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Filles de Femme de Cuivre d'Anne Cameron : mythe, langage et féminisme

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Corinne Durin, 1993

Filles

de

Femme

de

Cui\lre ct' Anne Cameron Mythe. langage et féminisme

par

Corinne DURIN

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

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Nom remercions Jeanine et Michel Durin, Michael Gilson, Ersy Contogouris, Michelle CumYIl, Peter Di Maso, et tout particulièrement Annick Chapdelaine, pour la cOl7Stance de leurs encouragements et pour leurs relectures .

(3)

Le changement paradigmatique à l'origine de l'ère relativiste qui est dorénavant la nôtre a engendré un certain nombre de fiemises en question conœrnant l'acte critique. r~mises en question touchant essentiellement à l'obJectivité du sujet,

r

autonomie de l'objet d'étude ainsi qu'à la neutralité du langage. Le:s récent. .. travaux dans le domaine de la traductoiogie sont tributaires de ce çhangement paradigmatique. dans la mesure où ils démantèl~nt le dist.:ours de la transparence et restituent à la conscience traduisante son rôle de première important.:e dans !a réception-réénonciation du texte de départ.

L'émde de la production et de la réception de Daughters ofCoppe,. Womall (!lJX 1 ) d'Anne Cameron permet de constater à quel point le sujet traduisant, en choislssar:t d'entériner les enjeux issus du trxte de départ, devient respon~able de la «prise de parole» que constitue son travail de réénonciatic.n.

Par ailleurs, la conscience traduisante doit être prête à assumer la subjectivité de sa propre lecture et de ses partis pris, et refuser l'invisibilité qui lui est traditionnellement dévolue. L'analyse de la traduction des dix premières nouvelles de Daughters ofCopper WOf1ll111 permet d'illustrer la façon dont le positionnement idéologique de la conscience traduisante oriente ses chl)ix traductionneJs. Le processus d'intervention de la traductrice est abordé dans ce mémoire sous deux angles distincts mais complémentaires: l'angle féministe et l'angle bermanien .

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ABsmAcr

rhe shift in paradigm which gave rise to relativism has brought about a number of mconsiderations of the critical act - reconsiderations which question in a fundamental way the obJectivity of the subject. the autonomy of the object of study, and the neutrality of language. Recent advance~ In the field of translatology participate in this shift in paradigm, insofar as they dismantle the discourse of transparency and restore to translators theu· primary raie in the reception/re-enunciation of the source text.

A study of the production and reception of Anne Cameron 's Daughters of Capper Woman (1981) demonstrates the extent to which the translatof, III choosing to take on the stakes

arising From the source text, be<-omes responsible for her/his peifomzed act of mediating. Furthermore, the translator must be prepared te accept the subjectivity of hter/his own reading and ideological convictions, and to contest the value of invisibility traditionally attached ta the translator's roie. Analysis of the translations of the fust ten short staries of Daughters ofCapper Waman illustrates how the translator's ideologicai stance orients her translation choices. In tbis thesis, the translator's process of textual intervention is examined from two distinct but complementary perspectives - the feminist and the Bermanian .

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TABLE DES MATIÈRES

1. TRADUCTION

Filles de Femme de Cuivre d'Anne Cameron"."."~"_. __ " ... "." ... p. 1

Chanson pour les morts _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ . _ p. 2 Vieille Magie _""~ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ~~_ p. 5 Femme de Cuivre _ _ _ _ ~ ______ "" _ _ _ ... _~ __ ._""" _ _ _ " p. 13

Mowita p. 17

Qolus change de forme p. 20

Sisiutl ~ p. 26

Les Enfants de la Joie . __ ... p. 29

Vieille Femme_ p. 32

Tem Eyos Ki p. 35

La Société des Femmes _ _ _ _ _ _ _ . _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ .. p. 39

n.

ARTICLE CRITIQUE

Enjeux de Daughters of Copper Woman et de sa traduction _ _ p. 44

Introduction ____________________ . _ _ _ _ _ _ ~ p. 45

Chapitre 1: Production et réception de Daughters ofCapper Waman. _ _ _ _ p. 51

1. Positionnement de l' auteure _ p. 53

1.1 Position d'énonciation . ____ p. 53

1.2 Lectures indésirables p. 58

1.3 Public cible _ _ _ p. 60

2. Réception de Daughters afCopper Waman. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 62

2.1 Premier groupe de critiques p. 63

2.2 Deuxième groupe de critiques p. 65

2.3 Position amérindienne sur la question de l'appropriation _ p. 67

3. Réflexion sur la responsabilité du sujet écrivant'--_ _ _ _ _ _ _ p. 71

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Chapitre 2 : Éthique et traduction féministes~ 1. Contexte et pratiques

_~ _ _ ~_p.76

p. 76

2. Stratégies de traduction des neutres anglais _ _ ~ _ _ _ _ _ ~ ___ p. 79

2.1 La féminisatIOn complète____ p. 80

2.2 L'étoffemellt p. 83

2.3 La transformation d'une partie de la phrase p. 83

2.4 La précision des deux genres p. 84

2.5 L'altemance____ p. 85

3. Traduction des féminins explicites: quatre cas, _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 85

3.1 «The sun» p. 86

3.2 «Raven» p. 87

3.3 «The sea» p. 87

3.4 «Qolus» p. 88

Chapitre 3: Éthique et pratique du refus de l'annexion _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 91 1. La destruction des systématismes internes par la rationalisation --p. 92

2. La clarificaticn.~ _ _ ~~ _ _ _ _ _ _ _ ~ _ _ _ _ _ . _ p. 95

3. L'ennoblissement. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 96

4. L'a,Jpauvrissement qua1itatif~ _ _ _ _ _ _ _ . _ _ _ _ _ _ _ p. 98

5. Les réseaux signifiants sous-jacents, _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 100

Conclusion _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p. 105

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FILLES DE' FEMME DE CUIVRE

0' ANNE CAMERON

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CHANSON

POUR

LES MaRTS

Les chiffres donnés dans l'introduction à la CHANSON POUR LES MORTS ne proviennent

pas du matriarcat. Lesfemmes qui mémorisaient les lignées et les membres des familles sont mortes dans les épidémies. Le seul recensement ayant survécu vient des mémoriseurs de la société des guerriers; de leur poillt de vue, Ull homme avait de nombreuses épouses, tandis que du point de vue des mémoriseures plusieurs femmes partageaient un époux.

La société des guerriers recrutait ses membres paroli la noblesse ou la royauté. Roturiers et e.\daves formaient les deux autres paliers de la société, et leur nombre, comme ceux des femmes et des enfants, ont aussi été perdus.

Il y avait évidemment bien plus d' habitants sur cette île avant l'arrivée des maladies européennes que Ile le rapporte la CHANSON POUR LES MORTS. Étant donné la mort d'un grand nombre de mémoriseur-es, les chiffres sont aussi exacts qu'ils peuvent l'être. Je crois que des milliers d'autres personnes sont mortes et que leur mort n'a pas été recensée . Je le regrette .

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Au COURS DES 85 ANNÉES qui s'écoulèrent entre la visite du Capitaine Cook en 177X et le recensement de la Conunission royale en 1863, le ppuple Nootka fut décimé.

Les Nitffidt étaient autrefois au nombre de 8000; Il en resta moins de 35.

Yuquot, autrefois peuplé de 2000 hommes, leurs nombreuses épouses, enfants et esclaves, n'en compta plus que 200.

Dans la Baie de Clayoquot plus de 1000 guerriers, leurs nombreuses épouses, enfant-; et esclaves, furent réduits à un total de 135.

Tahsis, qui comptait au-delà de 2000 combattants, leurs nombreuses épouses, enfants ct esclaves, n'en eut plus que 60.

La civilisation apporta la rougeole, la coqueluche, la varicelle, la diphtérie, la vanole, la tuberculose et la syphilis .

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CHANSON POUR LES MORTS

Nous battons les tambours et chantons les chansons

célébrons une grandefête pour les morts car nos enfants sont partis

/lOS enfants /le sont plus.

Reviens mon neveu tu nous manques Reviens ma fille tu flOUS manques

Reviens mon fils tu nous manques

Revenez /lOS disparus vous nous manquez Revenez nous sommes seuls

Où êtes-vous parties

Revenez nous sommes seuls Où êtes-vous partis

Revenez nous pleurons Où êtes-vous parties Revenez nous demandons Où êtes-vous partis Reviens mon fr~re Reviens ma sœur Reviens mon p~re Reviens ma mère

Nous chantero"s une chanson pour vous Nous suivrons le fleuve jusqu'à la mer Et ajouterons nos larmes ma vagues Que la marée monte

Que la marée baisse Que /a nuit s'en vienne Que la nuit repane

Vous ne viendrez pas Vous qui êtes partis. Où êtes-vous parties?

