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Plaisirs à vélo : pensées, explorations, expérimentations autour de la pratique du vélo en ville

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Academic year: 2021

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Plaisirs à vélo : pensées, explorations, expérimentations

autour de la pratique du vélo en ville

Benoît Giard

To cite this version:

Benoît Giard. Plaisirs à vélo : pensées, explorations, expérimentations autour de la pratique du vélo en ville. Architecture, aménagement de l’espace. 2018. �dumas-01960429�

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Plaisirs à vélo

Benoît Giard

PENSÉES,

EXPLORATIONS,

EXPÉRIMENTATIONS

AUTOUR DE LA PRATIQUE

DU VÉLO EN VILLE

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mémoire de master

Sous la direction de Frédéric Barbe,

dans le cadre du séminaire «Habiter la transition socio-écologique» École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes - 2018

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autour de la pratique du vélo en ville

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un très grand merci à Frédéric Barbe pour son soutien et son accompagnement, et grâce à qui j’ai eu le cadre et l’opportunité de faire ce mémoire

à mes parents pour leurs relectures, conseils, avis, et indéfectible soutien à Michele Cremanesi (FIAB Milano), Spiros Papageorgiou (Cities for

cycling), Murat Suyabatmaz (Bisikletliler Dernegi), Anna Bednarz (Kraków Miastem Rowerów) pour le temps qu’ils m’ont accordé, pour leurs

encouragements et leurs nombreuses informations qu’ils m’ont livré à Sylvanie Grée et toute son équipe de chez d’ici-là (Marie-Adeline, Gaëlle, Coline), auprès de qui j’ai eu l’occasion d’effectuer mon stage et de nourrir ma recherche

à Anyssia, François et Léonie, mon équipe d’exploration de l’estuaire à Thibault et tous ceux qui ont participé à la première édition des Périféériques

à tous les membres de Place au Vélo pour leur disponibilité, leur gentillesse et leur accueil notamment lors du congrès de la FUB à Nantes en avril 2017

à toutes les personnes avec qui j’ai pu échanger ne serait-ce que deux mots sur le contenu de ce mémoire de manière informelle, mais qui ont enrichi et contribué à ma réflexion au long de ces deux années

à Louis, Luna, Emilia, Anna, Romain, Jeanne, Laura, Lucie (et tous les autres) pour leur précieux soutien moral au quotidien

Remerciements

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Le vélo, la bicyclette, le vélocipède, le bicycle ou encore la draisienne sont un ensemble de termes désignant un objet né au cours du XIXe siècle, qui a participé à la révolution des modes de transport à son époque. Cet outil, symbole de progrès et modernité à sa naissance, a connu diverses périodes de gloire parmi différentes classes sociales (du bourgeois à l’ouvrier), différents contextes géographiques (à la ville comme à la campagne), différentes utilisations (du loisir au travail)1. Très fortement implanté dans les ménages français, encore plus que les voi-tures, le vélo et son rôle font l’objet de débats importants dans la société d’aujourd’hui. Pour comprendre l’origine de ces débats et controverses, il convient de revenir un peu en arrière et de considérer l’évolution de la pratique du vélo sur ces dernières décennies.

L’aménagement des villes après la Seconde Guerre mondiale a majoritairement créé des espaces de circulation pour l’automobile, symbole d’une modernité et d’une liberté universelle, au détriment de la bicyclette pourtant utilisée massivement par la classe ouvrière à cette époque. La pratique du vélo s’est ainsi raréfiée au sein des villes, pour ne devenir qu’un loisir dominical à la fin du XXe siècle. Toutefois, la pratique du vélo en ville ne s’est jamais complètement arrêtée, même si elle était devenue très confidentielle en France jusqu’à peu. Durant cette période, elle était soutenue par des personnes croyant en l’efficacité de ce mode

1. Pour une histoire plus complète sur la bicyclette, se référer au livre : Héran, Frédéric.

Le retour de la bicyclette. Paris: La Découverte, 2014.

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de transport et en ses vertus écologiques pour nos villes – des gens per-çus comme de doux rêveurs dans les années 1970-1990.

Un peu avant les années deux mille, des personnes se groupent en associations et commencent à militer massivement pour une améliora-tion des condiaméliora-tions de circulaaméliora-tion pour les cyclistes en ville, donnant ainsi une visibilité plus grande à ce mode de transport peu à peu oublié dans les usages au quotidien. C’est dans ce contexte qu’est née la première masse critique2, en 1992 à San Francisco, qui marquera l’imaginaire du militantisme cycliste par son ampleur et sa force performative. Dans le même temps, une prise de conscience généralisée du dérèglement cli-matique et de la pollution forte des villes a propulsé le vélo comme une solution potentielle pour favoriser une transition socio-écologique de nos villes et de nos sociétés.

Cependant, la place du vélo demeure un sujet sensible, et ce encore plus dans les aménagements des villes où les crispations se for-ment : pour donner un rôle plus important au vélo, l’espace dédié à la voiture doit être réduit. Même si les politiques publiques ont aujourd’hui davantage tendance à se tourner vers la « solution vélo », cette transfor-mation peut être perçue comme une atteinte à la liberté individuelle, à savoir celle de choisir librement son mode de déplacement en ville, créant ainsi des controverses sur la pratique du vélo en milieu urbain. Ainsi, ces conflits limitent souvent l’expansion de la pratique cyclable, les politiques ne souhaitant pas toujours s’engager dans ce type de polémiques.

La faible part modale du vélo en France (2% des français vont au travail à vélo3) est à la fois révélatrice de la non-généralisation de cette pratique mais montre malgré tout une évolution et une prise de conscience collective par rapport à son intérêt. Même si les statistiques sur les dix dernières années paraissent faibles, elles sont néanmoins en constante progression. Le vélo apparaît alors comme un phénomène qui se démocratise peu à peu, comme en témoignent la médiatisation

2. La masse critique, ou critical mass en anglais, est une manifestation qui consiste à rassembler un nombre important de cyclistes en un lieu afin de bloquer une partie de la circulation pour parler des problématiques cyclables au sein des villes et promouvoir l’uti-lisation du vélo. C’est un mode de contestation, très visible, utilisé aujourd’hui internatio-nalement et encore pratiqué par des militants vélo.

3. Tallet, Frédéric, et Vincent Vallès. « Partir de bon matin, à bicyclette... - Insee

Pre-mière - 1629 ». Consulté le 16 mai 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2557426.

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croissante, les communications politiques, les entreprises liées à la pra-tique cyclable, les associations présentes à travers toutes la France, etc.

Beaucoup de discours ayant pour but de promouvoir le vélo louent ses vertus écologiques (empreinte carbone très faible comparée à tous les autres modes de transport motorisés : émission nulle de CO2 et de particules fines dans l’atmosphère), économiques (pas d’essence, prix d’acquisition modique, besoin limité en infrastructures) ou encore spatiales (plus facile à garer, voies cyclables plus étroites que celles pour les automobilistes, etc.). En complément à ces considérations objectives et statistiques qui justifieraient à elles seules la pratique du vélo, il semble nécessaire d’apporter un autre regard. Les statistiques, bien qu’efficaces pour révéler des phénomènes de société, ne parlent pas forcément à tous. Il serait possible de présenter le vélo comme une clé de lecture pour comprendre les villes d’aujourd’hui, voire même de le percevoir comme un outil pour modeler les espaces urbains. Mais avant cela, pour tenter de convertir d’autres personnes à la pratique du vélo, il faut s’interroger sur les motivations qui incitent à faire du vélo ?

