, parce qu‟il est laid, puisqu‟il a de grandes oreilles. Ces oreilles semblent au premier abord être pour lui une malédiction, sujet de moqueries qui causent l‟emprisonnement de sa mère. Au surplus, elles le font trébucher sans cesse tant elles sont longues.

Cependant, ce que chacun voit comme une monstruosité est en réalité une bénédiction. Dumbo possède un don extraordinaire caché sous des apparences disgracieuses. Ses oreilles sont en fait des ailes grâce auxquelles il peut voler.

Ainsi en va-t-il de l‟amant, à qui il pousse des ailes lorsqu‟il est amoureux. Éros n‟est pas beau, par contre l‟amour lui donne des ailes. Dumbo n‟est pas beau, pourtant il a une belle âme. Il est un silène et, comme il est cet Éros disgracieux, il peut aussi voler.

Dans La Belle et la Bête, avant de devenir une bête, le prince était un homme riche, jeune et beau, cependant il n‟était pas bon et n‟avait pas d‟amour dans son cœur. C‟est en refusant le gîte à une vieille mendiante (qui était en fait une fée cachée sous les allures d‟une mendiante) qu‟il fut transformé en Bête :

The Prince tried to apologize, but it was too late, for she had seen that there was no love in his heart. And as punishment, she transformed him into a hideous beast, and placed a powerful spell on the castle, and all who lived there225.

À ce moment, le prince n‟est pas Éros, car il possède le beau. Comme Diotime le dit dans le

Banquet, l‟amour n‟est pas beau, puisque s‟il l‟était, il ne désirerait pas le beau. Ainsi, La Belle et la Bête est un très bon exemple. Le prince est beau, toutefois n‟est pas l‟amour, car

il ne désire pas le beau : il le possède déjà.

C‟est donc en perdant la beauté que la Bête devient progressivement une image d‟Éros, parce que, comme il ne possède pas la beauté, il se met progressivement à désirer la posséder. Il veut redevenir cet homme beau qu‟il était, posséder encore cette beauté qu‟il avait, et éventuellement comme c‟est la condition, il se met à vouloir séduire une belle jeune femme, pour pouvoir posséder à nouveau le beau :

If he could learn to love another, and earn her love in return by the time the last petal fell, then the spell would be broken. If not, he would be doomed to remain a beast for all time. As the years passed, he fell into despair, and lost all hope, for who could ever learn to love a Beast ?226

Comme l‟amant présenté dans le Banquete227, qui s‟attache à un beau garçon et se rend progressivement jusqu‟au beau en soi, la Bête commence par chercher sa beauté déchue et sa quête l‟amène beaucoup plus loin. Bien sûr, le prince redevient un beau garçon. Plus important encore, il trouve aussi la beauté intérieure, à laquelle il attache plus de prix qu‟au reste, puisqu‟il en connaît maintenant la valeur.

Cette beauté, il ne la cherchait pas quand il a commencé sa quête du beau. C‟est au moment où la Belle le remercie de lui avoir sauvé la vie qu‟il réalise ce qu‟il vient de faire.

225 TROUSDALE et WISE, Beauty and the Beast, scène 1. 226 Ibid., scène 1.

On voit dans ses yeux que tout a changé et qu‟il a trouvé une beauté qu‟il n‟avait jamais connue auparavant. Il s‟attache alors d‟autant plus fortement à celle qui l‟a amené vers cet accomplissement, comme l‟amant s‟attache à l‟aimé chez Platon.

La Belle et la Bête est un classique de Disney qui n‟a pas d‟équivalent féminin. En

effet, nous n‟avons pas le film Le beau bonhomme et la laideronne. S‟il est vrai que certaines des figures masculines principales dans les films de Disney sont laides à un moment ou à un autre de l‟histoire, il ne peut pas en être ainsi de l‟héroïne du conte. Certaines dames secondaires sont laides, il est vrai, par contre, ce n‟est le cas d‟aucune femme principale.

Cela est sans doute dû au fait que les femmes sont généralement des images de l‟aimé plutôt que de l‟amant. Éros aime le beau comme les princes de Disney aiment les princesses. Ces princesses, d‟ailleurs, ne sont pas seulement belles. Elles sont aussi, dans la majorité des cas, intelligentes, bonnes et vertueuses. Elles sont tout autant des images de la beauté intérieure que de la beauté extérieure.