Nous chantons notre peine Nous chantons notre deuil Nous chantons notre adieu

et notre confusion Pourquoi êtes-vous partis?

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VIEILLE MAGIE

Ce vent amena un autre bateau enfomle de bol, et avec lui trois sœurs si vieilles et si ratatinées qu'on n'aurait jamais cru qu'elles étaient des femmes ...

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IL N'Y AVAIT PERSONNE SUR L'ÎLE, ainsi nul regard humain ne vit l'embarcation à la forme étrange remonter l'anse en dansant, poussée seulement par le vent, la marée et les caprices des courants. Ni loutre ni phoque ne savaient qu'une bourrasque de vent risquait de fracasser le coracle recouvert de peaux contre des falaises abruptes, et ni s'en seraient-ils soucié; ni

connoran ni aigle ne savaient qu'un tel événement noierait certainement la faible étincelle de vie vacillant dans le corps émacié de la dernière survivante du bateau en forme de bol recouvert de peaux, et ni s'en seraient-ils soucié. La petite fonne décharnée gisait, sa respiration

superficielle, les longs cheveux ternes et raides, les lèvres entrouvertes, sèches et craquées, sur un visage d'enfant à la peau mince et tirée sm des os toujours fragiles et pas encore complètement fonnés.

Vieille Magie, Vieilles Coutumes, les Vieilles Âmes elles-mêmes semblent souvent impuissantes en un lieu nouveau. Serait-ce que leur force provient de ce qui est familier? Ou serait-ce qu'elles pennettent aux événements de se produire, ne se déplaçant que lorsque nécessaire'! Ou ont-eUes des raisons qu'elles seules peuvent comprendre, des raisons de pennettre à douze des treize voyageuses d'origine de quitter leur coquille et de trépasser à quelques heures l'une de l'autre, toutes dans la même tempête qui avait amené le coracle jusqu'en ce lieu? Peut-être les douze avaient-elles volontairement donné leur force vitale pour nourrir l'étincelle vacillant encore dans la dernière, précieuse, plus jeune, treizième enfant dont les yeux verts étaient cachés par des paupières minces et pâles, l~s cils fauves ne battant même pas, tant sa fatigue était grande.

Sur une côte dominée par rochers et falaises, où les montagnes s'élancent de la mer et les rivières courent sans entrave dans les canaux profonds, sur une côte où même par temps chaud l'océan est froid et la vie humaine ne peut longtemps survivre, où l'eau est insondablement profonde, sur une côte baignée dans la beauté d'une réalité rude et désolée, la fragile

(13)

VIEILLI:! MAGIE

embarcation vint s'échouer sur une chose rare et miraculeuse, une plage. Une plage protégée par rochers et récifs, et comment la petite coquille de peaux échappa à l'anéantissement, seules les Viei11es Âmes peuvent le dire.

La marée était à son point le plus haut, une marée haute d'automne qui balayait la plage plusieurs pieds au-delà de la marque habituelle, et lorsque l'attraction de la lune changea cl que

l'eau recula, la petite embarcation fut déposée sur du gravier tassé. Une plage. mais pas une plage de sable; des Call1oux, des petits cailloux ronds de chaque couleur, ton ct nuance, ct quand la brève rafale de pluie lâcha son fardeau humide, les gouttes fraîches tombèrent sur k's lèvres desséchées, craquées, entrouvertes de fatigue, et ce n'est que par réflexe automatIque qile la langue enflée et noircie les lècha tàlblement. La pluie s'accumula au fond de la petIte embarcai.ion, trempant les quelques maigres haillons qui restaient sur le corps déchamé de la petite fille. Ses longs cheveux, en désordre sur son visage, recueillirent l'eau et la tirent couler dans sa bouche. Son corps déshydraté absorbait l'eau, sa peau empoisonnée de sel fut lavée ct les petites pierres dures commencèrent à percer le voile de douleur et d'inconscience jusqu'à cc qu'elle remue, en poussant des gémissements. Le changement de position, le déplacement du poids, firent basculer la petite embarcation et l'enfant émaciée tomba en roulant dans un petit canal d'eau douce. Elle entrouvrit les yeux, et comme un animal, lapa instincti"ement l'eau,

suçant bruyamment, en laissant ce qui restait de sel et de saleté ~'écouler d'eIL!, retourner à la terre.

La rafale de pluie passa et pendant de longs moments l'enfant resta couchée, suçant et lapant l'eau doucement. À deux reprises son estomac se révolta et elle vomit, détournant la tête pour ne pas rendre dans le ruisseau, et bientôt elle fut capable de se redresser, de regarder autour d'elle avec ses yeux cernés de rouge et enflés.

Elle se leva péniblement et se redressa. Non loin d'elle un rocher mas~lf s'élevait de la mer qui se retirait, et dessus, des grappes de moules bleues, bien plus grosses que celles qu 'clic avait connues en son lieu de naissance, mais assez familières pour qu'cHe avance

douloureusement jusqu'au rocher et commence à les arracher, les ouvrir et sucer la chaIr crue des demi-coquilles en forme de berceau. Son e~tomac était si réduit que quelques-unes la satisfIrent. Une autre gorgée d'eau et elle s'allongea par terre sous un grand sapin-ciguë, ct sc lova contre le tronc vivant. Elle dormit sur la mousse et le terreau elicore secs malgré les orages, la pluie écartée par l'auvent de sapin. À son réveil, elle mangea encore des moules, hut encore de l'eau de source puis dormit à nouveau, son corps gagnant des forces. Lorsqu'elle bougea ensuite il faisait nuit, et les étoiles étaient visibles pour la première tois depuis que le grand vent soudain et imprévu était monté de ]a mer. Elle interrogea Je ciel, étudiant les formes

,.,

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VIEILLE MAGIE

et la position des motifs écrits dans la nuit, et bientôt elle sut qu'elle était là. Elle ne savait pas

où ce Là était.

Du petit bateau se dégageait la légère mais très reconnaissable senteur d'un début de décomp·')sition, et elle pleura ouvertement à la vue des corps pitoyables et contorsionnés des sœurs. Douze des élues, douze du haut rang, mortes de soif, car l'eau qui leur était nécessaire, elles la lui avaient donnée, chacune d'eUes affrrmant chaque fois que oui, elle en avait vraiment bu sa part. Mortes de froid, car les quelqut!s morceaux de vêtement qu'il leur restait avaient recouvert l'enfant, la protégeant de la morsure dévorante du vent. Mortes de faim, car comme pour J'eau, chacune avait affirmé avoir grignoté sa part de la réserve piteusement insuffisante de nourriture et exhorté l'enfant à manger. Douze des sœurs élues se prépararlt volontairement à trépasser afin que l'enfant, et la connaissance qu'elle portait, puisse survivre et continuer.

Douloureusement, elle tira le petit bateau plus près de la rive, s'arrêtant plusieurs fois pour manger des moules, sachant ne pas se gorger, se reposant lorsque les vagues d'étourdissement la frappaient, pleurant lorsque sa peine devenait trop grande à avaler, jusqu'à ce qu'elle ait la force de faire pour elles la chose nécessaire, la dernière chose qu'elle pouvait faire pour celles qui en avaient tant fait pour elle.

Tout autour de la plage des morceaux de bois étaient éparpillés, laissés derrière par le va-et-vient des marées, blanchis et rendus secs par le chaud soleil de l'été, et dont seule la surface avait été mouillée par les rafales de pluie. Une odeur agréable, ni de chêne, ni même des robustes sapins qui poussaient au nord de son ancien pays, mais une odeur joyeuse et encourageante. Tout autour d'elle, de gr.lOds arbres, nobles, droits, s'étirant vigoureusement vers le ciel, et verts, de bas en haut, vert sacré. Ayant repris courage, elle traîna les morceaux de bois un à un, petit à petit, jusqu'à un lieu qui convenait et entreprit de faire ce qui doit être fait Peu de temps après, elle fut à nouveau fatiguée, et retourna à sa place sous l'arbre protecteur. À son réveil, la soleille· émergeait de son lieu de repos nocturne, et déjà la brume du matin s'évaporait, et après un autre repas de moules et d'eau douce, elle se remit à la tâche. Au moment où la soleille s'apprêtait à cacher sa tête derrière une montagne, l'enfant était prête. Le bûcher était haut, aussi haut qu'elle avait pu le bâtir, et à l'inthieur du bûcher étaient disposés les corps des sœurs, si gonflés maintenant, et si changés, qu'elle pouvait

difficilement les reconnaître.

n

faut laisser partir ensemble celles qui trépassent ensemble de

• N. de la T. : le mot «sun,. n'est explicitement féminin qu'à deux reprises dans Daughters of Copper

Woman. AiUeurs, nous avons repris la Conne masculine habituelle de «soleil».

