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L’idée est un peu folle et absurde : faire le tour du périphérique nantais, à la manière des randonneurs du périph’ parisien, mais en vélo. Pourquoi choisir le vélo ? Car ça permet de l’explorer en seulement quatre séances, de passer par nombre d’ambiances et séquences urbaines différentes.

C’est par mes compagnons de vélo que je reçois cette proposition. Thibault, l’organisateur, a pour projet de faire un «quart» de périphérique toutes les deux semaines, afin de porter un regard différent sur la métropole que nous habitons. Pour lui, nouvel arrivant dans la ville, c’est aussi un moyen de la découvrir et de se l’approprier.

Au fil des quatre balades, de

nombreux profils se succèdent. Peu font le tour complet, je suis l’un des seuls. Il y a des jeunes, quelques personnes plus âgées, des étudiants, des travailleurs, des retraités, des architectes (beaucoup), des Nantais de souche, des Parisiens, des touristes, des habitués du vélo, des néophytes aussi.

Les routes que nous empruntons sont plus que variées : Thibault a tracé le parcours sur une carte IGN, nous faisant passer par quelques pistes cyclables mais surtout par des petites routes, des chemins en forêt, des endroits où l’on passe sans vraiment pouvoir rouler.

Les zones commerciales austères alternent avec des zones

pavillonnaires, on passe devant des squats et des camps de roms, on découvre des endroits reculés et magnifiques - mais toujours avec le bruit du périphérique en fond. Cette succession un peu absurde n’a été possible que grâce au vélo : le périphérique n’est pas fait pour être vu de cette manière. Le vélo devient un outil pour comprendre les couches successives du développement de Nantes.

étape 1 : De la Sèvre à Bellevue (2h15/22,3km)

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étape 2 : Les 5 rivières (2h30/22km)

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étape 3 : Pierre, Maurice et Atlantis (3h10/30km)

étape 4 : De la Gaule au Grand vol (2h30/23km)

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56 Plaisirs à vélo

Percevoir la ville sous un autre angle fait donc naître un certain plaisir. « La ville est faite pour être regardée », défend Marc Augé, prô- nant « l’expérience inédite » de cet espace grâce à l’usage du vélo. Jan Gehl26 parle pour sa part des différentes vitesses de progression dans la ville. Selon lui, en ville, un piéton évolue à une vitesse moyenne d’environ 5 km/h, un vélo environ 15 km/h, tandis que la voiture est à environ 30 km/h. Entre 5 km/h et 15 km/h, il serait encore possible d’observer et de profiter de ce que la ville a à offrir, ce qui n’est plus le cas lorsque l’on roule en voiture. Dans une ville conçue pour les véhicules rapides, comme celles datant de l’ère du tout-voiture, on perdrait ainsi tout plaisir de re- garder la ville et l’on se convertirait ainsi à la voiture, à cause d’un envi- ronnement trop ennuyeux. En pratique, le vélo et la voiture affichent plus au moins la même vitesse moyenne (entre 18 et 20 km/h dans les centres villes), la différence majeure étant que les cyclistes ne s’arrêtent que très peu par rapport aux automobilistes.

D’autres facteurs sont peut-être à prendre en compte  : la concentration nécessaire à l’automobiliste en ville est très différente de celle du cycliste. Il doit rester absolument attentif à ce qu’il se passe au- tour de lui, mais est moins préoccupé par l’itinéraire qu’il doit emprunter. A l’inverse, le cycliste doit lui être attentif à la masse des éléments qui l’entourent. Les autres usagers sont des dangers potentiels et la ville offre nombre d’obstacles à la progression d’un cycliste : transitions entre pistes cyclables quand il y en a, véhicules garés sur celles-ci, etc. Cette vigilance impose ainsi de regarder plus globalement la ville, attention génératrice de plaisir. François Prochasson, en charge du plan de déplacements de la ville de Paris, s’inquiète pour sa part de la démocratisation du « vélo effi- cace » qui ne devrait selon lui pas devenir la norme car il pourrait y avoir une perte de ce plaisir de rouler en ville.

Le vélo serait-il ainsi une méthode pour faire plus attention à autrui ? Oui, d’après Marc Augé dans son essai anthropo-philosophique

Éloge de la bicyclette. Il évoque par exemple le fait que de par cette

nécessité d’être aux aguets, peu de cyclistes sont sur leur téléphone por- table en comparaison avec les piétons ou aux automobilistes. Mais selon lui, c’est même une caractéristique allant au-delà de cela : le vélo devien- drait un moyen de reconquérir les relations : « Nous avons besoin de la bicyclette pour nous recentrer sur les lieux où nous vivons. […] il s’agit

26. Gehl, Jan. Pour des villes à échelle humaine. Montréal : Ecosociété, 2013.

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

de rendre ses lettres de noblesse au hasard, de commencer à briser les barrières physiques.  »27. Il fait par là l’apologie de la rencontre et des événements inattendus qui surviennent lorsque l’on est à vélo. Il se place dans une position nostalgique tout le long de son essai, se remémorant ses souvenirs d’enfance où il essayait de faire « comme les coureurs cy- clistes ». Il narre en effet ses expéditions dans un village où il se confron- tait à d’autres enfants afin de savoir qui arriverait à monter la côte en premier, ou à lui-même en observant l’évolution de son endurance. Ces moments de jeu sont pour lui des signes d’une liberté nouvelle, géogra- phique comme relationnelle, acquise durant l’adolescence et inhérente au fait de faire du vélo : le coup de pédale permettrait de se transformer : « je suis ce que je découvre, je suis autre ».

