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Submitted on 3 Jan 2011

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La ville connectée

Jérôme Denis, David Pontille

To cite this version:

Jérôme Denis, David Pontille. La ville connectée. Réalités industrielles. Annales des mines, Ed. Eska, 2010, pp.69-74. �halshs-00551240�

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La ville connectée

Jérôme DENIS LTCI (UMR5141) CNRS - Telecom ParisTech Département Sciences Économiques et Sociales jerome.denis@telecom-paristech.fr David PONTILLE IIAC - CNRS (UMR 8177) / EHESS (LC 12) Équipe « Anthropologie de lʼécriture » pontille@ehess.fr

2010. Réalités Industrielles (Annales des Mines), novembre, p. 69-74.

Les réseaux numériques ne sont plus pensés à lʼaune de la seule virtualité, mais sʼinscrivent en lien direct avec le territoire physique. Ils offrent des outils visant à faciliter lʼusage de la ville. Nous entrons dans une nouvelle ère, celle de lʼécologie informationnelle des lieux publics.

En quelques années, la manière dʼenvisager les liens entre les pratiques de communication électronique et les usages des espaces urbains sʼest radicalement transformée. Il nʼy a pas si longtemps, les réseaux numériques (en particulier les usages du Web) étaient pensés à lʼaune quasi exclusive de la virtualité, cʼest-à-dire dʼune forme de présence et de rapport aux autres déconnectés (paradoxalement) dʼun «  réel  » dont les frontières nʼétaient jamais clairement définies. Tout ce qui se passait en ligne était donc appréhendé comme composant un ailleurs, qui nʼavait de liens avec les territoires physiques que sur le mode de la métaphore ou de la simulation. De ce point de vue, les jeux en ligne, puis les mondes « virtuels », qui ont connu un énorme succès, ont posé un cadre interprétatif très fort.

Cette façon de voir les choses a évolué rapidement, non seulement au fil de la transformation croisée des innovations techniques et des usages, mais aussi parce que les analyses des pratiques numériques et celles des environnements urbains ont elles-mêmes muté. Aujourdʼhui, il nʼest plus question dʼimaginer deux territoires -  celui des flux dʼinformations, dʼun côté, et celui des flux de personnes, de lʼautre - qui coexisteraient de façon totalement indépendante. Non seulement la ville et les réseaux numériques sont étroitement articulés, mais leurs liens sʼétendent dans des domaines (et sur des registres) extrêmement variés. Les territoires architecturaux de la ville sont traversés, supportés, voire augmentés par des dispositifs numériques, qui jouent un rôle important dans la multitude des manières possibles de les habiter.

Sans prétendre aucunement à lʼexhaustivité à propos dʼun objet hybride fait dʼincessantes innovations, nous pouvons tout de même tenter dʼidentifier les principaux enjeux de la « ville connectée  ». Quelles sont les principales caractéristiques de la ville qui se fabrique aujourd'hui, au jour le jour, avec les technologies de lʼinformation et de la communication ? La question est délicate à double titre. Dʼabord, parce quʼelle est, en quelque sorte, parasitée par un discours médiatique ambiant, qui relève davantage de la prophétie que de lʼanalyse approfondie. Sans vouloir les discréditer a priori, les discours enthousiastes (ou, au contraire, pessimistes) qui dépeignent la « ville 2.0 » ont souvent le défaut de ne sʼappuyer

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que sur des expériences très particulières, isolées, lorsquʼelles ne restent pas purement et simplement dans le registre des prototypes.

Ces envolées sont fort utiles pour nourrir, voire cadrer, les innovations dans le domaine, mais elles négligent souvent dʼinscrire des transformations plus souvent souhaitées quʼobservées dans lʼépaisseur historique et politique des espaces urbains.

Lʼautre difficulté de la question tient précisément à la multitude des innovations dont le domaine a été le théâtre depuis une dizaine dʼannées, et à la foule, plus grande encore, des projets qui naissent de manière quasi quotidienne pour doter la ville de technologies et de services inédits.

Face à cette complexité, plutôt que de dessiner, une fois encore, une série de grandes tendances qui caractériseraient les liens toujours plus riches entre la ville et lʼinformatique en réseau, nous proposons dans cet article dʼidentifier ce qui, dans les équipements déjà clairement stabilisés, apparaît comme des points clefs de lʼagencement sociotechnique des environnements urbains contemporains. Ce faisant, nous chercherons à mettre en lumière quelques-unes des questions sensibles que ceux-ci soulèvent. Après avoir montré à partir dʼune série dʼexemples lʼimportance des enjeux de visibilité et dʼinvisibilité dans la ville connectée, nous examinerons plus particulièrement les formes de publicité qui y ont cours et mettrons en évidence les conceptions de la ville (et de ses habitants) quʼelles impliquent. Ce cheminement nous permettra de conclure sur un problème largement ignoré et pourtant central : celui du statut des données qui alimentent les différentes manières dʼéquiper la ville informatiquement.