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VIEILLE MAG lE

leur propre gré, et ainsi dans le bûcher, quatre piliers, trois sœurs par pilier, le quatre magique, comme les quatre vents, les quatre directions, les quatre parties d'un arbre, les quatre saisons. Du coracle elle prit la petite boîte et s'approcha du bûcher, prononçant les paroles, s'étranglant parfois sur des sanglots. Des arbres elle recueilltt des grappes de mOllsse sèche et s'ils n'étaient pas ceux des vieilles coutumes, ils pennettaient quand même de faire ce qui doit être fait, ainsi même dans le nouveau se trouvait ce qui était nécessaire pOUl satisfaire le Vieux.

Les barbares étaient venus des lieux froids, et bien que les prêtres et poètes, les gens simples et nobles, tous s'étaient ralliés, les Vieilles Ames ne s'étaient pas réveillées, ni avaienl-elles fait le moindre geste pour utiliser la Puissance contre les géants barbus. Maintes et maintes fois la magie ne fit pas ce qui était nécessaire, alors le conseil se rassembla et leur dit à toutes et à tous que, lorsqu'une telle chose se produisait, cela ne voulait pas dire que la magie était disparue, ni que les Vieilles Âmes étaient en colère, cela voulait simplement dire qu'il était Temps. Temps de se déplacer, Temps de changer, Temps de grandir, Temps de faire cc que font les arbres lorsque vient leur temps, faire voyager les graines sur les ailes du vent. Et ainsi les petits bateaux quittèrent leur lieu et dans chacun d'eux un groupe de voyage, confiant leur vie à une petite embarcation faite de peaux recouvrant du bois frêle, s'en remettant aux vents cl

aux courants, voyageant avec le Temps et le Changement, bateau perdant de vue d'autres bateaux jusqu'à ce que, pour la fille et ses sœurs matricielles il n'était plus resté que les vagues sans fin et une mer qui offrait peu, car elles ne savaient "omment pêcher ces eaux profondes, et lentement, sacrificiellement, vie et forces s'écoulaient d'elles pour la protéger.

La pierre fit jaillir des étincelles dans la mousse et lorsque la lueur se propagea et devint flamme elle chanta les vieilles paroles et traça des runes sur le sable. Le nouveau bois ne brûlait pas aussi nettement que le vieux, il projetait des torrents d'étincelles à toute allure vers le ciel, faisait des crépitements heureux et semblait célébrer.

Et pourquoi pas? Être le premier bois d'une nouvelle terre à avoir l'honneur de ramener les élues chez elles. Pas seulement une élue, mais douze, allant vers les Vieilles Âmes, allant accomplir leur Temps.

Toute la nuit le bûcher brûla, et quatre fois elle ajouta de nouvelles bûches parmi celles qu'elle avait empilées non loin. Elle chanta et pleura, traça des runes et sanglota, car même si celles que les flammes réc:hauffaient n'avaient plus de soucis, eUe savait qu'elle se sentirait seule .

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-•

VIEILLE MAGIE

Elle s'endormit près du bûcher et à. son réveil, le feu était bas, le ~.oleil était haut. Elle pria, puis se détourna résolument du bûcher et but de l'eau de source fraîche. Puis elle panit en quête de nourriture.

Elle plaça les huîtres près du bûche:r et la chaleur les mijota jusqu 'à ce que s'ouvrent les coquiHes et elle n'eut plus qu'à en extraire la chair. Énormes, certaines deux fois plus grandes que sa mam, et ce qu'e11e ne put manger elle déposa dans les flammes du bûcher en offrande. Quelque chose dans le vent lui dit que le froid prendrait bientôt cette terre, quelque chose dans l'angle du so!eil et des étoiles lui dit qu'elle avait manqué le beau temps, et dans les jours et les nuits qui suivirent, eUe se prépara à mesurer la vieille connaissance aux nouvelles menaces.

Elle chercha avec obstination jusqu'à ce qu'eUe trouve une grande cavité qui lui convenait dans la montagne rocheuse, et ensuite elle y emmena les choses familières que ses sœurs trépassées lui avaient laissées. Les bâtons pour tracer les ruries, les provisions d'herbes, les cailloux sacrés et le couteau qui servait à atténuer et couper la douleur pendant l'enfantement. Avec les peaux du bateau elle confectionna au prix de nombreux efforts une bâche pour r~der

l'entrée à l'abri du vent qui soufflait avec plus d'acharnement chaque jour. Elle ramassa du bois et )' empila sous des arbres où il resterait à peu près sec et au moins ne serait pas emporté par les marées. Et des étoiles elle sut qu'aucun envahisseur étranger ne viendrait, ni en ces Temps ni en ces Lieux, aucun triomphe ne luirait dans des yeux païens tandis qu'il forcerait sa chair dans le corps d'une croyante. Elle était en sécurité, et la vieille magie, ce qu'elle en connaissait, était en sécurité; si elle était diminuée par l'absence des douze autres, quand même, cela s'était déjà produit auparavant, et chaque fois, quand il était Temps, ce qui était nécessaire avait été trouvé, ce qui avait été oublié avait été ré-appris. Ou donné. D'Endurer, voilà tout ce qui lUi était demandé.

Et elle endura. Endura. Elle apprit à tisser des fIlets qu'elle tendait à marée haute et lorsque l'eau descendait à marée basse, elle y trouvait des poissons qu'il lui suffisait d'harponner, de ramener dans un petit filet ou parfois d'attraper à mains nues.

Elle Endura. Et survécut Avec peu, peut-être, mais il ne nous est pas demandé de vivre bien. Tout au long de l 'hiver humide, même lorsque la neige sur la montagne était profonde et que la glace figeait les ruisseaux, elle Fndura. Tout au long du printemps et de l'été suivants, séchant des baies et trouvant des nids d'oiseaux, récupérant ce qu'elle pouvait pour survivre, elle Endura. Seul un idiot aurait pu mourir de faim sur la côte et aucune des sœurs n'avait jamais été idiote.

Elle Endura. Son corps d'enfant mûrit, sa peau claire brunit au soleil et au vent, et, avec une pleine lune au milieu de son quatrième hiver de pluie et de vent glacial, de solitude et

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VIEILLE MAGIE

d'enduralfice, vint la preuve qu'elle était femme. Dès lors chaque cycle de la lune lui rappelait qu'il n'y avait eu aucun rituel, aucune transmission de plus de connaissance adulte, aucun témoignage public de fierté. Elle se demandait si cela voulait dire qu'avec le Temps du

Changement était venue ta perte de cette fierté de fenune. Tout d'abord qu'il n'y i!lt eu aucune cérémonie, avec les jeunes prêtres s'offrant tous à elle si elle le désirait, ne la dérangea pus, mais av(:(; les années donnant suite aux mois, elle se demanda quelle aurait été sa vie si le Temps fI'avait pas été un Temps de Changement.

C'es,t le vent qui les amena. Le vent d'automne qui souffle des jours durant le long de l'anse, n'apportant aucune pluie, mais dans lequel sont emprisonnés les cris des âmes perdues, hurlant et pleurant, malmenant les arbres, usant les rochers. Même lorsque le soleil brille et que l'air porte encore la chaleur des derniers jours d'été, le vent gémit la mort d'une autre saison.

Ce "ent amena un autre bateau en forme de bol, et avec lui trois sœurs si vieilles et si ratatinées qu'on n'aurait jamais cru qu'elles étaient des femmes. Elles avaient appris des Vieilles Âmes qu'il y avait une jeune sœur élue, une sœur dans le besoin, et étaient venues lui donner ce qui était nécessaire, ce qu'elles seules pouvaient donner, et encon: seulement si elles le voulaient, les secrets enfermés dans leur tête.

Elle les soigna, les garda au chaud, et les nourrit, et toute la solitude de toutes ces années jaillit en une flamme d'amour si vivt~ qu'elle maintint les vieilles femmes em vi,e bien après le temps qui aurait dû être celui de lew' trépas, et elles lui parlèrent, lui enseignant les secret') et les mystères à un rythme qui rompait avec toute tradition. Ce qui aurait dû prendre la moitié d'une vie lui fut transmis en quelques mois, sans cérémonie ni rituel, et dIe, si affamée de voix humaine, en absorba chaque parole.

L'hiver froid emporta la première vieille sœur; elle avait vidé sa coquille de toute sagesse et enseignement, et seul l'amour gardait son enveloppe sèche en vie, jusqu'à ce qu'elle demande à la jeune femme à la peau de cuivre de lui permettre de laisser sa chair et ses os et d'aller rejoindre les Vieilles Âmes. Et la jeune femme pleura, et bâtit le bûcher, et avec les deux vieilles sœurs qui restaient, traça les runes et prononça les paroles et laissa partir la frêle coquille dans une pluie d'étincelles, et même le vent d'hiver eut honte et cessa ses cris et ainsi la fumée et les étincelles montèrent droit au ciel de la nuil

La jeune femme parla aux deux 5œurs qui restaient de ses peurs et de sa solitude, et d'elles elle apprit que toutes les sœurs pénètrent la terre désolée. Pour certaines la forme est différente

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VIEILLE MAG lE

que pour d'autres, mais la terre désolée es~ toujours ce qu'elle est. Certaines ne la traversent jamais, et ceJles-ci n'apprennent jamais les vérités; certaines la traversent en partie et n'ayant pu aller jusqu'au bout sont perdues et oublient ce qu'elles ont appris. Un certain nnmbre d'élues, grâce à leurs propres efforts et à leur détennination, arrivent de l'autre côté de la terre désolée, et à elles sont donnés les secrets, et c'était parce que la jeune femme avait Enduré aussi bien que les vieilles femmes s'étaient mises à sa recherche.