Notons cependant que cela est vrai dans les classiques mais l‟est moins dans les films très récents tels que La Princesse et la Grenouille ou Rebelle, les courants féministes ayant peut-être amené les studios Disney à représenter la femme d‟une façon différente de celle dont ils avaient l‟habitude.

Donc, d‟un point de vue général, l‟homme prend plus souvent les traits d‟Éros, qui aime le beau et les femmes sont des images de cette beauté qui est aimée. En voyant les princesses, c‟est comme si le temps s‟arrêtait. Les princes sont frappés par leur beauté. Après tout, n‟oublions pas que « […] seule la beauté a reçu pour lot le pouvoir d‟être ce qui se manifeste avec le plus d‟éclat [= ἐκυανέστατον] et ce qui suscite le plus d‟amour228 ».

Nous pouvons constater ce rôle des femmes dans de nombreux films. Prenons par exemple celui de Cendrillon :

No doubt you saw the whole pretty picture in detail. The young prince bowing to the assembly. Suddenly he stops. He looks up. For, lo, there she stands. The girl of his dreams. Who she is or whence she came, he knows not, nor does he care for his heart

tells him that here, here is the maid he is predestined to be his bride. A pretty plot for fairy tales, Sire. But in real life... oh, no. No, it was foredoomed to failure229.

La situation, pendant qu‟elle était décrite comme impossible, se produisait sous les yeux du roi. Le coup de foudre provoqué par la beauté de Cendrillon n‟est toutefois pas un cas isolé.

Les voix de Blanche-Neige et d‟Aurore (La Belle au bois dormant) ont tout de suite charmé leurs princes qui ont accouru et qui ont confessé leur amour le plus profond sans minimalement savoir au préalable le nom de leur belle.

John Smith avait l‟arme à la main et était prêt à tuer quand il a vu Pocahontas, par contre on voit dans son regard que bien des choses changent quand il aperçoit la jeune Indienne. Il baisse son arme tout de suite et essaie d‟empêcher Pocahontas de s‟enfuir. Sa dernière idée serait de l‟effrayer, alors que, quelques secondes plus tôt, sa première était de lui tirer dessus avec son fusil.

Le philosophe ressemble sans doute beaucoup à cette petite luciole, du nom de Ray, qui était amoureux d‟une étoile qu‟il appelait Évangéline. Il l‟aimait parce que c‟était, selon ses dires, la plus brillante de toutes les lucioles. Il se faisait dire par tous que la concrétisation de son amour était impossible, toutefois en mourant, il a pu aller briller aux côtés d‟Évangéline dans le ciel.

Les princesses sont souvent vantées comme étant les plus belles et les plus vertueuses. Au début du film Cendrillon, on dit combien elle est merveilleuse. Dans la première chanson de La Belle et la Bête, on reproche à Belle son étrangeté, cependant on ne nie pas le fait qu‟elle soit d‟une beauté incomparable.

Le premier don que reçoit Aurore, la Belle au bois dormant, est la beauté. Le deuxième est une belle voix pour chanter. Après que Blanche-Neige ait mangé la pomme et soit morte, voici ce qu‟écrit Disney au petit écran au sujet de la princesse : « So beautiful, even in death, that the dwarfs could not find it in their hearts to bury her230 ».

Tel que nous l‟avons déjà mentionné ci-haut, non seulement les princesses sont des modèles de beauté extérieure, mais elles sont aussi très souvent des personnes qui possèdent de grandes vertus, et qui, conséquemment, sont très belles à l‟intérieur.

229Clyde GERONIMI et al., Cinderella, Disney, 1950, scène 18.

La chanson Un matin de mai fleuri, tirée du film Alice au Pays des Merveilles, fait la relation entre la beauté intérieure et la beauté extérieure. Cette chanson est chantée par toutes les fleurs, ainsi que par la petite Alice, qui est prise pour une fleur par ces dernières au début de leur rencontre.

La majorité des fleurs qui chantent cette chanson ont des voix et des visages de femmes, à l‟exception de quelques fleurs rondes qui ont un rôle de basses pour la chanson. En considérant ces voix et ces visages, en incluant Alice dans la chanson et lorsque la rose dit à celle-ci que cette chanson parle de toutes les fleurs, nous pouvons facilement voir un lien entre la fleur et la femme.