Visibilités

Parmi les innombrables formes dʼassociation entre la ville et les réseaux informatiques, nous pouvons distinguer trois principales configurations. Celles-ci sont évidemment étroitement liées entre elles, ne serait-ce que parce quʼelles sont souvent associées les unes aux autres dans des dispositifs complexes. Il nous semble toutefois utile de les distinguer ici.

La première configuration consiste à équiper la ville de dispositifs largement automatisés qui produisent, puis font circuler, des informations sur son «  état  ». Parmi ces outils, les nouvelles générations de capteurs jouent un rôle extrêmement important. Ceux-ci concernent aussi bien le trafic routier que la qualité de lʼair et celle de lʼeau, le niveau des nuisances sonores ou encore les phénomènes météorologiques extrêmes. Ils permettent dʼaffiner les dimensions qui entrent en compte dans la supervision urbaine, tant du point de vue de leur variété que de leur qualité. Ils en accélèrent également le rythme, ce qui élargit continuellement lʼespace de faisabilité dʼune surveillance en « temps réel ».

Au-delà des seuls capteurs faisant «  remonter  » des informations vers une cellule de supervision, il faut ajouter à ce premier type de dispositif les capteurs qui assurent une communication machine-to-machine. Dans ce cas de figure, les données nʼengendrent plus une supervision de la ville, cʼest-à-dire un moyen, pour des êtres humains, dʼobtenir une vue globale sur des phénomènes distribués dans le temps et/ou lʼespace. Elles circulent entre les objets eux-mêmes, leur permettant dʼajuster leurs comportements les uns en fonction des autres. Largement utilisées pour la gestion du trafic routier (pour celle des feux tricolores, par exemple), ce type de technologies nʼest pas complètement nouveau dans la ville, mais, depuis quelques années, son champ dʼapplication sʼélargit considérablement.

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facturation du traitement des déchets ménagers, ou encore dans la réduction des dépenses énergétiques, aussi bien de parcs dʼhabitation que pour lʼéclairage public1.

La principale particularité de cette première série dʼoutils réside dans leur invisibilité. Producteurs de traces automatiques ou de données plus complexes, ils sont largement inconnus du grand public et demeurent souterrains (au sens figuré, et bien souvent au sens propre). Ils représentent la version urbaine dʼune informatique ubiquitaire pensée comme une série de services qui facilitent les usages de la ville sans se présenter frontalement aux usagers sous la forme dʼinterfaces. Ils constituent donc la part technique et matérielle de cette entité aux frontières floues quʼest la «  ville intelligente  ». Ils en composent lʼinfrastructure informationnelle, devenue aujourdʼhui incontournable dans la gestion urbaine au quotidien.

Une autre manière dʼéquiper informatiquement la ville consiste, au contraire, à installer des dispositifs bien visibles destinés à lʼaffichage collectif dans les lieux publics. Parmi ces nouveaux dispositifs, les écrans tiennent évidemment une place centrale. De plus en plus nombreux, ils modifient sensiblement les paysages urbains contemporains en y ajoutant des espaces informationnels dynamiques. Sʼil y a toujours eu de nombreux écrits exposés dans les villes depuis leur origine [2], ceux-ci avaient la particularité dʼêtre, pour une grande partie, stables et « inertes », surtout lorsquʼils émanaient dʼinstances institutionnelles. Connectés à différents systèmes dʼinformation, les écrans sont des outils dʼaffichage dynamique qui transforment radicalement non seulement la forme, mais aussi le registre de ce qui peut être exposé dans la ville, que cela soit techniquement ou politiquement, comme nous le verrons dans la suite de cet article.

Les équipements informatiques des espaces urbains jouent donc un rôle considérable dans la complexification de ce que nous proposons dʼappeler lʼécologie informationnelle des lieux publics [3]. La ville connectée est distribuée entre lʼinvisibilité dʼinfrastructures informatiques toujours plus interconnectées et de nouvelles formes de visibilité rendues possibles par les dispositifs dʼaffichage dynamique.