EUe apprit qu'elle avait été Connue à la naissance, car ses yeux annonçaient son destin, verts comme la mer, le signe des êtres Spéciales, verts comme les arbres, l 'herbe et les feuilles, et 10rsqu'eHe fit remarquer que les sœurs n'avaient pas toutes les yeux verts les vieilles femmes rirent le rire sec du froissement de l'herbe et lui dirent que plusieurs sont nées, peu sont élues et encore moins sont Spéciales, et les yeux verts sont. le signe d'une vieille âme réincarnée. Seules les êtres Spéciales sont élues à la naissance, les autres sont trouvées lorsqu'il est Temps, trouvées par disposition et habileté, et parfois même par accident

Et alors la sœur aux yeux bleus trépassa et elles la laissèrent partir avec les étincelles et les runes, les prières et les larmes, et la jeune femme à la peau cuivrée et aux yeux verts se mit à pleurer amèrement car elle savait que la dernière sœur n'avait plus que quelques précieuses heures à vivre, et alors elle serait à nouveau seule. Seule avec un corps mûr pour concevoir mais sans fruit, seule avec seulement mer, montagnes, arbres et Elle-même.

La vieille femme arrêta son regard un long moment., puis, dans un grand déversement d'amour, et même alors que sa vie vacillait péniblement., elle retrouva ses forces, et donna à la femme de cuivre le plus grand secret, retardant même son propre trépas pour partager le dernier secret., et c'est peut-être pourquoi lorsq'le la vieille femme trépassa une partie de son esprit resta dans le corps de la jeune femme de cuivre, réincarné et regénéré dans le corps de l'élue.

Pour la quatrième fois un bûcher fut bâti et les runes furent écrites. Pour la quatrième fois les paroles furent prononcées et la fumée monta au ciel. Avec l'accomplissement des quatre magiques, le lieu devint pour toujours sacré, plus jamais juste une plage ordinaire, mais toujours et à jamais un lieu de réunion pour les esprits et pour les êtres parti-es au-delà de notre connaissance. Celles et ceux à qui la vérité du Temps est familière, même si personne ne révélera iamais quelle est La baie ou La caverne ou La plage, reconnaissent le Lieu en y

arrivant, le reconnaissent par les sensations et les textures, par la communication des esprits, et toujours avec la Connaissance vient la certitude que dans un autre temps, un autre Temps, un corps antérieur y fit une visite antérieure, car telle est la continuité du partage des esprits .

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FEMME DE CUIVRE

Femme de Cuivre fit ce qui lui avait été dit. Sans comprendre, mais avecfoi,

elle recueillit le dégât dans la coquille d'ulle moule et la rangea avec ses choses magiques. Quelques jours plus tard elle remarqua que

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À L'ÉPOQUE 0' AVANT LA VENUE des êtres humains, la cote était presque déserte. Seule Femme de Cuivre y vivait, seule avec ses secrets, ses mystères et Elle-même. Femme de Cuivre vivait. mais elle ne vivait pas bien, car ses secrets étaient incomplets et son cycle inachevé, son monde ne formant pas encore un tout.

Seule, elle sortit des entrailles de la montagne et bâtit sur le rivage une petite maison de bois. Seule, elle apprit à récolter Tutsup l'oursin, Ya-is la palourde jaune, Hetchen la praire, Ah-sam le crabe, Um-echt la grande palourde· et So-ha le saumon quinnat Elle apprit à

manger la chair de Kich-tlatz le phoque à fourrure et à faire des vêtements de sa peau. Seule, elle apprit que Tut-Iukh le lion marin ne devait pas être approché sans précaution. Mais malgré cela, son existence était au mieux précaire.

Au moment des premiers orages d'automne une embarcation de créatures divines apparut et elles enseignèrent à Femme de Cuivre tout ce qu'elle devait connaître pour survivre à un meilleur niveau. Arrivant du soleil couchant, voyageant sur la glissoire dorée qui traverse l'eau juste avant le manteau de la nuit tor-.~ante, elles vinrent lui enseigner tout ce que le genre humain doit Connaître pour vivre plemement Mais ce n'était ni le Temps pour les femmes magiques de rester, ni le Lieu, et lorsqu' elles la quittèrent pour rejoindre leur propre lieu, Femme de Cuivre se mit à pleurer. Amèrement pleura-t-elle, car la solitude est une chose amère et un &oût âcre dans nos bouches, plus amère encore lorsqu'on pense en avoir été libérée et qu'on la voit revr.nir à nouveau. Elle pleura tant et tant que sa tête même commença à se vider de tout liquide et tandis que les larmes coulaient de ses yeux, de son nez coulait une grande quantité de mucus épais. Des larmes et du mucus, et de sa bouche de la salive, et son

• N. de la T. : il s'agit plus précisément de la mactre du Pacifique (Office de la langue française, août

1993).

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FEMME DE CUIVRE

visag\! enfla pendant que les eaux de la solitude se deversaient. De son nez, UII énorme amas

de filets de mucus tomba sur le sable à ~es pied~, et l'amas était ~i impressionn.ll1tqul' malgré son état pathétiqœ, Femme de Cuivre en prit conSClem:e ct eut honte. Tout en essayant de surmonter ses gémissements, elle tenta de recouvrir le dégât à coups de pied dan~ le sable, de l'enterrer, le cacher, le retourner à la terre. Les femmes Imglllue~ llll dirent de ne pas ;~voir

honte, de ne pas enterrer la morve, mais de la garder, et mème de la chérir, ct lorsqu'elle auraIt appris à accepter même cette aussi grossière évidence de sa propre mortalité, akJrs (~e

l'acceptation viendrait le moyen par lequel elle ne serait jamais plus seule, jamais plus esseulée. Elles lui dirent que le temps où coulent les sécrétIOns du corps, le temps où une femme répond à l'appel de la lune, est un temps pur et sacré, un temps de pnère ct de contemplation.

Femme de Cuivre fit ce qui lui avait été dit. Sans comprendre mais avec foi, elle 1 ccuClllit

le dégât dans la coquille d'une moule et la rangea avec ses choses magiques. Quelques JOurs plus tard elle remarqua que le sable dans la coquille bougeait. Elle regarda de plus près ct vit une petite chose incomplète se tordre inconfortablement dans la petIte coqmlle. Femme de Cuivre déposa soigneusement le contenu de la coquille de mOllIe dans tlne coquille plus grande, une coquille de U m-echt la grande palourde. Tous les JOurs elle l'observait et elle se rendit compte que sur la petite créature incomplète poussait ce qui ressemblait à une miniature du cou de la grande palourde. Très vüe la petite créature fut trop grande pour être à l'aise dans la coquille de Um-echt, alors elle la mit dans une coquille de Tutsup l'oursin. Mais déjà un jour ou deux plus tard elle la déplaça à nouveau, car sous ce qui ressemblait au cou de U m-echt, cette chose reproduisait des petites versions de Tutsup, et Femme de Cuivre ne voulait pas que les piquants de l'oursin poussent entre les ja.l1bes de son petit ami, car alors comment marcherait-il? Elle le plaça donc dans la coquille de Ah-sam le crabe et pendant quelques semaines il fut content, bien que, comme Ah-sam, Ù l'attrapait avec ses mains et ne voulait pas

lâcher prise. Femme de Cuivre installa son petit nabot sur un lit fait de la fourrure de Tut-lukh le lion marin et il était plutôt content, bien que sur sa face pous~aient des mousta<.:hes comme celles de Tut-lu.kh, et sur des parties de son torse et de son ventre, la fourrure soyeuse du gros animal. Et sa voix devint grave et il rugissait de jalousie si Femme de Cuivre s'attardait trop longtemps à admirer quelque chose d'autre.

Une nuit le morveux quitta son lit fait de la fourrure de Tut-lukh et se glissa dans le lit de Femme de Culvre. TI plaqua sa bouche, comme la bouche d'Ah-sam, sur sa bouche, et se~ mains, s'agrippant comme les pinces d'Ah-sam, cherchèrent ses seins. Femme de Cuivre savait qu'elle pouvait facilement détruire cet impertinent morveux, mais el1e se sentait aussi

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FEMME DE CUIVRE

responsable de lui et le plaignait d'être une telle collection incomplète de traits de plusieurs créatures marines.