Selon Olivier Razemon, journaliste spécialisé dans la question des mobilités, «  personne ne pratique [le vélo] vraiment pour la pla-nète »4. Et il est vrai que, parmi les nombreuses explications qu’il serait possible d’avancer, la première des raisons poussant à rouler à bicyclette ne serait-elle pas tout simplement le plaisir ? Car, si c’était une activité dé-testable, probablement personne ne roulerait à vélo, quand bien même serait-il extrêmement pratique.

Lorsque j’ai l’occasion de parler de vélo avec des personnes, proches ou non, je retrouve toujours ce lexique du plaisir. « J’aime faire du vélo », « j’ai envie d’aller à tel endroit en vélo », « ça me plaît de rouler en ville  », «  je veux faire Nantes-Saint-Nazaire en bicyclette  »… Beau-coup d’expressions simples existent pour exprimer son attachement et son goût pour cet objet. On est attaché au vélo, car il est aussi symbole de loisir sportif. En France, il a d’ailleurs été l’objet d’une médiatisation massive grâce au Tour de France à l’époque de l’invention de la radio, créant ainsi un intérêt global pour le vélo, tout en l’ancrant profondément dans l’imaginaire collectif.

4. Razemon, Olivier. Le pouvoir de la pédale : Comment le vélo transforme nos sociétés

cabossées. Rue de l’échiquier, 2014.

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Toutes les personnes qui font du vélo régulièrement aiment très probablement en faire. Elles apprécient car c’est agréable de voir la ville depuis sa selle, le moyen de transport devient un vrai outil pour prendre

plaisir. Certes, rouler sur un périphérique encombré pour rejoindre

diffi-cilement l’intérieur des villes n’est pas forcément un aussi mauvais mo-ment que cela : parce que l’on chante à tue-tête, parce que l’on écoute des émissions très intéressantes sur France Culture, parce que l’on dis-cute. Cependant, ce plaisir-là ne provient pas directement de l’action de conduire, c’est seulement une appropriation active de l’activité rébarba-tive que constitue la conduite en ville.

Or, à vélo, rien de tel. Le premier palier du plaisir est direct, pur, simple, car il vient de l’acte mécanique de pédaler, de ressentir la route, de sentir ses jambes s’activer. Et même si l’on n’apprécie pas par-ticulièrement les sensations en elles-mêmes, il existe d’autres façons de prendre du plaisir. Il s’agit de tout ce qui devient agréable parce que l’on est à vélo : on s’élève d’une trentaine de centimètres par rapport à un piéton, on évolue trois fois plus rapidement dans les rues, on change de perception.

La ville devient ainsi un théâtre pour le cycliste, où elle se donne à voir et révèle des endroits inconnus jusqu’alors. Mais, pour que cela fonctionne, il est nécessaire que la ville soit adaptée au vélo. Certaines villes sont décrites comme favorables à cette pratique, d’autres moins. Que ce soit l’agglomération qui doive s’adapter au cycliste ou le cycliste qui change ses perceptions et habitudes, les relations entre ville et cycles sont complexes. Des modèles de ville cyclable sont présentés partout comme seules solutions au futur de nos espaces publics, mais ceux-ci se limitent souvent à l’aspect visuel sans forcément s’attaquer aux problé-matiques législatives qui diffèrent selon les pays.

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En associant ainsi le vélo à l’idée de plaisir, j’utilise l’espace de ce mémoire pour faire une introspection et pour questionner ma pra-tique cyclable, principalement à Nantes, mais pas seulement. Pour mener à bien cette recherche, j’ai considérablement multiplié mes pratiques et expériences cyclables. Entre autres, je suis passé du « Bicloo » (vélo en libre-service nantais) à mon propre vélo, je suis devenu à la fois cycliste régulier («  vélotaf  »), mais aussi explorateur à bicyclette des territoires ligériens. Par ces expérimentations, au travers des rencontres que j’ai pu faire, des observations et des témoignages récoltés au fil de mon enquête, j’ai constitué lentement ce mémoire. Ainsi, ce travail restitue une vision très personnelle de mon rapport avec la pratique cyclable, mais est également le résultat d’une tentative de comprendre le territoire et ses usagers à travers le prisme du vélo.

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Le vélo et moi

J’apprends très jeune à faire du vélo. Mes parents en font pour des balades à la campagne chez Mémé, le petit Antoine, un de mes frères, utilise le sien de temps en temps pour aller au collège tandis que Benoît, mon beau-frère, pratique régulièrement des ascensions de cols. Je n’ai que peu de souvenirs de moi sur mon vélo à cette période : personne dans la famille n’a vraiment le temps de me faire faire du vélo. Et puis, Bihorel, la ville dans laquelle j’habite, est dédiée aux voitures, comme beaucoup d’autres. L’école est accessible à pied, l’arrêt de bus pour m’amener aux différentes activités à côté, et si mes parents doivent se déplacer, ils préfèrent prendre la voiture. Et puis, vers mes 8 ans, nous déménageons à Rocamadour, à la cam-pagne. Je ne vois plus ma fratrie, qui n’a pas suivi le déplacement, et me retrouve alors seul avec mes parents très occupés dans leur nou-velle activité de gîtes, qui se monte en parallèle de leurs métiers déjà chronophages ; je me retrouve sans voisins avec qui jouer autour de chez moi ; je me retrouve sans amis proches de chez moi. N’étant ni aventurier, ni solitaire, je n’ai pas vraiment envie de faire du vélo, seul, autour de chez moi.

Je profite donc des visites régulières de mes proches pour faire des tours dans le Causse : c’est Tiphaine, ma sœur, qui m’apprend à passer les vitesses et les plateaux, et mes frères Antoine qui m’em-mènent faire la « Grande Boucle ». Il est impensable pour moi ou mes parents de prendre le vélo pour aller sur la « grande route » : les voi-tures filent trop vite, ne faisant pas attention à ce qui se passe autour. Pour l’école et le collège, un bus passe à quelques dizaines de mètres de la maison, juste pour moi. Ma pratique cycliste se limite peu à peu à une poignée de balades entre un soleil de plomb, des chênes et des murs en pierre sèche.

Lors d’une balade avec Antoine sur la « Grande Boucle » - route très accidentée, pleine de cailloux et de trous, et avec un dénivelé impor-tant, tant en descente qu’en montée - nous faisons la course. Il me dépasse. Il me dépasse largement. Mon but est d’au moins le rattraper. Alors j’accélère, j’oublie la route. Je tombe. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.J’appelle à

l’aide. Pas de réponse. Je crie. Pas de réponse. Je suis seul, étalé par terre sur une herbe complète-ment desséchée. J’ai mal. À partir de ce moment-là, je n’ai plus jamais voulu reprendre mon vélo à Rocamadour, peur irra-tionnelle qui augmenta plus le temps passait.