Enfin, de nombreuses innovations mettent en œuvre un lien direct entre ville et services en ligne, en s'appuyant sur les technologies de géo-localisation. Il s'agit, dès lors, non plus seulement de jouer sur la visibilité de technologies disposées sur un territoire donné, mais de rendre visible une partie de ce territoire sur le web, en y associant un système de positionnement adapté à des entités très variées. Ce domaine d'application s'est largement développé dans le secteur du divertissement, ce qui a donné lieu à la création de nombreux jeux en ligne au sein desquels les emplacements géographiques jouent un rôle central. Aujourd'hui, des services, comme Foursquare2, poussent cette logique au maximum, invitant

ses participants à valider leur passage dans des lieux spécifiques afin d'évoluer dans le jeu, mais aussi de produire une série de commentaires à leur propos. Les outils de réseaux sociaux en ligne, tels que Facebook et Twitter, ont suivi cette tendance en développant des options de localisation. Sur un registre plus proche de la gouvernance urbaine, la géo-localisation est également utilisée dans des systèmes de cartographie participative, au premier rang desquels OpenStreetMap3, qui génère des plans de villes extrêmement

détaillés, ou FixMyStreet, qui centralise les demandes d'intervention des pouvoirs publics sur l'espace urbain.

Ces cas soulignent l'extrême diversité des formes d'association sociotechnique, qui ont vu le jour autour de dispositifs assurant une «  connectivité  » à la ville. Ils montrent aussi que la question de la visibilité est un des enjeux centraux que soulèvent ces formes dʼassociation.

3

1 Pour une analyse intégrée de nombreux cas, voir [1]. 2 www.foursquare.com

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La manière dont on donne les choses à voir, dont on les rend « publiques » [4], est une des questions sensibles de la ville connectée.

Publicités

Comment caractériser les différentes formes de «  publicité  » qui opèrent dans la ville connectée ? Quels en sont les principaux enjeux ? Deux pistes permettent dʼapporter de premiers éléments de réponse à ces vastes questions. La première consiste à tenter d'identifier la manière dont certaines entités sont définies par les différents projets innovants ; la seconde invite à tirer les fils de la notion même de public et à décrire les points de tension (ou de transformation) que les innovations lui font subir.

Une partie de la sociologie urbaine s'est profondément transformée ces dernières années, notamment en mobilisant les concepts et les méthodes de l'Actor-Network Theory (ANT), domaine de recherches issu de l'étude des innovations scientifiques et techniques [5]. C'est en suivant ce mouvement que l'on peut aborder la première piste d'analyse. L'ANT consiste, en effet, à interroger les technologies dans leurs dimensions relationnelles en insistant sur leurs caractéristiques politiques, c'est-à-dire sur la manière dont elles stabilisent les identités d'entités aussi bien humaines que non humaines [6]. Le panorama qui nous occupe ici demeure trop succinct pour mener une investigation complète sur cette question. Malgré tout, les projets qui alimentent la ville connectée donnent à voir deux objets de définition très forts : la ville elle-même et ses habitants. Cette double définition pourrait ainsi servir de point d'entrée à une analyse approfondie de cas particuliers d'innovation en se posant systématiquement cette question : quelles définitions de la ville sont ici en jeu (fusse de manière implicite, ce qui est d'ailleurs souvent le cas) et quelles définitions des usagers y sont associées ?

Si l'on suit ce questionnement, deux grandes faces de la ville connectée se dessinent déjà assez clairement dans la série des domaines rapidement décrits jusqu'ici. Les technologies informatiques en réseau semblent, en effet, faire osciller la ville entre une définition essentiellement fonctionnelle (dans laquelle la ville est avant tout un espace de circulation) et une définition politique (dans laquelle la ville est un espace de parole et de débats).

Selon les projets, la ville est ainsi traitée plutôt comme un lieu public ou plutôt comme un

espace public. À ces deux pôles de définition correspond une posture singulière pour les

personnes concernées par les services innovants. Dans le premier cas de figure, elles apparaissent comme des citadins qui font un certain usage de la ville (en l'habitant ou en s'y déplaçant). Dans la seconde configuration, elles sʼinscrivent dans les dispositifs en tant que citoyens informés [7] participant à l'organisation de la vie en commun.

Cette polarisation analytique permet d'étudier finement chaque projet en insistant sur des dimensions souvent traitées comme allant de soi par les innovateurs et leurs commentateurs. Une fois cette distinction faite, on peut ainsi imaginer les grandes lignes d'un programme de recherche, dont la richesse consisterait en l'étude approfondie dʼune palette de cas couvrant lʼespace des variations possibles entre ces définitions polarisées  : certains cas documenteraient la spécialisation extrême entre une «  fonctionnalisation  » de l'espace urbain et de ses usagers et, à lʼautre pôle, une « politisation » de la ville et de ses habitants ; dʼautres cas, au contraire, renseigneraient sur les manières dont ces définitions se côtoient, voire sʼhybrident. Enfin, lʼenjeu d'un tel programme consisterait à repérer la manière dont les questions de circulation et de cohabitation sont traitées dans le cadre de cas « politiques » et, inversement, comment les solutions en termes de circulation des flux sont influencées par des enjeux politiques.