La mer ne l'avait-elle pas sauvée? Les femmes dieu n'étaient-elles pas venues de la mer et ne lui avaient-clIe~ pas dit que cette chose étrange serait le moyen par lequel elle ne serait jamais plus seule? Et puis, sa bouche sur la sienne était agréable et ses mains, bien qu'exigeantes, n'étaient f'lS brutales et faisaient naître une chaleur clans son ventre. Une

chaleur qui granditjusqu'à ce que la partie de lui faite du cou de Um-echt et les parties de lui qui ressemblaient à Tutsup se réveille:lt et grossissent et elle accueillit Um-echt dans son corps et serra le morveux contre eUe, tout contre elle, jusqu'à ce que le sentiment de solitude

disparaisse presque - malS pas tout à fait - , et elle sentit son corps se gonfler, s'emplir comme avec la lune.

Le morveux poussa un cri, pas de la voix grave de Tut-Iukh mais un cri très proche de celui de Qui-na la mouette, et alors le nabot s'agrippa à elle et trembla comme si les bourra'iques d'automne l'habitaient. Femme de Cuivre le calma et le serra contre elle et se demanda si la solitude disparaîtrait jamais complètement. Par la suite elle serra souvent le morveux contre elle et plaqua sa bouche sur la sienne, utilisant la magie de ses mains pour réveiller les deux petits Tutsup, et une fois réveillés la partie de Um-echt entrait en elle, cherchant, explorant, l'arrachant - presque - à la solitude, mais jamais totalement

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MOWITA

... et Femme de Cuivre regarda sajille et sentit la solitude diminuer jusqu' à Il' être

pas plus grande qu' Wl petit galet rOlld

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FEMME DE CUIVRE vivait avec Morveux, le nabot incomplet, dans le lieu où les femmes dieu étaient venues lui donner la connaissance. Elle enseigna à l'étrange petite créature tout ce qu'elle put, mais il ne semblait jamais vraiment apprendre correctement. Lorsqu'il fabriquait un filet, il yen avait toujours un morceau qui n'était pas bien fait. et une grande partie des poissons s'échappaient. Lorsqu'il faisait un feu il était soit trop chaud soit pas assez chaud, et souvent il se brûlait. Lorsqu'il avait fini d'utiliser une chose, il la laissait, sans jamais se rappeler de la ranger là où il pourrait la retrouver, et parfois il oubliait de revenir à la maison lorsque le repas était prêt, puis se plaignait amèrement si la nourriture était trop cuite ou froide. Femme de Cuivre le taquinait, lui faisait oublier sa mauvaise humeur, riait avec lui et souvent elle chantait pour lui, car elle se sentait moins seule avec lui que lorsqu'elle avait été toute seule.

Ses seins devinrent larges et sensibles, son ventre s'emplit à tel point que la lune même semblait y être prise, et un jour un mouvement en elle lui dit qu'elle n'était plus une seule personne, mais deux, qu'il y avait une autre vie dans son corps. Femme de Cuivre priait tous les jours que cette autre vie ne soit pas incomplète comme le Morveux, mais plutôt une

personne entière, capable de responsabilité et d'attention aux détails. Souvent elle était effrayée et se demandait si elle serait capable de prendre soin de cette nouvelle personne, et une fois ou deux elle s'irrita à l'idée de ne plus être libre d'être elle-même, mais d'avoir à penser en fonction de quelqu'un d'autre.

Une nuit, avec beaucoup de douleur et de sang, vint d'elle une petite version d'elle-même. Mais changée. La peau de c ... üvre était plus foncée, et les cheveux noirs, encore plus noirs que ceux de ku-ka-was le veau marin. Les yeux étaient plus bridés que les siens, presque comme ceux des cormorans, qui n'avaient pas d'autre nom encore et eurent leur nom seulement beaucoup plus tard lorsque la cécité leur fut enlevée. Et Femme de Cuivre regarda sa fille et

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MOWITA

sentit la solitude diminuer jusqu'à n'être pas plus grande qu'un petit galet rond sur la plage. Ses seins étaient endoloris par une pulsation comme celle des vagues sur la plage et quand elle eut essuyé le sang de sa mIe et le mucus de son petit nez et de sa petite bouche, elle pleura de reconnaissance pour la magie secrète que les Vieilles Âmes lui avaient donnée. La

Connaissance du secret lui avait pernùs de lécher sa fille et ne pas sentir de révulsion. Au contraire, elle sentait qu'à nouveau, mais d'une façon différente, elle se donnait la vie à Elle-même. Lorsqu'elle tint son enfant près ct' elle, pour la réchauffer et l'accueillir, la petite tête se tourna et la bouche tendre se refenna sur le mamelon gonflé et bruni. Le petit galet de solitude disparut et un sentiment encore plus fon que ceux qu'avait réveillés Morveux emplit Femme de Cuivre et c'était comme si les femmes magiques elles-mêmes étaient entrées en clle, à travers elle à son lait, et du lait à l'enfant, alors elle nomma l'enfant Mowita, avec la connaissance qu 'elle serait un jour une matriarche.

Morveux ne prêtait pas tellement attention à Mowita. Parfois il jouait avec elle, parfois même il la tenait et lui parlait doucement, mais la plupart du temps il vaquait à ses propres occupations. Incomplet qu'il était, il pouvait attraper du poisson, mats c'était Femme de Cuivre, et plus tard, Mowita, qui savaient le fumer et le saler. Maintes et maintes fois elles montrèrent à Morveux comment faire. mais il riait et disait qu'il n'avait pas de temps à perdre sur des détails aussi ennuyeux, et il partait, en riant.

n

pouvait attraper Mowitch le chevreuil, mais ne valait rien pour tanner les peaux ou cuire la viande.

Lorsque Mowita se mit à marcher et à rire et à faire des mots, Femme de Cuivre donna la vie à un fils, comme Morveux, mais pas tout à fait aussi incomplet. Pas aussi complet que Mowita, mais plus que Morveux. Et lorsque cet enfant se mit à marcher, il y eut une autre fille, et à ses filles Femme de Cuivre enseigna les secrets, à ses fils elle essaya d'enseigner plus que ce que Morveux saurait jamais. Femme de Cuivre eut beaucoup d'enfants, et leur rire résonnait clairement, voyageant avec le vent, grimpant aux cieux comme la fumée d'un feu, et la vie leur était plaisante .

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QOLUS CHANGE

DE

FORME

Un jour Qo{us dit à Oiseau du Tonnerre qu'elle voulait vivre SW' terre, car il y avait sarement mieux àfaire

que rester assise ou voler. Oiseau du Tonnerre lui dit que la décision lui revenait mais elle devait se rappeler

que lorsqu'on change de forme on change complètement ...

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IL y A QUATRE ROYAUMES à la réalité. Le royaume de la terre, celui de sous la terre, celui de sous la mer et celui des cieux.

Au royaume des cieux régnait Oiseau du Tonnerre. Lorsqu'il ouvrait les yeux le soleil brillait, lorsqu'il hérissait ses plumes le vent soufflait, lorsqu'il déployait ses grandes ailes les couleurs fusaient et nous les appelions les éclairs, et lorsqu'il frappait ses ailes l'une contre l'autre venait le bruit que nous appelons tonnerre. Oiseau du Tonnerre régnait avec son épouse Qolus. Comme Oiseau du Tonnerre, elle était faite de plumes brillantes, mais elle n'avait aucune corne sur la tête, et elle n'avait pas grand-chose à faire à part se promener dans les cieux avec Oiseau du Tonnerre, garder les nuages à leur place, envoyer la pluie lorsqu'elle était nécessaire et attendre. Attendre. Attendre.

Qolus passa de longs moments à regarder Femme de Cuivre et ses enfants. Surtout

Mowita, l'aînée, la première-née, le don le plus spécial. Mowita devenait peu à peu une femme mais était encore une enfant, et ses mouvements gracieux et son rire joyeux réchauffaient Qolus et la rendaient heureuse Un jour Qolus dit à Oiseau du Tonnerre qu'elle voulait vivre sur terre, car il y avait sûrement mieux à faire que rester assise ou voler. Oiseau du Tonnerre lui dit que la décision lui revenait mais elle devait se rappeler que lorsqu'on change de forme on change complètement Qolus voulait quand même quitter le royaume des cieux et descendre sur terre. Alors elle changea de forme. Et elle changea si complètement qu'elle arriva sur terre sous la fonne de Mah Teg YeJah, le premier homme. Morveux. J'incomplet, ne seraitjarnais un homme, et les fils de Femme de Cuivre étaient encore très jeunes, et parmi tous ceux qui étaient nés plusieurs étaient morts pour s'être battus ou par imprudence.