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Ce qui m’a motivé à recommencer à en faire, c’est le fait d’être en stage à une trentaine de minutes de mon appartement. Je n’avais pas vraiment besoin d’en faire jusque là, étant proche de tout ce qui faisait mon quotidien (appartement, école, commerces). J’avais jusque là globalement toujours évité la question lorsqu’il s’agissait de faire du vélo.Mais marcher une fois par semaine sous la pluie nantaise m’a assez rapidement énervé.

Un peu honteux, j’ai demandé à mon ami Louis de m’accompagner pour ma première reprise du vélo. Tout s’est bien passé, même si la sensation était étrange, ni vraiment nouvelle ni vraiment habituelle. Après quelques balades en ville à plusieurs afin de comprendre com-ment marchait la circulation urbaine, je me suis lancé tout seul. Le second déclic

fut une aventure de 32 km avec ma fanfare pour aller à notre assemblée générale dans le vignoble nantais. Bien que l’initiative vînt de moi, l’expé-rience m’angoissait un peu. Le vélo que j’ai récupéré à cette occasion n’était pas de grande qualité, mais ce fût le début de mon intérêt à faire vraiment du vélo. Un voyage Nantes-Cholet de 90 km a achevé de me convaincre que j’aimais réellement le vélo. Même si j’ai souffert, j’ai rejoint un groupe parcourant la Loire à Vélo deux mois après. J’ai voulu aussi pour cela prendre mon propre vélo.

Ce mémoire est l’occa-sion pour moi d’explorer comment j’ai re-dévelop-pé un intérêt tardif pour le vélo, de comprendre pourquoi je l’ai ignoré toutes ces années.

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PARTIE 1

COMMENT PREND-ON

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

Il ne semble pas si saugrenu que ça d’imaginer qu’il est pos-sible de prendre du plaisir en roulant à vélo, activité perçue pendant long-temps comme un loisir – comme je l’évoquais dans l’introduction. Cepen-dant, il est difficile de savoir pourquoi quelqu’un apprécie cette activité. Lorsque la discussion est lancée, le sujet et les arguments deviennent va-gues, flous, imprécis, bien que la question soit simple et ouverte à toutes sortes de réponses.

Au cours de ma recherche, j’ai rencontré peu de personnes dé-testant réellement faire du vélo. Celles qui n’aimaient vraiment pas en faire avaient des raisons personnelles pour justifier leur aversion. Les cy-clistes plus occasionnels vont, eux, souvent avancer des arguments pour justifier le fait qu’ils ne font pas de vélo en ville, comme la distance, la fatigue, la sueur, le risque de vol, la dangerosité et l’insécurité, la pluie, etc. Mais les personnes interrogées ayant une pratique cyclable régulière vont de la même manière parler des problèmes qu’ils rencontrent dans un premier temps, avant d’évoquer les éléments qui leur plaisent réellement. Le déplaisir pourrait ainsi être considéré comme un obstacle à franchir avant de parvenir à parler du plaisir.

Pourquoi est-il si difficile de parler du plaisir à vélo ? Avant tout parce qu’il n’y a pas une mais des sortes de plaisir, parfois faciles à ex-primer, parfois compliquées à décrire car il est plus facile de les expéri-menter que de les transmettre. Ensuite, plus simplement, parce que ces sensations peuvent être tellement naturelles qu’il devient impossible de les exprimer clairement. En fait, les sources du plaisir sont si diverses et nombreuses qu’être conscient de toutes paraît compliqué, compliquant ainsi les possibilités d’en parler.

Il est nécessaire, pour s’atteler aux notions de plaisir, d’avoir une approche holistique et transdisciplinaire. Chaque pan du plaisir abor-dé dans cette première partie est issu d’une recherche et une réflexion globale. Cette approche tend à livrer une vision d’ensemble, permettant à tous de trouver des idées et des pistes de réflexions sur nos pratiques cyclables, plus que créer un portrait exhaustif des plaisirs à vélo.

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Salvador Dali, Symphonie à bicylette, 1970

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

Le plaisir, en tant que notion proprement dite, est très étudié en philosophie, d’Épicure à Foucault, mais est souvent abordé du point de vue du plaisir sexuel ou du plaisir esthétique, voire des plaisirs de la vie en général. On parle alors de plaisirs de la bouche, de l’ivresse ou de notre comportement au quotidien, sans forcément faire la distinction entre eux. Montaigne, par exemple, très au fait des notions épicuriennes du plaisir, ce qui ne l’empêchait par ailleurs pas de les rejeter, se plaît à parler non pas du plaisir mais des plaisirs au quotidien. Ceux-ci ap-porteraient une stabilité dans nos modes de vie, laquelle amènerait à une stabilité de l’âme. Ainsi, en extrapolant son discours, puisque le vélo n’existait évidemment pas à son époque, utiliser sa bicyclette quotidien-nement permettrait de « dompter sa vie » par la régularité à laquelle elle est utilisée.

On se rapproche là de sa philosophie du jardin, différente de celle développée par Voltaire dans Candide plus tardivement. Ce jardin serait la liberté ultime de l’homme car il lui permet de s’exposer à « ses propres sens » et à « sa raison naturelle », c’est-à-dire privilégier au quoti-dien des choses qui nous plaisent naturellement. Avec cela, l’homme lutte contre les effets négatifs de la société car son âme est stable, de par la régularité de ses gestes durant la journée.

Plus tard, lorsqu’arrive le siècle des Lumières, des auteurs comme Voltaire vont continuer à réfléchir à cette stabilité comme source de plaisir. Toutefois, illuminisme oblige, d’autres vont tenter de faire le lien entre le plaisir, le goût et la raison. C’est le cas d’Emmanuel Kant, qui prône un universalisme de la beauté grâce à l’utilisation de la raison par chacun, c’est-à-dire que si l’on s’arrête à un raisonnement logique

Philo-vélo :

désirs (cyclables),

plaisirs (simples ?)

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chaque sujet peut apprécier de la même manière la beauté objective de quelque chose et, ce, sans que la culture personnelle de l’individu ne soit à prendre en compte – mais plutôt sa capacité à raisonner. En simplifiant une lecture kantienne du plaisir, qui est alors différent de la notion de beauté, il y a une relation très forte entre le désir et le plaisir, le plaisir étant l’objet du désir. Bien que Kant s’attarde plus sur la question du jugement esthétique lorsqu’il introduit les notions de plaisir et de désir dans le but de décrire les mécanismes du goût, il fait une claire distinc-tion entre ces deux nodistinc-tions proches, mais toutefois indépendantes. Selon Kant, le plaisir vient d’une satisfaction des sens. À l’inverse, le désir est plus proche du goût, car il prend la forme d’une projection du plaisir potentiel que le l’on pourrait avoir en faisant telle ou telle activité. On aurait envie de faire du vélo, car on y prend du plaisir à travers ce que nos sens nous transmettent : faire du vélo pourrait alors revêtir une forme de beauté objective amenant à ce plaisir.

Il devient alors possible de soulever donc la problématique du

goût. Pourquoi développe-t-on un intérêt à la pratique du vélo ?