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de démocratie technique, de nombreuses innovations technologiques associées à la ville déplacent sensiblement les problématiques traditionnelles des informations publiques et de leur réception.

C'est désormais une évidence : une grande partie des « consommateurs » d'informations en ligne sont aussi des producteurs.

Dans le cas de la ville connectée, l'émergence d'un public informateur complexifie directement les formes de visibilité et d'invisibilité évoquées plus haut.

Sur son versant politique, les choses sont relativement claires. Il existe des innovations qui sont explicitement fondées sur la possibilité donnée à une partie des habitants d'une ville d'exprimer des avis et des revendications. Ces processus visent à faire émerger de nouveaux problèmes définis par des personnes « ordinaires » et exposés sur une scène de débats publics. C'est aussi, généralement, un moyen de rendre publiques les solutions qui ont été apportées. Nous sommes, dans ce cas, au cœur d'une nouvelle forme de gestion de la relation citoyenne [8].

Sur le versant fonctionnel des équipements numériques urbains, la question des sources et des publics de l'information est, en revanche, beaucoup plus complexe, notamment du fait que celle-ci concerne des projets pour lesquels les enjeux de visibilité sont plus ambigus que ceux des projets de politique participative. On trouve, dans ce dernier cas de figure, deux grandes tendances opposées. Proche du modèle des infrastructures informationnelles décrites plus haut, la première tendance recouvre les agencements de back-office  : les traces produites par l'intermédiaire de capteurs, voire de signalements effectués par les citadins, alimentent des systèmes de contrôle et de supervision accessibles à différents types d'agents municipaux. La dimension fonctionnelle d'une ville circulable (mais aussi sécurisée, nettoyée, peu polluée...) s'adresse ici à un public très particulier, composé de personnes qui ont la charge de la gestion urbaine. La visibilité en œuvre est donc très limitée et tout entière tournée vers des actions d'organisation administrative de l'espace urbain. Sur ce versant, les difficultés sont assez bien connues : si la connaissance toujours plus fine des événements qui ponctuent la vie urbaine représente une richesse exceptionnelle en termes de gestion quotidienne, elle fait aussi craindre à beaucoup de citoyens les plus graves dérives en matière de surveillance et de contrôle des personnes.

À l'autre bout du spectre se trouve un modèle tout entier tourné vers l'ensemble des utilisateurs finaux. C'est le cas des «  services d'information voyageurs  », dont le caractère public et la disponibilité varient selon qu'ils concernent les terminaux mobiles personnels ou les dispositifs d'affichage collectif [9]. Dans cette configuration, les difficultés sont très nombreuses. D'abord parce que ces informations engagent un certain nombre d'institutions qui, en diffusant ces informations, opèrent aussi une forme de marquage des lieux publics. La multiplication des innovations dans ce domaine rend la question des énonciateurs de plus en plus sensible. Les lieux publics sont, en effet, des écologies informationnelles au sein desquelles toutes les formes et toutes les sources d'information ne sont pas égales entre elles et où les concurrences sont parfois féroces [3].

Par ailleurs, ces services sont ceux qui offrent, sur le versant fonctionnel, les plus grandes possibilités en termes de participation des citadins. Ils sont de plus en plus nombreux à proposer des informations sur la ville, en tant qu'espace de circulation ou d'habitation, émanant directement d'usagers, qui s'en font les témoins ou les relais. On retrouve, à ce propos, les mêmes craintes que celles suscitées par des services bien connus sur le web, au premier rang desquels figure Wikipedia : la fiabilité et la neutralité des données que cette encyclopédie en ligne propose sont mises en doute et la fragilité d'un système soupçonné de ne pas être globalement à l'abri de plaisanteries douteuses ou de malveillances est sans cesse évoquée. Ce point est d'autant plus sensible qu'il est étroitement articulé au premier. La fiabilité des données « participatives » renvoie directement à la responsabilité éventuelle des institutions chargées d'assurer la gestion quotidienne des espaces urbains.

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L’angle mort des données

Pour conclure, quittons un instant le monde des innombrables informations dont la ville est désormais parcourue, afin de mettre en lumière ce qui constitue un angle mort pour ceux qui s'intéressent à la ville connectée : les données.