Mah Teg 'Velah regarda les filles de la terre et les trouva belles. II entreprit de bâtir une maison plus grande que toutes celles de la terre car il désirait impressionner les filles de Femme de Cuivre. Mais lorsque la maison fut à moitié construite, le faîte était trop lourd à

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QOLUSCHANGEDEFORMœ

mettre en place alors il demanda l'aide de Oiseau du Tonnerre. En arrivant sur terre, dans un grand battement de ses plumes magiques, Oiseau du Tonnerre prit d'abord une forme humaine pour pouvoir parler et lorsqu'il comprit le problème, il se changea à nouveau en lui-même et de ses serres puissantes souleva le faîte et le mit en place. Femme de Cuivre et ses fllles

regardaient hi scène et virent tout cela et surent que Mah Teg Yelah était magique et Femme de Cuivre était contente. Lorsque la maison fut construite et que Mah Teg Yelah demanda à Mowita d'être son épouse, Femme de Cuivre ne dit pas non. Mowita, pour sa part, n'était pas intéressée à passer sa vie à prendre soin d'un être incomplet comme Morveux ou ses frères, et ainsi eUe fut d'accord et devint l'épouse de Mah Teg Yelah, Qolus qui avait changé de tonne, épouse de Oiseau du Tonnerre. Le couple eut quatre fils et les fils, tous magiques comme leurs mère et père. grandirent bien et rapidement.

Le Temps pour les êtres des cieux n'est pas comme le Temps pour les êtres sur terre et Mah Teg Yelah désirait ardemment retrouver les cieux car sur terre la moindre chose semblait interminable. Cependant, il devait prendre soin de son épouse et de ses enfants, alors il resta.

Oiseau du Tonnerre pour sa part se sentait seul, même si le Temps pour lui passait plus vite, et ainsi ce ne fut pas avant que les ms soient presque devenus des hommes que la solitude commença à affecter Oiseau du Tonnerre, car Qolus lui manquait et il savait qu'elle n'était pas entièrement heureuse sous la forme de Mah Teg Yelah.

Oiseau du Tonnerre se mit à pleurer.

n

n'avait pas l'intention de faire du mal à qui que ce soit, mais il se sentait seul et sa Qolus n'était pas heureuse, et ainsi Oiseau du Tonnerre pleura. Femme de Cuivre dit à Mowita que la pluie ne cesserait pas avant que chaque doigt de chaque main n'ait vu quatre, le quatre magique, jours de pluie.

Mowita se mit au travail avec Mah Teg Yelah et enduit de résine la maison de rondins. Ses frères rirent d'elles. Ses sœurs l'aidèrent. Et lor~ue l'eau monta et que la maison commença à flotter, les sœurs de Mowita entrèrent dans la maison impennéable, elles aussi. Femme de Cuivre dit qu'elle n'avait pas besoin d'entrer dans la maison, qui était en train de devenir très encombrée, eUe serait en sécurité avec sa magie. D était Temps, dit-elle, que sa peau se fende de toute façon, Temps de laisser ses enfants partir de leur côté et ne pas rester près d'elle à jamais. Alors elle laissa son 8.\C de chair et d'os sur la plage et rendit visite à ses sœurs

magiques.

Pendant des jours et des jours la maison flotta, puis Mah Teg Yelah envoya Corbeau voir si la terre était toujours là. Corbeau revint mouillée, et fatiguée, et dit qu'il n'y avait aucun lieu où même se reposer, tout était eau. Plusieurs jours plus tard Mah Teg Yelah envoya Corbeau à

nouveau et cette fois elle ramena la promesse de vie, une brindille de cèdre. Mais l'eau

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QOLUS CHANGE DE FORME

recouvrait encore tout sauf la cîme des plus hauts arbres et il n 'y avait aucun lieu où Corbeau pouvait se reposer. Quelques jours plus tard Corbeau fut envoyée à nouveau et cette fois elle vint à une fenêtre, lâcha une brindille de sapin-ciguë, pUIS s'envola à nouveau. Lorsque Corbeau s'envola, la maisonnée sut que tout danger était écarté et ainsi la porte scellée par la résine fut ouverte et en effet, il y avait à nouveau montagnes, vallées, rivières, lacs, et un sol verdoyant sur lequel marcher. Et c'est depuis ce temps-là que le sapin-ciguë est utilisé comme protection contre la noyade.

Les animaux de la maison scel1ée par la résine coururent joyeusement dehors, puis les fIlles de Femme de Cuivre se préparèrent à partir. Mais les fils de Mowita et Mah Teg Yelah dirent qu'ils désiraient partir avec les femmes, et ainsi ils partirent, quatre couples partirent dans quatre directions différentes, et c'est d'eux que sont venus tous les peuples du monde. Un couple devint les parents du peuple noir, un couple devint les parents du peuple Jaune, un couple devint les parents du peuple blanc, et un couple devint les parents du peuple Indien, et ainsi nous sommes toutes et tous apparenté-es, car toutes et tous nous venons du Ventre de Femme de Cuivre.

Mowita regarda Mah Teg Yelah tandis que leurs fils partaient avec ses sœurs peupler le monde et elle sut qu'il désirait retourner aux cieux. Elle lui dit qu'il était Temps, ses devoirs de père étaient finis, ses devoirs d'époux étaient accomplis, et il fut heureux. Il appela Oiseau du "Connerre et se changea à nouveau en Qolus, et Mowita regr··'a Qolus s'envoler rejoindre son époux.

Puis Mowita s'assit et se demanda si maintenant elle, aussi, serait seule. Elle pleura de ne pas avoir ses fils, ses sœurs, son époux, sa mère. Après avoir pleuré, elle se leva, et entreprit de se réétablir une vie pour elle-même, et pendant de nombreux jours et semaines elle fit les choses qui devaient être faites, les choses de tous les jours qui doivent être faites pour maintenir la vie. Elle posait des fIlets, elle nettoyait et fumait du poisson, elle raccommodait des vêtements, ramassait du bois pour son feu, gardait propre sa source d'eau douce et apprit à accepter et même chérir sa solitude. Et un jour, s'occupant à son travail et connaissant un certain contentement parce qu'elle avait appris qu' el1e était capable d'endurer et de survivre par elle-même, Mowita leva les yeux et de la forêt vit arriver Femme de Cuivre, sa mère, de retour dans une nouvelle peau, de retour de sa visite à ses sœurs magiques, de retour de ce lieu de source de l'autre côté du chemin que trace le soleil, lorsqu'il se coule dernère l'eau pour se reposer. Et une joie remua dans Mowita, car elle n'était pas seule, et elle courut à sa mère et l'embrassa et elles rirent et pleurèrent de joie. Plusieurs mois plus tard, la joie naissait, la joie était des jumelles, dont l'une avait les yeux verts de sa grand-mère, et dès lors, toutes les

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QOLUS CHANGE DE FORME

quelques années, Mowita porta la joie en elle et les Enfants de la Joie grandirent avec force et leur rire lésonnait et il y avait beaucoup de musique dans Jeur vie. Les Enfants de la Joie eurent des enfants à leur tour et Femme de Cuivre vieillit, passant son temps avec ses petits-enfants, enseignant aux fiUes les secrets des femmes, et cette fois-ci même certains des garçons pouvaient apprendre, car Ils étaient plus complets que les fils de l'incomplet Morveux, car Qolus-Mah Teg Yelah avait prouvé, ayant été lui-même dans son propre temps et lieu une épouse, que dans chaque femme habitent des aspects de l'homme, et dans chaque homme des aspects de la femme, ainsi les conflits ne sont jamais nécessaires.

Femme de Cuivre savait que sa chair s'affaiblissait, interférait avec ses capacités, alors elle confiait la plus grande part des responsabilités à Mowita. Lorsque Femme de Cuivre fut si vieille qu'elle-même ne pouvait se souvenir à quel point elle était vieille, eUe devint Vieille Femme. Lorsque Vieille Femme fut si courbée par l'âge qu'elle pouvait balayer la plage sans avoir à se baisser, elle dit à Mowita qu'il était à nouveau Temps. Vieille Femme Connaissait les choses, et il était Temps.