Cette relation entre femme et fleur ne serait d‟ailleurs pas une innovation disneyenne. Nous constatons par exemple que la fleur dans Le petit prince d‟Antoine de Saint-Exupéry est une image de la femme également. De nombreux passages le suggèrent, dont celui-ci :

Elle s‟habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh oui ! Elle était très coquette. Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours.

Cette partie de la chanson est par suite très intéressante lorsque nous l‟abordons sous cet angle, puisque Alice chante : « Nos pensées sont quelques fois très profondes, il est bon d‟entendre nos avis, car nous sommes la beauté du monde231 ».

Pour Disney, le beau a donc une teneur philosophique. Nous devons écouter la beauté du monde, car elle nous révèle quelque chose de très profond. Cette idée est très près de la pensée des Grecs de l‟Antiquité. Rappelons-nous le cas de Phryné, qui, risquant la peine de mort, a été acquittée en raison de sa beauté.

Aussi, bien que ce ne soit pas un absolu, il faut admettre que les méchants de Disney sont en moyenne bien plus laids physiquement que les gentils. Il y a quelque chose de naturel dans cette perspective.

Nous avons tendance en tant qu‟êtres humains à considérer que les personnes belles sont plus fiables, plus intelligentes, possèdent davantage de qualités. Si ce n‟était pas le cas,

nous ne ferions pas, par exemple, l‟effort d‟avoir une belle apparence en entrevue d‟embauche. Nous croyons peut-être naturellement à une sorte d‟harmonie, comme si l‟extérieur devait être un reflet fidèle de l‟intérieur.

Si la civilisation grecque à l‟époque de Platon voit la beauté comme sacrée, n‟oublions pas l‟importance qu‟elle revêt également pour ce philosophe. La beauté, c‟est le chemin vers le lieu des Idées, c‟est la porte d‟entrée vers la philosophie.

Un homme commence par aimer un beau corps. Il aime ensuite les beaux corps, en passant par les belles âmes jusqu‟à ce qu‟il atteigne le beau en soi. À ce moment, il a vu ce qu‟ont contemplé les dieux et il a atteint les Idées. Conséquemment, Alice amène la beauté dans une dimension philosophique qui est propre à la pensée platonicienne.

Pourquoi, cependant, nous intéressons-nous au fait de savoir si l‟on peut établir une relation entre les femmes et les fleurs ? Chez Platon, ainsi qu‟à l‟époque à laquelle il a vécu, l‟objet d‟amour est l‟homme. Toutefois, autant chez Disney qu‟à notre époque, l‟objet d‟amour est généralement la femme.

Il s‟agit, bien sûr, dans ce cas-ci d‟une différence, or si nous prenons cette différence en considération, nous voyons une similitude grâce à cette chanson d‟Alice au

Pays des Merveilles : l‟objet d‟amour est la beauté et la beauté, si on l‟écoute, amène vers

des pensées profondes (vers la philosophie).

Dans la première section de ce travail, Platon nous dit que l‟amour du beau est en fait « l‟amour de la procréation et de l‟accouchement dans de belles conditions232 ». Pouvons-nous voir dans les films de Disney cette actualisation de la pensée platonicienne ? Évidemment que non ! Ce sont des films pour enfants.

Comme Disney offre des produits essentiellement visuels, il est facile de comprendre pourquoi il ne peut pas représenter cette pensée platonicienne, du moins au moment présent. La procréation et l‟accouchement physiques étant trop privés et la procréation et l‟accouchement spirituel étant invisibles, cela rend complexe la transmission de cette réflexion sur le grand écran.Par la même occasion, cela complique aussi notre travail de recherche autour de ce thème.

Bien qu‟il ne soit pas vraiment possible pour Disney de présenter la maïeutique en tant qu‟acte, nous pouvons tout de même observer dans les films la conséquence de cet acte. L‟effet de la procréation, c‟est l‟enfant. Nous pouvons donc voir la théorie platonicienne concernant l‟accouchement et la procréation grâce aux moments où Disney aborde le sujet de l‟enfant.

La chanson la plus représentative de la maïeutique est de loin L‟histoire de la vie, présente au tout début du film Le Roi Lion. En effet, dans cette chanson, on fait un lien entre l‟enfant, la procréation (d‟une manière subtile et délicate, toutefois c‟est déjà étonnant

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