«  We want raw data, now !  » («  Nous voulons des données brutes, tout de suite  !  »), cet appel que Tim Berners Lee a lancé lors de la conférence TED 2009, a eu un immense retentissement dans le monde du Web, inaugurant ainsi une période bénie pour les services statistiques en tout genre, que certains annoncent comme la prochaine mine d'or du secteur. Mais la préoccupation qu'il met en scène déborde largement le Web et ses prophètes : on assiste aujourd'hui à une véritable injonction à la «  libération  » des données, tout particulièrement dans les administrations publiques.

Ce mouvement s'est notamment concrétisé dans le domaine de la ville par la directive européenne INSPIRE4, qui encadre, depuis avril 2007, la communicabilité des données

publiques à caractère géographique. En France, la Mairie de Paris a adopté, le 8 juin 2010, une résolution sur la diffusion des données publiques.

Ce mouvement est essentiel pour comprendre la dynamique des innovations qui concernent aujourd'hui la ville. Il souligne, notamment, l'importance cruciale que vont prendre, à l'avenir, les infrastructures informationnelles. Mais, dans le même temps, il présente un véritable impensé. Presque entièrement tournés vers les problématiques de disponibilité, d'interopérabilité et de droits de commercialisation, les projets qui l'accompagnent ne posent jamais frontalement la question de la production de ces données, ni (encore moins) celle de leur existence en tant qu'objets statistiques «  bruts  ». C'est une évidence pour l'anthropologie des sciences et des techniques, mais il est toujours bon de le rappeler : par définition, une donnée n'est jamais brute, surtout dans le champ de la géographie  : elle produit le monde autant qu'elle le décrit. Parce qu'elles s'appuient sur des catégories qu'elles mesurent ou qu'elles croisent, les données sont toujours éminemment politiques [10].

Voilà sans doute un des enjeux majeurs des recherches visant à comprendre ce que la ville connectée est en train de devenir. Les données publiques, aussi performantes soient-elles, n'offrent pas une simple base technique pour affiner les modes de représentation d'un réel «  immuable  »  ; elles contribuent, dès leur production, à rendre compte de différentes versions de la ville : la ville comme espace de pollution, la ville comme territoire sonore, la ville comme réseau de mobilité... L'explosion de leur nombre fait ainsi émerger une pluralité de villes possibles et accessibles. La diffusion massive de ces données représente une occasion inédite dʼélargir l'éventail des disputes qui nourrissent l'espace public, notamment autour des modalités de mise en forme elles-mêmes.

Mais le risque inhérent à cet élargissement consisterait à n'y voir qu'une avancée dans l'objectivité et la neutralité de nos manières d'appréhender la ville. Connecter la ville, c'est toujours la recomposer, en organiser l'écologie des visibilités et des invisibilités.

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Bibliographie

[1] GRAHAM (S.) & MARVIN (S.), Splintering Urbanism: Networked Infrastructures,

Technological Mobilities and the Urban Condition, Routledge, London, 2001.

[2] PETRUCCI (A.), Public Lettering. Script, Power, and Culture, The University of Chicago Press, Chicago, 1993.

[3] DENIS (J.) & PONTILLE (D.), « L'écologie informationnelle des lieux publics. Le cas de la signalétique du métro  », in C. Licoppe (ed.), L'évolution des cultures numériques, de la

mutation du lien social à l'organisation du travail, FYP, Paris, pp. 94-101, 2009.

[4] LATOUR (B.) & WEIBEL (P.), Making Things Public. Atmospheres of Democracy, MIT Press, Cambridge, 2005.

[5] FARIAS (I.) & BENDER (T.), Urban  Assemblages. How Actor-Network Theory Changes

Urban Studies, Routledge, New York, 2010.

[6] AKRICH (M.), « Les objets techniques et leurs utilisateurs. De la conception à l'action », in Conein (B.), Dodier (N.) & Thévenot (L.) (eds), Les objets dans l'action. De la maison au

laboratoire, pp. 35-57, 1993.

[7] BARRY (A.), Political Machines. Governing a technological society, The Athlone Press, New York, 2001.

[8] SCHELLONG (A.), Citizen Relationship Management. A Study of CRM in Government, Peter Lang, New York, 2008.

[9] DENIS (J.) & PONTILLE (D.), « Inventer une signalétique collective à l'ère du 2.0 », Ville,

rail et transport, n°494, p. 40-46, 2010.

[10] BOWKER (G.) & STAR (S.-L.), Sorting Things Out. Classification and Its Consequences, MIT Press, Cambridge, 1999.

Références

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