S’intéres-ser à l’apprentissage du goût revient à étudier le processus d’acquisition des goûts. Par exemple, pour Bourdieu, les goûts sont une construction sociale permettant de créer des distinctions de classes entre individus, volontaires ou non. Si l’on considère le vélo comme une activité, il serait envisageable de prendre en compte cette thèse dans la compréhension du plaisir à vélo. Cependant, bien qu’il soit possible d’avoir une lecture critique sur la représentation des différentes classes sociales dans l’en-semble de la population faisant du vélo aujourd’hui, l’activité en elle-même est pratiquée et appréciée par à peu près tout le monde – elle-même si elle prend différentes formes dans ses usages au quotidien. Pourquoi aime-t-on faire du vélo ? Une des réponses concevables pourrait être de s’arrêter à la construction du plaisir liée à l’apprentissage de l’activité, selon des études qui portent sur la psychologie de l’enfance. Selon ces études, avec le temps, la frustration liée à l’apprentissage de la pratique disparaît au profit du développement d’un goût pour cette activité, grâce à l’assimilation des mécanismes qu’elle exige. Par exemple, les chutes en vélo deviennent plus rares lorsque l’on s’améliore, permettant alors de commencer à vraiment apprécier le fait de rouler.

Plus je fais du vélo, meilleur je suis, plus j’apprécie en faire.

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Perceptions depuis

ma selle

J’aime sentir la ville défiler quand je suis à vélo. Perché sur ma monture, je me plais à regarder les gens et la ville. Je n’arrive pas à me lasser d’observer les gens.

J’aime sentir le souffle nocturne sur mon visage, lorsque je roule légérement embrumé par des vapeurs d’alcool, la ville vidée de ses habitants n’en devient que plus grisante.

J’aime avoir la sensation d’être plus intelligent que les

automobilistes, lorsque je dépasse les files de voitures bloquées par à une intersection.

J’aime faire la course avec un bus ou un tram, pour montrer que moi aussi je peux aller vite en ville.

J’aime dépasser quelqu’un avec un beau vélo lorsque je suis sur un bicloo grinçant dans une montée.

J’aime jouer avec moi-même dans les montées, savoir si cette fois-ci je serai essoufflé à l’arrivée (réponse : en général, oui).

J’aime rouler doucement en parlant avec quelqu’un, même si je sais que ça énerve tous les autres usagers essayant de nous dépasser. J’aime observer les ombres que produit la nuit le vélo avec les lampadaires, celles-ci créent un film de moi retransmis en direct, à même l’asphalte de la rue. Je deviens le seul et l’unique spectacteur de ma propre expérience.

J’aime montrer aux piétons et automobilistes que je connais ma ville, passant du trottoir à la rue, faisant fi des obstacles pourtant pénibles lorsque je les ai découvert la première fois.

J’aime couper la priorité aux voitures dans les ronds-points. J’aime ne mettre que cinq minutes pour aller au travail le matin, plutôt que six.

J’aime ressentir les pavés qui font grincer et grésiller mon vélo, le bruit de la ferraille métallique de celui-ci résonnant dans les rues J’aime savoir que je roule avec un vélo qui a une histoire, avec lequel j’ai passé des moments extraordinaires (c’est mon vélo) J’aime entendre le bruit du pneumatique sur le bitume, et entendre celui de autres pour me repérer sur une piste cyclable

J’aime améliorer en permanence ma trajectoire du quotidien, comprendre ce que j’aurais pu faire de mieux ou éviter, afin de tenter de faire le trajet parfait le lendemain

J’aime prendre de temps en temps le Bicloo, afin d’apprécier la légéreté de mon vélo lorsque je le reprends

J’aime savoir faire du vélo en ville. Ou à Nantes, au moins.

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Le plaisir de faire du vélo peut également être pris dans une conception de la vie plus large, encore plus large que dans l’optique de Montaigne. Se conduire au quotidien en respectant un idéal de vie per-mettrait de prendre plus de plaisir. Par exemple, l’action de se déplacer à vélo peut rentrer dans une éthique de vie, afin d’être cohérent avec soi-même.

Ivan Illitch, philosophe autrichien, connu pour sa critique de la société industrielle et sa participation à la création de l’écologie politique, définit le concept de « sobriété heureuse » qui promeut un mode vie sans excès ayant pour but de ne pas dépenser ni consommer trop. Cette no-tion est d’ailleurs reprise plus tard dans des manifestes comme ceux de l’association Négawatt, qui se bat pour une transition socio-écologique globale. Austérité heureuse, sobriété heureuse, simplicité volontaire sont des termes définissant cette approche. Le but est de réfléchir à la ma-nière dont l’individu peut prendre plaisir en se questionnant sur l’impact de sa consommation personnelle, que ce soit d’un point de vue éthique, économique ou écologique. Cette philosophie de vie se fonde sur une optique de décroissance, qui ne prône ni un retour en arrière, ni un re-trait de la société, mais un monde plus simple et plus juste pour tous. Le vélo apporte une solution qui abonde dans ce sens, lorsqu’il s’agit de vivre heureux avec peu, grâce à sa faible consommation. Il s’intègre de ce fait complètement dans les ambitions projetées par Illitch (et ses successeurs)1.

Illitch est d’ailleurs complètement conscient des bienfaits du vélo, et c’est pour lui un outil de convivialité. Pour comprendre ce qu’il en-tend par ce terme, il est nécessaire de simplifier sa thèse : la relation entre les êtres humains se perdrait à cause de l’omnipotence des machines qui rendraient l’homme « serviteur ». La convivialité et les échanges permet-traient ainsi de redonner du sens à nos vies. En ce sens, la bicyclette serait l’outil idéal car « le cycle transforme l’attitude des gens et transforme les individualités en communautés ». Par là, Illitch prône le vélo car il serait un moyen de s’ouvrir aux gens, de par le fait qu’il est un objet simple. L’autre argument employé par le philosophe pour promouvoir le vélo est celui de la « vitesse généralisée ».

1. En janvier 2018, a été lancé dans ce sens un manifeste pour la frugalité heureuse dans les domaines de l’architecture et l’urbanisme : le vélo n’y est pas (encore) mentionné : « Manifeste pour une frugalité heureuse ». Consulté le 24 mai 2018. https://www.fruga-lite.org/le-manifeste.html.

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

La vitesse généralisée est une théorie créée pour lutter contre l’automobile, jugée aliénante, qui est une donnée mesurable prenant en compte le temps passé dans la voiture mais aussi le temps de produc-tion nécessaire pour obtenir les moyens finançant son acquisiproduc-tion et son entretien. Le vélo est alors complètement gagnant en comparaison avec l’automobile… à l’époque où les essais d’Illitch ont été rédigés. Frédé-ric Héran relativise ce discours2 quarante ans plus tard en recalculant les données d’origine mises à jour et en montrant que ce n’est plus toujours vrai, sauf au cœur des villes. Malgré tout, le philosophe reste aujourd’hui régulièrement cité lorsque le vélo est évoqué comme solution pour un avenir écologique et social.

Il serait bien évidemment possible de trouver bien d’autres nuances autour de la notion de plaisir à vélo. Cependant, c’est toujours par extrapolation qu’il faut procéder, afin de comprendre comment ce-lui-ci peut aider à mieux vivre. On est ici sur des sources de plaisir secon-daires : le vélo rentre dans un contexte de plaisir plus général, il n’est pas l’objet même du plaisir mais une de ses composantes. Et lorsqu’il l’est, c’est parce que notre cerveau a procédé à des mécanismes psychiques nous aidant à l’apprécier.