« L’usage de la bicyclette nous rend pour une part l’âme d’en- fant […] mais aussi [apporte une] formation continue pour l’apprentissage de la liberté, de la lucidité et par-là, peut-être, de quelque chose qui res- semblerait au bonheur. »28 (Marc Augé, op. cit., p. 89)

27. Augé, Marc, op. cit., p.52 28. Augé, Marc, op. cit., p.89

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58 Plaisirs à vélo

Cette vision du jeu comme moyen d’apprécier une liberté au cœur de la ville se retrouve dans des contextes plus contemporains, ur-

bains et adultes que celui raconté par Marc Augé. Il est en effet possible de percevoir le vélo comme un jeu, plaisir régressif faisant ressortir l’être mineur kantien qui est en nous. Le fort épisode neigeux à Paris en 2018 a par exemple créé de nombreuses situations de jeu pour les cyclistes qui se retrouvaient seuls dans la ville. Ces derniers ont pris plaisir à do- cumenter et raconter leurs expériences sur les réseaux sociaux, donnant l’image d’une ville différente et ludique, qu’il semble difficile d’imaginer quand on l’observe au quotidien, notamment lorsqu’elle est congestionnée par les voitures. La ville peut devenir un terrain de jeu total pour le cycliste, libre de ses mouve- ments entre routes et espaces piétons, et aux prises avec un objet polyvalent lui permettant toutes sortes de digres- sions possibles.

Transgresser les règles à vélo en ville ne semble pas être un acte rarissime. Même si cela provoque une colère d’autres usagers29, il est possible de le faire sans mettre en danger ni les piétons, ni le cycliste lui-même face à une voiture30 — ou autre véhicule motorisé. Pourquoi quelqu’un transgresserait-il les règles ? Cela relève d’abord d’un côté en- fantin, comme évoqué précédemment, qui pousse à faire la course avec les bus, à rouler sur les trottoirs ou encore à aller dans des endroits inter- dits. Dans ce cas, contrevenir aux règles n’est pas un signe de quelconque rébellion contre l’autorité mais simplement la manifestation d’un plaisir rendu possible par la nature de l’objet vélo.

Ensuite, il est possible d’aller à l’encontre de règles en n’utili- sant pas les aménagements dédiés aux cyclistes. Lorsqu’une piste cyclable

29. Luyssen, Johanna. « J’ose aimer... le surimi, j’ose détester... les cyclistes à Paris ».

Libération.fr, 16 juillet 2017. http://next.liberation.fr/vous/2017/07/16/j-ose-aimer-le-suri-

mi-j-ose-detester-les-cyclistes-a-paris_1584196.

30. « Les accidents de vélo | Fédération française des usagers de la bicyclette ». Consul- té le 25 mai 2018. https://www.fub.fr/velo-ville/securite-routiere/accidents-velo.

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Partie 1 : Comment prend-on plaisir à faire du vélo ?

existe, une règle implicite31 impose au cycliste de rouler dessus, sous peine de se faire invectiver par des automo- bilistes sinon dérangés par cette occupation de leur ter- ritoire. Cette intrusion au sein de l’espace de la voiture peut être justifiée, entre autres, par la piètre qualité d’un amé- nagement cyclable, nuisant complètement au plaisir de faire du vélo. Les problèmes ne sont généralement pas dus au revêtement en lui-même, même si des nids-de-poule, fissures et autres défauts peuvent exister. Ce qui va pousser à quitter une piste cyclable, ce sera plutôt une connexion compliquée à d’autres itinéraires, une signalétique obscure voire inexis- tante, des traversées dangereuses, etc. Si un aménagement réduit l’effi- cacité cyclable, est-ce légitime de l’utiliser ?

Apporter une réponse semble difficile, car on se heurte à des points de vue opposés, émis par des types d’usagers très différents. Tou- tefois, cette question en amène une autre : comment les aménagements sont-ils pensés ? Comprendre le processus de fabrication de ces espaces peut aider à améliorer le plaisir à vélo mais surtout à limiter la dangerosi- té, ou au moins la perception de celle-ci. En effet, lorsque l’on s’attarde sur des enquêtes réalisées sur les raisons de la pratique ou non du vélo en ville, un des premiers arguments avancés est souvent la dangerosité. Ainsi, il convient de s’interroger sur les solutions apportées à ce problème connu par les municipalités. D’autre part, il peut être utile d’essayer de savoir si la seule pratique du vélo doit être prise en considération, ou s’il faut regarder la ville dans sa globalité pour comprendre l’ensemble des problématiques associées au vélo dans un milieu urbain.

31. Bien que ce soit recommandé, il n’existe pas de loi imposant au cycliste d’utiliser des aménagements dédiés (« Les aménagements cyclables : obligatoire ou pas pour les cyclistes? » Elles font du vélo, 23 novembre 2016. http://ellesfontduvelo.com/2016/11/ amenagements-cyclables/.)

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PARTIE 2

TRANSFORMER LES

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