Sa peau se fendit, elle laissa à nouveau sa chair et ses os sur la plage, et elle vint de l'Intérieur d'elle-même, se libéra Elle-même. Mowita pleura de savoir sa mère partie, et elle se demanda si elle pourrait survivre et endurer, et être et faire tout ce que Vieille Femme avait été et fait Elle entendit la fille aux yeux verts ch.mter les paroles à Vieille Femme, demandant à Vieille Femme d'entrer en elle, de devenir elle. Puis la fille aux yeux verts, dont le nom n'est connu que des initiées, s'allongea sur un lit de peaux, et Vieille Femme, cachée dans les peaux, fut enceinte. Ainsi la fille aux yeux verts vécut en faisant partie de Vieille Femme, et vécut en elle, qui était aussi partie d'elle et en elle. Et il n'est pas de réponse facile aux questions et à l'incompréhension qui découlent de cette histoire, la réponse se trouve en

chacune de nous, et c'est à nous de trouver cette réponse par nous-mêmes. Et Mowita sut, à ce moment-là, qu'il n'était pas nécessaire pour elle de faire tout et d'être tout ce que Vieille

Femme avait été et fait, car les secrets étaient partagés, et Vieille Femme n'était pas Partie, simplement Changée, et répondrait lorsque son aide serait nécessaire. Mowita sut aussi que lorsque son Temps approcherait, il y aurait une autre femme pour prendre sa place, et lorsque le Temps de la fille aux yeux verts approcherait, une femme serait reconnue pour la remplacer, et si elle n'était pas connue avant le Temps du trépas, elle le serait après. Mais toujours la vérité sera maintenue et les secrets Endureront, car Vieille F~mme veille sur nous, Vieille Femme nous protège, et avec elle toutes les choses sont possibles. Lorsque Mowita devint Vieille Femme, elle dit à la fille aux yeux verts de préparer les rituels et d'être prête à continuer comme, et de laisser sortir, cette partie de Vieille Femme qui était en elle. Et toujours les

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QOLUS CHANGE DE FORME

disciples aideront la Vieille Femme et lui donneront des forces, les initiées aideront les disciples et les femmes protégeront leur Vérité, y trouveront gloire et Endureront.

Et bien que cette histoire se passa il y a si longtemps que personne ne peut dire quand, encore maintenant il y a des femmes qui Connaissent les choses. et que les femmes viennent de la lignée des quatre couples, ou qu'elles soient de la lignée de la Joie, encore maintenant elles peuvent Cor.naître les choses. Et encore maintenant, plusieurs sont nées mais peu sont élues. Et encore maintenant celles qui viennent avec les yeux verts sont tenues en estime. Certaines sont nées, certaines viennent en quête, et si elles Connaissent les choses elles sont bienvenues. et ainsi au sein de la Société des Femmes ni la richesse ni la position sociale ne comptent, car elles sont imposées sur terre par hasard et fantaisie, tandis que dans la société n'a de sens que ce qui grandit du centre.

Lorsque le Temps du prochain changement arriva et que les hommes en robes noires entreprirent de détruire la Société des Femmes, les femmes Endurèrent. Sans bagarres, sans disputes. s'agrippant à leur connaissance, elles Endurèrent, et maintenant il est presque il nouveau Temps. et plein de magie se prépare, et bientôt le signe sera connu .

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SISIUTL

Il Y a des gens qui pensent que seuls les êtres humains ont des émotions comme la fierté, la peur et la joie, mais celles et ceux qui connaissent les clwses te diront

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IL y A DES ARBRES sur la côte dépouillés de leur écorce, d'un pur blanc argenté, et sans l'écorce on peut voir comme le bois même est tordu et fait ressembler l'arbre mort à un tire-bouchon enraciné d~s la terre.

n y

a des gens qui pensent que seuls les êtres humains ont des énlotions i,;omme la fierté, la peur et la joie, mais celles et ceux qui connaissent les choses te diront que toutes sont vivantes, pas tout à fait comme nous peut-être, mais chacune à leur manière, comme il se doit, car nous ne sommes pas toutes les mêmes. Et même s'ils diffèrent de nous par forme et durée de vie, par Temps et Connaissance, les arbres n'en sont pas moins vivants. Et les roches. Et l'eau. Et tous connaissent des émotions.

n y

a des roches sur la côte qui, comme les arbres. semblent tire-bouchonnées, semblent se tordre sur elles-mêmes, comme si elles souffraient terriblement Les tourbillons et les contre-courants sont pareils, mais à leur manière. Simplement pour avoir vu Sisiutl et tenté de fuir.

Sisiutl, l'effroyable monstre de la mer. Sisiutl qui voit par devant et par derrière. Sisiutl qui sonde les âmes. Sisiutl dont les démons familiers sont souvent connus du nom de

Stla1acum, ces visionnaires qui voyagent avec le vent et apportent les rêves, les Stlalacum qui recherchent les élues et les êtres qui pourront voir au-delà des apparences.

Sisiutl se déplace librement dans l'eau salée ou douce, et même dans la pluie battante, car il est capable de se transformer. Il recherche ceux et celles qui ne peuvent maîtriser leur peur, qui n'ont pas une Vérité.

Effrayant est Sisiutl, et terrifiant aussi. Ses yeux jettent un feu de glace dans ton ventre et sa langue de serpent fourchue frappe ton âme d'horreur. Aucun mot ne pourrait expliquer Sisiutl, qui ressemble à un serpent, mais n'a pas de queue, plutôt une tête aux deux extrémités. chacune plus effroyable que l'autre, et de lui émanent le froid et l'horreur .

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SISIUTI.

Lorsque tu vois Sisiutl tu dois rester là et lui faire face. Faire face à l'horreur. Faire face à la peur. Si tu brises la confiance en ce que tu Connais, si tu tentes de fuir, Sisiutl soufflera de ses deux bouches à la fois et tu te mettraI) à tourner sur toi-même. Sans racines dans la terre comme les arbres et les roches, 3ans vie éternelle comme les marées et les courants, ton tournoiement de tire-bouchon te fera quitter la terre, errer à jamais, en âme perdue, et on entendra ta voix dans le cri des vents des premiers jours d'automne, sanglotant, implorant, suppliant d'être relâchée. Perdue ton âme, ne faisant pas partie des Stlalacum qui connaissent la Vérité, ne faisant partie de rien, seule et esseulée et perdue à jamais.

L'écorce s'envola des arbres effrayés ne laissant d'exposé que le bois tordu. Seules les racines, profondes dans la terre, empêchèrent les arbres de basculer vers le haut, dans le vide.

Lorsque tu vois Sisiutlle terrifiant, malgré ta peur, tiens bon.

n

n'y a pas de honte à avoir peur, seul un sot ne craindrait pas Sisiutll 'horreur. Tiens bon, et si tu connais des paroles protectrices, prononce-les. D'abord une tête, puis l'autre, sortiront de l'eau. Plus près. Plus près. Venant prendre ton visage, les têtes monstrueuses, plus près, et la puanteur des bouches dévorantes, et le froid, et la terreur. Tiens bon. Avant que les bouches jumelles de Sisiutl ne puissent s'agripper à ton visage et voler ton âme, chaque tête doit se tourner vers toi. Et à ce moment-là, Sisiutl verra sa propre face.

Qui voit J'autre moitié de Soi-même, voit la Vérité.

Sisiutl passe l'éternité en quête de Vérité. En quête de celles et de ceux qui connaissent une Vérité. Lorsqu':.! 'voit sa propre face, sa propre autre face, lorsqu'il regarde dans ses propres yeux, il a trouvé la Vérité.

TI te fera don de magie, il partira, et ta Vérité sera tienne à jamais. Et bien qu'elle puisse parfois être mise à l'épreuve, affaiblie même, la magie de Sisiutl, son don, c'est que ta Vérité perdure.

Et les doux Stlalacum te rendront souvent visite, te rappelant que ta Vérité sera trouvée derrière tes propres yeux.

Et tu ne seras plus jamais Seule .

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LES ENFANTS DE LA JOIE

Les Enjànts de la Joie ne sont pas comme les enfants ordinaires ...

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MOWIT A VIVAIT SEULE là où la maison imperméable avec son enduit de résine avait été

déposée après l'inondation et elle se sentait très seule. Elle était habituée à la compagnie de son époux Mah Teg Yelah, et aux rires de ses ms et de leurs épouses, ses sœurs. Elle était

habituée

a

avoir de longues conversations avec sa mère, Femme de Cuivre, et avec ses sœurs qui étaient aussi ses belles-filles, mais elle était seule.

Les quatre couples étaient partis repeupler le monde et Mah Teg Yelah était redevenu Qolus, retournée aux cieux et à la chanson du vent dans les puissantes plumes de ses ailes. Mowita passait ses journées à recueillir de la nourriture; plus qu'elle n'en aurait jamais besoin. Elle gardait sa maison propre et fabriquait des vêtements qu'elle ne pensait jamais avoir besoin de porter. Et elle se demanda it ce qu'elle avait fait pour être laissée si seule.

Elle se demandait pourquoi, lorsque les quatre couples étaient partis repeupler le monde et que Mah Teg Yelah était redevenu Qolus, Femme de Cuivre avait décidé de suivre le chemin que trace le soleil sur l'eau à son coucher et était partie dans sa pirogue et avait laissé Mowita seule. Seule pendant si longtemps qu'elle se souvenait à peine de ce qu'on ressentait à ne pas être seule.