2. Héran, Frédéric. « À propos de la vitesse généralisée des transports. Un concept d’Ivan Illich revisité », Revue d’Économie Régionale & Urbaine 2009/3 (juillet), p. 449-470.

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Yale Joel, Yale-Vassar Bike Race (1952) (LIFE archive) Stan Wayman, De Pauw «Little 500» (LIFE archive)

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

Le vrai plaisir, le plaisir pur, le plaisir primaire, peut se trouver si l’on s’intéresse à la relation entre l’être humain et sa monture. La pratique du vélo procure en effet une sensation de plaisir si l’on se place d’un point de vue physiologique. Grâce à un mécanisme de libération d’hormones dans le cerveau, l’endorphine se transmet dans le corps et procure une sensation de bien-être. Certes, c’est l’apanage de toute activité physique mais il paraît important de le souligner car cette sensation agréable pou-vant s’apparenter au plaisir est déterminante dans le choix de pratiquer ou non une activité. De plus, comme toute activité physique, plus l’on pratique, plus l’on s’habitue et plus la décharge d’hormones est alors importante, augmentant ainsi le plaisir3. Ce phénomène est identique lorsque que quelqu’un commence la course à pied, plus étudiée que le vélo. Dans ce sport, ce type de plaisir peut apporter une certaine dépen-dance, comme chez les « runalcoholics », terme désignant des personnes ayant un besoin irrépressible d’aller courir.

Sans se risquer sur l’existence possible de « cyclalcoholics », il y a un plaisir à être en bonne santé. Le vélo procure une pratique spor-tive minimale qui permet de se sentir un peu mieux, un peu plus « agi-té » dans sa journée. Certains vont vanter le fait qu’aller travailler à vélo le matin réveille le corps, tandis que d’autres vont louer les possibilités de faire de l’exercice sans fréquenter une salle de sport. Cet effet est difficile à apprédender  pour les cyclistes du quotidien, mais est forte-ment ressenti lorsque la personne qui roule très souvent à vélo en vient à en arrêter sa pratique, pour quelque raison que ce soit. Pour illustrer

3. Jabr, Ferris. « Le sport contre la dépression ». cerveauetpsycho.fr. Consulté le 21 mars 2018. https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/therapie/le-sport-contre-la-depression-9508. php.

La physiologie

du cycliste

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cela, je vais prendre l’exemple d’Emilia, ma colocataire, qui m’a décrit son manque. En effet, elle faisait beaucoup de vélo en habitant à Lima mais a dû arrêter sa pratique en déménageant à Venise. Pour elle, son corps tra-vaille bien plus en roulant à vélo qu’en marchant. Elle a la sensation d’être en moins bonne santé, quand bien même elle habite Venise et doit par conséquence marcher beaucoup durant sa journée – probablement bien plus que le quota recommandé pour se sentir en bonne santé.

D’autre part, se sentir progresser est également un plaisir. Par exemple, être essoufflé après une côte, même si le moment est désa-gréable : le souffle haletant témoigne que l’on a réussi à franchir un obsta-cle, que notre corps l’a fait. C’est certes un plaisir à tendance masochiste mais qui prouve que l’on a une pleine conscience des différentes parties de son corps (les mollets, les cuisses, les bras…). On a « ressenti quelque chose ». Plus tard, se rendre compte qu’il est possible de monter cette même côte sans trop se fatiguer est également grisant. Et même si c’est au prix d’une paire de jambes toujours douloureuses une fois arrivé en haut.

Se déplacer quotidiennement à vélo permet également d’éprouver les éléments météorologiques de tous les jours, en ayant des perceptions différentes de la marche à pied. L’évolution des saisons à vélo procure un sentiment décuplé de plaisir (tout comme de déplaisir).

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météo vélo

Sentir les premiers rayons de soleil à l’arrivée du printemps est un délicieux plaisir. Les nombreuses couches enfilées en prévention du froid me font transpirer de chaleur, l’arrivée dans l’agence surchauffée n’arrange pas vraiment les choses. En revenant du travail, la différence est nette : tout le monde cherche à trouver un recoin de soleil dans la ville, créant une transition immédiate entre la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps.

Durant cinq mois, j’ai pris le vélo tous les jours de la semaine pour aller à l’agence dans laquelle j’étais en stage, me permettant de ressentir et d’observer l’évolution sur un même trajet. Je narre ici quelques-unes des observations que j’ai pu faire.

En me rasant pour la première fois le crâne le week-end, je n’avais aucunement anticipé les sensations que cela allait me procurait. La douche matinale aurait pourtant pu me donner des pistes sur les sensations : le contact de l’eau est direct et surprenant. Une fois sur les bords de Loire, en tentant de rattraper mon retard habituel, je découvre une nouvelle façon d’apprécier l’air ambiant : le vent coule sur ma tête, la peau de mon crâne libéré de mes cheveux pouvant maintenant me transmettre les mouvements de l’air que je crée par la vitesse à laquelle je roule.

La canicule produit une sensation étrange à vélo. Alors qu’il fait déjà très chaud, deux coups de pédales suffisent à faire transpirer l’entièreté de son corps. J’ai tout essayé : aller vite ou lentement, prendre des côtes ou seulement du plat et des descentes, m’habiller le plus léger possible, prendre des changes, boire beaucoup d’eau. Rien ni fait, l’activité physique produite par la pratique du vélo s’oppose au confort sudoral. Dans le même temps, dès que l’on s’arrête, cette sensation disparaît et donne l’impression qu’il ne s’est absolument rien passer. Je ne comprendrai jamais mon corps.

Les premières vraies pluies à vélo ne sont pas vraiment agréables. À peine sorti de chez moi, les premières gouttes commencent à tomber. Je ne peux rien faire : l’eau me trempe jusqu’aux os, me faisant coller mon pantalon à mes cuisses. Même mon manteau censé me protéger de la pluie est tellement humide que je sens l’eau ruisseler sur mon corps, m’obligeant à passer une matinée avec des vêtements humides. La circulation est difficile : il faut choisir entre aller vite, sans forcément tout contrôler au risque d’avoir un accident, ou être sage et sentir chaque seconde s’écouler avec la pluie me mouillant toujours plus, quand bien même je pensais déjà être entièrement trempé.

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Les premiers coups de pédales au démarrage sont tou-jours le moment où le plaisir ap-paraît. Sentir ses jambes décol-ler, tourner, ne plus toucher le sol est une sensation totalement indissociable du plaisir de rouler à vélo. C’est l’expérience en elle-même du vélo qui procure un plai-sir en soi. De la même manière, quelqu’un peut apprécier de grim-per à une échelle pour la sensation de déséquilibre que cela engendre et de la force dans les bras qu’elle peut requérir. Pareillement, les au-tomobilistes vont apprécier s’as-seoir dans leur voiture, tourner la clé de contact, appuyer sur les pé-dales, etc. Ces gestes sont intrin-sèquement plaisants et participent du plaisir même de l’activité  : on ne prend pas plaisir seulement à appuyer sur la pédale, on prend plaisir dans l’ensemble des méca-nismes qui constituent l’action de faire du vélo.