Elle chanta toutes les chanson:; qu'elle connaissait, elle dansa toutes les danses qu'elle connaissait, elle se rappela tout ce qui lui avait été appris, et elle chercha les réponses en elle-même. Et un jour elle leva la tête et vit sa mère qui marchait vers elle, les mains tendues, et souriante.

Mowita regarda sa mère et la joie qui l'emplissait était telle qu'elle crut qu'elle allait éclater et que son esprit s'envolerait avec le vent Elle courut vers sa mère et la serra dans ses bras et l'embrassa et pleura de joie. Ce soir-là, la petite maison imperméable avec son enduit de résine brillait de lumière et de rire et était mûre des voix de deux femmes. Et la joie grandit en Mowita jusqu'à ce qu'elle la sente remuer sous son cœur.

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LES ENFANTS DE LA JOIE

Plusieurs mois plus tard, la joie était née et vint au monde sous la forme de jumelles, dont l'une avait les yeux verts de sa grand-mère. Et son nom est si sacré 4UC ~eulcs quelqucs uncs

ont le droit de le connaître. Elle et sa sœur étaient les premières Enfants de la .Joie.

Les Enfants de la Joie ne sont pas comme les enfants ordinaire~. D'habitude, ct' sont des petites filles mais il arrive que des petits garçons naissent avec les signes. On peut rCL'OnnaÎtlc une Enfant de la Joie à la façon dont elle est différente. Une Enfant de la Joie latt tOll.J0lllS penser à une vieille âme qui Vlvnllt dans un corps nouveau, et son visage est tIès sérieux jusqu'à ce qu'elle sourie, et alors le ~olell illumine le monde. On regarde les yeux d'une Enfant de la Joie et on sajt que l'enfant Connaît les choses vraiment Importantes. Les Enfants de la Joie ont toujours l'air un peu différentes des autres enf"Œts. Elles ont les jambes fortes et droites, et elles marchent d'un pas résolu. Elles rient comme rient tous \es enfants, et clics jouent comme jouent tous les enfants, elles parlent la langue que parlent tOll~ les enfants, mais elles sont différentes, elles sont bénies, elles sont spéCiales. elles sont sacrées.

Elles doivent être chéries et plOtéNées même au risque de ta vie.

El/es connaîtront la pellle, mms la surmonteront. El/es connaîtront /' aliélUltùm

car elles voient au-delà et au travers de cette réalité. Elles sauront Endurer quand d'autres Ile le pOlUï·Ollt.

Elles sauront Survivre qUl11uJ d'autres Ile le pourront. Elles connaissent l' anwur même quand il ne leur est pas montré

El/es passent leur vie à essayer de Communiquer [' amour quO elles connaissent .

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VIEILLE FEMME

Et Femme de Cui"re étaitfatiguée. ELIe sentait que d'autres choses l'attendaient,

des choses qu'elle ne pouvait faire sous une forme humaine ...

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FEMME DE CUIVRE vivait depuis de nombreuses générations mais n'avait pas changé. Son corps était toujours tort et souple, sa peau avait pris une rIche temte de brun au soleil, Ill.m. ses cheveux avaient toujours la couleur du cuivre et ses yeux aVaient toujours le vert de la mer par une journée tranquille, et sa peau avait seulement quelques lignes autour des yeux ct al1~~i aux coins de la bouche là où elle sounait souvent.

Mais elle VIvait depuis de nombreuses années. Ses petites-tilles étalent maintenant grands-mères. et les enfants des quatre fils de Mowlta et de~ quatre tilles de femme de Cuivre ét.ucnt nombreux, et leurs enfants plus nombreux encore. Et Femme de Cuivre était fatiguée. Elle sentait que d'autres choses l'attendaient, des choses qu'elle ne pouvait faire sous une forme humaine, des choses qu'elle voulait maIs ne pouvait voir de sa pirogue, alors ellc parla à Mowita, sa première-née. et lui dit ce qu'elle pensait.

Mowita pleura, mais elle savait que le Temps était maintenant venu. Et clic fil venir !kt tille Hai Nai Yu, dont le nom veut dire Celle qui est Sage ou Celle qui Connaît les Choses, ou plusieurs autres choses, et elle lui parla, et Hai Nai Yu écouta. el accompagna ~l grand-mère à la maison de l'attente, et elles s'assirent sur la mou~se et Jai~sèrent le \ang du temp\ de la femme retourner à la terre et Femme de Cuivre dit à Hai Nai Yu des chose~ qu'elle n'avait même pas dites à Mowita. Et Hai Nai Yu écouta, et appnt, et la ~agc~~ était en sécunté.

Puis Femme de Cuivre dit à Hai Nai Yu que la sage~se dOIt toujour~ être tran~mlse aux femmes, et elle lUI rappela que quelle que soit la couleur de la peau, toutes ct tous viennent du même sang et le sang est sacré. Elle dit qu'un temp~ Viendrait où la sage\~ di \paraîtrmt presque, mais qu'elle ne périrait jamal!l, et quand il le faudrait, une façon de la pré!lcnter aux femmes serait toujours trouvée et elles pourraient alors déCider si clle~ voulaJcntl'apprcndrc ou non. Et Hai Nai Yu promit que lorsque son Temp!l viendrait, elle ~'~I,urerait qu'il yaurallune femme pour la remplacer comme gardienne de la sagesse.

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VIEILLE FEMME

Femme de Cuivre prévint Hai N.li Yu quI'" lr monde changerait et que d'autres temps viendraient peut-être, où Connaître ne serait pas la même chose qu'Agir. Et elle lui dit qu'Essayer serait toujours très important.

Puis elle quitta la maison de l'attente pour la dernière fois, et elle prit lm dernier repas avec sa famille. Elle les serra toutes et tous dans ses bras et les embrassa et leur assura qu'elle serait toujours là si son aide était nécessaire.

Puis elle marcha jusqu'à la plage et s'assit toute seule et attendit que le soleil soit parti et que la lune soit haute dans le ciel et peigne les vagues d'argent. Elle se leva alors, et prononça les paroles, chanta les chansons, dansa les danses et pria les prières.

Puis elle laissa sa chair dans son sac de peau et emporta ses os avec elle, et devint un esprit Elle devint Vieille Femme. Elle fit de ses os un balai et un métier à tisser.

A vec le métier à tisser elle tisse la trame du destin. Avec son balai elle balaie la plage

et l'esprit de lOutes les ferni'les qui appellent son aide

Elle fait maintenant partie de la vapeur

rte la

brume et du vent de la nuit partie de /' embrun de la mer et des vagues

partie de la pluie et de la tempête partie du soleil et du ciel clair.

Elle fait maintenant partie de la nuit et du jour partie de l' hiver et de l'été

partie du printemps et de l'automne partie de toute la création.

A vec son métier à tisser et avec son ba/ai avec son

anwur

et avec sa patience

elle tisse la trame du destin et balaie plages et esprits elle tisse la trame de la réalité

et met de l'ordre sur les rivages et dans les dmes. Elle ne f' abandonnera jamais .

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TEM

EyOS

KI

Elle chantait un lieu si merveilleux que l'esprit des gens ne pouvait même pas commencer à l' imagiller ...

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DE NOMBREUSES GÉNÉRATIONS après que Vieille Femme se soit libérée de sa chair et de son

sac de peau, de nombreuses années après que les secrets aient commencé d'être enseignés par les élues et à elles, la première période d'épreuve arriva, et Vieille Femme avait toujours su que cette période arri verai t

Les femmes pendant des siècles ne s'étaient pas intéressées à la politique ou aux disputes. Elles laissaient ces choses aux hommes, afin de les tenir occupés pendant les longs et sombres mois d'hiver. Les femmes s'occupaient des choses spirituelles, de l'étude des enseignements de la société, et des enfants, et de garder la société forte, et de s'assurer que la vie était vécue comme il se doit, pleinement, et avec contentement.

Les femmes devenaient suffisantes. Elles pensaient que puisque les choses avaient Toujours été ainsi, elles resteraient Toujours ainsi. Et elles ne remarquaient pas que les hommes avaient commencé à dominer de nombreux aspects de la société. Étaient devenus puissants. Avaient commencé à croire que leur puissance était telle que les choses devaient être.

Certaines des femmes pensaient même que les hommes avaient raison, et que leurs idées étaient comme les choses devaient être. Et peu à peu, les hommes se mirent à diriger toute la vie. Jusqu'à ce que les femmes n'aient de liberté qu'au sein même de la Société des Femmes.

Les hommes commencèrent à donner des ordres aux femmes et à dire quel homme leurs filles épouseraient. Les hommes commencèrent à insister que l'héritage ne devrait pas du tout passer par les femmes.

Et alors, quand les choses ne furent plus du tout comme il se doit, un événement dont parlent encore les femmes de la société se produisit.

Tem Eyos Ki alla à la maison de l'attente pour passer son temps sacré clans un lieu sacré, elle s'assit sur la mousse et donna son sang intérieur à la Mère Terre. Il était défendu aux

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