Toutefois, le type de vélo joue beaucoup sur l’appréciation et les variétés de plaisir induites par cette pratique. Par exemple, les vélos en libre-service, comme les Bicloo à Nantes ou les Vélib’ à Pa-ris, sont considérés par beaucoup comme des machines procurant peu ou rarement du plaisir, compte tenu de leur poids, de leur incon-fort et de leur mauvais état habi-tuel. Cela est encore plus vrai pour quelqu’un habitué à avoir un vélo

Boccioni, Umberto : Dynamisme d’un cycliste (1913) Metzinger, Jean : Au vélodrome (1911)

Venise, Collection Peggy Guggenheim

Les peintres des avant-gardes du début du XXe siècle se sont emparés du sujet de la sensation de vitesse transmise par le vélo, tentant de représenter ces perceptions physiques

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

de ville de bonne qualité, rendant ainsi la comparaison difficile. À l’inverse, un vélo rouillé, faisant du bruit, inconfortable, auquel il manque des pièces et non équipé de dérailleur peut tout à fait convenir à son utilisateur, si l’expérience en elle-même du vélo est intacte.

Choisir un fixie, vélo sans dérailleur, répond aussi à une question de plaisir. Comme tous les vélos « non-conventionnels » (vélo pliant, vé-lo-cargo…), il peut être moins agréable de rouler avec, au profit d’aspects pratiques et/ou esthétiques.

Il est également possible de s’interroger sur la forme en tant que telle du vélo. Par exemple, certains vélos sont genrés, proposant des formes différentes pour les cadres et qui devraient avoir une incidence sur l’expérience à vélo, et donc le plaisir. Cependant, cet héritage n’a au-jourd’hui plus vraiment de sens car c’était conçu afin de permettre aux femmes de rouler sans être dérangé par leur robe4. D’un point de vue per-sonnel, c’est plutôt la forme du guidon qui m’a souvent dérangé : si je me retrouve avec un guidon différent de celui que j’ai normalement, je perds alors tout plaisir et ne désire que revenir à mon vélo habituel.

Au-delà des des questions de confort et d’habitudes, le vélo est un objet dont la pratique à elle seule apporte du plaisir. Certes, certains modèles sont plus confortables que d’autres, mais c’est une question de perception et de façon de rouler. Le vélo est un objet personnel, avec le-quel on prend ses aises et qu’on s’approprie : cela impacte fortement nos plaisirs, nos comportements face à cette activité et notre culture du vélo.

4. Clais, Anne-Marie. « Portrait de femmes en cyclistes ou l’invention du féminin pluriel »,

Les cahiers de médiologie 1998/1 (N° 5), p. 69-79.

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Duchamp, Marcel : Roue de bicyclette (1951, après la perte de l’original en 1913). New York, Museum of Modern Art (MoMA).

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

Lorsque Duchamp choisit de réaliser son célèbre ready-made composé d’une roue de vélo plantée sur un bâton (page ci-contre), ce n’est pas le simple fruit du hasard ou d’une folie impulsive. Bien que l’œuvre entière de Duchamp puisse être lue à travers de nombreux filtres, Karine Douplitzky5 émet l’idée que Duchamp a choisi le vélo car c’est un objet simple, éloigné des canons de la modernité que représentent à l’époque la voiture individuelle, les usines et le train. C’est une entité démontable, facile à manipuler, et peu coûteuse.

Cette apparente simplicité permet d’intervenir sur le méca-nisme, donnant l’opportunité à tout un chacun de mettre les mains dans la graisse de chaîne. C’est ainsi que l’on en arrive à l’utilisation du terme « bécane » par les gens qui bricolent leur vélo6. C’est ce même mot qu’un automobiliste va utiliser pour désigner sa voiture, ou un quidam pour évoquer son ordinateur. Son emploi témoigne d’un attachement à cet objet et de la relation que l’on entretient avec lui. On ne parle en effet pas d’une bécane mais de ma bécane, faisant ainsi allusion aux longues heures passées à chérir sa bicyclette, nettoyer sa voiture ou changer les composants de son ordinateur. En « bidouillant » un vélo, il est assez facile de se l’approprier, que ce soit pour changer régulièrement les pneuma-tiques ou repeindre l’entièreté du cadre. « On ne l’aménage pas, on ne le décore pas, on le bricole »7 : au travers de ces propos, Marc Augé veut signifier que s’il est possible de personnaliser son vélo, en choisissant sa

5. Douplitzky, Karine. « Sortir de la vue, entrer dans la vie... ou l’art recyclé », Les cahiers

de médiologie 1998/1 (N° 5), p. 87-95.

6. Razemon, Olivier, op. cit.

7. Augé, Marc. Eloge de la bicyclette. Paris: Payot, 2008.

Le charme

de la bécane

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couleur ou le design du cadre, en achetant des accessoires ou en ajoutant des équipements, on ne peut pas s’approprier réellement le vélo autre-ment qu’en le bricolant soi-même.

Au-delà de l’appropriation, le plaisir peut alors venir du plaisir de réaliser des travaux sur son vélo. Le héros du livre de Robert Pirsig,

Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, décrit son attachement

à faire des travaux par lui-même  : « Il me paraît naturel et normal de me servir des petites trousses à outils et des manuels d’entretien fournis avec la machine, de veiller moi-même à ce qu’elle soit réglée et bien au point. ». Il ajoute que « selon la façon dont on les traite, elles dégénèrent rapidement en mégères acariâtres, ou en pauvres infirmes. Ou alors elles deviennent de véritables amies, pleines de santé et de bonne humeur ». Pour lui, c’est l’entretien qui est fondamental dans la compréhension et l’appréciation de l’objet. Le plaisir viendrait alors d’une vision de la beau-té, fondée sur l’appréciation de la mécanique, et qui donnerait une sen-sation unique. Pour justifier ses propos, il s’appuie sur un discours de Phèdre qui oppose la beauté classique, laquelle apprécie la richesse des structures internes, à la beauté romantique, qui s’arrête à l’apparence im-médiate. Cependant, le plaisir du bricolage ne vient pas uniquement de cette beauté classico-romantique du mécanisme de la moto, mais aussi de l’attachement décrit plus haut  : si le héros aime tant s’occuper lui-même de sa moto, c’est parce qu’il cultive un lien avec elle.

Il y a un effet une volonté de s’approprier les choses, tel un plai-sir consumériste à avoir son vélo. Cela s’explique notamment par le fait que les alternatives de partage de vélo de type Vélib’ ou Bicloo propo-sées aujourd’hui n’égalent pas la qualité et le confort d’un vélo personnel, comme nous l’avons vu précédemment. À partir du moment où l’on a son propre vélo, il est toujours plaisant d’y rajouter des accessoires afin de se l’approprier un peu plus, en dépit de ce qu’écrit Marc Augé. Les construc-teurs et fabricants l’ont d’ailleurs bien compris, et il est ainsi possible de trouver toutes sortes d’accessoires réellement utiles ou non, à la mode ou ordinaires, chers ou bon marché. En s’équipant entièrement, de la selle à des vêtements techniques, en installant des néons ou des klaxons amu-sants, ou même en le laissant le plus sobre possible, le cycliste va traiter son outil de déplacement comme une part de lui-même, une sorte de marqueur d’identité qu’il prend plaisir à exhiber à chaque sortie en ville.

Le vélo devient ainsi un prolongement de la personnalité. Tout

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comme il serait possible d’associer un type de chien à son propriétaire, chaque vélo peut refléter l’identité de son utilisateur. Dans les portraits réalisés dans le mémoire de Jean Favreau8, jeune diplômé de l’école d’ar-chitecture de Nantes, on reconnaît très facilement les différentes typolo-gies selon le vélo : la personne coquette (un vélo décoré avec des petites fleurs et un charmant panier auxquels assortir ses vêtements), le sportif (un habitué des pelotons cyclistes habillé en survêtement intégral) ou en-core le respectueux des règles (gilet jaune et lumière de sécurité pour un responsable du réseau cyclable de Nantes Métropole). Être à vélo revient à se séparer de son statut de piéton, qu’il est évidemment possible de réintégrer à tout moment. Mais, grâce aux codes que le vélo va imposer, les cyclistes se construisent une identité et une culture cyclable qui va être partagée par leurs pairs.

8. Favreau, Jean. « 30 façons de pédaler : la pratique du vélo et les aménagements

cy-clables à Nantes », Mémoire de diplôme d’Etat d’architecte, sous la direction de Frédéric

Barbe, Nantes, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, 2016.

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Anna Brag and Elin Wikström, Returnity, 1997 : événement visant à améliorer les compétences

cyclables des membres d’un quartier, mais surtout de créer un vie dans celui-ci grâce à cela

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Sociabilités à

bicyclette

Partager une même culture peut être une source de plaisir pour tous : certains se rassemblent par passion pour le football, d’autres au-tour d’une œuvre culturelle tandis que d’autres vont échanger sur des su-jets de niches. Une culture cyclable existe et est partagée par l’ensemble des cyclistes de manière plus ou moins prononcée. Elle ne nécessite rien d’autre que d’enfourcher régulièrement son vélo, en se différenciant du piéton. Rouler régulièrement à vélo suffit à engranger des expériences, des histoires, des anecdotes, des sujets de discussions partageables avec d’autres aficionados du cyclisme.

Pour sa part, Frédéric Héran définit cette communauté plutôt comme une «  identité cyclable  »9. Celle-ci existerait même à l’échelle d’une nation ou d’un peuple, comme les Néerlandais ou les Danois, répu-tés pour leur utilisation intensive du vélo. Héran fait d’ailleurs le lien entre la construction de cette identité et les politiques menées dans ces pays-là en faveur du vélo pour expliquer la différence qui existe dans l’impor-tance de sa pratique, avec des pays comme la France.

Cette culture peut prendre différentes formes, d’une simple reconnaissance entre usagers à un engagement militant important. Cet engagement se traduit par une fierté de rouler en ville, l’adhésion à des clubs de cyclistes urbains (« Place au Vélo » à Nantes par exemple), des associations d’aide pour diffuser la pratique du vélo (comme Vélo-Cam-pus qui initie les étudiants à s’occuper eux-mêmes de leur engin), à la par-ticipation à des fêtes de promotion du vélo (Véloparade, Masse critique ou simplement fête du Vélo). Ce militantisme, peut-être né d’une

margi-9. Héran, Frédéric. Le retour de la bicyclette. Paris: La Découverte, 2014.

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nalisation du phénomène cyclable avec l’arri-vée du tout-voiture en ville, répondait alors à un besoin de se retrouver entre usagers afin de défendre leurs droits et leur sécurité. Dès l’apparition de ce militantisme, il a toujours existé un côté festif dans les revendications et les manifestations, introduisant ainsi du plaisir dans ces luttes. L’engagement associa-tif des cyclistes est extrêmement important pour comprendre le développement du vélo dans des pays qui l’avaient oublié. La pression qu’il a exercée par le biais d’un lobbying ciblé ou de manifestations publiques, a permis de soulever un intérêt pour le vélo au sein des collectivités territoriales. Encore aujourd’hui, le rôle de l’association Place au vélo est par exemple décisif sur toutes les opérations qui nécessitent un savoir-faire sur le sujet : ces ras-semblements d’usagers vont être considérés « experts » par les maîtrises d’ouvrage, mais aussi par les maîtres d’œuvre. D’autre part, la fonction militante est toujours importante afin d’apporter en permanence des améliorations au réseau cyclable. Ainsi, l’association Paris en Selle a créé un observatoire de la mise en place du plan vélo à Paris, non sans user de l’ironie. En effet, aussi sérieuses soient-elles, ces organisations organisent régulièrement leurs communications et leurs messages au-près du grand public sous une forme humoris-tique – et didachumoris-tique.

Les parades cyclistes ou des événements comme la fête du Vélo revêtent toujours un aspect de partage, de fête, de joie partagée entre tous les participants. Les organisateurs s’assurent que tout se déroule pour le mieux et que cyclistes avertis comme débutants prennent du plai-sir. Le défilé « Véloparade » traduit encore plus cet aspect festif : musique, drapeaux, bières et déguisements apportent un aspect carnavalesque à l’ensemble, montrant ainsi un aspect communautaire et plaisant du vélo.

Exemples d’interventions urbaines réalisées par des associations cyclistes à Nantes et Milan, pour dénoncer des manquements de la municipalité

(source : Twitter)

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Fête du vélo

Le parcours 2017 de la fête du vélo avait pour thème « Au fil de l’Erdre». Cet événement organisé par l’association nantaise Place au Vélo a pour but de faire découvrir la pratique du vélo et la métropole nantaise, aux néophytes comme aux initiés. Armé de ma bicyclette, j’ai décidé d’affronter seul la grande boucle de 45 km. Le parcours est fait de telle sorte qu’on se sent toujours accompagné : les nombreux bénévoles, points de ravitaillement et activités proposées le long du trajet permettent de se sentir accompagné s’il y a le moindre problème.

Il existe une vraie entraide entre les cyclistes : un crève, trois s’arrêtent pour lui proposer une chambre à air ou juste un coup de main. Les gens semblent heureux, d’être là, de faire une communion cyclable tous ensemble. Même moi, tout seul, j’y ai pris beaucoup de plaisir, me permettant de croire un instant à la bienveillance et l’entente entre êtres humains.

L’ampleur de l’événement permet de découvrir sous un autre regard de nombreux lieux de la métropole nantaise : des voies sont bloquées pour permettre au cycliste de rouler directement sur l’asphalte. Il en dégage une sensation de liberté qu’il est rare de sentir en vélo autrement.

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

Cependant, nul besoin d’adhérer à une association pour ac-quérir cette culture cyclable. Les cyclistes prennent plaisir à raconter des anecdotes relatives à leur pratique, car c’est toujours possible de synthé-tiser une expérience en une petite historie malheureuse ou divertissante. Néanmoins, l’empathie ne peut être partagée totalement que par le-s in-terlocuteur-s seulement s’ils sont eux-mêmes cyclistes. Raconter l’histoire d’une malencontreuse chute peut ne valoir qu’un « bien fait pour toi » pour quelqu’un n’ayant jamais osé mettre les pieds (ou les roues) sur une piste cyclable traversant une ligne de tramway. Le récit des expériences à vélo ne prennent pas uniquement la forme de l’anecdote, mais sont aussi diffusées massivement sur les réseaux sociaux, par des souvenirs physiques, par l’écriture d’articles de livres ou blog, plus globalement partagés sous toutes les formes de communications existants aujourd’hui.

Rouler avec d’autres personnes en ville devient fastidieux s’il y a besoin d’être rapide et efficace. Mais dès qu’il s’agit de balade, prendre part à une expérience collective est source de plaisir. Sans forcément ad-hérer à Marc Augé10 qui définit le tandem comme « une expression de la célébration de l’amitié », il semble possible de décrire ces moments comme une véritable possibilité d’un temps entre amis ou en famille… multipliant ainsi le nombre d’anecdotes racontables grâce aux souvenirs créés ensemble. Faire du vélo peut n’être qu’un prétexte pour passer un moment de plaisir communautaire.

Ainsi, comme tout moment de plaisir, il devient possible d’ex-trapoler à toutes les autres activités partagées, plus ou moins en lien di-rect avec le vélo, mais qui concourent au plaisir  : bien manger (et/ou boire) après avoir fait du sport ensemble, se relaxer au soleil, visiter un patrimoine construit ou naturel… L’ensemble de ces sociabilités existent grâce au vélo, mais sont des plaisirs indirects. Le vélo n’est qu’un sujet comme un autre de regroupement, comme pourraient l’être la musique, la littérature ou la pêche à la ligne.

10. Augé, Marc, op. cit.

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Expéditions dans

l’estuaire

Tout commence un dimanche matin de mars, à 9 h. Je connais peu de choses sur l’itinéraire que l’on s’apprête à faire, et il se trouve que mes trois compagnons m’ayant proposé de faire un sortie avec eux n’en savent pas beaucoup plus. Pour combler l’ennui, et le manque d’envie de travailler, ils se sont dit qu’ils allaient profiter du beau temps pour aller découvrir l’Estuaire de la Loire et une oeuvre réalisée à l’occasion de la Biennale «Estuaire Nantes<> Saint Nazaire» 2007, l’observatoire de Lavau-sur-Loire. Ils m’invitent la veille à faire la route avec eux, et n’ayant rien de prévu je décide de les accompagner sur un coup de tête tardif (aux alentours de 3 h du matin). Mes compagnons ont prévu de prendre la première partie de la Loire à Vélo, puis le bac de Loire pour la traverser, et puis... on verra. Google Maps annonce 35 km, ce qui paraît faisable. Ils n’avaient cependant pas pensé au retour, montant ainsi le total à 70 km. J’achète un pique-nique rapidement et on est lancé. Depuis la Loire à Vélo, je n’avais plus jamais fait de telles distances, et ça se sent très vite. Nous suivons tant bien que mal les panneaux indiquant le parcours de la Loire à Vélo en direction de Saint-Nazaire. Mais une fois la rivière franchie, nous sommes hors parcours et devons nous débrouiller par nous-mêmes.

On monte des côtes qui semblent interminables, on se perd, on regarde le paysage, on s’ennuie un peu, on fait la course, on discute, on a faim, on a envie d’arriver. Une fois à l’observatoire, nous sommes effondrés. Le départ matinal n’a pas vraiment joué sur notre forme. François nous annonce que nous avons fait un peu plus de 50 km, soit presque un tiers de plus de prévu. Pourtant, pas de choix possible : il n’y aucun retour alternatif, car nous sommes trop loins d’une quelconque gare. Nous choississons donc de varier un peu l’itinéraire, de faire plus de pauses, d’aller voir d’autres oeuvres de la Biennale Estuaire sur le chemin. Le retour est très long. A 10 km de l’arrivée, nous nous arrêtons pour n’importe quel prétexte, tant que cela permet de s’arrêter de pédaler.

Et enfin, l’école d’architecture, notre point de départ et d’arrivée. Nous nous écroulons sur l’herbe en bord de Loire, à la fois fiers, contents et détruits. Autour d’une bière et d’un plateau de charcuterie qui nous récompense, on se dit qu’on a envie d’en parler au plus de gens possibles, qu’on veut absolument recommencer, on prévoit déjà de faire deux semaines ensemble de vélo l’été suivant, on veut aller voir toutes les autres oeuvres de la Biennale Estuaire. Et puis, compte tenu de nos plannings respectifs, rien de tout cela ne se fera.

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extrait des commentaires :

Thomas Lamiaud 40 km ? Léonie Sarradin plus ! et aller/

retour encore plus !! je meurs

Thomas Lamiaud Je vous tire

ma casquette !

Benoît Giard 106km, déso Léonie Sarradin yeahhh

Mis au défi par une amie, nous décidons malgré tout avec Anyssia, la seule de l’équipe qui est disponible, de retenter l’expérience pour aller prendre un goûter à Nort-sur-Erdre. Confiant, la trentaine de kilomètres annoncées ne nous font pas trop peur : après une centaine de kilomètres, qu’est-ce qui peut bien nous arrêter ? Beaucoup de choses : le

manque de préparation, la sous-estimation de la durée du trajet, le manque d’eau, le départ trop tardif, la nuit tombant tôt... la fatigue physique qui en découle est le prix d’une après-midi au soleil entre amis.

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Photo par Eric Schwab (1948), AFP

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Alors qu’il est possible de parler d’une culture cyclable par-tagée par l’ensemble des personnes ayant une pratique plus ou moins régulière du vélo, il devient aventureux de tenter de définir la figure du

cycliste. Généraliser en assimilant le cycliste à un seul type de personne

– par exemple quelqu’un de plutôt jeune, habitant en centre-ville, classe moyenne supérieure, si l’on en croit les clichés répandus un peu partout – est un exercice réducteur qui revient à ignorer le potentiel de

cycla-bilité de l’ensemble de la population. D’autre part, chaque cycliste a sa

façon d’aborder la ville, et peut choisir ou non de respecter les feux de circulation, d’utiliser les aménagements dédiés, de rouler à une certaine vitesse, etc.11. De ce fait, même si l’image du vélo se posant en tant que masque des différences sociales et culturelles est belle, elle reste en par-tie fausse. En effet, chaque cycliste a sa propre expérience et sa propre personnalité, celles-ci définissant les raisons individuelles pour lesquelles la personne roule à vélo et prend plaisir à la pratique de celui-ci.

Lorsqu’une personne âgée, ayant une santé affaiblie, décide de prendre le vélo en France, ce choix paraît incongru et peut être in-compris. Une vraie transition dans les mentalités s’est en effet effectuée à l’ère de la démocratisation de la voiture : prendre sa voiture est devenu un référentiel de déplacement pour tous. Revenir au vélo semble surtout être un signe d’inconscience de la part d’une personne perçue comme fragile. Inversement, en Italie, dans les villes comme dans les villages, il est assez courant de voir des vechietti12 rouler à vélo, car ils n’ont jamais cessé de le faire et continuent comme avant. Certes, le vieillissement a un effet sur le corps, et il devient évidemment plus difficile de faire du vélo lorsque l’on arrive à un âge très avancé, alors que le corps le supporte très

11. Voir encore une fois le mémoire de Jean Favreau sur le sujet, qui montre très bien cette diversité (Favreau, 2016, op. cit.)

12. « Petit vieux », terme familier et affectueux

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